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Le Bas Moyen Âge

à Paris 

(1ère partie)

Le roman naît à l'époque médiévale

Ci-contre : enluminure d'Aucassin et Nicolette
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C'est avec la chanson de geste que naissaient en Europe les premiers écrits romanesques avec la très célèbre Chanson de Roland (XIe siècle), suivirent des romans de chevalerie et d'amour. Mais aussi des histoires populaires dont les auteurs sont restés pour certains des anonymes : Aucassin et Nicolette (auteur anonyme) ; Tristan de Thomas (1155) ; Le roman de Renart (vers 1170, auteur anonyme) ; Le roman de Tristan de Béroul (XIIe siècle) ; Le Roman de Floire et Blancheflor (vers 1175, auteur anonyme ) et Lancelot du Lac (XIIe s., par Chrétien de Troyes). Etc. La version moderne de Tristan et Iseut a été constituée par Joseph Bédier en 1900, la légende fondatrice de l’amour courtois (texte).
 
 Pierre Abélard (1079-1142), chanoine de Notre-Dame à Paris
 
Pierre Abélard, natif du Pallet près de Nantes (1079), après avoir été un étudiant itinérant durant sept années (cours de Roscellin de Compiègne), il allait après devenir maître d'école (écolâtre) au sein du Chapitre de Notre-Dame (ou de Saint-Étienne) sur l'île de la Cité. Ce jeune Poitevin d'origine disposa d'une formation philosophique auprès de grands théologiens ou doctrinaires de son temps, puis bouscula l'édifice conceptuel et ses propres maîtres.

Alors que la cathédrale Notre-dame n'était pas encore construite (commencement des travaux en 1163), il se dressait une imposante et ancienne basilique sur le parvis actuel, datant du IVe ou Ve siècle dédiée à saint Étienne et détruite vers 1160. Le Chapitre signifiant le chœur, il s'agissait d'une institution qui disparue au XIXe siècle. C'est en son sein que l'évêque de Paris était élu par les chanoines, qui eux-mêmes étaient désignés par l'évêque. Par ailleurs, le Chapitre de Notre-Dame a été un grand propriétaire de terrains au sein de la ville comme à l'extérieur, et a connu des conflits scolastiques ou internes réguliers. (retour histoires chrétiennes du haut Moyen Âge, en bas de page sur l'institution).

Ïle de la Cité vers 1060

Île de la Cité avec la basilique St-Etienne


L'arrivée de Pierre Abélard à Paris se produisit vers l'an 1100, il a été un personnage de légende, oubliant pour beaucoup son rôle dans le monde des idées.
Le jeune étudiant a suivi les enseignements de Guillaume de Champeaux avec qui il se confronta lors d'une disputation autour des enseignements de Platon et d'Aristote sur la question des Universaux, et marquait leur rupture (1108).

Abélard a été l'un des grands penseurs de la philosophie du Moyen Âge, dite scolastique (Nicholas était l'école, son sens : le lieu où l'on va étudier). Ce courant philosophico-religieux est né avec le poète et savant Alcium (Anglais) sous le règne de Charlemagne à Aix-la-Chapelle.
Le terme (et les études) scolastique est spécifique à l'époque médiévale jusqu'au XIIe s. Ou ce qui correspondait aux premières écoles de formation de l'esprit avant la création des Universités. Un de ses prédécesseurs fut Saint-Anselme ou le moine, théologien et philosophe Anselme de Cantorbéry (1033-1109), de l'ordre de Saint-Benoît.

Le moine philosophe Abélard introduisit systématiquement le procédé du doute en amenant des arguments dans un sens, ou dans un autre (venant de l'Écriture ou des Pères) avant de trancher et de répondre aux arguments. Un peu approximatif d'un point de vue théologique, il a été condamné par divers conciles, dont celui de Sens (1140) à l'instigation de Bernard de Clairvaux.

Son nom est resté associé à Paris autour de son destin tragique et amoureux avec Héloïse. Ils eurent un enfant vers 1118, il se nomma Astrolabe (celui qui atteint les astres) et demeura auprès de sa tante ou la soeur d'Héloïse à Le Pallet dans l'Ouest du royaume, qui se chargea de son éducation. Les deux amoureux auraient procédé à leur union en secret.
Une grande fresque médiévale sur les relations de deux amants, peu moraux selon les époques, et remis en exergue au XVIIIe s. avec la publication des Lettres. La trame d'un roman, pourtant l'histoire a sa part de vraie, du moins possède des fondements de vérité, comme bon nombre de légendes, ou ce qui fait mythologie.



  L'on trouve encore de nos jours les deux amoureux, côte à côte, au cimetière du Père Lachaise, une tombe les réunissant. Une survivance du romantisme et du dix-neuvième siècle. C'est le philosophe Victor Cousin qui fit la traduction depuis le Latin des lettres entre les deux amants, le livre est consultable sur wikisource, un ouvrage du XIXe siècle.

Pierre Abélard de son vivant fut un universitaire et un des plus grands "intellectuels" ou une des plus grandes intelligences du douzième siècle (Selon l'historien ou médiéviste Jacques Le Goff, le terme intellectuel est à prendre dans le sens de vouloir comprendre et discerner, mais le terme ou substantif date du XIXe siècle). Notre philosophe
s'illustra dans le champ de la logique, un esprit rationnel avant l'heure, bien que mystique dans l'âme. Ce qui n'avait  rien de contradictoire à l'époque. Certains érudits pensaient que l'autobiographie d'Abélard, Histoire de mes malheurs (1132), ainsi que la correspondance d'Abélard et Héloïse étaient des écrits apocryphes de Jean de Meung (XIIIe siècle). Le continuateur du Roman de la Rose, il aurait lui-même rédigé les textes.



Notre moine philosophe ouvrait la voie à une pensée rationaliste et aux mondes des concepts. Il a été avant tout un esprit libre, sachant conquérir le public étudiant à sa cause. On y parlait des universaux, c'est-à-dire des idées générales sur l'Homme, la chrétienté, la justice, la bonté, etc. Pour ce que l'on connait d'Héloïse, ce fut une jeune femme fort cultivée pour son temps. On lui suppute d'avoir pu comprendre le latin, le grec et sans l'affirmer l'hébreu. Elle fit en sorte de ne pas limiter Abélard, ou de devenir une entrave à son professeur de philosophie et à l'expression de ce dernier. Deux amants peu conventionnels, et il faut souligner deux fortes personnalités.

On peut saisir que Pierre Abélard, en expiant pour des fautes charnelles avec la douce Héloïse paya probablement de ses trop grandes lumières sur son temps?
En 1110, il avait créé sa propre école à Paris, au sein de l'abbaye Ste-Geneviève dirigée par Étienne de Garlande (s'associant à la rue Galande) et gagnait les esprits. D'après l'abbé Foulques, un contemporain, les étudiants parvenaient d'Italie, d'Angleterre, de Flandre, d'Allemagne, de Bretagne, d'Occitanie et de Bourgogne pour suivre son enseignement. Ils bravaient les routes peu sûres pour l'entendre.


Le concile de Soissons de 1121 le condamna au silence perpétuel et à la claustration (enfermement) dans un monastère, ses écrits brûlés (autodafé). Rapidement, le Pape leva les sanctions et Abélard rejoignit l'abbaye de St-Denis, comme moine.
 
L'histoire parisienne légendaire est dès plus pathétique. Pierre marié et plus âgé donnait des cours à la fille d'un bourgeois se nommant Fulbert, il s'agissait d'un chanoine et de l'oncle d'Héloïse. Dans le cadre des cours que donna Abélard, ils s'éprirent l'un de l'autre. Leur relation découverte, cette union favorisa la naissance d'un bébé. Ils fuirent en Bretagne, etc., etc. L'amant dut revenir à Paris sans sa belle... Sans entrée dans le détail, Abélard fut l'objet d'une castration (1117), et l'un et l'autre allaient se retirer dans un retraite monastique, et selon le choix d'Héloïse qui refusa toute union pour assurer sa liberté à Abélard. Ce malheur le rendit populaire. Les témoignages de sympathie émanèrent du clergé, des étudiants. Abélard se retira à l'abbaye de St-Denis, où il prononça ses vœux de silence, tandis qu'Héloïse prenait le voile à l'abbaye de Notre-Dame d'Argenteuil.

 
Au bout de trois ans, il s'en allait de Saint-Denis pour se construire un ermitage de roseaux à mi-chemin de Fontainebleau et Troyes, et devenait surtout le fondateur de l'abbaye du Paraclet. Des disciples vinrent, il continua ainsi à dispenser son enseignement. Ses doctrines inquiétèrent, elles donnaient à ses étudiants l'habitude de se poser des questions et de soumettre les dogmes à un libre examen de conscience.

Il fit un Sic et Non ("Sic aut non"), sur les affirmations et contradictoires de la bible, des Pères de l'église autour de 157 questions. Dans une colonne les citations donnant une réponse affirmative, dans l'autre des réponses négatives, il s'attira l'hostilité de nombreux théologiens, à commencer par Bernard de Clairvaux. Menacé il fut contraint de partir et se vit nommer abbé de saint Gildas-de-Rhuys dans le Morbihan. Par ailleurs, il a été en rapport avec les écrits de Rachi, rabbin de la ville de Troyes (Rabbi Salomo ou Salomon de Troyes, né vers 1040 et mort en 1105).
 
Il resta pendant onze ans à la tête de cette abbaye Bretonne. Puis, on ne sait dans quelles circonstances, il repartit pour Paris reprendre son enseignement dans les parages de la Montagne sainte Geneviève (plutôt dédiée au logement des étudiants qu'à l'enseignement). Il ne fut jamais condamné comme hérétique, mais le concile tenu à Sens en 1140 condamna 16 propositions tirées de ses livres. Il mourut en 1142 à St-Marcel, près de Châlon-sur-Saône. Héloïse, née aux alentours de 1092, lui survécut 22 ans et fut inhumée, selon leur désir et promesse mutuelle d'être ensemble pour l'éternité...

« J'habite un pays barbare dont la langue m'est inconnue ; je n'ai de commerce qu'avec des peuples féroces ; mes moines n'ont d'autres règles que de n'en point avoir. Je voudrais que vous vissiez ma maison, vous ne la prendriez jamais pour une abbaye, les portes ne sont ornées que de pieds de biches, de loups, d'ours, de sangliers, des dépouilles hideuses des hiboux... J'éprouve chaque jour de nouveaux périls. »

Extrait d'une Lettre d'Abélard à Héloïse

Lettres d'amour d'Héloïse et Abélard (durée : 10 minutes)



Nota bene : Vous trouverez sur France Culture deux autres émissions consacrées à Abélard et Héloïse de février-mars 2020.


1101 : L'ordre de Fontevraud est fondé par Robert d'Arbrissel, sous la protection des familles Plantagenêt et des Bourbon de France.
1107 :  Le pape Pascal II rencontre à St-Denis le roi Philippe Ier (4e de la dynastie des capétiens, né en 1052) et son fils Louis.
1108, décès de Philippe 1er à Melun et début du règne de Louis VI, dit le Gros.
1109 -1112 :
Insurrections communales dans le royaume français.
1113 : L'ordre des Hospitaliers est fondé par la bulle du pape Pascale II, avec voeux de pauvreté (ne rien posséder en propre).
1115 : Fondation de l'abbaye de Clairvaux au bord de l'Aube.
1119 :
L'ordre du Temple
est fondé par Hugues de Payns à Jérusalem avec huit autres nobles (dissolution en 1312).
1122 : L'abbé Adam en titre de l'abbaye de St-Denis décède, Suger est élu à sa place sans l'avis du roi.
1133 : Louis le Gros fait démolir l'ancienne basilique mérovingienne de Montmartre et fait bâtir l'église Saint-Pierre (de style roman et ci-contre une colonne sculptée).
1137 : Mort de Louis VI. Sacre de Louis VII dit le Jeune et mariage du roi avec Aliénor d'Aquitaine à Bordeaux .
1139 : Alphonse 1er dit le fondateur devient le premier roi du Portugal acclamé par ses troupes après une victoire sur les Maures.


Légendes et mythes du Vieux Paris

La châsse et le mythe
de sainte-Geneviève

« Dans les grandes calamités publiques, c'était surtout la châsse vénérée de sainte Geneviève qu'on promenait dans les rues, l'archevêque marchant à pied, à gauche de l'abbé qui était souvent dans sa chaise. Cette procession se faisait avec une splendeur publiquement incomparable. Le peuple de Paris avait confiance sans bornes, justifiée par de nombreuses marques d'une protection évidente. (…)


Sous le règne de Louis le Gros, en 1129 , alors que la terrible épidémie connue sous le nom de mal des ardents tuait les Parisiens par milliers : après avoir eu vainement recours à l'art des médecins, aux jeûnes, aux prières, on porta la châsse de la sainte à l'église Notre-Dame, dont la nef entière et le parvis débordaient des malades, et tous furent instantanément guéris, sauf trois et tous incrédules, - éclatante exception qui confirma le miracle (sic). (…)

Cette châsse, conçue dans le style du treizième siècle, et restaurée au dix-septième, était ornée de douze statues également en or, élevée sur quatre grandes colonnes de marbre et portée par quatre statues de vierges tenant des flambeaux. Quand on promenait la précieuse châsse dans les rues de la ville, c'était d'ordinaire le clergé de Notre-Dame qui venait la chercher, et qui la reconduisait après la cérémonie, avec les reliques et qui la de saint-Marcel, autre patron de Paris (…) et de même un ancien bourg, puis quartier de la capitale. »

Source : Galllica-Bnf - Les rues du vieux Paris, Victor Fournel
Page 158 – Editeurs Firmin-Didot et Ce - 1879


Mort du prince héritier Philippe
pour cause de cochon errant et maléfique



« En 1131, le 13 octobre, Philippe fils aîné de Louis VI arpentait à cheval la ville. Au niveau de l’ancienne rue du Martroi (depuis disparue), se trouvant derrière l’Hôtel de Ville, soudainement un cochon en errance se met en travers de sa route. Celui-ci chute de sa monture la tête en avant sur le sol et une grosse pierre, et il se fait piétiner par son propre cheval en panique et périt peu d'heures après.

Dans le quotidien des Parisiens, les animaux domestiques de toutes tailles circulaient dans la cité et les cochons pouvant venir des villages limitrophes. Par ailleurs, les rues étaient jonchées d’ordure se décomposant, provoquant des dépôts de boues animales et aussi humaines. Suite à la mort de son héritier, Louis VI interdit à tous les possesseurs de porcs leur présence dans la ville, l’animal pouvant être emporté sous surveillance et être passif d’un jugement devant dieu, et susceptible de finir chez le bourreau. Cette interdiction des "pourceaux" dans la capitale fut prononcée de nouveau à deux reprises par Louis IX et Charles V.

Suger écrivit dans sa chronique au sujet du prince Philippe : « un porc (porcus diabolicus), véritable envoyé du diable, se mit en travers de son chemin et heurta le cheval qui tomba lourdement. Le cavalier fut projeté sur une grosse pierre, piétiné, puis écrasé par le corps du cheval
». L’abbé parla de cris, de pleurs et lamentations à la suite de ce décès dans la capitale. Son frère cadet promis normalement à une carrière ecclésiale accédera à sa place au trône à la mort du père. (...)
Le cochon, lui, absorbe dans son vigoureux estomac les trois réunis jusqu'à ce que, suivant la loi mystérieuse de la nature, il soit mangé à son tour par la vieille nourrice du genre humain, la terre, marâtre impitoyable qui dévore tous ses enfants. On ne peut dire d'une manière précise la date des premières foires aux lards et aux chairs de porc qui, dès l'origine, se tenaient au parvis Notre-Dame, le mardi de la semaine sainte.

Un événement malheureux arrivé au douzième siècle sur la Motte-Saint-Gervais, à l'endroit où s'élève aujourd'hui la mairie du IVe arrondissement, donna lieu à une ordonnance de police alors regardée gomme très-sévère, A cette époque, comme dans les temps les plus reculés, les rues de Paris, encore privées de pavage, étaient d'affreux bourbiers remplis d'ordures dont les chiens et surtout les pourceaux, qu'on laissait vaguer librement dans la ville, absorbaient une grande partie ; c'étaient les boueurs, balayeurs et orduriers de l'époque. Ce qu'ils n'engloutissaient pas se décomposait sur place (...).
 

Or, en 1131, le roi Louis le Gros passant, le 13 octobre, avec son fils, sur la Motte Saint-Gervais qui venait d'être annexée à la capitale, un de ces cochons errants, sans respect pour la majesté royale, vint se jeter dans les jambes de la monture du jeune homme. Le cheval effrayé se cabra, et son cavalier, vidant aussitôt les arçons, tomba d'une façon si malheureuse, qu'il en mourut au bout de quelques heures.

Quelques chroniqueurs religieux prétendent que saint Bernard avait prédit au roi que cette catastrophe arriverait pour le punir d'avoir persécuté les évêques.
La superstition aidant, tout le monde le crut. »
Source : Gallica-Bnf - Légendes du vieux Paris, Amédée de Ponthieu
Pages 135 et 136 - Editeurs Bachelin-Florence - 1867



Paris allait connaître quelques administrateurs ou bâtisseurs, certains rois s'imposaient dans leur souci de protéger la ville, de codifier certaines règles, de tenter de mettre un peu d'ordre dans la cité qui redevenait capitale sous Philippe II. Jusqu'au début de la Guerre de Cent ans (au quatorzième siècle), Philippe Auguste et Saint-Louis laissèrent une empreinte particulière. La Ville ne cessa de grandir et de repousser ses murailles plus loin, le pouvoir politique de régenter tout ce qui pouvait concerner la vie quotidienne et ses besoins.
 

Le prévôt de Paris
(première partie)



illustration de la Prévôté de Paris


« Dés l'année 1134, Louis le Gros avait confié au prévôt de Paris la dé́fense des privilèges dont jouissaient les bourgeois de la capitale; et l'on verra plus loin comment il fut chargé par nos rois de sauvegarder les privilèges nombreux qu'ils avaient accordé́s à l'université. Lui seul pouvait faire arrêter les é́trangers pour dettes.

Enfin, la police et, le repos de la ville étaient confié́s à ses soins. Cette charge ne pouvait jamais vaquer : aussitôt que par la mort du titulaire l'office de pré́vôt devenait vacant, le procureur gé́né́ral au parlement de Paris en é́tait investi provisoirement. Le roi reprenait le bâton de commandement et le remettait lui-même au successeur, dont il se réservait la nomination.

Quand le nouveau fonctionnaire avait reçu l'investiture de sa charge, un président à̀ mortier et quatre conseillers de la grand-chambre se rendaient au Châtelet, et, faisant asseoir le nouveau magistrat sur le siè̀ge surmonté́ du dais royal (tenture fixée au dessus du trône), le président lui disait : 
 Je vous installe dans la charge de prévôt de Paris pour l'exercer dignement au contentement du roi et du public. »
Source : Antoine Le Roux De Lincy - Persée.fr


Louis VII dit le jeune devient roi de France en 1137

Avec l'échec de son mariage, notre Louis VII (né en 1120) dit le jeune préfigurait des luttes avec l'envahisseur d'outre-Manche. Aliénor duchesse d'Aquitaine future reine d'Angleterre prenait pied et grignotait peu à peu le royaume de France. Ce fut avec l'abbé Suger (vers 1080-1151) que la Basilique Saint-Denis et le Paris politique ont eu à faire à cet homme d'église fort habile et administrateur hors pair. Il a été aussi l'auteur d'une Vie de Louis le gros (*) en latin (* Louis VI).



Fils d'un serf, abbé de Saint-Denis, Surger allait  se faire connaître jusqu'au sommet de l'Église et de l'État. Il a été le conseiller des rois Louis VI et Louis VII, et répondit à un travail législatif conséquent. Il assura la régence quand Louis VII et Aliénor partirent en croisade avec l'oriflamme de Saint-Denis bannière au vent. Entrepreneur hors pair et financier contesté, Suger fit reconstruire l'église abbatiale de Saint-Denis (l'abbaye date à l'origine des rois mérovingiens). Il a eu le sentiment de faire oeuvre pour l'Église et le royaume. Il se trouva en contradiction avec Bernard de Clairvaux, celui-ci préférait le dépouillement des lieux de culte.

L'abbé Suger a connu des démêlés concernant le prieuré ou couvent d'Argenteuil où se trouvait une certaine Héloïse (amante du philosophe Abélard) :

« La restitution du prieuré d'Argenteuil à l'abbaye de Saint-Denis est de l'année 1129. Ce monastère avait été fondé sous le règne de Clotaire III, et donné aux religieux de Saint-Denis. L'empereur Charlemagne, voulant seconder l'inclination de sa fille Théodrade pour la vie religieuse, l'y établit avec quelques jeunes filles, dont il la fit abbesse. Cette princesse, qui gouvernait le monastère en 824, voulant assurer le retour de la propriété à ses possesseurs primitifs après sa mort, obtint, l'an 828, un diplôme de l'empereur Louis le Débonnaire, son frère, arrêtant qu'aussitôt après son décès cet ancien prieuré serait rendu à l'abbaye de Saint-Denis, suivant l'intention d'Ermenric et de sa femme, qui l'avaient bâti sur leur propre terre. Théodrade étant morte, l'abbé Hilduin laissa, par tolérance, subsister le couvent de religieuses, à la condition qu'il relèverait de Saint-Denis, dont le droit était par là sauvegardé.

Telle était la situation respective des deux maisons, lorsque Suger, profitant des désordres scandaleux de celle d'Argenteuil sous la mauvaise administration d'Héloïse, qui, après y avoir été élevée, y avait été ramenée par Abailard (ou Abélard) dix ans auparavant et en était devenue prieure, demanda, à la suite des plaintes adressées au pape contre les religieuses par Etienne, évêque de Paris, que sa communauté fût remise en possession de cet établissement.

Un concile, présidé, à Saint-Germain-des-Prés, par le légat apostolique, et où se trouvèrent les évêques Geoffroi de Chartres, Étienne de Paris, Goslin de Soissons, Rainaud de Reims, examina les griefs articulés contre les religieuses et les réclamations de Suger : les uns et les autres ayant été reconnus fondés, le prieuré fut remis à l'abbé de Saint-Denis, avec recommandation de transférer les religieuses dans un autre monastère (note : remplacées par des moines elles s'installèrent à l'abbaye du Paraclet, près de Troyes). Cette décision fut confirmée par une bulle pontificale, datée de Latran, le 9 des calendes de mai. Suger fit prendre possession du prieuré. »

Source : Gallica Bnf - Oeuvres complètes de Suger, page 441, A. Lecoy de La Marche (1867)

  Le nouveau choeur de la basilique de Saint-Denis était solennellement consacré en juin 1144 par l'abbé Suger (ci-contre, vitrail de la basilique). Il invita Louis VII le Jeune et la duchesse d'Aquitaine, son épouse, ainsi que tous les grands personnages du royaume civils et religieux à son inauguration et laissa son public stupéfait.

La structure haute et élancée et la luminosité des vitraux impressionnèrent les visiteurs.
Naquît ainsi l'Art dit Gothique et une course à la construction des futures cathédrales qui fleurirent dans les villes du royaume de France et en Europe.

Repères chronologiques :


1141-1143 :
Traduction du Coran en Latin à la demande de l'abbé de Cluny.

1146 : St-Bernard ou Bernard de Clairvaux prêche la seconde croisade depuis l'abbaye de Vézelay (Bourgogne).

1147 : Départ de Louis VII pour la croisade et l'abbé Suger devient régent du royaume.

1150 : Architecture gothique classique et cycle musical de l'école de Notre-Dame (époque du Motet).

1152 : Annulation du mariage d'Aliénor d'Aquitaine et de Louis VII et remariage d'Aliénor d'Aquitaine avec Henri de Plantagenet.

1154 : Henri de Plantagenet est couronné roi d'Angleterre.

1163 : Début de la construction de Notre-Dame, la cathédrale est édifiée dans l'abbaye de Notre-Dame, pas très loin de l'ancien emplacement de la basilique St Etienne. Le Pape Alexandre III pose la première pierre en présence du roi.

1171 : Les marchands d'eau de Paris obtiennent le monopole du commerce sur la Seine.

1177 : Achèvement du choeur de Notre-Dame de Paris.



Ci-contre : vitraux de la basilique de St-Denis -  allégorie de St-Paul


   


NB : Si vous souhaitez connaître la fabrication du vitrail et ses évolutions tout au long du Moyen Âge, vous pouvez écouter le podcast de Passion Médiévistes avec Marjolaine Bacot, vitrailliste et peintre-verrier, étudiante en master conservation-restauration des biens culturels à l’Université de Paris Panthéon-Sorbonne (durée 25 minutes).


Notre-Dame de Paris, la maison des Parisiens (1163-1351)


Il s'agit de l'édifice le plus emblématique de la capitale, il n'était pas prévu dans l'histoire légendée de la ville aux 100 clochers (et bien plus), que la cathédrale Notre-Dame ferait l'objet d'un incendie ravageur le 15 avril 2019. Le nombre des lieux de culte depuis les premiers siècles de la chrétienté ont été nombreux et un recensement des chapelles, églises, basiliques, représenterait une somme assez conséquente, ne serait-ce qu’en raison des lieux disparus à différentes étapes de l’Histoire. Aujourd’hui, les deux plus vieilles églises de Paris se trouvent à Montmartre, non loin de la basilique et dans le quartier ou ancien village de Charonne (20ème arr.), là où peut-être Geneviève de Nanterre fit sa rencontre et ses voeux auprès de St.-Germain, évêque d'Auxerre. Mais en des espaces réaménagés ou bien des structures datant des Mérovingiens ayant pu servir de réceptacle à d’autres édifices religieux. Et que précise Eugène Viollet-le-Duc dans un chapitre consacré à cette majestueuse oeuvre gothique (à lire ci-dessous le texte sur Notre-Dame).

Les cathédrales entrent dans la catégorie des bâtiments de taille, si elles ont été moins nombreuses en raison de leur coût et investissement humain, sur une durée très variable et nécessairement longue, seules les villes en Europe avec une forte activité économique purent se permettre de telles constructions. Il s'agit avant tout du siège de l'Evêché et plus tard de l'Archidiocèse parisien, d'où l'idiome latin cathedra qui veut dire : le siège (de l'évêque et/ou de l'archevêque). Les premières bases de son édification sont antérieures à 1163 et la pose d'une première pierre, une date prise pour marquer l'événement, mais elle est relative quant à sa conception. La mise en oeuvre des assemblages a été entreprise sur une longue période et chaque étape avec son lot de difficultés : le choeur, le transept,
la nef, les bas côtés, les deux tours, la flèche et les arcs-boutants. Sa conception architecturale en fait un monument témoin avec plus de 850 années d'histoires et l'un des plus vieux vestiges du Moyen Âge parisien.

La légende selon Viollet-le-Duc fait remonter à Charlemagne sa construction et elle aurait nécessité six siècles, pour voir sortir du sol sableux l'un des monuments les plus imposants de Paris pour une durée néanmoins longue avant que l'imposant bâtiment ne soit achevé. Environ 200 ans pour son édification et au final la construction de l'autel, sans parler des réaménagements et fouilles entreprises au XVIIe siècle en son sein par l'architecte Mansart et pour ornementation imposante, la Pieta en marbre voulue par Louis XIV, de même sous Louis XV avec son lot de dégradations, et le siècle suivant sous la conduite d'Eugène Viollet-le-Duc à partir de 1847 dans un vaste chantier pour sa sauvegarde. Et qui comme toute nouvelle conception a connu son lot de réprobations, mais au fil du temps devenait insignifiant et participa de sa magnificence.

Ce fut Victor Hugo qui tira le signal d’alarme sur sa vétusté et les menaces qui pesaient à ne pas entreprendre sa rénovation. Après avoir remis l’abbaye de Vézelay dans ses fondations romanes, Viollet-le-Duc adjoint de l’architecte J.B. Antoine Lassus eurent la lourde charge de redonner à la cathédrale un nouvel éclat, un peu au fait et parti prix d’un Moyen Âge romantique ou romancé. Cependant sa rénovation s’était inspirée des pratiques artisanales du compagnonnage et de fait dans le fil droit d’une tradition rigoureuse des métiers d’art et de leurs différents corps d’exercice : charpentiers, tailleurs de pierre, menuisiers, etc.                            
                                                            Ci-contre dessin du XVIIIe s.


Viollet-le-Duc y laissa en de nombreux endroits sa signature, les statuaires extérieures furent plus nombreuses qu’à l’origine, et la grande rosas fit un petit tour sur elle-même dans une configuration différente des vitraux et de l’axe de la lumière. Ces originalités sont venues à l’exemple des gargouilles pour évacuer les eaux de pluie, une trentaine d’années pour ce chantier hors norme.

« L'église de Maurice de Sully forme comme le noyau de la cathédrale de Paris, et il est facile encore de la distinguer malgré la richesse de la décoration dont, les XIIIe et XIVe siècles sont venus l'envelopper. Ainsi que nous le prouvons plus loin, c'est aux premières années du XIIIe siècle que l’on doit faire remonter la construction de la magnifique façade occidentale celle des éperons et galeries de la nef, ainsi que l'arrangement des grandes fenêtres, et c’est encore dans la seconde moitié de ce siècle que furent ajoutées les chapelles de la nef. Enfin les deux façades des transepts, les chapelles du chœur, et une grande partie des arcs-boutants appartiennent au XIVe siècle. »
Source : Gallica-Bnf, Projet de restauration de Notre-Dame de Paris : rapport au ministre (...)
 MM. Lassus et Viollet-Leduc - imprimerie de Me Lacombe, Paris 1843
Il est aussi question, de véritables trésors patrimoniaux et des emblèmes religieux au service des croyances comme des reliques, objets de dévotion pour attirer les fidèles ou gens du peuple. Un ensemble de sculptures, de tableaux, de chapelles aménagées, etc., ont façonné et surchargé un lieu ouvert en un lieu de prière avec ses rangées de chaise et ses travées ornementées. Il existait aussi un cloître sur le côté nord, en lieu et place des quais se tenait l’hôpital de l’Hôtel-Dieu avant qu’il ne soit détruit sous Napoléon III et réinvestit de l’autre côté du parvis à la place des Enfants-Trouvés. A l’époque médiévale, il était possible de rentrer à cheval et la cathédrale participait comme d’une maison commune, où l’on pouvait déambuler dans ce vaste palais du peuple épuré et ouvert à tous les vents. Toutefois, un espace colorisé en ocre par ses couches, qui servirent d’isolation et de protection pour les pierres en calcaire.

La charpente ou la structure en poutre du toit a été appelée « la forêt », le bois utilisé venait d'arbres probablement plantés sous les Carolingiens, selon Viollet-le-Duc, et ils ont été travaillés et posés au cours du XIIIe siècle et du XIVe siècle, une oeuvre qui faisait référence au sein des métiers d'art. Le point de vue d'un archéologue est venu mettre quelques bémols au mois de juin 2019 sur les réalités du bois et des techniques employées. Charpente de Notre-Dame : stop aux idées reçues ! (Frédéric Épaud, chercheur CNRS). Et une histoire qui ne peut s'abstraire de l'antériorité et l'existence de deux lieux de culte disparus, l'un consacré à la vierge Marie, l'autre à saint-Etienne avec une imposante basilique disparue depuis. La cathédrale est depuis 1991 patrimoine de l'humanité sous l'égide de l'Unesco et aussi sous le contrôle des architectes des bâtiments historiques depuis le XIXe siècle.


NOTRE-DAME



Plan Turgot, XVIIIe s.


Eugène Viollet-le-Duc

« L'église cathédrale de Paris est comme les héros, elle a deux histoires, l'une légendaire, l'autre réelle, et comme toujours aussi, la légende est au-dessous de la réalité. Si l'on s'en rapportait aux auteurs les plus anciens qui ont écrit sur Notre-Dame de Paris, le monument que nous voyons aurait été commencé, tout au moins, du temps de Charlemagne, et n'aurait été achevé que sous Philippe le Bel. Il n'aurait pas fallu moins de six siècles environ pour accumuler ces stratifications de pierres. De s'enquérir comment un plan, dressé sous Hercandus, quarante-deuxième évêque de Paris, aurait pu être suivi à travers les siècles et dans un pays aussi prompt aux changements que le nôtre, on ne s'en souciait guère. (…)

La légende dit encore que l'église est fondée sur pilotis. Corrozet, du Breul, et tant d'autres qui ont copié sans scrupule ces deux auteurs ont répété cette fable. J'ai même, dans ma jeunesse, entendu un bonhomme prétendre qu'un vieillard, de lui connu, s'était promené en bateau, disait-il, entre les pilotis de la cathédrale. Le fait est que les fouilles n'ont montré nulle part l'apparence d'un pilotage, mais bien de belles et hautes assises de pierres, parfaitement taillées, posées sur le sable de la Seine. La légende veut aussi que les vingt-huit statues colossales qui garnissent la galerie inférieure du portail occidental représentent les rois de France jusqu'à Philippe Auguste, tandis que ces statues sont celles de rois de Juda, considérés comme les ancêtres de la Vierge, l'église cathédrale étant placée sous le vocable de la mère du Sauveur. Mais la légende dit encore bien d'autres choses.

Avant Maurice de Sully, deux églises couvraient à peu près l'espace occupé par la cathédrale actuelle, l'une sous le vocable de saint Étienne, qui était la plus ancienne, l'autre dédiée à la Vierge Marie. L'archidiacre Étienne de Garlande, qui mourut en 1142, fit faire des réparations importantes à l'église Sainte-Marie. De ces travaux, il nous reste les beaux bas-reliefs du tympan de la porte Sainte-Anne et quelques voussures, replacés au commencement du XIIIe siècle, lorsqu'on éleva la façade que nous voyons. C'était une habitude assez ordinaire, lorsqu'on reconstruisit à cette époque les grandes cathédrales, de conserver des parties ou des fragments des monuments antérieurs. Le même fait se présente à Chartres, à Bourges, à Rouen.

Si l'on tient compte des difficultés que présentait au XIIe siècle l'érection d'un vaste édifice dans la Cité, alors populeuse, encombrée de palais, d'églises et de maisons, à cette époque où l'on ne possédait que peu de moyens de transport, où les engins faisaient défaut, on peut s'émerveiller de l'activité des constructeurs de Notre-Dame. Commencée en 1163, en 1182 le maître-autel était consacré ; en 1196, Maurice de Sully, en mourant, laissait 5.000 livres pour couvrir en plomb la toiture de la partie orientale. Alors le choeur était achevé jusqu'au transept, la nef était fondée. Continués sous l'épiscopat d'Eudes de Sully et sous celui de Pierre de Nemours, les travaux, à la mort de Philippe Auguste, en 1223, étaient presque achevés, l'église était entièrement voûtée et la partie supérieure du portail seule restait à terminer.

L'oeuvre, interrompue pendant quelques années, reprise en 1230, fut complétée vers 1235, sauf les flèches en pierre, qui devaient couronner les deux tours et dont les amorces restent en attente depuis cette époque. Mais le colosse, achevé, subit bientôt des modifications notables. Il faut savoir qu'à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe, les cathédrales que l'on reconstruisit dans les provinces du nord de la France, avec une prodigieuse ardeur, n'étaient pas seulement des édifices religieux.

Les ordres monastiques bénédictins, sapés par saint Bernard, penchaient vers leur déclin. Les communes déjà riches secouaient le joug féodal et s'insurgeaient. Les évêques, dont le pouvoir diocésain, si puissant sous les Mérovingiens et les premiers Carlovingiens, avait été singulièrement amoindri par les établissements monastiques de Cluny, cherchaient à ressaisir ce pouvoir dans toute son étendue ; ils comprirent bientôt l'avantage qu'ils pouvaient tirer des tentatives d'affranchissement des communes, et offrirent à celles-ci d'élever dans les villes épiscopales un monument, qui fût à la fois civil et religieux, refuge de la cité, dans lequel pourraient se rassembler les citoyens, sous la protection épiscopale, fût-ce même pour discuter les affaires de la commune. S'appuyant sur un raisonnement médiocre, mais qui eut un plein succès, l'épiscopat prétendait :
« que l'Église, en vertu du pouvoir que Dieu lui a donné, devait prendre connaissance de tout ce qui est péché, afin de savoir s'il convient de remettre ou de retenir, de lier ou de délier. Dès lors, comme tout procès résulte d'un crime, d'un délit ou d'une fraude, le clergé soutenait avoir le droit de juger toutes les causes, affaires réelles, personnelles ou mixtes, causes féodales ou criminelles (1) ».
Le peuple ne voyait pas d'un mauvais oeil ces empiétements sur le pouvoir féodal laïque ; il trouvait dans les cours ecclésiastiques une manière de procéder moins barbare que celle dont on faisait usage dans les justices seigneuriales. Le combat n'y avait jamais été admis ; l'appel y était reçu ; on y suivait le droit canonique, qui se rapproche, à beaucoup d'égards, du droit romain ; en un mot, toutes les garanties légales que refusaient les tribunaux des seigneurs, on était certain de les obtenir dans ces cours ecclésiastiques.

C'est alors que, soutenus par le pouvoir monarchique déjà puissant et qui ne voyait pas sans une secrète satisfaction l'abaissement de la puissance indépendante des ordres religieux et les empiétements sur la juridiction féodale, forts des sympathies des riches populations urbaines, qui se précipitaient vers toutes les issues ouvertes sur les voies de l'affranchissement, les évêques songèrent à doter leurs villes épiscopales d'un monument fait sur un nouveau programme. Ils trouvèrent rapidement des sommes considérables, et jetant bas les vieilles cathédrales, ils commencèrent ces monuments immenses, destinés à réunir autour de la cathedra, de la chaire épiscopale, les populations désireuses de trouver un centre pour leurs assemblées. Cela se passait à la fin du règne de Louis le Jeune et sous Philippe Auguste. C'est, en effet, sous le règne, de ces princes que nous voyons commencer et élever rapidement les grandes cathédrales de Soissons, de Paris, de Laon, de Chartres, de Reims, d'Amiens, de Rouen, de Senlis, de Meaux, de Bourges.

Ce n'est plus dans les couvents que les évêques vont demander des architectes ; ils les prennent dans la population laïque. L'élan fut prodigieux. L'argent abondait, et ces grandes églises s'élevaient comme par enchantement. Mais l'alliance du haut clergé avec la monarchie, l'influence qu'il prenait dans les cités épiscopales ne tarda pas à inquiéter les barons. Saint Louis reconnut bientôt que, pour échapper aux dangers que les prétentions de la féodalité laïque faisaient courir sans cesse au pouvoir royal, le suzerain aurait affaire à d'autres maîtres et qu'il tomberait bientôt aux mains d'une oligarchie cléricale soumise à Rome. D'un autre côté, les bourgeois des villes ne trouvaient pas dans les cours épiscopales les garanties sur lesquelles ils comptaient, et les excommunications, se mêlant aux procédures, causaient des troubles notables dans les familles et les cités.

En 1235, la noblesse de France et le roi s'assemblèrent à Saint-Denis pour mettre des bornes à la puissance que les tribunaux ecclésiastiques s'arrogeaient. Il fut arrêté d'un commun accord :
1° que leurs vassaux ne seraient point obligés de répondre en matière civile ni aux ecclésiastiques ni à leurs vassaux, devant le tribunal ecclésiastique ;
2° que si le juge ecclésiastique les excommuniait pour ce sujet, il serait obligé de lever l'excommunication par la saisie de son temporel ou de celui qui aurait poursuivi la sentence ;
3° que les ecclésiastiques et leurs vassaux seraient contraints de répondre devant les laïques dans toutes les causes civiles de leurs fiefs, mais non de leurs personnes (2).
Au mois de novembre 1246, après que les prétentions des évêques de France, soutenus par les papes, malgré les décisions du roi et des barons, eurent causé des troubles sérieux dans plusieurs villes du royaume, la noblesse rédigea un acte d'union, par lequel elle s'engageait à maintenir ses droits contre le clergé, sans se mettre en peine des excommunications (3). Les délégués de cette assemblée furent le duc de Bourgogne, le comte Pierre de Bretagne, le comte d'Angoulême, fils aîné du comte de la Marche, et le comte de Saint-Paul. L'acte de délégation, rédigé en latin et en français, témoignait ouvertement que le désir des barons était de réduire les ecclésiastiques à l'état de pauvreté de la primitive Église. « Il est dit en somme que ces seigneurs ligués étaient tous les grands du royaume, et on en parle comme d'une conspiration générale de la France appauvrie par la cour de Rome... »

On remarque que saint Louis favorisa cette ligue et en fit sceller l'acte de son sceau. On ajoute même que, suivant l'avis de son conseil, il révoqua la permission qu'il avait donnée au pape de lever de l'argent sur les ecclésiastiques... (4). D'ailleurs, le roi Louis IX avait institué ses baillis royaux. Ceux-ci, présents dans les cours seigneuriales, toutes fois qu'ils le jugeaient convenable, déclaraient la cause cas royal et la portaient à la cour du roi, qui enlevait ainsi à la féodalité une de ses prérogatives souveraines. C'était une garantie pour les parties, qui trouvaient plus d'équité, plus de lumières dans le parlement du roi que dans les cours féodales. La tentative des évêques avortait ; aussi toutes les grandes cathédrales qui ne furent point achevées avant 1245 ne purent-elles être terminées qu'à grand'peine, quand la construction n'en fut pas interrompue pour toujours.

Alors Notre-Dame de Paris était élevée, sauf les flèches en pierre des deux tours, ainsi que nous l'avons dit tout à l'heure ; l'église était entièrement bâtie sur le programme mi-religieux, mi-civil des cathédrales françaises de la fin du XIIe siècle. Elle ne possédait point de chapelles. L'autel seul, au milieu du rond-point de l'abside, était entouré des stalles du chapitre, la chaire de l'évêque dans l'axe. Les collatéraux de cette abside étaient de plain-pied avec le choeur. C'était la basilique antique avec son tribunal, ses galeries latérales à rez-de-chaussée et au premier étage. Le transept était marqué, mais ne formait point de saillies sur les bas-côtés (5).

Des fenêtres larges, sans meneaux, percées dans les murs des bas-côtés, éclairaient la partie basse de l'église ; d'autres baies plus longues, ouvertes sous les voûtes des galeries supérieures, les éclairaient ainsi que la nef centrale ; et, enfin, un troisième rang d'ouvertures, également sans meneaux, faisait pénétrer le jour sous les hautes voûtes (6). Des roses, percées sous les combles des galeries supérieures, occupaient l'espace libre entre les arcs de ces galeries et l'appui des fenêtres supérieures. Cette disposition était simple, large, sévère. La cathédrale, ainsi faite, avait un caractère d'unité et de grandeur que les adjonctions postérieures lui ont fait perdre en partie. Dans ces basiliques, au milieu desquelles l'autel unique semblait présider, se tenaient des assemblées qui n'avaient rien de religieux.

Des marchands s'établissaient intérieurement dans les collatéraux. Là, à toute heure du jour, on pouvait se réunir, s'occuper des affaires de la cité. Il faut se rappeler qu'alors tout acte, même civil, se rattachait par un certain côté aux habitudes religieuses ; qu'en toute occasion il fallait avoir recours à l'intervention des clercs, et on reconnaîtra que les évêques étaient parfaitement entrés dans l'esprit de leur époque en élevant ces larges abris dont ils occupaient le centre et où il semblait qu'ils dussent être pour toujours les arbitres des intérêts de la cité. (...)

Paris, centre du pouvoir suzerain, déjà puissamment établi au milieu du XIIIe siècle, devait subir, plus qu'aucune autre ville du domaine royal, l'influence de ces mouvements dans la politique intérieure du royaume. A Beauvais, à Reims (l'histoire en fait foi), les évêques résistèrent et tentèrent de maintenir la suprématie à laquelle prétendaient les cours épiscopales ; mais à Paris, rien de semblable. Il paraîtrait, au contraire, que les évêques se seraient résignés, plus facilement que partout ailleurs, à ne voir dans leur cathédrale qu'un édifice purement religieux. Vers 1245, déjà les chapelles étaient pratiquées entre les contreforts de la nef, en supprimant le mur, percé de fenêtres, qui fermait le double bas-côté. Avant cette époque, c'est-à-dire vers 1240, le fenêtrage supérieur de la nef et du choeur était changé.

Les anciennes fenêtres, agrandies aux dépens des roses percées au-dessus de la galerie, étaient garnies de meneaux. Par suite de cette modification dans la disposition primitive des hautes oeuvres, les voûtes de la galerie jadis rampantes pour ouvrir de plus grands jours sur la nef (7), étaient rétablies de niveau et les anciennes fenêtres du triforium diminuées. Les corniches supérieures étaient refaites avec une forte saillie de feuillages, un chéneau et des balustrades. Un jubé était élevé devant le choeur (8). Les choses restèrent en cet état jusqu'en 1257. Par suite de la construction des chapelles entre les contreforts de la nef, les deux pignons du transept, de la fin du XIIe siècle, se trouvaient en retraite de la saillie formée par ces chapelles, ce qui devait produire extérieurement et intérieurement un très mauvais effet. Ainsi que le constate l'inscription sculptée à la base du portail méridional, les pignons du transept furent démolis et avancés d'une travée en 1257 (9). Le maître des oeuvres, Jean de Chelles, construisit les deux magnifiques pignons du nord et du midi, et les premières chapelles du choeur, jusqu'à la porte Rouge inclusivement, du côté septentrional, et jusqu'à l'ancienne galerie de communication de l'évêché, du côté méridional. Au commencement du XIVe siècle, l'évêque Matiffas de Bucy fit construire les chapelles du rond-point, entre les saillies des anciens contreforts de l'église de Maurice de Sully. Quant aux grands arcs-boutants, autrefois à deux volées, l'abaissement des voûtes du triforium en nécessita la construction en une  seule volée. Ceux de la nef furent refaits d'après ce dernier tracé, vers 1245, au moment où l'on construisait les premières chapelles ; ceux du choeur, de 1260 à 1300. C'est aussi à cette dernière date qu'il faut reporter la réfection des fenêtres absidales de la galerie supérieure.

Comme nous l'avons dit, un jubé avait été élevé devant le choeur, au milieu du XIIIe siècle. La clôture du tour de ce choeur ne fut cependant commencée qu'à la fin du XIIIe siècle, par Jean Ravy, maçon de Notre-Dame, lequel y travailla pendant vingt-cinq ans. L'inscription qui donnait le nom de cet imagier ajoutait que l'oeuvre avait été parfaite, en 1351, par Jean le Bouteiller. De cette clôture en pierre et de ce jubé il ne reste que les deux parties au nord et au sud, derrière les stalles. Le segment, qui entourait l'abside et dont les sujets ajourés se voyaient du dedans et du dehors du sanctuaire, fut détruit en 1699.

Lorsque Louis XIV voulut acquitter le voeu qu'avait fait le roi Louis XIII son père, en mettant le royaume de France sous la protection de la Vierge, par lettres patentes du 10 février 1638. Les travaux ordonnés par Louis XIV coûtèrent plus d'un million de livres ; terminés une année seulement avant sa mort, ils comprenaient toute une décoration de marbres et de bronze (10). Le groupe du Christ descendu de la croix, les deux statues de Louis XIII et de Louis XIV, les anges en bronze, les stalles en chêne sculpté et le pavage en mosaïque existent encore. Un autel fort riche avait remplacé le charmant autel du XIIIe siècle, avec ses colonnes en bronze doré, surmontées de statues d'anges, et l'édicule sur lequel était placée la châsse de saint Marcel.

Pour exécuter les travaux ordonnés par Louis XIV, on détruisit encore de magnifiques tombes en bronze, qui se trouvaient placées dans le choeur et qui recouvraient les restes de grands personnages, entre autres d'Isabelle de Hainaut, première femme de Philippe Auguste ; de Geofroy, duc de Bretagne, qui mourut en 1186 ; d'une comtesse de Champagne, et d'un certain nombre d'évêques. Une statue en pierre, peinte et couverte d'incrustations de pâtes coloriées, dont on a retrouvé des restes, était dressée à la droite de l'autel, contre un pilier ; c'était celle de Philippe Auguste. Des stalles en bois sculpté, fort riches, à dossiers recouverts de cuirs dorés, avaient été élevées, au commencement du XIVe siècle, des deux côtés du choeur. Elles furent détruites et remplacées par les chaires que l'on voit aujourd'hui, lesquelles sont d'ailleurs d'un beau travail. »

Notes de l’auteur :

(1) Institut, de saint Louis.
(2) Le Nain de Tillemont.
(3) Matth. Paris.
(4) Le Nain de Tillemont.
(5) Les cathédrales de Sens, de Senlis, de Meaux, contemporaines de Notre-Dame de Paris, ne possédaient pas de transepts, ceux-ci furent ajoutés plus tard. La cathédrale de Bourges, bien que commencée seulement dans les premières années du XIIIe siècle, n'a point de transsept.
(6) On voit encore les restes ce cette disposition primitive conservée sur les parois intérieures de la première travée de la nef après les tours et de la dernière avant le transept.
(7) Deux des voûtes primitives des galeries existent encore dans la travée près des tours, d'autres à l'extrémité de la nef contre le transept.
(8) Ce jubé, dont nous avons retrouvé des fragments, datait de 1245 environ et était par conséquent plus ancien que les portions de clôtures en pierre avec imagerie, qui existent encore.
(9) Voici cette inscription : ANNO. DNI. M.CC. LVII. MENSE FEBRUARIO. IDUS SECUNDO. HOC. FUIT. INCEPTUM CHRISTI. GENITCIS HONORE. KALLENSI LATHOMO VIVENTE JOHANNE. MAGISTRO. Des divers maîtres des oeuvres auxquelles on doit la construction de la cathédrale de Paris, Jean de Chelles est le seul dont le nom soit venu jusqu'à nous.
(10) Les bronzes furent fondus en 1792, les restes des marbres ont été enlevés en 1860 pour pouvoir restaurer les piliers du rond-point qui s'écrasaient par suite des mutilations qu'on leur avait fait subir.

Source : Gallica-Bnf et l'INAH Les églises de Paris,
Biographie et bibiliographie d'Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc
(1814-1879).
Chapitre Notre-Dame - Pages 1 à 22 - Éditeur : C. Marpon et E. Flammarion (Paris-1883)

 

En 1179 Philippe II dit Auguste est associé au trône

Philippe Auguste ou Philippe II (1165-1223) a été un des grands rois constructeurs de Paris. La ville lui dût le premier élargissement d'ampleur depuis les romains et de retrouver sous son règne son statut de capitale du royaume. Pour mémoire, du nord au sud, il exista des portes fortifiées, des murailles élévées. Une grande place forte s'érigeait et n'allait cesser de s'élargir avec le temps. En 1180, la capitale avait une population estimée de 25.000 âmes et passa à 50.000 habitants quarante ans plus tard. Une réalisation gigantesque sur au moins cinq kilométres de diamètre se dresaient avec les imposantes fortifications de Philippe Auguste, et sous l'effet d'un élan nouveau à la fois économique et social important. La ville devenait une place fortifiée.
 

La construction des remparts en rive sud a commencé en 1190, et au nord en 1210. Des tours, au moins trente-trois pour le pourtour nord de la rive droite et idem au midi, plus celles qui fortifiaient les portes, qui s'élevaient à quinze mètres environ et comprenaient deux étages ; plus celles qui formaient la tête d'enceinte, avec vingt-cinq mètres de haut sur dix environ de diamètre comprenant trois étages en forme de voûte. Plus deux grands murs reliés entre eux par des "moellons" noyés dans du ciment, les pierres étaient  composées de pierres calcaires, qui devenaient ainsi à l'air presque aussi dure que du grès, et d'une teinte grisâtre. Par suite de nombreuses réparations, il s'intercala des pierres d'autres dimensions et de diverses natures.

La muraille de Philippe dit Auguste était une combinaison "idéale" de protection. Toute en rondeur, elle fit de Paris une vaste structure qui s'étendit de nord en sud, et avec en son centre les palais royaux, avec le futur Palais du Louvre. Des subsitances, encore présentes en de nombreux lieux, pour qui veut le voir ou le rechercher. Pour la défendre à l'ouest, le roi fit ériger sur son argent propre le Louvre féodal, le reste fut financé par la Ville.

Entre 1190 et 1220 sous le règne de Philippe II était construit cette oeuvre fortifiée, le second et dernier ouvrage au service d'une défense "globale": une muraille avec un chemin de ronde, des créneaux, des portes fortifiées et des tours rondes. Paris en 1230 s'étendait sur 2.800 mètres sur la rive droite, et sur 2.600 mètres sur la rive gauche, avec trois mètres d'épaisseur à la base, neuf mètres de hauteur et une tour de quatorze mètres de haut tous les soixante-dix mètres. La structure du rempart était composée de deux murs épais, solides et appareillés. Tout l'espace entre les deux parois contenaient de petites pierres et du mortier.
 

La construction du château médiéval du Louvre a été réalisée de 1190 à 1202 (ci-contre en dessin). Le château forteresse dessinait un rectangle de 78 mètres sur 72 mètres et comprenait 10 tours, entourées de douves. Au centre était un donjon circulaire ou "Grosse Tour" de 15 mètres de diamètre et haut de plus de 30 mètres. Il est possible de voir les anciennes fondations du château médiéval au sein du musée du Louvre, un des endroits les plus insolites de la ville, ainsi que des maquettes de l'ancienne cité fortifiée.



Création des Echevins
&
armoirie de l’Hôtel-de-Ville




illustration de l'armoirie de 1180


Gilles Corrozet,
(1561 et 1581) Imprimeur et premier historien de Paris

« Reprenant le fil sur le temps du roi Philippe Auguste, dit le Conquérant, il accrue grandement son royaume et enrichit de beaucoup sa ville de Paris. Car en l’an 1080 il créa les échevins de cette ville, lui donnant les armoiries qu’elle porte aujourd’hui, c’est de gueules à un navire d’argent, le chef d’azur, semé de fleurs de Lys d’or, donnant par ses signes à entendre, que Paris est la dame de toutes les autres villes de France, dont le Roi est le seul gouverneur et patron, qu’elle est la nef d’abondance et affluence de tous biens. Et tout ainsi que le navire représente une république bien administrée aussi les autres villes se règlent selon le gouvernement, et police de celle-ci.

Ce bon prince voyant que la ville était si orde (sale) et boueuse manda le Prévôt, Echevins et Bourgeois, auquel il donna charge, moyennant certains deniers qu’il fit délivrer, que toutes les rues de celle-ci fussent pavées de carreau de grès, ce qui fut fait, et depuis a y été toujours continué. D'avantage pour ce que la dîte ville était de peu de défense, commanda aux dessus dits faire fermer et clore cette ville de gros murs, portaux, et fossés, ce qu’ils firent et est ce qui ce qui comprend, commençant à l’hôtel de Nesle, tout le circuit des portes St. Germain des près, St. Michel, St. Jacques, St. Marceau (ou Marcel) et St. Victor jusqu’à la rivière, au lieu appelé des Tournelles, vis-à-vis des Célestins. Aussi la fit clore des mêmes portes ou grosse murailles, qui environnent tout le reste de la ville, à savoir les portes et fossés St. Honoré, Montmartre, St. Denis, St. Martin et St. Antoine et ordonna d’édifier en cette clôture des maisons pour y habiter car tout était vague depuis les vieilles portes qui ont été abattues jusqu’à celle qu’on voit maintenant. (…)
Sous le règne de ce dudit auguste Roi, on fit réparer le grand Châtelet de Paris, siège ordinaire de la justice. Aussi fit faire la grosse tour du Louvre, laquelle a été démolie par commandement du roi François en l’an 1529. »

Compléments de Bonfons Nicolas (1581) :
« Je ne veux passer sans déclarer la manière et quels sont les Echevins de cette notable ville : je dis que nul ne peut venir à la dignité de Prévôt des Marchands, ni d’Echevin, qui ne soit enfant des habitants de cette ville, afin que les étrangers ne soient instruits aux secrets de la ville, et que la communication de ceux-ci, ne soit préjudiciable et de mauvais exemples pour la postérité. Mais encore y a-t-il une autre observation, qui est qu’on épluche de si près la vie de ceux qui aspirent à ces dignités, qu’il est impossible, qu’homme puisse y parvenir qui soit le moins du monde marqué de quelque note d’infamie, ressentant dénigrement de renommée, ou qui pour quelque méfait, et fut-il léger, aurait été mis en prison, tant est saine cette autorité et honneur d’échevinage, que la seule opinion de vice peut lui demander empêchement. La quantité des magistrats de cet hôtel de ville est un Prévôt des Marchands, les susdits quatre échevins ainsi que l’Etat est dressé dès sa première institution, les 24 Conseillers et le Greffier, Procureur, Receveur, Clerc, Quarteniers (officiers publics à la surveillance et au soin du quartier), Cinquanteniers (officiers ayant sous ses ordres 50 hommes) et désignés. »

Source : Gallica-Bnf, Gilles Corrozet (1510-1568) - Les antiquités, chroniques et singularités de Paris
avec les fondations et bâtiments des lieux, les sépulcres et épitaphes des princes
.
  Texte mis en français moderne et composé de deux documents.



Avec le temps, la muraille fut aménagée, peu détruite. Elle servie d'assise à de nouvelles constructions, cela permettait de faire des économies substantielles aux entrepreneurs.

Une bonne partie de son parcours résida quasiment intact servant d'appui aux nouvelles édifications, il demeure aujoud'hui des portions visibles de la structure.

Des parties furent mises à jour après la seconde guerre mondiale. Il en est ressorti un long pan de mur et deux tours oubliées, mais préservées : rue des Jardins Saint-Paul (4ème arrondissement) et la tour Saint-Jean, rue Etienne Marcel  (3ème ar.).
 

« Le marché des Champeaux (ou du roi) fut renfermé dans l'enceinte construite par Philippe-Auguste. Des propriétés confisquées sur les Juifs servirent à son agrandissement. De 1181 à 1183, il fut clos d'une muraille bordée de loges abritées par des auvents et deux halles y furent construites (Les champeaux à l'origine étaient un terrain vague situé dans l’angle formé par les rues Saint-Denis et de la Ferronnerie). Afin d'achalander ce marché, Philippe-Auguste y transféra, en 1181, la foire de Saint-Lazare (ou foire Saint-Laurent), qu'il racheta de la léproserie de Saint-Lazare, en faveur de laquelle elle avait été établie en 1110. »

  Et l'on ne n'a cessé de vouloir toujours pousser un plus loin les enceintes. Il est fort possible que la ville fortifiée connue des travaux quasi permanents. Pour preuve des expulsions ont été organisées en raison de la guerre de Cent ans à l'exemple des des Filles-Dieu hors des enceintes de la Ville, celles-ci participèrent activement à la disparition des marécages en des terres cultivables. Chaque assèchement au fil du temps procéda d'une conquête de terrains, la rive droite construisit ainsi ces quartiers les uns après les autres, repoussant les zones marécageuses vers une disparition progressive et très nette de son territoire passé, mais pas totalement.



Le grand Châtelet

et

le Prévôt

de Paris (2/3)



« Souvent modifié, presque totalement reconstruit à l'intérieur en 1506, 1537, 1544 et en 1684, le Châtelet conserva néanmoins jusqu'à son entière destruction des traces d'une haute antiquité. Trois tourelles rondes, très élevées étaient reliées entre elles par des constructions de diverses époques. Deux de ces tourelles en pendentif, d'inégale grosseur, protégeaient les deux côés d'une voûte qui donnait accès dans la ville. Au sommet de la plus forte de ces tourelles, il y avait unegalerie environnée d'une balustrade en fer et surmontée d'un toit conique. Cette galerie servait aux galles, ou gardes de nuit.

La voûte supportait deux étages, au milieu desquels on voyait un cadran couronné d'un écusson aux armes de France. Une grande statue de la Vierge tenant le Christ enveloppé dans son manteau, était sculptée sur la clef de voûte et donnait au Châtelet le caractère distinctif des portes de Paris (1). Un peu en avant une colonnette terminée par une croix reposait sur un piédestal très orné. Tel était, au dehors, l'aspect de ce monument célèbre qui, depuis le douzième siècle, devint le siège de la juridiction royale de Paris, et la demeure du prévôt institué par le roi pour veiller sur la ville.

Disons quelques mots de l'origine de cette magistrature, aussi bien que des fonctions et des prérogatives du dignitaire qui l'exerçait. A la fin du dixième siècle, la féodalité triomphante monta sur le trône de France dans la personne de Hugues Capet, comte de Paris. Le nouveau roi confia le gouvernement de son ancien héritage à un lieutenant, ou prévôt, chargé de le représenter.

Ce magistrat devint naturellement un des chefs de la capitale et le plus important des officiers féodaux qui y résidaient, comme dé légué du seigneur suzerain. Non-seulement il exerça dans le fief particulier de son maître justice haute, moyenne et basse, mais il put encore évoquer à son tribunal bon nombre de contestations soulevées dans les fiefs environnants. Ces prérogatives donnèrent au prévôt de Paris beaucoup de pouvoir ; nous voyons qu'en 1060 et en 1067, il comptait au nombre des principaux officiers du roi. Etienne souscrit en cette qualité deux chartes des donations faites à l'église de Saint-Martin des Champs par les rois Henri et Philippe Ier.

Le prévôt de Paris était chef de la noblesse et commandait l'arrière-ban. Il siégeait de droit aux états généraux comme premier juge ordinaire et politique de la capitale du royaume. Son costume était le même que celui des pairs de France ; il portait un bâton de commandement couvert d'une étoffe d'argent, et marchait escorté de douze gardes, spécialement attachés à son service, qui ne devaient jamais le quitter. »



Note :


1. Philippe-Auguste avait fait placer au-dessus des portes de Paris une statue du même genre. Corrozet, dans son livre des Antiquités de Paris, assure les avoir vues en 1530 ; Sauval, qui écrivait au milieu du dix-septième siècle, dit à ce sujet : « Je n'en ai pu trouver qu'une, qui est celle de la Porte-aux-Peintres, élevée sur un pied d'estal contre une maison de la rue Saint-Denis, qui fait le coin d'un cul-de-sac de la Porte-aux-Peintres.

Le propriétaire en a eu tant de soin qu'ayant rebaptisé sa maison, pour marquer plus de vénération, il a posé cette figure sur un pied d'estal,  l'a fait peindre et couronner d'un dais, avec cette inscription en lettres d'or en bas. Cette image était sur l'ancienne porte qui fut abattue en 1535, et a été mise ici pour servir de mémoire. Elle est de pierre, plus grande que nature, tient le petit Jésus entre ses bras, et le regarde amoureusement. Après tout elle ne passe pas pour mal faite, quoi qu'ancienne de plus de 460 ans.

 Antiquités de Paris, etc., tome I, page 31

Source : Persée.fr Antoine Le Roux De Lincy
 

Les eaux de Paris

L'empereur Julien l'Apostat aurait dit vers 358 au sujet de l'eau de la Seine qu'elle était "très pure et riante à la vue". Si les eaux ont pu permettre à une population de moins 20.000 habitants de profiter de cette "pureté", la population au début du XIIe siècle allait se multiplier par au moins cinq et connaître près de 250.000 âmes à la fin du XIIIe siècle.

La Tutela, cette protection naturelle inondable occupa une partie de la rive droite, elle connue aussi deux sources pour l'alimenter. Il resta un lien certain entre le ruisseau de Ménilmontant et l'ancien bras nord, ce qui a pu porter à confusion entre les sources des collines de la rive nord et le bras de la Vieille Seine.

L'ancien bras du fleuve avait une jonction au bas des collines du nord-est parisien avec deux petits affluents venus des hauts de Belleville et de Ménilmontant
. Cette confusion était tout à fait compréhensible, ces deux sources ou cours d'eaux allaient devenir sous Philippe Auguste souterrains, et de l'ancien bras ne subsita qu'un maigre écoulement, qui prit antérieurement le nom de ruisseau de Ménilmontant (pouvant se confondre avec le ru de Belleville).
 


Le roi fit donc construire deux aqueducs souterrains. On captait les eaux des hauteurs du Pré-Saint-Gervais et de Belleville, les premières allaient à la léproserie de Saint-Lazare et suivaient à peu près la rue Petit (19ème arr.) rejoignant la rue des Flandres, puis le faubourg Saint-Martin : Quartiers St-Martin et Saint-Denis (dans le 10ème arr.). - jusqu'à l'enclos des Lazaristes à partir de 1179. La présence des eaux en rive droite a été une raison essentielle du développement de ce territoire en jachère jusqu'au début des rois Mérovingiens, notamment en la construction de puits, à environ à quatre mètres de profondeur, on trouvait de l'eau, à un détail près, elle était croupissante le plus souvent, à moins de ne tirer directement dans une nappe phréatique.

L'état sanitaire de Paris resta sur ce plan plus que médiocre pour ne pas dire insalubre, l'évacuation des eaux usées et des ordures allait devenir un enjeu dès la fin du règne de Philippe Auguste. Un problème qui ne fut (en partie) résolu que sous Napoléon III, du moins l'eau courante dans les immeubles. On estima au début du dix-neuvième siècle que l'approvisionnement moyen pour un Parisien était de l'ordre de un litre d'eau par jour et par personne. Le tout était devenu avec le temps au tout avenant, la chaussée était traversée le plus souvent d'une rigole où coulait les eaux usées et les Parisiens avaient peu de gène à jeter par les fenêtres les eaux domestiques ou les bassins d'aisances (ou pôts de chambre). Avant que Paris ne connaisse des règles élémentaires d'hygiène, en clair les ruelles ne fleuraient pas très bon.

Les catastrophes naturelles provoquées par les eaux ont laissé quelques traces de mémoire et pour cause les inondations se sont avérées pour certaines meurtrières et dévastatrices. A la fin du VIème siècle Grégoire de Tours faisait mention de naufrages survenus d'eaux subitement gonflées au sud de la Basilique Saint-Laurent. L'on sait aussi que Philippe Auguste déménagea au plus vite avec les siens à l'abbaye Sainte-Geneviève, c'est à dire en hauteur pour ne pas être noyé par les eaux dans son palais de la Cité, en 1196.

« Au mois de décembre de la même année 1206 la Seine débordée causa la plus grande inondation qui eut été vue par tous ceux qui vivaient pour lors. A la campagne les plus grands arbres furent emportez, et des villages entiers submergés. La ville de Paris courait le même risque. Comme les eaux étaient dans toutes les rues, où l'on ne pouvait plus aller qu'en bateau, les maisons ébranlées jusqu'aux fondements, menaçaient d'une ruine prochaine, ainsi que le Petit pont, dont les arches, quoique de pierre, étaient extraordinairement agitées par l'impétuosité et l'abondance des eaux. Dans la confirmation générale on eut recours aux prières et aux processions publiques, pour essayer de fléchir la miséricorde de Dieu sur son peuple. Toutes les églises de la ville, avec leurs châsses, s'assemblèrent à sainte Geneviève , d'ou la procession générale sortit pour se rendre à Notre-Dame. Le danger qu'il y avait de passer sur le Petit-pont, dont on voyait déjà plusieurs pierres se détacher, ne ralentit point la piété du clergé et du peuple. La présence de la chiffe de Ste Geneviève les rassurait. Ils passèrent et repayèrent le pont sans aucun mauvais accident. Mais à peine la châsse de la sainte eut-elle été reportée dans son église, qu'environ une demie heure après, trois arches du pont s'écroulèrent, et entraînèrent avec elles les maisons qui étaient bâties dessus. C'était un samedi au soir, au mois de décembre. On attribua à la protection de la sainte, que personne ne périt pour lors, que les pluies cessèrent aussitôt, et que les eaux commencèrent dès ce jour à baisser ; ce qui redoubla la confiance de tout Paris dans les mérités de sainte Geneviève.

Les moines de St. Denis prirent aussi part à la consternation et à la dévotion publique. Ils vinrent, pieds nus, à Notre-Dame avec la couronne d'épines et l'un des clous de Notre Seigneur, Rigord assure que l'abbé n'eut pas plutôt béni les eaux avec les saintes reliques, qu'elles commencèrent à diminuer.

Dix ans auparavant il y avait eu une autre inondation, si rapide qu'elle rompit tous les ponts, c'est-à-dire le grand et le petit, qui avait été rebâti de pierre depuis moins de vingt ans par l'évêque Maurice, et noya plusieurs villages avec les habitants. On eut recours en ce temps-là, comme en 1206 aux prières et aux processions générales. Le roi y assista. Les religieux de St. Denis, pieds nus, portèrent le bras de St. Siméon avec un des clous du Sauveur et une partie de la couronne d'épines. Les eaux furent bénies avec cette formule : « Que Notre Seigneur par les signes de sa sainte passion, veuille resserrer ces eaux dans leur lieu ordinaire. » Peu de jours après les eaux diminuèrent et la rivière se retira dans son lit. »

Source : Gallica-Bnf, Histoire de la ville de Paris, Michel Félibien,
mise au jour par G.A. Lobineau,
page 242, tome 1. Éditeur, G. Desprez (Paris, 1725
)

  La pluie faisait office de nettoyage et l'on peut se douter qu'en rive droite ou gauche une bonne partie finissait dans la Seine ou croupissait en l'attente de l'été. Le dallage des rues fut ordonné aussi par Philippe Auguste et pris un temps très long avant que la Ville ne soit complètement pavée.

Seules les grandes voies de communication connurent vraiment une chaussée en dur, ensuite se posait la question de l'entretien des chaussées? Dont probablement la grande rue ou route de Saint-Denis, qui a été l'axe principal de circulation vers le nord et l'ouest du royaume, un nœud routier et la voie royale vers la basilique de Saint-Denis. A la porte du même nom était le lieu des entrées et sorties solennelles, des enterrements des dignitaires du royaume, il s'y déroulait en général un rituel en présence des religieux et des bourgeois. Seul Charles VI dit le fol eut l'idée de détruire un pan de la muraille pour faire son entrée et marquer ainsi sa colère à l'égard des Parisiens au XVe siècle.


On doit accorder à Philippe Auguste une impulsion décisive dans l'essor de la Nouvelle Ville ou de la Neuve Ville. Malgré les premières tentatives de réglementations, l'eau a toujours été une question de discorde ou d'enjeux de développements. Et la ville avec ses permanentes mutations immobilières toujours en quête d'espace. Les premières mesures applicables en dehors des fortifications furent peu suivies d'effet. Le royaume de France et sa ville capitale allait attendre le seizième siècle pour connaître une certaine stabilité territoriale.

1182-1183 : Philippe Auguste fait bannir les Juifs du domaine royal et consfiquent leurs biens. Et « donna, l'année suivante, tous leurs édifices publics à Maurice de Sully, évêque de Paris, avec permission de les consacrer au culte catholique, » dont une synagogue devenue l'église Ste Madeleine (île de la Cité, disparue au XIXe siècle).
1187 :
Défaites de Guy de Lusignan, roi de Jérusalem (jusqu'en 1192)
avec la prise de la ville par Saladin en octobre.
1188-1190 : La population du royaume est affligée par des famines, trois années successives.
1189-1194 : La troisième croisade est lancée et finie par la défaite de Philippe II de France. En 1194 se produit une très forte famine dans le royaume.
1196 : En mars, une crue de la Seine emporte les ponts de Paris, Philippe II quitte lui et sa cour le palais et il se réfugie en hauteur à l’abbaye Sainte-Geneviève.
1198 : Les Juifs ne sont plus interdits, mais pour revenir au sein du royaume ils doivent payer pour leur rétablissement.
1201 : A Paris, l'hôpital de la Trinité est fondé, rue St.-Denis par deux allemands.
1202-1204 : A la demande du pape Innocent III élu quatre ans plus tôt s'engage la quatrième croisade.
1203 : Annexion
et occupation de la Normandie par le roi.
1204 : La ville de Constantinople est assiègée puis saccagée par les Croisés, encore qualifiés de Francs.
1209-1229 : Croisade contre les Albigeois décrétés hérétiques (document vidéo sur l'invention des Cathares).
1220 : En août, est fondée l'Université de médecine de Montpellier. (Statuts de Conrad d'Urach, légat du pape)



A noter : Des croisades outre-mer ont été rapportées comme produits naturels nouveaux : l'échalote d'Ascalon, l'artichaud, l'abricot et les prunes de Damas...

Et le sucre de canne !
(à lire ci-dessous)

Un des chevaliers qui fit la première croisade, Foulcher de Chartres (vers 1059 et 1127), celui-ci a rapporté dans son Histoire des croisades que :

« Dans les terres en culture se trouvaient alors certaines plantes en maturité, semblables à des roseaux, et qu'on appelle canna mellis (cannes à sucre), nom composé des deux mots canna (canne) et mel (miel). C'est de là, je crois, qu'on qualifie de miel sauvage celui qu'on tire avec adresse de ces plantes. Nous les dévorions d'une dent affamée à cause de leur saveur sucrée. » (Source : Gallica-Bnf, contributeur Guizot, page 85)

Jusqu'au XVIe siècle pour se procurer du sucre à Paris il falllait se rendre chez l'apothicaire ou bien chez l'épicier. Sinon c'était le miel qui servait le plus souvent d'aliment sucré aux familles, notamment pour les ragûts ou les plats en sauce. Le sucre issue de la canne et les épices étaient des produits de luxe et plutôt rares, voire absents dans les foyers les plus modestes. Sinon le plant de la canne à sucre est originaire de la Papouasie Nouvelle-Guinée, puis fut cultivé en Inde avant sa venue au Proche Orient et dans le bassin méditerranéen.



Le supplice des Amauriciens

L'hérétique Amaury de Chartres, était un philosophe et un théologien, né à Bène près de Chartres. Il a vécu à Paris de la fin du XIIe  au début du XIIle siècle. Il enseigna une mystique particulière, le panthéisme ; il défendit que la loi évangélique devait être remplacée par le règne de l'Esprit Saint. Il devint connu et a été suivi par de nombreux adeptes, qui renforcèrent ses doctrines. Son livre, intitulé Physion, traité des choses naturelles, a été vers 1204 condamné par une bulle du pape Innocent III ; des disciples (une dizaine) furent livrés aux flammes en la présence du roi Philippe II. Amaury de Chartres, lui décèda de chagrin, en 1209.

  Enluminure de Jean Fouquet (vers 1460)
au sein des Grandes Chroniques



Lors d’un concile rassemblé à Paris, des fidèles d’Amaury de Chartres dits Amauriciens ont été condamnés, puis livrés à la justice royale. Ils furent brûlés hors de Paris durant l'hiver en 1210, non loin de la porte des Champeaux. En surplomb des condamnés dans l'enluminure se trouve le gibet royal de Montfaucon. Où leurs restes furent exposés à la vue de tous.

« En 1210, on découvrit, par hasard, une nouvelle hérésie qui venait de naître à Paris, au sein des écoles de Sainte-Geneviève dont le pape Innocent III allait faire l’Université. Un certain Guillaume l’Orfèvre, qui se disait prophète d’une secte nouvelle, était allé trouver Rodolphe de Namur, plus tard chantre de Cambrai, pour le gagner à ses doctrines. L’exposé sommaire et incomplet qu’il lui en fit, mit en éveil Rodolphe qui feignit de se laisser convaincre pour se renseigner à fond sur ce nouveau système et ses principaux adhérents. Il apprit ainsi que les membres les plus importants de la secte étaient maître Guillaume de Poitiers, sous-diacre, qui avait professé les arts à Paris et y avait étudié, trois ans, la théologie ; le sous-diacre Bernard ; Etienne, prêtre de Corbeil ; Etienne, prêtre de Celles ; Jean, prêtre d’Occines ; Dodon, prêtre familier du célèbre maître Amaury de Bène ; Elinand acolyte, Odon diacre, ces deux derniers de Saint-Cloud ; Guérin, maître-ès-arts de Paris et qui, devenu prêtre, avait eu pour maître de théologie, Etienne Langton lequel devait devenir, plus tard, archevêque de Cantorbéry ; le prêtre sexagénaire Ulric et Pierre de Saint-Cloud du même âge, tous deux anciens étudiants de thélogie ; Etienne diacre de Corbeil, Dominique de Triangulo. Rodolphe alla apporter ces renseignements à Jean le Teutonique, abbé des chanoines réguliers de Saint-Victor, et à deux autres de ses amis qui se joignirent à lui pour en informer l’évêque de Paris, Pierre de Nemours. Ce dernier, à la demande des maîtres de théologie de Paris, ordonna à Rodolphe de feindre plus que jamais d’être hérétique pour pénétrer tous les groupes de la secte ; et c’est ainsi qu’accompagné par les hérétiques eux-mêmes, ce dernier parcourut, pendant trois mois, les diocèses de Paris, Langres, Troyes et Sens pour élargir sa première enquête. On connut ainsi l’extension de la secte et son origine (1210). Elle provenait des enseignements du maître renommé des écoles de Paris, Amaury de Bène (ou de Chartres) qui était quelques années auparavant, après avoir enseigné la dialectique, puis la théologie. Dès 1205, sa doctrine avait paru si suspecte qu’elle avait été dénoncée par plusieurs de ses collègues au pape Innocent III lequel avait mandé Amaury à Rome et avait condamné en exigeant de lui une rétraction. »

Source : Gallica-Bnf, Histoire de l'Inquisition au Moyen Âge, Jean Guiraud, pages 196 et 197 (Paris, 1938)


Retour victorieux de Philippe Auguste et "Ferrand bien enferré"

Philippe II ramenant ses prisonniers

En 1214, c'était la fameuse victoire de Bouvines en Flandre, elle servit longtemps de référence sur la naissance du royaume Français et aux accents corcardiers selon les pompeux récits nationaux. Philippe Auguste échappa de peu à la mort lors de la bataille, et selon les règles de l'host (ou l'ost) l'enjeu de l'affrontement était de faire des prisonniers de haut rang et d'exiger en échange des rançons, sinon d'affermir des positions territoriales, ou bien obtenir une vassalité. Non partagée, comme ce fut le cas avec le comte de Hainaut et de Flandre alias "Ferrand de Flandre" (ou Fernand de Bourgogne, infant du Portugal et comte des Flandres de 1212 à 1233), à cheval entre la France et le Saint Empire, et avec les appuis de l'Angleterre. Ainsi prenait fin avec les Plantagenet une série de conflits guerriers et Philippe II affaiblissait les positions anglaises sur le continent, et il agrandissait le royaume sans pour autant se défaire des féodalités.

« La trêve ayant donc été conclue entre les deux partis, le roi magnanime revint à Paris, où ayant eu une entrevue avec la femme de Ferrand et les Flamands, d'après sa bonté accoutumée, le 17 octobre, contre l'espoir et la volonté de presque tous, il consentit, si on lui donnait pour otage Geoffroi, fils du duc de Brabant, âgé de cinq ans, et si on détruisait entièrement, aux frais des Flamands, toutes les forteresses de Flandre et de Hainaut à renvoyer chez eux en liberté, tant Ferrand que les autres grands, exigeant néanmoins pour chacun d'eux, la légitime rançon qu'ils devaient pour de si grands crimes.
Le traité en fut signé à Paris, entre le roi et Jeanne, comtesse de Flandre et de Hainaut, l'an du Seigneur 1214, le vendredi après la fête des apôtres saint Siméon et saint Jude. (…) Tous les habitants de tout genre, de tout sexe et de tout âge accourant de toutes parts voir un si grand triomphe, les paysans et les moissonneurs interrompant leurs travaux, suspendant à leur cou leurs faux, leurs hoyaux et leurs trubles (car c'était alors le temps de la moisson), et se précipitant en foule vers les chemins pour voir ce quatre ferrants bien ferrés, menant Ferrand bien enferrés, ce Ferrand, dont peu auparavant ils redoutaient tant les armes. (...)




Toute la route se passa ainsi jusqu'à ce qu'on fût arrivé à Paris. Les habitants de Paris, et par-dessus tout la multitude des écoliers, le clergé el le peuple, allant au-devant du roi en chantant des hymnes et des cantiques, témoignèrent par leurs gestes quelle joie animait leurs esprits ; et il ne leur suffit pas de se livrer ainsi à l'allégresse pendant le jour, ils prolongèrent leurs plaisirs dans la nuit et même pendant sept nuits consécutives, au milieu de nombreux flambeaux ; en sorte que la nuit paraissait aussi brillante que le jour. Les écoliers surtout ne cessaient de faire de somptueux festins, chantant et dansant continuellement. »
Stanislas Prioux, Bataille de Bouvines : la France et l'Angleterre au Moyen Âge, pages 64 et 65, (Soisson,1855)

En 1215, Philippe Auguste réglementait l'installation de "La foire du Lendit ou du Landit", sa tenue était occasionnelle et antérieure à sa réglementation depuis pluisieurs siècles. Ce marché fonctionnait une fois l'an, durant deux semaines, au mois de juin dans l'actuelle ville de la Plaine Saint-Denis, un lieu connu pour sa production agricole et son approvisionnement de Paris en produits maraîchers. Lors de son déroulement les marchands des Halles parisiennes se devaient de ne pas vendre, et de laisser les denrées invendues être réexposées aux Champeaux (les Halles) les jours suivants.


Plan de Paris de 1223 dit quatrième plan de la Ville



Attention le nord est en bas et le sud en haut !



 Au fil des routes

Les liaisons à grandes distances : pour se substituer aux routes, des canaux comme le Naviglio Grande étaient creusés dans le Milanais au XIIe siècle.

Au douzième siècle les conquêtes Vikings ou Normandes devenaient lointaines et les "invasions" Magyares avaient cessé. Le climat devenait plus doux, il démarrait une expansion démographique, des défrichements nouveaux et une division du travail ré-apparaissait. Les villes antiques du bassin de la Seine renaissaient et étaient en relation avec la campagne environnante, ainsi l'attelage moderne du cheval (enfilé et avec un collier d'épaule) et sa ferrure (inventée au IXe s.) furent utilisés, la charge des charrettes pouvait augmenter.


Les villes comportaient des rues plus ou moins entretenues : en 1186 Philippe II Auguste (1165-1223) ordonna au prévôt de faire paver les principales rues de Paris, les dalles romaines subsistantes étaient depuis longtemps disparues sous une épaisse couche de boue. Des villes possédaient aussi quelques ponts, le plus souvent en bois et parfois en pierres, et les moyens financiers nécessaires pour l'édification de ces ponts étaient fournis par une fondation. L'entretien était assuré dans la capitale par les "oeuvres du pont", et ils tenaient leurs revenus ou ressources des péages. Et le roi ordonna de même, que les rues ou grands axes fassent six mètres de largeur ou de quoi faire passer deux charettes ou deux cavaliers en armure.


Annexion de la Normandie et accès à la mer?

« Dès le règne de Philippe Auguste, les questions maritimes avaient eu une place dans notre histoire. Depuis longtemps, l'état capétien, dont la prospérité était faite de l'exploitation de la Seine, aspirait à s'assurer la liberté de la navigation jusqu'à la mer, à s'affranchir de la servitude gênante que lui imposait la présence d'une domination étrangère à Rouen ; l'intérêt commercial des Parisiens et la jalousie de nos rois contre leurs puissants vassaux de l'Ouest étaient d'accord pour faire de l'annexion de la Normandie une nécessité. En 1203, une occasion se présenta et Philippe Auguste profita de l'horreur qu'avaient soulevée les crimes de Jean-sans-Terre pour prononcer la confiscation du duché et le faire occuper par ses troupes. Un instant même il put croire que la totalité des domaines de son rival allait passer entre ses mains : la conquête de l'Anjou, du Poitou, de l'Aquitaine était un fait accompli, et les barons d'Angleterre, révoltés contre le roi assassin et parjure, offraient la couronne à Louis de France, fils de Philippe, Jean-sans-Terre réussit à se relever une première fois et ses amiraux vinrent contraindre à s'incendier dans le port de Damme (en Flandre)  les 1.700 bateaux que Philippe y avait concentrés pour envahir l'Angleterre (21 mars 1213), tandis que sa diplomatie soulevait contre le roi une redoutable coalition ; mais ses alliés furent battus à Bouvines 27 juillet 1214), la défection du pirate Eustache le Moine (en lien le roman) lui fit perdre le contrôle de la mer et permit à Louis de passer en Angleterre ; par malheur la mort de Jean réunit tous les Anglais contre les envahisseurs, et, quand la destruction de la Hotte d'Eustache aux Cinq îles, devant Calais (24 août 1217) eut mis fin à l'arrivée des renforts qu'ils tiraient du continent, il ne resta plus aux Français qu'à demander la permission de rentrer chez eux. »

Source Gallica-Bnf - Joannès Tramond
Manuel d'histoire maritime de la France, pages 29 et 30 - éditeur A. Challamel (1916, Paris)



Suite de la promenade :
Le Bas Moyen-Âge à Paris  (2ème partie)

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