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Sommaire de la page,
1 - Ni répulsion, ni attrait, mais que de questions!
2 - Avant-propos sur
la Révolution francaise :
- Le patrimoine
historique de la capitale
- Sur les pas
de Michel Foucault...
- Une vidéo avec
Me Arlette Farge
- Pladoyer pour
l'Histoire et la recherche : Sources et archives
3 - Remontrances du Parlement de Paris, rédigées du 11 au 13 mars 1788
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La Révolution française
*
(de 1787 à janvier 1793)
- Prise des Tuileries ou du Palais royal (Le Louvre), le 10 août 1792
Ni répulsion, ni attrait, mais que de questions ! |
Des
interrogations multiples sur la Révolution française m’ont poussé à
vouloir trouver quelques bribes de vérité. Y suis-je parvenu? non,
parce que je penserai toujours à cette période avec un doute. Non point
sur la nécessité de changer de régime ou de participer à une entreprise
de martyrologie, le sort de la noblesse de cour et du haut clergé ne mérite pas
vraiment des larmes. De plus si l’on examine les faits chiffrés, ils
n'ont pas été tant la cible que l’on a voulu conter. Ce sont les gens
ordinaires qui surtout payèrent les frais des excès, aussi bien en
pertes humaines, que dans l’adaptation au système économique de la
bourgeoisie triomphante.
Il existe sur une masse impressionnante d’acteurs de la révolution,
assez peu d’individualités de premier plan méritant le détour, quand
elles ne sont pas dépeintes comme beaucoup d’autres sous le coup d’une
distinction politique et souvent sur la base d’un rejet grossier.
Autant il y a à manifester certaines réserves sur le parcours de l’abbé
Sieyès et son adaptabilité aux régimes successifs, Mirabeau avec tous
ses défauts est un bonhomme plus que remarquable. Oui, il a servi ses
ambitions et il a trempé dans des affaires de corruption, connues et
qui ont coûté à la cagnotte royale son pesant de livres françaises (2
millions de l’époque). Mais quel personnage de roman, et si l’on
connaît un peu sa vie avant 1789 et ses productions écrites, il y a de
quoi écrire avec son aplomb, qu’il est l’homme de la première
révolution.
Le comte de Mirabeau voulait une constitution et un parlement de
notables, et si Louis XVI ne l’avait pas tant méprisé il aurait pu
trouver les raisons de finir son règne tranquillement. En plus sa mort
subite en mars 1791 en fait un personnage sur un temps très court assez
surprenant et à l’image de son temps. Ses prémonitions ou ses capacités
d’analyses sortaient de l’ordinaire, lié au génie des formules, il a été
un tribun capable de retourner l’Assemblée avec une intervention plus
d’une fois. Ce fut le premier géant de cette vaste entreprise humaine,
qui même s’il a profité de son poids politique pour se faire acheter,
n’a pas trahi ses convictions. Il a pensé par étape et il est
difficile de lui donner tort sur tout, mais comme les événements ne
sont pas le reflet d’un personnage plus qu’un autre, mais de
conséquences souvent imprévues.
On pourrait presque mettre sur le même plan d’égalité le Marquis de
Lafayette, s’il a pu jouir de sa fortune et avoir de très fortes
ambitions et un passé aux États-Unis. Il a surtout à son actif quelques
crimes ou répressions, et d’avoir inspiré la loi
martiale dès la fin de l’année 1789. Mirabeau n’aima pas le pouvoir
qu’il représentait avec la garde nationale à ses ordres, il y a
quelques raisons de le comprendre, même si l’un et l’autre se
satisfaisaient du nouveau cadre légal sans chercher à élargir les
pouvoirs et encore moins bâtir une République. Ils ont représenté le
camp modéré, pour une monarchie constitutionnelle, les dits « Feuillants » (à
partir de 1791 après la mort de Mirabeau), ces monarchistes s’inspiraient
pour
beaucoup de l’exemple britannique. La contradiction flagrante du
général de Lafayette a été d’avoir soutenue une république et d’avoir
servi au final un roi. En qui, il n’avait nulle confiance et qu’il
tenait en surveillance. Il est devenu par ailleurs la hantise et la
détestation du couple royal.
Une des premières références de l’année 1789 ne peuvent que conduire à faire un parallèle
avec les révolutions anglaises, et avec l’explosion de la presse. Dont
Mirabeau et Brissot ont été les premiers à braver les interdits en avril
et mai. L’on découvre une opinion publique composée d’une très grande variété, de tous les idéaux en cours. C’est la grande avancée de ce
nouvel ordre constitutionnel. Pour le reste, les grands perdants furent
l’immense majorité, il suffit de constater l’enlisement économique et
social, puis les supercheries et manigances du couple royal. D’où
l’importance de séquencer en deux premières phases les étapes de la
révolution, la partie monarchiste libérale et puis républicaine. Le
méli-mélo économique et social des débuts en dit long sur les
intentions, de comment la haute bourgeoisie allait mettre le grappin sur
les biens du
clergé. Ces opportunités économiques ont représenté 10% des
richesses nationales vendues aux plus
fortunés. Ce qui participa à poser les bases du capitalisme et ne pas vraiment inverser
la pyramide des pouvoirs et des biens. Voire l’amplifier quand les
terres autrefois requises à la collectivité paysanne se virent
compromises par des actes de propriétés.
Ce qui pouvait aider à la survie se voyait confisquer dans un pays où
la faim restait un problème récurrent. La nuit du 4 août n’a pas été le
jour de l’abolition des privilèges, mais une série de vœux et un
imbroglio juridique de taille, les terres étaient rachetables par ceux
qui les cultivaient - qu’au prix de plusieurs années de reversement du
fermage - et a occasionné plusieurs mois de débats avant de faire loi. On n’abandonnait ses droits anciens sur les
métairies que sur la base de l’ancienne redevance, et celle-ci pouvant
s’élever sur 10 ou 20 ans. Si certains privilèges disparurent dans un
premier temps, celui de l’argent venait supplanter les quartiers de
noblesse et donner des droits auxquels ne purent accéder les moins
aisés, notamment la population agricole et ouvrière des champs. Si la
population paysanne figurait pour presque 80% de la masse globale des
habitants, les agriculteurs représentaient 55% de la population totale,
le reste contribuait aux activités agricoles.
Ce que j’ai pu constater, ce sont deux formes d’excès ou « d’hybris »,
l’un tenant aux idéaux et l’autre aux ambitions personnelles. La
première catégorie ce que je qualifierai d’hybris ou "d’hubris
révolutionnaire" a conduit une génération à la mort. La seconde forme allait
y laisser des plumes, mais continuer son chemin destructeur et
offrir à un nouveau despote les portes du pouvoir en bout de course en
1799. Une grande mécanique macabre, où les prisons tiennent lieu de
miroir d’une société extrêmement violente. Nos normes étant
incomparables, mais pourtant, les geôles restent toujours aussi
crasseuses, et le déversoir de nos misères sociales et de maux
profonds. Il est indéniable que la nature du droit allait se modifier et contribua à des changements significatifs.
Sur Mirabeau et pas seulement, il est un sujet que l’on aborde peu : la
question des corps et de leurs souffrances. Cet homme a été décrit
souvent sous les traits d’une grande laideur. Cette appréciation d’un
intérêt mineur et dont il a su dépasser les moqueries est en fait le
résultat d’une maladie très commune et dévastatrice, la petite vérole.
Ou en terme médical la syphilis, que l’on soignait avec des agents
pathogènes et mortels, comme les sels de mercure. Cette maladie a eu
pour
particularité de ronger notamment le visage et de laisser des plaies.
Ce que l’on appela le « mal français » a provoqué d’horribles séquelles
dans la population, et celui que l’on présenta comme son fils spirituel
Danton avait les mêmes marques. Il faut bien comprendre que l’on sort à
peine d’une médecine plus que douteuse et qu’elle représentait à
l’époque le dernier stade avant l’appel du curé pour les derniers
sacrements.
Ce que je veux dire, c’est que le docteur de ce siècle participait plus
de la mortalité que de la guérison. Il était plutôt craint, qu’apprécié
pour ses remèdes fantaisistes. Autres personnages aux corps marqués par
des infirmités, Talleyrand, Couthon notamment en chaise roulante. En prise avec le quotidien et la vie
des plus pauvres, ils étaient loin d’être des exceptions. Un banal
accident pouvait avoir des conséquences énormes sur le bien être
physique des personnes et leur futur. Faute de soins appropriés, à
l’image de Louis XIV sur son lit de mort rongé par la gangrène, les
fins de vie à l’exemple de Mirabeau passent pour une belle revanche de sa
difformité… Mourir en pleine extase, quelle belle mort ! Ce qui peut
paraître étrange et le seul bénéfice des guerres aura été la médecine
d’urgence, qui apparue dans le cadre des batailles
napoléoniennes est venue bousculer le vieil édifice médical et ses
certitudes passées. C’est ainsi que la chirurgie a cessé d’être
rattachée à la profession de "barbier" et progresser grâce à la médecine
d’urgence.
Le prix du sang ?
Ce qui peut ne pas provoquer un grand enthousiasme est la relation à la
mort et la place du sang comme hérédité. Ce que l’on nommait le « sang
bleu », dans un registre de supériorité l'on distinguait les aristocrates du
reste de la population. Etait-ce un registre tout bonnement raciste ou
racialiste, c’est-à-dire sur la base d’une distinction « de race », la
question se pose? C’est ainsi que l’hérédité l’emportait sur les
valeurs ou les mérites de tous, de là à faire un parallèle avec le
régime nazi, la norme établie n’était pas la même. Il existait une
séparation sociale de fait, plus qu’une distinction religieuse ou liée à
la peau, ou bien à des éléments génétiques, même si cette référence au sang
n’est pas totalement absente et paraît troublante. L’idée de « race »
au XVIIIe siècle n’a rien de génétique ou relevant d’une théorisation
idéologique, elle est un privilège de naissance, de perpétuation du
nom. La « race » des seigneurs, bien avant de trouver théorie a été même
possiblement une perception bourgeoise, il faut à ce sujet lire l’abbé
Sieyès et ce qui fit sa gloire en dépeignant les aristocrates comme des
étrangers « germains ».
A sa décharge, il parle de sang mélangé, il cherche à démontrer les
sources de l’inégalité sociale, plus qu’à construire une charpente
raciste. Il est vrai que cette fausse différence franque et
gauloise a été le réceptacle d’âpres débats politiques les deux siècle
suivants et sur la base d’histoires pas vraiment fondées, voire
purement mythologiques sur les envahisseurs d’autrefois et ayant pu
participer à des constructions purement racistes basées sur de fausses
conceptions des gènes humains. Même si la science a repoussé ce genre
vicié avec vigueur depuis 1945, un sondage à la fin du vingtième
siècle, donnait plus de 90% des Français croyant encore appartenir à
une « race ». C’est à ce genre d’indice et en raison de certains débats
actuels, que l’on appréhende les évolutions et contre évolutions de la
pensée, et ce qui peut nourrir les dérives politiques et les pires
régimes.
Le député Sieyés mentionne par deux fois des références à la « race » dans son grand succès littéraire et de postérité :
« Que
si les aristocrates entreprennent, au prix même de cette liberté dont
ils se montreraient indignes, de retenir le peuple dans l’oppression,
il osera demander à quel titre. Si l’on répond à titre de conquête, il
faut en convenir, ce sera vouloir remonter un peu haut. Mais le Tiers
ne doit pas craindre de remonter dans les temps passés. Il se reportera
à l’année qui a précédé la conquête; et puisqu’il est aujourd’hui assez
fort pour ne pas se laisser conquérir, sa résistance sans doute sera
plus efficace. Pourquoi ne renverrait-il pas dans les forêts de la
Franconie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d’être
issues de la race des conquérants et d’avoir succédé à des droits de
conquête? La nation, alors épurée, pourra se consoler, je pense,
d’être réduite à ne se plus croire composée que des descendants des
Gaulois et des Romains. En vérité, si l’on tient à vouloir distinguer
naissance et naissance, ne pourrait-on pas révéler à nos pauvres
concitoyens que celle qu’on tire des Gaulois et des Romains vaut au
moins autant que celle qui viendrait des Sicambres, des Welches et
autres sauvages sortis des bois et des marais de l’ancienne Germanie?
Oui, dira-t-on; mais la conquête a dérangé tous les rapports, et la
noblesse de naissance a passé du côté des conquérants. Eh bien! il faut
la faire repasser de l’autre côté ; le Tiers redeviendra noble en
devenant conquérant à son tour. Mais, si tout est mêlé dans les races,
si le sang des Francs, qui n’en vaudrait pas mieux séparé, coule
confondu avec celui des Gaulois, si les ancêtres du Tiers état sont les
pères de la nation entière, ne peut-on espérer de voir cesser un jour
ce long parricide qu’une classe s’honore de commettre journellement
contre toutes les autres? Pourquoi la raison et la justice fortes un
jour, autant que la vanité, ne presseraient-elles pas les privilégiés
de solliciter eux-mêmes, par un intérêt nouveau, mais plus vrai, plus
social, leur réhabilitation dans l’ordre du Tiers état? »
On parlerait aujourd’hui de germanophobie. Comme quoi la perception
d’un temps à un autre peut varier, qui plus est dans la relation à
l’étranger, plus exactement à l’étrange ou ce que l’on croit comme
différent ou éloigné. C’est même un élément variant dans le cours de la
révolution, la place singulière de l’asile et de l’accueil fraternel de
tous ceux luttant pour la liberté et tout le fond sur l’universalité ou
pas de ce mouvement échappant à toute référence jusqu’alors connue? La
seconde révolution n’a pas vraiment d’équivalent contrairement à la
première qui est dans la lignée des révolutions libérales, soulignant
les retards et lourdeurs de l’absolutisme sur une bonne partie de
l’Europe. Le fameux duc de Brunswick - qui fit tant couler d’encre et
plongea Paris dans la peur panique d’une invasion étrangère - faisait
corps avec les pensées libérales de son temps.
« Que si le château des Tuileries est forcé ou insulté, que s’il est
fait la moindre violence, le moindre outrage à Leurs Majestés, le roi,
la reine et la famille royale, s’il n’est pas pourvu immédiatement à
leur sûreté, à leur conservation et à leur liberté, elles en tireront
une vengeance exemplaire et à jamais mémorable en livrant la ville de
Paris à une exécution militaire et à une subversion totale, et les
révoltés coupables d’attentats aux supplices qu’ils auront mérités. »
Ce
qui est présenté comme son manifeste appelant à détruire la capitale
fut surtout un outil de propagande, les idées du duc prussien n’étaient
pas si éloignées des constitutionnalistes. Si l’on s’en tient aux
grandes lignes, difficile d’admettre que tout n’est que le
produit d’une propagande, et pourtant.
La menace a été amplifiée et
grossie par les ultras en exil - et - elle a été accueillie sur le
sentiment partagé d’une trahison de « l’Autrichienne » et de son « gros
cochon ». Quand on découvre les coulisses politiques, il y a non
seulement un texte rédigé dont les signataires sont autres et aucune
volonté de s’attaquer au nouveau régime à ce stade du côté prussien.
Cela procédait plus de la "guerre en dentelle" que d’une guerre
conventionnelle. Mais, c’est ce qui allait participer et mettre le feu aux
poudres et engager le deuxième processus révolutionnaire et
l’arrestation des époux Capet. Et les Tuileries tombèrent, juste avant
la royauté. Nous en sommes qu’au début d’un autre processus, le terme
de république étant l’objet d’une petite minorité.
Retour aux sources et origines latines et grecques
L’Hubris (ou l’hybris) qualifiant l’excès ou la démesure est le terme
le plus juste, pour expliquer l’échec des révolutionnaires de 1792. Une
terminologie grecque pour signifier l’absence de contrôle, qui trouva à
Athènes son origine, et une partie de son sens avec la fin de la
démocratie ou de l’idée démocratique, au Ve siècle avant J.C. Pourquoi
ce détour par la Grèce antique, quand il s’agit de parler d’un
événement en apparence sans rapport, ou sans lien direct. Au contraire,
tout à tendance à nous y ramener. Combien de discours nourris de
citations grecques ou latines pour exprimer une opinion à la tribune de
l’Assemblée ou dans les salons, dans un objet de littérature, voire
dans la vie courante. Sparte, Athènes et Rome trois cités aux destins
différents, nous mènent aux origines des constructions légales et
constitutives des pouvoirs collectifs, politiques, militaires et
judiciaires. Ils vont être l’objet des projections de l’époque, et de la
société lettrée.
Racines et origines sont en général l’entrée en matière de tout travail
de fond. L’on peut mieux comprendre les références de chacun, ou
l’organisation d’une pensée, si l’on sait à quoi l’on se réfère. Ce qui
peut nous sembler codifier est aussi la source d’une éducation ou les
textes anciens avaient une place considérable. Ce que l’on appelait les
humanités se posa longtemps comme la base du savoir. Ce fut, et demeure
aussi un élément de sélection sociale, d’autant plus préjudiciable avec
la dénaturation du langage, l’absence de maîtrise des langues
nourricières peut renvoyer à un abyme, ou l’objet d’erreurs assez
grossières ou de mauvaises interprétations des mots employés.
D’autant
plus que le langage du XVIIIe siècle - n’est pas l’exacte
copie de ce que nous pouvons lire ou entendre de nos jours - autre
source de confusion. Plus encore avec les langages populaires, certains
mots n’étant plus d’usage ou ayant pu changer de sens commun. Ce qui
est sûr, c’est que nous devons aux Athéniens, et non aux Grecs (faute
d’Etat nation), d’avoir inventé les élections, la tragédie (mais pas le
théâtre), et concernant Plutarque, la biographie. L’héritage du droit
romain, dont la filiation passa par Bologne au XVIe siècle, concernait
principalement l’organisation de nos lois dans une filiation latine.
Mais aussi le fonctionnement ou les attributions des élus, ce qui
explique en parti cette résonance bimillénaire de notre culture ou
civilisation européo-méditerranéenne dans les débats sur la Révolution
française.
Je ne prendrais que pour exemple l’usage du mot dictature, dont
l’entendement ne peut-être que source d’approximation et ne pas
refléter ce à quoi nous l’assimilons aujourd’hui, c’est-à-dire à un
régime des plus autoritaires, exclusif et sans partage des choix. Selon
les clauses romaines ou des villes hellènes, la dictature ne signifiait
pas pour autant l’abandon sans limites des pouvoirs constitués ou
existants. Le décalage du temps et les projections de deux époques,
plus l’origine, avec celles du siècle des Lumières et nos parents
lointains - ne peuvent que provoquer des interprétations abusives -
ce que l’on nomme une projection ne peut que devenir source d’anachronisme.
Si ce n’était que le seul piège, dont il vaut mieux se prémunir, il y a
dans toute manifestation révolutionnaire, des contres balanciers et des
résistances fortes. On ne vient pas bousculer l’ordre du monde sans
attendre en retour quelques propagandes adverses et coups bas. Le but
étant d’une simplicité enfantine, c'est-à-dire noyer l’événement révolutionnaire,
grossir à l’excès les faiblesses. Si besoin réécrire l’histoire pour
des intérêts partisans souvent liés à des raisons économiques. Il
serait difficile de ne pas se positionner et de ne pas choisir son
camp. Du moins de ne pas se sentir proche des contre-révolutionnaires.
Il s’agit aussi d’un héritage, d’un choix entre un régime monarchique
et républicain. Les courants ayant soutenu le roi absolu ou
constitutionnel, ma préférence est républicaine et pour l’expression
démocratique la plus directe des forces sociales.
Une fois réglée cette histoire plus que basique, du pour ou du contre la
Révolution, la question républicaine ne peut qu’être associée à des
exigences démocratiques. S’il existe une dérive, dans le cas d’un
régime sans contre-pouvoir, il y a un basculement. Car si la Nation est
constitutive d’un peuple, elle ne peut être l’objet d’un pouvoir sans
contrôle. La question est de savoir, si le vote censitaire est
d’essence démocratique ou pas? Ce système mis en place sous la
première révolution créait une césure, et faisait de la majorité des
citoyens de seconde zone.
Un tant soit peu à l’image des Athéniens
d’antan, avec la séparation entre citoyens et esclaves, renvoyant à la
mise en périphérie du prolétariat des villes et des champs des urnes et
décisions politiques. L’on parle donc de démocratie « bourgeoise », et
de sa particularité dans le cas du vote censitaire était limité aux
possédants (la classe bourgeoise). Préexistant au moment des
États-généraux, le vote censitaire resta en application de 1790 à la
mi-août 1792, et fut de nouveau rétabli en août 1795. Ce système
électif
perdura grosso modo jusqu’à la venue de la troisième République
rétablissant l’universalité des droits, mis en œuvre sous la Première
un court temps.
Pour ce qui est de la première République, elle se distingua du royalisme
et de son appartenance et référence au divin, ou ce qui était la nature propre de l’ancien régime. La loi
publique, la res-publica fut la seule qui pouvait tenir lieu de loi
commune. Parce que dévolue au temporel. Mais si l’on inclut, les
dérives du neuf thermidor (fin juillet 1794) comme un coup d’état, il s'agit de deux
années d’une démocratie dont le fer de lance était en principe le peuple,
pas très lointain de ce que l’on a désigné comme la démocratie directe.
Il y a un mais, et il n’est pas petit, le tout organisé dans un système
représentatif et très éloigné de ce que semblait envisager Robespierre.
Car toute la difficulté n’est pas de lui tirer des éloges, mais d’en
finir avec les caricatures. Cela ne demande pas à aimer ce phare de la
révolution, mais de comprendre les raisons. Se saisir des faits, et de
sortir de cette histoire officielle se perdant dans le symbolisme
monarchiste et républicain. La meilleure formule est probablement d’en
sortir avec les légendes ou mythologies « bleu, blanc et rouge ».
Chaque couleur ayant ses nuances, le pire étant le dogmatisme, le fil
induit des divisions.
Texte de Lionel Mesnard
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Avant-propos sur la Révolution

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Je
tiens à partager d’abord cette idée que défend Arlette Farge,
historienne. Si je peux avoir un attrait marqué pour certaines périodes
historiques, et pas qu’une seule, je n'ai pas d'envie prononcée de vivre en ces
temps du passé. S’il m’arrive régulièrement de partager au présent les
infortunes d’antan, je me sens bien enraciné dans mon
époque. J’ai même l’impudence de mieux la comprendre. Donc,
n’y voyez pas l’œuvre d’un nostalgique, mais la continuation d’un
travail commencé avec ce site, il y a plus d’une décennie.
L’objet étant de réaliser une histoire urbaine de Paris, sur des cycles
longs et courts. Sauf que l’abondance des sources et lectures à partir
du XVIe siècle, qui plus est avec le XVIIe et le siècle des Lumières,
souvent les recherches sont amenées à privilégier certains enjeux sur
d’autres. Rien que l’idée d’écrire l’Histoire aux seules vues d’un
récit national pose d’entrée de jeu un problème considérable, à moins
de penser que le monde tourne autour de la France, l’intérêt de la
capitale est dans son caractère cosmopolite et provincial. A la fois
comme une respiration du pays, les quartiers se regroupaient à l’image
des Provinces et parlers locaux, et la ville capitale était aussi un centre
d’attraction pour le monde presque entier, du moins l’Europe fut à
l’image d’une diplomatie où la langue des échanges a été le français. Si
l’on vante ce bien être de vivre à la française au dix-huitième siècle,
il ne faut pas confondre le goût et les réalités sociales profondes,
pour ces dernières, elles n’ont rien d’enviables. Le luxe était confiné à
un tout petit monde privilégié, cet art de vivre ne fut pas celui de
l’immense majorité.
Aussi d’un siècle à un autre, l’on peut prendre en considérations les
changements intervenus, notamment dans l’organisation, le
fonctionnement de cette cité toujours en mouvement et s’agrandissant.
Chaque souverain a laissé son empreinte, le grand édificateur de
l’état centralisateur, s’il porte pour nom celui du ministre Colbert,
la maxime de Louis XIV « l’Etat c’est moi » (propos apocryphe) pose ce qui fut le destin
d’un peuple soumis aux injonctions royales. Pas un détail de la vie
courante ne pouvait échapper aux lois, tout était régi et même plus. La
population parisienne a été l’objet d’une surveillance toute
particulière, très intrusive dans ses affaires privées. On en comprend
mieux la définition du mot libéral ou de se battre pour des libertés,
qui nous semblent aujourd’hui acquises, mais si fragiles.
Cependant si
la pensée libérale a fini par gagner les esprits des classes
privilégiées, il le fut surtout pour libérer le commerce du blé et
provoqua de très fortes tensions sociales. Ceci quelques années après
son arrivée sur le trône, le jeune Louis seizième du nom a connu
les premiers troubles sociaux avec le surintendant Turgot. Il faut dire que la
capitale et plus largement le pays furent prolifiques en émeutes depuis le
Moyen-âge, les rapports de force pouvaient s’avérer violents et
régulièrement laissaient sur son passage quelques massacres ou
répressions
sanglantes. Des "émotions" sans lendemains face à de multiples
situations insupportables, le mouvement des souffrances reprenait sa
longue route de douleurs et rien ne semblait pouvoir venir ébranler cet
édifice implacable.
On ne peut vraiment comprendre la Révolution française sans s’être
intéressé au préalable à l’ancien régime, il faut
pouvoir retenir la structuration administrative, découvrir les lois en
œuvre. Ce qui s’entendait par un pouvoir vertical et absolutiste, quand le
monde juridictionnel était déjà d’une grande complexité. Il faut aussi
en deviner la violence sociale et des conditions de vie, notamment à
Paris qui donneraient la berlue à tous ses habitants actuels. Le bruit,
les odeurs, les cris en feraient presque un parcours en train fantôme,
un vaste dédale, de ruelles sinueuses, ou le tout-à-l’égout passait de la
fenêtre à la rue, où se mélangeaient passants et animaux. Quand un
étranger arrivait du haut des collines de Saint-Cloud, il pouvait être
pris à la gorge en contemplant le spectacle des rugissements et
couleurs opaques, se demandant ce qui pouvait bien lui arriver dans
cette ville aux accents de Sodome et Gomorrhe?
Le travail mené s’est appuyé sur les
recherches et écrits d’Albert Mathiez et divers historiens de la
Révolution, mais au fait de laquelle parlons-nous? Celle qu’Henri
Guillemin appela « la fausse révolution », celle de 1789? Il est
indéniable que deux dates s’opposent ou peuvent sembler
contradictoires, entre une monarchie constitutionnelle et une
république démocratique, certes inexpérimentées et sans l’expression du
vote des femmes, il existe néanmoins une grosse différence. De quoi
consentir, que oui, la vraie révolution s’est mise en œuvre en août
1792 et que son acte de décès est plus ou moins prononcé avec le mort sur l'échafaud de
Robespierre et de ses amis, à la fin de juillet 1794. 1789 créa
les conditions de nombreuses avancées démocratiques, notamment la
liberté de la presse, il faut préciser que l’ancien régime n'a pris
réellement fin qu'avec la destitution du monarque, après les événements
du 10 août 1792.
Je me suis appuyé pour beaucoup sur les écrits et réflexions d’Albert
Mathiez, sans qui j’aurais probablement raté l’essentiel, et aurais pu
me perdre dans un dédale d’impressions contradictoires. Néanmoins et
soumis à un impératif, mon objet n’est pas de m’abstraire des légendes
noires et dorées, mais de s’en déjouer et rendre à cette page
d’histoire son caractère très universel. Cependant connaissant les
pièges des mythes et légendes et la nature scientifique des travaux de
M. Mathiez, s’il n’empêche pas d’être critique, et même conforte à
rester alerte et interrogatif. Grâce à son apport, mais pas seulement,
il est possible de saisir une histoire
riche et apprendre à se déjouer des contradictions. Et même si besoin
d’émettre à son tour quelques réserves, ou ce qui restera un ensemble
d'hypothèses à confirmer sur les massacres de septembre 1792.
Un mois et plus de rebondissements, qui reste à estimer et vérifier
entre ce qu’en dit Mathiez et ce que Pierre Caron un autre historien a
déduit, n’y voyant aucune responsabilité aux tenants des pouvoirs
municipaux ou à l’exécutif à faire porter.
Comme l’objet n’est pas d’en tirer un jugement à la Salomon et de
trancher entre les deux, ces massacres donneront lieu un jour à un
ouvrage spécifique, tant il serait temps d’amener des conclusions
acceptables, sur ce qui ressemble à un nœud, plus borroméen que gordien
de la Révolution. Il n’est pas question de réécrire l’histoire de cette
période, mais face à ce qui ressemble à une période charnière et
quelque peu constitutive des suites désignées sous le terme de
« Terreur », que l’on date généralement à partir de 1793, trouve sur la
première semaine de septembre de l’année précédente, le terreau de ce
qui a été une série de massacres ou crimes de guerre dans
plusieurs régions ou villes.
Je dois préciser que le travail d’Albert Mathiez représente vingt-cinq
années de labeur minimum sans compter les années d’apprentissages - sa
thèse doctorale datant de 1903 sous la direction d’Alphonse Aulard - et
avec l’appui ou l’assistance de collègues au sein de son école
Robespierriste à partir de 1907. Il décéda un peu prématurément en
1932, quatre ans après son mentor d’origine, puis contradicteur. L’on
peut dire qu’avec ses travaux, il a remis certaines pendules à
l’heure et dépassa son vieux maître de la Sorbonne, pris dans ses
ornières dantonistes. Celui-ci précise dans son œuvre, qu’il a
écrit sans haine ou aversion sur les personnages appréhendés ou décrits
dans ses ouvrages. Il le fit en s’appuyant dans ses recherches sur tous
les documents qu’il a pu compulser et prendre en note au sein des
archives nationales et autres lieux de ses sources originales.
Le patrimoine historique de la capitale
La capitale dispose d’un patrimoine historique considérable, je ne
parle pas seulement de ses constructions et évolutions urbaines
toujours dans un perpétuel avancement, mais de son patrimoine
livresque. Ce nouveau chapitre parisien nous entraîne vers une époque
nouvelle et la fin des temps modernes, c’est-à-dire, une période
transitoire, le règne de Louis XVI. S’il ne suffit à nous plonger dans
le siècle des Lumières, il éclaire toutefois sur l’usure du pouvoir du
dernier monarque absolu et sur l’état de la société française à l’aube
de la « grande Révolution ». Un terme un peu usurpé, parce que la
première des références, ou ce qui vint à l’esprit des commentateurs
de ces temps-là trouvait origine et écho dans les deux révolutions anglaises (1642 et 1689), et
pour une part non négligeable ses influences politiques dans le
mouvement indépendantiste étasunien lancé à Philadelphie en 1776.
Nous n’aborderons peu les deux siècles antérieurs.
L’étude de Louis XIII à Louis le seizième du nom demanderait à
distinguer deux siècles et expliquer la nature de chaque règne, leurs
évolutions légales, les gouvernements successifs et l’impact auprès des
« sujets », les grands absents des histoires classiques, du moins les
relations entre la population et le système politique royal. Celui-ci
était très codifié, réglementant la vie de tous les jours, presque en
tout point. Cet état des choses s’avéra une machine implacable et
une des sources des colères sociales. Le porteur de cette charge, le
monarque depuis Louis XIV ne résidait plus à Paris, il était à quelques
lieues ou kilomètres sur le territoire de la ville de Versailles (environ 15 kilomètres) où se
trouve la demeure royale. Cette cité à elle seule a été une juridiction
avec sa propre cour de justice. Il exista plus de 500 organismes
judiciaires, rien que pour la région parisienne. Le système juridique
français était d’une extrême complexité, où pouvait se côtoyer des
droits féodaux et droits échus à tout sujet du royaume.
Les
relations tumultueuses entre le petit peuple parisien et ses
gouvernants, si elles semblent en apparence moins prégnantes que
pendant le
Moyen-âge, et une donnée relative, la puissance de coercition du
pouvoir royal lui avait atteint des sommets, dans l’imaginaire, mais
surtout dans les faits. Pour exemple, la « lettre de cachet » servit de
moyen de régulation sociale. Aussi bien
pour les opposants politiques, notamment les jansénistes ou les
éléments
critiques du royaume, ainsi qu'asseoir l’autorité des familles en
écartant certains membres trop immoraux ou gênants. C’est-à-dire, ne
correspondait pas aux lois, car ce qui touchait aux mœurs se rattachait
à
une autre réalité.
C’est peut-être là que nous différons un tant
soit peu de nos aïeux, les interdits religieux ou moraux contre la
sexualité étaient bien plus pesants, mais rien n’accrédite qu’ils
furent véritablement partagés. Au contraire certains épisodes comme la
mort de Mirabeau qui décéda en pleine orgie, ou simplement le grand
nombre dans la capitale des prostitués de tout sexe contournait ou se
moquait de
l’interdit. A quelques jours près, le marquis de Sade aurait pu être un
héros ou une victime de la Bastille, il n’en fut rien. Le libertinage à
ne pas confondre avec les seules pratiques du "divin marquis" à marquer
le XVIIIe siècle. Mais de là à en tirer un jugement moral ou chercher à
construire des plans sur la comète sur le délitement des
mœurs, les pudibonds bourgeois du siècle suivant en tirèrent prétexte
pour renforcer les moyens coercitifs.
En étudiant l’Histoire sur des temps longs et courts, je suis devenu
historien. Il me manquait une méthode sur laquelle m’appuyer, j’ai fini
par valider que mes outils d’analyse tenaient la route. Mais le travail
ne fait que commencer, et si incomplet est-il sur le fond, ce que j’ai
pu produire me sert de base pour fournir au plus grand nombre de
lecteurs quelques repères historiques sur lesquels les non-spécialistes
peuvent parfaire leurs connaissances. L’étude de travaux d’érudits, d’historiens
et autres domaines des sciences humaines et sociales, de nombreux
ouvrages m’ont fait découvrir à peu près tous les champs et les écueils
de la recherche historique. S’il n’est pas possible de travailler sur
les mondes protohistoriques de la même manière que sur le XVIIIe
siècle, néanmoins il est préférable au départ de toute investigation de
construire des hypothèses, et d’une certaine manière de gratter au-delà
de l’histoire officielle.
A cette étape, vous êtes loin d’avoir construit un plan ou le moindre
récit, mais c’est ainsi que l’on commence à délimiter les temps
choisis. Certaines études peuvent engager une vie entière, l’histoire
est par excellence un outil d’analyse politique d’une société à un
temps donné, et personne en ce domaine n’échappe à ses opinions, ses
contradictions et contradicteurs. Sauf que l’objet de ce travail n’est
pas de faire une énième thèse, mais de relater des faits avec des
outils scientifiques établis, ou ce que légendes et mythes ont tendance à
escamoter. Ce que la réalité des preuves vient en général bousculer,
non pas effacer, détruire d’un trait de plume, mais en cherchant à
donner vie dans un récit pour s’approcher au mieux de la vérité.
Sur les pas de Michel Foucault
« L'idée
que l'Histoire est vouée "à l'exactitude de l'archive", et la
philosophie "à l'architecture des idées" nous paraît une fadaise. Nous
ne travaillons pas ainsi. »
Le désordre des familles, Arlette Farge et Michel Foucault
L’on a beaucoup critiqué Michel Foucault pour ne pas avoir pris en
considération les questions légales dans les divers textes de son
œuvre, notamment ce qui a concerné l’enfermement et la folie. Aussi il
lui fut reproché de ne pas être historien ou d’avoir à ce sujet pris
des positions trop subjectives. Il était avant tout philosophe et il
s’agit en ce domaine d’une démarche épistémologique : des
considérations sur la connaissance en général (les structures) ; et ce qu’il a ouvert
comme chantier historique était considérable. Son travail a commencé par
une thèse sur l’Histoire de la folie à l'âge classique en 1961, le philosophe
s’appuya sur toute une série d’anciens textes, allant du Moyen Âge au
monde contemporain.
Foucault a fait redécouvrir certaines œuvres oubliées et il a entrepris
de même des recherches sur les diverses archives existantes et touchant
aux prisons et asiles d’aliénés. Un travail titanesque et que l’on
croit souvent comme une somme finie, mais continue justement à
inspirer certains historiens, dont Arlette Farge ; qui co-écrivit avec ce
dernier sur la question des archives (1). Et en particulier ce qui a pu
toucher à la question criminelle, ouvrant sur des récits de vie à
travers les instructions judiciaires, ou interventions de la police et
des justices existantes (ce que Me Farge nomme comme les "vies minuscules").
Sur le plan historique, son travail tranche par le fait qu’il aborde
des temps longs, s’inspirant des méthodes de Fernand Braudel, qui est
plus est, il ne se limite pas à la France et l’on comprend mieux les
évolutions souvent similaires des pays européens dans le domaine de
l’internement asilaire, le travail forcé et ce qui a été la chasse aux
« oisifs », plus exactement aux pauvres. L’histoire de la folie de
Foucault est un travail d’érudit et peut déboussoler un lecteur peu
préparé à telle somme de connaissances. Néanmoins, si vous êtes
dans des recherches similaires, vous apprenez à débusquer les notes ou
les retours de page et les annexes. Une mine d’information, qui peut
parfois aussi rendre un ouvrage trop dense et se perdre dans des
considérations qu’il est préférable de restituer selon les époques
données. Si les textes de Foucault sont plutôt ardu, il permet de
découvrir des auteur comme John Howard qui au dix-huitième siècle fit
un
tour d’Europe des prisons, pour comparer ce qui se faisait en
Angleterre
et dans les autres pays concernant les criminels, notamment.
Chaque génération redécouvre et peut avoir l’impression de tout
reprendre à zéro en ce domaine Foucault a été un précurseur, je crois
qu’il serait surtout dommage de l’enfermer dans une case, tout dans son
parcours le marque à la marge, au ban de cette société qui ne juge
qu’au fil de la norme. Voilà un an et demi passé à lever dans
l’histoire des hôpitaux généraux de l’ancien régime des faits peu
connus, mais plongeant parfois dans la stupeur, l’effroi étant quasi
permanent sur les conditions de vie des plus humbles. Des chemins qui
peuvent vous amener à la Louisiane ou aux Antilles, j’en devinais la
complexité et je n’envisageais pas l’étendu du travail.
C’est aussi la découverte de très nombreux auteurs, de sources
insoupçonnées qu'offrent les autoroutes de l’information avec des
ouvrages jusqu’il y a encore quelques années inconnus du grand public.
Le tout compléter par des conférences ou des films à caractère
historique et une iconographie importante, et pour cerise sur le gâteau
une littérature étonnante et pouvant atteindre des sommets. On se sent
tout petit face à ces géants de la plume, ces intelligences misent au
service de l’Histoire, ou ce qui nous reste comme lègue. C’est là où
l’on touche la question de la transmission et sur des périodes si
sensibles que le XVIIIe siècle et la Révolution française.
L’objet n’est pas de faire de la contre histoire, pire une réécriture,
mais de mettre en avant ce qui a été le moins traité, voire oublié. Et
en ce domaine face au roman national, ou ce que l’on nomme "l’histoire
officielle", qui selon Henri Guillemin se résumait à l’histoire des
grands hommes (« la patrie
reconnaissante »). Et pour référence un enseignement aujourd'hui qui
n'est plus celui de la troisième République, il s’agit tout simplement
de restituer celle du plus
grand nombre. L’historien face à cette démesure et ce qui peut
ressembler à une mission impossible, n’a pas à privilégier tel fait
sur un autre, il doit faire avec ce qu’il trouve et peut lire. C’est
presque un travail de moine copiste, du moins dans le récit pouvoir
apporter des preuves, et ce que l’on peut savoir des 20 millions de
Français du siècle des Lumières?
Si l’on s’en tenait à certains canaux télévisuels ou d’internet, en
dehors des coucheries et des grands de ce monde, les invisibles
pourtant très présents apparaissent peu, ou selon les récits perçus
comme somme négligeable ou objet de la violence sociale. Le personnage
de Robespierre à ce sujet n’est plus qu’une caricature de la "Terreur",
alors que beaucoup prouve plutôt que c’est en raison de son « modérantisme ». Si
ce n’est une raison, mais plusieurs qui entraîneront sa chute et
celles de ses amis. Très loin des légendes et mythes qui sont venus
s’écrire sur plus de deux siècles. Comme un archéologue, il faut
pouvoir dater les couches, pour ce qui est de l’Histoire, penser
qu’elle a été écrite dans sa totalité serait une prétention idiote.
Mais de là à tout remettre en cause restons prudents, il existe des
bases solides et scientifiques sur lesquelles il est possible de prendre appui. Le monde
universitaire est en ce domaine le dépositaire de ce savoir, toujours
contestable, mais surtout en mouvement.
Partir d’un seul facteur est une construction assez casse gueule et
être rapidement anéantie par les faits. Il est donc préférable de citer
plusieurs sources concordantes, de ne pas se référer à un seul avis, ou
dans ce cas absurde, autant se borner à ce qu’a pu écrire Jules
Michelet. Qu’il ne faut pas plus écarter, qu’un autre, mais faire la
part entre le contenu idéologique et le contenu historique. Ne pas
oublier qu’il fut un des rares à pouvoir de son temps à accéder aux
archives. Son travail sur l’avant-veille de la révolution, sur les
dernières années de l’ancien régime avant 1789 est à prendre en
considération.
Comme il est presque impossible de comprendre la révolution sans passer
par l’évolution du siècle. Plus encore de saisir les lettrés dont les
références gréco-latines sont récurrentes, comment appréhender le mot
"dictature"? si on lui colle nos références des mondes totalitaires du
XXe siècle? le plus généralement cela devient une bouillie
propagandiste et donne parution à des ouvrages très contestables et
dont la fiabilité laisse un peu songeur. Quand ce n’est pas un retour
de flamme des contre-révolutionnaires, c’est-à-dire, une entreprise
révisionniste et un pur produit de propagande.
Pour un non-spécialiste, mais avec une approche pluridisciplinaire et
même hors de l’université, il est possible de travailler sur de
nouveaux champs, prendre en considération, des éléments comme le
sensible. A l’exemple du travail d’Arlette Farge sur les rues de Paris,
les lieux, les bruits et les odeurs, la place des objets, leur
fabrication, le regard des riches sur les pauvres ou inversement. Ces
petits riens permettent d’accéder à ce siècle qui fait tant rêver les
nostalgiques. Mais comme d’autres ont pu écrire, ce type d’analyse ne
se construit pas dans un partage inconditionnel, il nous pousse à
réfléchir sur notre propre temps et comment l’usage de l’interrogation
est une préoccupation permanente. Il ne s’agit pas d’aimer ou de haïr
et encore moins de revivre des époques passées, que l’on puisse avoir de
l’empathie pour les personnages et de l’aversion pour d’autres, c’est
assez naturel, mais ne doit pas rendre compte, s’approcher de la vérité
demande à ne pas l’épouser.
Même si j’ai cultivé une passion certaine pour l’Histoire et en
particulier sur les longues périodes, il m’a fallu m’intéresser à des
séquences plus courtes, que j’ignorais en parti, allant de pair avec
une réflexion sur la chronologie. Peu à
peu je me suis construit ma propre éthique, et s’il a fallu du temps
pour l’affirmer me voilà historien, malgré moi.
(1) avec F. Ewald, A. Farge et J.-P. Faye, Michel Foucault : Dits et écrits? France 2 - déc. 1994, Le cercle de minuit (18 minutes) : Cliquez ici !
Plaidoyer pour l’Histoire et la recherche
scientifique : sources et archives
A force de chercher une méthode basée sur les sciences humaines et
sociales, d’avoir arpenter des domaines divers du savoir, j’ai fait
mien de croiser certaines approches. Mon travail est essentiellement
pédagogique et pluridisciplinaire, depuis que j’ai entrepris sur
l’histoire de Paris et ses légendes urbaine de Paris. Et plus largement, j’ai appris à maîtriser
certains outils, à en découvrir des nouveaux. Le tout a commencé à la
lecture d’un médecin de campagne, un petit livre sur les villes et
l’histoire d’un canton, à ce stade, je ne pouvais présumer que bon
nombre de docteurs étaient aussi des historiens, au point que
l’histoire médicale a surtout été élaborée par des praticiens, et a
produit des ouvrages historiques d’une importance certaine.
Bien que longtemps fâché avec les bas de pages ou les annotations, j’ai
découvert ainsi ce que pouvait représenter un travail
historiographique, et l’accès à nombres de bibliothèques virtuelles, à
commencer par les bibliothèques nationales, en français ou en
espagnol. Une multitude d’ouvrages, qui pour certaines époques
demanderaient des années de labeur. S’il n’est pas possible de tout
lire, il faut pouvoir cerner ses propres domaines de recherches, par
exemple la recherche sur occurrence, d’un nom d’auteur ou personnage
historique connu ou pas, permet d’engager les premiers pas. Un sujet comme la
Révolution française, que je vais tenter d’aborder sur ce site (en
forme de blogs) est un très gros morceau. Non pas seulement vue de
Paris
ou de France, l’Histoire n’est pas une affaire de frontières, et comme
le dit joliment Arlette Farge, pour les historiens « nous en
connaissons la fin ».
Même si cela peut sembler étonnant, l’historien est un enquêteur et
dans la nature des travaux touchant aux plus démunis ou corruptions de
la société, quand l’anecdote devient source d’éclairage, le récit
historique est d’une nature à la fois léger et sordide, et, permet de
soupeser les mondes sociaux s’observant ou s’affrontant. On doit aussi
beaucoup à l’ancien Premier ministre polonais Bronislaw Geremek et aussi historien, décédé
il y a quelques années, un des acteurs de l’émancipation de son pays
de l’hégémonie soviétique, il nous a laissé quelques livres d’histoire
et en particulier sur les marginaux et criminels, ou sur la question de
la potence et nombre de connaissances touchant à Paris.
Quelles sont les pistes à suivre pour entreprendre des recherches sur
la Révolution française (acronyme RF dans le texte)? Les sources sont
nombreuses, tellement qu’une seule personne ne peut à elle seule
véritablement tout lire. Seuls quelques très grands et rares érudits
ont pu s’approcher de la vérité historique, à distinguer de l’usage
politique, souvent malveillant qui en a été fait et usant des pires
armes de la propagande. Il n’y a pas de réécriture, de révision à
porter, mais un œil critique à coup sûr!
De plus l’Histoire, comme outil scientifique et d’analyse n’a vu jour
véritablement qu’au début du vingtième siècle. Un homme, un historien,
bien que très engagé comme soutien à la Révolution russe de 1917,
Albert Mathiez a été le premier à rédiger une histoire fiable, enfin
sortie de ses couches de légendes dorées et noires.
Il s’agit là de toute la difficulté d’aborder cette page de notre
mémoire collective et de comment échapper aux exagérations de toutes
sortes? Politiques et entre autres idéologiques, qui ne font
qu’accentuer les travers passés, et rendent parfois incompréhensibles
des faits notoires. Chercher une cause quand elles sont
multifactorielles est de l’ordre des absurdités à ne pas commettre. Il
n’exista pas une raison de se libérer de ce qui fut une oppression trop
rarement connue sous l’égide des Bourbon et Valois de France, mais de
nombreuses.
Les termes de monarchie absolue de droit divin posent la question d’un
pouvoir omnipotent, foncièrement inégalitaire et sans force de
contestation possible, car proscrites et punies. Les crimes de l’ancien
régime sont légions, mais ne sera pas le but de cet écrit présent,
simplement pour spécifier que l’étude du « Grand Siècle » et du siècle
des « Lumières » (XVII et XVIIIe) sont plus utiles comme référents, que
des analogies très improbables sur les révolutions des XIXe et XXe
siècles.
Que le mouvement révolutionnaire s’en soit inspiré, ce qui est relatif
et très subjectif dans le feu de l’action, a permis l’éclosion de
nouvelles thèses délirantes ou à de fortes charges idéologiques
contre-révolutionnaires, ce qui revient en général au même. Si vous
avez envie de pleurer sur le sort de Louis-Auguste et Marie-Antonia, le
souci sera de rappeler la souffrance de la population paysanne et
ouvrière et les conditions de vie infâmes des plus pauvres.
La tragédie du quotidien est jonchée de nombreuses histoires de
violences sociales, si certains historiens de Cour se vivent au travers
des oeufs de bœuf des chambres à coucher, depuis la science historique
a subi quelques évolutions majeures. En réalité, proprement
révolutionnaire face à une histoire fossilisée, se voulant écho des
martyres du clergé et de l’aristocratie.
Non que je dédaigne l’apport d’historiens royalistes ou des coulisses
du pouvoir royal, mais il y a de quoi manifester une colère certaine
face au traitement audiovisuel, d’une pauvreté intellectuelle
assourdissante, quand ce n’est pas un objet de basse propagande. Donc
l’objet est bien de pouvoir différencier ce qui fait œuvre historique
et ce qui est qui est du domaine du préjugé et des amertumes.
Les archives qui sont un peu l’alpha et l’oméga de la recherche ne
fondent pas une approche commune à tous les chercheurs, du moins les
résultats et les analyses qui peuvent en être tirées n’entrent
normalement pas dans la case fiction. Le récit en histoire n’est pas
affaire de roman, mais il en va d’engranger une somme de détail et de
faits sur des temps variables, des cycles longs ou courts. Ensuite la
sociologie, ce qui fait la plongée dans les méandres d’une société et
ses servitudes, les aspects chiffrés, ce que l’on dispose comme
données quantifiées, plus l’espace géographique, comme l’organisation
urbaine viennent compléter ou approfondir les sources exploitables et
en premier ce qui fait le visage social et économique de la France au
dix-huitième siècle.
Pour donner une idée de la masse documentaire sur la Révolution
française, il existe rien que pour les estampes, gravures et œuvres
picturales : 100.000 pièces. Seul, jusqu’à présent Michel Vovelle a pu
réunir dans un même ouvrage 3.000 de ces dessins ou peintures. Pour la
seule historiographie, c’est-à-dire les auteurs ayant écrits sur les
événements révolutionnaires représentent sur plus de 220 ans une
quantité de livres considérables. Parmi lesquels les plus belles plumes
de la littérature française. Pour les journaux, il a existé plus de 500
titres sur toute la France un véritable boom de la presse, un des plus
connu fut le « Père Duchêne ». Il publia à hauteur de 50.000
exemplaires, ce qui était considérable, la population illettrée ou
analphabète représentait 85 à 90% des individus toute région confondue.
Pour les archives réparties entre les communes, les départements
provenant de l’époque, la considérable masse documentaire permet
notamment l’accès aux états civils : naissance, mariage et décès, aux
cahiers de doléances (69.000), au cadastre ou plans et cartes pouvant
localiser un bâtiment public ou privé, les voies de circulation, etc…
Pour la capitale, il faut souligner la place de la bibliothèque
historique de la Ville de Paris (B.H.V.P) et du musée Carnavalet disposant de
documents spécifiques à la région francilienne. Il ne faut pas oublier
à ce recensement bien qu’incomplet, les archives de police et de
justice ou des administrations comme les hôpitaux de Paris (AP-HP), et
pour finir les archives diplomatiques fenêtre des relations avec les
pays étrangers. Sachant que la langue française était parlée dans
l’ensemble des milieux diplomatiques et princiers en Europe et sur le
continent américain.
A l’échelon de l’hexagone, les Archives Nationales et la Bibliothèque nationale (B.n.F.) sur deux
sites regroupent les grands fonds de la R.F. ouverts aux chercheurs (38.000 documents), le
fruit conservé d’archives privés et publiques par les différents
régimes politiques qui se sont succédés au XIXe siècle. A cela, il
existe des fonds universitaires à Paris et en province, des
collections privées éparpillées en France et dans le monde. A ce sujet,
les bibliothèques nationales à l’international ou comme certaines
universités comme aux États-Unis disposent elles aussi d’ouvrages, de
manuscrits et fonds en français ou autres langues ; surtout des études
vue hors de France avec des yeux extérieurs, le tout venant boucler ce
que peut vouloir dire le mot source ou archive de la R.F.
Ou presque, car il faut rajouter un pan non négligeable de cette
mémoire historique, la place et le rôle des colonies de l’Empire
français, qui ont fait l’objet de recherches depuis la célébration du
bicentenaire en 1989. Notamment les îles des Caraïbes ont apporté de
nouvelles approches sur ce qui fut la traite négrière, ou le commerce
esclavagiste avec la Compagnie des Indes comme fer de lance de cette
entreprise criminelle contre l’humanité.
A l’examen des circonstances qui ont pu conduire une population entière
à se soulever contre le despotisme royal, le premier indicateur à
prendre en compte, c’est que nous sommes face à des humains - qui en
dehors des mœurs plus volages et - en raison de nos modes de vie
transformés par les divers progrès de la technique, et malgré des
parlers régionaux très présents, ils et elles nous ressemblent. Si
l’intimité avait peu de place, si ce n’est aucune au bas de l’échelle
sociale, le monde contemporain ouvre le chapitre de l’individualité,
d’un droit naissant à l’émancipation du plus grand nombre.
Si les familles des grandes villes ne vivaient pas à même le pavé ou au
sein des rues parisiennes, l’on s’entassait au mieux dans une grande
pièce où résidaient plusieurs générations, quand ce n’était pas sous les
soupentes des maisons bourgeoises, que l’on se blottissait l’hiver venant,
ou dans les hôtels borgnes ou miteux de la capitale. Le vagabond,
l’errant ou ce que nous nommons les sans-domiciles touchaient
indifféremment des femmes, des hommes et des enfants et dans une
proportion équivalente à dix pour cent de la population.
Pour toute précision utile, ce n’est pas la fibre patriotique ou
l’attachement à la Nation, celle où je vis, qui m’a porté à enquêter
sur la Révolution française. Pour préciser que cette révolution dépasse
largement le cadre national et n’étant détenteur d’une quelconque
vérité révélée, j’ai préféré l’aborder sous divers contenus, tout en
devinant sans trop de difficultés que tous les auteurs ou contributeurs
de cette page non négligeable de l’Histoire de notre humanité étaient
tous plus ou moins sous le coup de leurs propres préjugés politiques ou
référents intellectuels et idéologiques.
Normal! faut-il écrire, et il faut d’entrée pouvoir distinguer
l’histoire politique et le rôle de l’historien dans une démarche
scientifique, dont le but n’est pas de faire de la production d’idée,
de l’idéologie, mais d’analyser, observer et penser les faits au plus
proche de la réalité. La réalité, ou ce que l’on cherche à dépeindre
comme le réel, c’est que la R.F. vue seulement à l’aune de la France n’y
suffit point. En plus, l’analyse d’un temps court en comparaison à
celle d’un long temps favorise ou fixe l’attention sur de micros
événements, qui pris dans un ensemble plus large peuvent apparaître
marginaux et contradictoirement révélateurs.
Quitte à mettre la main dans les horreurs du temps, comme certains
prosateurs s’ingénient depuis plus de 220 ans à ressortir à tout bout de
champ la dite « Terreur » et construire un amas de légende source de la «
légende noire » ou bien face au mythe national du « bloc », qu’il faut
avaler d’un seul morceau, ceci pour finir par vanter l’empire dans sa
vision bonapartiste ou césarienne. Il y a quelque chose d’indigeste et
surtout qui ne permet pas de comprendre ce qui a pu se jouer et de quoi
dérouter beaucoup de monde.
L’étude du temps long que j’ai toujours favorisé dans mes approches
m’ont finalement conduit à concentrer mes recherches sur les premières
années de 1788 à 1792. Une séquence courte mais conséquente, car
il s’agit de la première et seconde révolution comme l’entendent
certains historiens. Plus encore, j’ai favorisé certains mois ou
journées spécifiques, comme les 12, 13 et 14 juillet, et une
attention particulière, pour août et septembre 1792, coulisses de la
naissance de la première République.
Il est impossible de tout lire. Il a fallu faire des
choix et réfléchir à certains aspects complémentaires. A ce titre, je
n’ai pas encore lu Albert Soboul, Michel Vovelle, ou pas assez François Furet, en
général les historiens les plus contemporains et me suis limité à
l’étude de livres datant d’avant les années 1950 et remontant aux
premières heures. Le site Gallica entre autres permet de collecter une
masse d’informations et de découvrir une collection riche en livres,
journaux, gravures de la R.F., s’y ajoute un certain nombre de documents
de Google-livres et provenant la plupart de bibliothèques étrangères et qui
sont libres de droits.
Quelques sites spécialisés sur la question offrent de même des textes
plus ou moins courts avec des analyses récentes. J’ai privilégié la
capitale pour des raisons évidentes, c’est mon domaine de prédilection
et de recherche en histoire depuis plusieurs années, cependant il
existe des archives départementales et communales partout en France,
elles restent encore à mettre en valeur. L’objet n’étant pas
d’alimenter une vision proprement parisienne ou localiste, mais de comprendre le
rôle de cette ville comme entité géographique dans les tourmentes révolutionnaires.
Texte de Lionel Mesnard
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Remontrances du Parlement de Paris
sur l’usage
des
lettres de cachet,
l’exil du duc d’Orléans
et l’enlèvement de M.M.
Fréteaux et Sabatier,
arrêtés le 11 mars 1788 |
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« Louis XIV n'oublia jamais la révolte du Parlement contre
l'autorité royale pendant sa minorité. Le souvenir des barricades, de
la fuite de la Cour, de la guerre civile, fut toujours présent à son
esprit. Dès qu'il fut le maître, il ne toléra plus l'intervention
active du Parlement dans l'exercice du pouvoir législatif ; les
remontrances restèrent sans effet et les cours souveraines n'osèrent
plus tenter de modifier les lois envoyées à l'enregistrement ou d'en
suspendre la publication pendant un certain temps. Cette docilité de la
magistrature ne désarma pas le jeune roi. Il résolut de limiter par une
loi solennelle les droits si étendus en matière de législation que les
cours et surtout le Parlement de Paris s'étaient attribués en
s'appuyant sur des traditions incertaines. »
Jules
Flammermont, éditeur scientifique,
Remontrances du Parlement de Paris
au XVIIIe siècle, en trois volumes, Hachette et Cie, 1899
Ce courrier se compose d’une quinzaine de feuillets et il fait suite à
l’arrestation de deux magistrats de ce même Parlement, suite à une
réunion tenue en 1787, ces derniers avaient exprimé une opinion
négative sur la publication d’un édit royal, touchant à un crédit
ordonné sans discussion préalable, et qui fut contesté en séance par
celui que l’on nomma « Philippe Egalité ». Futur député et Père du
futur Louis-Philippe, roi des Français et non plus de France, comme il
fut sous l’ancien régime. Messieurs Fréteaux (de Saint-Just) et
Sabatier (de Cabre), membres de ce Parlement furent envoyés un temps en
exil sur les îles d’Hyères avant d’être rappelés. Pareillement pour le
duc d’Orléans, il sera assigné à résidence à Villers-Cotterets, qui
lors de la même séance va dit-on s’opposer pour la première et dernière
fois de sa vie à son parent, selon Adolphe Thiers. (Histoire de la
Révolution française, tome I, édité en 1839)
« Le 19 novembre 1787, (…) un édit ouvrant un emprunt de
420
millions en plusieurs séries. Après une allocution du Roi et un
discours du Garde des Sceaux, le Premier Président alla aux opinions
sur l'édit d'emprunt, comme dans les assemblées ordinaires; mais, au
moment où il ne restait plus qu'à compter les voix, le Roi ordonna
l'enregistrement de l'édit. Cet acte souleva l'indignation de la
plupart des conseillers. Le duc d'Orléans protesta, mais Louis XVI
maintint son ordre. Dès que le Roi fut sorti, la Cour déclara qu'elle
n'entendait prendre aucune part à la transcription de l'édit sur ses
registres. »
Source : Jules Flammermont, page 702 du tome III
A cette occasion, une lettre est rédigée au nom du Parlement,
commençant selon l’usage par « Sire » et les raisons des critiques,
elle fait notamment référence aux « droits de l’Homme », et au système
discrétionnaire des lettres cachetées, ou concernant les droits de
l’accusé, ceux-ci sont bafoués car ne pouvant être contestés. Le
Parlement de Paris devait apporter sa caution aux décisions pour les
rendre applicables, il avait entre autres permis d’invalider le
testament de Louis XIV par le régent Philippe de la branche des Orléans
en 1715. Avec son soutien à la Fronde, cette assemblée,
de notables et juristes, n’était plus vraiment en bonne grâce avec le
pouvoir depuis de longues années, entre autres par sa proximité ou
porosité avec les idées jansénistes, devenues la cause de nombreuses
arrestations politiques, et l’objet d’une censure manifeste du pouvoir.
Le Parlement de Paris avait été même dissout en 1771, puis avait été rétabli par
Louis XVI. Les relations allaient de nouveau en empirant, malgré les
tentatives d’en limiter son pouvoir par éparpillement ou si besoin était
sa mise à distance de la capitale. D’autant plus ces derniers mois où
les tensions augmentèrent dans le refus de soutenir le plan
du contrôleur des finances, M. Calonne et les intrigues de Cour de
même. Le pays était à la limite de la banqueroute, donc de la ruine. De
quoi faire apparaître une contradiction sur une assemblée qui cherchait à
défendre les privilégiés, qu’ils détenaient, d’une part, et la défense du
droit du plus grand nombre, celle des citoyens d’autre part. Mais nous
verrons que les contradictions seront nombreuses dans les semaines et
mois à venir. Entre l’affichage et les réalités, de nombreuses
discordances apparurent, et pas seulement émanant du Parlement
parisien, néanmoins et malgré les dires de cette instance.
Ce courrier fera office de pamphlet et sera imprimé à Paris, il n’est
pas signé et sans que le nom de l’éditeur soit mentionné, aucun nom
n’étant stipulé, clandestinité oblige, cette lettre n’est cependant pas
le reflet de toutes les dissensions existantes, mais pose la question
de la liberté individuelle face à un ordre sans partage. Qui plus est
de l’usage plus qu’abusif des lettres de cachets, qui ne seront abolies
par l’Assemblée nationale qu’en mars 1790, et non le 26 juin 1789,
comme il est précisé par l’encyclopédie numérique Wikipedia (un outil utile mais avec ses grosses failles...). Comme le
mentionne un ouvrage de Michel Vovelle, nous entrons dans « la fin de
l’ancien régime », qui ne prendra fin que le jour de la destitution du
monarque, c’est-à-dire pas avant un certain mois d’août 1792.
Sur l’usage des
lettres de cachet, l’exil du duc d’Orléans et l’enlèvement de M.M.
Fréteaux et Sabatier, arrêtés le 11 mars 1788
« La
sûreté publique est donc un bien
imaginaire, là où subsiste l'usage des lettres de cachet. S'il est des
circonstances qui rendent nécessaire l'exercice subit de votre
autorité, il n'en est point qui puissent autoriser la détention secrète
d'un prisonnier qui demande des Juges ; il n'en est point qui doivent
arrêter son renvoi à la Justice, non pas même son silence ; pas même
son consentement formel à la détention.
La réponse de Votre
Majesté du 14 Mai 1777, a consacré ces maximes
nationales. Elle y déclare ne vouloir jamais souffrir qu'on attente à
la liberté de ses Sujets ; mais qu'il est des circonstances ou la
sûreté publique exige que son autorité vienne au secours de la Justice,
pour empêcher l'évasion des coupables : paroles mémorables confiantes
en effet pour la Justice ! elles concilient la liberté avec la
puissance ! c'est ainsi que Votre Majesté a fixé sur ce point, et de
sa propre bouche, le principe, l'objet et le terme de son pouvoir.
Mais l'honneur des familles ! c'est la dernière objection ; et l'on
ne pense pas que cette objection, dans laquelle se retranchent les
partisans du pouvoir arbitraire, doit elle-même sa force prétendue aux
Lettres de cachet, dont l'usage une fois admis trompe l'honneur, et
l'arme contre la liberté.
Votre Parlement, SIRE,
conviendra de l'existence du préjugé ; mais il
ne conviendra pas qu'un préjugé du faux honneur doive l'emporter pour
l'intérêt de quelques citoyens, sur l'intérêt public , sur la raison,
la morale et la Loi. Et s'il plaisait à Votre Majesté, après avoir
abandonné aux Lois tous les coupables, sans distinction de rang ni de
naissance, d'appeler leurs parents auprès d'Elle, dans ses Cours, ses
Conseils et ses Armées, oserait-on lui dire qu'un préjugé nourri par
ses seuls succès résisterait à cet exemple auguste?
Plusieurs faits assez
connus prouvent que la Nation, plus éclairée sur
ses vrais intérêts, dans les classes même les plus élevées, est
disposée à recevoir des mains de Votre Majesté le plus grand bien qu'un
Roi puisse rendre à ses Sujets ; la liberté. C'est ce bien qui rend
l'autorité plus sûre et les Lois plus chères ; ce bien qui donne un
prix à la vertu, des moyens au génie, un frein à la licence, que votre
Parlement vient vous redemander, SIRE, au nom d'un Peuple généreux et fidèle.
Il vous supplie très
respectueusement d'abolir à jamais l'usage des
Lettres de cachet. Il vous supplie de rejeter pour toujours ces
conseils ambitieux, ces frivoles motifs, ces perfides rapports
également désavoués par la raison, et démentis par les faits. Que
n'est-il possible à Votre Majesté d'entrer dans les détails de ces
rapports, fabriqués par des Commis, sur des Mémoires toujours secrets,
sur des informations toujours clandestines? Que ne peut-Elle
interroger toutes ces victimes du pouvoir arbitraire, confinées,
oubliées dans ces prisons impénétrables, où règnent l'injustice et
le silence?
Combien n'en verrait-Elle
pas de ces victimes infortunées, qui jamais
n'ont menacé ni la paix de l'Etat, ni l'honneur de leurs familles !
Bientôt, SIRE, vous seriez convaincu que l'intrigue, l'avidité, la
jalousie du pouvoir, la soif de la vengeance, la crainte ou la haine de
la Justice, l'humeur , la simple convenance d'un homme en crédit,
président tour à tour à la distribution des Lettres de cachet. Vous
sauriez à quels tourments sont condamnés des malheureux pour qui le
jour se lève sans espérance, pour, qui la nuit revient sans le repos.
Horrible incertitude ! abandon pire que la mort ! et c'est au nom du
Roi !
Vous le sauriez, SIRE ;
vous feriez effrayé du fort de vos Sujets ;
vous gémiriez sur la condition des meilleurs Princes, et Votre
Majesté se hâterait d'éteindre ces foudres invisibles qui frappent la
Justice, en tombant sur l'Innocence, et la frappent encore, en
tombant sur des Coupables. Animé de cet espoir, fondé sur ces
principes, après avoir demandé à Votre Majesté la liberté de la Nation,
votre Parlement, SIRE, ne peut se dispenser de lui redemander celle de
trois Citoyens.
Nous sommes autorisés à
croire que M. le duc d'Orléans, MM. Fréteaux et Sabatier ne sont point coupables. S'ils étaient coupables, le
droit de les juger est réservé à votre Parlement. Celui de faire grâce,
est l'heureuse prérogative de Votre Majesté. La liberté n'est point un
privilège ; c'est un droit, et respecter ce droit est le devoir de
tous les Gouvernements. La même force qui prive de ses Membres un corps
délibérant, pèse sur le corps tout entier, - les uns font arrêtés, tous
les autres sont menacés, aucun n'est libre. Un corps délibérant qui
n'est pas libre, que la force menace, s'il délibère encore, s'il
s'élève au-dessus de la crainte, son courage n'est soutenu que par sa
fidélité.
Cette vertu, SIRE, n'a
point abandonné votre Parlement : il ne cessera
point de demander très respectueusement à Votre Majesté, par
l'abolition des Lettres de cachet, la liberté publique ; et par une
conséquence digne du Prince et des deux Magistrats dont nous sommes
privés, la liberté personnelle de cet auguste Prince et des deux
Magistrats. Ce n'est plus un Prince de votre Sang, ce ne sont plus deux
Magistrats que votre Parlement redemande au nom des lois et de la
raison : ce sont trois Français, ce sont trois hommes.
Ce sont là, SIRE,
Les très humbles et
très respectueuses Remontrances qu'ont cru
devoir présenter à Votre Majesté, Vos très humbles et très obéissants
et très fidèles, et très affectionnés Serviteurs. et Sujets, les
Gens tenant votre Cour de Parlement. »
Paris,
du 11 au 13 mars 1788
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Post-scriptum : « Le 17 mars, la Cour entendit le récit du
Premier Président et résolut de continuer la délibération au 8 avril.
Ce jour, elle décida d'itératives remontrances et des commissaires
furent nommés pour les rédiger. Mais des objets plus importants
occupèrent l'attention du Parlement, et cette affaire fut laissée de
côté ».
Archives nationales - Jules Flammermont
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