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Le Bas Moyen Âge
 
à Paris 
(seconde partie)

Universités, administrations publiques
et mœurs
aux temps de Louis IX et de Philippe IV dit le Bel


Ci-contre : enluminure de Philippe II dit Auguste

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En 1200, la police royale réprimait violemment un incident entre les bourgeois et la communauté universitaire. Philippe Auguste prenait le parti des maîtres et des étudiants, il leurs donna pour privilège d'être jugés en cas de fautes par les seules instances religieuses. Le roi légalisait ainsi la corporation de l'Université parisienne. Et naissait en 1214 le futur Louis IX, petit-fils de Philippe Auguste, l'année suivante était ouverte à Toulouse une première communauté de l'ordre mendiant des Dominicains de l'espagnol Dominique de Guzmán, trois années plus tard, c'était la fondation du couvent des Jacobins des Dominicains au sein de la rue Saint-Jacques dans la capitale.

Nous sommes face à l'essor et à une crise profonde du monde universitaire, au XIIIe et au XIVe siècle, la capitale en a été une belle illustration. Innocent III par l'intermédiaire de son légat, le cardinal Robert de Courçon, mettait un terme aux paiements des licences par les étudiants en 1215, et le laissait au seul jugement des maîtres d'université. Quatre champs majeurs commencèrent à être transmis à Paris : la théologie, le droit ecclésiastique, la médecine et les arts libéraux qui devinrent les plus recherchés en Europe (1213). Au titre des arts dits libéraux, il était étudié sept disciplines, et ces cours dominaient les enseignements parisiens avec : la grammaire - la dialectique - la rhétorique - la géométrie - l'arithmétique - l'astronomie et la musique.

En 1229 éclatait une bagarre étudiante dans une taverne du faubourg St.-Marcel (ou St.-Marceau) pour le prix du vin. Le lendemain une vengeance estudiantine était organisée et provoquait une frayeur épouvantable auprès des habitants, intervinrent alors les sergents-royaux, qui réprimèrent fortement l'incident, dont 300 jeunes furent jetés à la Seine selon un chroniqueur Anglais. Cet événement fut suivi d'une longue grève de l'Université parisienne pendant deux ans face à l'intransigeance de la régente, ces derniers s'appuyaient sur la position du pape de 1215, les professeurs partirent enseigner ailleurs en Europe.



En 1231, le 13 avril, Grégoire IX (ci-contre) donnait à l'Université un statut reconnu par le pouvoir laïque (temporel ou politique) et l'Église : Parens Scientiarum Universitas ("la mère des sciences") ou ce qui concernait les privilèges et interdits des universitaires (lire le texte ci-dessous). Ce fut aussi la création du baccalauréat - ou de la « déterminance », juste en dessous de la licence, de la maîtrise et du doctorat. Les derniers échelons pouvaient représenter de longues années d'études.

L'évêque de Rome accorda ainsi le droit de grève (dit "cessatio") à l’Université de Paris dans certaines situations.
Pour exemples : si un enseignant ou un élève était blessé, ou décédait, et s'il n'était pas rendu justice à la personne, ou bien en cas d’arrestation abusive, etc. De même, il était donné droit à l'étude des textes jusqu'alors proscrits. Jusqu'à la fin du Moyen Âge, l’Université parisienne usa avec une certaine régularité de ce droit de "cessatio", environ deux ou trois fois par décennie, ceci du XIIIe au XVe siècle.

Chartularium Universitatis Parisiensis (Charte universitaire parisienne) : « Paris, mère des sciences brille, chère à nos cœurs, comme une seconde Cariath Sapher, la cité des lettres (ville de la Bible ou de la tribu de Juda) ; grande assurément, elle fait attendre d’elle, généreusement, de plus grandes choses encore... C’est là qu’est extrait de la terre le minerai de fer et que, tandis qu’est affermie la fragilité terrestre, il devient le bouclier de la foi, le glaive spirituel et tout le reste de l’armure de la milice chrétienne, puissante en face des puissances aériennes (maléfique) ; et la pierre fondue par la chaleur se transforme en airain parce que les cœurs de pierre, tandis qu’ils brûlent enflammés par le feu du Saint-Esprit, jettent des flammes et deviennent par la prédication les hérauts retentissants de la louange du Christ. »

À partir de 1250, les universités parisiennes devenaient incontournables en Europe. La Faculté des Arts professait la science et la métaphysique selon Aristote et les principes d'Averroès. Et la faculté de théologie cherchait une nouvelle voie chrétienne et fondamentaliste. Ainsi, les doctrines du moine et théologien Tomaso d'Aquino originaire du royaume de Sicile incarnèrent un renouveau philosophique, dit scolastique et spirituel conséquent : « Si nous résolvons les problèmes de la foi par seule voie d'autorité, nous posséderons certes la vérité mais dans une tête vide ! » Il fut un dominicain, de l'ordre mendiant des Frères prêcheurs, et il menaça un tant soit peu le pouvoir universitaire dit "laïc" (le clergé dit séculier ou sans prononciation des vœux et action sacerdotale) au sein de la capitale. Thomas d'Aquin (vers 1225-1274) a été une des figures majeures du XIIIe siècle, qui prôna une pensée à la fois rationnelle et religieuse, il sépara entre autres le temporel de l'intemporel, s'interrogea sur l'usure, les sciences en général, il critiqua Averroès sur sa séparation du spirituel et de la raison, tout en s'en inspirant, et il a été un grand lecteur d'Aristote, etc. « C'est à Aristote que je m'adresse ou à quelque autre expert en la matière. » Il fit plusieurs séjours à Paris, le premier en 1245, juste un an après son entrée ou ses vœux chez les Dominicains et à leur demande, l'objet principal consista à échapper à sa famille. Il suivit ainsi les cours du frère dominicain Albert le Grand (ou le Souabe), nommé maître-régent à l'Université de Paris la même année, qu'il suivit un temps à Cologne, puis retourna à Paris obtenir son titre de bachelier et débuta l'enseignement de ses premiers cours. Plus tard, il devint à son tour maître en 1256, Thomas d'Aquin (au centre du tableau) enseigna de 1252 à 1259 et de 1269 à 1272 dans la capitale, mais aussi à Cologne ou à Naples et dans d'autres villes italiennes. Il décéda en se rendant à un concile à Lyon convoqué par le pape Grégoire X, il fut l'auteur de nombreux textes et il avait des capacités intellectuelles plutôt hors de la norme. Selon un mythe religieux qui a perduré, il y aurait eu une rencontre avec Louis IX, ou entre les deux saints. Ce qui est très peu probable.


Le triomphe de St. Thomas d'Aquin

de Gozzoli Benozzo (1475-Louvr
e)

La dernière prière de Thomas d'Aquin avant de mourir, le 7 mars 1274, à qui nous devons les sept pêchés capitaux (l'orgueil, la gourmandise, la luxure, l'avarice, la jalousie, la colère et la paresse) toujours enseignés dans le catéchisme catholique :

« Je vous reçois, ô salut de mon âme. C’est par amour de vous que j’ai étudié, veillé des nuits entières et que je me suis épuisé ; c’est vous que j’ai prêché et enseigné. Jamais je n’ai dit un mot contre Vous. Je ne m’attache pas non plus obstinément à mon propre sens ; mais si jamais je me suis mal exprimé sur ce sacrement, je me soumets au jugement de la sainte Église romaine dans l’obéissance de laquelle je meurs. Ainsi soit-il. »

De 1250 à 1255, ça grondait, mais les universitaires se virent obligés par la papauté d'accepter à tous les ordres religieux le droit d'enseigner.
Le conflit a eu toutefois des suites et laissa des traces dans la fondation des différents collèges qui allaient se créer comme la Sorbonne. L'on comptait environ une quarantaine de collèges dans la capitale, tous se situaient en rive gauche et notamment au sein du quartier dit Latin. Il s'agissait de fondations charitables,
à l'origine elles étaient destinées à accueillir en leurs locaux des étudiants pauvres. L'on a connu jusqu'à 17% d'étudiants boursiers, ces écoles étaient des petites unités rassemblant en moyenne 6 à 12 pensionnaires. (en référence une vidéo ci-après sur les collèges médiévaux à Paris jusqu'à l'Université moderne)



 

Robert de Sorbon (1201-1274), maître en théologie au cloître Notre-Dame, créait en 1253 le collège qui porte son nom, afin de limiter le poids des franciscains et des dominicains. Chapelain de Saint-Louis, il s'activa sous ses ordres, et Louis IX en 1257 reconnaissait le nouveau collège. Il était composé de prêtres séculiers, du latin "saeculari" « qui vit dans le siècle, dans le monde » (à ne pas confondre avec le clergé régulier : conforme à la règle des voeux prononcés) et d'étudiants pauvres ; de même il était attribué une bourse pour la préparation au sacerdoce.

En 1260, Robert de Sorbon créait la bibliothèque du Collège, elle contenait un peu plus d'un millier d'ouvrages et fut une référence comme lieu de savoir.

Ci-contre :  Le grand portail de la Sorbonne (édifié au XVIIe siècle)




En 1277, courant mars, le Saint siège ainsi que l'évêque anglais Robert Kilwarby condamnaient (mais ne l'interdisaient pas) l'oeuvre de Thomas d'Aquin. Le 7 mars de la même année, Etienne Tempier, l'évêque de Paris faisait 219 propositions à l'encontre de sa doctrine. Aux yeux des autorités ecclésiales sa pensée était trop clémente avec les aristotéliciens (disciples de la philosophie d'Aristote) et indirectement les avéroïstes promotteurs d'une philosophie séparée de tout contenu religieux ou théologique, ce que tenta de faire Thomas d'Aquin décédé trois ans plus tôt. Il fut néanmoins canonisé en 1323 avec la montée en puissance des frères dominicains,  et il reçut le titre de Docteur de l'Eglise en 1567. En 1292, les étudiants licenciés à Paris purent enseigner dans toute la chrétienté romaine, le diplôme s'élargissait au-delà de la compétence diocésaine.

Au XIVe siècle les universités rencontraient des difficultés, en particulier les débouchés pour les étudiants sans fortunes.
Cette crise a été la conséquence des abus de taxes opérés par les pontifes avignonnais, qui accentuèrent la crise économique et sociale à la fin du Moyen Âge. Et firent naître les racines du Protestantisme.

Aux Origines du Quartier Latin - Collèges et Universités

Une conférence enregistrée en janvier 2018 avec Thierry Kouamé,
Maître de conférences en histoire médiévale à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le fils de Philippe Auguste, Louis VIII lui succéda de son vivant en 1223 et décéda en 1226. Il a été l'époux de Blanche de Castille (petite fille d'Aliénor d'Aquitaine). Au cours de son règne il allait reprendre aux Anglais le Poitou, le Limousin, le Périgord et une partie du Bordelais. Il décéda lors d'une croisade décisive contre les dits "Cathares". Suite à sa disparition Louis IX était sacré roi à 12 ans.  


 
1226 : sacre de Louis IX, dit saint-Louis

On connait de ce roi, sous son chêne à Vincennes, où il rendait la justice, le mythe ou la légende d'un saint homme qui contribua à faire de la Sainte Chapelle et de ses reliques christiques les emblèmes de sa puissance divine et terrestre. Pour anecdote, à Paris, l'on retrouve son nom et sa légende, au lieu dit du buisson Saint-Louis, une petite rue aujourd'hui bétonnée. Le roi aimait parait-il venir s'y détendre, l'on présumait ainsi de sa campagne parisienne à quelques encablures de la ville. Elle était champêtre comme l'entend le légendaire, ou plus simplement la campagne n'était pas très lointaine des fortifications de son grand-père. En ce qui concerne l'hôpital Saint-Louis, pour sa fondation, il fut consacré aux maladies de peau. Mais il faut attendre le règne d'Henri IV pour y voir s'édifier un vaste ensemble hospitalier, non loin du buisson... Louis VIII au lieu que soit nommé un conseil de régence aurait sur son lit de mort déclaré sa femme, la reine Blanche, comme la régente du royaume, celle-ci allait affronter rapidement une montée de bouclier de la part des barons, et pour affirmer son pouvoir, elle fit sacré au plus vite Louis le neuvième à Reims, malgré cela les tensions persistèrent.

 
Blanche de Castille (ci-contre), allait assumer la régence jusqu'au mariage de Louis IX avec Marguerite de Provence (à Sens en 1234), maniant la diplomatie aussi bien que la force contre les vassaux récalcitrants. En 1226, elle fit libérer Ferrand de Flandre et de « De 1228 à 1234, Blanche, après avoir triomphé des barons conjurés, les isole et poursuit activement la guerre au cœur de leurs domaines. » Epouse de Louis VIII, le fils héritier de Philippe II, qui décéda en 1226, elle était d'origine castillane par son père Alphonse VIII et la petite-fille d'Aliénor d'Aquitaine et d'Henri II de Plantagenêt par sa mère. Blanche a vécu 12 naissances, seuls cinq de ses enfants connurent l'âge adulte dont le futur Louis IX. Elle a du faire face à un désacord asez vif avec Philippe II au sujet de son époux, il lui est accordé d'avoir eu un esprit dès plus ferme, au titre de ce que l'on désigne comme une "femme de caractère", et d'avoir été très pieuse.

« Pendant sa (seconde) régence (1248-1252), Blanche de Castille avait eu à réprimer un mouvement populaire qui faillit dégénérer en guerre sociale. Un moine défroqué de l'ordre de Cîteaux se mit à prêcher une croisade des pauvres gens, pour aller au secours du saint roi (la 1ère Croisade des Pastoureaux). Il s'attira une foule de partisans, et commença à leur parler de certaines nouveautés, s'éleva contre le luxe des prélats, les vices de la cour de Rome, l'orgueil des barons. Il fut bientôt à la tête de cent mille hommes. Blanche s'effraya, les fit attaquer et poursuivre comme des bêtes fauves (1251). »  Source : MM. Hubault et Marguerin, Histoire de France

Ce fut à partir d'avril 1233 que fut instituée  l'Inquisition (du latin inquisitio et avec pour étymologie : la recherche ou l'enquête). Cette juridiction a été chargée de juger les hérétiques suite à la bulle du pape Grégoire IX, et fut lancée en juin suivant la chasse aux sorciers. L'hérésie ne concernait pas les autres religions comme le judaïsme ou l'islam, il s'agissait de condamner les déviances au sein de la religion chrétienne et n'a concerné que des chrétiens. L'hérétique était celle ou celui qui pensait différemment. L'enquête qui était menée avait pour but de prouver la faute. La lutte contre l'hérésie n'avait rien de nouveau, elle avait commencé sous l'empereur Constantin dès le IVe siècle. Le tribunal de l'inquisition a été dirigé par les frères précheurs, les dits Dominicains et ils se trouvaient dans le midi de la France et sous le contrôle de la papauté, et le tribunal fut particulièrement actif aux XIIIe et XIVe siècles. Louis IX de son côté allait soutenir les chasseurs de sorciers ou sorcières et imposer aux Juifs le port d'une rouelle jaune.

Sous Louis IX fut construite entre 1245 et 1248 la Sainte Chapelle au sein du Palais de la Cité avec ses 1.113 vitraux et sa flèche à 75 mètres de hauteur, reconstituée au XIXe siècle. Elle se situe aujourd'hui au sein du Palais de justice de Paris. La chapelle a été édifiée pour accueillir la couronne d'épines du Christ et un bout de la vraie croix (qui auraient été ramenés par Ste-Hélène, mère de l'empereur Constantin au IVe siècle). Ces objets sacrés avaient été achetés pour une somme importante à l'empereur byzantin Baudoin II, en 1238, qui avait quelques soucis financiers. Deux tiers des verrières encore existantes sont d'origine. Dans ses vocations pieuses le dit saint Louis aurait soigné des lésions cutanées (« les écrouelles »). On connaît sa charité, ses soutiens aux pauvres et aux malades, entre autres pour les lépreux. Il a été le fondateur des hospices, en particulier celui des Quinze-Vingt  à Paris (15X20) pour accueillir 300 aveugles.

« Aussi le benoît roi fit acheter une pièce de terre dans Saint-Honoré, où il fit faire une grande maison parce que les pauvres aveugles demeurassent là perpetuellement jusques à trois cents ; et ont tous les ans de la bourse du roi, pour potages et autres choses, rentes. En laquelle maison est une église qu'il fit faire en l'honneur de saint Remi, pour que les dits aveugles aients à cet endroit le service de Dieu. »

Source : Vie de Saint Louis (1303) - mis en français moderne, de Guillaume de Saint-Pathus,
confesseur de la reine Marguerite, A. Picard et fils, Paris, 1899, p. 87.


En 1254 à Paris, il créait un Parlement avec une cour de justice et un conseil politique. Il mettait fin « au jugement de Dieu » par des enquêtes et des auditions. Le roi créa de même un corps issu des universités parisiennes, ces hommes allaient suivre l'application des mesures sur tout le territoire. Il organisa les métiers, selon des codes propres à chaque profession. Ce fut un monarque qui tint très à cœur les questions de législation. Le roi parapha aussi des ordonnances interdisant : la prostitution, les combats entre les nobles, le jeu, etc.. De même, il favorisa sa monnaie et restreignit celles des seigneurs au seul domaine et engagea la naissance d'une unité monétaire à l'ensemble du royaume.





Saint-Louis a connu une difficile séparation sur la route de Saint-Denis avec la reine-mère Blanche de Castille ; elle mourrut en 1252 à Melun.

Quand Louis IX partit en croisade, la septième en 1248, la cour fit ses adieux au roi (il était fait prisonnier en 1250).


Nous vous livrons un extrait du récit, ci-dessous :
« La reine (Marguerite de Provence), et les frères et leurs femmes, déchaussés et nus pieds, et toutes les congrégations et le peuple de Paris les convoyèrent jusqu'à Saint-Denis, en larmes et en pleurs...

Et là prit à eux congé du roi et les renvoya à Paris, et pleura assez au départir d'eux. Mais la Reine sa mère demeura avec lui, et la convoya trois journées, maugréa le roi.

Et hors de lui : - Belle, très douce mère, par cette fois que vous me devez, retournez désormais.

- Ah donc lui répondit la reine en pleurant ; Beau, très doux, fils, comment pourrai-je souffrir le départi de vous et de moi. Vous m'avez été le meilleur fils que peut avoir une mère.

A ces mots elle chue dans un spasme, et le Roi la redressa, et elle prit congé de lui en pleurant.

Quand le benoit roi dut aller outre-mer à la dernière fois qu'il y alla, il visita les maisons de religions de Paris. (...) 
Et il s'en alla à la maison de Saint-Ladre (ou Saint-Lazare) et s'agenouilla devant les meseaux (malades lépreux) assemblés et leur requit humblement et dévotement qu'ils priassent Notre-Seigneur pour lui. Et les choses devant dites furent faites. »

Pour les deux extraits cités : les termes du texte original sont dans un français plus contemporain


Louis IX ne revit jamais la reine-mère, avant de disparaître elle créa deux monastères, et quelques temps après elle mourut très dévotement sur une paillasse. Tel est le récit qu'il nous reste des derniers jours de Blanche de Castille.

En 1254 , Louis IX était libéré suite au paiement d'une rançon, il pouvait ainsi revenir en France, et dans sa ville. Marguerite de Provence, sa cousine et sa femme l'accompagna dans ses périples. Elle incarna une figure d'héroïne à côté de son mari batailleur. Elle disparue le 21 décembre 1295 à Paris, vingt-cinq ans après son époux et a donné la naissance à 11 enfants, seul un enfant mourrut mort-né. A la disparition de Louis IX en 1270, c'e fut son fils Philippe III dit le Hardi qui succéda à son père, puis elle se retira avec une de ses filles, l'ainé Blanche, au couvent des Cordeliers au sein du bourg St.-Marcel.

Cette même année de 1254, Louis IX réforma "le guet de Paris", ou guet royal en place depuis Hugues Capet, il créait la fonction de "chevalier du guet" (miles guetti). Un corps fait de garde fixe avec le "guet assis" ou le "guet dormant", ainsi se constitua une milice bourgeoise, composée des "gens de métier" (au sein des confréries). Cette milice devait fournir chaque nuit et jour au prévôt les hommes nécessaires à la protection des remparts et à la surveillance de la capitale. (lire la suite sur la police du guet sous François 1er) Ce fut aussi le début des réformes judiciaires et la création du Parlement de Paris sur l'île de la Cité (confirmé par ordonnance en 1278 par Philippe III).


Louis IX : « En 1258, il restitue à Henri III (d'Angleterre), par le traité de Paris, le Périgord, le Limousin et une partie de la Saintonge, provinces d'ailleurs enveloppées par les domaines de ses frères. De son côté le roi d'Angleterre renonce à tous ses droits sur la Normandie, l'Anjou, le Maine, la Touraine, le Poitou, la Saintonge (au nord de la Charente), et se reconnaît vassal pour les pays rendus.

En 1259 il dégage la France de l'Espagne en renonçant, par le traité de Corbeil, à l'ancienne suzeraineté depuis longtemps méconnue des rois francs sur la marche d'Espagne (la Catalogne) et sur le Roussillon. Le roi d'Aragon cède en retour ses droits sur de nombreux fiefs du Languedoc et de l'Auvergne, ne se réservant que la seigneurie de Montpellier, pour laquelle il prête hommage.
»

Source : MM. Hubault et Marguerin, Histoire de France,
pages 179 et 184 pour Blanche de Castille et page 185 pour Louis IX


Il y a au sujet du règne de Louis IX, un sentiment contradictoire, à la fois il engageait des évolutions notables, et sur le fond il se nourrissait de l'intolérance religieuse de l'époque. Il posa un peu plus loin les bases du centralisme et gagna un peu sur le pouvoir "intemporel" de l'église, qui ne pouvait le suspecter d'être un hérétique. Le roi Louis neuvième du nom passa une bonne part de son temps en guerre, même en prison un certain temps (2 ans), en l'attente du paiement de sa rançon. Il a été avant tout un personnage autoritaire, qui a su s'attirer la sympathie de ses sujets chrétiens, cela va de soi... et une référence qui devint l'ordre royal et militaire de St-Louis, ainsi qu'une décoration très prisée à partir de Louis XIV.

Louis IX a été canonisé par le Pape Boniface VIII en 1297, 27 ans après sa mort, il devenait Saint-Louis.

Si vous souhaitez  en savoir plus et même vous tenir au courant des dernières études sur Louis IX et la justice, nous conseillons vivement une conférence au Collège de France de Mme Marie Dejoux, historienne : Gouverner par l'enquête, les enquêtes de réparation de Louis IX. (en deux parties, février 2015 - séminaire conduit par M. Rosanvallon)


La prostitution du temps de Louis IX


Le dit « plus vieux métier du monde » ne s'exerça pas dans l'indifférence pendant les temps médiévaux, la prostitution depuis le code Alaric (Ve siècle) poursuivait celles qui vendaient leur corps et condamnait ceux qui les soutenaient : les proxénètes. Sous Charlemagne, les prostituées étaient passibles de 300 coups de fouet et la chevelure tondue, mais la mesure a été rapidement annulée vers 808.

Lors de la construction de la cathédrale Notre-Dame, l'évêque refusa le don d'un vitrail par les "ribaudes" parisiennes. Il existe aussi le terme "maquerelle", une île parisienne a porté longtemps ce nom (l'île aux Cygnes de nos jours, face à la maison de Radio France). L'île aux Maquerelles était dévolue à la prostitution, et pas le seul endroit de la capitale connu. Ce commerce a tenu une place non négligeable dans les arcanes de la vie quotidienne de la ville, et un rôle économique important, et même antérieurement une pré-accumulation de richesse utile au développement des cités.

Certains théologiens s'interrogèrent sur le statut de ce métier si particulier. Thomas de Cobham estima que les femmes "foles de leur cors" devaient être assimilées aux mercenaires :


« Elles louent, en effet, leur corps et fournissent un travail. Si elles se repentent, elles peuvent garder les bénéfices de la prostitution pour en faire des aumônes. Mais si elles se prostituent par plaisir et louent leur corps pour connaître la jouissance, alors elles ne fournissent pas un travail, et le bénéfice est aussi honteux que l'acte. »

Louis IX dans un édit de 1254, prôna l'extradition. La prostitution devint souterraine suite à une forte répression et vit un temps la fermeture des maisons de luxure. La population se plaignit des restrictions, les viols se multipliaient. Ces crimes mettaient en danger les filles ou les épouses des bourgeois. Sous la pression l'édit fut révoqué et un nouveau décret ouvrit de nouvelles conditions à la prostitution : seulement dans certains quartiers ou rues de la ville, à certaines heures et fermés à l'accès selon des conventions religieuses précises certains jours. Aux moments de relâchement général comme les carnavals le viol devenait pratique courante.

Les Dames de bon rang exigèrent un code vestimentaire les différenciant, des autres Dames, dîtes de "petite vertu". Il fut donc interdit aux "filles ou femmes publiques" de se vêtir dans de riches toilettes, et obligeant celles-ci à porter au cou un ruban de couleur jaune. Idem pour les souteneurs, ils devaient porter un habit de couleur jaune, afin de les éviter, ou sous peine d'être fouetté.

Il fut de fait interdit aux "filles ou femmes de joye, follieuses, ribaudes, bordelières, folles de leurs corps" de se mélanger avec la population.
Louis IX fut le premier, en 1254 à vouloir expulser ces dames du royaume, après confiscation de leurs biens et vêtements. Cette ordonnance fut réitérée lors de son départ d'Aigues Mortes pour l'outre-mer, avec un don au couvent des Filles-Dieu ouvert aux filles repenties ou pénitentes.

En 1256, le roi se contenta de les expulser hors les murs et de leur interdire de travailler en centre ville, près des églises ou des cimetières.

illustration des bains
publics ou étuves

Après cet édit prohibitionniste à la huitième croisade, le roi s'assouplit fortement, et même étonnamment les prostituées et courtisanes suivirent les troupes. Il fut fait mention sur les "Livres de Compte d'État", que le roi paya un salaire à 13.000 prostituées, pour répondre aux besoins des hommes loin de leur terre natale et de leurs épouses. Au XIVe siècle, on vit ainsi naître une reconnaissance de la prostitution. La maison close fut reconnue par l'Eglise et la municipalité comme d'utilité publique. Et le clergé servit à son contrôle. La prostitution a été considérée dès lors comme un mal nécessaire. Néanmoins, les prostituées se devaient à une pénitence de six ans pour expier, les clients de jeûner pendant dix jours. L'Eglise considéra ces femmes comme des "brebis égarées".

La prostitution, quoi que mal vue était tolérée, puis fut encadrée par le pouvoir politique. Il est vrai que ces pratiques hypocrites permettaient en apparence de protéger la vertu des honnêtes femmes, en charge des enfants et du foyer, et dument réservée à leurs maris. Il semble à la lecture des registres criminels que les viols, parfois en groupe n'étaient pas rares, au point que les historiens ont parlé de rites de passage à l'âge adulte pour les jeunes mâles entravés par un carcan social et religieux pesant. Même la cité des Papes a connu quelques "mauvais lieux", puisqu'un proverbe disait qu'on ne pouvait traverser le pont d'Avignon sans croiser « deux moines, deux ânes et deux putains ».


Les Filles-Dieu, à Paris



Bien que cette maison ne constituât pas un Hôtel-Dieu proprement dit, elle était mise au rang des « lieux pitéables » (pitoyables au sens de pitiés) sur lesquels s'étendait le pouvoir du visiteur général. Dès le temps de sa construction, en effet, elle fut considérée comme hôpital, ou plutôt comme hospice, à l'usage des femmes repenties (anciennes prostituées ou ribaudes). D'après la Chronique de Tours, l'institution des Filles-Dieu remonte à l'année 1225, époque à laquelle Guillaume d'Auvergne, qui professait alors la théologie à Paris, ayant par ses prédications converti un grand nombre de femmes de mauvaise vie, les réunit dans un asile spécial où elles promettaient d'observer la continence jusqu'à ce qu'elles trouvassent à se marier. La date de cette fondation, à laquelle Louis VIII contribua par ses aumônes, est confirmée par une donation de quarante sous de rente que Bouchard de Marly fit, au mois de mai 1226, et par un acte du mois d'avril de la même année dans lequel il est parlé de la construction récente de la maison. Cet acte a pour objet de sauvegarder les droits de la paroisse Saint-Laurent, sur laquelle était situé le terrain acheté à Guillaume Barbette pour y élever la maison des nouvelles converties. Aux termes de la convention susdite, le prieur de Saint-Martin-des-Champs, de qui dépendait cette paroisse, renonce, ainsi que le curé, à l'exercice des droits paroissiaux dans cet enclos, sauf à l'égard des serviteurs et des servantes. La chapelle jointe à la maison reçoit le droit de posséder un cimetière, des fonts baptismaux et des cloches, et le prieur de Saint-Martin ne se réserve que la présentation du chapelain à la nomination de l'évêque. En retour de ces concessions, une rente de vingt sous parisis est assurée au curé de Saint-Laurent sur les revenus du nouvel établissement.

Le pourpris des « Filles-Dieu, » nom sous lequel furent désignées dès l'origine les femmes recueillies par Guillaume d'Auvergne, était situé le long de la chaussée Saint-Denis, entre l'ancienne porte de Paris et la léproserie Saint-Lazare. Celle-ci, en 1232, renonça, moyennant un cens annuel de douze livres parisis, à tous les droits de seigneurie, censive et justice qui lui appartenaient sur l'enclos de l'hôtel et sur quatre arpents et demi de terre contigus ; cela constitua aux Filles-Dieu un domaine de huit arpents, où elles eurent non seulement les dîmes, mais « juridiction et seigneurie basse et moyenne, et toute franchise d'y prendre tous les malfaiteurs et ceux emprisonnés un jour et une nuit tant seulement. »

On voit par ce rapide exposé qu'il ne faut pas prendre à la lettre le passage de Joinville d'après lequel ce serait saint-Louis qui aurait fait construire la maison des Filles-Dieu sur le chemin de Saint-Denis. Ici, comme pour d'autres fondations pieuses que le même historien attribue au même roi, il ne s'agit pas d'une création, mais d'une extension considérable donnée à un établissement préexistant. En effet, à une époque qu'on ne saurait déterminer, Louis IX réunit, dans l'hospice construit à la fin du règne de son père, une « grande multitude » de filles que leur pauvreté avait poussées au désordre ou exposait à y tomber. Il leur assigna une rente de 400 livres parisis et de deux muids de blé ; il agrandit notablement les bâtiments de leur hôtel ; enfin, en 1265, il leur concéda une prise d'eau sur la fontaine de saint-Ladre.

De l'édifice consacré au logement des Repenties, on connaît peu de choses. On sait seulement qu'il comprenait un dortoir et un réfectoire dont les proportions devaient être très vastes, puisque, d'après les renseignements recueillis par Jean de Villescoublain, le nombre des Filles-Dieu pouvait monter à deux cent soixante.

A côté de la maison s'élevait une église flanquée d'un clocher et entourée d'un cimetière. Elle était dédiée à la Madeleine, patronne des converties, et renfermait une chapelle du titre de Saint-Abraham. Une autre chapelle située vers l'abside servait de salle capitulaire pour les réunions de la communauté. Cette église était riche en ornements et en reliques ; on en trouvera plus loin l'inventaire dressé par le visiteur. Le culte de saint Louis y fut naturellement en honneur après sa canonisation. C'est ainsi qu'on y vénérait un reliquaire renfermant un doigt du saint, et que parmi les livres liturgiques figurait un volume donnant son office. Grâce aux aumônes que leur faisaient les particuliers et les couvents, ou qu'elles allaient chaque jour quêter dans les rues, grâce surtout aux libéralités royales, les Filles-Dieu parvinrent à acquérir d'importants domaines. On en peut juger par différents textes tels que l'amortissement de sept arpents de terre consenti en leur faveur par le chapitre de Notre-Dames en 1243, l'amortissement par Saint-Lazare, en 1254, de huit autres arpents sis dans la direction du Temple, et l'achat fait en 1287 à Ansel de Saint-Yon, moyennant 1.161 livres, de la grange dîmeresse, et d'une partie des dîmes de Milly en Gâtinais, qu'elles échangèrent six ans plus tard avec Hugues de Bouville contre 72 livres parisis de rente sur la recette de Paris.

Le procès-verbal de visite de 1351 évalue le produit de leurs cens et rentes à plus de cent livres par an, et une déclaration rendue en 1380 nous apprend que, par des acquisitions successives, elles avaient porté à trente-huit arpents l'étendue de la « couture » qu'elles possédaient autour de leur hôtel.

Malgré les allégations contraires de certains documents du XVe siècle, les textes que nous avons cités établissent avec certitude que les premières habitantes des Filles-Dieu, aussi bien que celles qu'y plaça saint Louis, étaient des pécheresses converties. Nul témoignage d'ailleurs ne saurait avoir plus d'autorité sur ce point qu'un aveu sorti de la bouche même de l'une d'entre elles et recueilli dans le récit des miracles obtenus au XIIIe siècle par l'intercession de saint Louis. En 1282, une des sœurs de la maison, nommée Jacqueline de Saint-Germain-des-Prés, était tombée sous la possession du démon et se livrait aux actes les plus désordonnés, injuriant les sœurs, leur jetant à la tête les sièges et les quenouilles, tentant même à maintes reprises de se suicider. Témoin de ces scandales, une de ses compagnes, appelée Aveline de Gonesse, eut alors l'idée de recourir à l'intercession du saint roi et lui « dit ces mots : Recordez-vous (souvenez-vous), soeur Jacqueline, du benoict (du bon) saint-Louis, nôtre père, qui vous, et moi, et les autres, très hors du péché.»

Mais peu à peu le recrutement se modifia et la maison finit par ne plus recevoir que des filles pieuses désireuses de s'adonner en commun aux exercices de dévotion, sans toutefois être soumises à la rigueur d'une véritable règle religieuse. La communauté devint un véritable béguinage.

Cette assimilation entre les Filles-Dieu et les béguines est clairement établie par une plaidoirie du XIVe siècle prononcée dans un procès où l'on discutait si certaine femme devait être considérée comme une religieuse. L'avocat lui déniait ce caractère, disant que dans le couvent où elle s'était retirée, « les dames ou femmes qui y demeurent ne sont point là comme en religion et ne sont point de profession, et n'est ni abbaye ni prieuré, mais qu'un hôtel seulement, et se purent marier, quant bon leur semble, comme feraient les chanoinesses et les Filles-Dieu et béguines. »

La transformation dont nous parlons était accomplie avant le milieu du XIVe siècle, lorsque Fouques, évêque de Paris, rendit, au mois de mai 1346, une ordonnance relative au nombre des sœurs qui pouvaient être admises aux Filles-Dieu. Ayant, après enquête, reconnu que les ressources du couvent ne pouvaient suffire à l'entretien de plus de soixante femmes, il décida que, sous le bon plaisir du roi, leur nombre serait réduit à ce chiffre par voie d'extinction et qu'à l'avenir la communauté se composerait de quarante sœurs capables de chanter l'office et de vingt autres pour lesquelles cette condition ne serait pas requise, toutes devant être de mœurs et de vie irréprochables. L'évêque ajoutait que les places vacantes seraient remplies alternativement par le roi et par lui et se réservait la nomination du maître.

L'inventaire de 1351 énumère les livres de chant, tels que psautiers, antiphonaires, prosiers et lectionnaires qui étaient mis à la disposition de ces religieuses de chœur ou cantatrices. Quant aux sœurs de la seconde catégorie, qui n'avaient pas l'office à réciter, leurs occupations devaient généralement consister en travaux d'aiguille, c'étaient des ouvrières comme la brodeuse en bourses et les fileuses dont parlent les Miracles de saint-Louis, ou bien comme sœurs Colette de Sarcus et Jacqueline la Fourquine qui, en 1351, employaient une jeune apprentie dont le procès-verbal de visite raconte la fin tragique.

Au moment où l'évêque Fouques édictait la mesure dont nous venons de parler, les Filles-Dieu comptaient cent trente-six sœurs et l'on était en droit de supposer qu'il s'écoulerait un temps assez long avant que ce nombre fût ramené aux limites fixées. Mais le terrible fléau qui s'abattit sur la France à cette époque se chargea de décimer leurs rangs avec une soudaineté que nul ne pouvait prévoir. Dès 1348, leur nombre était réduit à cent douze au moment de Pâques et à cent quatre au mois d'octobre suivant.

Quelque rapide que soit déjà cette diminution, elle n'est rien à côté de celle qui se produisit pendant l'été de 1349 où, de Pâques à la Saint-Remi, le total des membres tomba brusquement de cent deux à quarante.

Ce dernier chiffre est également celui que constata Jean de Villescoublain en 1351, bien que l'année précédente le roi Jean eût publié des lettres destinées à relever la communauté. Par cette ordonnance, datée de novembre 1350, le roi s'opposait à la réduction prescrite par l'évêque, fixait à cent le nombre des religieuses et décidait que, contrairement à la pratique observée ces dernières années par les gens du Trésor, on fournirait à l'avenir aux Filles-Dieu les 400 livres promises par saint-Louis, comme si elles étaient encore deux cents ainsi que sous le règne de ce roi.

Elles n'eurent guère le temps de profiter de la faveur que leur témoignait Jean le Bon. En 1358, les malheurs de la guerre leur réservaient une épreuve plus terrible encore que celle de l'épidémie. Le prévôt des marchands et les échevins de Paris, ayant fait élever la bastille Saint-Denis pour protéger la ville contre les attaques qui la menaçaient, craignirent que l'hôtel des Filles-Dieu, placé si près des nouveaux ouvrages, ne servît d'abri et de poste avancé aux ennemis, ils résolurent donc de le faire raser, et les religieuses durent abandonner leur demeure et se disperser.

Comme le remarque Sauvai, on peut juger de l'importance des bâtiments qui tombèrent sous la pioche des démolisseurs, quand on voit le maître des Filles-Dieu vendre pour la somme de 500 écus d'or les tuiles et le bois provenant de la démolition de l'église et du couvent ; encore ne comprenait-on pas dans ce prix les matériaux retirés de la grange et de l'hôtel appelé le « Vieux monastère. » Mais ce n'était là qu'une faible indemnité des pertes éprouvées par les religieuses, et il fallait défalquer de cette, somme la valeur du « merrain » (planche de bois), qui avait été pris par les échevins pour l'employer aux travaux de fortifications ; cette dette, semble-t-il, ne put jamais être recouvrée sur la ville.

L'évêque ayant cherché une nouvelle habitation pour ces malheureuses filles dispersées, son choix tomba sur un hôpital élevé à l'intérieur de l'enceinte de Paris, rue Saint-Denis, le long des fossés de la ville. Cet hôpital, auquel nous aurons l'occasion de consacrer plus loin une notice spéciale, avait été construit en 1316 par un bourgeois nommé Imbert de Lyons. Par ordonnance de l'évêque Jean de Meulan (8 octobre 1360), ses bâtiments furent affectés au logement des Filles-Dieu et ses rentes réunies au domaine des religieuses à condition qu'une partie de la maison continuât à servir d'hôpital et que l'hospitalité de nuit y fût exercée suivant les intentions du fondateur.

Les Filles-Dieu vinrent donc s'établir dans cet hôtel voisin de leur emplacement primitif, tandis que la recluse qui habitait près de leur ancienne église voyait transporter sa cellule à Saint-André-des-Arts.

Le nouveau couvent était situé sur la paroisse Saint-Sauveur, dépendante du chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois. Vers le premier tiers du XVe siècle, un débat fut soulevé entre les chanoines et les religieuses de la rue Saint-Denis à propos des modifications qu'elles avaient fait subir à leur chapelle. Ne voulant point se contenter de la cloche pendue à l'intérieur de cette chapelle et qui servait à appeler aux offices les habitants de l'enclos, elles firent élever au-dessus du toit un clocher en bois qui permettait au son de la cloche de se répandre « tout le long de la paroisse. » Le chapitre en prit ombrage et les poursuivit devant les Requêtes du palais. L'affaire fut terminée à l'amiable, le 3 septembre 1427, moyennant l'engagement pris par les sœurs d'abattre le clocher et de rétablir l'ancien état de choses.

Quant à la couture située hors les murs, elle fut divisée en un certain nombre de lots qui furent loués à des particuliers ; il s'y construisit des moulins, puis un certain nombre d'habitations qui constituèrent le faubourg désigné sous le nom de Villeneuve-sur-Gravois.

Troublée par ces bouleversements successifs, la communauté ne semble pas avoir jamais retrouvé sa prospérité première. Le beau temps des béguinages était passé en France, comme le montre la décadence, au XVe siècle, de toutes les institutions de ce genre qui avaient pris naissance sous le règne de saint-Louis, et les Filles-Dieu ne firent pas exception à cette règle. En 1483, la maison ne comptant plus que quatre ou cinq sœurs, on résolut de les remplacer par un véritable ordre religieux. Le 27 décembre 1483, Charles VIII y appela des religieuses de Fontevraud. L'exécution de cette ordonnance fut différée pendant quelques années ; le maître des Filles-Dieu s'opposait à une mesure qui lui enlevait son autorité, et l'évêque hésitait à donner son autorisation. Enfin, ayant reconnu la nécessité d'une réforme, celui-ci consentit à ce que la règle de Fontevraud fût établie dans la maison f ; et, le maître continuant sa résistance, la cause fut portée au Parlement.

En 1496, le débat fut terminé par une transaction qui attribuait, comme indemnité, à Nicolas Le Mire, maître des Filles-Dieu, une rente de 25 livres parisis, et l'ordre de Fontevrault fut mis en possession du couvent qu'il conserva jusqu'à la Révolution.

Un des prétextes qu'avait invoqués le maître pour élever son opposition était la crainte que « la demourance » (demeure) des religieuses n'amenât « ou temps à venir la diminution et totale destruction de l'hospitalité. » Quand les Filles-Dieu avaient été introduites dans l'hôpital Imbert de Lyons, elles s'étaient engagées à entretenir douze lits pour loger les pauvres passants pendant une nuit et à leur fournir du pain et une pitance de légumes. Elles avaient fidèlement accompli cette clause et exercé l'hospitalité de nuit vis-à-vis des femmes passantes par le ministère des sœurs converses.

Les religieuses de Fontevraud firent la même promesse et, malgré les craintes exprimées par Nicolas Le Mire, elles n'abandonnèrent pas cette mission de charité. Au témoignage de Du Breul, l'hôpital, en 1612, était toujours en exercice et « deux anciennes femmes veuves y servaient pour recevoir les pauvres. »

A cette pratique des œuvres de miséricorde se rattache la pieuse coutume où étaient les Filles-Dieu de bailler le « dernier morceau » aux condamnés à mort.. Avant d'être conduits au lieu du supplice, ceux qui devaient être exécutés au gibet de Montfaucon faisaient une station dans la cour des Filles-Dieu où on leur donnait la croix à baiser et l'eau bénite, puis on leur faisait boire un coup de vin et on leur remettait un morceau de pain bénit, comme cela se pratiquait aux Quinze-Vingts à l'égard de ceux qui subissaient la peine capitale hors la porte Saint-Honoré.

Les condamnés reprenaient ensuite leur chemin et, pendant une heure, au son de la petite cloche de l'église, la communauté priait à l'intention de ceux qui allaient mourir.

Les titres parvenus jusqu'à nous fournissent les noms de quelques-uns des maîtres des Filles-Dieu ; nous les donnons ci-dessous, avec les dates où on les trouve en fonction : Odon de Garlande, 1231 ; Samson de Créteil, avant 1281 ; Jean de Garges, 1281-1292 ; Robert de Dravel, 1307-1310 ; Robert, curé de L'Hay, 1330; Jean de Vertemontagne, frère de la léproserie de Brie-Comte-Robert, 1351 ; Galeran du Bois, 1357-13635 ; Pierre Mathieu, 13696 ; Jean Bouffoi, 1380 ; Jean de Mareuil, 1387-1392; Jean Barat, 1402 ; Jean de Recques, avant 1456 ; Jacques de Lussery, 1456; Jean Moynau, avant 1482 ; Nicolas Le Mire, 1482-1496.

Notes :
En raison du nombre important de notes de cet article, nous vous renvoyons au texte en ligne, ci-après, si vous souhaitez en prendre connaissance.


Source : Gallica-Bnf, Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, de la page 250 à 262, tome 24. Société de l'histoire de Paris et de l'Île-de-France. Éditeur, H. Champion (Paris, 1897)



Prévôt des marchands, et naissance de la Mairie parisienne

Le corps municipal
ayant une juridiction sur la ville,
n'est apparu que vers 1260

Le terme prévôt des marchands 
fut le nom donné au chef de la municipalité
parisienne jusqu'en 1789
 

La hanse des marchands de l'eau :

L'organisation municipale parisienne a résulté de la transformation de la plus importante des confréries de la ville, la hanse des marchands de l'eau. Cette hanse n'a eu aucun lien avec la confrèrie des nautes (navigateurs) de la Lutèce romaine. Elle est née spontanément à la fin du XIe siècle pour défendre les intérêts commerciaux de Paris, menacés par l'essor de Rouen. Libéralement ouverte à tous les bourgeois, elle établissait au profit de ses membres un monopole du transport des marchandises entre Mantes et Rouen.

Les marchands non parisiens devaient obligatoirement s'associer à un marchand membre de la hanse pour commercer sur ce secteur de la Seine. Soutenue par la royauté, la hanse fit de rapides progrès : le contrôle de son monopole l'amèna à juger les infractions et à lever des amendes ; de là, sa juridiction s'étendit au contrôle de la navigation ; enfin, elle obtint du roi des privilèges pour ses membres.  


La hanse administrative de Paris :

En 1263, cette hanse devenait l'organisation municipale de Paris. Le roi administrait sa capitale par l'intermédiaire de prévôts. Les prévôts se recrutaient dans la bourgeoisie de la ville. En 1260, le roi alignait le statut de la prévôté de Paris sur celui des baillages et plaça à sa tête un prévôt salarié. Pour éviter un conflit avec les bourgeois dépossédés de leurs attributions, Louis IX décida de confier celles-ci à la hanse : perception et répartition des taxes et représentation de la ville.

Le prévôt des marchands, assisté de quatre échevins (magistrats municipaux), apparaissait alors comme le chef de la municipalité. La prévôté s'occupait de l'approvisionnement de la ville, des travaux publics, de l'assiette des impôts, et il avait juridiction sur le commerce fluvial. Cette juridiction et ses attributions financières permettaient de nouer des liens très forts avec la bourgeoisie locale. La prévôté représentait la volonté de cette dernière, aussi bien lorsqu'elle donnait son accord aux levées de taxes, que lorsqu'elle résista aux abus de la royauté et voulue imposer la réforme du gouvernement (sous Étienne Marcel).

La Hanse parisienne

  

Moulage du sceau de la Hanse parisienne de 1210 (Crédits, Archives nationales)

Cependant les privilèges étaient parfois très exclusifs. La hanse parisienne, connue sous le nom de marchands de l'eau de Paris, ou de compagnie française, en est un exemple mémorable. A la prière de cette compagnie, Philippe le Bel avait supprimé, en 1293, la commune de Rouen et la compagnie rouennaise qui avait le monopole de la navigation de la basse Seine depuis le pont de Mantes, et qui avait même obtenu de Louis VII le droit de faire remonter des bateaux-vides jusqu'au ruisseau du Pec et de les y charger sans avoir Rouennais ayant réclamé énergiquement obtinrent à prix d'argent le rétablissement de leurs droits. Mais sous Louis X, l'influence de la hanse parisienne l'emporta encore : une ordonnance de 1315 permit de nouveau à tous les marchands de descendre et de remonter librement la Seine jusqu'à Rouen, de décharger et de vendre leurs marchandises, à la seule condition de payer les droits ordinaires, mais en même temps renouvela la défense de naviguer entre le pont de Mantes et Paris sans être associé à la hanse parisienne. La nécessité d'assurer l'approvisionnement de Paris en empêchant les Rouennais d'accaparer les vins de Bourgogne et les vivres, était le principal argument invoqué par la hanse ; les gros revenus que les rois tiraient de cette hanse étaient une des raisons qui les rendaient favorables à sa cause. Aussi ses privilèges furent-ils plusieurs fois confirmés, jusqu'au jour où Charles VII, voulant mettre un terme à une rivalité nuisible au commerce, abolit tous les privilèges des compagnies française et normande, et permit aux Rouennais de venir trafiquer librement à Paris comme les Parisiens à Rouen, ordre contre lequel les deux parties protestèrent et qui ne fut exécuté qu'en 1461, par la volonté de Louis XI. Lorsqu'en 1672, Louis XIV supprima la corporation, il y avait bien longtemps que son rôle se bornait à percevoir sur les ports des droits de hanse.

Source : Gallica-Bnf, MM. Lavisse et Rambaud, Histoire générale du IVe siècle à nos jours.
Formation des grands états. 1270-1492. Pages 291 et 292, volume 3 (A. Colin, Paris 1901)



Des dates, en bref...



Ci-dessus :
Enluminure représentant Saint-Louis.

1262 : Début des réformes monétaires.
1270
: Départ pour la huitième croisade et mort de Louis IX à Carthage près de Tunis.
1270-1285 : Règne de Philippe III, dit le Hardi, deuxième fils de Louis IX et de Marguerite de Provence.
1275 : Les libraires passent sous la surveillance de l'Université, il s'agit de la première forme de censure exercée contre les livres encore rares.
1280 : Fondation du Collège d'Harcourt, il accueillera 40 élèves de 4 diocèses normands, il y sera dispensé la philosophie, les arts et la théologie.
1283 :
Le 19 avril, Philippe III interdit aux Juifs d'ouvrir de nouveaux cimetières.
1292 :
Persécutions et rumeurs anti-juives à Paris.
1295 : A Paris en octobre, Philippe IV signe avec le roi d'Ecosse, Jehan de Balleul ou John Bailliol, un traité d'amitié ou de secours mutuel entre leurs deux pays. Ce traité de la "auld alliance" constituera les fondements des relations franco-écossaises jusqu'au XVIIIe siècle.
1302-1303 : Du mois d'avril au mois de mai de l'année suivante se tenaient les premiers Etats Généraux
du royaume à la cathédrale Notre-Dame et au sein de la forteresse du Louvre.
1311 : L'Aragonais Arnaud de Villeneuve, un des plus grands médecins de son temps décède.

1315 :
Avénement de Louis X, dit le Hutin. Le 3 juillet est publié un édit du roi qui stipule "selon le droit de nature chacun doit naître franc", c'est-à-dire libre et met ainsi fin au servage.
1315-1317 :
Grande famine en France et en Europe occidentale.


 Philippe IV, dit le Bel (1268-1314) et ses successeurs maudits ?

Notre monarque  montait sur le trône de France à l'âge de dix-sept ans, à la mort de son père Philippe III, en octobre 1285. Sous Philippe IV, le royaume de France était le pays le plus peuplé en Europe. En proportion un tiers de la population, soit 18 à 20 millions d'habitants avant la grande épidémie de peste, pour 60 à 80 millions d'européens (estimations basses et hautes). Le pays allait vivre une relative prospérité économique et le roi élargissait un peu les fontières du royaume, à l'exception de la Guyenne qui resta sous domination anglaise.

Le dit Le Bel a été à l'origine du Conseil du roi et réorganisa le Parlement, ainsi que mettait en oeuvre la taxation sur les feux ou foyers : les dits fouages (abolis un temps sous Charles V). Le roi épousa en 1285 Jeanne Ière de Navarre et devenait reine de France, elle décéda à Vincennes en 1305.
Jean de Paris, dominicain et théologien rédigea sous son règne « De potestate regia et papali » (traduction approximative : de la puissance des rois et des papes), un écrit sur la "laïcisation" du pouvoir royal.

Philippe IV convoqua en avril 1302, et rassemblait à la cathédrale de Notre-Dame pour la première fois les représentants des trois ordres ou "Etats" composés du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie des "bonnes villes" (qui deviendront plus tardivement les Etats Généraux et le Tiers), après avoir fait brûlé en place publique deux mois plus tôt la bulle du pape Boniface VIII Ausculta fili (écoute, mon fils). Bulle papale qui fut jetée au feu par le comte d'Artois et la nouvelle fut annoncée au son des trompes à travers les rues de la ville. A la sortie de cette assemblée des Etats, Philippe le Bel obtenait l'approbation des trois ordres contre les vues papales qui s'attribuaient seules de pouvoir dicter les lois intemporelles, et de son refus de soumettre l'Eglise à l'impôt. En réponse, le pape menaça d'excommunier le roi de France.

Le 12 mars de l'année suivante, le
conseiller royal Guillaume de Nogaret réclamait un jugement pour hérésie contre le pape, et reçut l'aval du roi. En avril, Nogaret s'en alla pour la Toscane, après avoir rassemblé 2.000 miliciens, il se dirigea vers la ville d'Anagni (Italie centrale), où le pape s'apprêtait à signer une nouvelle condamnation à l'encontre du royaume français, Boniface fut mis aux arrêts et vivement malmené. Puis, il fut libéré par la population locale, le pape décéda à la fin de l'année 1303. Son successeur Benoît XI poussé à quitter Rome pour ses violences internes accorda l'absolution à Philippe dit le Bel, mais conserva l'excommunication de Guillaume de Nogaret. Le pape Benoît onzième du nom décéda empoisonné en juillet 1304.

De 1277 à 1311, il fut procédé à des arrestations et des expulsions contre des marchands Italiens :
les frères florentins Biccio et Musciato Guidi de Franzesi, etc. Plus largement, les confiscations furent décrétés à l'égard « des corps étrangers au royaume », en particulier par des expulsions collectives. Ce fut le cas d'
environ de 50.000 à 100.000 Juifs en 1306. Le bannissement était l'une des peines existantes les plus sévères, ce n'était pas un simple déménagement d'une région à une autre... dans le contexte de son application. Consulter : L'histoire des Juifs en Europe de la Gaule Romaine aux Capétiens (en deux parties)


Persécutions et rumeurs anti-juives de 1292



("antisémitisme" chrétien)
« Cette même année arriva à Paris un événement extraordinaire, aux dires de ceux qui s'y trouvaient. Dans cette ville, il y avait une femme à qui un juif avait prêté de l'argent avec usure sur ses draps. Elle alla voir le juif le jour de la sainte Pâque et dit qu'elle voulait racheter ses draps. Il lui répondit que si elle voulait bien lui apporter "son Dieu qu'elle adorait" et qu'elle devait recevoir ce jour-là, il lui rendrait ses draps sans lui demander d'argent. Elle, "embraée de convoitise", alla à l'église, reçut avec dévotion le précieux corps de Jésus-Christ et l'apporta au juif qui lui rendit ses draps et jeta l'hostie dans une casserole d'eau qui bouillait sur le feu.

Quand il vit que cela ne l'abîmait pas, il tira son couteau et commença à la frapper dans l'eau ; et l'eau qui était claire devint rouge comme si elle avait été mélangée à du sang. Sur ce, une femme chrétienne entra dans la maison du juif et elle s'aperçut du crime que le juif était en train de commettre ; elle commença à l'injurier et à le menacer d'en parler à l'évêque. Le juif prit peur et promit de lui donner 20 sous si elle se taisait et l'aidait à détruire son Dieu ; mais celle-ci n'était pas si "convoiteuse" que la première, et répondit qu'elle préférerait être brûlée dans un feu.

Elle sortit de la maison très en colère et en parla à deux sergents qui se rendirent à la maison du juif et trouvèrent qu'il n'avait en rien changé sa volonté de faire du mal à Notre Sauveur, même après ce qu'il avait vu. Il l'avait au contraire frappé encore à plusieurs reprises et replongé dans l'eau froide qui, à son tour, était devenue toute "vermeille". Quand il se rendit compte que les sergents venaient pour l'arrêter, il versa l'eau dans un lieu où ils ne purent la voir et ils trouvèrent l'hostie sur une table où elle avait si doucement sauté que ni le juif ni les deux autres ne s'en étaient rendu compte. Le juif fut arrêté et mis en prison : il avoua toute l'affaire sans en avoir aucun repentir ; et pour ce crime, il fut brûlé à Paris, en la place aux Pourceaux.
»

Source :  Bnf - L'enfance au Moyen Âge  Chronique anonyme finissant en 1308 

Recueil des historiens de France, tome XXI, pages 132 et 133. Adaptation de l'ancien français par E. Lalou,
Paris, 1856.


Cette même année de 1306, en raison des ajustements monétaires éclataient de graves émeutes à Paris, en raison du triplement des loyers, le 30 décembre, le roi était assiégé par la foule au Temple, le monarque devait fuir et le riche bourgeois Etienne Barbette vit ses propriétés brûlées. S'ensuivait l'exécution des 28 meneurs et la suppression (provisoire) des confrèries parisiennes des métiers (le mot "corporation" sera utilisé plus tardivement et principalement au XVIIIe siècle). Cette politique économique valut à Philippe IV la réputation de "faux-monnayeur" et quelques relations difficiles jusque dans ses échanges avec la papauté. Qui ne le porta pas vraiment en cœur et en esprit, et réciproquement.

« Cette même année, le roi de France Philippe IV voulut, ainsi qu'il l'avait promis auparavant au pape Benoît XI, rétablir en bon état la monnaie ayant cours dans tout le royaume ; et il fit ordonner. vers la tête de saint Jean-Baptiste, partout par les villes et les châteaux du royaume, ainsi qu'il fut consigné dans l'acte, qu'à partir de la Nativité de la Vierge en septembre, tous les contrats seraient passés en bonne monnaie, à la valeur de la monnaie ayant cours au temps de son aïeul Saint Louis, et que tous les revenus et loyers des maisons seraient versés en bonne monnaie. C'est pour cette raison qu'une révolte éclata et beaucoup d'autres par la suite. Les citoyens de Paris, surtout les pauvres et les moyens, qui louaient leurs maisons, à cause de l'augmentation par trois du prix des loyers, ourdirent une conspiration d'abord contre les propriétaires des maisons et ensuite contre le roi, En effet, ces gens en armes et désespérés assiégèrent le roi dans le Temple, où il s'était réfugié avec ses sergents d'armes, ses chevaliers, de nombreux barons et conseillers afin qu'il ne puisse recevoir de nourriture et objets de première nécessité avant de leur avoir parlé pacifiquement à propos de leur requête (ce que le roi refusait, au contraire, il se dérobait). Et parce qu'on disait que le conseiller du roi sur ce sujet était Etienne Barbette, citoyen de Paris et voyer de la ville, ils se réunirent en une seule foule, puis une partie alla incendier entièrement la maison que le dit Etienne avait en dehors de la ville, et l'autre mit à sac une autre maison qu'il avait dans la ville, Et la foule tenait le roi, ses frères et ses barons si bien assiégés dans le Temple qu'aucun d'eux ou de leurs hommes n'osait entrer ou sortir. Ce fut la raison de bien des malheurs : en effet, le roi par la main armée des nobles répondit par la violence, et plusieurs émeutiers furent tués, et d'autres pendus aux arbres près de la ville le jour de l'Epiphanie, pour que tous les voient ; d'autres encore qui n'étaient que suspects, furent emprisonnés quelque temps dans les prisons royales. Il saisit les biens de tous les gens qui avaient été pendus. Quelques innocents furent pendus ; tandis que d'autres, conscients du péril où ils étaient, choisirent la fuite. »

Source :
Memoriale Historiarum de Jean de l'abbaye de Saint-Victor,
En latin dans le Recueil des historiens de France, XXI, p. 647, traduction M. Texier




Le 14 septembre 1307, jour de la fête de l'exaltation de la sainte-Croix, Philippe IV se trouvait près de Pontoise et adressa une lettre à tous les sénéchaux ou baillis de son royaume pour que l'on procéda à l'arrestation de tous les Templiers. Les documents liés à cette affaire sont très parcellaires, sur les plusieurs centaines de Templiers concernés ont été conservés les actes d'une petite centaine de suppliciés, dont un rouleau en parchemin des interrogatoires  long de 22 mètres et qui se trouve aux Archives nationales (avec en ligne un livret de 16 pages en Pdf à télécharger). A Paris, le vendredi 13 octobre 1307, il était décrété l'arrestation des chevaliers de l'ordre du Temple et ils étaient mis en prison pour hérésie, il s'agissait d'un ordre de moines-chevaliers sous la protection de la papauté depuis le concile de Naplouse en 1120 avec ses codes propres institués et reconnus en 1129.

Sur les 138 arrestations qui restent documentées, 134 avouèrent et 4 ne firent aucun aveu. Il furent répartis dans une trentaine de lieux de détention en région Île de France. A la demande de la commission pontificale en charge des procès, celle-ci convoquait les Templiers à Paris
lors de l'année 1310, en mars, ainsi vinrent 569 m
embres incriminés de l'ordre, la plupart pour prendre sa défense. Le 12 mai s'abattait la condamnation à mort de 54 de leurs membres, ceux-ci se virent brûlés hors de la ville en proximité de la porte St.-Antoine. Tous ont été l'objet de tortures - ils avaient été mis à la question, puis relâchés avant d'être condamnés en raison du "relaps" (*) sur lequel s'appuya Philippe le Bel et qui fut repris par les autorités ecclésiastiques. (* Celui ou celle qui était retombé dans l'hérésie après l'avoir abjurée, le conduisait directement à la mort). Beaucoup n'ont pas avoué et n'ont pu être condamné. Les incriminations furent nombreuses, on leur reprocha entre autres des pratiques sodomites, d'adorer une idole, de désacraliser l'hostie (représentation du corps du christ), etc. En 1312, le 22 mars, et rendue publique en avril l'ordre des Templiers était dissout par une bulle papale : Vox in exelso (Une voix en haut). Leur grand-maître suite à 114 accusations, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay étaient à leur tour envoyés au bûcher sur l'île de la Cité, le 18 mars 1314.

Archives nationales, le rouleau d'interrogatoire des Templiers (6 minutes)




Entretien vidéo pour les Archives nationales de Ghislain Brunel, conservateur en chef, et d'Éric Laforest, atelier de reliure et de restauration, ainsi qu'Alain Demurger, maître de conférences honoraire à l'université de Paris 1 Panthéon - Sorbonne.

«
Car c’est la voix du peuple de la cité, la voix du temple, la voix du Seigneur qui rend à ces enne­mis ce qu’ils ont méri­té. (...) C’est pour­quoi nous défen­dons à qui que ce soit d’en­freindre cette page de notre ordon­nance, pro­vi­sion, consti­tu­tion et défense, et d’y contre­ve­nir par une témé­raire audace. Si quel­qu’un osait le faire, qu’il sache qu’il encour­ra l’in­di­gna­tion du Dieu tout-​puissant et de ses apôtres les bien­heu­reux Pierre et Paul. »
Extraits de la bulle du pape Clément V d'avril 1312


Aperçu général des valeurs provenant des biens du Temple,



Enclos ou prieuré du Temple avec sa Tour (*)


dont Philippe le Bel, sa femme, leurs enfants
et Charles de Valois, frère du Roi, ont approfité


« Ferretus Vicentinus rapporte que Clément V adjugea à Philippe le Bel la magnifique maison du Temple de Paris, et des richesses considérables consistant en vases et objets du plus grand prix. Cela paraît exact. Philippe et ses successeurs conservèrent pendant plusieurs années en leurs mains la Tour et les bâtiments du Temple ; mais nous voyons qu'à la fin du quinzième siècle les Hospitaliers occupaient ces immeubles.

Quant aux richesses mobilières dont parle Ferretus, le Pape abandonna à Philippe le Bel tout ce dont il s'était emparé dans les diverses églises et chapelles de l'Ordre. Le codicille du Roi en date du 28 novembre 1314 prouve bien qu'il en fut ainsi.

La veille de sa mort, à Fontainebleau, au moment de paraître devant Dieu, son souverain Roi, Philippe le Bel se souvint d'avoir déposé dans le monastère des Sœurs de Sainte-Marie de Poissy une certaine quantité d'objets provenant du pillage des églises du Temple ; par son codicille sus-daté, il légua aux Sœurs de Sainte-Marie toutes les reliques, vases précieux et sacrés qu'il avait mis en dépôt dans leur couvent ; la grande et précieuse et belle croix d'or qui avait appartenu aux Templiers, deux riches et magnifiques tentures en or que Clément V lui avait données, et deux autres draps d'or qu'il avait reçus des Hospitaliers.

Nous essayons d'établir le détail des autres valeurs immenses, incalculables, dont le pouvoir (c'est-à-dire Philippe le Bel et les siens) profita des dépouilles du Temple.

1° Philippe s'était emparé, le 13 octobre 1307, des valeurs considérables en numéraire accumulées au Temple de Paris, dans les commanderies et maisons des provinces.
2° Le Roi fit vendre les récoltes engrangées, le mobilier des commanderies et maisons, jusqu'aux instruments d'agriculture.
3° Il s'adjugea les richesses des églises et chapelles, objets du culte, ornements, vases en or et en argent, joyaux, pierreries, rubis et diamants, d'une valeur énorme.
4° Il toucha pendant cinq années les revenus des immeubles de France, les cens et les rentes.
5° Il  réclama aux Hospitaliers une somme de deux cent mille livres, qu'il prétendit avoir mise en dépôt au Temple, et que les Frères ne lui auraient pas rendue.
6° Il réclama soixante mille livres pour le s frais du procès, qu'il avait déjà prélevés sur les valeurs mobilières.
7° Philippe devait au trésor du Temple 500.000 francs, que l'Ordre lui avait avancés à l'occasion du mariage de Blanche, sa sœur.
8° Il devait aux Templiers une somme de deux cent mille florins qu'un trésorier de l'Ordre lui avait livrés, et qui, pour ce fait, en avait été chassé.
9° Il devait deux mille cinq cents livres qu'il s'était fait remettre en 1297, sous sa garantie, sur l'argent de la croisade.
10° Il toucha le montant des créances de l'Ordre, les créainces claires (comme on disait alors).
11° La femme de Philippe le Bel, la reine Jeanne; les princes Louis, Philippe, Charles, comte de la Marche, devaient au Temple des sommes importantes, soit pour cause de prêt, soit à raison de ce qu'ils avaient touché sur les biens séquestrés de l'Ordre.
12° Louis le Hutin et Philippe le Long se firent donner une quittance générale et définitive ; de plus, les Hospitaliers leur abandonnèrent les deux tiers de toutes les valeurs mobilières non réalisées par Philippe le Bel, et de toutes celles dues, liquides ou non liquides, à la mort de leur père.
13° Charles de Valois, frère du Roi, fit des réserves, à raison de ce qu'il prétendit lui être dû par les Templiers. (Il usa largement de ces réserves, ainsi que nous allons le voir.)

Philippe le Bel dut obéir à la sentence de Clément V, rendue au concile général. Il fallut faire remise à regret aux Frères de l'Hôpital des biens du Temple. On fit un règlement avec eux.

A la date du 26 mars 1312, il intervint entre les officiers du Roi et l'Ordre de l'Hôpital un premier arrangement, auquel on donna le nom de composition (compositio).

Première composition

Le 26 mars 1312, les Hospitaliers s'engagèrent à payer au Roi deux cent mille livres tournois, montant de son dépôt au trésor du Temple, en l'espace de trois années, à condition qu'on déduirait de cette somme, à leur décharge, ce qui aurait été perçu des biens des Templiers et appliqué au profit du Roi depuis leur arrestation, « in utilitatem prefati régis conversa bona l (traduction approximative : au profit de ce qui précède les rois convertissaient les biens) » .

À la date du mercredi après l'Annonciation, il intervint un arrêt du Parlement qui mit les Hospitaliers en possession des biens du Temple. »

Note :


(*) Ce fut l'ordre des Hospitaliers qui devint propriétaire de l'Enclos du Temple après les Templiers. L' emplacement à Paris dans l'actuel 3ème arrondissement occupait un espace situé avec pour limites les rues du Temple, de Vendôme, Charlot, de la Corderie ; actuellement, boulevard du Temple, au nord ; rue des Francs-Bourgeois et de Rambuteau, au sud ; rue Vieille-du-Temple et rue Charlot, à l’est ; et rue du Temple, à l’ouest.

Source : Gallica-Bnf, Louis Lavocat, Procès des frères et de l'ordre du Temple :
d'après des pièces inédites publiées par M. Michelet et des documents imprimés
anciens et nouveaux. Chapitre XLIII, pages 394 à 397 - Éditions,  E. Plon, Nourrit (Paris,1888)




Par ailleurs, il faut noter la mise à mort place de Grève, le 1er juin de l'année 1310 de Marguerite Porete (Porète ou Porette). Une religieuse hors des conventions était brûlée avec ses écrits pour hérésie, son crime livresque : Le miroir des âmes simples et anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d'amour. Née vers 1250 dans le comté du Hainaut (dans les Flandres belges), cette femme d'esprit et de lettres était rattachée aux "béguines" (son équivalent masculin les béguins ou béguards), un ordre plutôt méconnu où les femmes ne prononçaient pas de "voeux éternels", ni cloîtrées à vie, et avaient une action piétiste. On ne sait presque rien de sa vie, sauf pour ses derniers mois d'existence (notes de son procès ou diverses condamnations), et elle nous a légué un ouvrage qui échappa aux flammes ou fut recueilli avant ou après sa mise à mort. Ses écrits furent redécouverts en 1946 par une chercheuse italienne. Ce qui a permis de faire connaître ce personnage humble et la complexité de ses pensées non conformes. Marguerite Porete a été confondue, il semblerait, avec la secte du "Libre-esprit". Deux ans après son exécution il était prononcé lors d'un concile à Vienne (dans le Rhône) que ce même "Libre-esprit" devenait une hérésie, donc passible de la question (torture) et de la mort.


Une conférence vidéo passionnante de l'Ecole des Chartes (1er avril 2019),
utile pour se mettre au courant des dernières recherches  (XIIe/XIVe siècle à Paris), à découvrir dans le cadre d'un h
ommage à Aline Kiner (disparue en janvier 2019), et l'auteure de La nuit des Béguines. (fiction historique, éditeur Liana Lévy, 2017) Une conférence organisée par les Amis du musée de Cluny.

Divers sujets sont abordés, notamment la place des Femmes au Moyen Âge, sur la population parisienne, les métiers en cours et l'existence d'une industrie comparable à la Flandre ou l'Italie, ce qui jusqu'alors n'avait pas été pris en compte. Sur l'île de la Cité l'on compta jusqu'à 1.200 personnes à l'hectare (1 hectare est égal à 0,01 Km2) et sur une grande partie des 28 hectares que la Cité mesure en surface, une partie était dévolue au Palais et aux administrations royales pour environ 10 hectares.

Avec Me Claude Gauvard, professeure émérite d’histoire du Moyen Âge, M. Yann Potin, archiviste et historien, et Me Caroline Bourlet, ingénieure de recherche, spécialiste de la population parisienne et des petits métiers à Paris au début du XIVe siècle. (durée 1h30)

Philippe IV garda sa vie entière une grande estime pour son grand-père Louis IX, il obtint sa canonisation en 1297. Le petit-fils fit revenir la tête couronnée de Louis IX de Tunis et la fit mettre dans un caveau à l'abbaye de Saint-Denis. Mais le temps de monseigneur saint-Louis n'était plus, et s'engagèrent des mutations monétaires, notamment des dévaluations à la fin de son règne, ainsi que la grande famine de 1315-1317 qui sévit dans toute l'Europe occidentale, et même jusqu'en 1320 en Angleterre.

Le Bel fut transporté jusqu'à Poissy par le réseau fluvial, puis en civière à Fontainebleau, où il décéda le 29 novembre 1314 d'un accident de cheval. Quarante huit heures auparavant, il avait prévenu son fils de « tenir l'Église romaine en révérence, d'aimer ses sujets, de maintenir le royaume de France en bon état, à l'instar de son aïeul Saint Louis, de prendre l'avis de ses frères et oncles ». Son corps fut embaumé et couvert d'objets précieux, et arriva via la Seine à Notre-Dame de Paris. Puis la dépouille fut emmenée à Saint-Denis où on l'enterra près de son aïeul vénéré. Ses fils, lui succédant moururent tous les trois dans un temps court, plus le très jeune dauphin Jean. C'est ainsi que naquit un mythe ou une légende, suite à la condamnation à mort d'une partie des Templiers, la fameuse malédiction des "rois maudits". Dans cette série des règnes courts et brefs chez ses successeurs de la dite malédiction, Philippe IV avait commandé à un des moines de l'abbaye de Saint-Denis un travail sur les miracles du saint Denis. Le roi défunt croyait en une histoire des monarques de France plongée dans des phénomènes surnaturels.


Le successeur de Philippe le Bel, son fils aîné Louis X ouvrait à l'affranchissement des serfs sur son domaine royal, il devenait possible aux paysans contre paiement de se libérer des charges féodales. « Comme selon le droit de nature chacun doit naître franc (libre) et par aucuns usages ou coutumes, qui de grande ancienneté ont été introduites et gardées jusqu'ici en notre royaume, et par aventure pour le méfait de leurs prédécesseurs, moult de personnes de notre commun peuple soient encheües (tombés) en liens de servitude et de diverses conditions, qui moult nous déplait ». Plus exactement, il imposa aux serfs de fait le rachat de leur servitude, ce qu'il désignait comme "franchise". Deux édits à ce sujet ont été promulgués le 3 et 5 juillet 1315, il a fallu attendre l'année 1778 pour voir s'étendre la mesure à tout le royaume. Et le 28 Juillet, il fit promulguer un édit donnant la permission aux Juifs de revenir et d'habiter dans le royaume. Louis X fit aussi arrêté la même année Enguerrand de Marigny, ce dernier était de la petite noblesse du Vexin, il avait été le grand chambellan de son père, et son frère Philippe fut un des exécuteurs d'ordre contre les Templiers, et aux Etats-Généraux de 1314. Celui qui défendit la hausse des impôts, de quoi se faire quelques inimitiés... Enguerrand de Marigny dirigea un temps les affaires financières et les affaires extérieures du royaume, il fut pendu en avril 1315 au gibet de Montfaucon, son cadavre y resta à la vue de tous durant deux années. Il était à son tour soupçonné d'enrichissement. Louis le Hutin mourut à Vincennes le 5 juin 1316.

Son deuxième fils, Philippe V, à la mort de son frère Louis X aurait du laisser le trône à sa nièce la petite Jeanne II de Navarre (1312-1349). L'usurpateur l'évinça en soulevant l'affaire de la tour de Nesle qui avait entâchée la renommée ou la "fama" de sa mère Marguerite de Bourgogne et d'autres dames de la cour sous le règne de son père, et puis l'on exhuma un faux article de la loi Salique pour empêcher tout accès des femmes au pouvoir royal. En janvier 1320, le roi faisait promulguer l'ordonnance de Vivier-en-Brie, ce qui engagea la création de la Chambre des Comptes, pour qu'un inventaire (soit) dressé de tous les écrits de la Chambre. Puis seront créées huit chambres en province (en 1791 elles seront dissoutes et deviendra la Cour des comptes sous Napoléon 1er). Philippe V dut aussi affronter des rumeurs sur les lépreux (ou ladres), notamment dans le Languedoc, après une tentative d'appropriation des biens des léproseries (ou maladreries), il renonça plusieurs mois après et ordonna la levée de la décision.

« C'était en 1321, aux approches de la Saint-Jean-Baptiste ; ce prince se trouvait en Poitou ; il apprend que les fontaines et les puits ont été empoisonnés dans la Guyenne, et que c'est le résultat d'un complot formé par les lépreux soutenus par les Juifs ; nombre d'entre eux ont avoué le crime et ont été condamnés au feu. Philippe le Long, instruit de ces bruits que la malveillance avait accrédités, crut devoir sévir avec rigueur contre les lépreux. Une ordonnance ne se fit pas longtemps attendre (...) c'est celle que nous publions ».

Source : Persée.fr, Duplès-Agier, Ordonnance de Philippe le Long contre les lépreux du 21 juin 1321

L'année suivante, son successeur Charles IV décidait à son tour : « que les lépreux seront nourris de leurs propres biens, prélevant ce qu'il faut pour leurs femmes et leurs enfants, ou des biens des léproseries, ou enfin aux dépens des habitants de leurs paroisses, s'il en est besoin. » Une décision qu'il avait adressé par lettre au Sénéchal du Languedoc, qui n'eut pas grand effet, l'errance des lépreux se transposa dans le royaume et ailleurs par des mesures d'éloignements ou de réclusions, toujours des mises à distance des villes. Les léproseries ont tété estimées à 1.200 sur toute l'étendue du royaume de France depuis le XIIe siècle, ce qui donna lieu à des rentes de situation au cours du temps (cf. Chevaliers de Saint-Ladre ou de Saint-Lazare). Charles IV dit le Bel n'ayant pas d'héritier masculin la branche des Capétiens passa aux mains des Valois en 1328.







1313 : Fin de l'édification du nouveau Palais sur l'île de la Cité.
1314-1316 :
Règne de Louis X, dit le Hutin (le querelleur), il décède à Vincennes.

1316-1322 :
Naissance en novembre et décès de Jean Ier cinq jour après, fils de Louis X et Clémence de Hongrie et régence, puis règne de Philippe V dit le Long.

1317
: Sacre de Philippe V (ci-contre) à Reims. Des troubles en Bourgogne éclatent et le roi convoque des Etats Généraux à Paris en février. L'assemblée des notables institue la loi salique à la succession des rois de France.
1320 : Le 3 mai, depuis le Mont Saint-Michel, suite à un prèche et un pélerinage débute la "Croisade des Pastoureaux" (des bergers) et sème de grands désordres dans le royaume. Il s'ensuit des persécutions contre les lépreux et les juifs et une disette. Cette croisade est à l'automne arrêtée et combattue à Narbonne.
1323-1328 :
Révoltes des Karls en Flandre contre les impôts lors de l'hiver 1323-24, puis il seront réprimés jusqu'en 1328.
1325-1326 : Le pays durant l'été est sous le coup d'une grande sécheresse, et pendant l'hiver la Seine gèle, le 6 janvier deux ponts de Paris sont emportés lors du dégel ddu fleuve.
1328 : Faute d'héritier à la mort de Charles IV, Philippe VI de Valois est acclamé roi (fin de règne en 1350) et la population française est estimée à 17 millions de sujets.
1330 :
Agitation à Paris avec des scènes de pillage et des violences destructrices. 1331 : Philippe VI de Valois livre Jeanne de Divion au Parlement, qui décide sa condamnation comme faussaire et sorcière, et le dimanche 6 octobre elle est brûlée vive sur la place aux Pourceaux, non loin de la porte Saint-Honoré.
1337 : Confiscation de la Guyenne à Edouard III d'Angleterre (début de la guerre de Cent ans) et début de la construction du donjon de Vincennes (ci-contre).

1340 :
Edouard III d'Angleterre se déclare roi de France et gagne la bataille navale de l'Ecluse (17.000 morts), la population anglaise est estimée à 4 millions de sujets.
1343 : Le 2 août, Olivier IV de Clisson est décapité pour trahison à la demande de Philippe VI de Valois aux Halles de Paris, son corps est exposé au gibet de Mont-faucon, sa tête est envoyée à Nantes et ses biens confisqués, puis son épouse Jeanne de Belleville est bannie pour s'être révoltée contre le pouvoir royal.
1345-1346 : Les Parisiens versent une contribution de 28.000 livres pour les troupes royales. L'année suivante, ils apportent une nouvelle aide financière et la défaite de Crécy contre les Anglais attisent leur colère. C'est aussi en février, l'ouverture des Etats de langue d'oïl.
1347
Les usuriers Lombards sont expulsés de Paris. La peste arrive par le port de Marseille en novembre.
1348 : Le 26 septembre, le pape Clément VI depuis Avignon rejette la persécution des Juifs avec la bulle « Quamvis perfidiam ».

Fin ou début d'une époque nouvelle, la Grande peste qui allait sévir dans la majeure partie de l'Europe à partir de 1347 jusqu'en 1352 marquait un tournant décisif dans le domaine, entre autres, des arts et de la littérature. Après ce qui a été une vaste désolation, il est resté des traces notables chez des écrivains comme les Toscans Boccace (Le Décaméron) et Pétrarque, qui fut touché par les événements avec la perte d’amis et de son amoureuse, Laure. Le rémois Guillaume de Machaut, poète et musicien de cour a été l'auteur après 1349 du Jugement du roi de Navarre qu'il dédia à Charles II dit le mauvais, petit fils de Louis X, dont le poète était à son service depuis peu d'années. Guillaume de Machaut y relata en poésie les années difficiles, où la liste des fléaux ne se limita pas à la peste, mais se cumula avec la guerre, les destructions et déboucha sur le massacre des populations juives rendues responsables à tort de l'épidémie, malgré la prise de position du pape Clément VI.

« Epidémie. — Item en celui an (1347) fut une mortalité de gens en Provence et en Languedoc, venus des parties de la Lombardie et d'outremer, si très grand qu'il n'y demeura pas la sixième partie du peuple. Il dura en ces parties de la Languedoc qui sont au royaume de France par huit mois et plus, et se départirent aucuns cardinaux à la cité d'Avignon pour la pire de la dite mortalité que l'on appelait épidémie, car il n'était nul qui sut donner conseil l'un à l'autre, tant fut sage.
L'an de grâce 1348 commença la devant dite mortalité au royaume de France, et dura comme un an et demi, plus, ou moins. En telle manière qu'à Paris mourut bien par jour 800 personnes. Et commença la dite mortalité en une ville champêtre laquelle est appelée Roissy près Gonesse, environ 5 lieues près de St-Denis en France. Il était très grande pitié de voir le corps des morts en si grande quantité. Car en l'espace du dit an et demi selon ce qu’aucuns disaient le nombre des trépassés à Paris monta à plus de 50.000 (environ 80.000 sur 250.000 habitants) ; en la ville de St-Denis le nombre monta à 16.000 environ. »

Les Oeuvres de Guillaume de Machault (v.1300-1377), publiées par P. Tarbé, 1849 ;
chapitre Glossaire,
pages 174 et 175. (Identifiant Gallica-Bnf : ark:/12148/bpt6k5429360m)

Les paysans et citadins souffrirent de plusieurs maux.
A Paris, en février 1348, le prévôt rédigea une ordonnance, il était demandé aux Parisiens d'assurer la propreté devant chez eux et de ne pas jeter les ordures partout dans la ville ou à même le fleuve. Et, qui ne respectait pas la décision était « tenu de payer au Roy notre sire dix sols d’amende », mais la décision ne fut pas appliquée et resta sans effet. Le 20 août, la peste noire frappa pour la première fois et provoquait au moins 50 morts par jour, la guerre et la faim sévissaient de même. La peste, depuis cette grande épidémie après 1353 allait revenir régulièrement jusqu'en 1720, sa dernière apparition en France.

De cette Grande peste et du transport des corps hors de la ville, il est resté le mot corbillard. Ce terme provient du corbeillard qui était un bâteau peint en noir, qui faisait la jonction entre les villes de Corbeil et Paris servant au transport de marchandises. Avec l'apparition de la peste les corbeillards servirent à acheminer les morts dans de grandes fosses hors des enceintes, et c'est ainsi que prit forme plus tard le mot corbillard ou l'équivalent d'un transport funèbre.

L'épidémie raya ainsi des villages, des quartiers urbains entiers parfois. La guerre entraîna la destruction de terres, l'instabilité des villes et Paris a été le jeu des passations de pouvoir entre la France et l'Angleterre, d'un royaume menacé à l'est comme à l'ouest, qui campait le temps des honneurs à Paris et laissait au sein du petit peuple Parisien un sentiment d'incertitude et des doutes sur le pouvoir royal qui tenta de survivre et n'oublia pas de lever de nouveaux impôts pour de nouvelles guerres.


Le roman de Fauvel ou la critique du pouvoir : cliquez ici
Avec Thibault Randomme, Docteur ès Lettre de l'université de Louvain
RTBF - Un jour dans l'histoire de janvier 2017 - durée 27 minutes



Les marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles

Paris au quatorzième siècle fut la ville la plus importante de l'Europe occidentale, environ 200 à 300.000 habitants. A la mitan du siècle la population chuta brutalement d'un tiers à l'échelle européenne, en raison de la grande peste de 1348. Plus exactement, on parlait de "feu(x)" et de "chef de feux" (le foyer ou l'enceinte familiale) et non d'habitants, terme désignant un foyer avec plusieurs personnes, et sur lequel on prélevait une taxe, si l'on avait un toit.

Pour les chiffres de l'époque, il s'agissait d'un peu plus de 60.000 foyers que l'on recensait à Paris. Et encore, on ne prenait en compte que les feux au sein des enceintes. La population des fauxbourgs et des villages limitrophes n'était pas concernée, encore moins les marginaux hors de la ville et nombreux.                                           


Les marginaux parisiens étaient composés principalement des mendiants, des vagabonds, des prostituées, lépreux et des artistes, mais à relativiser en raison du nombre, la prostitution entrant dans un chapitre autre et pas vraiment marginal dans ou à l'extérieure de la capitale, ou selon les humeurs du souverain. Pour les mentalités de l'époque être mendiant était en soit déjà un crime, être prostituée depuis Charlemagne était un délit passible de 300 coups de fouets et de la tonte, cette mesure fut très rapidement révoquée. Puis les "ribaudes" devinrent une confrèrie reconnue et établie aussi bien sous la conduite du clergé, puis de l'échevinage et de la prévôté, puis sous la gestion de l'aristocratie et de son monarque des siècles durant.

En raison des forts écarts économiques, l'on peut se douter que les plus pauvres pour survivre favorisaient des solutions pas toujours honnêtes ou morales, et là aussi difficile de parler de marge.
Ou bien la marge ou les marges correspondirent au ressort du bouc émissaire, de ce qui n'entraient pas dans la commune morale s'édifiait pas à pas, car les mœurs avaient conservé certaines tonalités propres ou anthropologiques pouvant nous échapper? La violence sociale était telle, que la criminalité pouvait représenter une solution face aux questions quotidiennes : se loger, manger, s'habiller, se soigner ou simplement survivre.

La justice en cette fin de Moyen Âge s'était employée à réprimer sévèrement les couches sociales les plus défavorisées. La grande majorité des punitions se faisait à la vue d'un public. Les châtiments étaient corporels et variaient selon l'estimation de la faute. On était passible de pendaison pour un incendie délibéré de maison, l'hérésie religieuse après maintes tortures se finissait le plus souvent sur le bûcher. Dernier exemple, la fausse monnaie valait pour sentence à son auteur d'être jeté vivant dans l'eau bouillante.


La torture au Moyen Âge? : cliquez ici
Avec Faustine Harang, Doctorante de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne
RTBF - Un jour dans l'histoire - 28/07/2018 - durée 27 minutes


La liste des supplices et idées tordues seraient longues. La notion d'altérité était quasi inexistante et les temps les plus durs ne sont pas encore venus, à côté du XVIIe siècle, le bas Moyen Âge a pu paraître clément. Nous sommes néanmoins face à une justice féodale, une justice implacable, et le sort dévolu aux plus humbles était de fait plus expéditif ou avec moins d'échappatoires. De triste mémoire, le gibet de Montfaucon à la sortie de Paris exhibait et laissait en nombre les corps de malheureux pendus au spectacle des passants. La prison n'avait pas pour but d'y maintenir les criminels en lieu sûr, on n'y faisait que passer en l'attente de sa punition publique. Paris regorgea de prisons et de condamnés au fil du temps.

Au Châtelet, la plus grande prison parisienne, le séjour coûtait six deniers pour une litière et un denier pour la "fossée", soit un bout de geôle très humide comme seule solution pour ceux qui n'avaient aucuns moyens pécuniaires. La nourriture y était médiocre et insuffisante et les prisonniers dépendaient de l'aide éventuelle de visiteurs charitables ou des proches. Le séjour carcéral n'était pas quelque chose de rare ou pris comme dégradant. Sauf pour les pauvres dont les conditions étaient terrifiantes, et les peines plus sévères.


La délation était aussi un mode répandu par des appels au "voisinage" pour lutter contre les malandrins (voleurs) ou gibiers de potence.
La police parisienne disposait des Sergents de Ville pour exécuter la justice prévôtale. Il y avait peu de contrôle de leurs fonctions et les abus étaient fréquents. Les Sergents du Châtelet furent conscients de leur force et détestés par la population. Ils tirèrent le plus souvent profit de leur pouvoir. Difficile de savoir quels étaient leurs effectifs précis, environ plusieurs dizaines au début du XIVe siècle, et il faut rester prudent quant à leur capacité à faire la police, comme nous pouvons l'entendre de nos jours.

A Paris, on estima à quatre-vingt policiers à cheval et autant à pied, mais moins ils subissaient de contrôle et plus ils augmentaient en nombre.
De quoi supposer qu'en période de vacance de pouvoir ou de changements fréquents pendant la guerre de Cent ans, que les policiers disposèrent d'une emprise conséquente sur les citadins en matière de nuisances. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour connaître les débuts timides d'une police enquêtrice, ou tournée vers une résolution des investigations criminelles.


La société médiévale fut marquée par la féodalisme et fossilisa les relations sociales dans chaque fiefs, au dépend d'une plus grande unité territoriale. L'état de vagabondage et l'instabilité politique inquiétaient. Le vagabondage devint progressivement un délit. Et l'on n'hésita pas à appréhender les personnes sans revenu, les soûlards, ou individus louches. Si vous étiez suspect "de mauvaise vie", l'expulsion de la ville ne tardait pas. Les migrations préoccupaient les populations sédentaires, la peur de l'étranger domina. En 1351, l'ordonnance de Jean II le Bon marquait le début d'une chasse aux indigents des centres urbains, c'est-à-dire repousser les plus pauvres hors des murailles ou des fortifications urbaines et dans la préfiguration des faubourgs populeux.

La Cité au Moyen Âge vivait sur la notion de quartier avec ses spécificités (ou bien de paroisse dans un dimension plus élargie du territoire) avec des concentrations artisanales ou commerçantes.
On trouvait ainsi à Paris des rues où dominaient la pratique d'un travail ou d'un métier : bouchers, tanneurs, jongleurs, etc. Les listes dressées pour le prélèvement de l'impôt de la taille recensait la répartition des fortunes. Mais nous ne savons pas grand-chose sur les contribuables du Paris médiéval. Et rien ne permet d'indiquer avec exactitude où s'assemblait la population la plus misérable? Sauf à se concentrer sur les abords de la ville, ou dans ses faubourgs ou localités avoisinantes.

Le clergé fut aussi concerné par le crime. Certains individus entraient dans les ordres pour échapper à la justice, en particulier à la peine de mort, qui était assez coutumière. On trouvait aussi une catégorie du clergé en situation d'errance. Ces prêtres sans officine allant de paroisse en paroisse pour trouver du travail, ils vivaient avec les errants et s'adaptaient ainsi aux mœurs et aux groupes.

Les institutions ecclésiastiques furent inaptes face à la misère. Les hôpitaux n'étaient pas vraiment ce quoi nous pouvons connaître. Les pauvres, les mendiants, les prisonniers étaient des pécheurs et s'ils se trouvaient au sein d'un hospital, c'était d'abord pour expier, les soins médicaux étaient secondaires. L'enfermement prenait un sens particulier pour l'époque : reconnaître ses fautes et souffrir, c'était enfin vivre en "bon chrétien" et c'est seulement à ce titre que l'on pouvait échapper à la rue ou au crime.



Filles de joies et marginaux : cliquez ici
Bronislaw Geremek,
ancien ministre polonais, et historien du Moyen Âge
Extrait d'une émission de France Culture de 1993 - durée 14 minutes

Livres à consulter de Bronislaw Geremek :

- Les marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles,
Flammarion, 1976
- La Potence et la pitié. L'Europe des pauvres, du Moyen Âge à nos jours,
Gallimard, 1987



Au fil des routes

Au titre des métiers, beaucoup ont été ambulants, ils circulaient à travers la ville et ont pu rendre de nombreux services à la population et sous différents rôles. Les Crieurs, dont les appels disparurent le siècle dernier, ils servaient à la fois pour des charges publiques ou bien privées. Ils servirent bien avant l'existence de la publicité moderne de moyen pour diffuser les informations ou de prévenir de son passage.



Les crieurs
de
 Paris

et
d'ailleurs


Les marchands, les bourgeois, avaient recours aux crieurs pour répandre par la ville les avis qu'ils voulaient communiquer au public, car le criage était, pour les commerçants, le seul moyen de publicité d'alors. Ainsi on criait au son des clochettes, de la trompette et du tambourin : les denrées. les décès, les invitations aux obsèques, les ordonnances de police et les objets perdus.

Le premier titre qui parle des crieurs est un édit de Philippe-Auguste de l'an 1220. D'après ce titre, il paraît que ce droit avait été tenu par un certain Simon de Poissy, que le roi en était en possession et le donna aux marchands de la hanse d'eau (mercatoribus nostris hansatis aquœ), avec pouvoir d'instituer ou de destituer les crieurs à volonté. Ces derniers étaient alors uniquement employés pour le commerce. Depuis ce premier titre, il se passa près de deux siècles pendant lesquels nos crieurs n'eurent d'autre office que de clamer les vins (clamatores vini ou crieurs de vins). Il en est fait mention sous cette rubrique dans les ordonnances de saint Louis de l'an 1268 et dans les arrêts du Parlement du mois de mars 1274.

Ce ne fut, en effet, que sous le règne de Charles VI. Par une ordonnance du mois de février 1415, que l'on ajouta aux fonctions des jurés-crieurs de vins celles d'annoncer par cris les morts, à condition que chacun d'eux n'en crierait qu'un par jour, afin qu'ils pussent être employés chacun à leur tour. On leur attribua en même temps le droit de crier les jours des confréries, les enfants et animaux perdus ou égarés et jusqu'aux légumes et autres productions de la terre qui étaient à vendre, à l'exception du bois et du foin, toujours à condition qu'ils ne pourraient crier aucun enfant au-dessous de l'âge de huit ans sans permission de la justice. (...)

Au XIIIe et XIVe siècles, presque tous les marchands criaient leurs marchandises par la ville et allaient les offrir de porte en porte, car bien peu d'entre eux étaient assez riches pour posséder des boutiques. Au XVIe siècle, les cris diminuent, et les marchands commencent à s'établir chacun dans un quartier spécial. (...)

Il est impossible, après avoir parlé des cris et des crieurs en France, de ne pas consacrer un chapitre spécial aux « cris de Paris ». Cent et cent ouvrages ont étudié ces cris du vieux Paris et des petits métiers de la rue : mais, pour ne point rencontrer d'ornières nous prendrons ici pour guide un auteur qui les a tous résumés en tirant de chacun d'eux la quintessence.

Sur ce sujet, rien n'est laissé à l'imagination : il faut citer des documents et des cris. Crions donc, en nous aidant de l'ouvrage original de M. Victor Fournel : « Les Cris de Paris ». Il appartient tout d'abord établir que l'origine des cris de Paris se perd dans la nuit des temps.

Si haut que notre regard puisse plonger dans le passé, si loin en arrière que nous rencontrions un document sur les petites industries parisiennes, nous les trouvons déjà installées à leurs postes dans les rues et les carrefours et faisant retentir la ville de cette mélopée bruyante et bizarre qui s'est perpétuée jusqu'à nous en s'affaiblissant. « Le Livre des Mestiers » du prévôt Etienne Boileau, nous les montre à l'œuvre sous le roi saint Louis, et dès la fin du XIIIe siècle. Guillaume de Villeneuve les chantait en son curieux petit poème des Crieries de Paris.

Le vieux Paris d'un bout à l'autre de son enceinte n'était qu'une symphonie de publicité incessante où se mariaient sur tous les tons les voix provocatrices des marchands ambulants. (...)

Jadis, avant la découverte de l'imprimerie, avant l'invention des gazettes et des prospectus, les moyens de publicité étaient singulièrement restreints. Peu de gens savaient lire. A défaut d'annonces ou d'affiches, il fallait recourir à la voix humaine ; c'était le Petit Journal du peuple d'alors.

Car tout se criait par les rues, même les marchandises qui attendent aujourd'hui le chaland au fond d'une boutique et semblent les moins faites pour se débiter en plein air. Dans cette enfance de l'art, les industries les plus simples se décomposaient souvent en parties innombrables. Chacune avait son colporteur spécial, et celui-ci proclamait sa marchandise avec une assourdissante et interminable loquacité dont nous avons mille exemples sous les yeux. C'est toute la publicité du XVe au XVIIe siècle.

Les premiers levés parmi ces industriels nomades ; ce sont les marchands d'eau-de-vie ; il n'est pas quatre heures du matin, et déjà leurs appels retentissent. Dans son « Tracas de Paris » en vers burlesques (1665), François Colletet a décrit minutieusement l'équipage et les allures de ces crieurs alcooliques :
Ris de voir ces tasses rangées
Et ces fioles de dragées,
Ces bouteilles et ces flacons
Et ces verres à petits fonds,
Ces tables propres et couvertes,
Que l'on orne de branches vertes,
De tapis et de linges blancs,
Afin d'attirer les passants.
Tous ces vendeurs ont leur méthode
Et chacun invite à sa mode :
« Ça chalands, dira celui-ci,
Approchez, venez boire ici ;
Voilà de si bonne eau-de-vie
Pour nover (changer) la mélancolie,
Même pour réjouir le cœur,
Qu'il ne se peut rien de meilleur ! »
L'autre qui court de rue en rue
Avec sa lanterne menue
Portant sa boutique à son col
Pendue avec son licol (harnais),
S'en va frapper de porte en porte,
Suivi de son chien pour escorte,
Et réveille les artisans
Avec ses discours plaisants
Que l'on croit des mots de grimoire.
« Vi, vi, vi, vi, à boire, à boire !
Excellent petit cabaret
Rempli de blanc et de clairet,
De rossolis, de malvoisie,
Pour qui n'aime point l'eau-de-vie !

Notons en passant que l'eau-de-vie avait été longtemps considérée comme un remède et vendue exclusivement par les apothicaires ; ce ne fut guère qu'au XVIIe siècle qu'elle devint une boisson dont le peuple commença à user et dont il abuse aujourd'hui en attendant l'impôt sur l'alcool.

Un peu après les marchands d'eau-de-vie. Les « crieurs d'huîtres à l'écaillé » faisaient leur entrée en scène. Puis les étuveurs qui au Moyen Âge envoyaient leurs garçons errer par les rues :

Seigneur, que vous allez baigner
Et vous étuver sans délai :
Les bains sont chauds, c'est sans mentir.

Ce cri se renouvelait le soir. Le bain, surtout le bain de vapeur, était une des habitudes du moyen âge rapportée d'Orient à la suite des croisades et une habitude fort salutaire. en ce temps où Paris obstrué de ruelles infectes, peuplée de truands, souvent ravagé par la peste, respirait une atmosphère saturée de mauvaises odeurs et propice aux maladies cutanées.

Par malheur, déjà au Moyen Âge, nous citons toujours Victor Fournel, et encore au XVIIe siècle, malgré le soin qu'on prenait ou qu'on était censé prendre de ne recevoir dans la corporation des maîtres baigneurs étuvistes que des hommes barbiers de bonne vie et mœurs, leurs établissements avaient une réputation fort suspecte. On en trouvait presque dans chaque rue, mais celle des Vieilles-Étuves était leur centre principal et le rendez-vous favori des amateurs. Mais laissons les étuvistes. devenus aujourd'hui d'honnêtes maîtres de bains se bornant à nous offrir du son, du barège ou l'extraction des cors, et de ces corps repassons aux cris.

Note : Les derniers cris des vendeurs ambulants disparurent au début des années 1970 avec entre autres les vitriers, les rémouleurs de couteaux, et les marchands de quatre-saisons, qui vendaient des fruits et des légumes. Bien que déjà très peu nombreux, l'on pouvait entendre de temps en temps les vendeurs pour remplacer les vitres cassées, qui aux cris stridents lancés à vive voix prévenaient de leur présence au cri de « vitrier ! »

Source : Gallica-Bnf, Histoire de la publicité, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours,
P. Datz, pages 58 à 64, chapitres II et III. Éditeur, J. Rothschild (Paris, 1894)




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