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Sommaire de la page :
- Petite histoire du Mont-Faucon et ses gibets, note de présentation
& Pendaison du surintendant de Marigny, Firmin Maillard
- Les Patibulaires, Henri Sauval
- Le Gibet, Ernest Beauguitte
- De Montfaucon, de l'insalubrité de ses établissements, Louis Roux
- Sources et deux conférences à consulter !
Petite histoire du Mont-Faucon, ses gibets ou potences de complément *
(du Moyen Âge au dix-neuvième siècle)
Le gibet de Montfaucon avec 2 niveaux de poutres. Dessin du XIXe siècle tiré de l'ouvrage de Firmin Maillard, vue de derrière par l'entrée des communs ou face à la ville
Lionel Mesnard, le 31 juillet 2019
Le
gibet de Montfaucon est très présent dans les histoires parisiennes du
Moyen Âge. Son origine est difficile à dater avec précision, à part une
première mention de 1189, pour un premier gibet fait d’une structure
simple en bois, l’on peut remonter à l’an 1000 et plus encore sur la
question de l’exposition des corps des suppliciés et ceci depuis
l’Antiquité. Pour ce qui est de sa signification, au plus simple, il
s’agit du Mont Faucon, qui correspondrait à son premier propriétaire
comme le précise Henri Sauval (source n°1), et que corrobore Piganiol
de la Force en précisant ceci :
« Montfaucon :C'est une éminence (un monticule) située
au-delà du faubourg St.-Martin, et de celui du Temple. Son premier nom
était Gibet, mot corrompu de celui de Gebel, qui en Arabe signifie une
montagne, et dont les Italiens et les Espagnols ont fait Gibel. Les
Français, l'ont encore corrompu (transformé), tant pour la
prononciation, que pour la signification ; car ils ont dit Gibet pour
signifier un lieu patibulaire, parce qu’anciennement les exécutions se
faisaient sur des lieux élevés, afin que l'exemple fut vu de plus loin,
et que la terreur du supplice détournât du crime ceux qui avoient du
penchant à le commettre. » (Description de Paris, etc.., 1747)
Cet endroit propice à glacer
les sangs, maintes fois cité, maintes fois en ruine, il existe assez
peu de documents qui retracent l’histoire de cet emblème de justice,
sauf une importante iconographie, dont la grande majorité date du XIXe
siècle, avec entre autres des esquisses de Viollet-le-Duc (1). Mais ce
fut aussi un point de délimitation de la ville et de sa puissance
(consulter la source n°4, et la vidéo d’une conférence sur le sujet, en
bas de page).
Un objet architectural lugubre depuis au moins le treizième siècle avec
la mise en œuvre d’une structure maçonnée et imposante. Un lieu assez
peu usité au fil du temps et surtout destiné à des personnalités en vue
ou célèbres, on recense ainsi une douzaine de surintendants des
finances y ont été exposés pour des malversations, notamment des
détournements de la cassette royale. Bien que le nombre des condamnés
ait avoisiné un peu plus de 1000 exécutés, à petit feu, et sur quatre
siècles, ce chiffre n’a rien de considérable. Le recensement opéré par
Sauval des lieux patibulaires de Paris démontre qu’il ne fut pas le
seul gibet, et que toutes les condamnations n’ont pas donné lieu à des
archives ou des traces écrites, en particulier pour le menu peuple.
Les affaires de Montfaucon ont marqué les mémoires, et cela permet
aujourd’hui d’avoir une idée assez globale de ceux qui furent pendus, à
l’exemple de l’année de 1413 avec une trentaine de condamnés. A une
autre période tout aussi agitée lors d’une autre guerre civile,
celle-ci contre les Réformés, Montfaucon a servi à plusieurs dépouilles
huguenotes, comme après l’assassinat de l’Amiral de Coligny qui y fut
exposé à la vue de tous. Puis loin de suivre l’évolution urbaine de la
ville, cet espace allait perdre de sa symbolique, jusqu’à sa ruine
définitive. Sauf à se maintenir comme fosse commune humaine avant de se
transformer en lieu d’abattage et d’équarrissage des animaux, tel fut
l’évolution de ce lieu-dit dès plus sombre.
Montfaucon, anciennement gibet, allait comme toponyme devenir un espace
relégué et toujours sous cette appellation. Ses alentours allaient
servir de décharge vouée à l’équarrissage, aux eaux usées, avec très
peu de bâtisses dans ses alentours et pour cause, et être aussi un
repaire de « gens louches » : équarrisseurs, chiffonniers ; gouêpeurs,
et vagabonds. A la fin du XIXe siècle une photo donne un aperçu
étonnant, fait de trous multiples à flanc de colline. L’atmosphère
assez générale de ce coin de Paris attenant aux Buttes-Chaumont (la
butte du chauve), des restes de carrières et une déchetterie accumulée
sur une longue durée, cette zone particulièrement insalubre a été
propice à une mythologie criminelle. Lire à ce sujet le document sur
l’insalubrité sur cette même page avec ses perceptions morales, soit un
monument de clichés sociaux. Et, en bien moins fouillé ou cerné que l’ouvrage de
1840 sur le même thème, de M. Perrot. (Source n°4)
Une nouvelle fois nous avons retenu un large extrait d’Henri Sauval,
juriste, historien des « Antiquités de Paris », il est une source
presque inépuisable, toujours surprenante, riche pour son vocabulaire
avec un style clair dans ses exposés. Cependant sa mise en forme n’est
pas toujours évidente et il chevauche les siècles, les rues de la
capitale, un peu comme une monture avec des petits allers-retours et
une connaissance plutôt fine des protagonistes ou des lieux. C’est un
auteur simple, mais pas pour autant toujours facile à lire en deux
temps, trois mouvements, il faut prendre ses écrits à tête reposée et
savourer ses remarques pertinentes.
Le lieu-dit du Mont Faucon est à situer non loin de l’actuelle place du
Colonel Fabien, ou ce qui était l’ancienne barrière de l’octroi se
nommant Combat. Avec son lot de légende, de superstition, il
est difficile de poser un lieu vraiment précis, sauf à préciser que s’y
tenait une croix, juste avant l’arrivée à ce qui servit de lieu
d’exposition des cadavres, et qu’il a existé au moins deux
emplacements. La nature des sols a été les siècles passants, un cumul
de carrières de plâtre et d’ossements humains, puis d’animaux, qui avec
le temps a rendu le monticule avec des aspects lunaires… on y
pratiquait aussi des feux.
Au Moyen Âge, il exista des corps dépendus qui pouvaient être de
nouveau jugés, chacun pouvait ainsi saisir un juge, pour savoir si la
justice avait été bien prononcée? Les dépouilles ne restaient au final
que deux ou trois années au maximum avant de rejoindre des fosses
communes ou de se voir enseveli en « bon chrétien », c’est-à-dire
réhabilité par la justice en partie divine et selon les à coups
émotionnels qu’avaient pu provoquer la mort d’un supplicié dans
l’attente de son jugement dernier, et tout désigné aux « foudres et
flammes de l’enfer ».
Selon Sauval, En 1476, Laurent Garnier de Provins, après avoir demeuré un an et
demi attaché à Montfaucon, où nonobstant la grâce. Il avait été pendu
par arrêt du Parlement, pour avoir tué un collecteur des Tailles
(impôts de l’Eglise), et pour lors à la sollicitation de son frère,
ayant été dépendu et mis dans un cercueil, fut porté en grande
cérémonie, et avec tout l'appareil des pompes funèbres par la rue saint
Denys jusqu'à la porte saint Antoine. De côté et d'autre, marchaient
douze hommes vêtus de deuil, les uns une torche à la main, les autres
un cierge. Devant étaient quatre crieurs sonnants de leurs cloches,
tous portant les armoiries du défunt, autant sur le dos que par-devant
et celui enfin qu'on voyait à la tête de la compagnie, allait criant à
haute voix. « Bonnes gens, dites vos patenostes (prières) pour l’âme de
feu Laurent Garnier en son vivant demeurant à Provins, qu’on a
nouvellement trouvé mort sous un chêne : aires en vos patenostes que
Dieu bonne merci lui fasse. »
Tout commençait d’abord sur une place publique, comme le Champeaux ou les Halles, la sentence débutait au matin et les condamnés le
plus souvent torturés étaient achevés le soir, jusqu’à être découpés,
ils rejoignaient le lieu d’exposition. Sur place, l'on remmettait les
morceaux rassemblés dans le bon ordre, et ceci dans l’espace de
délimitation de l’action de la justice territoriale. Et peu importa la
ville, une pratique ornementale courante dans le royaume et plus. La
potence a pu servir de complément au gibet défectueux ou en mauvais
état, ou bien les condamnés se virent envoyer plus loin au gibet dit de
« Montigny ». Sinon cette délimitation urbaine, selon les villes et
leur importance fut un système courant avec plus ou moins de piliers,
marquant l’importance, ou pas, des seigneurs locaux .
Au Moyen Âge la peine de mort était peu effective, une relation évidente avec un des dix commandements, le Tu ne tueras point, qui a dû poser des sérieux problèmes de conscience et se trouver en
opposition aux textes bibliques. Et il est compliqué de trouver un bon
équilibre entre la morale des temps écoulés et ce qui a pu relevé d’un
acte de justice fait par un seigneur local. La pratique de cette
justice héritée du féodalisme était en moyenne de 3 ou 4 condamnés par
an. Toutefois, il faut rester prudent, des justices expéditives ont pu
se mettre en action contre les plus miséreux ou devant des crimes
commis par les plus humbles, ou le menu peuple sans qu’il n’ait existé
d’actes précis ou sauvegardés. Oui aux archives, mais dans ce cas
précis, un bon nombre de documents ont disparu dans les incendies de Paris
en mai 1871 pour ce qui est en relation avec les procès-verbaux de police,
et les sources documentaires peuvent être très éclatées et dépendre de
plusieurs établissements publics ou universitaires (2).
Notes :
(1) Vous trouverez le travail iconographique de Viollet-le-Duc sur Wikipedia à la page sur le gibet de Montfaucon, cette fiche est très bien détaillée et
documentée.
(2) Le CLAMOR (Centre pour les humanités numériques et l’histoire de la justice) et le site Criminocorpus ont pour but de réunir les archives Police et Justice.
*
* *
« Alors fut condamné ledit Enguerrand
à être pendu par le jugement d'aucuns pairs
ENGUERRAND De MARIGNY, autre réparateur des
fourches de Montfaucon. Ministre sous Louis-le-Hutin, il fut pendu par
ses ordres, pour avoir dégradé les forêts royales, augmenté les charges
publiques, détourné de grandes sommes du trésor, et reçu de l'argent de
l'étranger. « L'exécution
de cette inique sentence fut fixée au lendemain, mercredi 30 avril
1315. Cette nouvelle causa un grand émoi dans toute la ville, « Car le peuple de Paris, dit Rabelais, est
tantôt sot, tant badaud et tant inepte de nature, qu'un bateleur, un
porteur de rogatons, un mulet avec ses cymbales, un vielleux au milieu
d'un carrefour, assemblera plus de gens que ne ferai un bon prêcheur
évangélique. » Une multitude innombrable accourut pour insulter l'ancien favori de Philippe-le-Bel.
Quand l'heure fatale fut venue, on fit sortir le
condamné du Châtelet et on le fît monter dans une mauvaise charrette.
Escorté par le lieutenant criminel, le prévôt de Paris , le procureur
du roi et par une foule de gents du guet et d'archers, le hideux
véhicule prit lentement la route de Montfaucon -, au milieu d'une
populace grouillante et hurlante -, dont le peuple d'aujourd'hui ne
saurait donner la moindre idée. De temps à autre, dominant les
vociférations de la plèbe, le condamné s'écriait: « Honnêtes gens,
priez pour moi!»
Et la foule, sans aucun égard pour cette immense
infortune, répondait brutalement : « Mort à Marigny ! Au gibet !
Enguerrand, au gibet ! » (…)
« Ce gibet, de triste mémoire, était situé sur la butte qui se trouve à
l'extrémité septentrionale du faubourg Saint-Martin. Du haut de cet
affreux Golgotha, on découvrait le pays désolé qui s'étend au nord-est
de Paris. Au sommet de la montagne, un massif de maçonnerie, long de
quarante pieds et large de trente, servait de base au redoutable
monument, seize piliers en pierre, hauts de trente-deux pieds,
s'élevaient sur celle espèce de plate-forme et étaient unis entre eux
par de doubles poutres supportant des chaînes de fer de trois pieds de
longueur, auxquelles on suspendait les condamnés. »
Le gibet de Montfaucon (étude sur le vieux Paris), de Firmin Maillard (source n°2)
Légende de la gravure ci-contre :Marigny condamné par une commission réunie à Vincennes, fut pendu à Montfaucon.
LIEUX PATIBULAIRES (ou ce qui concerne le gibet)
illustration du gibet de Monfaucon vue de face
Saint Denys
du Pas, Montmartre et la croix du Tiroi (un carrefour, entre les rues
de l’Arbre-sec et la rue saint Honoré), sont à ce qu'on dit, les trois
plus anciens lieux patibulaires de Paris. Au dernier, Brunehaut reine
de Bourgogne et d'Austrasie, la meurtrière de plusieurs rois, a été,
dit-on, tirée à quatre chevaux. Sur la place où elle fut exécutée, on
éleva une croix, on donna à la croix et à la place, le nom de la Croix
du Tiroi, et on les considère comme le tombeau de rois d'Austrasie et
de Bourgogne, et comme la reconnaissance de la monarchie de France ;
cependant il est certain que Brunehaut ne souffrit le dernier supplice,
ni à la croix du Tiroi, ni en cette ville, ça été assurément en
Champagne, près de la rivière de Vingeanne, dans les champs
catalauniques, célèbres par la victoire (défaite d’Attila dont on a
attribué à tort la plaine de Châlons-sur-Marne), et il serait aisé de
faire voir que la croix du Tiroi doit son nom au fief de Thérouenne,
appelé autrefois par corruption, le fief de Tiroye et de Tiroi.
Les discours qu'on fait des deux autres lieux patibulaires ont un peu
plus de fondement. On dit que les païens y ont fait mourir à la façon
Romaine saint Denys, l'un des apôtres des Gaules, le premier évêque et
le premier martyr de Paris, et qu'à la façon des premiers Chrétiens, on
y bâtit avec le temps une chapelle ; mais on ne sait auquel des deux
endroits cela est arrivé : le bruit du peuple et de la renommée est
pour Montmartre ; l'opinion de quelques savants novateurs est pour
saint Denys du Pas. Les noms de saint Denys du Pas, et de « Sanctus
Dionysius a Passu », ou peut être, à « Passione », petite Eglise assise
à l'un des bouts de la Cité, derrière Notre-Dame, et unie au Chapitre,
marquent disent-ils, et signifient le lieu où saint Denys a pâti, ou a
souffert la mort, ou la passion, si vous voulez. Son nom, sa situation,
le voisinage de l'église cathédrale, quelques autres, circonstances
conspirent à ce qu'ils disent, à faire voir évidemment la vérité de
leur découverte et d'une chose si généralement inconnue.
Le peuple au contraire, donne créance au conte qu'il a reçu de ses
ancêtres de main en main ; que saint Denys a eu la tête tranchée hors
de Paris à Montmartre, petite Montagne élevée dans une grande plaine,
sur la pente qui regarde la ville, au même endroit où se voit une
petite chapelle appelée les Martyrs : de même que les savants, il se
fonde sur son nom, et Montmartre veut dire, à ce qu'il dit, le Mont des Martyrs, ou le lieu sanctifié par le martyre de saint Denys et de ses compagnons. Cependant il est certain que Montmartre signifie le Mont de Mars : le poète (et moine) Abbon le nomme de la sorte en 886.
Dans le clos des religieuses de cette montagne, on voit encore les
ruines d'un ancien édifice, qu'on prend pour les ruines d'un temple
dédié à Mars, et Mars était anciennement l'un des principaux dieux des
Gaulois, suivant Jules César. Ainsi, Monsieur, sur de vains noms
traduits comme on veut, sont fondés Montmartre, et saint Denys du Pas,
le tombeau du paganisme, le berceau du christianisme des Parisiens, ou
le mausolée de l'apôtre de Paris. Ni le Peuple, ni les savants ne
savent rien d'un événement que personne ne devait ignorer à Paris. Cela
posé, il y a quelque apparence que saint Denys du Pas a servi de lieu
patibulaire : peut-être qu'il en servait avant la mort de saint Denys ;
Montmartre n'en a jamais servi, saint Denys n'y a point souffert le
dernier supplice, et si la croix du Tiroi en sert maintenant ce n'est
que depuis peu les choses que je vais vous dire de MontFaucon, de la
place Dauphine, des Filles pénitentes, et de Champeaux, trois ou quatre
autres lieux patibulaires, sont bien plus assurées.
Si rien n'empêche de déterminer le nombre de ces gibets, c'est que je
me figure que Champeaux et les Filles pénitentes n'en composaient qu'un
; s'ils en composaient deux, celui-là devait être pour les criminels
condamnés par les juges royaux ; celui-ci pour ceux du territoire de
saint Magloire. Quoi qu'il en soit, anciennement Champeaux était un
lieu d'une très-grande étendue : la Halle, le Cimetière saint Innocent,
une partie de la rue saint Denys, et peut-être les Filles pénitentes en
faisaient partie, comme nous avons montré ailleurs. Les Sectaires de
l’hérésiarque Amauri y furent punis du feu : l'Abbé de Montmirail
faisant fouiller en 1503, dans le jardin des Filles pénitentes, alors
abbaye de l'ordre de saint Benoît, sous le nom de saint Magloire, et un
bourgeois du voisinage faisant rebâtir près de-là une maison qui lui
appartenait en 1545, déterrèrent des ossements, des potences, des
chaînes de fer et autres pareils vestiges d'un lieu patibulaire. Depuis
on en a établi deux autres dans Champeaux, l'un à la place aux Chats,
contre le cimetière saint Innocent, où on a exécuté peu de monde,
l'autre près du marché aux poissons, où on en a exécuté quantité ; et où
je reviendrai tantôt.
Dans la Place Dauphine, le second ou le troisième des lieux
patibulaires que je viens de nommer, furent punis du feu en 1313 et en
1315, le maître général des Templiers, le maître de Normandie et trois
femmes accusées d'avoir fait des breuvages semblables à ceux avec
lesquels Pierre de Latilli (évêque et chancelier) avait avancé les
jours de Philippe le Bel et de Philippe le Hardi. C'était alors une
petite île détachée de la Cité, assise derrière le Palais, vis-à-vis et
du côté des Grands Augustins, dans le territoire de saint Germain des
Prés. Comme le supplice des Templiers ne s'ordonna point par les juges
de ce monastère, et qu'il se fit néanmoins sur ses terres, les
religieux de saint Germain demandèrent raison de cette entreprise à
Philippe le Bel, et obtinrent de lui un acte par lequel il leur déclara
qu'en cette rencontre il n'avait pas prétendu préjudicier à leurs
droits en aucune façon, ni qu'on s'en pût prévaloir à l'avenir. S'ils
firent lès mêmes plaintes à Louis Hutin en 1315, il n'en est rien venu
à ma connaissance. Depuis plusieurs années le bailli du Palais y
ordonna toutes choses à sa volonté, les moines de saint Germain las
peut-être de s'en plaindre et de plaider vainement pour cela, le
laissent faire tout ce qui lui plaît.
Quant à MontFaucon, il est hors de Paris, ainsi que Montmartre sur une
petite éminence, entre la porte du Temple et la porte saint Martin. Son
premier nom était Gibet, ça été le Gibet de Paris, avec le temps :
depuis une longue suite d'années c'est MontFaucon. Mais laissant à part
les vains discours de l'origine de son nom, qui sont en la bouche du
Peuple et épars, çà et là dans quelques méchants livres Mont-Faucon est
le nom du Mont, ou de l'éminence, sur lequel est situé ce lieu
patibulaire, et vient apparemment d'un certain comte appelé Fulco, ou Faulcon, propriétaire des terres d'alentour.
Au moins est il certain qu'en 1189, Robert son fils vendit à St Lazare
cinquante-deux livres et demie deux terres labourables, qui se
rencontraient entre saint Lazare et le gibet, et sur lesquelles son
père avait assigné le douaire de la comtesse sa mère. Peut-être qu'un
autre ajouterais à cela, que sous Lothaire et Louis V, les derniers
rois de la seconde race (dynastie) à un autre comte nommé aussi Faucon,
ou FuIco, possédait une terre près de là, ou près de Montmartre, qu'il
donna à l'abbaye de saint Magloire, et s'efforcerait d'en tirer à force
de machines quelque chose qui pourrait convenir à l'étymologie en
question. Pour moi je me contenterai de ce que j'en viens de dire ; j'y
joindrai seulement qu'en 1288, Froger de Villeneuve chevalier, vendit à
saint Lazare une terre qu'il avait entre ce prieuré et le gibet, et
j'inférerai de-là (en déduire), que dès l'an 1188, et peut-être
auparavant, il y avait un lieu patibulaire sur le haut de MontFaucon.
Presque tous ceux qui en ont fait quelque mention veulent que ce soit
un ouvrage d'Enguerrand de Marigny, d'autres de Pierre Rémi (ou de
Rémy) seigneur de Montigny tous prétendent que Montigny et Enguerrand
de Marigny y ont été exécutée, tantôt les premiers, tantôt après
d'autres, tantôt à l'endroit le plus éminent. Et il n'y en a presque
aucun qui ne remarque que personne n'y a fait travailler, qu'il n'y ait
été attaché, ou qu'il n'ait fait amende honorable, comme si le tombeau
des scélérats ne se creusait que par leurs semblables. Quoi qu'il en
soit, le continuateur de (Guillaume de) Nangis nous apprend que Pierre
Rémi donna le dessein (projet) d'un lieu patibulaire, qu'il le fit
faire avec grand soin, et qu'il y souffrit le dernier supplice en 1328.
Un registre des œuvres Royaux de l'an 1457 porte qu'en ce temps-la il se fit un gibet de bois nommé le gibet de Montigny, qui revint à quarante-cinq livres quatre sous Parisis, et que devant et après on en éleva d'autres aux environs qui étaient de bois.
La chronique scandaleuse raconte qu'à cause de la vieillesse et de la
ruine de l'ancien gibet appelé MontFaucon, on exécuta plusieurs
criminels au gibet nouvellement bâti, nommé Montigny. Ces discours
divers et presque contraires nous causerons des difficultés que je
pourrais peut-être lever, mais qui demandent trop de temps, et n'en
valent pas la peine.
Qui que ce soit donc qui ait donné commencement au gibet de MontFaucon,
MontFaucon est une éminence douce, insensible, élevée entre le faubourg
saint Martin et celui du Temple, dans un lieu que l'on découvre de
quelques lieues à la ronde. Sur le haut est une masse accompagnée de
seize piliers, où conduit une rampe de pierre assez large, qui se
fermait autrefois avec une bonne porte. La masse est parallélogramme,
haute de deux à trois toises, longue de six à sept, large de cinq ou
six, terminée d'une plateforme, et composée de dix ou douze assises de
gros quartiers de pierres bien liées et bien cimentées, rustiques ou
refendues dans leurs joints. Les piliers gros, carrés, hauts chacun de
trente-deux à trente-trois pieds, et faits de trente-deux ou
trente-trois grosses pierres refendues ou rustiques, de même que les
précédentes, et aussi bien liées et cimentées, y étaient rangées en
deux files sur la largeur, et en une sur la longueur. Pour les joindre
ensemble, et pour y attacher les criminels, on avait enclavé dans leurs
chaperons deux gros liens de bois qui traversaient de l'un à l'autre,
avec des chaînes de fer d’espace en espace.
Au milieu était une cave où se jetaient apparemment les corps des
criminels, quand il rien restait plus que les carcasses, ou que toutes
les chaînes et les places étaient remplies. Présentement cette cave est
comblée, la porte de la rampe rompue ; ses marches brisées : des
piliers, à peine y en reste - il sur pied trois ou quatre, les autres
sont ou entièrement, ou à demi ruinés ; la plupart de leurs pierres
entassées les unes sur les autres confusément, couvrent des ruines une
partie de la plateforme de la masse, en un mot, de ce lieu patibulaire
si solidement bâti, à peine la masse en est-elle encore debout. De
l'éminence même sur laquelle il était élevé, il ne subsiste plus que la
terre que cette masse remplit, les environs en ont été enlevés et sont
convertis en plâtrières. Rien ne s'est garanti des injures du temps et
des Hommes, qu'une grande croix de pierre qui semble moderne, et qui
n'est pas assurément celle que Juvénal des Ursins, et l'auteur de la
Chronique Latine manuscrite de saint Denys, attribuent à Pierre
de Craon, parent de Charles VI, familier et chambellan du duc de Berri,
fameux pour l’assassinat du connétable de Clisson favori du roi, bien
commencé, mieux conduit ; mais mal exécuté, et suivi de sa ruine.
Il la fit faire, à ce qu'en dit le premier, en réparation de son crime;
selon l'autre, ce fut ou par pénitence ou par arrêt, et il la rehaussa
de ces armes et d'un crucifix. Jusques-là il ne se mettait point de
croix apparemment près des lieux patibulaires ; mais certainement on n'accordait point aux criminels de Paris et du royaume le sacrement de pénitence
; les Juges les sacrifiaient à la vengeance de leurs parties, de même
que les païens les bêtes à leurs idoles. Je ne pense pas qu'il faille
donner quelque créance aux choses que l'auteur de la chronique
manuscrite de saint Denys ajoute à ce propos, que Pierre de Craon
obtint de Charles V, que les malfaiteurs seraient confessés à l'avenir,
que pour le faire, il donna un fonds au couvent des Cordeliers et
qu'ils le faisaient aux pieds de cette croix ; car ceci est autrement
rapporté dans les lettres expédiées sur ce sujet. Elles portent que le
douze février 1396, Charles VI (dit le Fol) abolit la mauvaise
coutume de refuser le sacrement de pénitence aux criminels, qu'il leur
permit de le recevoir après leur condamnation, et avant que de sortir
de prison pour être conduits au supplice. Que de peur que tout
éperdus de la crainte de la mort, ils n'oubliassent de le demander, il
enjoignit à ses officiers de les en faire sou venir, et qu’il accorda
ces avantages à ces malheureux, à la persuasion de son frère et de ses
oncles, par l'avis de son Conseil et de quelques conseillers du
Parlement et du Châtelet. Les conciles contiennent des choses sur ce sujet qui conviennent trop bien à ce discours pour être passées sous silence.
Par celui de Carthage de l'an 395, et le sixième de Constantinople tenu
« in Trullo », ou dans le Palais de l'empereur en 835, il paraît qu'on
administrait aux morts les sacrements de pénitence et de l'eucharistie
; qu'à la place des morts, on baptisait quelquefois des personnes en
vie, et que ces abus furent alors abolis. Les conciles d'Agde et de
Worms (1076), le onzième de Mayence et celui de Tribur près de là,
tenus en 506, 770, 448, et 1035, ordonnent de communier les criminels.
Alexandre IV enjoint la même chose dans le treizième siècle Clément V,
en 1411, se contente de leur accorder la concession. Vers la fin du
siècle passé, sous les Papes Pie IV, Pie V, et Grégoire XIII, les Pères
assemblés à Rome, interrogés sur cela, déclarèrent que si les conciles
commandaient de confesser ceux qui s'accusaient simplement de leurs
péchés, et de les communier, quand ils en avaient un digne repentir; il
ne le fallait pas refuser à ceux à qui leurs pêchés attiraient une mort
violente. On n'a commencé à les confesser qu'en 1396 : néanmoins
Guenois (Pierre, jurisconsulte) prétend qu’on le faisait longtemps
auparavant, mais il y a longtemps que les Cordeliers ne les assistent
plus.
Louise de Lorraine veuve d’Henri III constitua sur l'Hôtel-Dieu trois
mille six cents livres au denier dix-huit, pour la fondation de trois
bourses ou pensions de trois bacheliers en théologie, qu'elle obligea à
venir prêcher les fêtes solennelles en la Conciergerie, au grand et au
petit Châtelet, à consoler les prisonniers dans les cachots, à consoler
les patients après leur condamnation et à les assister jusqu'au dernier
soupir. Depuis, Madame de Simié, dame de la cour d’Henri III et d’Henri
IV, si recommandable pour ses attraits et pour ses plaisirs, donna pour
cela cent écus de rente à la Sorbonne, c'était alors une somme assez
considérable. Maintenant que c'est peu de chose pour la peine que
donnent des scélérats réduits à cette extrémité j il ne laisse pas d'y
avoir toujours en Sorbonne plus de gens de bien qu'il n'en faut pour
leur rendre ce dernier devoir, et même pour solliciter cette corvée
avec empressement.
Autrefois on exécutait les criminels les fêtes et les dimanches, de
même que les autres jours, et on les laissait pourrir au gibet dans
leurs habits : vous verrez tantôt qu'on vola ceux d'Enguerrand de
Marigny. Le lendemain de Pâques de l'année 1301, une maquerelle fut
exposée à l'échelle de sainte Geneviève ; Pierre Rémi fut mis en croix
le jour de saint Marc de l'an 1328, un chevalier convaincu de vols, de
violements et de meurtres, fut mis à mort le premier dimanche du mois
de mai de l'année 1344. Ces quatre exemples vous tiendront lieu de cent autres semblables.
Je ne saurais vous dire quand on a cessé de faire mourir les criminels
à MontFaucon : je sais seulement que quelquefois on ne les y portait
qu'après avoir été exécutés ailleurs, et je me souviens d'y avoir vu
des corps attachés.
Pendant qu'on les traînait au supplice, on leur faisait faire, dit-on,
deux pauses en chemin; la première, à ce qu'on dit, à l'hôpital Sainte
Catherine de la rue saint Denys, où on leur donnait quelque chose à
boire et à manger ; la seconde autrement dans la cour des Filles-Dieu
devant un crucifix de bois qui s'y voit encore aujourd'hui au chevet de
l'église, vis-à-vis l'entrée de la cour. Dès qu'ils y étaient arrivés,
le confesseur des religieuses disait pour eux quelques prières, leur
donnait de l'eau bénite et on leur faisait baiser une croix, manger
trois morceaux de pain et boire un verre de vin. La plupart des
criminels illustres dont je vais vous parler, y furent conduits de même
que les misérables, quoique l'Histoire ne le dise pas. On y
conduisit surtout Semblançay, Surintendant des Finances, à ce qu'en dit
l'auteur du journal de François I : cela s'appelait le dernier morceau
des patients, et ressemble fort au petit repas que les dames juives
faisaient faire aux personnes condamnées à la mort et au vin de myrrhe
qu'ils présentèrent à Jésus-Christ attaché en croix, et qui a donné si
fort dans la tête des le Fèvres (Nicolas le Fèvre, philologue), des
Baronius (Cesare Barnonio, cardinal) et des Casaubons (Isaac Causabon,
érudit protestant).
Il importe peu qu'Enguerrand de MarignyGouverneur
de Philippe le Bel et du royaume, Pierre Rémi, et Semblançay
Surintendant des Finances sous Charles le Bel, Charles VIII, Louis XII,
et François Ier, Montagu Grand-maître de la maison de Charles VI,
Olivier le Daim, barbier et tyran de Louis XI, l'amiral de Coligny chef
du parti Huguenot sous Charles IX, et autres grands hommes élevés et
étouffés dans les bras de la fortune, aient été exécutés, ou mis après leur exécution au gibet de Paris, au gibet de Montigny, ou à MontFaucon. L'infortune
du premier a peut-être servi de modèle à ses semblables ; c'était le
ministre, les délices de Philippe le Bel. Incontinent après la mort de
ce Prince, il fut arrêté, accusé de péculat (détournement des fonds),
jugé et exécuté comme un scélérat. Il faut que les favoris des rois se
méfient de la fortune, quand ils leur survivent, cependant il n'avait
peut-être pas commis d'autre crime, que d'avoir rendu devant Philippe
le Bel un démenti que le frère de ce roi lui avait donné. S'il périt à
MontFaucon, au gibet qu'il y avait fait faire au lieu le plus éminent,
on le dit, on le croit ; j'en doute.
Après sa mort, il fut
détaché, dépouillé, laissé nu à terre, et remis en croix avec un autre
habillement. C'est le premier vol en l'air, et l'exemple le plus
bizarre de la persécution de la fortune dont vous ayez peut-être ouï
parler. Le frère du roi se repentit, dit-on, à loisir de sa vengeance
précipitée ; sa conscience, ou suivant la tradition, des spectres
affreux, la lui reprochèrent incessamment ; il en gémit, il en languit,
il en mourut, et pour comble de malheur, il fut fils, frère, oncle et
père de roi, et ne put être roi.
Pierre Rémi avait eu en sa disposition les trésors de Charles le Bel et
les biens de ses peuples, aussi bien qu'Enguerrand de Marigny, et fut
accusé d'une telle déprédation des biens du Peuple, et d'une si
prodigieuse dissipation des trésors du roi, qu'on le tenait riche de
plus de douze cents mille livres, richesse surpassant toute créance en
ce temps-là que le roi ne jouissait pas d'un million de revenu. Charles
le Bel le fit arrêter, Philippe de Valois exécuter, ses déprédations en
furent le prétexte, ses richesses la cause : son intelligence avec les
ennemis de l'Etat en aurait été, la cause et le prétexte, si on ne
l'eût ignoré. Le gibet qu'il avait préparé pour d'autres fut pour lui,
le mausolée qu'il avait préparé pour lui fut pour d'autres ; la fortune se joue souvent ainsi des projets des hommes.
Le corps de Jean de Montagu Grand-maître de la Maison du Roi et l'un
des principaux ministres d'Etat sous Charles VI, moins chargé de crimes
que de la haine du duc de Bourgogne, le tyran du royaume, fut porté à
MontFaucon, après avoir eut la tête tranchée à la Halle. Pierre des
Essarts prévôt de Paris, qui le jugea, en paya la peine peu à près son
innocence fut justifiée ; on le porta avec splendeur dans le sein de
ses ancêtres, terres, biens, honneurs, devoirs, il n'y eut rien qu'on
ne se mit en peine de lui rendre, si rien pouvait compenser la perte de
la vie.
On ne prit pas tant de peine pour Olivier le Daim ; ainsi l'appelait-on
Olivier le Diable à cause de son empire tyrannique sur l'esprit de
Louis XI, de son insolence envers les Princes, de sa barbarie envers
tout le monde. La fortune qui l'avait comme servi pendant le, cours de
la vie du roi, ne l'abandonna point qu'il ne l'eût achevé. La peur du
dernier supplice dont Louis XI avait menacé quiconque l'avertirait
qu'il fallait mourir, empêcha jusqu'à son confesseur de lui donner un
avis si salutaire et si périlleux. Mais l'avidité ou de se signaler par
une témérité défendue, ou d'exciter le roi - à penser enfin
sérieusement à l'autre monde, fit qu'Olivier le Daim entreprit au péril
de sa tête, ce que son confesseur n'avait osé entreprendre. C'est la
plus belle action de sa vie, la dernière de son pouvoir, la plus dure
qu'ait souffert Louis XI, et la seule qu'il n'ait pu venger. Peu après
Olivier le Daim chargé de ses crimes et d'autres, devint la victime des
Grands, le jouet du Peuple, l'objet de la cruauté des bourreaux. Mais
bien loin de servir de pâture aux oiseaux de proie aussi longtemps que
l'innocent Montagu, il n'y demeura exposé que deux jours ; après quoi il fut enterré à saint Laurent paroisse de Mont Faucon. Encore
qu'il fût le démon, ou le mauvais ange de la cour, toutefois il y
trouva encore de bons anges, ou de bons démons, qui impétrèrent pour
lui cette grâce de Charles VIII.
Jaques de Beaune de Semblançay (1465-1527), général ou Surintendant des
Finances sous Charles VIII, Louis XII, et François I, porta aussi à
MontFaucon l'usure des concussions dont on l'accusa, ou plutôt la
vengeance de Louise de Savoie mère de François I, régente du royaume
pendant l'expédition du Milanais. Car cette Princesse résolue de ruiner
Lautrec, gouverneur de Milan, et d'élever en sa place le bâtard de
Savoie son frère, retint quatre cent mille francs destinés pour
l'armée, où le Roi était en personne, faute de cela, on perdit la bataille de Bicoque
(27 avril 1522) : et cette Princesse ayant sût que Semblançay l'avait
dit à son fils, elle lui suscita des gens qui l'accusèrent de péculat, piège presque inévitable à ceux qui manient l'argent d'autrui.
Enfin, l'amiral de Coligny, grand capitaine, chef des Religionnaires
(ou Réformés), cause innocente de la fatale journée de saint
Barthélemy, fut attaché à MontFaucon sous Charles IX, après avoir été
assassiné par ordre et en présence de ses ennemis, moins braves, mais
plus heureux que lui. Quelqu'un a laissé par écrit que le roi, qui peu
de jours auparavant l'avait été voir, et l'avait entretenu avec bien de
la familiarité au lit où il était malade, l'alla pareillement voir à
MontFaucon avec quelques-uns de ses familiers qu'il le considéra
longtemps à plaisir, pendant que ses courtisans se bouchaient le nez,
pour ne pas sentir la mauvaise odeur de son corps, et que les ayant vu
faire, il se prit à leur dire, que le corps d'un ennemi mort ne sentait
jamais mal.
J'ai presque oublié le maréchal d'Ancre, le ministre de Marie de
Médicis, l'épouvantail d’Henri le Grand et de Louis XIII, le tourment
du duc de Luynes, le fléau des Princes. On l'assassinat sur le pont-levis du Louvre (le 24 avril 1617)
; force gens se glorifièrent de l'avoir fait. Quelques débris de sa
fortune, le bâton de maréchal de France furent donnés à celui qui
l'entreprit. S'il eut fallu récompenser de même tous ses persécuteurs,
le monde n'avait pas assez de richesses. Il fut déterré, traîné par les
rues, pendu aux gibets qu'il avait fait dresser, exposé à toutes sortes
d'outrages. Sa femme, sorcière ou non, perdit la vie, son fils et tout
le reste : le duc de Luynes logé en sa maison empêcha l’exécution de
l'arrêt prononcé contre elle.
Tandis que Mont-Faucon servait de lieu patibulaire, il y en avait encore
à la Halle dont je viens de parler ; au marché aux Pourceaux, contre
Butte saint Roch ; et en divers quartiers des Piloris et des Echelles. J’ai trouvé même que la Seine a servi, s'il faut ainsi dire, de lieu patibulaire.
Dans le quatorze et quinzième siècle, vis-à-vis la Grève, sous le
Pont-au-Change devant la Tour de Billy, bâtie alors derrière les
Célestins, on a noyé par arrêt du Parlement quantité de criminels dont
j'attirai occasion de dire un mot dans le discours suivant. Peut être
que le marché aux Pourceaux n'a été destiné qu'au supplice des
hérétiques ; car entre plusieurs personnes qu'on y a exécutées
autrefois, je ne vois point qu'on y en ait fait mourir d'autres aux
Halles, plusieurs seigneurs révoltés contre le roi et autres gens
chargés de toutes sortes de crimes, ont porté la peine de leur révolte
et de leurs forfaits, je ne sais s'il ne me faudrait point passer que
le gibet des Halles et le pilori n'étaient apparemment qu'une même
chose, et que si rien même pouvait faire croire, c'est qu'en 1542, il y avait au pilori un échafaud qui tombait en ruine, et qu'à la place on y en fit un autre.
Dans un contrat de l'année 1295, le pilori s'appelle « Puteus dictus
Lori ». De-là on apprend que pilori est un nom corrompu et tiré de
puits Lori, et de puits de Lori, ou d'une personne nommée Lori, et que
ce gibet a été fait à la place ou aux environs de ce puits, et en a
pris le nom. Celui que nous voyons aujourd'hui aux Halles s'est fait
trois cents ans depuis. Auparavant il consistait en une cour accompagnée
d'une écurie, d'un appentis haut de sept pieds sur neuf de longueur, et
d'un couvert où se gardaient la nuit les corps des malfaiteurs, avant
que d'être portés à Mont-Faucon. Il y a longtemps qu'on n'y pilorie plus
personne. Présentement il est environné de boutiques louées par
l'exécuteur à des artisans. La croix dressée près de-là, à la façon des
autres gibets, subsiste encore aujourd’hui, et sert d'asile à certaines
nouvelles colonies de voleurs publics, composées de gens de tous pays
et de toutes conditions, riches des dépouilles de toutes sortes de
personnes -, qui jouissent de leurs vols sous ses auspices.
A ses pieds les cessionnaires doivent venir déclarer qu'ils font
cession, et recevoir le bonnet vert des mains du bourreau ; sans cela
les cessions n'avaient pas de lieu il y a quelques années. Les lois
avaient attaché cette ignominie à celle d'être cessionnaire, afin que
l'un pût empêcher l'autre : et cela peut-être à la façon des anciens
Romains qui n'admettaient point de femme publique qu'après en avoir
fait sa déclaration aux magistrats. Depuis peu on n'use plus de ces
précautions en pareille occurrence, il n'y a que les misérables qui se
rendent aux pieds de cette croix. Ce n'est plus même l'exécuteur qui
fait les cris ordinaires aux misérables, mais un portefaix (porteur des
fardeaux) à qui il a affermé (loué) cette corvée ; des autres, la
plupart se contentent d'envoyer quérir un acte du portefaix ; le reste
en grand nombre ne s'en soucie pas. (...)
Source n°1 : Henri Sauval - Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris.
Tome 2 - Pages 583 à 590 (liens en bas de pages). Le texte a été mis
dans un français plus moderne, et les parenthèses des anotations
rajoutées à l'écrit initial. A consulter en bas de page.
LE GIBET(de Montfaucon)
article du 4 décembre 1898 (*)
Ces puits
que viennent de mettre à jour, rue Bolivar, des ouvriers terrassiers,
et au fond duquel s'entassaient des ossements vieux de plusieurs
siècles, a-t-il servi de charnier aux suppliciés du gibet de
Montfaucon?
Le doute est permis. D'abord, le puits était assez éloigné du premier
gibet de Montfaucon (car il y en eut deux et personne, jamais, ne fut
pendu au second). Et puis, si vraiment il était destiné à recevoir les
cadavres des criminels, à quoi bon les lames tranchantes, les barres de
fer, les crochets et autres accessoires effrayants qui en garnissaient
les parois?
Il semble bien que l'on se trouve en présence d'un lieu spécial de
supplice qui n'a rien de commun avec le gibet de Montfaucon. Mais les
archéologues ne sont pas toujours ennemis de la légende, et volontiers
ils donnent des entorses à la vérité historique. A eux la parole pour
étayer de faits précis leur opinion.
*
Montfaucon! Ce nom sonne en glas lugubre. Le gibet ainsi appelé était
sur une butte située à l'extrémité du faubourg Saint-Martin, entre les
rues des Morts et de la Butte-Saint-Chaumont. Le premier acte qui le
mentionne est un acte d'accommodement de septembre 1233, entre le
prieur de Saint-Martin-des-Champs et le chapitre de l'église
Notre-Dame.
Il y est fait allusion un peu plus tard, dans un acte de vente daté de juin 1259. Et dans un roman composé en 1272 ou 1274, « Berte aux grans piés »,
il est question d'un certain Tybert ou Tybot, pendu aux fourches de
Montfaucon. Cela suffit à prouver que le gibet n'a pas été construit
par les ordres d'Enguerrand de Marigny, né en 1260.
*
Au temps de la Ligue, le gibet de Montfaucon était une masse de pierre que surmontaient seize piliers. On connaît ces vers de la Satyre Ménippée :
A chacun le sien, cet justice;
A Paris seize quarteniers
A Montfaucon seize piliers,
C’est à chacun son bénéfice.
Les fourches patibulaires consistaient en des piliers de pierre réunis
au sommet par des traverses de bois auxquelles on attachait les
criminels, soit qu'on les pendit aux fourches mêmes, soit que,
l'exécution ayant été faite ailleurs, on les y exposât ensuite à la vue
des passants. On bouillait, rompait ou décapitait, en effet, à la
Croix-du-Trahoir,à l'Estrapade, au Pilori des Halles, à Montmartre, etc. Puis les cadavres étaient expédiés à Montfaucon où ils gardaient les moutons à la lune.
*
Nous ne citerons aucun de ceux qui figurèrent ainsi, pendus par les aisselles ou par les pieds, aux poutres de Montfaucon. Ils sont trop!
Contentons-nous de parler de quelques-uns de ceux qui furent exécutés à
Montfaucon même. Mais d'abord il importe de rappeler le « cérémonial en
usage », comme dit un de nos vieux auteurs.
Le mode de transport des condamnés n'était pas uniforme. C'était tantôt
à pied, tantôt a cheval, tantôt dans une charrette, tantôt sur une
claie que les condamnés partaient du Châtelet. Mais tous les patients,
grands seigneurs ou vilains, quittaient la prison accompagnés d'un
confesseur, d'un lieutenant-criminel, d'un certain nombre de sergents
du Châtelet et d'archers.
Arrivé devant le couvent des Filles-Dieu, au bout de la rue Saint-Denis, le cortège faisait halte.
illustration du couvent des Filles-dieu (rue du Caire)
« Le condamné était, dit M. Firmin Maillard
(source n°2) en un substantiel ouvrage sur Montfaucon, conduit dans la
cour du couvent, auprès d'un grand crucifix de bois recouvert d'un
dais. Là, l'aumônier des Filles-Dieu récitait quelques prières, lui
jetait de l'eau bénite et lui faisait baiser le crucifix. Les
religieuses lui donnaient alors trois morceaux de pain et un verre de
vin. C'était le dernier morceau du patient. S'il
mangeait avec appétit, on en augurait bien pour son âme. » Après cette
cérémonie, le cortège se remettait en marche et ne s'arrêtait plus que
près du gibet, devant une croix - c'est Pierre de Craon qui l'avait
fait élever - où le condamné disait une dernière prière.
Le bourreau s'emparait de lui. Et après s'être assurés que le criminel
avait bien rendu le dernier soupir, les officiers et le prêtre, qui
l'avait assisté se hâtaient de regagner le Châtelet où les attendait un
excellent repas payé par la Ville. Le prêtre recevait en outre un
salaire pour frais de déplacement! L'Eglise n'a jamais négligé nul
profit. Quand il s'agissait d'un personnage de marque, les frais de
déplacement étaient évidemment plus considérables que pour un
malfaiteur de basse extraction.
*
Justement, le premier pendu fut un seigneur, Pierre de Brosse,
favori de Philippele-Hardi. Pierre de Brosse avait été convaincu
d'avoir empoisonné Louis de France, fils aîné du roi et d'Isabelle
Aragon. On le pendit le 30 juin 1278, avant le lever du soleil. La
chronique du temps assure que ce fut « chose moult plaisante aux barons de France ». Le peuple de Paris, très ému, s'était rendu en masse à Montfaucon.
Ce furent ensuite Enguerrand de Marigny, ministre de
Philippe-le-Bel (1315); Henri Tapperel, prévôt de Paris, qui s'était
laissé corrompre par un prisonnier riche, l'avait remis en liberté et
avait fait pendre à sa place un pauvre diable parfaitement innocent
(1320); un gentilhomme périgourdin, Jourdain de l'Isle, neveu du pape
Jean XXII, et qui n'avait pas moins d'une cinquantaine d'assassinats
sur la conscience (1323); le concussionnaire Pierre Remy; Jacques
Legris, - un innocent, celui-là; Colin de Cayeux et René de Montigny, deux amis de Villon, condamnés pour vol à main armée près de Rueil, ou pour viol; Olivier Le Dain (ou Le Daim), « valet de chambre et barbier de corps du roy » (1484) ; le baron de Samblançay, surintendant des finances de trois rois (1527).
Une plus longue énumération serait fastidieuse. Signalons pourtant
encore la pendaison, en 1584, d'une religieuse Tiennette Petit, de
l'Hôtel-Dieu de Paris, qui avait assassiné plusieurs de ses compagnes.
C'est un jeune seigneur tourangeau qui clôt la série. Il avait eu le
tort de se battre en duel, au commencement du 17e siècle, malgré les
édits royaux.
*
Un peu avant 1630, on résolut de ne plus pendre à Montfaucon, à cause du voisinage de l'hôpital Saint-Louis, fondé vers 1607, par Henri IV, pour les pestiférés et terminé en 1614, SauvaI constate, en 1650, que le gibet tombe en ruines.
Un siècle plus tard, en 1760 ou 1761, comme les faubourgs Saint-Martin
et du Temple commençaient à se peupler, le gibet fut détruit. On le
transporta un peu plus loin, « à l'endroit, dit M. de Lavillegille, où est la grande voirie que l'on appelle aussi Montfaucon. »
Seulement on cessa d'y pendre. Le gibet royal, qui ne se composait plus
que de quatre piliers de grès, resta comme le symbole de la justice
royale. Ce n'était plus qu'un épouvantail. On se contentait d'enterrer à son ombre les suppliciés de la place de Grève.
En 1790, les piliers restants furent détruits ; l'horrible gibet de
Montfaucon n'était plus qu'un souvenir. Notre guillotine vaut-elle
beaucoup mieux?
(*) Augustin Ernest Beauguitte (1869-1935, homme de lettres, membre
de l’Académie française et haut fonctionnaire dans la préfectorale).
Source N°2 : Journal quotidien La Lanterne
du 04/15/1898 (21e année), page de Une. Rédacteur en chef Alexandre Millerand et
directeur de publication Victor Flachon. 18, rue Richer, IXe arrond. A consulter en bas de page.
De MONTFAUCON, de L'INSALUBRITÉ
de ses établissements, et de la nécessité de leur suppression immédiate (*)
Photo du lieu-dit de Montfaucon de la fin du XIXe siècle
« A quelques mètres de Paris, presque contigu à son mur d'enceinte, sur
les confins de ses faubourgs les plus populeux, Montfaucon est
remplacement affecté à plusieurs établissements insalubres dont la
nature mal étudiée, et à peine définie jusqu'à présent, a toujours été,
de la part des principaux voisins de cette localité, un sujet de
plaintes et de réclamations tellement fondées, que Paris même, qui a
toujours élevé la voix contre l'existence et le maintien d'un état de
choses aussi essentiellement nuisible à la santé de ses habitants, en
demande chaque jour avec plus d'insistance la suppression. » (...)
L'ÉQUARRISSAGE
« Les chantiers d'équarrissage, autour desquels se groupent une foule
d'autres industries dangereuses et malsaines, restent néanmoins ce
qu'il y a de plus redouté et de plus éminemment insalubre à Montfaucon.
Là arrivent, bon-an mal-an, pour être abattus,
de 13 à 14.000 chevaux poussifs, haletants, mourants de faim, réduits
au dernier degré d'ignominie, d'abandon et d'épuisement, succombant
mille fois sous la main d'un avide propriétaire avant d'être
brutalement égorgés.
Ce supplice de la faim imposé à de pauvres chevaux est un trait de
cruauté qui tient au tempérament des équarrisseurs ; quelquefois les
chevaux destinés à être équarris restent huit jours sans nourriture,
tourmentés du besoin horrible de voir arriver leur dernière heure. Si
la honte qui peut résulter pour l'homme de cette pratique ignoble
autant que cruelle ne peut être sentie, parce qu'après tout il s'agit
simplement d'un cheval, c'est-à-dire du plus noble de tous les animaux,
il en résulte au moins un indice de ce qui va suivre.
Nous voulons parler de la méthode barbare autant que malsaine qui
préside à l'équarrissage des chevaux. Il a lieu dans un endroit qui
manque d'eau, où tout semble avoir été prévu pour que la putréfaction
soit seule appelée à dissoudre les débris entassés pêle-mêle au fur et
à mesure de l'égorgement; où la chair se corrompt dans le sang, le sang
dans la chair, les intestins au milieu de l'un et de l'autre; où le
ver, né de la putréfaction, vient en aide à la putréfaction elle-même;
où tout ce qui peut produire, nourrir, alimenter, activer, propager,
maintenir un foyer immense, incessant de corruption est accepté,
entretenu, fomenté à risques et périls de la population voisine. Et
cette population est celle de Paris ! » (...)
LES RATS DE MONTFAUCON
« Ceux qui ont écrit la statistique de Montfaucon portent à cinq cent
mille le nombre de rats qui vivent sur cette butte en la sillonnant
dans tous les sens; ce calcul ne doit être considéré que comme
approximatif, car il est évident, avant tout, que ces hôtes de
Montfaucon y sont innombrables. » (...)
Estampe de Monfaucon en 1840, de A. Martial
LES INFLUENCES MORALES
« Montfaucon attire une population diverse qui reçoit tout entière le
cachet de ses mœurs et qui les propage parmi le peuple de Paris.
Le chiffonnier est l'hôte diurne de Montfaucon
il colporte quelques lopins de chair de cheval qui échappent à l'œil du
commis de l'octroi : tel est le grand méfait du chiffonnier. Mais la
nuit la scène change étrangement, et Montfaucon a le privilège
d'attirer, à certaines heures indues pour toute autre localité, des
bandes de malfaiteurs.
Le gouêpeur (1) y vient chercher un asile où la police renonce à le poursuivre. Montfaucon
devient la nuit le château-fort de la grande bohème parisienne. L'homme
à qui la société moderne a cru devoir interdire, non-seulement le feu
et l'eau, mais encore l'usage du vin, de la viande rôtie et des pains
de quatre livres, conquiert une partie de ses privilèges à la faveur
des ténèbres et de Montfaucon. Il emporte le tout d'assaut,
immédiatement et de haute lutte, sans l'intermédiaire de l'échange ou
l'intervention des lois qui président au commerce et à l'industrie.
Les gouêpeurs arrivent à Montfaucon par bandes de dix ou douze,
appartenant à divers degrés de la forfaiture parisienne : la plupart
n'ont fait qu'un seul repas la veille, à minuit ou environ, à
Montfaucon, et se préparent à en renouveler la cérémonie nocturne.
Montfaucon entretient la nuit des bouches de chaleur : ce sont celles
des fours à plâtre desservis par des ouvriers qui, sur une sommation du
gouêpeur, sont toujours forcés de céder la place. L'ouvrier isolé, et
d'ailleurs assez peu soucieux d'engager une lutte avec un voisin aussi
respectable que le gouêpeur, l'admet volontiers en participation de
tous les avantages que peut présenter, au milieu de la nuit, la bouche
d'un four à plâtre. Le gouêpeur connaît seul tout le prix de ce foyer
de chaleur, et ne tarde pas à le transformer en rôtisserie.
(…) Montfaucon n'est cependant que la dernière étape du vagabond, une ressource in extremis.
On se souvient que Lacenaire logeait dans le faubourg du Temple quand
il avait assez travaillé pour loger quelque part. C'est là, en effet,
que sont établis des garnis dont les annexes existent à Montfaucon ; le
vagabond qui a perdu sa journée expie ce malheur en se mettant au
régime de Montfaucon pour une nuit.
La perversion de cet homme a commencé au
boulevard du Crime ; il a assisté à toutes les horreurs du mélodrame;
il s'est familiarisé avec des scènes de sang et de meurtre ; il s'est,
en outre, dépravé au contact de tous les êtres dégradés, avilis, qui
tiennent, de près ou de loin, à Montfaucon. Passer du drame à la
réalité a été une conséquence forcée de cette vie impure. On peut dire
que toutes les issues honteuses d’une vie criminelle mènent à
Montfaucon. L'hôte nocturne de Montfaucon fait encore ses délices du
mélodrame et de la chair de cheval. Il se rend parfois à Montfaucon au
sortir d'un théâtre du boulevard. Montfaucon pourvoit à sa subsistance,
et lui permet d'y joindre une certaine somme de jouissances. Dire que
c'est là une école de cynisme serait calomnier le cynisme même.
La plupart des crimes de tous genres qui affligent Paris et aggravent
le spectacle désolant qu'offrent devant les tribunaux les classes
frappées de réprobation sociale, se trament et se préparent sur la
route de Montfaucon. L'équarrisseur se lie naturellement à tout ce que Montfaucon renferme d'immonde, d'insalubre et de hideux.
Sa personne cynique, ses mœurs féroces, l'odeur repoussante inhérente à
la malpropreté de ses enveloppes extérieures, la brutalité passée chez
lui en système, la sale obscénité de ses propos, la rudesse, l'âpreté
et l'indécence de ses allures, tout en lui exhale Montfaucon.
Quelque part qu'il se présente, il doit être repoussé, et il l'est
réellement. Aussi n'a-t-il qu'une manière de se présenter; il s'impose.
Qu'on se figure une bande d'équarrisseurs répandue dans les divers
groupes du dimanche ou du lundi, à la Villette ou à la Courtille (de
Belleville). Ils y exciteront des rixes ; sûrs d'être les plus forts
ils voudront voir couler le sang; leur geste sera prompt, leurs coups
assurés, et le peuple honnête n'aura pas de plus terribles ennemis de
ses divertissements et de son repos. » (…)
LA POUDRETTE
« La
poudrette touche aux chantiers d’équarrissage, et Montfaucon réunit ces
deux objets. Une odeur plus persistante, plus nauséeuse, plus
diffusible, avec un degré moindre d'intensité, distingue la poudrette
des chantiers d'équarrissage.
Les réservoirs de Montfaucon forment un ensemble de cinq bassins de
quatre arpents de superficie et d'une profondeur variable. Il existe à
l'un des angles de cet appareil une bonde par laquelle s'écoule le trop
plein des réservoirs ; ce trop plein rentre dans Paris au moyen d'une
conduite de plomb. Le dégorgement a lieu dans l'égout latéral du canal
Saint-Martin, et de là s'écoule dans la Seine au-dessus de Paris, et
ajoute, selon Parent Duchâtelet, une nouvelle cause d'infection à l'eau
qui traverse la ville et qui sert de boisson à ses habitants. »
(…) « Un fait aussi singulier que celui que nous venons de citer est en
effet de ceux pour lesquels l'expression manque. Il est produit
néanmoins à la suite d'un autre moins connu et non moins grave que le
premier. Avant qu'on eût assigné aux eaux de Montfaucon un écoulement
dans celles de la Seine au-dessus de Paris, un puisard, correspondant à
une nappe d'eau qui alimente les puits du faubourg Saint-Denis et
Saint-Martin, avait été creusé à Montfaucon. Toute cette nappe
d'eau fut infectée en peu de temps et le puisard dut être abandonné. On
a trouvé plus naturel de diriger cette source d'infection dans la
Seine, au-dessus de Paris.
A l'époque actuelle, dit encore Parent Duchâtelet, les émanations
infectes qui sortent de la voirie de Montfaucon sont constamment
insupportables dans une circonférence de deux mille mètres, et les
vents les portent quelquefois avec toute leur intensité à plus de
quatre mille mètres, et il résulte des renseignements recueillis par la
commission chargée de constater les ravages du choléra dans les
communes rurales, que certaines circonstances atmosphériques, rares à
la vérité, se propagent jusqu'à huit mille. Pourrait il en être
autrement, puisque les bassins seuls de cette voirie ont 32.800 mètres
de superficie, sans compter douze arpents occupés parles matières
sèches et les chantiers d'équarrissage; qu'on y apporte par jour de 230 à 244 mètres cubes de produits des fosses d'aisances, et qu'on laisse pourrir sur sol la majeure partie des cadavres de douze mille chevaux et de vingt-cinq à trente mille animaux. (…)
CONCLUSION
(…) « Le jour où Montfaucon, Pantin, Belleville, la
Chapelle-Saint-Denis, la Villette, seront délivrés des établissements
que nous avons signalés, qui en écartent la population aisée sans
laquelle il ne peut y avoir d'existence complète pour ces quartiers qui
contiennent tant d'autres germes de propriété, Paris lui-même deviendra
salubre. Par une heureuse coïncidence, les principes d'ordre, de
civilisation, d'hygiène et de police municipale pourront être invoqués
en même temps que le respect dû aux personnes et aux propriétés.
Pour ces raisons comme pour mille autres qui n'ont pu trouver place
dans cet aperçu, et dont le sentiment réside dans l'esprit de tous ;
pour la police du dehors de Paris comme pour celle du dedans ; dans
l'intérêt du magistrat comme dans celui du simple citoyen, du
propriétaire comme du travailleur ; au point de vue moral comme au
point de vue matériel et purement utilitaire de la question, nous
croyons devoir demander de nouveau qu'on supprime Montfaucon. Puisse
l'autorité compétente être aussi prompte à faire droit à cette demande
que nous avons été sincère et profondément convaincu de son importance
en la lui présentant !
FIN.»
Note de Louis Roux (3) :
(1) Nous demandons pardon pour cette expression argotique. L'argot,
révélé au public par des écrivains de tout ordre, depuis Victor Hugo
jusqu'à Vidocq, n'est vicieux que par l'usage qu'on en fait. Gouêpeur
est un dérivé de guêpe, qui se prononce goëpe ou goîpe, dans le patois
de plusieurs campagnes.
(*) Louis Roux (1823-1904) Ingénieur en chef des poudres et salpêtre. Source n°3 ci-après !
Sources : textes et iconographies
N°1 - Henri Sauval, Avocat au Parlement - Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris.
Tome 2 - Pages 583 à 590 - A Paris, chez Charles Moette, libraire, rue
de la Bouclerie à St Alexis, près le pont St Michel. Jacques Chardon,
imprimeur-libraire, rue du Petit-Pont, au bas de la rue St Jacques à la
Croix d'or. (Paris, 1724)
N°2 - Firmin Maillard - Le gibet de Montfaucon: (étude sur le vieux Paris), gibets, échelles, piloris, marques de haute justice, droit d'asile, les fourches patibulaires de Montfaucon - Éditeur Auguste Aubry, 16 rue Dauphine(Paris, 1863)
N°4 - M. Perrot (ingénieur à Rouen) Impressions de voyage, Montfaucon : son gibet, sa voirie, son écorcherie, description topographique, historique et industrielle. Chez l'Éditeur, quai des Augustins (Paris, 1840)
Les sources ci-dessus et l'iconographie de la page proviennent du site Gallica de la BNF.
A consulter : Une vidéo (mai 2018, durée 57 minutes) sur le site Criminocorpus avec l'historien Pierre Prétou
agrégé, certifié en sciences criminelles et maître de conférences en
histoire du Moyen Âge à l’université de La Rochelle. Spécialisé en
histoire de la justice médiévale dans les espaces Atlantiques.
Condamner à mort dans le royaume de France (XIIIe-XVe siècle)
Une conférence de Me Claude Gauvart (*)
(*) Professeure émérite de l'université Paris I - Sorbonne-Panthéon
Ecole Nationale des Chartes du 6/02/2020 (durée 92 minutes)
Condamner
à mort au Moyen Âge n’est pas un acte plus anodin qu’aujourd’hui, et
si, en ces siècles de construction de la justice, la condamnation est
un outil d’affirmation du pouvoir royal, ce n’est pas par sa nature
coercitive ou arbitraire, mais par l’encadrement des juges et la
pratique de la grâce. C’est là l’autre pan d’un Moyen Âge rénové que
Claude Gauvard révèle depuis plusieurs décennies, avec cette volonté
d’approcher au plus près, par un examen minutieux et clairvoyant de
sources inédites, la cohérence d’une société médiévale qui nous
apparaît à la fois étrangère et fondatrice.
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