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Aux origines
de Paris,
La Tutela


Un bras de la Seine en rive droite ou sa partie nord, aujourd'hui disparu fut connu du temps des romains jusqu'à la fin du premier millénaire de notre ère. Celle que l'on nomma la Vieille Seine a joué un rôle perturbant dans le développement urbain. Son histoire est plutôt méconnue.

Ci-contre : illustration des inondations de 1910, en ocre les zones touchées sur les 2 rives.
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AVANT-PROPOS (l'ancienne présentation est ici)

Les travaux de recherches sont devenus depuis une trentaine d'années plus précis sur les conséquences d'un ancien bras de la Seine disparu en rive droite et sur les autres eaux alimentant la capitale.
Au titre des rumeurs, l'hydrologie du bassin parisien et en particulier de la Seine n'a aucun rapport avec la Picardie (ceci en référence aux inondations de la Somme d'il y a peu d'années...).

Ne pas se référer  à la topologie ou à l'hydrologie d'un territoire reviendrait à ne tenir compte que d'une analyse très partielle de ce que l'urbanisation d'un espace doit résoudre comme difficultés. Ce ne sont pas les seuls outils qui permettent aux chercheurs de mettre en relief les arcanes du passé, il faut une somme large de connaissances, et demande à l'historien une approche pluridisciplinaire. Un élément, faussement anodin, peut venir chambouler un pan entier de savoir et mettre sous un autre jour certaines évolutions.

À partir du travail de Madame Anne Lombard-Jourdan sur les changements intervenus sur la rive droite parisienne des origines à 1223, il a été possible de construire un récit plus fiable des événements. En particulier, pour que des populations soient à l'abri ou protégées des aléas climatiques, et puissent prospérer. Sur la rive nord de Paris existait un large espace marécageux que les romains désignèrent sous le terme de Tutela. Un autre bras formait du pont de l'Alma jusqu'au bassin de l'Arsenal un arc de cercle.

Ce cours septentrional du fleuve s'assécha progressivement avec le temps.
Cette réalité vient bousculer certaines histoires de Paris, et ne pas en tenir compte se résume à entretenir des histoires sans fondements. 




Les plans sont tout aussi indispensables que les textes pour saisir l'évolution du territoire, et pourquoi finalement tel espace est plus propice à une implantation humaine, plutôt qu'un autre?

Pour rétablir un bout de vérité, ce n’est pas la Seine à proprement dit qui coule dans la capitale. Du moins si l’on s’en tenait aux règles voulant que, quand deux cours d’eaux se rencontrent, normalement le débit le plus élevé est pris en compte pour désigner le cours principal. Dans notre cas, la continuité fluviale n'a pas été conservée ou retenue. En Seine-et-Marne où se mélangent la Marne, la Seine et l’Yonne, c’est cette dernière qui à leur jonction enregistre le plus haut débit et devrait être le cours coulant sous les ponts de Paris.

Cette anecdote ou erreur est assez connue, mais à l’image d’une ville oubliant les usuels, révélateur de comment des millions d’écoliers ont appris et récité pendant des décennies une ineptie condamnée à perdurer. Pour autant il ne s’agit pas de changer ou de dénoncer cette fausse qualification, mais de savoir cette anomalie. Sinon, tout un pan de la littérature et de la poésie serait à corriger et donnerait comme exemple « sous le pont Mirabeau coule » l’Yonne? Pauvre Apollinaire, il verrait ses vers ruinés et sa rime tomber à l’eau…


Si les crues sont par évidence un sujet important, elles posent la question de notre rapport aux éléments naturels et selon les époques. Il est certain que l’urbanisation des siècles passés n’a pas su tenir toujours compte des zones inondables, et le phénomène s’amplifier en région parisienne depuis plusieurs décennies. Si la capitale est moins touchée, comme elle a pu l’être en 1910, certaines zones habitées sont les pieds dans la gadoue régulièrement (2016 et 2018). Des plans d’occupation des sols communaux et départementaux réalisés en tout dépit des réalités connues valent aux banlieusards quelques soucis présents et futurs, aussi bien pour l’habitat privé que public.
Il est souvent fait référence à la connaissance des « anciens », la question de l’eau comme ressource ou élément naturel n’est pas un enjeu mineur et notre rapport à la nature est amené à se transformer. Une prise de conscience qui fait son chemin et fait appel à des connaissances de plus en plus pointues, ne satisfaisant pas du bon sens. Mais a pour exigence d’éviter de futures catastrophes naturelles et personne n’est à l’abri ! Si les normes ne s’adaptaient pas aux enjeux à venir par une bonne approche des sols et sous-sols, de la nécessité de prendre en compte la perméabilité des terrains et de rendre aux zones humides un peu plus de place, en bref mieux connaître notre environnement éviterait de défier une nature, que nous ne pourrons jamais contrôler.

Au fil des modifications climatiques en cours, « que d’eau, que d’eaux » et c’est une nouvelle fois au temps des Francs que l’on a gardé trace des débordements de la Seine, justement à une époque d’un grand déclin urbain et de l’éparpillement des habitats. C’est à Grégoire de Tours que nous devons ce premier témoignage conservé des crues de la Seine. Pour les anciens, dans ce cas, il faut remonter à l'Antiquité, et pour ses suites aux nombreux ponts de la capitale dans son histoire mouvementée, qui firent les frais des débordements relativement réguliers de la Seine.

À noter :
Ce sont des géographes et cartographes du XVIIe et du XVIIIe siècle, MM. Jaillot notamment dans Paris et ses environs et Delagrive plus tardivement, qui les premiers parlèrent ou ressortirent de l'oubli cette connaissance géographique d'une zone inondable couvrant une large partie de la rive nord. Hubert-Alexis Jaillot et l'abbé Delagrive, nous ont laissé des plans de Paris, et ils ont travaillé respectivement au service du roi. Une erreur s'était introduite concernant l'abbé Jean Mabillon, cité non pas à tort, mais il est à l'origine de la paléographie, qui se rapporte plutôt à l'étude des textes anciens qu'à la géographie, au XIXe siècle il servit de cadre de référence à l'école des Chartes.
 

Paris au quaternaire,  il y a entre 2 et 4 millions d'années

Les cartes ci-dessous sont des illustrations
et non des reproductions exactes des espaces

La Seine avait un débit plus conséquent que de nos jours et se divisait en deux bras principaux. Au nord se dessinait un arc de cercle qui connut différents noms comme le "bras mort, courbe ou nord" ou bien la Vieille Seine.

Au sud, le fleuve s'écoulait tel le cours d'eau actuel, il était un peu plus large en raison de son débit et déposait en rive gauche du limon.

L'ancien cours nord pouvait atteindre une largeur d'environ de 2 à 3000 mètres au moment des crues. Paris - et ses alentours - comme espace géographique a connu de longues et diverses évolutions climatiques et aussi géologiques.
 




Sa particularité géographique s'organisa en un espace territorial qui fit de Paris comme espace ou repère géographique, le centre d'une large cuvette ayant subit la présence de la mer. Les sous-sols parisiens indiquent une grande présence du calcaire, comme tout le long des côtes maritimes. Leurs natures s'expliquent simplement par la dérive des continents. Le fait que l'hexagone se trouve à la pointe occidentale de l'Europe, et Paris seulement à 150 kilomètres des plages. Voilà ce que nous délivre comme premiers indices notre illustre Cité et sa région par ses sédimentations.



Il se dessinait une île équivalente à plusieurs arrondissements parisiens... avec une illustration ci-contre
.

Où, il n'exista que des terres inondées ou marécageuses, ceci au pied des collines avoisinantes de Montmartre, de Belleville, et de Ménilmontant.


Le bras nord s'étendait de l'Alma jusqu'au niveau du bassin de l'Arsenal (près de la Bastille). Aussi du haut des collines de Belleville et de Ménilmontant s'écoulaient deux sources. Au Nord en plaine Saint-Denis les sédiments boueux furent conséquents en raison de la proximité de l'Oise et ce qui se déversait par ailleurs de la Marne, notamment en cette jonction de la plaine Saint-Denis entre les monts de Montmartre et de Belleville. Des rus de Belleville et de Ménilmontant, il reste un aqueduc souterrain datant du règne de Philippe Auguste. Ses eaux prenaient sources depuis le Pré St-Gervais. Le "ru de Ménilmontant" finira en grand égout collecteur en rive droite sous Louis XIV. Son existence se confondit avec le temps avec l'ancien bras de la Seine, on ne fit plus de différences réelles sur les origines.
 
Sur la rive gauche parisienne actuelle, un autre bras se dessinait et il était alimenté par la rivière de la Bièvre (ou de Tolbiac ou des Gobelins dans la capitale). Ses eaux traversent le Val-de-Marne et sa source provient de la ville de Guyancourt à 33 kilomètres dans les Yvelines, son cours parisien est de nos jours souterrain. On peut la découvrir notamment en allant visiter le Grand Puits - de plus de cinquante mètres de profondeur - au sein de l'hôpital de Bicêtre ou en des lieux peu connus de Paris. C'est en pleine préhistoire, du paléolithique au néolithique - que les eaux courantes ont achevé de modeler le relief de Paris. Les deux bras de la Seine, le courbe et le droit ont coulé concurremment. C'est ce réseau fluvial que les humains du paléolithique ont pu observer, déposant des alluvions sur les deux rives inégalement, mais régulières sur les deux rives de Paris.


 Il était une fois la Tutela
 
Il y a environ 20.0000 ans non loin de la région parisienne se sont tenus les immenses glaciers du Nord et du Sud dans l'hexagone. L'Angleterre était accessible par voie terrestre et les différentes périodes de glaciation ont apporté une masse liquide conséquente. Quand on regarde l'ensemble du bassin parisien, que d'eau ! Que d'eaux, qui préfigurèrent d'une présence alternée de forêts et de marécages, mais aussi d'une immense étendue d'eau. Un lac disparu, un lac fantôme que l'on voulait sous l'Opéra. Il en exista un, mais au sud de Paris, il acheminait ses eaux par un autre bras que dessinait l'ancienne rivière de la Bièvre. Cours d'eau que les parisiens connurent jusqu'au XVIIIe siècle avant qu'il ne soit totalement recouvert.
 
L'évolution a donné lieu au modelage d'un paysage où Paris est au centre de la région Ile de France. La cathédrale de Notre-Dame est toute désignée comme le point zéro de la cité parisienne. La mer a depuis longtemps disparue de la région Ile de France, mais elle a laissé une présence liquide très abondante avec trois cours d'eaux : l'Oise, la Marne et la Seine. La Seine comme tout grand cours d'eau avant que l'Homme ne puisse un peu l'apprivoiser, le fleuve avec ses deux affluents ont drainé de fortes masses de sédiments (limons ou terres limoneuses). Ces combinaisons fluviales allaient permettre la naissance d'une faune riche et déboucher sur différentes mutations de son éco-système, jusqu'il y a environ 10.000 ans et ne se stabilise en un climat plus tempéré, non lointain du nôtre.
 
 
Il fut une grande surface inondable, la Tutela qui domina pendant très longtemps la rive nord. C'est en raison des inondations de janvier 1910 (au XIXe siècle, un autre crue majeure a eu lieu en 1876), que l'on se rappela que ce bras avait son lit dans le quartier Saint-Denis à Paris départ des présentes recherches, sachant que ce fut principalement en rive droite qu'existèrent une présence de l'eau dans les rues de la capitale, mais pas seulement en son sein, et l'objet de dégâts sur les deux rives.

Ce cours ancien aboutira à la construction des premiers égouts collecteurs de la capitale sous Louis XIV, bien avant Eugène Belgrand sous la conduite du baron Haussmann. Voilà en un bref résumé ce qu'il advint du bras courbe de la Seine en cette partie de la rive nord et sujet de notre attention. Pour les espaces marécageux, on dénombrait vers 1840 encore 653 marais de Bercy à la Villette.

C'est une longue, même une très longue période d'assèchement qui allait s'engager, une fois les glaciers disparus ou reculés. Peu à peu la nature allait devenir moins hostile. Le réchauffement de cette toute petite partie du monde allait permettre à l'Homme de construire une relation symbolique aux éléments naturels et il apprit à s'en méfier. Les humains tardèrent à prendre place dans ce trou du monde qu'était "Paris" en ces temps préhistoriques ou "antédiluviens".

Pour évidence jusqu'au dix-neuvième siècle on comptabilisa encore un forte présence marécageuse en de nombreux lieux de la rive droite. Et il fut une île en surface, l'hypothétique et disparue île de Saint-Denis en rive nord parisienne.
Il est fort possible que l'île de la Cité connue d'abord une fonction religieuse et sa première présence humaine. Mais pas avant le cinquième millénaire avant l'an 0 de notre ère culturelle et religieuse.
 
 
La rive nord de Paris donna lieu à une appellation latine : la TUTELA. Les études historiques les plus précises à ce sujet et les plus récentes s'accordent sur ce thème et sur les origines. César lui même, en fait état dans La guerre des Gaules (ou dans les Gaules pour une traduction plus précise), cela a un peu bousculé certaines histoires de Paris qui ont ignoré ce détail ou maillon, pourtant indispensable. La Tutela fut un espace marécageux qui ne déclina vraiment qu'à partir de l'urbanisation galopante du XIIe siècle.

Les crues pouvaient occuper une large partie de la rive droite de Paris. Si nous ne connaissons que des éléments fragmentaires sur l'Homo-sapiens, il exista peu de chance qu'il s'aventure dans un espace qui en son nord déversait encore beaucoup de boue. Les sols étaient trop humides, les marais nombreux et hostiles. Mais la nature ou sa faune était abondante, et les marécages aux abords de l'eau permirent des pêches. C'est une niche environnementale qui faisait appel aussi à une présence animale importante. Mais pour y accéder on ne pouvait le faire que par le sud, et encore à travers des marécages. La plaine contiguë ouvrit ce petit paradis terrestre aux populations en migration ou nomades, il y a environ 7.000 ans, pas avant à Paris in situ.


Deux ouvrages à lire :


Monjoie et Saint Denis !  (1989)
Le centre de la gaule aux origines de Paris et Saint-Denis

Paris, genèse de la "Ville"(1976)
La rive droite de la Seine des origines à 1223
(n'est plus édité, consultable à la BPI du musée G. Pompidou)

de Madame Anne Lombard-Jourdan
(éditions du C.N.R.S.)


Monjoie et Saint Denis !  


"le centre de la gaule aux origines de Paris et Saint-Denis"

C'est à une quête passionnante que nous convie Anne Lombard-Jourdan. Après avoir localisé au nord de Paris, dans la plaine du Lendit, le "lieu consacré, au centre de la Gaule" dont parle Jules César, elle indique comment ce sanctuaire où s'assemblaient les druides se développa autour de la "Montjoie", tombe de l'ancêtre héroïsé protecteur du pays.

Dans le but de masquer et d'exorciser ce lieu de culte païen, les premiers chrétiens situèrent à cet endroit précis le martyre de saint Denis et sainte Geneviève érigea à proximité la première basilique dédiée à celui-ci. Saint-Denis devint l'équivalent et le substitut du "Protège-Pays". Son nom rejoignit celui de "Munjoie" dans l'appel des guerriers en détresse.

L'auteur mène son enquête suivant une démarche originale, qui regroupe en un faisceau convergent tous les indices fournis par les textes, l'iconographie, la tradition orale, les fouilles archéologiques. Elle montre comment la fascination du centre s'exerça, depuis la protohistoire, sur les mentalités et sur les motivations religieuses, politiques et économiques. Elle éclaire ainsi de façon décisive les causes profondes de la primauté de l'abbaye royale de Saint-Denis et de la singularité et de l'ascendant de Paris capitale.

source : éditions du CNRS

Paris,
genèse de la "Ville"
 

La rive droite de la Seine
des origines à 1223


par Jean-Claude Schmitt




(...) Déployant la rigueur d'une érudition sans faille et s’appuyant sur une iconographie et des plans de grande qualité, l’auteur prend l’exemple de la rive droite de la Seine pour développer une thèse que plusieurs de ses articles ont déjà commencé de faire connaître, en particulier : « Du problème de la continuité : Y-a-t-il une protohistoire urbaine en France ? » (Annales ESC,1970).

À Paris comme dans bien autres villes, le noyau du développement urbain ne fut pas la ville romaine, corps étranger plaqué sur la civilisation Indigène antérieure, mais bien le vieil établissement celtique, voire même préhistorique La rive gauche, qui fut le site de implantation romaine fut délaissée au Bas Empire, pour ne retrouver vraiment de l'importance qu'au début du XIIIe siècle, par la volonté du prince et grâce à l'Université. La Cité elle-même, longtemps inondable, ne fut pas le véritable berceau de Paris.

C'est la rive droite qui joua ce rôle, en raison de facteurs naturels favorables et de la force des traditions culturelles qui y étaient attachées et qui restèrent longtemps vivaces. À l'appui de cette thèse, la méthode mise en œuvre n'est pas moins neuve : même si l'enquête trouve son terme en 1223, au moment où s'achève la « genèse » de la rive droite, elle n'hésite pas à utiliser, de manière régressive, des documents beaucoup plus récents, de la fin du Moyen Age (Raoul de Presles par exemple) ou même des XVII et XVIIIe siècles, qui confortent les hypothèses que les documents médiévaux permettent de formuler.

Le site originel de Paris est bien localisé : il est compris entre le cours de la Seine, au Sud, et, au Nord, le marais de Tutela (la protection), vaste arc de cercle difficilement franchissable et qui, à l'époque de César déjà, n'était autre que l'ancien méandre de la Seine. Entre le fleuve et son ancien lit s'élevait légèrement un plateau, insubmersible, même par les plus fortes crues, et dont l'auteur s'attache à démontrer l'occupation très ancienne : d'abord au moyen de l'étymologie (le nom de Grève lui-même, celui du pont de Milbrai, sont d'origine gauloise) ; par ailleurs, au XVe siècle encore s'y dressaient trois mégalithes : le Pet aux diables, la Pierre au let (petra lata, un dolmen), la Pierre au lart; enfin s'y déroulait un rite très ancien, le feu de la Saint-Jean, allumé chaque année, à l'époque moderne encore, place de Grève ; l'auteur voit un vieux rite solsticial de purification du fleuve. Longtemps il sembla aux historiens que ce plateau n'avait pas été occupé à l'époque mérovingienne.

Jusqu'à la découverte récente de sarcophages mérovingiens, même le cimetière des Innocents ne passait pas pour très ancien. Il s'agit en fait d'une antique nécropole qui participait, avec plusieurs basiliques, à l'organisation de l'espace sacré, rive droite. Pour résister aux invasions normandes, les habitants construisent là un premier rempart, en 877-884, vaste rectangle bordé au Sud par la Seine, et à peu près délimité à l'Est par Saint-Gervais, au Nord par Saint-Merri, à l'Ouest par Saint-Jacques. C'est là le cœur du Paris médiéval. Mais deux autres pôles d'attraction vinrent rapidement s'y ajouter : à l'Ouest, le bourg de Saint-Germain de l’Auxerrois.

Au Nord-Ouest, les Champeaux où, d'abord spontanément, puis sous le contrôle de l'évêque, se développa un marché de plus en plus prospère : d'où l'intérêt du roi qui, en 1137, puis surtout en 1223 (Forma Pacis conclue entre l'évêque et Philippe Auguste), contraignit l'Eglise de Paris à lui abandonner l'essentiel de ses droits : les Halles étaient nées. Mais depuis 1190 les trois noyaux de la rive droite avaient été réunis dans une même enceinte, plus large que la vieille muraille carolingienne : la communauté des bourgeois la construisit elle-même, sur l'ordre du roi, avec la plus grande diligence; signe de son utilité aux yeux des marchands.

Quel contraste avec la rive gauche, où le roi lui-même dût, en 1200, se charger de toute la construction et du lotissement des terres ainsi circonscrites, en vue du développement démographique de la ville. L'activité universitaire de la Montagne Sainte-Geneviève allait, quelques années plus tard, puissamment aider à la réalisation de cette entreprise. Mais revenons à la «Ville», maintenant formée : au centre était la Grève, antique lieu de marché, mais aussi de réunion. Ici se déployait la symbolique du pouvoir communal : avant même qu'Etienne Marcel n'acquît pour la communauté des Marchands de l'Eau la fameuse Maison aux Piliers, ancêtre de l'Hôtel de Ville, l'enceinte qui délimitait la place, les pavés (dont le calibre était propre aux pavements publics), la croix, dont l'image se retrouve sur les jetons municipaux, les feux de la Saint-Jean qui se déroulaient avec la participation du prévôt et de ses conseillers, constituaient autant de symboles de la collectivité urbaine. Mais la ville ne s'arrêtait pas à ses remparts.

Entre eux et le Marais Sainte-Opportune (l'antique Tutela) s'étendait la Couture-L'Evêque, riche zone agricole destinée au ravitaillement de la ville, et au-delà encore, après le gibet et les léproseries du Roule et de Saint-Lazare, s'achevait la banlieue. Le thème est familier à l'auteur (voir son bel article : Oppidum et banlieue. Sur l'origine et les dimensions du territoire urbain, Annales E.S.C., 1972). Mme Lombard y revient ici pour confirmer la rigueur du concept de banlieue au Haut Moyen Age : conformément à l'étymologie, il s'agit d'une zone circulaire dont le rayon mesure exactement, à partir du centre de la localité concernée, une lieue française, ou trois mille pas romains, soit quatre kilomètres et demi.

Cette limite était matérialisée dans la banlieue parisienne, sur la route de Saint-Denis, par la Crux ad fines, sur celle d'Orléans par la Tombe-Issoire, et au Sud-Est, sur l'antique chemin du Chevaleret, de Paris à Sens, par la ferme de (Trois) Mille Pas. On voit ainsi tout l'intérêt des études de topographie urbaine que mène l’auteur, qui montre l'emprise profonde dans l'espace de l'ensemble des facteurs écologiques économiques religieux la vie urbaine et leur singulière heure où les quartiers anciens de la droite de la Seine subissent une transformation sans précédent, ce livre rappelle propos que le trait de plume d’un architecte ou d’un politicien ne suffit pas à rayer de la carte l’histoire du vieux tissu urbain.

Source :
Persée.fr
, archives de sciences sociales des religions

Anne Lombard-Jourdan (1909-2010) : Ancienne élève de l'École des chartes, elle fut longtemps attachée au Centre de Recherches historiques de l'E.H.E.S.S. Elle a donné à CNRS ÉDITIONS deux livres sur Paris et sur La Courneuve, et a collaboré à des histoires de Paris et de Saint-Denis.



Histoire ou genèse de Paris
et sa région aux temps diluviens

(première partie)




Extraits de
La Seine :
le bassin parisien aux âges antéhistoriques


Avant-propos de Lazare Maurice Tisserand (1883)
et Introduction d'Eugéne Belgrand (*)


« Le présent ouvrage devait naturellement se placer en tête de la collection qui a pour titre : Histoire générale de Paris. Il y constitue la topographie antéparisienne, c'est-à-dire la connaissance du terrain à moitié submergé, sur lequel s'est élevée beaucoup plus tard la Lutèce gauloise; il fait connaître les premiers êtres qui ont animé cette vague région; il coordonne l'ensemble des inductions que l'anthropologie a pu tirer jusqu'ici, après avoir constaté la présence de l'homme primitif dans le bassin de Paris et recueilli les vestiges de sa grossière industrie. C'est donc une oeuvre mixte, qui touche en même temps aux sciences naturelles et aux sciences historiques, mais qui se rattache plus étroitement aux études de topographie ancienne entreprises depuis quelques années par la Ville de Paris. (…)

« La portion de terrain sur laquelle ont vécu les générations passées, qui a vu s'accomplir, pendant une longue suite de siècles, d'abord les faits de la vie primitive, si peu connus aujourd'hui, puis ceux de l'existence sociale, bien souvent inexpliqués, mérite assurément d'être étudiée à fond : c'est là qu'il faut aller chercher certains motifs des choses, rerum causas (l’accomplissement des causes), que le sol recèle et qu'il ne livre qu'aux pionniers de la science.

Dans cette pensée, l'Administration municipale a institué un Service des fouilles et substructions, qui est devenu l'auxiliaire le plus actif des historiens et des topographes du vieux Paris. On ne s'est pas borné à faire exercer, par des hommes spéciaux, une surveillance incessante sur tous les points où la pioche entrouvre le sol; mais on a poursuivi les déblayements et prolongé les galeries souterraines partout où il y avait chance de retrouver quelques débris du passé. La même où l'on n'était appelé par aucun travail d'édilité, on n'a point hésité à chercher, au prix de sacrifices parfois considérables, la solution de quelques-uns de problèmes que la critique historique avait regardés jusque-là comme insolubles. (…)

« Ces résurrections inespérées, dues à l'étude persévérante du sol parisien, ont conduit des topographes d'un autre ordre à remonter plus haut encore, et leurs efforts ont eu pour résultat de reculer aussi loin que possible les bornes de l'histoire territoriale de Paris. En fouillant plus profondément que ne le font les archéologues, en perçant la couche, peu épaisse d'ailleurs, que les oeuvres de l'homme civilisé ont formée à la surface des terrains actuels, ils sont arrivés, sans transition brusque et par des degrés pour ainsi dire inappréciables, aux âges préhistoriques; ils ont recueilli un à un des débris aussi éloquents dans leur simplicité que les ruines les plus somptueuses; ils ont pu ainsi constater la vie et l'industrie humaines, aux lieux où Paris devait s'élever tant de siècles plus tard. (…)

Introduction d'Eugène Belgrand


Coupe du lit de la Seine et couche de limon, étiage de 20,25 mètres (26,35 au pont des Tourelles)
à droite du plateau de Vincennes entre Joinville le Pont et Paris
et
à gauche le plateau d'Ivry entre Ivry et la rivière de la Bièvre.

« Le bassin de la Seine est un pays de plaines. La partie la plus montueuse, le Morvan, ne dépasse pas 902 mètres au-dessus du niveau de la mer et, d'ailleurs, elle est peu étendue. Le revers océanien de la chaîne de la Côte-d'Or, la basse Bourgogne, est formé de hautes collines dont les plus élevées montent à l'altitude de 610 mètres. A partir du pied de la chaîne de la Côte-d'Or jusqu'à la mer, les saillies du sol n'excèdent guère l'altitude de 200 mètres. (...)

« C'est donc l'histoire du bassin de la Seine pendant l'époque quaternaire ou l'âge de la pierre taillée que je me propose de faire connaître dans ce volume. Je ferai voir que, dès l'origine, le relief de ce bassin était à très peu près ce qu'il est aujourd'hui, et qu'il n'a pas été sensiblement modifié depuis.

Le golfe dans lequel se sont déposés les calcaires, les marnes, les sables, les gypses et les meulières qui constituent les terrains éocènes parisiens (période allant de 34 à 53 millions d'années), était comblé depuis longtemps, puisque par-dessus s'étaient étendus, d'abord la mer qui a déposé les sables de Fontainebleau, puis le lac au fond duquel se sont stratifiés le calcaire de Beauce et les meulières de Montmorency. Je démontrerai que c'est un phénomène violent, une grande et rapide invasion d'eau, qui a détruit ces derniers terrains, en parcourant tout le bassin avec une vitesse inouïe, dans la direction de sa pente générale, du sud-est au nord-ouest. (...)

« Mais nulle part, peut-être, on n'est mieux en situation de le faire revivre scientifiquement que dans le bassin de la Seine, et plus particulièrement dans le bassin de Paris, grâce aux nombreux travaux de fouilles que les besoins toujours croissants de la grande cité ont rendus nécessaires. L'ouverture des tranchées pour l'établissement des chemins de fer, la dérivation des sources et des rivières vers Paris, l'abaissement du sol sur plusieurs points de la voie publique, le creusement des sablières dans la banlieue suburbaine, ont mis à nu des couches de terrain dérobées aux regards depuis les derniers cataclysmes, et montré un état bien antérieur aux traditions les plus reculées.

Les investigateurs ont trouvé là, sous nos pas, toute une histoire ensevelie dans un oubli cent fois séculaire, histoire simple, mais émouvante, qui laisse à peine, après tant de siècles, échapper son morne secret. Sur les bords du fleuve qui baigne Paris, au sommet des plateaux, à la pointe des promontoires qui émergeaient alors du sein des eaux et qui forment aujourd'hui les accidents de l'horizon parisien, l'homme primitif a vécu; il a souffert; il a travaillé, lutté; puis il est mort, et les traces de sou passage sur la terre, effacées presque partout par celles de générations successives, sont enfouies aujourd'hui dans les grèves ou sous les alluvions.

Or cet homme, indigène ou immigrant (qui le sait?) peut être considéré par les ethnographes comme l'un des pères de la race qui précéda les Celtes sur le sol parisien. Il appartenait à l'âge de la pierre, et avait assisté aux grandes commotions du globe; mais il a donné la main à d'autres générations qui ont connu le bronze et le fer; il forme, dans le bassin de Paris, l'un des anneaux de cette chaîne des âges qui, par l'une de ses extrémités, touche à l'époque diluvienne, tandis que, par l'autre, elle se rattache aux précurseurs immédiats de l'ère historique. (…)

« Pendant la longue suite de siècles qu'a exigée la formation des terrains sédimentaires du bassin de la Seine, l'orographie (Étude, description, représentation cartographique du relief et particulièrement du relief montagneux) de ce bassin était entièrement différente de ce qu'elle est aujourd'hui.   

Je me propose de démontrer, dans cette première partie, qu'en effet, entre  l'époque miocène et l'origine de l'époque quaternaire, des courants diluviens ont rasé toutes les montagnes de ce bassin. C'est à ces courants que les plateaux du Gâtinais, de la Brie, de la Beauce, que les grandes dénudations de l'Auxois, de la Champagne, etc., doivent leur physionomie actuelle; il n'est pas une de ces contrées où l'on ne trouve des témoins du terrain détruit. Il est visible partout que les derniers feuillets sédimentaires de la surface du sol ont été emportés par les eaux; toutes les vallées, grandes et petites, ont été creusées ou du moins fortement modifiées par le même phénomène. (…)

« A Paris même on voit encore des restes du sable de Fontainebleau, à Montmartre et à Belleville, aux points les plus élevés de ces deux collines. Dans la dernière de ces localités, ils forment le sommet d'un mamelon occupé par l'ancien cimetière de la commune, et où l'on a bâti récemment le réservoir dit du Télégraphe; on voit tout autour plusieurs carrières de sablon en exploitation.

Nous savons que ces sables étaient recouverts d'autres terrains; ainsi, entre Fontainebleau et Chartres, s'étend le grand plateau de la Beauce. La pente des coteaux des vallées principales est formée par le sable de Fontainebleau; ce dépôt est recouvert d'un calcaire lacustre renfermant de nombreuses coquilles d'eau douce, lymnées, planorbes, etc., analogues à celles qu'on trouve encore dans les marais. Ce calcaire s'étend sur tout le plateau, et donne à la Beauce un caractère bien connu d'aridité. (…)



Carte hydrologique et géologique du bassin de la Seine - Belgrand Eugène

« La surface du bassin de la Seine, si l'on fait abstraction du Morvan et de la petite partie de l'Ardenne qui s'élève au nord, était, d'après ce qui vient d'être dit, occupée par des terrains complètement arides et perméables. Au sud-est s'élevaient les calcaires oolithiques qui occupaient, comme aujourd'hui, la pente delà chaîne de la Côte-d’Or. Le sablon de Fontainebleau et le calcaire de la Beauce s'étendaient sur le reste.

Ces terrains étaient-ils émergés avant l'époque quaternaire? Étaient-ils encore sous l'eau? C'est ce que personne ne saurait dire : on ne connaît, en effet, aucun débris organique terrestre qui remonte à cette époque. Mais, si la première hypothèse est exacte, il est assez facile de se rendre compte de l'état ancien des lieux occupés aujourd'hui par le bassin de la Seine.

Lorsqu'on parcourt les plateaux couverts par le calcaire de Beauce et les sables de Fontainebleau, on est frappé de la rareté des cours d'eau; celte rareté est la conséquence de l'extrême perméabilité de ces terrains, qui absorbent les eaux pluviales surplace, au point même où elles tombent. Ces eaux pénètrent plus ou moins profondément jusqu'aux nappes souterraines et ressortent dans des sources énormes au fond des vallées les plus profondes; les vallées secondaires restent habituellement sèches, même après les plus grandes pluies. (...)



Carte hydrographique du bassin parisien de Belgrand

« Il paraît donc démontré que, dans tout le bassin de la Seine, les vallées secondaires ont été violemment creusées par érosion; qu'elles ont été presque partout vidées, et que les déjections qui en provenaient s'ajoutaient au long cordon de détritus voyageant dans la vallée principale, excepté lorsque celle-ci était très large; car alors le courant secondaire, perdant sa puissance de transport, abandonnait les déjections qu'il transportait, au débouché même, un peu au-dessus du niveau du thalweg de la grande vallée. (...)

(*) Notes sur les auteurs :

Eugène Belgrand (1810-1878) Réalisateur des premiers traitements des eaux parisennes et de leurs écoulements, il a été ingénieur polytechnicien, membre de l’Académie des Sciences et un proche collaborateur de Georges Eugène Haussmann ayant réalisé plusieurs projets à Paris et dans sa proximité. De nombreux de ses ouvrages servirent à la bonne alimentation de la capitale en ressources aquifères notamment un réseau d'eau potable.  Lors de la rédaction de cet ouvrage M. Belgrand était Inspecteur Général des ponts et chaussées et directeur des Eaux et Egouts de la Ville de Paris

Lazare Maurice Tisserand (1822-1893)
a été l'éditeur scientifique posthume d'Eugène Belgrand pour son ouvrage sur La Seine : le bassin parisien aux âges antéhistoriques (2e édition - édition en 1883 en deux volumes par l'Imprimerie Nationale, le deuxième tome est consacré aux planches). LM Tisserand fut Inspecteur principal honoraire du service des publications historiques de la ville de Paris et professeur.

Autre texte disponible : sur les inondations de Paris en mars 1876, où il fait part des crues de 1802 et 1807, les plus grandes du XIXe siècle.

Sources : Gallica-BNF et Ville de Paris
Textes ou extraits rajoutés le 3 février 2018



Suite de la promenade :
Préhistoire et Géologie de Paris
 
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