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             Francisco de Miranda,

Combien la France se rendrait respectable le jour, où se dépouillant de presque toutes ses conquêtes, elle stipulerait pour l'humanité et préparerait les voies à la propagation de la saine libertéFrancisco de Miranda

Il existe des personnages historiques que l’on rencontre au hasard d’un voyage et qui peuvent prendre une certaine importance. Francisco Miranda est certainement celui qui m’aura ces dernières années provoqué le plus d'attrait, donnant l’envie d’en savoir plus. Un élan pour découvrir ce qui a pu pousser un homme de son temps à incarner son époque et une part de ses destinées. Autant il va connaître une vie bien remplie et riche d’événements, qu'il en est plus facile d’en déduire que le cours de sa vie ne fut pas qu’un long fleuve tranquille... Qui est vraiment Francisco de Miranda? c’est un peu toute la question : un espion, un traître, ou simplement l’agent d’une cause révolutionnaire?

Nous célébrions en 2016 le bicentenaire de sa disparition à la prison de la Carraca en Espagne en 1816, depuis la mise en ligne de cette page, de nouveaux travaux historiques sont apparus. Néanmoins ce travail débuté en 2011 permet de connaître un peu ce "citoyen du monde" ou
"universel" comme on le nomme au Venezuela. Par ailleurs, son titre de "précusseur" des indépendances des Amériques hispaniques est quelque peu contesté pour en faire le "proto-leader" du mouvement révolutionnaire qui donna naissance à la "Grande Colombie" jusqu'en 1830 ou ce qu'il nomma la Colombeia, son projet secret.

Sommaire de la page :

- Note de présentation
- Francisco de Miranda, citoyen du monde
- Resituer la vie de Miranda dans son époque
- Dumouriez et Miranda en 1792, Alphonse de Lamartine
- Chronologie de la vie de Miranda
- Miranda à ses concitoyens (1793, extraits), Francisco de Miranda
- Sur la situation actuelle de la France (1795),  Francisco de Miranda
- John Adams, deuxième président des Etats-Unis et Miranda - et l'Acte de Paris (1797)
- Bibliographie francophone sur Francisco de Miranda


Francisco de Miranda, citoyen du monde


Miranda a de nombreuses configurations énigmatiques, de quoi comprendre comment ce personnage historique a disparu dans les limbes de l’Histoire, pour réapparaître au début du XXe siècle et redevenir un objet d’étude plus approfondi et en particulier sous l'impulsion du travail de Me Carmen Bohórquez-Morán à la fin du siècle dernier avec sa thèse et d'autres écrits.

Première bannière colombienne, ci-contre


Une problématique qui peut échapper, avoir toute une série d’incidences post-mortem et en premier lieu s’il est question d’archives dérangeantes ayant un caractère de secret étatique. Ce qui est son cas avec la disparition de ses manuscrits en particulier de son Journal (Diario en espagnol) qu’il tenait au quotidien, et qui a été rédigé en castillan, en français et en anglais notamment sa correspondance. Selon ses interlocuteurs, il répondait en leur langue, avec des informations compromettantes pour la Grande-Bretagne.

Pour cela, il faut se pencher sur ses dernières années d’incarcération à la prison de la Carraca, du côté de la diplomatie anglaise, car depuis l’invasion de l’Espagne par Napoléon 1er, il n’est plus question de laisser traîner des plans contre la couronne espagnole en Amérique Latine. La France sous blocus continental entrait dans phase de repli et change la donne au sein du Foreign-Office sur ses opérations de déstabilisation outre-Atlantique, le tournant ne s’opéra pas pour autant en 1808, les contacts avec Miranda étaient toujours très actifs.

Sa présence à Trinidad avant son retour à Londres en faisait toujours un interlocuteur et un potentiel agent, mais jusqu’en 1812, année de son arrestation par le général Monteverde, ses documents auraient pu avoir des conséquences, surtout une fois fait prisonnier et aux mains des Espagnols. Francisco Miranda représenta une gêne, aussi bien pour l’empire britannique, que dans son propre pays. Bolivar qui s’en est pour beaucoup inspiré n’en fit état qu’en 1821 de manière allusive, et ce ne fut qu’en 1926 que réapparurent ses écrits, et que purent revenir à son pays de naissance les papiers sulfureux.

Le bicentenaire consacré à sa disparition et commémoration en 2016 dans plusieurs pays européens et sud-américains a été plutôt riche en apport, des nouveaux travaux historiques et expositions ont permis la mise à la connaissance d’un plus grand nombre l’histoire de cette figure controversée présente lors des deux grandes Révolutions de la fin du dix-huitième siècle aux États-Unis et en France. Puis, à celle de la grande nation colombienne disparue en 1830, dont il fut un des acteurs et édificateurs de sa première république, un ensemble qui donna lieu à une légende et à de nombreux artifices, faute de disposer d’informations valides ou plus conséquentes sur ce penseur des Lumières. Soit très loin de l’impulsion qu’il a pu donner, comme l’apport de ses réflexions en particulier en matière juridique pour l’Amérique méridionale.

Et encore, il reste de quoi faire, tant il a laissé de choses en arrière-plan comme ses origines. Sinon cela permet de saisir les contenus livresques francophones du XIXe siècle et une partie du siècle suivant, notamment dans leur relation parfois étrange avec les réalités historiques, si ce n’est pour des raisons politiques, ou choix du superficiel, et donc de rendre accessible à une possible esquisse de la vérité. C’est-à-dire sortir du « Marie-Antoinettisme » ambiant ou passé qui n’aide en rien à comprendre les fondements historiques et les complexités des relations internationales. Parce que Miranda est à lui seul une somme, d’abord pour ses observations uniques en son genre et de nature stratégique. Et pas seulement, son goût pour l’écriture et ses collections de livres, dont le journal en 69 volumes originaux, qui a été réédité de 1929 à 1950 en 23 tomes, plutôt décousus ce qui n’en facilite pas l’accès, sans parler de la question des trois langues employées par son auteur. Me concernant ma maîtrise de l’Anglais est un peu limitée et il n’existe pas de traduction appropriée.

Cependant les travaux historiques de langue espagnole, ou des deux côtés de l’océan, sont à saluer, parce qu’ils ont permis de comprendre de nombreux points de son parcours qui étaient restés en souffrance. A ce titre, il reste à savoir où est né Miranda, certes à Caracas mais apparemment pas dans la maison qui a été officialisée le siècle dernier, et l’étude de sa généalogie ouvre à une question importante Miranda aurait-il été un Marrane, de fait avec une ascendance juive par sa mère? Rien d’impossible en la matière.


Note de LM le 13 juillet 2020

« Cet homme héroïque, austère, né noble et très riche sacrifia, de sa jeunesse, son repos et sa fortune au triomphe d'une idée : l'affranchissement de l'Amérique espagnole. Il n'y a pas d'exemple d'une vie si complètement dévouée, systématisée tout entière au profit d'une idée, sans qu'un seul moment fut donné jamais à l'intérêt, à l'égoïsme.... Personne n'avait plus d'esprit, personne n'était plus instruit. Quant au courage, s'il n'avait pas la brillante initiative de nos militaires français, il eut au plus haut degré la fermeté castillane et cette noble qualité était fondée sur une autre bien glorieuse : la force et la profondeur de sa foi révolutionnaire. »
Jules Michelet



Lionel Mesnard, 17 février 2011

Qui est cet homme? Le portrait type du rebelle, du super héros mythologique, ou un homme à cheval sur deux temps historiques? (1) Il fut originaire de Caracas, il a traversé une bonne part du monde de son époque, du moins l’Europe d’Est en Ouest : les Caraïbes, l’Amérique du Sud et du Nord, et l’Afrique du Nord, lors de sa première campagne militaire au service de la couronne espagnole. Une bonne part de sa formation militaire se fit dès sa prime jeunesse et l’amena à partir de Caracas pour compléter sa formation intellectuelle et devenir officier, capitaine plus exactement. Il se fabriqua possiblement une particule et de faux ancêtres aristocrates en achetant quelques quartiers de noblesse. Mais rien n’atteste vraiment qu’il fut ou pas noble, des "origines" qui l’on conduit à se construire une généalogie jusqu’au XVIe siècle. C’est au mieux, les traces qu’il nous reste de lui dans sa première partie de vie d’adulte.

Le père de Francisco de Miranda, Sébastian était issu des îles Canaries, il s’était marié avec une vénézuélienne de Caracas, aussi originaire de Tenerife, et il devint un marchand très prospère de draps. Les canariens étaient mal acceptés par l’aristocratie locale. Ce qui valut à son paternel quelques vexations et quolibets, quand celui-ci reçut une distinction militaire de la ville de Caracas, puis son éviction. Qui le conduisit à vivre à la fin de ses jours dans la misère (selon la légende, rien ne le prouve vraiment). Les canariens ont été le produit au Vénézuéla d’une émigration nouvelle au XVIIIe siècle, ils furent considérés comme ambitieux, et s’avérèrent de très bons commerçants. Ils représentaient comme une couche intermédiaire entre populations originaires, noires et métisses et les familles de la noblesse (les Mantuanos : point culminant de la verticalité de la société hispano-vénézuélienne). 

Francisco de Miranda est né riche, et il est bien ce que l’on peut nommer un bourgeois. Qu’il ait rajouté une particule, peut prêter à sourire, mais rien de plus. L’objet n’est pas la question des affects, mais de comment ce jeune bourgeois a fini par couper le lien avec son premier employeur, et surtout comment il a fini par être un ennemi jusqu’à ses derniers jours du pouvoir espagnol? Son bac possiblement en poche, c’est à la vingtaine qu’il s’embarquait pour l’Espagne. C’est à Madrid qu’il allait compléter sa formation de militaire, mais aussi d’homme d’esprit.

Réduire Miranda a un statut de pur aventurier, c’est oublier ou omettre son érudition. Il allait apprendre et maîtriser couramment trois langues. L’italien, l’anglais, et le français, langue dans laquelle il écrivit avec l’aisance d’un grand orateur. En plus de l’étude de la stratégie militaire, il lira abondamment et s’entourera d’une bibliothèque historique et philosophique imposante et à la pointe des idées du moment. Il partagera les idées des universalistes de son temps et fera preuve tout au long de sa vie d’un fort intérêt aux grandes causes de l’humanité ; il s’illustrera en particulier comme soutien à l’émancipation des femmes. Probablement libertin, on lui prête de nombreuses maîtresses et aventures. En 1804 il épousera Sarah Andrew et aura deux garçons avec elle (Francisco et Leandro).

Que Miranda ait pu avoir des relations sexuelles notamment avec Catherine II de Russie ou Madame de Custine (courtisane et marquise, née de Sabran) est du domaine du possible, mais les historiens sont rarement présents dans la chambre à coucher, sauf s’il reste des écrits sérieux à ce sujet. Et dans la cas de Catherine, la tzarine, c'est une pure légende. De plus, il faudrait resituer les mœurs de l’époque, en évitant toute fantasmagorie sur des coucheries et se tenir à des faits reconnus ou vérifiables.

Miranda a été au XXe siècle un sujet de roman et il est difficile d’échapper à certains clichés sur l’esprit libertin en vogue à la fin du dix-huitième siècle. Justement entre le produit de la fiction et une approche des réalités, la sexualité de Miranda est un fait mineur et relève principalement de l’anodin. Que cela ait eu un rôle dans son existence, il n’y a pas à en douter. Mais on touche là une des raisons qui ont permis de le faire passer pour un personnage amoral. Toute sa vie, il a du éviter les pièges. Il se fit beaucoup d’ennemis et même post-mortem, il reste un sujet énigmatique.

Francisco de Miranda a contribué aux trois mouvements révolutionnaires fondamentaux de la fin du dix-huitième siècle, et il a surtout inspiré et engagé au début de l’époque contemporaine les mouvements de libération en Amérique du Sud. Son ultime combat à partir de 1810 se déroula au Vénézuéla. Deux années après, il est arrêté par les troupes espagnoles du Général Monteverde, et il finira ses dernières années en prison en Espagne. Il meurt en 1816, et il restera associé à un grand pan de la mémoire et à la fondation de nombreuses républiques sud américaines. Il fut un homme de progrès et il faut apporter pour précision que son itinéraire personnel dépasse largement toute fiction. Sa vie est un roman, et l’on peut se méprendre sur ses intentions, tant son parcours est une série d’événements et de rebondissements positifs ou négatifs.

Miranda a du faire face à une course-poursuite de près de 30 ans avec le pouvoir de Madrid. S’il a su construire de solide relation, il en fut de même pour ses inimitiés. Et l’armée espagnole et spécialement les services secrets seront en charge de l’espionner en vue de mettre fin à ses activités séparatistes. Sa prise de conscience, ou ce qui sera le sens de sa vie naît probablement durant la guerre d’indépendance étasunienne, pendant qu’il officiait dans les Caraïbes. Par ailleurs, il n'a jamais été satisfait du peu d’honneur rendu dans son métier militaire au service de la couronne d’Espagne. Il devint un paria, où l’on ne discerne plus l’agent Russe, l’espion des Britanniques, l’allié des États-Unis ou le héros révolutionnaire de la France, puis des Amériques espagnoles. Il épousa les idées de son temps, et il a fini par influer sur les destinés de sa terre natale.

Ce prestigieux vénézuélien a été le sujet de nombreuses polémiques par les historiens au XIXe siècle, puis il est tombé en désuétude. Il a été sujet de peu d’ouvrages francophones au XXe siècle. Pourtant quelle vie incroyable a-t-il pu connaître ! Si ce n’est plusieurs, même si ces restes atterrirent dans une fosse commune en Espagne. Il s'est battu toute sa vie, d’abord pour sa propre gouverne et puis avec le temps au service d’un idéal qui mena à l’émancipation des nations latinos américaines. Cet homme n’appartient pas seulement à son pays d’origine, le Vénézuéla, il a été un citoyen de ce monde au sens plein. Son histoire personnelle se conjugua à l’Europe, notamment à la France et à la Grande-Bretagne. Il a participé à trois grandes pages de l’Histoire de l’humanité, et tenu un rôle non négligeable au sein de la Révolution française. Il a côtoyé les plus grands personnages historiques de son temps, il resta même des propos de Napoléon Bonaparte l’idée d’un Don Quichotte sans folie.

En 1776, 13 colonies nord-américaines se soulevèrent contre l’Angleterre et proclamérent leur indépendance à Philadelphie. En 1789, la Révolution française engageait un tournant majeur en faveur de l’application d’idéaux universaux comme la liberté, l’égalité et la fraternité. En 1804, Haïti devenait indépendante de la France, et à partir de 1809 en Bolivie, c’était l’ensemble des colonies espagnoles qui allaient tout au long du dix-neuvième siècle se libérer de l’emprise coloniale de Madrid. Et à plusieurs titres, Miranda allait être un acteur de ces événements à partir de 1781. Deux ans après, il était dans l’obligation de fuir. Le tribunal de l’Inquisition demanda sa mise aux fers à Cuba et même s’il profita de l’appui d’amis, il passe armes et bagages du côté de la nouvelle république étasunienne.

Depuis son arrivée à Cadix en 1771 et son engagement au sein des armées du roi d’Espagne, Miranda ne fut jamais vraiment conforme à ce que l’on pouvait attendre d’un officier. Il ne cacha pas son ambition et cultiva un goût paradoxal pour les écrits les plus décriées par les autorités religieuses. Peut-on penser que c’est en raison de sa jeunesse et d’une probable recherche de ses attentes émancipatrices? Il a fallu attendre que cet homme atteigne une bonne trentaine d’années pour qu'il s'engage à ce qui sera l’œuvre de sa vie : libérer les colonies ibéro-américaines. Seulement, quand on est un peu trop en avance sur son temps, l’on reçoit en retour des réactions négatives. Il s’attira de nombreux soupçons et rencontra des situations périlleuses, il allait avoir trente ans durant les services d’espionnages de la couronne espagnole à ses basques. 

Miranda a donné l’impression de jouer sur plusieurs tableaux à la fois, mais il apparaît clairement qu’il ne souhaita qu’une chose, c’est-à-dire la fin du joug de l’empire espagnol. C’était son dessein, il l’affirma tout en assurant sa loyauté à l’Espagne, et s’il a du jouer la victime auprès des autorités espagnoles, il n’hésita pas à prendre le contre-pied dans les cours européennes et plaida pour la cause indépendantiste. En raison d’intérêts opposés, ou visant à affaiblir le royaume castillan, Miranda allait connaître plutôt un accueil favorable en Europe lors de son périple de 1785 à 1789. Il allait déployer pendant quatre années consécutives une diplomatie hors norme. S’il peut être entendu, il trouvait les termes pour convaincre ses auditoires et y parvenait avec une facilité assez déconcertante.

On peut avoir du mal à comprendre comment ce sud-américain arriva à amadouer la fine fleur de son temps, et séduire les principales puissances de son époque (hormis le royaume castillan)? Pendant son voyage de Londres à Moscou, il a possiblement passé pas mal de temps dans les transports (calèche et bateau), mais il a pour force une curiosité forte pour ce qu’il visitait et il se nourrissait de ses voyages, des rencontres et lectures collectées. Il chercha à saisir ce qu’il découvrait et se plongea de manière plus que probable dans les arcanes d’un savoir savant et au service d’un idéal émancipateur.

Son escapade européenne lui permit de continuer son travail d’enquête, il découvrit les rapports de force entre les états, mais aussi la situation des armées, et son goût l’exerça à un certain attrait pour les fortifications. Il est assez difficile de suivre un individu qui va passer près de quarante ans à parcourir le monde avec et contre son gré. La question avec Miranda est de pouvoir le séparer du personnage mythique qu’on pourrait en faire, et ce qu’il fut ou représenta réellement. Il a surtout été appréhendé comme un personnage de légende, et un fatras de rumeurs ont couru à son sujet pour finalement le plonger dans un certain oubli. Revisiter Miranda et son temps c’est un peu déplié une carte du monde et se questionner sur des interactions politiques, économiques et militaires à cheval sur deux siècles et deux temps historiques.

Il y a fort à comprendre, que la fin de l’Empire hispanique était à l’ordre du jour dans de nombreuses capitales européennes. Sans vouloir se moquer, Miranda été comme la cerise sur le gâteau. On imagine bien que les sud-américains de sa trempe ne furent pas légion en Europe. Il tenait un discours qui trouva un certain écho dans les espaces diplomatiques. Si l’Espagne venait à perdre ses colonies, cela permettait de redéfinir un certain ordre mondial du commerce et de ses richesses. Ces considérations économiques et géo-politiques préfiguraient de comment allait se construire le monde contemporain.

La pensée « libérale » dominait, et justement l’Espagne représenta l’angle mort. Elle était trop archaïque et rigide, son centralisme et son absolutisme étouffant. Et c’est probablement ce qu’a pu ressentir le jeune Vénézuélien et qui le poussa à s’emparer des nouvelles idées de liberté. Comment s’est opérée la métamorphose est un peu le mystère, car il va de soit que Miranda n’a pas tout écrit, il a fait surtout beaucoup de descriptif de ses voyages. Ce qui étonne s’est son adaptabilité aux rencontres et événements. Avec la Révolution française de 1789, son parcours a été une illustration des hauts et des bas, il devint un citoyen de la République française et s’illustra notamment à Valmy et en Belgique. Il alla même ambitionner un rôle de vice-consul en 1795. Une part non négligeable de son séjour en France (de 1792 à 1798) se passa en prison : à la geole de Sainte Pélagie, à la Conciergerie et à la prison du Temple.

On ne peut pas dire qu’il n’a pas laissé de trace. S’il a été assez peu l’objet d’études historiques en langues françaises, il existe en espagnol et en anglais un vaste choix d’ouvrages. Notons l’apport de Jacques de Cazotte, et son Histoire d’un séducteur. Mais ô grand regret, il traite principalement des grandes lignes de l’existence de Miranda et n'est pas dès plus fiable. On pourrait souhaiter une approche plus complète de ses relations militaires et politiques avec les grandes puissances de l’époque. Ce livre rétablit néanmoins quelques éléments de vérités historiques et montre un personnage au parcours tumultueux, n’empêchant pas Miranda d’impressionner par ses qualités intellectuelles et physiques. (Jacques de Cazotte est un auteur décédé en 2014 et à ne pas confondre avec un auteur français homonyme et sans particule mort en septembre 1792).

Il existe de même le livre de Gilette Saurat, Simon Bolivar le Libertador, où l’on découvre les relations complexes et ombrageuses entre le jeune Bolivar et celui qui fut le promoteur des indépendances des Américains espagnols. Un livre très puissant à qui l’on peut reprocher l’aspect épopée, prenant le pas sur le récit historique, c’est surtout une grande œuvre littéraire et historique à lire absolument. Et pour dernières sources récentes en français et de qualité, vous pouvez trouver un livre traduit de l’espagnol, de Carmen Bohorquez, historienne vénézuélienne : Miranda, Précurseur des indépendances de l’Amérique Latine (aux éditions l'Harmattan). Par ailleurs des textes plus anciens sont consultables principalement dans des bibliothèques spécialisées ou universitaires ou au sein de la BNF. Ses archives personnelles les plus complètes sont présentes au Vénézuéla à Caracas, mais on trouve en Espagne, en Angleterre, aux USA, en Russie et en France, et ailleurs, des sources originales à ne pas négliger.

Il faut souligner chez Miranda une passion du voyage et l’on peut remarquer qu’il a vécu plus de temps  sur le sol européen, que sur sa terre d’origine le Vénézuéla. Il a été un grand amateur de musique, et comme tout bon vénézuélien... un bon danseur. Il existe de lui des peintures, mais elles sont presques toutes postérieures à son existence (saut un portrait de 1806 fait par un inconnu), sinon quelques dessins datant de la Révolution française au fusain noir et des représentations sur gravure. Il fut surnommé le Péruvien dans les salons parisiens et la description que Madame de Custine en donne, elle parle de son teint mat et d’un regard aux yeux clairs.

Il allait courir le monde, il gagna l’estime des plus grandes figures politiques du moment (Georges Washington, William Pitt, la Grande Catherine, …) et allait construire pas à pas un projet impossible, mais au final se réalisa avec la 1ère république vénézuélienne en 1811. Un dément, un fou certainement pas, le « Péruvien » est un homme déterminé à changer le cours de l’Histoire. Si son temps a favorisé son rôle de révolutionnaire sans frontières, on devine une intelligence vive, un savoir-vivre sous toutes latitudes, c’est-à-dire une capacité d’adaptation plutôt non conventionnelle.

Miranda épousa les lieux, les situations, les mœurs, les cultures du monde, tout en s’appliquant des principes humanistes et républicains. Il reste d’une grande modernité et il est difficile de le ranger dans un registre contemporain, à moins de se hasarder à des spéculations politiques sans comparaisons possibles. Au mieux dans sa traversée de la Révolution française, il fut proche des girondins ou de ses composantes, il était aussi franc-maçon, dit-on, et aurait été fondateur d’une loge maçonnique sud-américaine,  ou permis à certaines figures non moins célèbres de le devenir et d'être initiés. Rien ne permet de l'affirmer. Qu'il ait été en contact avec des francs-maçons, il n'y a aucun doute à ce sujet, mais rien n'atteste en l'état une appartenance à une loge. Une controverse qui a pris corps au Chili en 2018 autour de la personne de Bernard O'Higgins (2) ou d'autres, mais c'est ainsi comment naissent et se perpétuent beaucoup de légende, selon Me Carmen Bohorquez-Moran.

Ses relations avec Pétion de Villeneuve, Brissot de Warville sont connues, il tenta de les convaincre de le soutenir dans son soulèvement des colonies espagnoles en vue de leur indépendance. Il fit un flop et se vit remettre une mission dans les Caraïbes qu’il refusa. En Angleterre, si l’accueil fut plus chaleureux, sauf l’expédition ratée de 1806 en terres vénézuéliennes, les Britanniques compatirent plus qu’ils ne soutirent son entreprise démesurée. Et pour cause, il fallut que quelque chose puisse mettre le feu à l’empire Espagnol. La chute de Ferdinand VII en 1808 par les troupes napoléoniennes a eu inévitablement des conséquences outre-atlantique, et permettre l’essor des mouvements indépendantistes.

On ne peut comprendre le rôle et la montée en puissance des mouvements indépendantistes qu’avec la destitution du roi d’Espagne. Il est possible de parler d’un effet domino, qui finira sa course avec l’indépendance de Cuba en 1898. C’est un long processus qui s’enclenchait et la fin annoncée d’un Empire. Une à une les possessions espagnoles en Amérique allaient devenir indépendantes, entraînant même le Portugal à laisser au Brésil en 1825 à sa tête un empereur. Une fièvre libératrice a parcouru le XIXe siècle de Mexico à Buenos-Aires. Miranda et Simon Bolivar, une fois que ce dernier soit allé convaincre son aîné de sortir de sa retraite londonienne. Miranda n’avait pas vraiment remis les pieds au Vénézuéla avant cette année de 1810, sauf en sa tentative malheureuse en 1806, ou il prit après cinq semaines de présence et de batailles avec l’armée des colons la décision de reprendre la mer.

Il représenta ainsi et au travers des écrits existants à son sujet une foultitude de personnages. Il est parfois difficile de le suivre, de comprendre cet itinéraire relativement insolite. L’on voudrait comprendre ce qui a pu modeler cette figure historique de premier plan? Il n’a rien d’un ange, on peut y voir un ambitieux prêt à vendre son âme, sauf que ce ne fut pas vraiment le cas. Quand il s’engagea, il ne le fit pas à moitié, et le prouva tout au long de ses responsabilités militaires de l’Afrique du Nord, à Cuba, aux Etats-Unis, en France et en Belgique et jusqu’à la fin de sa vie au Vénézuela.

Il va être un des précurseurs d’une Amérique Latine indépendante du joug colonial espagnol. Miranda va beaucoup écrire, notamment une importante correspondance, de même il fera publier des textes pour certains fondateurs, et il tiendra un journal de bord composant 69 volumes. Une de ses passions sera la lecture et il va avoir à sa disposition une bibliothèque fournie en ouvrages et en rapport avec les Amériques espagnoles. Il laisse de nos jours une demeure visitable à Londres.

Miranda s’attaqua en cette fin du dix-huitième siècle au monarchisme le plus absolutiste en Europe, - et qui pouvait envisager un délitement entre la métropole -, et ses colonies outre-atlantique? Ils furent quelques poignées d’individus à l’envisager et mettre en œuvre le mouvement de libération. Si Miranda a tenu un pari, ce fut celui de concevoir une diplomatie sans appui fixe ou continuité territoriale.

Miranda n’est plus en France un sujet d’attention. Il reste à remplir un vide en cette année 2011 et de commémoration des indépendances en essayant de populariser ce personnage historique. On lui reprocha le commerce qu’il a exercé avec l’esclavage des noirs à Cuba comme officier de la couronne d’Espagne, avec le temps et en lien avec ses objectifs d’un monde libre, il a fini en ce domaine par condamner la traite négrière, et prôner la liberté pour tous.

PS : Petit détail médical sur Miranda, il était souvent l'objet de migraine, un mal persistant semble-t-il avec les années.

Notes :

(1) Miranda a vécu la fin des temps modernes et les débuts du monde contemporain
(2) Bernard O'Higgins est un des libérateurs de la nation chilienne en 1810.




Miranda resitué dans son époque (le contexte)




Lionel Mesnard, le 17 février 2011

Miranda nous laisse une correspondance importante, un journal de voyage volumineux de son histoire personnelle et de ses innombrables rencontres de 1771 à 1812 (année de son arrestation et de son ultime séquestration). Faire un portrait psychologique, c’est risqué deux embûches : l’éloge et l’enthousiasme. Au regard de notre temps, l’on devine des qualités, l’on perçoit aussi les défauts d’un homme hors des normes de son époque. Sa vie a été loin de tout repos, il fut même très exposé. S'il a su se faire de nombreuses relations, il allait connaître un nombre d’ennemis ou d’oppositions fortes à sa personnalité et à ses idées. Il aura eu tendance à provoquer certaines hostilités. Il n’était pas en soit un conformiste, mais il chercha une reconnaissance sociale forte, puis la mise à profit de ses lectures lui donnèrent comme un influx pour mettre en œuvre un projet démesuré. 

Entre le jeune capitaine espagnol et celui combattant en tant que général pour la République française, c’est tout une évolution, puis une maturité qui prenait source dans un itinéraire peu commun de la Havane à Saint-Petersbourg. Un cheminement qui le mena à défendre un plan d’émancipation spécifique et au profit des habitants des Amériques Latines. Il ne fut pas le seul précurseur des indépendances des hispano-américains, mais il est celui qui transforma son objet en une lutte politique. On peut avoir le sentiment qu’il passa d’une chancellerie à une autre pour des besoins obscurs, - qu’il se vendit à telle ou telle puissance ?

Non, il tenait la gouverne d’une idée plutôt bien accueillie dans les cours européennes : en finir avec la colonisation espagnole. Plus exactement comment affaiblir l’Espagne trouva un écho certain. Même la Russie avait des intérêts à faire valoir sur le continent américain, et il n’y a rien d’étrange que Miranda trouva là l’occasion auprès de la tzarine Catherine II de se faire entendre. S’il trouva une nouvelle couverture, par ailleurs des financements, il n’était pas dupe et ce fut avec sa participation à la Révolution française qu’il allait pouvoir exprimer au grand jour ses idées révolutionnaires. A un moment de sa vie cet homme s’était tracé une ligne de conduite et il n’en a pas vraiment démordu.

De sa naissance à Caracas à sa mort dans une prison près de Cadix en Espagne, nous pouvons à travers le personnage de Francisco Miranda découvrir un pan d’histoire allant de 1750 à 1816 et se rapportant aux relations entre l’Europe et l’Amérique. L’on découvre ainsi un monde, qui peu à peu se transforma et faire entrée le continent américain dans l’histoire contemporaine de plein pied. Les grandes puissances coloniales étaient en œuvre depuis la découverte des Antilles en 1492. Espagne, Pays-Bas (Hollande ou Provinces-Unies), Portugal, France, Angleterre, Russie et même la Suède allaient vouloir étendre leurs territoires au-delà des mers et de nord en sud. Ainsi, se déroula sur trois siècles la colonisation et la conquête du dit nouveau monde. Au milieu du dix-huitième siècle, en Amérique prédominait le Royaume d’Espagne, ses territoires s’étendaient de Buenos-Aires à Los-Angeles et se subdivisaient en quatre vice-royautés.

Depuis le traité de Tordesillas (en 1494), la présence portugaise resta limitée au Brésil, en réalité, les enjeux frontaliers prirent fins véritablement à la signature du traité de Madrid en 1750. Colons Français et Anglais étaient en conflit dans la partie nord continentale ou en concurrence au sud avec les royaumes ibériques. De nombreux conflits notamment armés se déroulèrent entre les différentes puissances, c’est en 1763 sous Louis XV que fut scellé le traité de Paris entre la France et l’Angleterre mettant un terme à la « guerre de sept ans ». Ce traité entraîna la perte du Canada et de l’Inde et une disparition progressive de l’influence militaire de la France outre-Atlantique. Il est stipulé à l'article IV que :


« Sa Majesté Très Chrétienne renonce à toutes les Prétentions, qu'Elle a formées autrefois, ou pu former, à la Nouvelle Écosse, ou l'Acadie, en toutes ses Parties, & la garantit toute entière, & avec toutes ses Dépendances, au Roy de la Grande Bretagne. »
Au long du XVIIIe siècle, les relations entre la France et l’Espagne furent moins tendues, et on le doit en partie à des liens matrimoniaux, en particulier avec la famille Bourbon de Parme ou d’Anjou. La Maison de Bourbon d’Espagne accédait avec Philippe V en tant que duc d’Anjou au trône d’Espagne  de 1700 à 1746 (et petit-fils de Louis XIV). Dans les deux pays règne la famille Bourbon et une certaine idée du centralisme et du rôle quasi divin des monarques. De l’autre côté des Pyrénées, le poids et l’influence de l’Inquisition faisait vivre un ordre de terreur. Si la France s’ouvrit en partie aux idées des Lumières, l’Espagne monarchique a eu du mal à se réformer et engageait contre son vouloir et faute de se réformer le déclin de son empire colonial. Le royaume castillan a été le moins prégnant aux idées «libérales», il est même ce en quoi des souverains comme Catherine II de Russie et Frédéric II de Prusse cherchèrent à se démarquer.

Le monde dans lequel allait Francisco Miranda grandir et devenir un homme vit ses dernières heures ou son apogée. Il fut dans un certain sens le produit de l’Espagne outre-mer, mais c’est au contact des nouvelles pensées qu’il devint un républicain très à l’écoute des aspirations de libération du genre humain. Quand Miranda n’était encore qu’un aspirant bachelier en 1767, il était décrété l’expulsion des jésuites d’Amérique Latine. Pour ce garçon de bonne famille, hors l’exercice du culte, l’apprentissage des armes était une voie obligée, et son goût prononcé pour la culture livresque de son temps finit par lui faire prendre conscience de son appartenance à un monde non conventionnel ou en mutation.

La conséquence de ce renvoi des communautés de la Compagnie de Jésus a été au centre de sa détermination future à libérer les Amériques espagnoles de leur tutelle. Miranda publia en 1797 en français une lettre du jésuite Guzman Viscardo, à l’adresse des espagnols américains. Il s’agissait de convaincre qu’il était tout à fait possible d’émanciper des gens de tout horizon social ou d’origine. Un manifeste en faveur de l’émancipation ou tout devenait possible, mais à la condition de rompre avec le colosse colonial et fédérer les points de vue.

De la déclaration d’indépendance du Vénézuéla en 1811 à celle de Cuba en 1898, tout au long du XIXe siècle s’engagea la fin de la colonisation et de la domination des couronnes d’Espagne et du Portugal. Pour l’Espagne, ce fut l’une des plus vastes colonies connue de mémoire humaine s’étendant de Mexico à Buenos-Aires, mais aussi jusqu’aux Philippines. L’histoire des Amériques Latines est un pan de la mémoire universelle et le bicentenaire des indépendances une occasion de faire appel à quelques faits historiques ou personnages illustres, mais pas seulement. 

Si l’histoire est un outil fondamental, on ne peut pas aborder le sujet, si l’on ne s’interroge pas de même sur les raisons économiques de la colonisation. De comment les puissances européennes de l’Ouest ont pu se développer et prospérer notamment entre le XVIe et le XVIIIe siècle grâce aux richesses des différents Eldorado en présence. L’Espagne pour de nombreuses raisons n’a pas été la seule à en profiter, de Madrid mais surtout en Flandre un essor du commerce et une accumulation des richesses financières ouvrit les portes à un marché en voie de mondialisation, c’est-à-dire vers l’expansion du capitalisme en tout lieu de la planète. Cette pré-accumulation du capital aux mains des puissances notamment navales offrit aussi la perspective d’une domination coloniale et économique de l’hémisphère Sud.

Comment peut-on 200 ans après comprendre ce qui s’est déroulé entre l’Europe de l’Ouest, notamment en Espagne? Comment allait éclore de nouvelles élites outre-atlantique, et ouvrir une saillie au sein de l’un des plus vieux empires coloniaux? La rupture ne se fit pas en seul jour, et ce qui se passa en Espagne avec la chute ou reddition à Bayonne de Ferdinand VII par Napoléon 1er, ébranla un système monarchique à bout de souffle. La présence des troupes françaises et la nomination de Joseph Bonaparte, frère de l’empereur Français comme roi d’Espagne était un tournant décisif du déclin de l’Empire castillan, un point de non-retour. Il permit ainsi aux élites créoles latino-américaines de soutenir dans un premier temps le souverain déchu, puis de faire entrer de plein fouet toutes les contradictions dans un système de très grandes inégalités. Une longue série de soulèvement sans retour possible à la normal  engageait la fin de l’empire espagnol vers la naissance des nations latines affranchies.

Avec le bicentenaire des indépendances, voilà une belle occasion de faire connaître un peu mieux le rôle de Francisco de Miranda (1750-1816) dans la libération des colonies espagnoles et l’émergence  des idées républicaines à la fin du dix-huitième siècle. Mais pas seulement, il importe de faire découvrir ce personnage historique en raison de sa nature peu ordinaire et d’une histoire qui confine avec la fiction. Comme l’écrit très justement l’historienne Carmen Borhoquez à son sujet, il lui manque un grand auteur de roman, mais aussi une grande adaptation de sa vie au grand écran (il existe toutefois en espagnol : Miranda regressa, année 2007). On ne peut pas dire qu’il n’a pas laissé de traces, au contraire, il reste de gros volumes de ses écrits, mais il est difficile au regard du travail historique de croire à tout ce qui a pu s’écrire à son sujet.

Petit correctif de l'année 2017 :
Miranda avait fait don d'une partie de sa bibliothèque au Vénézuéla les textes anciens et grecs de philosophie (3.000 livres), et sa femme Sarah Andrew-Miranda s'y conforma et vendit le reste des ouvrages dans les années 1820 pour subvenir à ses besoins. Et un des fils de Francisco et Sarah a eu un rôle au côté de Bolivar en Grande Colombie. Depuis 2014, sa maison de Londre été rénovée et réouverte au public grace aux soins et aides de la République Bolivarienne du Vénézuéla.



 
Dumouriez et Miranda, septembre 1792


               (portrait en pied de Dumouriez)


Histoire des Girondins (extraits) d'Alphonse de Lamartine


« Pendant que l'interrègne de la royauté à la république livrait ainsi Paris aux satellites de Danton, la France, toutes ses frontières ouvertes, n'avait plus pour salut que la forêt d'Argonne, et le génie de Dumouriez.

Nous avons laissé, le 2 septembre, ce général enfermé avec seize mille hommes dans le camp de Grand-pré et occupant, avec de faibles détachements, les défilés intermédiaires entre Sedan et Sainte-Menehould, par où le duc de Brunswick pouvait tenter de rompre sa ligne et de tourner sa position. Profitant, heure par heure, des lenteurs de son ennemi, il faisait sonner le tocsin dans tous les villages qui couvrent les deux revers delà forêt d'Argonne, s'efforçait d'exciter dans les habitants l'enthousiasme de la patrie, faisait rompre les ponts et les chemins par lesquels l'ennemi devait l'aborder, et abattre les arbres pour palissader les moindres passages. Mais la prise de Longwy et de Verdun, les intelligences des gentilshommes du pays avec les corps d'émigrés, la haine de la Révolution et la masse disproportionnée de l'armée coalisée, décourageaient la résistance. `

Dumouriez, abandonné à lui-même par les habitants, ne pouvait compter que sur ses régiments. Les bataillons de volontaires qui arrivaient lentement de Paris et des départements, et qui s'organisaient à Châlons, n'apportaient avec eux que l'inexpérience, l'indiscipline et la panique. Dumouriez craignait plus qu'il ne désirait de pareils auxiliaires. Son seul espoir était dans sa jonction avec l'armée que Kellermann, successeur de Luckner, lui amenait de Metz. Si cette jonction pouvait s'opérer derrière la forêt d'Argonne avant que les troupes du duc de Brunswick eussent forcé ce rempart naturel, Kellermann et Dumouriez, réunissant leurs forces, pouvaient opposer une masse de quarante-cinq mille combattants aux quatre-vingt-dix mille coalisés, et jouer, avec quelque espoir, le sort de la France dans une bataille.

Kellermann, digne de comprendre et de seconder cette grande pensée, servait sans jalousie le dessein de Dumouriez satisfait de sa part de gloire, pourvu que la patrie fût sauvée. Il se portait obliquement de Metz a l'extrémité de l'Argonne, avertissant Dumouriez de tous les pas qu'il faisait vers lui. Mais l'intelligence supérieure qui éclairait ces deux généraux restait invisible pour la masse des officiers et des troupes; au camp même de Dumouriez on ne voyait dans cette immobilité qu'une obstination fatale à tenter l'impossible on y présageait l'emprisonnement certain de son armée entre les vastes corps dont le duc de Brunswick allait l'envelopper et l'étouffer. Les vivres étaient rares et mauvais. Le général lui-même mangeait le pain noir de munition. Des légumes et point de viande, de la bière et point de vin. Les maladies, suite de l'épuisement, travaillaient les troupes. Les murmures sourds aigrissaient les esprits. Les ministres, les députés, Luckner lui-même, influencés par les correspondances du camp, ne cessaient d'écrire à Dumouriez d'abandonner sa position compromise et de se retirer à Châlons. Ses amis l'avertissaient qu'une plus longue persévérance de sa part entraînerait sa destitution, et peut-être un décret d'accusation contre lui.

Ses propres lieutenants forcèrent un matin l'entrée de sa tente, et, lui communiquant les impressions de l'armée, lui représentèrent la nécessité de la retraite. Dumouriez, appuyé sur lui seul, reçut ces observations avec un front sévère. « Quand je vous rassemblerai en conseil de guerre, j'écouterai vos avis, leur dit-il, mais en ce moment je. ne consulte que moi-même. Seul chargé de la conduite de la guerre, je réponds de tout. Retournez à vos postes, et ne pensez qu'à bien seconder les desseins de votre général. » L'assurance du chef inspira confiance aux lieutenants. Le génie a ses mystères, qu'on respecte même en les ignorant.

De légères escarmouches toujours heureuses entre l'avant-garde des Prussiens, qui s'avançaient enfin vers la forêt, et les avant-postes de Dumouriez, rendirent la patience aux troupes le coup de fusil et le pas de charge sont la musique des camps. Miaczinski, Stengel et Miranda repoussèrent partout les Prussiens. On connaît Miaczinski et Stengel, hommes de choix de Dumouriez. Miranda lui avait été envoyé récemment par Pétion. Le général voulut éprouver Miranda dès le premier jour il en fut content. Miranda, qui prit depuis une si grande part dans les succès et dans les revers de Dumouriez, était un de ces aventuriers qui n'ont que les camps pour patrie et qui portent leur bras et leurs talents à la cause qui leur semble la plus digne de leur sang. Miranda avait adopté celle des révolutions par tout l'univers. Né au Pérou (ndr - au Vénézuéla), noble (non), riche, influent (pas du tout) dans l'Amérique espagnole, il avait tenté jeune encore d'affranchir sa patrie du joug de l'Espagne. Réfugié en Europe avec une partie de ses richesses, il avait voyagé de nation en nation, s'instruisant dans les langues, dans la législation, dans l'art de la guerre, et cherchant partout des ennemis à l'Espagne et des auxiliaires à la liberté.

La Révolution française lui avait paru le champ de bataille de ses idées. Il s'y était précipité. Lié avec les Girondins, jusque-là les plus avancés des démocrates, il avait obtenu d'eux, par Pétion et par Servan, le grade de général dans nos armées. Il brûlait de s'y faire un nom dans la guerre de notre indépendance, pour que ce nom, retentissant en Amérique, lui préparât dans sa patrie la popularité, la gloire et le rôle d'un Lafayette. Miranda, dès le premier jour de son arrivée au camp, montra cette valeur d'aventurier qui naturalise l'étranger dans une armée. Un autre étranger, le jeune Macdonald, issu d'une race militaire d'Écosse transplantée en France depuis ta révolution de son pays, était aide de camp de Dumouriez. Il apprenait au camp de Grand-pré, sous son chef, comment on sauve une patrie. Il apprit plus tard, sous Napoléon, comment on l'illustre; maréchal de France à la fin de sa vie, héros à son premier pas ».


(…) « Trois commissaires de la Convention, Sillery, Carra et Prieur, arrivèrent au camp le 24 pour y faire reconnaître la république. Dumouriez n'hésita pas. Quoique monarchiste, son instinct lui disait que la question du jour n'était pas le gouvernement, mais la patrie. D'ailleurs il avait l'ambition grande comme le génie, vague comme l'avenir. Une république agitée au dedans, menacée au dehors, ne pouvait pas mécontenter un soldat victorieux à la tête d'une armée qui l'adorait. La royauté abolie, il n'y avait rien de plus haut dans la nation que son généralissime. Les commissaires avaient aussi pour mission de ramener l'armée au delà de la Marne. Dumouriez leur demanda six jours. Il les obtint. Le septième jour, au lever du soleil, les vedettes françaises virent les collines du camp de la Lune nues et désertes, et les colonnes du duc de Brunswick filer lentement entre les mamelons de la Champagne et reprendre la direction de Grand-pré. La fortune avait justifié la persévérance. Le génie avait lassé le nombre. Dumouriez était triomphant. La France était sauvée.

A cette nouvelle, un cri général de « Vive la nation ! » s'éleva de tous les postes de l'armée française. Les commissaires, les généraux, Beurnonville, Miranda, Kellermann lui-même, se jetèrent dans les bras de Dumouriez, et reconnurent la supériorité de ses vues et la toute-puissance de sa volonté. Les soldats le proclamèrent le Fabius de la patrie. Mais ce nom, qu'il acceptait pour un jour, répondait mal a l'ardeur de son âme, et il rêvait déjà au dehors le rôle d'Annibal, plus conforme à l'activité de son caractère et à l'obstination de son génie. Celui de César pouvait aussi le tenter un jour au dedans. Cette ambition de Dumouriez explique seule la retraite impunie des Prussiens à travers un pays ennemi, par des défilés faciles à changer en fourches Caudines, et sous te canon de cinquante mille Français, devant lesquels l'armée décimée et énervée du duc de Brunswick avait à opérer une marche de flanc ».

Ps : Même s'il n'est jamais désagréable de lire Lamartine, cependant il n'est pas fiable comme historien, il faut y voir une illustration littéraire pleine d'allégorie en partie fausse ou un manque de recherche sur le sujet.
Source : Gallica-Bnf -  Livre vingt-septième - pages 153 à 157 et page 192
Histoire des Girondins d'Alphonse de Lamartine - 1861



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CHRONOLOGIE de la vie
de Francisco Miranda
(1750 à 1816)

(et le traité d'alliance France/Etats-Unis)




Lionel Mesnard, le 17 février 2011

Quelques éléments sur son enfance

1750, le 28 mars : Naissance de Francisco Miranda à Caracas au Vénézuéla, il est baptisé le 5 avril sous les prénoms de Sebastiàn (premier prénom de son père) et de Francisco. Son géniteur est Sebastián de Miranda Ravelo, originaire des îles Canaries et commerçant drappier, sa mère est Francisca Antonia Rodríguez de Espinoza, née à Caracas. Premier enfant, il aura en tout neuf frères et sœurs.

1756 : Naissance de son frère Antonio Gabriel, - autres frères et sœurs : Ana Antonia, Rosa Agustina, Micaela Antonia, Miguel Francisco, Ignacio José, Josefa Maria, Josefa Antonia. Seuls six enfants sur les dix parviendront à l’âge adulte.

1762 à 1764 : Miranda est inscrit et membre du collège de Santa Rosa à Caracas. Il y apprendra le latin et il suivra des études religieuses. Deux ans après, il suit des cours en arts plastiques auprès de Francisco Urbina au sein de l’université de Caracas.

1767 : Les jésuites (5.000 environ) sont expulsés d’Amérique Latine par Charles ou Carlos III d’Espagne. Miranda est possiblement bachelier, mais rien ne l’atteste. Tout comme on peut envisager son entrée à l'université, mais sans pouvoir l'assurer.

1769 : Son père Sebastiàn est contesté publiquement par le gouverneur, le considérant de trop "basses conditions" (un "blanc de second rang" selon les classifications), critiquant de fait les choix de la noblesse locale à accepter la désignation d'un petit marchand (sa femme est boulangère). Le père de Miranda n’appartient pas à la noblesse locale héritière des conquérants (les mantuanos). Au sein de l’aristocratie locale, des rumeurs de métisssages circulent en raison de son titre de capitaine de la milice "blanche" de Caracas (la 6ème compagnie des fusiliers volontaires), et dans son cas d'appartenir au groupe social et culturel que l’on nomme les péninsulaires (il est né aux île Canaries). Sebastian Miranda perd dans un premier temps son titre d’officier. Puis il sera réintégré l’année suivante.

Miranda, jeune officier espagnol

1771 : En début janvier, Miranda présente une sollicitude auprès du Capitaine Général Solano pour entrer au service de L’Espagne. Il consulte aussi les autorités religieuses (le vicaire de Caracas). Il souhaite abandonner au plus vite l’Amérique Latine, et déclare n’avoir aucun empêchement le retenant. Il trouve l’accord des recteurs de la Cathédrale de Caracas et la signature de Juan Vicente Bolivar (père de Simon). Il embarque fin janvier sur la frégate suédoise « Prince Frederik » (via l’île de Puerto-Rico) et le 28 février, Miranda arrive par le port de Cadix en Espagne. Il commence à rédiger son journal de bord à partir de son départ du Vénézuéla (qu’il alimentera près de quatre décennies). En mars, il s’installe à Madrid, il dispose d’un logement. Il entreprend des études pour apprendre le français et l’anglais, son goût des livres commence à se manifester. Il sera amené à prouver s’il souhaite entreprendre une carrière militaire, qu’il est de « sang pur » (en particulier ni juif, ni noir). En novembre, après avoir reconstitué une généalogie familiale avec des ascendances nobles auprès des autorités, il rajoute une particule à son nom  et il devient de Miranda. En décembre, il entre au service de l’Espagne, comme capitaine au sein d’un régiment d’infanterie. Auparavant, il achète à un tiers pour une forte somme son titre d’officier. Le seul moyen qu’il dispose pour postuler.

1774 à 1775 :  Il est affecté en Afrique du Nord sous les ordres du comte Alejandro O’Reilly, et celui qui deviendra est un de ses amis les plus précieux Juan Manuel Cagigal. Le roi Carlos ou Charles III déclare la guerre au sultan du Maroc. Miranda se fait remarqué dans la défense de Melilla. Il y est présent avec son régiment en décembre. Il y tiendra un siège de 3 mois dont il sortira vainqueur. Il plaidera auprès du roi une décoration et des honneurs qui ne lui seront pas reconnus. Il ira aussi combattre en Algérie, cette offensive se soldera par un échec militaire. Son peu de conformité, ou pour d’autres sa légèreté le mènera à aller en prison pour insubordination, bien qu’il soit par ailleurs considéré comme un officier de grande valeur.

1776 : Révolution d’indépendance des Etats-Unis. Rencontre à Gibraltar avec John Turnbull, commerçant, ami de Miranda et un de ses principaux financiers tout au long de sa vie "militante".

1777 : Sa mère décède au Vénézuéla.

1778 : Un traité d'alliance est signé le 6 février à Paris entre la France et les Etats-Unis (extraits ci dessous). En Espagne, Miranda est en prise avec le tribunal de l’Inquisition en raison d’une conduite considérée comme contraire aux normes ou lois du Royaume. Il dispose en particulier d’une bibliothèque contenant des ouvrages interdits (notamment les philosophes des Lumières).


Traité d'alliance
 éventuelle et défensive,

conclu à 
Paris le 6 février 1778


entre
 la France et les Etats-Unis de l'Amérique

Sa Majesté Très Chrétienne (SMTC) et les Etats-Unis de l'Amérique septentrionale, savoir : New-Hamshire, la baye de Massachussett, Rhode Island, Connecticut, New-York, New-Jersey, Pensylvanie, Delaware, Maryland, Virginie, la Caroline supérieure, la Caroline méridionale et Georgie, ayant conclu aujourd'hui un Traité d'amitié et de commerce pour l'avantage réciproque de leurs sujets et citoyens, ils ont cru nécessaire de prendre en considération les moyens de raffermir ces engagements et de les rendre utiles à la sûreté et à la tranquillité des deux Parties, notamment dans le cas où la Grande-Bretagne, par ressentiment de ces liaisons et de la bonne correspondance qui forme l'objet dudit Traité, se porterait à rompre la paix avec la France, soit en l'attaquant hostilement soit en troublant son commerce et sa navigation d'une manière contraire au droit des gens et aux Traités qui subsistent entre les deux Couronnes ; Et S.M. et lesdits Etats-Unis ayant résolu éventuellement d'unir dans le cas prévu leurs conseils et leurs efforts contre les entreprises de leur ennemi commun, les Plénipotentiaires respectifs, chargés de concerter les clauses et conditions propres à remplir leurs intentions, ont conclu et arrêté les points et articles qui s'ensuivent :
Article premier.
Si la guerre éclate entre la France et la Grande-Bretagne pendant la durée de la guerre actuelle entre les Etats-Unis et l'Angleterre, S.M. et les Etats-Unis feront cause commune et s'entraideront mutuellement de leurs bons offices, de leurs conseils et de leurs forces, ainsi qu'il convient à de bons et fidèles alliés.

Article 2.
Le but essentiel et direct de la présente Alliance défensive est de maintenir efficacement la liberté, la souveraineté et l'indépendance absolue et illimitée desdits Etats-Unis tant en matière de politique que de commerce.

Article 3.
Les deux Parties Contractantes feront, chacune de leur côté et de la manière qu'elles jugeront plus convenable, tous les efforts en leur pouvoir contre leur ennemi commun, afin d'atteindre au but qu'elles se proposent. (…)

Article 8.
Aucune des deux Parties ne pourra conclure ni paix ni trêve avec la Grande-Bretagne sans le consentement préalable et formel de l'autre partie ; et elles s'engagent mutuellement à ne mettre bas les armes que lorsque l'indépendance des dits Etats-Unis aura été assurée formellement ou tacitement par le Traité ou les Traités qui termineront la guerre.

Article 9.
Les Parties contractantes déclarent qu'étant résolues de remplir, chacune de son côté, les clauses et conditions du présent Traité d'alliance, selon son pouvoir et les circonstances, elles n'auront aucune répétition ni aucun dédommagement à se demander réciproquement quel que puisse être l'événement de la guerre.

Article 10.
Le Roi T.C. et les Etats-Unis sont convenus d'inviter ou d'admettre d'autres puissances qui auront des griefs contre l'Angleterre, à faire cause commune avec eux et à accéder à la présente Alliance, sous telles conditions qui seront convenues librement et agréées entre toutes les Parties.

Article 11.
Les deux parties se garantissent mutuellement, dès à présent et pour toujours, envers et contre tous, savoir : les Etats-Unis à S.M.T.C. les possession actuelles de la Couronne de France en Amérique ainsi que celles qu'elle pourra acquérir par le futur Traité de paix ; et S.M.T.C. garantit de sa part aux Etats Unis leur souveraineté, leur liberté et leur indépendance absolue et illimitée, tant en matière de politique que de commerce, ainsi que leurs possessions et les accroissements ou conquêtes que leur confédération pourra se procurer pendant la guerre d'aucun des domaines maintenant ou ci-devant possédés par la Grande-Bretagne dans l'Amérique septentrionale, conformément aux articles 5 et 6 ci-dessus, le tout ainsi que leurs possessions seront fixées et assurées auxdits Etats au moment de la cessation de leur guerre actuellement contre l'Angleterre .

Article 12.
Affin de fixer plus précisément le sens et l'application de l'article précédent, les Parties Contractantes déclarent que, en cas de rupture entre la France et l'Angleterre, la garantie réciproque énoncée dans ledit article aura toute sa force et valeur du moment où la guerre éclatera. Et si la rupture n'avait pas lieu, les obligations mutuelles de ladite garantie ne commenceraient que du moment susdit où la cessation de la guerre actuelle entre les Etats Unis et l'Angleterre aura fixé leurs possessions.

Article 13.
Le présent Traité sera ratifié de part et d'autre, et les ratifications seront échangées dans l'espace de six mois ou plus tôt si faire se peut.

En foi de quoi, les Plénipotentiaires respectifs, savoir : de la part du Roi T.C. le Sieur Conrad Alexandre Gérard, Syndic royal de la ville de Strasbourg, Secrétaire du Conseil d'Etat de S.M. ; et de la part des Etats Unis, les Sieurs Benjamin Franklin, Député au Congrès général de la part de l'Etat de Pensylvanie et Président de la Convention dudit Etat, Silas Deane, ci-devant Député de l'Etat de Connecticut, et Arthur Lee, Conseiller ès-lois, ont signé les articles ci-dessus, tant en langue française qu'en langue anglaise ; déclarant néanmoins que le présent Traité a été ordinairement rédigé et arrêté en langue française, et ils y ont apposé le cachet de leurs armes.
Fait à Paris, le 6e jour du mois de février 1778.
C.A. GERARD.
 B. FRANKLIN.
 SILAS DEANE.
 ARTHUR LEE.


1779 : Le 27 juin, la France alliée de l’Espagne déclare la guerre à l’Angleterre en raison d’un pacte familial datant de 1761. L’objectif de l’Espagne est de conquérir de nouveaux espaces, et se réapproprier la Floride aux mains des Anglais.

1780 : Miranda part à la Havane (Cuba) comme capitaine au sein du régiment d’Aragon. Il est sous les ordres de nouveau de Juan Manuel Cagigal, Capitaine Général de Cuba et Gouverneur jusqu’à sa mise en cause lui aussi par le tribunal de l’Inquisition peu d’années après. Soulèvement de Tupac Amaru au Pérou, premier mouvement social et politique amérindien dans les Andes.

1781  Miranda part appuyer Bernardo de Calvez, Gouverneur de la Louisiane contre les Anglais à Pensacola en Floride, comme aide de camps. Il est mêlé à un trafic d’esclave et s’engage les débuts de sa longue traque judiciaire avec les autorités espagnoles. Pour l’Inquisition, il doit être mis en prison. Cette décision ne sera jamais annulée et pèsera toute sa vie comme un lourd fardeau. La même année, il est nommé lieutenant-colonel par le Gouverneur JM Cagigal, qui lui donne une nouvelle mission en Jamaïque. Le but étant d’échanger des prisonniers entre Anglais et Espagnols et de s’enquérir des défenses du pays mises en place par les britanniques. A Cuba de retour de Jamaïque, il est mis aux arrêts par l’intendant et les cargaisons sont saisies par les autorités fiscales, on le soupçonne de contrebande. Cagigal fait la démonstration du rôle qu’il a tenu à son service dans cette expédition en partie secrète et pour la royauté, il soulève momentanément les soupçons. Cette même année début mars, en Nouvelle-Grenade (la Colombie actuelle) éclate dans plusieurs villes des heurts contre la hausse des impôts, de ce conflit naît le mouvement connu sous le nom des « Comuneros ».

1782 : Suites aux ordonnances du tribunal de l’Inquisition, il est fait de nouveau arrêté par de Calvez, qui le remet à Cagigal, ce dernier le remettant en liberté et tentant une fois de plus d’écarter les attaques à son sujet. En partant de Cuba, il participe  à l’expédition navale espagnole dans les îles Bahamas, et négocie la capitulation de ces mêmes îles.  Ce sera sa dernière mission pour la couronne d’Espagne.

Rupture avec l’Espagne, les voyages de Miranda aux Etats-Unis et en Europe

1783 : En juin, il débarque à Newbern en Caroline du Nord. On peut parler de rupture. Miranda n’est plus au service de l’Espagne, toutefois il va chercher par des courriers et de longues années durant à plaider sa cause et jusqu’au roi. Il restera 18 mois aux Etats-Unis. Il y fait d’importantes rencontres comme les colonels John Skey Eustace et Smith. Le traité de Paris  est signé le 3 septembre, il met fin à la guerre d’indépendance et permet la reconnaissance officielle des Etats-Unis. Après un séjour à Charlestone, en novembre Miranda part pour Philadelphie, la capitale du nouvel état. En décembre il rencontre Georges Washington lors d’un dîner. Il est par ailleurs condamné par l’Espagne à 8 années de déportation en Afrique du Nord. John Adams, deuxième président étasunien, 30 années plus tard le décrira comme un observateur avisé et fin connaisseur de la révolution d’indépendance des Etats-Unis.

1784 : En janvier, il se rend à New York. Il va chercher à s’informer sur la stratégie opérée au moment de la révolution d’indépendance étasunienne et visite de nombreux lieux à caractère militaire dont West Point, ainsi qu’il s’intéresse au fonctionnement de la justice et aux institutions démocratiques. Il se fait de nouvelles rencontres et amitiés, il se lie à Henri Knox, Alexander Hamilton et le Marquis de Lafayette. Il ébauche un projet militaire d’émancipation des Amériques espagnoles qu’il soumet à Knox pour ses faits d’arme. Non seulement, Francisco de Miranda va continuer à demander sa clémence auprès du royaume espagnol, tout en posant les premières pierres de ce qui fut le combat de sa vie, c’est-à-dire l’indépendance des Amériques espagnoles.

1785 : Miranda est en Angleterre. Il écrit à Floridablanca, Premier ministre du roi Charles III  et rencontre Bernardo del Campo, lui même ministre de la couronne espagnole à Londres. On lui conseillera fortement de visiter l’Europe, ce qu’il va faire pendant 4 ans. Il va ainsi se transformer auprès de nombreuses cours européennes comme le chantre des indépendances latino-américaines, tout en se faisant au début passé pour un officier supérieur de son ancienne armée. Il ne cachera pas à travers ses écrits le côté fantaisiste de la chose, entre autres de s’habiller en ce qu’il n’était plus, c’est-à-dire un officier espagnol. Il se rend en Hollande, puis à Potzdam après avoir rendu visite à l’Académie militaire prussienne, il dîne avec Frédérique II de Prusse. Il passe par l’Autriche et puis se rend en Hongrie, il y rencontrera le musicien Joseph Haydn. Il décide ensuite de visiter l’Italie et ces cités prestigieuses.

1786 : Fin janvier, il arrive à Rome. Il va en juin s’embarquer pour Constantinople et continue son périple jusqu’à la Crimée.

1787 : Arrivé en Russie, il établit des liens importants avec Grigori Potemkine, il va ainsi  gagner l’attention et la reconnaissance de Catherine II de Russie. Le pouvoir tsariste va semble-t-il adopter sa cause et lui offrir un asile, puis une aide confortable. Il va pouvoir ainsi revêtir un uniforme de colonel russe et trouver accueil auprès de toutes les délégations diplomatiques  en territoire européen. En sus, il touchera de la part de la tzarine quelques subsides financiers. Toutefois, il n’est pas dupe sur les intentions des monarques qu’il rencontre au long de son voyage en Europe, notamment s’ils se réclament d’un despotisme éclairé. En septembre, il se rend en Suède et rencontrera Gustav III à Stockholm, puis il poursuit par la Norvège et le Danemark.

1788 : Il rencontre le ministre des affaires étrangères Danois. Il fait part d’un certain ennui, son voyage scandinave s’achève. Il se rend à Lubeck, Hambourg, Rothenburg et Brême. Il est informé que son ami Cajigal est en prison et sert de moyen de pression aux mains des Espagnols. Il visite la Hollande, s’informe sur les travaux de Vauban et de ses fortifications et arrive en France par Strasbourg. Puis il passe par la vallée du Rhin pour la Suisse, via Zurich et Genève, puis en novembre, on le signale à Lyon. Il se rendra aussi à Marseille et Toulon. De nouveau, il fait un crochet en Suisse à Genève pour noël. Cette même année Charles III d’Espagne meurt et voit Charles IV accèder au trône.

1789 à 1790 : Après une visite des alentours de Genève et Turin, il va à nouveau à Marseille, visite la Provence et passe par Nantes avant d’arrivé à Paris le 24 mai 1789. Le 3 juin, il obtient un faux passeport au nom de Monsieur de Meiroff, signé par Louis XVI. Il retourne à Londres, en juillet, dès le 15 il signe des courriers à l'intention de la tzarine Catherine II. Il engage aussi à nouveau des contacts avec Del Campo. Non seulement les soupçons sont renforcés, de plus Floridablanca veut mettre la main dessus, il représente un danger.

1791 : Miranda rencontre William Pitt (Premier ministre anglais) à qui il propose ses services et un plan contre l’Espagne et la victoire de l’Angleterre (à la fin juin 1789). Il rompt définitivement avec l’Espagne et le fait savoir. L’Espagne et la Grande-Bretagne signent des accords commerciaux, Miranda tente de s’y opposer mais en vain. Son père décède à Caracas.

Miranda acteur de la Révolution et de la République française


1792 : Le 23 mars, il arrive à Paris. On peut parler d’un tournant majeur dans la vie de Francisco de Miranda. Il va devenir un acteur de la Révolution française, à plus d’un titre. Il sera un acteur militaire, de Maréchal de Camp à Général de brigade, puis lieutenant Général. Il restera comme un des héros de Valmy (20 septembre) et son nom sera inscrit sur l’Arc de Triomphe à Paris sous Louis Philippe (1836). Il sera sous les ordres du Général François Dumouriez, Général de l’Armée du Nord. Comme acteur politique, il va s’illustrer avec les girondins, notamment Jérôme Pétion de Villeneuve qui sera maire de Paris en 1791 et député, Jacques Pierre Brissot (dit de Warville) chef de file des Girondins et élu député en 1791, Jean Sylvain Bailly député et maire de Paris (en juillet 1789). Il fréquentera le salon de Mme Roland, et fera une rencontre importante avec Delphine de Custine, née de Sabran (amie de Mme de Staël). Il lui sera proposé par son ami Brissot de prendre la tête dans une expédition aux caraïbes et un poste de gouverneur à la clef de Saint Domingue, il refuse, car contraire à ses ambitions de libérer l’ensemble latino-américain, de la Floride à la Terre de feu. Il va aussi s’illustrer en Belgique en cette fin d’année, et parade aux côtés du général Dumouriez lors de l'entrée victorieuse dans Bruxelles, le 14 novembre ; il s'empare avec ses troupes de la ville d’Anvers, le 26 novembre.

Le 28 novembre Brissot s'adressant à Dumouriez :
Vous le connaissez, vous l'aimez : c'est Miranda; son nom lui vaudra une armée et ses talents, son courage, son génie tout nous répond du succès. Les ministres sont tous d'accord sur ce choix, mais ils craignent que vous refusiez de céder Miranda; je leur ai dit vous ne connaissez pas Dumouriez....; il brûle de voir la révolution du Nouveau Monde s'accomplir, il sait que Miranda est le seul homme capable de la faire et quoi qu'il ait besoin, il le cédera, parce qu'il saura plus utile ailleurs.
Le Général Dumouriez au Général Miranda :
Quartier Général, à Liège, le 30 Novembre, 1792,
l'an premier de la République Française

J'ai reçu, mon cher et brave Miranda, tous les détails relatifs à la prise de la citadelle d'Anvers, que vous m'avez adressés. Je vous ai bien reconnu, mon digne ami, dans la capitulation que vous avez faite ; elle porte en même temps le cachet du philosophe et du républicain. Je suis fort inquiet de la petite flotille que j'avais envoyée sur l'Escaut. J'espère cependant qu'il ne lui sera rien arrivé. Dites au Général Marassé qu'il me donne avis, lorsqu'elle paraîtra à Anvers. Vous allez sans doute vous mettre en marche pour augmenter le nombre de vos succès. Ayez l'attention de me tenir instruit de tous vos mouvements, afin que je les protège par les miens autant qu'il me sera possible.

Adieu, mon cher ami, je vous embrasse todo corto, Dumouriez
 1793 : Le 3 janvier à l'Assemblée nationale, M. Osselin, secrétaire de la séance, donne lecture de trois lettres afférant au général Miranda en campagne militaire. Suit la teneur de ces trois pièces :

1° Lettre adressée au général Miranda par la direction des duchés de Clèves, de Gueldre et de la principauté de Meurs, pour les droits du Rhin et de là Meuse, qui témoignent toute leur confiance en la justice du général : Copie de la lettre des citoyens composant la  direction des droits du roi au général Lamorliére, écrite à Emmerie, le 17 décembre 1792.
« Monsieur, La direction des duchés de Clèves, Gueldre et de la principauté de Meurs, pour les droits du Rhin et de la Meuse, apprenant que les armes françaises ont pris possession du territoire de Sa Majesté prussienne,, a cru de son devoir de vous dépêcher, Monsieur, les deux députés porteurs de la présente, savoir : le sieur Schuiewind, inspecteur provincial, et le sieur Le Brun, contrôleur de la Meuse, lesquels, après vous avoir fait leur révérence, ont ordre de vous témoigner, mon général, toute la confiance qu'ils ont en votre justice, ainsi que le maintien de notre collège et la sécurité des personnes y attachées. Le ton d'humanité, mon général, avec lequel vous vous annoncez, et que vous pratiquez en tous lieux, a déjà percé jusqu'à nous et rempli nos cœurs du plus flatteur espoir.
La Direction provinciale des droits du roi, signé : De Nuet. Pour copie conforme à l’original, signé : Miranda. »
2° Copie de la réquisition du général Miranda aux représentants de la ville d'Anvers, en. date du 31 décembre dernier ; cette réquisition est celle d'un emprunt de 300,000 livres tournois en numéraire, pour subvenir aux dépenses de la garnison et des fortifications de cette place : Copie de la réquisition du général Miranda aux représentants de la ville d'Anvers et ses quartiers en date du 31 décembre 1792, l’an 1er de la République.
« Les représentants de la ville d'Anvers et ses quartiers sont requis de faire un emprunt de 300.000 livres tournois en numéraire à la nation française, pour subvenir aux dépenses de la garnison et fortifications de ladite place ; laquelle somme sera remise au commandant des troupes de la République française que forment sa garnison, par un paiement mensuel, et la présente servira à ladite ville d'ordre et réquisition à cet effet, pour s'en entendre à l'égard de leur quote-part, des moyens fournis et à fournir avec la totalité de la province, et viendront à cesser de la date de cette réquisition, toute fourniture, logement et frais quelconques, que ladite ville se trouvait dans le cas de faire journellement à l'armée susdite. »
Le lieutenant général commandant la division du Nord de l'armée de Belgique. Signé, Miranda. Pour copie conforme : Le ministre de la guerre, signé : Pache. »
Copie de la lettre datée du quartier général d'Anvers ; du 30 décembre dernier, par laquelle le général Miranda informe le ministre des succès de l'entreprise de l'armée française sur la Gueldre prussienne, sur le duché de Clèves et sur la principauté de Meurs, conformément aux ordres que le général donnés au général Lamorlière, commandant son avant-garde. Copie de la lettre du général Miranda au ministre de la guerre, datée au quartier général d'Anvers, le 30 décembre 1792, l’an 1er de la République.
« J'ai la satisfaction de vous informer, citoyen ministre, que l'entreprise sur la Gueldre prussienne, duché de Clèves et principauté de Meurs, que j'ai confiée au général Lamorlière, commandant de mon avant-garde, vient d'être exécutée avec tout le succès possible, et presque dans toute l'étendue du plan que je lui ai donné. Le rapport ci-joint, que je viens de recevoir du général Lamorlière, prouve combien les dispositions du peuple sont en notre faveur, et combien la conduite et activité dés troupes françaises ajoutent à notre gloire.

La contribution qu'il a exigée, de deux millions à peu près, de livres tournois fera connaître au peuple combien nous sommes loin d'imiter l'exemple que les généraux prussiens nous ont donné en France, en maltraitant le peuple des provinces où ils ont pu pénétrer et insultant la nation par des manifestes pétulants et absurdes. Miranda.

« Pour copie conforme: Le ministre de la guerre, Signé : Pache. »

Source : Archives Parlementaires, tome 56, pages 166-167, Stanford-Bnf
Le 5 janvier Miranda est nommé commandant en chef de l'armée de Belgique et prend part à la campagne de Hollande. Le 21 janvier, le roi Louis XVI est guillotiné. Le 1er février, la France déclare la guerre à la Grande-Bretagne et à la Hollande. Le 13 février, Miranda mobilise ses soldats suite à la déclaration de guerre. Deux jours après est publié à son sujet un pamphlet de son ancien ami Eustace, qui l’accuse de tous les maux. Cela aura peu de prise. Il est appelé à combattre à Maastricht (le 21 février), il y remporte un demi-succès, mais doit concevoir un repli face aux armées prussiennes. Sur un autre front et en plein champs de bataille, le général Dumouriez prend en grippe le Vénézuélien, il rédige pour la Convention un texte accusant Miranda. Sur le terrain tout prouve qu'il a bien respecté les ordres et il aurait plutôt montré un certain élan sur un objectif qu’il savait par avance perdu. Il rentre à Paris s’expliquer auprès de ses amis politiques, mais il ne tient pas encore tous les tenants et aboutissants de cette affaire, qui le mènent devant un tribunal révolutionnaire, le 8 avril. Le même mois les députés de la Montagne, Marat en tête veulent que Miranda soit jugé, le 30, il adresse à celui-ci une lettre pour une rectification dans son journal l'Ami du Peuple le concernant.

Miranda se trouve pour une première fois en prison, c’est Fouquier-Tinville qui sera son accusateur, et ironie du sort, il aura pour avocat Chaveau-Lagarde, celui de Marie-Antoinette. Suite à la polémique soulevée, Fouquier-Tinville va remettre en cause le témoignage d’Eustace, étonnement, il restera pendant le procès modéré dans son rôle d’accusateur. Miranda est finalement blanchi à l'unanimité de toute accusation et se trouve libre de la prison de la Conciergerie à Paris, le 16 mai. Sa carrière militaire en France s’achève, et il s’installe fin mai au village de Ménilmontant, mais les "Girondins" ont perdu le pouvoir (le 31 mai) et il est à nouveau mis en cause, le 9 juillet : Je suis en état d'arrestation chez moi par ordre du maire et administrateur de Police au département de Paris depuis hier au soir 9 heures, en conséquence, je prie la Convention de prendre les mesures necessaires pour que je puls me rendre devant elle. En septembre, le général se rend devant la Convention et expose ses services rendus et les raisons de son incarcération.
La femme de Pétion, qui allait dans sa famille laisser passer le temps des orages, est arrêtée avec son fils ; Miranda, qu'avait acquitté le tribunal révolutionnaire, est de nouveau traduit en prison comme suspect, sur les dénonciations de son valet, espion de Pache ; tous les généraux sont mis en arrestation ; Custine, dont j'ai ouï dire aux princes de Linanges qu'il était le plus redouté d'entre eux par les Autrichiens, est menacé de perdre la tête (Mémoires de Madame Roland, guillotinée le 8 novembre 1793)

Déclaration devant la Convention de Jérôme Pétion
 sur la trahison du général Dumouriez (
03 octobre 93)

Quant à Miranda, les faits sont très simples. J'étais maire de Paris, lorsque Garran-Coulon le présenta chez moi, il y a à peu près un an.


Je trouvai dans Miranda un homme extrêmement instruit, un homme ayant médité les principes des gouvernements, paraissant fortement attaché à la liberté; un véritable sage. Il venait me voir de distance à autre, et j'avais avec lui des entretiens très instructifs. Miranda avait servi avec distinction en Amérique, lorsque les Américains versaient leur sang pour la liberté.

L'ennemi était sur notre territoire. Je dis à Miranda : « Vous devriez prendre du service en France » ; et il y consentit. Je le recommandai au ministre Servan, comme j'aurais recommandé tout officier que j'aurais cru pouvoir être utile à la cause de la liberté. Le ministre l'employa, et il eut lieu de s'en féliciter.

La conduite de Miranda dans les plaines de Champagne, a été louée par tous ceux qui l'ont connue; elle a été louée par les commissaires ; Dumouriez ne tarissait pas d'éloges sur son compte.

- Miranda vient d'exposer celle qu'il a tenue dans la Belgique; et je prie tous les membres de cette assemblée, de lire le compte qu'il vient de publier.

Si, ce que je ne puis croire, Miranda était coupable, on verra que je ne serai pas le dernier à m'élever contre lui ; et je serais d'autant plus sévère à son égard, que je l'aurais cru plus homme de bien.

Mais je l'avoue, il est des faits qui me parlent hautement en sa faveur. Il est le seul des généraux que Dumouriez ait sacrifié. En même temps, avant que la trahison de Dumouriez fut connue, Miranda m'a déclaré, ainsi qu'à Bancal, que Dumouriez l'avait pressenti pour savoir s'il ferait marcher son armée sur Paris, ce qu'il avait repoussé avec indignation. Et ce fait, je l'ai dénoncé au comité de défense générale, en présence de Bancal, et avant que la conspiration fût dévoilée.

Or, c'est cet homme que Robespierre ne balance pas à frapper avec une espèce de férocité. Il ne le frappe pas comme un prévenu, mais il affirme qu'il est coupable. Lâche que vous êtes! attendez au moins qu'il ait été entendu; il sera temps alors de prononcer, de punir ou d'absoudre. (...)

Source : Standford Bnf, Archives Parlementaires,
TOME LXXV du 23/09 au 3/10/1793, page 688

1794 : Toute cette année, Miranda la passe en prison, ses ennuis ne font que se prolonger, mais par miracle il échappe à la dite Terreur et le 28 juillet Robespierre est guillotiné. En décembre, il adresse un long mémoire à l’Assemblée Nationale, mais sans suites et reste incarcéré.

1795 : Finalement, il est libéré. Miranda s’installe dans une confortable habitation, rue Saint-Florentin à deux pas de la place de la Révolution (à Paris, actuel 8ème arrondissement). Il fait publié en juillet un texte intitulé « l’opinion du Général Miranda sur la situation actuelle en France ». Il dîne avec Bonaparte, et laisse dans la bouche de ce dernier que Miranda est un Quichotte sans folie, mais, les liens avec le général Bonaparte vont se détériorer. Ce que lui propose les Français ne répond pas à ses attentes et refuse certaines propositions outre-mer. Il rentre dans une certaine clandestinité et échange une correspondance avec Me de Staël.

1796 : Miranda connaît quelques tracasseries après publication dans le journal de Paris d’un article faisant part de ses persécutions, et émanant semble-t-il de sa propre plume. Celui qui l’aide à faire publier cet article est un dénommé Duperon, il s’avèrera un personnage peu fiable, du moins un fonctionnaire d’Etat des relations extérieures. Il est finalement quasi absout par son ami Carnot. Le vice-consul en conclut qu’il n’y a pas d’affaire Miranda et que celui-ci est libre de ses mouvements en France. En décembre, l’Espagne déclare la guerre à la Grande-Bretagne.

1797 : Entre janvier et jusqu’en septembre, au sein du Directoire, les rivalités sont à vif entre Barrat et Carnot (Vices-Consuls). Le coup d’état qui intervient le 4 septembre, condamne Miranda et ses amis du Directoire à la réclusion en Guyane. Par chance, il est de nouveau dans la clandestinité. Il dénoncera « une blessure mortelle à la liberté française ». Il engage une correspondance avec William Pitt, et ne cache pas son souhait de retourner à Londres. Il restera identifié à jamais comme un espion au service des Anglais. Du moins, trouvera-t-il un meilleur accueil de ses idées outre-manche. Ces six années en France pousse Miranda a une désillusion forte. Mais il n’abandonne pas son combat de libération des Amériques espagnoles… Le 22 décembre, il signe avec Pablo de Olavide, un texte sous le nom d’Acte de Paris.

Miranda entre Londres et Paris

1798 : Il part de Paris le 3 février, et se rend à Calais. Il s’embarque pour l’Angleterre sous une fausse identité et en parti grimé. Miranda dès son arrivée à Londres rend visite à William Pitt (le 15 février). Sur place, il tente aussi de convaincre le ministre Rufus King des Etats-Unis de faire alliance avec le Royaume-Uni contre les colonies espagnoles. Cette même année décède le père jésuite Viscardo y Guzman à Londres. Miranda rédige un projet de Constitution pour les colonies hispano-américaines allant de Mexico à Buenos Aires, sauf le Brésil, lusophone. Ce projet a aussi pour nom : Colombeia qui provient du grec et qui était son nom de code...

1799 : Il fait publier pour la première fois, en français et quasi clandestinement, une Lettre adressée aux Espagnols-Américains par un de leurs compatriotes (Lire la Lettre), le texte original est de Juan Pablo Viscardo et Guzman expulsé du Pérou à partir de 1767 d'Amérique du Sud (réfugié en Italie, puis en France sous la Révolution française). Ce même texte influencera Simon Bolivar lorsqu’il écrira sa lettre de Jamaïque en 1815. Le texte de Viscardo sera réédité en espagnol deux ans plus tard et toujours à Londres, cet écrit est considéré comme le texte fondateur de l’émancipation de l’Amérique Méridionale.

1800 : L’Espagne restitue à la France la Louisiane et les Britanniques prennent l’île de Curaçao. Miranda quitte Londres, le 10 octobre pour la Hollande, suite à une demande émise auprès de l’ambassadeur de France, il se rend à Anvers. Il écrit au ministre de l’intérieur Joseph Fouché, mais il ne trouve pas auprès de celui-ci un bon accueil. Miranda est considéré comme suspect et des ordres sont donnés à Monsieur Herbonville, préfet d’Anvers, de le refouler. Mais ce dernier est semble-t-il conquis par sa personnalité et laisse filer Miranda à Paris avec l’aide de ses amis (Jean-Denis Lanjuinais, député "girondin" et président de la Convention en 1795). De Paris, il écrit de nouveau à Fouché, tout en lui indiquant une fausse adresse, et prétend disposé d’un accord avec le consul Napoléon Bonaparte. Pas vraiment dupe le ministre de l’intérieur lui laisse un peu de répit. La raison probable, son ami Lanjuinais serait intervenu auprès de Bonaparte. Miranda se fait discret durant son séjour parisien terré chez lui, rue Saint Honoré.

1801 : En mars, Fouché réactive les poursuites, Miranda est arrêté à la prison du Temple et accusé d’espionnage. Il trouve une défense habile et s’enfuit. Il part de nouveau pour l’Angleterre. Il adresse au gouvernement de William Pitt (celui-ci à renoncer depuis le 14 mars à sa fonction) des textes concernant ses projets de conquête, de gouvernement des Amériques espagnoles. Il envisage une armée de 12 à 15.000 hommes pour son plan d’invasion. Il tentera dans un premier temps de trouver des appuis à ses idées (lors de son séjour londonien), mais elles seront écartées en raison d’un premier traité entre la France et la Grande-Bretagne de restitution de territoire. Thomas Jefferson est élu président des Etats-Unis, en France l’esclavage est de nouveau autorisé.

1802 : Le 25 mars est signé la Paix d’Amiens entre Anglais et Français. Miranda connait une année plutôt calme, du moins il continue ses correspondances et son journal de bord.

1803 : Retour des espoirs de Miranda, la Paix d’Amiens est rompue. Il trouve de nouveau un soutien, le gouvernement anglais souscrit à son plan d’invasion. Avec son épouse Sarah Andrews, ils ont leur premier fils Leandro. Napoléon cède la Louisiane au président Jefferson, soit l’équivalent en superficie de 13 états des USA actuels (2,1 millions de km2) pour une somme de 15 millions de dollars de l’époque (soit 3 cents l’acre de terre). 

1804 : Le 1er janvier est proclamé l’indépendance d’Haïti. L’Espagne déclare la guerre avec l’Angleterre, en décembre. L’ambassade d’Espagne à Londres à ordre de surveiller les activités de Miranda et d’en tenir au courant la Corte de Madrid.

1805 : Miranda écrit à Lord Melville sur la nécessité d’une action immédiate, le gouvernement britannique ne donne pas d’aval à ses plans d’invasion. Il s’embarque à destination de New-York. L’appui qu’il reçoit des Etats-Unis se limite à un navire, à des cargaisons d’armes et de munitions et un équipage d’environ 200 hommes. Il nomme ce navire du nom de Leander, prénom d'un de ses deux fils.

Miranda la mèche des indépendances hispano-américaines


1806 : Miranda adresse le 22 janvier une dernière missive à James Madison, secrétaire d'Etat du président Thomas Jefferson avant son départ (lettre), il quitte New-York pour Haïti, le 2 février. Deux goélettes se joignent à l’expédition, mais elles seront défaites par la marine espagnole. Au large de Jacmé, le 12 mars est hissé sur le Leander pour la première fois la bannière tricolore colombienne. Après avoir atteind l'île de Trinidad où il s'arrête pour rencontrer les autorités anglaises, il débarque le 1er août avec ses maigres troupes de la goélette Leander sur la côte occidentale du Venezuela à Coro (état de Falcon). Sa tentative d’invasion du Vénézuéla échoue rapidement. Il ne trouvera pas l’appui espéré des populations locales et il finira au bout de quelques semaines par rebrousser chemin.

« Pendant que l'Empereur, froissant beaucoup d'intérêts, se livrait à ses moindres caprices, il apprit l'arrivée à Jacmel du célèbre Miranda, qui se dirigeait vers la Côte Ferme pour la soulever contre l'Espagne. Il envoya l'ordre au général Magloire Ambroise de lui faire l'accueil le plus distingué, de lui fournir des armes et des munitions, et de lui permettre de recruter de jeunes haïtiens. Il lui fit parvenir le conseil, s'il voulait réussir, de mettre en pratique, dans la province de Vénézuéla, les moyens violents qui avaient amené le triomphe des armes indigènes, moyens terribles et efficaces qu'on ne voit employer, dans l'histoire, que lorsque l'aristocratie, résistant avec opiniâtreté aux plus justes réclamations, porte les peuple au désespoir. Les indépendants de la Nouvelle-Grenade n'avaient pas assez souffert pour sentir le besoin d'une révolution radicale. Après la trahison de Dumouriez, Miranda, un de ses lieutenants les plus distingués, avait été arrêté, jugé et absous. Plus tard il fut réintégré en prison, et à la fin de 1797 il fut mis en liberté ; mais il reçut l'ordre de quitter le territoire français. Il passa en Angleterre où il prépara son expédition contre les colonies espagnoles. Il se rendit ensuite aux Etats-Unis où il se procura trois navires armés, entre autres une corvette de 30 canons. Il était venu à Jacmel pour organiser ses équipages, accompagné de 200 jeunes américains. Il partit d'Haïti dans les premiers jours de mars, et se rendit à la Côte Ferme. De nombreux haïtiens, qui avaient accepté les périls de cette expédition lointaine, s'y distinguèrent la plupart. »

L'histoire d'Haïti,
Thomas Madiou, volume 3, pages 269 et 270, paru en 1848

1807 : En janvier, il s’installe à Trinidad.

1808 : Miranda retourne à Londres. Charles IV abdique en faveur de Ferdinand VI, mais c’est Joseph Bonaparte qui devient le porteur de la couronne espagnole jusqu’en 1813, s’engage six ans d’occupations et de guerre dans la péninsule Ibérique. La présence française en Espagne  provoquera outre-atlantique un rejet et un soutien à Ferdinand VI. Mais c’est aussi une occasion incroyable pour les indépendantistes de faire entendre leurs idées.

1809 : James Madison est le quatrième président des Etats-Unis, il était auparavant ministre des affaires étrangères sous Thomas Jefferson.

1810 : Le 19 avril, Miranda reçoit à son domicile londonien une délégation de la Junte de Caracas conduite par un certain Simon Bolivar, accompagné d'Andrés Bello. Au début il refuse, mais au bout de longs échanges, il se décide à rejoindre Caracas. Il y est accueilli comme un héros, à son arrivée en décembre.

 

Tableau de l'arrivée triomphale de Miranda au port de la Guaira


1811 : Miranda écrit une lettre à la junte de Bogota, où il propose une union entre le Vénézuéla et la Nouvelle Grenade (la Colombie). Il est l’un des pères de la déclaration d’indépendance du Vénézuéla le 5 juillet, il y assiste dans son uniforme de lieutenant Général des armées françaises.

1812 : En mars, Caracas est terrassé par un tremblement de terre, la ville est en grande partie détruite. En avril, il est nommé Général en Chef des troupes de libération du Vénézuéla. Suite à la défaite de Puerto Cabello, il signe une capitulation à San Mateo le 25 juillet devant les armées coloniales, et il va chercher à rejoindre un navire pour l’Angleterre. Il est considéré comme un traître par Simon Bolivar en raison de sa soumission totale devant les troupes espagnoles. Bolivar le fait livrer l’avant-veille de son départ au Général Monteverde.

1813 : Du port de La Guaira, Miranda est transféré au château de San Felipe à Puerto Cabello, où au début de 1813, il écrit un mémoire de sa cellule à l'Audience royale de Caracas exigeant le respect de la capitulation de San Mateo. Le 4 juin 1813, il est transféré au Castillo San Felipe del Morro, situé à Porto-Rico, et de là en Espagne, où il a été enfermé dans une cellule haute et spacieuse de la prison Cuatro Torres de l'arsenal de Carraca, à San Fernando. Il n'y recevra que peu de nouvelles.

1816 : Une dernière évasion en tête, atteint du scorbut, Miranda meurt d'un accident vasculaire cérébrale à la prison de Las Cuatro Torres, en Andalousie, où il mourra un 14 juillet. Ses restes sont mis dans une fosse commune et sans précision de son lieu d’exhumation. La même année, son ami John Turnbull décède. Ses archives et en particulier son Journal ou Diario tombe dans les mains du ministre (ou ambassadeur) anglais présent en Espagne, trop de preuves accusant les opérations contre l'Espagne devenues une alliée, feront que ce document sensible restera pendant 110 ans entre les mains des services secrets britanniques et des affaires étrangères (Foreign Office), et les archives personnelles ne seront restituées au Venezuela qu'en 1926, aprés avoir été averti par la diplomatie française. Son Diario (journal) sera publié de 1929 à 1950 en 23 volumes.


00
Miranda à ses concitoyens
(extraits)



D
iscours, que je me proposais de prononcer, le 29 mars dernier (1793),
le lendemain de mon arrivée à Paris



Note explicative : Suite à la trahison et à la dénonciation  du Général Dumouriez (autorité de tutelle) de Francisco de Miranda, il va s'engager un procès qui en pleine révolution le disculpera. Ceci est extrait d'un texte qu'il rédigera à l'attention de la Convention nationale. Probablement ce texte lui servira de base lors de son intervention en automne 1793 devant la Convention à Paris.


LÉGISLATEURS,

C'est en vertu d'un arrêté de vos commissaires ; daté de Bruxelles, le 21 mars 1793, et qui ne m'a été remis que le 25 du même mois, à dix heures du soir, que je parais à cette barre.

J'avoue que j’ai été étonné de voir un arrêté pris à l'armée dans le moment même où je repoussais les ennemis de la République les armes à la main, couvrant la retraite de l'armée sur la hauteur de Pellemberg (en Belgique). Vos commissaires m’ont traité comme acculé, et envoyé à votre barre sans m'avoir vu ni entendu, et apparemment sur des informations du général en chef (Dumouriez), qui auraient pu déjà leur être suspectes.

Je demanderai à la Convention quelques minutes de son indulgence pour lui exposer très sommairement les motifs qui m'ont attaché à la cause de la République, ainsi que les services que j'ai rendus depuis le temps que je suis à l'armée.

L'amour de la liberté que j'avais servi en Amérique, et la satisfaction que j'ai éprouvé à la voir établir en France, m'amenèrent à Paris au mois d'avril 1792, ayant quitté l'Angleterre, où depuis quelques années j'étais établi. Quelques lettres de recommandation procurèrent la connaissance du maire de cette capìtale. La journée du 10 août m’ayant convaincu que le peuple a toute l’énergie nécessaire pour défendre la liberté, le nouveau ministre de la guerre Servan, m’invita à prendre un emploi dans le militaire, et à coopérer à la défense de la liberté, ce que j’acceptais volontiers par amour des principes, et je pris le rang de maréchal de camp.

Le 7 septembre, je partis pour l'armée qui était aux ordres du général Dumouriez, à Grand-Pré (Région Champagne Ardennes). Le lendemain de mon arrivée, je fus envoyé par ce général faire une reconnaissance sur les ennemis, que je trouvais aux de Mortome et Briknai. J'eus l'avantage de les repousser avec une force de deux mille hommes contre une de six mille, tant infanterie que cavalerie.

Le 14, je suis en reconnaissance sur la Croix-au-Bois, où je découvris le mouvement rétrograde de nos troupes sur Vouziers (Ardennes) et la position avantageuse que les l’ennemis avaient gagné, ce qui provoqua la retraite que nous fîmes dans la même nuit au camp de Grand-Pré (Ardennes), et sauva l'armée pour lors.

J'eu l’honneur de commander le corps de l'armée, ayant conservé ma division entière réunie à Vargemoulin, dans le moment où toute l'armée, par une terreur panique, s'était débandée depuis Courtemont (Région Champagne Ardennes) jusqu'à Châlons (en Champagne).
   
Le 3 octobre je reçus, sans le demander, du pouvoir exécutif, le rang de lieutenant général des armées de la république et je pris le commandement d’une division de l’armée, qui faisait route sur Valencienne pour faire lever le siège de Lille.

Le conseil exécutif ayant désiré alors que je vins à Paris, pour être consulté sur des plans politiques et militaires, relatifs à l’Amérique du Nord, etc., je m’y rendis et je présentais mes observations au comité diplomatique et au conseil exécutif.  Elles furent jugées conformes aux intérêts de la République, et les entreprises projetées furent suspendues

A mon retour à l'armée je reçus un ordre exécutif, pour aller prendre le commandement en chef de l'armée du Nord, qui se trouvait paralysé devant Anvers, sous les ordres du général Labourdonnaie.

A mon arrivée, les ouvrages nécessaires furent construits, et la citadelle prise cinq jours après. La capitulation fut applaudie, et mérita l’approbation nationale.

Une marche rapide depuis Anvers jusqu’à Maaseik (Belgique) et passages de la Meuse, ainsi que la Roer (rivière en Belgique), tous exécutés en six jours par la même armée , nous donna la possession de Ruremonde ((Roermond au Pays-Bas) et de toute la Gueldre Autrichienne, ayant battu un corps de troupes de huit mille hommes, qui étaient postés dans cette ville, et qui nous fîmes repasser le Rhin, de même qu'aux troupes prussiennes Qui pour lors se trouvaient dans le duché de Cléves (Pays Bas), le comté de Meurs et la Gueldre prussienne.

Le Général en chef me rappella à Liège, pour me communiquer un ordre du pouvoir exécutif, qui me proposait le commandement en chef de quelques possessions d'outre mer, que je refusai, croyant le plan hasardé et moins intéressant pour le service de la République. Le général en chef partit dans ce moment pour Paris et je retournai à l'armée du Nord qui m'était particulièrement confiée. A mon arrivée à Tongres, je reçus un autre ordre du pouvoir exécutif, qui me chargeait du commandement des armées dans toute la Belgique , pendant l'absence du Général Doumouriez.

C'est ici que le Général en chef Dumouriez m'envoya de Paris les plans et les ordres pour la préparation du bombardement de Maastricht et pour l’invasion de la Hollande. Il me dit textuellement « que les par les intelligences qu’il avait à Maastricht, il savait que la garnison ne se défendrait pas et que les bourgeois obligeraient le Gouverneur à la troisième bombe de rendre la place, que c’était ni le temps ni la saison de faire un siège régulier et qu’il fallait brusquer cette attaque et non s’astreindre à la prudence et à la méthode ; me prescrivant absolument de marcher le plus vite possible, de jeter des bombes sur cette place, et de me porter sur Nimegue avec un corps de 25 à 30.000 hommes, sans m’arrêter même à Maastricht ; s’il ne se rendait pas tout de suite de confier une opération à l’armée des Ardennes et à celle de la Belgique, laissant le commandement du tout au général Valence, qui avait aussi celui de toute l’armée qui était derrière la Roer. Je fis venir tous les trains d’artillerie de siège des trois armées, sur Maastricht et au lieu de trois bombes, qu’il croyait suffisantes pour prendre la place, j’en fis jeter cinq mille qui l’ayant incendié à différentes reprises, n’obtempérèrent cependant pas la reddition.  (...)

Source - Gallica-Bnf sur Francisco de Miranda



SUR LA SITUATION ACTUELLE DE LA FRANCE,
Et SUR LES REMÈDES CONVENABLES à SES MAUX




Francisco de Miranda, publié en 1795


Préambule

Ce courage qui se montre dans les périls et dans les travaux, est un vice, si la justice ne l'accompagne, si l'intérêt particulier et non le salut de la patrie, est le motif qui le fait agir. Alors bien loin d'être une vertu, c'est une férocité qui repousse tout sentiment humain.

Le premier devoir de tout bon citoyen est de venir au secours de la patrie en danger. Après les terribles secousses occasionnées par l'atroce tyrannie, et par l’anarchie, qui ont ébranlé la France, le seul espoir qui reste à la majorité de la nation et au grand nombre d’amis que la liberté compte parmi ses membres, leurs lumières et leur énergie peuvent la sauver, c’est l'union intime des hommes vertueux et éclaires qui seuls par leurs lumières et leur énergie peuvent la sauver.

Puisse la magnanimité de ceux qui comme moi ont été victimes du terrorisme, oublier ces outrages, et sacrifiant leurs ressentiments individuels à l'intérêt général, la liberté si dangereusement menacée.

LA PAIX ET UN GOUVERNEMENT - TEL EST L’OBJET DE TOUS LES VOEUX

« Les Lois étaient sans force et les droits confondus, Ou plutôt en effet, l'Etat, n'existait plus. »

I - LE GOUVERNEMENT

Jamais un pareil concours de volonté n'a exprimé si fortement le besoin d'un peuple entier. Les événements malheureux de la révolution ont du moins produit ce bien ; que l'intérêt public étant devenu le plus pressant intérêt de chaque membre du corps social, désormais aucun ne lui est étranger. Les personnes, les propriétés, ont été si constamment et si fort en butte aux violences publiques et privées, que les égoïsmes les plus froids sentent vivement le besoin d'une autorité protectrice et d'une organisation de différents pouvoirs qui la composeront, telle que, les citoyens n'aient plus à craindre de l'arbitraire dans leur exercice.

Au fond, demander la paix, c'est vouloir un gouvernement, et réciproquement. Les puissances étrangères n'auront aucune confiance dans nos traités, tandis qu'une faction se substituant à l'autre, pourra annuler tout ce qu'elle aura fait. Ce n'est que par une sage division des pouvoirs qu'on parvient à donner de la stabilité à un gouvernement. Toutes les autorités constituées deviennent alors gardiennes les unes des autres, car elles sont toutes intéressées au maintien de la constitution en vertu de laquelle elles existent ; c'est pourquoi elles se liguent toutes contre quiconque voudrait attaquer l'une d'elles. Que si au contraire tous les pouvoirs sont concentrés en un seul corps, une portion de ce corps s’arrogera toujours l'autorité de la masse entière, et il suffira à une faction de diriger ses batteries contre cette portion souveraine de fait, pour opérer une révolution. Le 31 mai et le 9 thermidor (27 juillet 1794) ont laissé subsister la même Convention nationale, et cependant tous les deux ont changé la face de l'Etat. - C'est que tous deux ont fait changer de main la puissance.

La tyrannie affreuse de Robespierre et de l'ancien comité de Salut Public n'est due qu'à cette fatale confusion  des pouvoirs ; et l'on peut remarquer que la déflagration du brigandage et de l'assassinat, date de l'époque où la Convention, en transportant toute sa force au comité de Salut Public, fit entièrement évanouir le fantôme du pouvoir exécutif, qui quoi-qu'asservi et dépendant des caprices du législateur, lui opposait encore une faible barrière. On s'empara bientôt du pouvoir judiciaire que l'assemblée avait déjà usurpé dans une grave circonstance. La Convention influencée par le Comité, dictait les jugements, ou les rendait elle-même, et l'ombre de liberté civile et politique disparut alors de cette terre infortunée.

Six ans de révolution nous dispensent de chercher dans l'histoire des peuples, les maux produits par la confusion des pouvoirs ; nous avons dépassé la mesure de tous les crimes et de tous les malheurs que les annales du monde nous aient transmis,et cela précisément parce que la Convention s'est arrogée une plénitude de puissance plus grande que celle dont aucun tyran ait jamais joui. Ils avaient tous été arrêtés par des usages, par les lois ou par la croyance du peuple qu’ils asservissaient. La Convention au contraire voulait tout changer, tout révolutionner, n'a rien respecté, n'a été arrêtée par aucune digue, ni retardée par aucun obstacle. Ce qui ne pliait pas, elle et ce qui s'élevait contre elle, elle le foudroyait.

La révolution heureuse du 9 Thermidor vint dissiper le chaos ; mais lorsque la lumière du jour éclaira tous les yeux, on s’aperçut avec effroi de l'étendue des maux et de l'insuffisance des remèdes. Les ports de la société étaient déplacés, ses liens relâchés, la sûreté personnelle n'avait plus de garantie, ni la propriété de base solide. Les sources des richesses nationales étaient taries, ses canaux obstrués, détournés ou rompus. L'Etat prenait tout d'une main et dissipait tout de l'autre. Tels sont les effets de la tyrannie, tel est le résultat de la confusion des pouvoirs.

Pour revenir aux principes dont on s'est si horriblement écarté , il convient donc de suivre une marche inverse ; et puisque la tyrannie s'est arrogée tous les pouvoirs, il faut que la liberté les divise scrupuleusement  et rende désormais impossible cette monstrueuse confusion. Voilà le premier pas à faire pour le rétablissement de l'ordre. Deux conditions sont essentielles pour l'indépendance absolue des pouvoirs. La première, que la source dont ils émanent soit une ; la seconde qu'ils exercent tous les uns sur les autres une surveillance réciproque.

Le peuple ne serait pas souverain, si l'un des pouvoirs constitués qui le représentent, n’émanait pas immédiatement de lui ; et il n'y aurait pas d'indépendance, si l'un d'eux était le créateur de l'autre. Donnez au corps législatif, par exemple le droit de nommer les membres du pouvoir exécutif ; il exercera sur eux une influence funeste, et la liberté politique n'existera plus. S'il nommait les juges, il influencerait les jugements et il n'y aurait point de liberté civile. C'est ainsi qu'en Angleterre, où le pouvoir exécutif exerce une influence marquée sur le législatif, la liberté politique est considérablement diminuée. Le pouvoir judiciaire quoi qu'élu par l’exécutif, est à l'abri de sa fatale influence, - parce que le peuple compose le jury et que les juges sont inamovibles ; aussi la liberté civile n’a-t-elle encore reçu presqu'aucune atteinte.

Le pouvoir exécutif seul a des agents pour exercer les fonctions qui lui sont confiées ; par conséquent ils doivent être à sa nomination. Celles des deux pouvoirs n'étant pas de nature à être déléguées, il est de leur essence de n'avoir la nomination d'aucune place. Il serait absurde de prétendre que l'assemblée législative doit nommer les commissaires de la trésorerie puisque la gestion des deniers de l'Etat, étant une fonction purement administrative, elle appartient de droit au pouvoir exécuteur, ou à des agents nommés par lui et sous sa plus stricte responsabilité.

Depuis plus d'un siècle, l’Angleterre confie sans aucun inconvénient au pouvoir exécutif le droit d'administrer les deniers provenant des contributions publiques ; et malgré que la couronne ait souvent abusé de sa liste civile pour se faire des créatures dans le parlement, cependant les fonds de l'Etat n'ont jamais été mal administrés. C'est encore le pouvoir exécutif que les Américains ont chargé de cette fonction, Hamilton, nommé par le président des Etats-Unis, s’est  trouvé un ministre non moins intègre qu'un habile administrateur. Ses opérations et ses talents ont tellement rétabli le crédit public, que le papier-monnaie Américain déprécié à l'époque de la paix au point de ne valoir que dix pour cent, vaut depuis la constitution actuelle jusqu'à cent vingt-sept pour cent ; phénomène qui surprend tous ceux qui s'arrêtent toujours aux effets sans considérer les causes. Surplus, un troisième pouvoir ne ferait qu'entraver inutilement la machine.

Les pouvoirs doivent se surveiller et se contenir réciproquement. Il ne faut pas attribuer cette surveillance à l’un d’eux, exclusivement aux deux autres, puisqu’ils sont tous nommés par le souverain. La confiance que celui-ci a placée en tous étant égale ; pourquoi supposerait-on qu'un seul est infaillible et incorruptible, et les deux autres, sujets à l'erreur et à la corruption? Tel est cependant le système de ceux qui font du corps législatif le surveillant né de l'exécutif, et qui ne donnent à celui-ci aucun droit d'inspection sur le législatif. On oublie ainsi que les trois pouvoirs sont comme des sentinelles avancées pour veiller à la sûreté de l'Etat, et que si l'une d'elles s'écarte de ses fonctions, le devoir des deux autres est de donner l'éveil, pour que le peuple averti pourvoie à son salut. Il n'est pas vraisemblable que trois pouvoirs indépendants et jaloux, se réunissent jamais pour trahir les intérêts du souverain ; et c'est sur cette probabilité morale qu'est fondée la sécurité du citoyen à l'égard de la liberté civile et politique.

Sans doute un législateur est inviolable pour ses opinions! Il n'y aurait point de liberté chez une nation, où un membre de la législature pourrait être recherché pour ce qu'il aurait dit ou écrit, dans l'exercice de ses fonctions. Mais s'ensuit-il delà que le pouvoir exécutif ne devrait pas dénoncer au peuple entier les entreprises du corps législatif qui voudrait empiéter sur les fonctions et compromettre par-là la liberté politique. Je ne le crois pas, et il est difficile de défendre cette étrange théorie.

La force du pouvoir exécutif doit être en raison directe composée de la libéré du peuple et du nombre des citoyens. Tous les politiques se sont accordés à dire, que plus une nation est nombreuse et plus le pouvoir chargé de l'exécution des lois, doit être fort ; mais ils n'ont pas vu la nécessité de lui donner plus de vigueur, à mesure que les citoyens jouissaient d'une plus grande latitude dans l'exercice de leur liberté. Il est cependant une vérité évidente par elle-même ; savoir ; que l'activité des hommes s'accroît en raison de leur liberté civile, et qu'il faut par conséquent une plus grande somme de forces répressives pour empêcher leurs écarts. Chez les peuples libres, le citoyen agit énergiquement par lui-même ; il peut faire tout ce qui ne viole pas le droit d'autrui ; c'est pourquoi il faut une grande force de répression, pour qu'il n'outrepasse jamais cette barrière.

La France voulant être la plus libre et la plus nombreuse des Républiques qui aient encore existé, il faut lui donner le plus vigoureux et le plus ferme des gouvernements, si on ne veut pas qu'il soit sur le champ culbuté par l'action destructrice que le peuple exercera continuellement sur lui.

Il résulte de cette vérité que le pouvoir exécutif de la République Française ne saurait être composé d'un grand nombre de membres; car, comme l'a remarqué Rousseau : «La force d’un gouvernement quelconque est en raison inverse du nombre des gouvernants.».

Pour répondre à ceux qui croient à la nécessité indispensable de talents extraordinaires dans les personnes chargées de cette fonction importante , nous observerons ici que ce n'est pas tant le génie et les talents éminents que l’on doit regarder comme les qualités les plus essentielles aux membres du pouvoir exécuteur, que la sagesse et la justice. Le président des Etats-Unis d'Amérique, que je connais personnellement, n'a pas obtenu la confiance de ses concitoyens par des qualités brillantes qu'il n'a pas, mais par la justesse de son esprit et la droiture de ses intentions. C'est cette justesse qui lui a dicté le choix des coopérateurs les plus habiles et les plus éclairés qui ont si efficacement servi à consolider la liberté et le bonheur de son pays.

Un ou deux hommes de bien à la tête du pouvoir exécutif qui désiraient ardemment le bonheur de la nation et qui s'entouraient de six ministres qui eussent en partage les talents et le génie, auraient tout ce qu'il faut pour exercer leurs fonctions et pour coopérer efficacement à l'établissement solide de la liberté et du bonheur du peuple Français.

Il ne faudrait pas non plus qu'une seule branche de la représentation, eût exclusivement l'initiative dans les lois, et que l'autre en fut privée. Si on voulait absolument adopter un tel système, ce serait plutôt au sénat ou conseil des anciens, qu'on devrait accorder cette prérogative, comme à un corps plus mûri par l'expérience des affaires et l'instruction, que la chambre ou conseil des cinq ans, à qui l'on ne suppose pas toutes ces qualités. A Athènes le sénat seul proposait les lois, et l'assemblée du peuple les adoptait ou les rejetait.

En Amérique, le Sénat jouit des mêmes droits que la chambre des représentants qui, à l'imitation des communes d'Angleterre, a le droit exclusif de proposer seulement les money-bills, ou lois sur les contributions. Encore cette exception excellente dans un gouvernement, tel que celui de l'Angleterre, paraît superflue comme dans une République démocratique comme les Etats-Unis, où l'on n'a pas à craindre les surcharges qui pourrait-être imposées au peuple par un corps aristocratique. Ainsi il me paraît beaucoup plus conforme aux principes de la démocratie que ces deux chambres représentent, et à l'utilité qui doit en résulter dans la confection générale des lois, qu'elles aient le droit réciproque de les proposer ou de les sanctionner mutuellement. (1)


II - LA PAIX

La confiance que les puissances auront dans notre nouveau gouvernement, sera le plus sur moyen d'ouvrir des conférences, qui donnent enfin la paix à l'Europe, et la tranquillité à l'Etat. Mais il faut s'empresser de proclamer hautement les principes de modération et de justice, qui guideront désormais la nation française devenue libre. La justice affermit les Etats ; il se forme naturellement une ligue contre les peuples usurpateurs, comme les citoyens d'un même pays se liguent contre celui qui veut leur ravir leurs droits. La gloire des conquêtes n'est pas digne d'une République fondée sur le respect dû aux droits de l'homme, et aux sublimes maximes de la philosophie. Les César, les Alexandre et leurs semblables y seraient des citoyens dangereux ; le philosophe paisible, le magistrat intègre, sont des hommes bien plus nécessaires pour elle, car ils la servent dans tous les temps.

L'étendue de la France lui offre des moyens plus que suffisant pour défendre sa liberté et son indépendance. De nouvelles acquisitions ne feraient qu'augmenter les embarras du gouvernement, déjà très compliqué, dans un pays aussi vaste et qui veut une forme démocratique de gouvernement (2). Elles exciteraient, contre elle, sans aucun profit, la jalousie de tous ses voisins.

Désavouer formellement toutes les prétentions exagérées que le Décemvirat présentait comme le voeu national ; déclarer que la France se refermera dans ses anciennes limites, en y ajoutant quelques places de guerre qui rendront notre frontière sûre et à l'abri de toute insulte. Telles doivent être les premières opérations diplomatiques du nouveau gouvernement de la République Française ; et comme sa maxime est de ne pas permettre qu'aucune puissance s'immisce dans son régime intérieur, elle aura pour principe aussi de ne se pas mêler de celui des autres peuples.

Luxembourg, Mons, Tournay, Nieuport, Kaisers-Lantern, Germesheim, et quelques autres places situées sur cette ligne de défense, rendront notre frontière bien autrement défendable, que si nous l’étendions jusqu'aux rives du Rhin. Les Alpes, les Pyrénées et les mers doivent être ailleurs les limites de la France, toujours en prenant dans les montagnes le pendant des eaux, pour ligne de démarcation (3), tous les peuples qui seront entre nos frontières et jusqu'aux bords du Rhin, doivent être déclarés libres et indépendants, amis et alliés du peuple Français. Ils formeront, pour ainsi dire, une double enceinte inaccessible aux attaques imprévues de nos ennemis ; et leur indépendance étant garantie par la France, ainsi que par toutes les autres puissances belligérantes, leur tranquillité sera assurée. Alors sous la protection de la France, bientôt la liberté (comme jadis en Hollande) produira un changement étonnant dans le bonheur et la prospérité de ces peuples simples et industrieux.

On stipulera aussi une indemnité équitable en faveur des souverains qui ont des possessions en deça, du Rhin et qui seront indemnisés par les trois Electorats de Mayence, de Cologne et de Trêves, qui leur céderont en échange le territoire appartenant de fait à eux sur la rive droite du Rhin. Ces trois Electorats supprimés ne feront plus partie du collège de l'Empire.

- Mais comme il n'est pas juste qu'aucun individu soit lésé dans la jouissance de ses droits, autant que cela soit compatible avec l'intérêt général, on accordera aux trois Electeurs un revenu suffisant pour vivre avec aisance et dignité le reste de leurs jours.   

La navigation libre des fleuves, étant un droit imprescriptible que la nature donne aux habitants des pays qu'ils arrosent, celle de la Lis, de la Sambre, de la Meuse, de l'Escaut, de la Moselle et du Rhin, sera commune à la France et à tous les auront des possessions le long de ces fleuves. Ils pourront naviguer librement jusqu'à l'embouchure de l'Océan.

- Mais comme l’ouverture de l'Escaut doit rendre à Anvers son ancienne splendeur, et attirer à elle le commerce et les richesses d'Amsterdam et d'autres villes Hollandaises ; la nation Française qui ne veut pas nuire aux intérêts de ses alliés ferait bien de céder aux Bataves une partie du Marquisat d'Anvers en échange de la partie Hollandaise de la Flandre maritime, que les traités ont déjà réuni à la Belgique. Cet échange conciliera les intérêts des deux peuplé! à qui il est également avantageux.

Pour ce qui regarde nos colonies la France ne pourrait pas se passer, de leurs produits sur lesquels sont fondées absolument ses manufactures et son commerce, nous offrirons quelques-unes de nos îles moins importantes pour, la partie espagnole de Saint-Domingue et pour celle de, Puerto-Rico, qui nous seront cédées en échange des places fortes et du territoire que nous possédons actuellement en Espagne. Par cette seule disposition, on pourrait dédommager nos malheureux colons des pertes innombrables que la tyrannie leur a fait essuyer. La cession de ces deux possessions doit être d'autant moins coûteuse à l'Espagne qu'elle ne tire aucun profit de et qu'au contraire l'entretien des garnisons et autres dépenses coûtent considérablement à ces deux îles, par le manque de commerce ou de toute autre industrie. On donnerait par-là des possessions à ceux de nos frères que l'égarement d'un moment, ou la crainte d'une atroce persécution a fait quitter leur pays, et qui n'ayant jamais porté les armes contre leur patrie, expient, par de longs malheurs, une erreur momentanée. On éviterait par cette conduite les funestes effets que Louis XIV, par la révocation de l'édit de Nantes, fit éprouver à la France entière, en forçant d'émigrer a l'étranger une foule d'hommes industrieux, dont le travail enrichissait leur pays natal, qui se ressent encore de leur perte. Une paix fondée sur de telles bases, réparait en quelque sorte les torts que les Français ont commis envers l'humanité. Elle anéantirait les funestes effets du fameux traité de Westphalie et donnerait à la partie protestante de l'Allemagne l'influence qu'elle aurait dû toujours avoir par son instruction, sa philosophie et son attachement aux vrais principes de liberté. Enfin le résultat de cette guerre serait aussi profitable  au genre humain que celui de toutes les autres lui a été fatal.

Le sort actuel de la Pologne ne doit, pas être un objet indifférent pour la France, son existence politique tient plus à ses intérêts qu'on ne le croit communément. - D'ailleurs elle s'est courageusement battue pour la noble cause de la liberté, animée par la France, elle entreprit, en même tems dans le Nord, une diversion en sa faveur. L'alliance que la Russie, l'Autriche et l'Angleterre viennent de contracter, ainsi que la conduite de la Prusse à l'égard de la malheureuse Pologne, annonçant des desseins profonds et bien dangereux pour la France ; il serait très important de les examiner attentivement et de les prévenir à temps.

Combien la France se rendrait respectable le jour, où se dépouillant de presque toutes ses conquêtes, elle stipulerait pour l'humanité et préparerait les voies à la propagation de la saine liberté. Français, ce beau sort vous est encore réservé ; remplissez vos hautes destinées ; la postérité pèsera un jour les forfaits dont on vous a rendus coupables, et le bien que cette paix produira aux hommes, elle vous absoudra de vos crimes, en faveur de vos bienfaits.

Les puissances intéressées à ce grand changement formeraient un congrès pour la ratification et l'arrangement de ces grands intérêts qui devant lier la plus grande partie du monde, serviront de base pour ainsi dire à son bonheur, futur. Là vous jouiriez par votre sagesse, votre modération et votre justice d'une plus haute considération que celle que vos exploits guerriers et la fortune précaire des armes vous ont acquise. Après avoir étonné l'Europe entière par votre courage. Vous la captiverez par votre équité, et vous prouverez aux peuples que vous n'avez combattu que pour la défense de votre liberté, puisque dès qu'elle n'est plus en danger, vous déposez généreusement les armes sans demander même de plus grands dédommagements, que vous paraîtriez être en droit d'exiger de la part de ceux qui vous ont attaqués avec tant d'injustice, sans avoir eu dans l’origine des motifs de plainte à alléguer contre vous.


III - LES FINANCES

Un des maux les plus affreux qui affligent aujourd’hui la nation Française est le discrédit énorme de son papier-monnaie. Tous les systèmes qu'on pourrait imaginer pour rapprocher la valeur nominale de ce papier, de sa valeur réelle, seront illusoires, tant qu'un gouvernement stable n'aura pas été définitivement établi. On aurait beau faire la paix avec toutes les puissances de l'Europe, le papier national n'aurait pas sa valeur, si on ne donnait pas assez de solidité au gouvernement. Nous, nous trouvons dans une situation à plusieurs égards, à celle où étaient les Etats-Unis d’Amérique à la fin de leur révolution.

Le papier du congrès était alors dans le même discrédit que le nôtre ; et ce ne fut pas certainement le traité de paix et d'indépendance qui lui donna sa valeur, mais la constitution définitive qui assura à ce peuple le plus grand degré de liberté et de bonheur dont aucune nation ait encore joui. Les mêmes causes produiront chez nous infailliblement les mêmes effets ; une constitution sage et fondée sur les principes de la philosophie et de la justice ; un gouvernement à l’abri de l'atteinte des factions, regagnera la confiance et acquerra le crédit qui lui est nécessaire.

Ce n'est pas la nation la plus riche qui inspire une plus grande confiance, mais la plus juste et la plus attachée aux principes. On étale en vain des ressources pompeuses, si l’on ne prouve pas qu'avec la faculté de satisfaire ses créanciers, on a encore la volonté ferme de remplir ponctuellement ses engagements. La mauvaise foi fait plus de tort que l'insolvabilité car un Etat pauvre peut devenir solvable, mais il n'est pas ordinaire qu'un gouvernement injuste devienne observateur de ses promesses.

Le crédit d'un Etat, comme celui d'un particulier, est fondé sur les moyens de faire face à ses moyens, au pouvoir de celui qui contracte, et sur l'opinion qu’on a de lui. Les éléments du crédit sont la solvabilité et la bonne foi. Mais ni l'une ni l’autre, ne peuvent être assurées, tant que l'Etat n’a pas pris une assiette fixe et invariable , c'est-à-dire, tant que le gouvernement n'est pas irrévocablement constitué.

A mesure, qu'il entre moins d'arbitraire dans un gouvernement, la confiance de la part de ceux qui contractent avec lui, est plus entière, parce qu'on sait qu'il est dans l'impuissance de vouloir manquer à ses promesses. C’est ce qui a rendu le papier-monnaie de l'Amérique Septentrionale, préférable à celui de tous les autres pays ; et c'est aussi ce qui établit le crédit, celui de l'Angleterre.

Sans entré dans les détails compliqués du plan présenté par Hamilton au gouvernement Américain , et perfectionné par les amendements qu'y ajouta le congrès, je vais exposer sommairement les bases de cette excellente opération.   

Hamilton commence par déclarer que la foi de la nation s'engage à payer cette dette, et que la justice exige qu'elle remplisse fidèlement ses engagements ; il donne après un état de la somme totale du capital de la dette consolidée, qu'il porte sur le grand livre de la trésorerie des Etats-Unis. Il proposa en même temps aux créanciers l'échange de la valeur numérique de leur papier dans les termes les plus avantageux pour eux, c'est-à-dire, que la plus grande partie la dette pour un intérêt de six pour cent par an, et le reste un intérêt, moindre ; de sorte que le taux moyen fut de quatre et demi pour cent par an.

- En même temps il fit valoir que les revenus de l'Etat n’excédait pas cet intérêt promis, et il tranquillisa ainsi les financiers sur leur paiement. Ils eurent encore la possibilité d’échanger leurs capitaux contre le crédit porté sur le grand livre de l'Etat, selon la valeur fixée antérieurement par les lois des Etats, ou de les garder pour être payés selon les engagements précédents, aussitôt que l'Etat qui n'avait pas encore les sommes suffisantes pour effectuer sur le champ ces paiements pourrait le faire. Il est bien remarquable que du moment où l'on fut persuadé que la nation avait des moyens pour payer ponctuellement et assurer à chaque créancier un si haut intérêt, il n'y eût presque personne qui n'acceptât l’échange : et tout à coup comme par enchantement, ces mêmes dettes qui étaient réduites, comme nous l’avons dit ci-dessus, à dix pour cent, montèrent en quelques semaines après, à vingt-sept pour cent, ce qui prouve démonstrativement que la bonne foi et la sagesse dans l'administration d'un Etat, sont des garants les plus surs du crédit public, que ses richesses et sa grandeur. (4)

Le retour de la paix, l’établissement d'un gouvernement libre et vigoureux, et du crédit public. Rouvrirons les sources du bonheur de notre pays ; et la France bénira les hommes qui, après tant de crimes et de malheurs, auront trouvé la solution de ce problème difficile : allier la liberté d’un peuple avec le calme et la tranquillité.

Puissent ces courtes réflexions appeler l'attention des hommes instruits, sur ces importantes matières ; afin, qu'approfondissant mieux ces principes, et développant leurs idées sur la constitution convenable à la France, ils parviennent à procurer la paix et la tranquillité dont elle a besoin pour consolider sa liberté et établir ainsi le bonheur futur d'une nation immense qui, par ses connaissances, par son goût et son industrie, à toujours une influence sur tous les autres peuples, et doit par conséquent influer sur le bonheur du genre humain.

F. MIRANDA, à Paris, 1795,
an troisième de la République française.


Notes :

(1) On est surpris en parcourant te titre de l'Etat des citoyens dans le projet d'acte constitutionnel,de ce que le service dans les armées de terre ou de mer de la République ne suffise pas pour donner à un étranger le droit de cite, tandis que tout homme qui aura vécu sept ans sur le sol Français, devient citoyen, sans qu'on exige de lui aucun service. Cependant si l'on    peut donner une preuve éclatante et irrécusable d'attachement à la cause de la liberté, c'est bien celle de prendre spontanément les armes pour sa défense ; et c'est ce que fait l'étranger qui se bat pour ta République. Si un national qui a servi dans les armées est dispensé de toutes les autres qualités requises pour avoir celle de citoyen Français , à combien plus forte raison cette disposition doit-elle s'appliquer à celui qui se dévoue volontairement â un service auquel le natif du pays est tenu par L'Angleterre, de tous les pays libres le plus avare à accorder la naturalisation, la donne cependant à tout étranger qui sert pendant trois ans dans les escadres de mer, ou pendant deux ans seulement dans les troupes de ses colonies,et cela même en temps de paix. Les lois refusent ce droit à tout autre titre, à moins qu'où n'obtienne un bill spécial de naturalisation. (note tirée du Digest.Angl.vol.ll, page 239 et 240.Lord.1791).

(2) La véritable gloire d'un peuple libre, consiste dans son bonheur et sa sûreté, et non pas dans la vaine gloire des conquêtes.

- Voici ce que Rousseau dit à ce sujet :

« Grandeur des nations! étendue des Etats! première et principale source des malheurs du genre humain et surtout des calamités sans nombre qui minent et détruisent les peuples policés. Presque tous les petits Etats, Républiques et Monarchies indifféremment, prospèrent par, cela seul qu'ils sont petits, que tous les citoyens s'y connaissent mutuellement et s'entre-gardent, les chefs peuvent voir par eux-mêmes le mal qui se fait, le bien qu'ils ont à faire, et que leurs ordres s'exécutent sous leurs yeux. Tous les grands peuples écrasés par leurs propres masses, gémissent, ou comme vous, dans l'anarchie, ou sous les oppresseurs subalternes qu'une gradation nécessaire force de leur donner. Il n'y a que Dieu qui puisse gouverner le monde, et il faudrait des facultés plus qu'humaines pour gouverner de grandes nations. »

(3) Ceux qui voudront se convaincre mathématiquement de la force, de l'excellence et de la bonté militairement parlant des frontières de la France, telles que je viens de les indiquer, pourront consulter Loyd dans son troisième volume, partie cinquième, London 1781.

(4) Ceux qui voudront voir plus en détail ce que nous venons de dire, pourront consulter le plan publié par le Congrès, l’année 1787.   

Source : Gallica-Bnf



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John Adams, 2ème président des Etats-Unis


    et Miranda
John Adams, deuxième Président des Etats-Unis, co-rédacteur de la Déclaration d’Indépendance de ce pays et, en général, une des principales figures de la révolte indépendantiste américaine, écrivit vers la fin de sa vie des nombreuses descriptions des personnalités politiques de son temps.

En 1815, plus de 30 ans après l'arrivée de Miranda aux Etats-Unis, il écrivit cette narration de la visite.  Même s'il n’est pas tout à fait exact du point de vue chronologique (Adams situe l’arrivée de Miranda à Philadelphie lors de la guerre d’indépendance et lui donne le grade de Général, qu’il n’avait pas à l’époque), ce texte est très intéressant du point de vue de l’impression laissée par Miranda chez ceux qui l’ont côtoyé pendant son séjour états-unien :

« Le Général Miranda vint aux Etats-Unis pendant notre guerre révolutionnaire.  Il traversa, sinon tous nos états, au moins un grand nombre d’entre eux – on le présenta au Général Washington, à ses aides, ses secrétaires et tous les gentilshommes de sa famille ; aux autres officiers généraux et leurs familles, et à des nombreux colonels. »

« Il acquit la réputation d’être un humaniste, un homme au savoir universel, un grand général ayant la maîtrise de toutes les sciences militaires, rempli de sagacité ; un esprit s’intéressant à tout avec une insatiable curiosité.  De l’avis de tous il avait une meilleure connaissance des familles, des groupes et des alliances aux Etats-Unis que n’importe lequel de ceux qui y vivaient; il en savait plus sur tous les sièges, campagnes, batailles et escarmouches ayant pu se produire pendant toute la guerre que n’importe lequel de nos officiers ou n’importe quel homme d’Etat de nos Assemblées.  Son sujet de conversation permanent était l’indépendance de l’Amérique du Sud, son immense richesse, ses ressources inépuisables, son innombrable population, son impatience sous le joug de l’Espagne, et sa disposition à rejeter cette domination espagnole.»

« Il est très certain que maints jeunes officiers eurent, par lui, la tête remplie d’éclatantes visions de richesse, de libre échange et de gouvernement républicain, etc., etc., en Amérique du Sud.  Hamilton était un de ses amis les plus intimes et de ses admirateurs les plus proches. Je pense que le colonel Smith en était un autre, comme aussi le Général Knox.  Je n’ai pas rencontré Miranda en ce moment-là et ne l’ai pas encore rencontré, mais c’est ce qu’universellement on disait de lui parmi les Américains que j’ai rencontrés en France, en Hollande et en Angleterre, sans exception aucune. »
Extrait de The Works of John Adams, Boston, 1850-1856, pp. 134-135, cité et traduit par Carmen Bohórquez-Morán dans Francisco de Miranda, Précurseur des indépendances de l’Amérique latine, Editions L’Harmattan, Paris, 1998, p. 90.


Texte en vue d'un accord entre la Grande-Bretagne
et la Junte indépendantiste hispano-américaine

*
L'ACTE de PARIS, 1797


           
Nous, D. Joseph del Pozo y Sucre, et D. Manuel Joseph de Salas, commissaires de la junte des députés des villes et provinces de l'Amérique Méridionale, réunie le huit octobre, mille sept cent quatre-vingt-dix-sept, dans la ville de Madrid en Espagne, pour préparer par les mesures les plus efficaces, l'Indépendance des Colonies Hispano Américaines, envoyés en France auprès de nos compatriotes Don Francisco de Miranda, Ancien Général d'armée et notre principal agent, et Don Pablo de Olavide, Ancien Assistant de Séville, tous deux également nommés commissaires par la dite junte, non seulement à l'effet de délibérer ensemble sur l'etat des négociations antérieures, faites avec l’Angleterre en différentes époques en faveur de notre indépendance absolue, et principalement sur l’état de celles entamées à Londres depuis mille sept cent quatre-vingt-dix, avec le Ministère Anglais, en vertu des conférences de Hollywood, lesquelles ont réunies les suffrages des Provinces qui en ont eu connaissance, mais encore de donner suite aux dites négociations, en ouvrant la voie à une stipulation solennelle, qui puisse amener ce résultat conformément a l’intérêt et si la volonté des peuples qui, opprimés par le joug Espagnol, habitent le Continent Américain du Sud:

Nous D. Joseph del Pozo y Sucre, D. Manuel Joseph do Salas, et D. Francisco de Miranda, nous nous sommes réunis à Paris le deux Décembre, mille sept cent quatre-vingt-dix-sept, et après une vérification préalable de nos pouvoirs respectifs, avons procédé à ce qui suit.

Considérant que Don Pablo de Olavide ne s'est pas rendu à P. que nous lui avons envoyée à son domicile près d'Orléans;

Considérant encore, qu'un laps de temps assez long s'est écoulé sans avoir reçu de réponse à cette invitation;

Considérant d'ailleurs, vue l'état précaire de sa santé, joint à l’existence du régime révolutionnaire en France le mettent probablement dans l’impossibilité de prendre une part active à nos délibérations;

Considérant enfin que les circonstances actuelles sont tellement pressantes qu'elles ne comportent plus le moindre délai : Nous soussignés, Commissaires, avons jugé nécessaire pour l'intérêt de notre patrie, de passer outre, et sommes solennellement convenus des articles suivants :

1. Les Colonies Hispano Américaines ayant unanimement résolu de proclamer leur indépendance et d'asseoir leur liberté sur des bases inébranlables, s'adresseront avec confiance à la Grande-Bretagne avec l'invitation de les soutenir dans une entreprise aussi juste qu'honorable. En effet, si dans un état de paix et sans une provocation préalable, la France et l'Espagne ont favorisé et proclamé l'indépendance des Anglo-américains, dont l'oppression, à coup sur n'était pas aussi honteuse que l’est celle des Colonies Espagnoles, l'Angleterre ne balancera pas à secourir l'independance des Colonies de l’Amérique Méridionale, aujourd'hui quelle est engagée dans une guerre des plus violentes de la part de l'Espagne et de la France, laquelle tout en reconnaissant la souveraineté et la liberté des peuples, ne rougit pas de se consacrer par l’article du traité d'alliance offensive et défensive avec l'Espagne, de l’esclavage de près de quatorze millions d'habitants et de leur postérité ; et cela avec un esprit d'exclusion d'autant plus odieux, qu'elle affecte de proclamer à l’égard de tous les autres peuples de la terre, le droit incontestable de se donner telle forme de gouvernement que bon leur semblerait.

2. Un traite d'alliance tel que celui que S. M. T. C. offrit aux Etats Unis de d’Amérique doit servir de modèle pour cimenter cette importante transaction, avec la différence cependant, qu'on y stipulera en faveur de l’Angleterre des conditions plus avantageuses, plus justes, et plus honorables encore. D'une part, la Grande Bretagne s'engagerait à fournir à l’Amérique Méridionale une force maritime et une force terrestre, à effet de favoriser l’établissement de son indépendance sans l’exposer à de fortes convulsions politiques. De l'autre, l’Amérique s'obligerait à payer à son alliée, l'Angleterre, une somme considérable en numéraire, non seulement pour l'indemniser des dépenses qu'elle aurait faites à l’occasion des secours prêtés jusqu’à la conclusion de la guerre, mais encore pour lui servir à liquider aussi une partie considérable de sa dette nationale. Pour acquitter en quelque sorte le bienfait réel par l'établissement de la liberté, l'Amerique Méridionale lui accorderait dans cet instant la somme de x. millions de livres sterling.

3. Les forces maritimes demandées à l'Angleterre n'excéderont pas vingt vaisseaux de ligne. À l’égard des troupes de terre, huit mille hommes d'infanterie et deux mille de cavalerie suffiraient. Dans l'alliance défensive, qu'on établirait par la suite, on y stipulerait que, des secours maritimes, des troupes de terre n'étant point nécessaires, dans cette hypothèse, l'Amerique payerait son contingent par une somme en numéraire qui représenterait l'équivalent.

4. Une alliance défensive formée entre l'Angleterre, les Etats-Unis d'Amérique et l'Amérique Méridionale, est tellement commandée par la nature des choses, par la situation géographique de chacun des trois pays, par les produits, l’industrie, par les besoins, les moeurs, et le caractère de ces trois nations, qu'il est impossible que cette alliance ne soit pas de longue durée, surtout si on prend besoin de la consolider par l'analogie dans la forme politique des trois gouvernements; c'est-à-dire, par la jouissance d'une liberté civile, sagement entendue, sagement organisée; on pourrait même dire avec confiance, que c’est le seul espoir qui reste;  la liberté, audacieusement outragée par les maximes détestables avouées par la République franchisé; c'est le seul moyen encore de former une balance de pouvoir capable de contenir l'ambition destructive et dévastatrice du système français.

5. Il sera établi avec l'Angleterre un traité de Commerce dans les termes les plus avantageux à la nation britannique; en écartant cependant toute idée de monopole, ce traité lui garantira, naturellement et d'une manière certaine, la consommation de la plus grande partie de ses manufactures; car il existe une population de près de quatorze millions d'habitants qui s'habillent de manufactures étrangères et qui consomment une infinité d'articles de luxe Européen. Le commerce d'Angleterre tirerait encore des avantages considérables des fruits précieux et des produits immenses de l'Amerique Méridionale, en répandant ces denrées, par le moyen de ses capitaux et de ses établissements, sur les autres parties du monde. Les bases de ce traité seraient telles, que l'entrée d'aucune denrée manufacturée ne serait prohibée.

6. Le passage ou navigation de l'Isthme de Panama doit être rendu praticable, ainsi que la navigation du lac de Nicaragua, qui sera de même et tout de suite ouverte pour la communication prompte et facile de la mer du Sud avec l'ocean Atlantique, étant encore pour l'Angleterre des objets du plus haut intérêt, l'Amérique Méridionale lui garantirait pour un certain nombre d'années la navigation de l'un et de l'autre passage a des conditions qui, pour être plus favorables, ne seraient cependant point exclusives.

7. Dans les circonstances actuelles on n'établira pas de traite de commerce avec les alliés de l'Amérique Méridionale, attendu que, les droits d'importation et d'exportation devant être établis pour l'intérêt commun de tous les peuples composant les Colonies de l'Amerique Méridionale, et notamment les contrées connues sous le nom de Vice Royautés du Mexique, Santa Fé, Lima et Rio de La Plata, Provinces de Caracas, Quito, Chili, etc., il faudra, quand l'impulsion sera donnée à l'Amérique Méridionale, attendre la réunion des députés de ces différentes contrées en corps représentatif, pour pouvoir, à cet égard, prendre des arrangements définitifs et d'ensemble. Ceux qui existent maintenant continueront a subsister sur le même pied, tant a l’égard des nations, à l'égard de toutes les puissances amies.

8. Les relations intimes d'association que la banque de Londres serait à même de former dans la suite avec celle de Lima et du Mexique, a l'effet de se soutenir mutuellement, ne sentent point un des moindres avantages que l’indépendance et l'alliance de l'Amerique Méridionale offriraient encore à la Grande Bretagne. Par ce moyen, le crédit monétaire de l'Angleterre serait assis sur des bases inébranlables.

9. Les Etats-Unis d'Amérique pourraient être invités à accéder à un trait d'amitié cet d'alliance. On leur garantirait la possession des deux Florides, celle même de la Louisiane, le Mississipi étant à  tous égards la meilleure et la plus solide barrière qu'on puisse établir entre les deux grandes nations qui occupent le continent Américain. En échange, les Etats Unis fourniraient à leurs dépens à l'Amérique Méridionale un corps auxiliaire de cinq mille hommes d'infanterie et de deux mille de cavalerie pendant la guerre qui aurait lieu à l'occasion de son indépendance.

10. Dans le cas de l'Amérique Méridionale serait dans la suite, et après la conclusion de la paix, attaque par un ennemi quelconque, les États-Unis par un article du traité d'alliance défensive à conclure, fournirait le même nombre de troupes de terre stipulé dans l'article précédent. L'équivalent de l’Amérique Méridionale serait représenté par une somme métallique.

11. A l'égard des îles que les Hispano Américains possèdent dans l'archipel Américain, l’Amérique Méridionale ne doit retenir que celle de Cuba, à cause du port de la Havane, dont la possession, en raison de sa situation sur le passage du Golfe du Mexique, est indispensable pour sa sûreté, le dit port étant, pour ainsi dire, la porte par laquelle il faut sortir de ce Golfe. A l'égard des îles de Porto Rico, de la Trinité et de la Marguerite, l'Amerique Méridionale ne trouvant dans leur possession aucun intérêt direct, pourrait coopérer A les voir occupées par ses alliés, l'Angleterre et les Etats Unis d'Amérique, qui en retireraient des avantages des plus considérables.

12. Le passage de l'Isthme de Panama, ainsi que celui du lac de Nicaragua, seraient également garantis pour toutes les marchandises appartenantes aux citoyens des Etats Unis d'Amérique, et l'exportation de tous les produits de l’Amérique Méridionale serait également à encourager sur leurs vaisseaux de transport. Les Américains du Nord devant devenir pour nous ce que les Hollandais ont longtemps été à l’égard des puissances du Nord, c'est-à-dire, nos caboteurs.

13. Les opérations militaires sur notre continent Américain, ainsi que les arrangements et faire à cet égard avec l'Angleterre et les Etats Unis de d'Amérique, à l'occasion d’un secours ces puissances nous accorderaient en qualité d'alliés, pour le soutien de notre indépendance, seront confiés, pendant la durée de cette guerre à l’expérience consommée, aux talents et au patriotisme de notre compatriote et collègue D. Francisco de Miranda, né à Caracas dans la province de Vénézuéla; les services importants que depuis quinze ans, il a rendu à la cause de l’indépendance de notre patrie, lui donnant des titres et des droits incontestables à cette charge. Il recevra à  cet égard des instructions plus détaillées, du moment ou un corps de troupes débarquera sur le Continent Hispano Américain, ou que la milice du pays se trouvera, en tout ou en partie, réunie en armes. Nous, nous bornerons pour le moment à former le désir de voir commencer les opérations militaires par l’isthme de Panama et du côté de Santa Fé, tant à cause de l'importance du poste, qu'en raison de l'humeur des peuples disposés au premier signal a s'armer en faveur de l’indépendance de leur patrie. À cet effet il serait encore à désirer qu'une escadre de huit ou de dix vaisseaux de ligne croise dans la mer du Sud; autrement il serait à craindre que l'Espagne, entretenant dans ces parages des forces maritimes, ne mît obstacle à toutes nos opérations sur la mer du Sud.

14. Don Joseph del Pozo y Sucre et D. Manuel Joseph de Salas partiront sans délai et conformément a leurs instructions pour Madrid, a l'eflet de se rendre auprès de la junte pour rendre compte de leur mission a Paris, et lui remettre un double du présent instrument; la junte n'attendant que le retour de ses deux Commissaires pour se dissoudre aussitôt et se rendre au différents points du Continent Américain, la présence des membres qui le composent est indispensablement nécessaire pour provoquer, lors de l'apparition des secours. Des alliés, une explosion combinée et générale de la part des peuples de l’Amérique Méridionale.

15. Don Francisco de Miranda et D. Pablo de Olavide sont autorisés à nommer un certain nombre d'agents civils et militaires pour les aider dans leur mission. Mais les emplois qu'ils seraient dans le cas d'accorder, ne seront que provisoires et révocables à volonté, jusqu'a l'instant de la formation du corps représentatif continental, qui seul aura le droit de confirmer ou d'annuler ces grades selon qu'il le jugera convenable.

16. D. Francisco de Miranda et D. Pablo de Olavide sont également autorisés et emprunter, au nom des Colonies Hispano Américaines, ci-dessus nommées, les sommes d'argent qu'ils croiront nécessaires pour remplir la commission dont ils sont chargés. Ils accorderont les interêts ordinaires dans de pareils cas, et demeurent responsables de l'emploi des dites sommes, dont ils rendront compte au gouvernement de l'Amerique Méridionale du moment ou ils en seront requis.

17. D. Francisco de Miranda et D. Pablo de Olavide sont encore charges de se procurer en Angleterre dans le plus court délai les objets suivant, à savoir :

A. Un train complet d'artillerie de siège composé au moins de soixante pièces de fer bien conditionnées. Cent autres pièces tant d'artillerie légère de bataillons que d'artillerie de position.
B. L'habillement complet pour vingt mille hommes d'infanterie et pour cinq mille hommes de cavalerie avec les accoutrements nécessaires pour les chevaux.
C. Trente mille épées à la Romaine, pour l'infanterie.
D. Dix mille piques ; la Macédonienne de treize pieds de long.
E. Des tentes en figure conique à la Turque pour le campement de trente mille hommes.
F. Cinquante bons télescopes militaires.

18. Si l’état précaire de sa santé, ou des causes non prévues mettaient D. Pablo de Olavide dans l'impossibilité de se rendre dans le délai de vingt jours à Paris, pour suivre sa mission à Londres, D. Francisco de Miranda s'y rendrait seul. II jouirait dans cette position, de la même autorité que s'il était accompagné et aidé des conseils de son collègue. Dans le cas où des circonstances impérieuses réclameraient l'appui d'un collègue, D Francisco de Miranda est autorisé, s'il le juge convenable pour le bien de la commission dont il est charge, a associer a ses importantes fonctions son compatriote D. Pedro Caro qui déjà se trouve actuellement employé par lui a Londres dans une mission de confiance, ou toute autre personne de la probité et des talents de laquelle il puisse répondre. Et vice-versa, si par un effet du régime révolutionnaire en France, ou par manque de santé, D. Francisco de Miranda était empêché de se rendre à Londres, D. Pablo de Olavide aurait également le droit de suivre seule cette importante commission, et de s'associer un collègue, s'il le jugeait convenable.

Nous, D. Francisco de Miranda, D. Joseph del Pozo y Sucre, et D. Manuel Joseph de Salas, Commissaires de la junte des deputés des villes et provinces de l'Amérique Méridionale après un mur examen des Articles ci-dessus, déclarons que les dits articles doivent servir de pouvoirs et destructions 4 nos commissaires envoyés a Londres, et au besoin à Philadelphie, D. Francisco de Miranda et Don Pablo de Olavide, voulant que les présentes suppléent à tout autre instrument en forme, que la situation tyrannique sous laquelle la France gémit aujourd'hui, nous a empêche de leur transmettre; les ayant composés, pour la facilité des négociations, en langue française, et ayant pris une copie traduite en langue espagnole collationné et signée par nous pour être remise à la junte à Madrid.

Telles sont les seules démarches que les circonstances actuelles nous ont permis de faire, vu que notre principal agent et notre compatriote D. Francisco de Miranda est obligé de vivre dans une profonde retraite pour se soustraire à la proscription qui frappe aujourd'hui tous les citoyens distingués par leurs vertus et leurs talents; proscription qui seule est la cause des délais et des difficultés que nous avons eu à vaincre.

         Fait a Paris le 22 Décembre, 1797, signataires :

Josef Del Pozo y Sucre (ou José, Vénézuélien) - Manuel Josef de Salas (Chilien)
Francisco de Miranda & Doperou, Secrétaire.

Source : The Online Library of Liberty, 
(extrait page 523) The Works of John Adams, volume 1 (1856)

Bibliographie francophone de Francisco de Miranda



- Miranda dans la révolution française : Recueil de documents authentiques relatifs à l'histoire du général Francisco de Miranda, pendant son séjour en France de 1792 à 1798. Edition officielle, comparée avec l'édition primitive de 1810 publiée à Londres par ordre du général Miranda précédée d'une préface par Arístides Rojas / Imprimerie du Gouvernement national / 1889

- Miranda et la Révolution française; Parra Pérez, Caracciolo / P. Roger / 1925- Miranda, Francisco de (1750-1816) / Édition française / Imprimerie et lithographie du Gouvernement national / 1889    

- Delphine de Custine, belle amie de Miranda : lettres inédites publiées avec une introduction et des notes par C. Parra-Pérez / Éditions Excelsior / 1927

- Trois précurseurs de l'indépendance des démocraties sud-américaines : Miranda, 1756-1816 ; Narino, 1765-1823 ; Espejo, 1747-1795, Clavery Édouard / F. Michel / 1932

- Miranda et Madame de Custine, Parra Pérez, Caracciolo, B. Grasset / 1950

- Le siècle des Lumières conté par Francisco de Miranda, Rodríguez de Alonso, Josefina / Éditions France-Empire / 1974
 
- Miranda et la Révolution française, Parra Pérez, Caracciolo / Deuxième édition / Edition du Banco del Caribe / 1989

- Francisco de Miranda et le processus de constitution d'une identite americaine, Carmen Bohorquez-Moran / A.N.R.T., Universite de Lille / 1996

- Francisco de Miranda : précurseur des indépendances de l'Amérique latine, Carmen Bohórquez-Morán, / l'Harmattan / 1998

- Miranda 1750-1816 : histoire d'un séducteur, Jacques de Cazotte / Editions Perrin / 2000


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