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Sommaire de la page,

1 - Ni répulsion, ni attrait, mais que de questions!

2 - Avant-propos sur la Révolution francaise :


  - Le patrimoine historique de la capitale

   - Sur les pas de Michel Foucault...
   - Une vidéo avec Me Arlette Farge
   - Pladoyer pour l'Histoire et la recherche :
Sources et archives       

3 - Remontrances du Parlement de Paris, rédigées du 11 au 13 mars 1788


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La Révolution française
*
(de 1787 à janvier 1793)


Prise des Tuileries ou du Palais royal (Le Louvre), le 10 août 1792
Ni répulsion, ni attrait, mais que de questions !
Des interrogations multiples sur la Révolution française m’ont poussé à vouloir trouver quelques bribes de vérité. Y suis-je parvenu? non, parce que je penserai toujours à cette période avec un doute. Non point sur la nécessité de changer de régime ou de participer à une entreprise de martyrologie, le sort de la noblesse de cour et du haut clergé ne mérite pas vraiment des larmes. De plus si l’on examine les faits chiffrés, ils n'ont pas été tant la cible que l’on a voulu conter. Ce sont les gens ordinaires qui surtout payèrent les frais des excès, aussi bien en pertes humaines, que dans l’adaptation au système économique de la bourgeoisie triomphante.

Il existe sur une masse impressionnante d’acteurs de la révolution, assez peu d’individualités de premier plan méritant le détour, quand elles ne sont pas dépeintes comme beaucoup d’autres sous le coup d’une distinction politique et souvent sur la base d’un rejet grossier. Autant il y a à manifester certaines réserves sur le parcours de l’abbé Sieyès et son adaptabilité aux régimes successifs, Mirabeau avec tous ses défauts est un bonhomme plus que remarquable. Oui, il a servi ses ambitions et il a trempé dans des affaires de corruption, connues et qui ont coûté à la cagnotte royale son pesant de livres françaises (2 millions de l’époque). Mais quel personnage de roman, et si l’on connaît un peu sa vie avant 1789 et ses productions écrites, il y a de quoi écrire avec son aplomb, qu’il est l’homme de la première révolution.

Le comte de Mirabeau voulait une constitution et un parlement de notables, et si Louis XVI ne l’avait pas tant méprisé il aurait pu trouver les raisons de finir son règne tranquillement. En plus sa mort subite en mars 1791 en fait un personnage sur un temps très court assez surprenant et à l’image de son temps. Ses prémonitions ou ses capacités d’analyses sortaient de l’ordinaire, lié au génie des formules, il a été un tribun capable de retourner l’Assemblée avec une intervention plus d’une fois. Ce fut le premier géant de cette vaste entreprise humaine, qui même s’il a profité de son poids politique pour se faire acheter, n’a pas trahi ses convictions. Il a pensé par étape et il est difficile de lui donner tort sur tout, mais comme les événements ne sont pas le reflet d’un personnage plus qu’un autre, mais de conséquences souvent imprévues.

On pourrait presque mettre sur le même plan d’égalité le Marquis de Lafayette, s’il a pu jouir de sa fortune et avoir de très fortes ambitions et un passé aux États-Unis. Il a surtout à son actif quelques crimes ou répressions, et d’avoir inspiré la loi martiale dès la fin de l’année 1789. Mirabeau n’aima pas le pouvoir qu’il représentait avec la garde nationale à ses ordres, il y a quelques raisons de le comprendre, même si l’un et l’autre se satisfaisaient du nouveau cadre légal sans chercher à élargir les pouvoirs et encore moins bâtir une République. Ils ont représenté le camp modéré, pour une monarchie constitutionnelle, les dits « Feuillants » (à partir de 1791 après la mort de Mirabeau), ces monarchistes s’inspiraient pour beaucoup de l’exemple britannique. La contradiction flagrante du général de Lafayette a été d’avoir soutenue une république et d’avoir servi au final un roi. En qui, il n’avait nulle confiance et qu’il tenait en surveillance. Il est devenu par ailleurs la hantise et la détestation du couple royal.

Une des premières références de l’année 1789 ne peuvent que conduire à faire un parallèle avec les révolutions anglaises, et avec l’explosion de la presse. Dont Mirabeau et Brissot ont été les premiers à braver les interdits en avril et mai. L’on découvre une opinion publique
composée d’une très grande variété, de tous les idéaux en cours. C’est la grande avancée de ce nouvel ordre constitutionnel. Pour le reste, les grands perdants furent l’immense majorité, il suffit de constater l’enlisement économique et social, puis les supercheries et manigances du couple royal. D’où l’importance de séquencer en deux premières phases les étapes de la révolution, la partie monarchiste libérale et puis républicaine. Le méli-mélo économique et social des débuts en dit long sur les intentions, de comment la haute bourgeoisie allait mettre le grappin sur les biens du clergé. Ces opportunités économiques ont représenté 10% des richesses nationales vendues aux plus fortunés. Ce qui participa à poser les bases du capitalisme et ne pas vraiment inverser la pyramide des pouvoirs et des biens. Voire l’amplifier quand les terres autrefois requises à la collectivité paysanne se virent compromises par des actes de propriétés.

Ce qui pouvait aider à la survie se voyait confisquer dans un pays où la faim restait un problème récurrent. La nuit du 4 août n’a pas été le jour de l’abolition des privilèges, mais une série de vœux et un imbroglio juridique de taille, les terres étaient rachetables par ceux qui les cultivaient - qu’au prix de plusieurs années de reversement du fermage - et a occasionné plusieurs mois de débats avant de faire loi. On n’abandonnait ses droits anciens sur les métairies que sur la base de l’ancienne redevance, et celle-ci pouvant s’élever sur 10 ou 20 ans. Si certains privilèges disparurent dans un premier temps, celui de l’argent venait supplanter les quartiers de noblesse et donner des droits auxquels ne purent accéder les moins aisés, notamment la population agricole et ouvrière des champs. Si la population paysanne figurait pour presque 80% de la masse globale des habitants, les agriculteurs représentaient 55% de la population totale, le reste contribuait aux activités agricoles.

Ce que j’ai pu constater, ce sont deux formes d’excès ou « d’hybris », l’un tenant aux idéaux et l’autre aux ambitions personnelles. La première catégorie ce que je qualifierai d’hybris ou "d’hubris révolutionnaire" a conduit une génération à la mort. La seconde forme allait y laisser des plumes, mais  continuer son chemin destructeur et offrir à un nouveau despote les portes du pouvoir en bout de course en 1799. Une grande mécanique macabre, où les prisons tiennent lieu de miroir d’une société extrêmement violente. Nos normes étant incomparables, mais pourtant, les geôles restent toujours aussi crasseuses, et le déversoir de nos misères sociales et de maux profonds. Il est indéniable que la nature du droit allait se modifier et contribua à des changements significatifs.

Sur Mirabeau et pas seulement, il est un sujet que l’on aborde peu : la question des corps et de leurs souffrances. Cet homme a été décrit souvent sous les traits d’une grande laideur. Cette appréciation d’un intérêt mineur et dont il a su dépasser les moqueries est en fait le résultat d’une maladie très commune et dévastatrice, la petite vérole. Ou en terme médical la syphilis, que l’on soignait avec des agents pathogènes et mortels, comme les sels de mercure. Cette maladie a eu pour particularité de ronger notamment le visage et de laisser des plaies. Ce que l’on appela le « mal français » a provoqué d’horribles séquelles dans la population, et celui que l’on présenta comme son fils spirituel Danton avait les mêmes marques. Il faut bien comprendre que l’on sort à peine d’une médecine plus que douteuse et qu’elle représentait à l’époque le dernier stade avant l’appel du curé pour les derniers sacrements.

Ce que je veux dire, c’est que le docteur de ce siècle participait plus de la mortalité que de la guérison. Il était plutôt craint, qu’apprécié pour ses remèdes fantaisistes. Autres personnages aux corps marqués par des infirmités, Talleyrand, Couthon notamment en chaise roulante. En prise avec le quotidien et la vie des plus pauvres, ils étaient loin d’être des exceptions. Un banal accident pouvait avoir des conséquences énormes sur le bien être physique des personnes et leur futur. Faute de soins appropriés, à l’image de Louis XIV sur son lit de mort rongé par la gangrène, les fins de vie à l’exemple de Mirabeau passent pour une belle revanche de sa difformité… Mourir en pleine extase, quelle belle mort ! Ce qui peut paraître étrange et le seul bénéfice des guerres aura été la médecine d’urgence, qui apparue dans le cadre des batailles napoléoniennes est venue bousculer le vieil édifice médical et ses certitudes passées. C’est ainsi que la chirurgie a cessé d’être rattachée à la profession de "barbier" et progresser grâce à la médecine d’urgence.

Le prix du sang ?


Ce qui peut ne pas provoquer un grand enthousiasme est la relation à la mort et la place du sang comme hérédité. Ce que l’on nommait le « sang bleu », dans un registre de supériorité l'on distinguait les aristocrates du reste de la population. Etait-ce un registre tout bonnement raciste ou racialiste, c’est-à-dire sur la base d’une distinction « de race », la question se pose? C’est ainsi que l’hérédité l’emportait sur les valeurs ou les mérites de tous, de là à faire un parallèle avec le régime nazi, la norme établie n’était pas la même. Il existait une séparation sociale de fait, plus qu’une distinction religieuse ou liée à la peau, ou bien à des éléments génétiques, même si cette référence au sang n’est pas totalement absente et paraît troublante. L’idée de « race » au XVIIIe siècle n’a rien de génétique ou relevant d’une théorisation idéologique, elle est un privilège de naissance, de perpétuation du nom. La « race » des seigneurs, bien avant de trouver théorie a été même possiblement une perception bourgeoise, il faut à ce sujet lire l’abbé Sieyès et ce qui fit sa gloire en dépeignant les aristocrates comme des étrangers « germains ».

A sa décharge, il parle de sang mélangé, il cherche à démontrer les sources de l’inégalité sociale, plus qu’à construire une charpente raciste. Il est vrai que cette fausse différence franque et gauloise a été le réceptacle d’âpres débats politiques les deux siècle suivants et sur la base d’histoires pas vraiment fondées, voire purement mythologiques sur les envahisseurs d’autrefois et ayant pu participer à des constructions purement racistes basées sur de fausses conceptions des gènes humains. Même si la science a repoussé ce genre vicié avec vigueur depuis 1945, un sondage à la fin du vingtième siècle, donnait plus de 90% des Français croyant encore appartenir à une « race ». C’est à ce genre d’indice et en raison de certains débats actuels, que l’on appréhende les évolutions et contre évolutions de la pensée, et ce qui peut nourrir les dérives politiques et les pires régimes.

Le député Sieyés mentionne par deux fois des références à la « race » dans son grand succès littéraire et de postérité :

« Que si les aristocrates entreprennent, au prix même de cette liberté dont ils se montreraient indignes, de retenir le peuple dans l’oppression, il osera demander à quel titre. Si l’on répond à titre de conquête, il faut en convenir, ce sera vouloir remonter un peu haut. Mais le Tiers ne doit pas craindre de remonter dans les temps passés. Il se reportera à l’année qui a précédé la conquête; et puisqu’il est aujourd’hui assez fort pour ne pas se laisser conquérir, sa résistance sans doute sera plus efficace. Pourquoi ne renverrait-il pas dans les forêts de la Franconie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d’être issues de la race des conquérants et d’avoir succédé à des droits de conquête? La nation, alors épurée, pourra se consoler, je pense, d’être réduite à ne se plus croire composée que des descendants des Gaulois et des Romains. En vérité, si l’on tient à vouloir distinguer naissance et naissance, ne pourrait-on pas révéler à nos pauvres concitoyens que celle qu’on tire des Gaulois et des Romains vaut au moins autant que celle qui viendrait des Sicambres, des Welches et autres sauvages sortis des bois et des marais de l’ancienne Germanie? Oui, dira-t-on; mais la conquête a dérangé tous les rapports, et la noblesse de naissance a passé du côté des conquérants. Eh bien! il faut la faire repasser de l’autre côté ; le Tiers redeviendra noble en devenant conquérant à son tour. Mais, si tout est mêlé dans les races, si le sang des Francs, qui n’en vaudrait pas mieux séparé, coule confondu avec celui des Gaulois, si les ancêtres du Tiers état sont les pères de la nation entière, ne peut-on espérer de voir cesser un jour ce long parricide qu’une classe s’honore de commettre journellement contre toutes les autres? Pourquoi la raison et la justice fortes un jour, autant que la vanité, ne presseraient-elles pas les privilégiés de solliciter eux-mêmes, par un intérêt nouveau, mais plus vrai, plus social, leur réhabilitation dans l’ordre du Tiers état? »

 Emmanuel-Joseph Sieyès, chapitre II, Qu’est-ce que le Tiers Etat?

On parlerait aujourd’hui de germanophobie. Comme quoi la perception d’un temps à un autre peut varier, qui plus est dans la relation à l’étranger, plus exactement à l’étrange ou ce que l’on croit comme différent ou éloigné. C’est même un élément variant dans le cours de la révolution, la place singulière de l’asile et de l’accueil fraternel de tous ceux luttant pour la liberté et tout le fond sur l’universalité ou pas de ce mouvement échappant à toute référence jusqu’alors connue? La seconde révolution n’a pas vraiment d’équivalent contrairement à la première qui est dans la lignée des révolutions libérales, soulignant les retards et lourdeurs de l’absolutisme sur une bonne partie de l’Europe. Le fameux duc de Brunswick - qui fit tant couler d’encre et plongea Paris dans la peur panique d’une invasion étrangère - faisait corps avec les pensées libérales de son temps.

« Que si le château des Tuileries est forcé ou insulté, que s’il est fait la moindre violence, le moindre outrage à Leurs Majestés, le roi, la reine et la famille royale, s’il n’est pas pourvu immédiatement à leur sûreté, à leur conservation et à leur liberté, elles en tireront une vengeance exemplaire et à jamais mémorable en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale, et les révoltés coupables d’attentats aux supplices qu’ils auront mérités. »
Du 25 juillet 1792, Le Manifeste de Brunswick

Ce qui est présenté comme son manifeste appelant à détruire la capitale fut surtout un outil de propagande, les idées du duc prussien n’étaient pas si éloignées des constitutionnalistes. Si l’on s’en tient aux grandes lignes, difficile d’admettre que tout n’est que le produit d’une propagande, et pourtant.

La menace a été amplifiée et grossie par les ultras en exil - et - elle a été accueillie sur le sentiment partagé d’une trahison de « l’Autrichienne » et de son « gros cochon ». Quand on découvre les coulisses politiques, il y a non seulement un texte rédigé dont les signataires sont autres et aucune volonté de s’attaquer au nouveau régime à ce stade du côté prussien. Cela procédait plus de la "guerre en dentelle" que d’une guerre conventionnelle. Mais, c’est ce qui allait participer et mettre le feu aux poudres et engager le deuxième processus révolutionnaire et l’arrestation des époux Capet. Et les Tuileries tombèrent, juste avant la royauté. Nous en sommes qu’au début d’un autre processus, le terme de république étant l’objet d’une petite minorité.

Retour aux sources et origines latines et grecques

L’Hubris (ou l’hybris) qualifiant l’excès ou la démesure est le terme le plus juste, pour expliquer l’échec des révolutionnaires de 1792. Une terminologie grecque pour signifier l’absence de contrôle, qui trouva à Athènes son origine, et une partie de son sens avec la fin de la démocratie ou de l’idée démocratique, au Ve siècle avant J.C. Pourquoi ce détour par la Grèce antique, quand il s’agit de parler d’un événement en apparence sans rapport, ou sans lien direct. Au contraire, tout à tendance à nous y ramener. Combien de discours nourris de citations grecques ou latines pour exprimer une opinion à la tribune de l’Assemblée ou dans les salons, dans un objet de littérature, voire dans la vie courante. Sparte, Athènes et Rome trois cités aux destins différents, nous mènent aux origines des constructions légales et constitutives des pouvoirs collectifs, politiques, militaires et judiciaires. Ils vont être l’objet des projections de l’époque, et de la société lettrée.

Racines et origines sont en général l’entrée en matière de tout travail de fond. L’on peut mieux comprendre les références de chacun, ou l’organisation d’une pensée, si l’on sait à quoi l’on se réfère. Ce qui peut nous sembler codifier est aussi la source d’une éducation ou les textes anciens avaient une place considérable. Ce que l’on appelait les humanités se posa longtemps comme la base du savoir. Ce fut, et demeure aussi un élément de sélection sociale, d’autant plus préjudiciable avec la dénaturation du langage, l’absence de maîtrise des langues nourricières peut renvoyer à un abyme, ou l’objet d’erreurs assez grossières ou de mauvaises interprétations des mots employés.

D’autant plus que le langage du XVIIIe siècle - n’est pas l’exacte copie de ce que nous pouvons lire ou entendre de nos jours - autre source de confusion. Plus encore avec les langages populaires, certains mots n’étant plus d’usage ou ayant pu changer de sens commun. Ce qui est sûr, c’est que nous devons aux Athéniens, et non aux Grecs (faute d’Etat nation), d’avoir inventé les élections, la tragédie (mais pas le théâtre), et concernant Plutarque, la biographie. L’héritage du droit romain, dont la filiation passa par Bologne au XVIe siècle, concernait principalement l’organisation de nos lois dans une filiation latine. Mais aussi le fonctionnement ou les attributions des élus, ce qui explique en parti cette résonance bimillénaire de notre culture ou civilisation européo-méditerranéenne dans les débats sur la Révolution française.

Je ne prendrais que pour exemple l’usage du mot dictature, dont l’entendement ne peut-être que source d’approximation et ne pas refléter ce à quoi nous l’assimilons aujourd’hui, c’est-à-dire à un régime des plus autoritaires, exclusif et sans partage des choix. Selon les clauses romaines ou des villes hellènes, la dictature ne signifiait pas pour autant l’abandon sans limites des pouvoirs constitués ou existants. Le décalage du temps et les projections de deux époques, plus l’origine, avec celles du siècle des Lumières et nos parents lointains - ne peuvent que provoquer des interprétations abusives - ce que l’on nomme une projection ne peut que devenir source d’anachronisme.

Si ce n’était que le seul piège, dont il vaut mieux se prémunir, il y a dans toute manifestation révolutionnaire, des contres balanciers et des résistances fortes. On ne vient pas bousculer l’ordre du monde sans attendre en retour quelques propagandes adverses et coups bas. Le but étant d’une simplicité enfantine, c'est-à-dire noyer l’événement révolutionnaire, grossir à l’excès les faiblesses. Si besoin réécrire l’histoire pour des intérêts partisans souvent liés à des raisons économiques. Il serait difficile de ne pas se positionner et de ne pas choisir son camp. Du moins de ne pas se sentir proche des contre-révolutionnaires. Il s’agit aussi d’un héritage, d’un choix entre un régime monarchique et républicain. Les courants ayant soutenu le roi absolu ou constitutionnel, ma préférence est républicaine et pour l’expression démocratique la plus directe des forces sociales.

Une fois réglée cette histoire plus que basique, du pour ou du contre la Révolution, la question républicaine ne peut qu’être associée à des exigences démocratiques. S’il existe une dérive, dans le cas d’un régime sans contre-pouvoir, il y a un basculement. Car si la Nation est constitutive d’un peuple, elle ne peut être l’objet d’un pouvoir sans contrôle. La question est de savoir, si le vote censitaire est d’essence démocratique ou pas? Ce système mis en place sous la première révolution créait une césure, et faisait de la majorité des citoyens de seconde zone.

Un tant soit peu à l’image des Athéniens d’antan, avec la séparation entre citoyens et esclaves, renvoyant à la mise en périphérie du prolétariat des villes et des champs des urnes et décisions politiques. L’on parle donc de démocratie « bourgeoise », et de sa particularité dans le cas du vote censitaire était limité aux possédants (la classe bourgeoise). Préexistant au moment des États-généraux, le vote censitaire resta en application de 1790 à la mi-août 1792, et fut de nouveau rétabli en août 1795. Ce système électif perdura grosso modo jusqu’à la venue de la troisième République rétablissant l’universalité des droits, mis en œuvre sous la Première un court temps.

Pour ce qui est de la première République, elle se distingua du royalisme et de son appartenance et référence au divin, ou ce qui était la nature propre de l’ancien régime. La loi publique, la res-publica fut la seule qui pouvait tenir lieu de loi commune. Parce que dévolue au temporel. Mais si l’on inclut, les dérives du neuf thermidor (fin juillet 1794) comme un coup d’état, il s'agit de deux années d’une démocratie dont le fer de lance était en principe le peuple, pas très lointain de ce que l’on  a désigné comme la démocratie directe.

Il y a un mais, et il n’est pas petit, le tout organisé dans un système représentatif et très éloigné de ce que semblait envisager Robespierre. Car toute la difficulté n’est pas de lui tirer des éloges, mais d’en finir avec les caricatures. Cela ne demande pas à aimer ce phare de la révolution, mais de comprendre les raisons. Se saisir des faits, et de sortir de cette histoire officielle se perdant dans le symbolisme monarchiste et républicain. La meilleure formule est probablement d’en sortir avec les légendes ou mythologies « bleu, blanc et rouge ». Chaque couleur ayant ses nuances, le pire étant le dogmatisme, le fil induit des divisions.

Texte de Lionel Mesnard


Avant-propos sur la Révolution



Je tiens à partager d’abord cette idée que défend Arlette Farge, historienne. Si je peux avoir un attrait marqué pour certaines périodes historiques, et pas qu’une seule, je n'ai pas d'envie prononcée de vivre en ces temps du passé. S’il m’arrive régulièrement de partager au présent les infortunes d’antan, je me sens bien enraciné dans mon époque. J’ai même l’impudence de mieux la comprendre. Donc, n’y voyez pas l’œuvre d’un nostalgique, mais la continuation d’un travail commencé avec ce site, il y a plus d’une décennie.

L’objet étant de réaliser une histoire urbaine de Paris, sur des cycles longs et courts. Sauf que l’abondance des sources et lectures à partir du XVIe siècle, qui plus est avec le XVIIe et le siècle des Lumières, souvent les recherches sont amenées à privilégier certains enjeux sur d’autres. Rien que l’idée d’écrire l’Histoire aux seules vues d’un récit national pose d’entrée de jeu un problème considérable, à moins de penser que le monde tourne autour de la France, l’intérêt de la capitale est dans son caractère cosmopolite et provincial. A la fois comme une respiration du pays, les quartiers se regroupaient à l’image des Provinces et parlers locaux, et la ville capitale était aussi un centre d’attraction pour le monde presque entier, du moins l’Europe fut à l’image d’une diplomatie où la langue des échanges a été le français. Si l’on vante ce bien être de vivre à la française au dix-huitième siècle, il ne faut pas confondre le goût et les réalités sociales profondes, pour ces dernières, elles n’ont rien d’enviables. Le luxe était confiné à un tout petit monde privilégié, cet art de vivre ne fut pas celui de l’immense majorité.

Aussi d’un siècle à un autre, l’on peut prendre en considérations les changements intervenus, notamment dans l’organisation, le fonctionnement de cette cité toujours en mouvement et s’agrandissant. Chaque souverain a laissé son empreinte, le grand édificateur de l’état centralisateur, s’il porte pour nom celui du ministre Colbert, la maxime de Louis XIV « l’Etat c’est moi » (propos apocryphe) pose ce qui fut le destin d’un peuple soumis aux injonctions royales. Pas un détail de la vie courante ne pouvait échapper aux lois, tout était régi et même plus. La population parisienne a été l’objet d’une surveillance toute particulière, très intrusive dans ses affaires privées. On en comprend mieux la définition du mot libéral ou de se battre pour des libertés, qui nous semblent aujourd’hui acquises, mais si fragiles.

Cependant si la pensée libérale a fini par gagner les esprits des classes privilégiées, il le fut surtout pour libérer le commerce du blé et provoqua de très fortes tensions sociales. Ceci quelques années après son arrivée sur le trône, le jeune Louis seizième du nom a connu les premiers troubles sociaux avec le surintendant Turgot. Il faut dire que la capitale et plus largement le pays furent prolifiques en émeutes depuis le Moyen-âge, les rapports de force pouvaient s’avérer violents et régulièrement laissaient sur son passage quelques massacres ou répressions sanglantes. Des "émotions" sans lendemains face à de multiples situations insupportables, le mouvement des souffrances reprenait sa longue route de douleurs et rien ne semblait pouvoir venir ébranler cet édifice implacable.

On ne peut vraiment comprendre la Révolution française sans s’être intéressé au préalable à l’ancien régime, il faut pouvoir retenir la structuration administrative, découvrir les lois en œuvre. Ce qui s’entendait par un pouvoir vertical et absolutiste, quand le monde juridictionnel était déjà d’une grande complexité. Il faut aussi en deviner la violence sociale et des conditions de vie, notamment à Paris qui donneraient la berlue à tous ses habitants actuels. Le bruit, les odeurs, les cris en feraient presque un parcours en train fantôme, un vaste dédale, de ruelles sinueuses, ou le tout-à-l’égout passait de la fenêtre à la rue, où se mélangeaient passants et animaux. Quand un étranger arrivait du haut des collines de Saint-Cloud, il pouvait être pris à la gorge en contemplant le spectacle des rugissements et couleurs opaques, se demandant ce qui pouvait bien lui arriver dans cette ville aux accents de Sodome et Gomorrhe?

Le travail mené s’est appuyé sur les recherches et écrits d’Albert Mathiez et divers historiens de la Révolution, mais au fait de laquelle parlons-nous? Celle qu’Henri Guillemin appela « la fausse révolution », celle de 1789? Il est indéniable que deux dates s’opposent ou peuvent sembler contradictoires, entre une monarchie constitutionnelle et une république démocratique, certes inexpérimentées et sans l’expression du vote des femmes, il existe néanmoins une grosse différence. De quoi consentir, que oui, la vraie révolution s’est mise en œuvre en août 1792 et que son acte de décès est plus ou moins prononcé avec le mort sur l'échafaud de Robespierre et de ses amis, à la fin de juillet 1794. 1789 créa les conditions de nombreuses avancées démocratiques, notamment la liberté de la presse, il faut préciser que l’ancien régime n'a pris réellement fin qu'avec la destitution du monarque, après les événements du 10 août 1792.

Je me suis appuyé pour beaucoup sur les écrits et réflexions d’Albert Mathiez, sans qui j’aurais probablement raté l’essentiel, et aurais pu me perdre dans un dédale d’impressions contradictoires. Néanmoins et soumis à un impératif, mon objet n’est pas de m’abstraire des légendes noires et dorées, mais de s’en déjouer et rendre à cette page d’histoire son caractère très universel. Cependant connaissant les pièges des mythes et légendes et la nature scientifique des travaux de M. Mathiez, s’il n’empêche pas d’être critique, et même conforte à rester alerte et interrogatif. Grâce à son apport, mais pas seulement, il est possible de saisir une histoire riche et apprendre à se déjouer des contradictions. Et même si besoin d’émettre à son tour quelques réserves, ou ce qui restera un ensemble d'hypothèses à confirmer sur les massacres de septembre 1792. Un mois et plus de rebondissements, qui reste à estimer et vérifier entre ce qu’en dit Mathiez et ce que Pierre Caron un autre historien a déduit, n’y voyant aucune responsabilité aux tenants des pouvoirs municipaux ou à l’exécutif à faire porter.

Comme l’objet n’est pas d’en tirer un jugement à la Salomon et de trancher entre les deux, ces massacres donneront lieu un jour à un ouvrage spécifique, tant il serait temps d’amener des conclusions acceptables, sur ce qui ressemble à un nœud, plus borroméen que gordien de la Révolution. Il n’est pas question de réécrire l’histoire de cette période, mais face à ce qui ressemble à une période charnière et quelque peu constitutive des suites désignées sous le terme de « Terreur », que l’on date généralement à partir de 1793, trouve sur la première semaine de septembre de l’année précédente, le terreau de ce qui a été une série de massacres ou crimes de guerre dans plusieurs régions ou villes.

Je dois préciser que le travail d’Albert Mathiez représente vingt-cinq années de labeur minimum sans compter les années d’apprentissages - sa thèse doctorale datant de 1903 sous la direction d’Alphonse Aulard - et avec l’appui ou l’assistance de collègues au sein de son école Robespierriste à partir de 1907. Il décéda un peu prématurément en 1932, quatre ans après son mentor d’origine, puis contradicteur. L’on peut dire qu’avec ses travaux, il a remis certaines pendules à l’heure et dépassa son vieux maître de la Sorbonne, pris dans ses ornières dantonistes. Celui-ci précise dans son œuvre, qu’il a écrit sans haine ou aversion sur les personnages appréhendés ou décrits dans ses ouvrages. Il le fit en s’appuyant dans ses recherches sur tous les documents qu’il a pu compulser et prendre en note au sein des archives nationales et autres lieux de ses sources originales.

Le patrimoine historique de la capitale

La capitale dispose d’un patrimoine historique considérable, je ne parle pas seulement de ses constructions et évolutions urbaines toujours dans un perpétuel avancement, mais de son patrimoine livresque. Ce nouveau chapitre parisien nous entraîne vers une époque nouvelle et la fin des temps modernes, c’est-à-dire, une période transitoire, le règne de Louis XVI. S’il ne suffit à nous plonger dans le siècle des Lumières, il éclaire toutefois sur l’usure du pouvoir du dernier monarque absolu et sur l’état de la société française à l’aube de la « grande Révolution ». Un terme un peu usurpé, parce que la première des références, ou ce qui vint à l’esprit des commentateurs de ces temps-là trouvait origine et écho dans les deux révolutions anglaises (1642 et 1689), et pour une part non négligeable ses influences politiques dans le mouvement indépendantiste étasunien lancé à Philadelphie en 1776.

Nous n’aborderons peu les deux siècles antérieurs. L’étude de Louis XIII à Louis le seizième du nom demanderait à distinguer deux siècles et expliquer la nature de chaque règne, leurs évolutions légales, les gouvernements successifs et l’impact auprès des « sujets », les grands absents des histoires classiques, du moins les relations entre la population et le système politique royal. Celui-ci était très codifié, réglementant la vie de tous les jours, presque en tout point. Cet état des choses s’avéra une machine implacable et une des sources des colères sociales. Le porteur de cette charge, le monarque depuis Louis XIV ne résidait plus à Paris, il était à quelques lieues ou kilomètres sur le territoire de la ville de Versailles (environ 15 kilomètres) où se trouve la demeure royale. Cette cité à elle seule a été une juridiction avec sa propre cour de justice. Il exista plus de 500 organismes judiciaires, rien que pour la région parisienne. Le système juridique français était d’une extrême complexité, où pouvait se côtoyer des droits féodaux et droits échus à tout sujet du royaume.

Les relations tumultueuses entre le petit peuple parisien et ses gouvernants, si elles semblent en apparence moins prégnantes que pendant le Moyen-âge, et une donnée relative, la puissance de coercition du pouvoir royal lui avait atteint des sommets, dans l’imaginaire, mais surtout dans les faits. Pour exemple, la « lettre de cachet » servit de moyen de régulation sociale. Aussi bien pour les opposants politiques, notamment les jansénistes ou les éléments critiques du royaume, ainsi qu'asseoir l’autorité des familles en écartant certains membres trop immoraux ou gênants. C’est-à-dire, ne correspondait pas aux lois, car ce qui touchait aux mœurs se rattachait à une autre réalité.

C’est peut-être là que nous différons un tant soit peu de nos aïeux, les interdits religieux ou moraux contre la sexualité étaient bien plus pesants, mais rien n’accrédite qu’ils furent véritablement partagés. Au contraire certains épisodes comme la mort de Mirabeau qui décéda en pleine orgie, ou simplement le grand nombre dans la capitale des prostitués de tout sexe contournait ou se moquait de l’interdit. A quelques jours près, le marquis de Sade aurait pu être un héros ou une victime de la Bastille, il n’en fut rien. Le libertinage à ne pas confondre avec les seules pratiques du "divin marquis" à marquer le XVIIIe siècle. Mais de là à en tirer un jugement moral ou chercher à construire des plans sur la comète sur le délitement des mœurs, les pudibonds bourgeois du siècle suivant en tirèrent prétexte pour renforcer les moyens coercitifs.

En étudiant l’Histoire sur des temps longs et courts, je suis devenu historien. Il me manquait une méthode sur laquelle m’appuyer, j’ai fini par valider que mes outils d’analyse tenaient la route. Mais le travail ne fait que commencer, et si incomplet est-il sur le fond, ce que j’ai pu produire me sert de base pour fournir au plus grand nombre de lecteurs quelques repères historiques sur lesquels les non-spécialistes peuvent parfaire leurs connaissances. L’étude de travaux d’érudits, d’historiens et autres domaines des sciences humaines et sociales, de nombreux ouvrages m’ont fait découvrir à peu près tous les champs et les écueils de la recherche historique. S’il n’est pas possible de travailler sur les mondes protohistoriques de la même manière que sur le XVIIIe siècle, néanmoins il est préférable au départ de toute investigation de construire des hypothèses, et d’une certaine manière de gratter au-delà de l’histoire officielle.

A cette étape, vous êtes loin d’avoir construit un plan ou le moindre récit, mais c’est ainsi que l’on commence à délimiter les temps choisis. Certaines études peuvent engager une vie entière, l’histoire est par excellence un outil d’analyse politique d’une société à un temps donné, et personne en ce domaine n’échappe à ses opinions, ses contradictions et contradicteurs. Sauf que l’objet de ce travail n’est pas de faire une énième thèse, mais de relater des faits avec des outils scientifiques établis, ou ce que légendes et mythes ont tendance à escamoter. Ce que la réalité des preuves vient en général bousculer, non pas effacer, détruire d’un trait de plume, mais en cherchant à donner vie dans un récit pour s’approcher au mieux de la vérité.

Sur les pas de Michel Foucault

« L'idée que l'Histoire est vouée "à l'exactitude de l'archive", et la philosophie "à l'architecture des idées" nous paraît une fadaise. Nous ne travaillons pas ainsi. »

Le désordre des familles, Arlette Farge et Michel Foucault

L’on a beaucoup critiqué Michel Foucault pour ne pas avoir pris en considération les questions légales dans les divers textes de son œuvre, notamment ce qui a concerné l’enfermement et la folie. Aussi il lui fut reproché de ne pas être historien ou d’avoir à ce sujet pris des positions trop subjectives. Il était avant tout philosophe et il s’agit en ce domaine d’une démarche épistémologique : des considérations sur la connaissance en général (les structures) ; et ce qu’il a ouvert comme chantier historique était considérable. Son travail a commencé par une thèse sur l’Histoire de la folie à l'âge classique en 1961, le philosophe s’appuya sur toute une série d’anciens textes, allant du Moyen Âge au monde contemporain.

Foucault a fait redécouvrir certaines œuvres oubliées et il a entrepris de même des recherches sur les diverses archives existantes et touchant aux prisons et asiles d’aliénés. Un travail titanesque et que l’on croit souvent comme une somme finie, mais continue justement à inspirer certains historiens, dont Arlette Farge ; qui co-écrivit avec ce dernier sur la question des archives (1). Et en particulier ce qui a pu toucher à la question criminelle, ouvrant sur des récits de vie à travers les instructions judiciaires, ou interventions de la police et des justices existantes (ce que Me Farge nomme comme les "vies minuscules").

Sur le plan historique, son travail tranche par le fait qu’il aborde des temps longs, s’inspirant des méthodes de Fernand Braudel, qui est plus est, il ne se limite pas à la France et l’on comprend mieux les évolutions souvent similaires des pays européens dans le domaine de l’internement asilaire, le travail forcé et ce qui a été la chasse aux « oisifs », plus exactement aux pauvres. L’histoire de la folie de Foucault est un travail d’érudit et peut déboussoler un lecteur peu préparé à telle somme de connaissances. Néanmoins, si vous êtes dans des recherches similaires, vous apprenez à débusquer les notes ou les retours de page et les annexes. Une mine d’information, qui peut parfois aussi rendre un ouvrage trop dense et se perdre dans des considérations qu’il est préférable de restituer selon les époques données. Si les textes de Foucault sont plutôt ardu, il permet de découvrir des auteur comme John Howard qui au dix-huitième siècle fit un tour d’Europe des prisons, pour comparer ce qui se faisait en Angleterre et dans les autres pays concernant les criminels, notamment.

Chaque génération redécouvre et peut avoir l’impression de tout reprendre à zéro en ce domaine Foucault a été un précurseur, je crois qu’il serait surtout dommage de l’enfermer dans une case, tout dans son parcours le marque à la marge, au ban de cette société qui ne juge qu’au fil de la norme. Voilà un an et demi passé à lever dans l’histoire des hôpitaux généraux de l’ancien régime des faits peu connus, mais plongeant parfois dans la stupeur, l’effroi étant quasi permanent sur les conditions de vie des plus humbles. Des chemins qui peuvent vous amener à la Louisiane ou aux Antilles, j’en devinais la complexité et je n’envisageais pas l’étendu du travail.

C’est aussi la découverte de très nombreux auteurs, de sources insoupçonnées qu'offrent les autoroutes de l’information avec des ouvrages jusqu’il y a encore quelques années inconnus du grand public. Le tout compléter par des conférences ou des films à caractère historique et une iconographie importante, et pour cerise sur le gâteau une littérature étonnante et pouvant atteindre des sommets. On se sent tout petit face à ces géants de la plume, ces intelligences misent au service de l’Histoire, ou ce qui nous reste comme lègue. C’est là où l’on touche la question de la transmission et sur des périodes si sensibles que le XVIIIe siècle et la Révolution française.

L’objet n’est pas de faire de la contre histoire, pire une réécriture, mais de mettre en avant ce qui a été le moins traité, voire oublié. Et en ce domaine face au roman national, ou ce que l’on nomme "l’histoire officielle", qui selon Henri Guillemin se résumait à l’histoire des grands hommes (« la patrie reconnaissante »). Et pour référence un enseignement aujourd'hui qui n'est plus celui de la troisième République, il s’agit tout simplement de restituer celle du plus grand nombre. L’historien face à cette démesure et ce qui peut ressembler à une mission impossible, n’a pas à privilégier tel fait sur un autre, il doit faire avec ce qu’il trouve et peut lire. C’est presque un travail de moine copiste, du moins dans le récit pouvoir apporter des preuves, et ce que l’on peut savoir des 20 millions de Français du siècle des Lumières?

Si l’on s’en tenait à certains canaux télévisuels ou d’internet, en dehors des coucheries et des grands de ce monde, les invisibles pourtant très présents apparaissent peu, ou selon les récits perçus comme somme négligeable ou objet de la violence sociale. Le personnage de Robespierre à ce sujet n’est plus qu’une caricature de la "Terreur", alors que beaucoup prouve plutôt que c’est en raison de son « modérantisme ». Si ce n’est une raison, mais plusieurs qui entraîneront sa chute et celles de ses amis. Très loin des légendes et mythes qui sont venus s’écrire sur plus de deux siècles. Comme un archéologue, il faut pouvoir dater les couches, pour ce qui est de l’Histoire, penser qu’elle a été écrite dans sa totalité serait une prétention idiote. Mais de là à tout remettre en cause restons prudents, il existe des bases solides et scientifiques sur lesquelles il est possible de prendre appui. Le monde universitaire est en ce domaine le dépositaire de ce savoir, toujours contestable, mais surtout en mouvement.

Partir d’un seul facteur est une construction assez casse gueule et être rapidement anéantie par les faits. Il est donc préférable de citer plusieurs sources concordantes, de ne pas se référer à un seul avis, ou dans ce cas absurde, autant se borner à ce qu’a pu écrire Jules Michelet. Qu’il ne faut pas plus écarter, qu’un autre, mais faire la part entre le contenu idéologique et le contenu historique. Ne pas oublier qu’il fut un des rares à pouvoir de son temps à accéder aux archives. Son travail sur l’avant-veille de la révolution, sur les dernières années de l’ancien régime avant 1789 est à prendre en considération.

Comme il est presque impossible de comprendre la révolution sans passer par l’évolution du siècle. Plus encore de saisir les lettrés dont les références gréco-latines sont récurrentes, comment appréhender le mot "dictature"? si on lui colle nos références des mondes totalitaires du XXe siècle? le plus généralement cela devient une bouillie propagandiste et donne parution à des ouvrages très contestables et dont la fiabilité laisse un peu songeur. Quand ce n’est pas un retour de flamme des contre-révolutionnaires, c’est-à-dire, une entreprise révisionniste et un pur produit de propagande.

Pour un non-spécialiste, mais avec une approche pluridisciplinaire et même hors de l’université, il est possible de travailler sur de nouveaux champs, prendre en considération, des éléments comme le sensible. A l’exemple du travail d’Arlette Farge sur les rues de Paris, les lieux, les bruits et les odeurs, la place des objets, leur fabrication, le regard des riches sur les pauvres ou inversement. Ces petits riens permettent d’accéder à ce siècle qui fait tant rêver les nostalgiques. Mais comme d’autres ont pu écrire, ce type d’analyse ne se construit pas dans un partage inconditionnel, il nous pousse à réfléchir sur notre propre temps et comment l’usage de l’interrogation est une préoccupation permanente. Il ne s’agit pas d’aimer ou de haïr et encore moins de revivre des époques passées, que l’on puisse avoir de l’empathie pour les personnages et de l’aversion pour d’autres, c’est assez naturel, mais ne doit pas rendre compte, s’approcher de la vérité demande à ne pas l’épouser.

Même si j’ai cultivé une passion certaine pour l’Histoire et en particulier sur les longues périodes, il m’a fallu m’intéresser à des séquences plus courtes, que j’ignorais en parti, allant de pair avec une réflexion sur la chronologie. Peu à peu je me suis construit ma propre éthique, et s’il a fallu du temps pour l’affirmer me voilà historien, malgré moi.

(1) avec F. Ewald, A. Farge et J.-P. Faye, Michel Foucault : Dits et écrits? France 2 - déc. 1994, Le cercle de minuit (18 minutes)
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Plaidoyer pour l’Histoire et la recherche scientifique : sources et archives

A force de chercher une méthode basée sur les sciences humaines et sociales, d’avoir arpenter des domaines divers du savoir, j’ai fait mien de croiser certaines approches. Mon travail est essentiellement pédagogique et pluridisciplinaire, depuis que j’ai entrepris sur l’histoire de Paris et ses légendes urbaine de Paris. Et plus largement, j’ai appris à maîtriser certains outils, à en découvrir des nouveaux. Le tout a commencé à la lecture d’un médecin de campagne, un petit livre sur les villes et l’histoire d’un canton, à ce stade, je ne pouvais présumer que bon nombre de docteurs étaient aussi des historiens, au point que l’histoire médicale a surtout été élaborée par des praticiens, et a produit des ouvrages historiques d’une importance certaine.

Bien que longtemps fâché avec les bas de pages ou les annotations, j’ai découvert ainsi ce que pouvait représenter un travail historiographique, et l’accès à nombres de bibliothèques virtuelles, à commencer par les bibliothèques nationales, en français ou en espagnol. Une multitude d’ouvrages, qui pour certaines époques demanderaient des années de labeur. S’il n’est pas possible de tout lire, il faut pouvoir cerner ses propres domaines de recherches, par exemple la recherche sur occurrence, d’un nom d’auteur ou personnage historique connu ou pas, permet d’engager les premiers pas. Un sujet comme la Révolution française, que je vais tenter d’aborder sur ce site (en forme de blogs) est un très gros morceau. Non pas seulement vue de Paris ou de France, l’Histoire n’est pas une affaire de frontières, et comme le dit joliment Arlette Farge, pour les historiens « nous en connaissons la fin ».

Même si cela peut sembler étonnant, l’historien est un enquêteur et dans la nature des travaux touchant aux plus démunis ou corruptions de la société, quand l’anecdote devient source d’éclairage, le récit historique est d’une nature à la fois léger et sordide, et, permet de soupeser les mondes sociaux s’observant ou s’affrontant. On doit aussi beaucoup à l’ancien Premier ministre polonais Bronislaw Geremek et aussi historien, décédé il y a quelques années, un des acteurs de l’émancipation de son pays de l’hégémonie soviétique, il nous a laissé quelques livres d’histoire et en particulier sur les marginaux et criminels, ou sur la question de la potence et nombre de connaissances touchant à Paris.

Quelles sont les pistes à suivre pour entreprendre des recherches sur la Révolution française (acronyme RF dans le texte)? Les sources sont nombreuses, tellement qu’une seule personne ne peut à elle seule véritablement tout lire. Seuls quelques très grands et rares érudits ont pu s’approcher de la vérité historique, à distinguer de l’usage politique, souvent malveillant qui en a été fait et usant des pires armes de la propagande. Il n’y a pas de réécriture, de révision à porter, mais un œil critique à coup sûr!

De plus l’Histoire, comme outil scientifique et d’analyse n’a vu jour véritablement qu’au début du vingtième siècle. Un homme, un historien, bien que très engagé comme soutien à la Révolution russe de 1917, Albert Mathiez a été le premier à rédiger une histoire fiable, enfin sortie de ses couches de légendes dorées et noires.

Il s’agit là de toute la difficulté d’aborder cette page de notre mémoire collective et de comment échapper aux exagérations de toutes sortes? Politiques et entre autres idéologiques, qui ne font qu’accentuer les travers passés, et rendent parfois incompréhensibles des faits notoires. Chercher une cause quand elles sont multifactorielles est de l’ordre des absurdités à ne pas commettre. Il n’exista pas une raison de se libérer de ce qui fut une oppression trop rarement connue sous l’égide des Bourbon et Valois de France, mais de nombreuses.

Les termes de monarchie absolue de droit divin posent la question d’un pouvoir omnipotent, foncièrement inégalitaire et sans force de contestation possible, car proscrites et punies. Les crimes de l’ancien régime sont légions, mais ne sera pas le but de cet écrit présent, simplement pour spécifier que l’étude du « Grand Siècle » et du siècle des
« Lumières » (XVII et XVIIIe) sont plus utiles comme référents, que des analogies très improbables sur les révolutions des XIXe et XXe siècles.

Que le mouvement révolutionnaire s’en soit inspiré, ce qui est relatif et très subjectif dans le feu de l’action, a permis l’éclosion de nouvelles thèses délirantes ou à de fortes charges idéologiques contre-révolutionnaires, ce qui revient en général au même. Si vous avez envie de pleurer sur le sort de Louis-Auguste et Marie-Antonia, le souci sera de rappeler la souffrance de la population paysanne et ouvrière et les conditions de vie infâmes des plus pauvres.

La tragédie du quotidien est jonchée de nombreuses histoires de violences sociales, si certains historiens de Cour se vivent au travers des oeufs de bœuf des chambres à coucher, depuis la science historique a subi quelques évolutions majeures. En réalité, proprement révolutionnaire face à une histoire fossilisée, se voulant écho des martyres du clergé et de l’aristocratie.

Non que je dédaigne l’apport d’historiens royalistes ou des coulisses du pouvoir royal, mais il y a de quoi manifester une colère certaine face au traitement audiovisuel, d’une pauvreté intellectuelle assourdissante, quand ce n’est pas un objet de basse propagande. Donc l’objet est bien de pouvoir différencier ce qui fait œuvre historique et ce qui est qui est du domaine du préjugé et des amertumes.

Les archives qui sont un peu l’alpha et l’oméga de la recherche ne fondent pas une approche commune à tous les chercheurs, du moins les résultats et les analyses qui peuvent en être tirées n’entrent normalement pas dans la case fiction. Le récit en histoire n’est pas affaire de roman, mais il en va d’engranger une somme de détail et de faits sur des temps variables, des cycles longs ou courts. Ensuite la sociologie, ce qui fait la plongée dans les méandres d’une société et ses servitudes, les aspects chiffrés, ce que l’on dispose comme données quantifiées, plus l’espace géographique, comme l’organisation urbaine viennent compléter ou approfondir les sources exploitables et en premier ce qui fait le visage social et économique de la France au dix-huitième siècle.

Pour donner une idée de la masse documentaire sur la Révolution française, il existe rien que pour les estampes, gravures et œuvres picturales : 100.000 pièces. Seul, jusqu’à présent Michel Vovelle a pu réunir dans un même ouvrage 3.000 de ces dessins ou peintures. Pour la seule historiographie, c’est-à-dire les auteurs ayant écrits sur les événements révolutionnaires représentent sur plus de 220 ans une quantité de livres considérables. Parmi lesquels les plus belles plumes de la littérature française. Pour les journaux, il a existé plus de 500 titres sur toute la France un véritable boom de la presse, un des plus connu fut le « Père Duchêne ». Il publia à hauteur de 50.000 exemplaires, ce qui était considérable, la population illettrée ou analphabète représentait 85 à 90% des individus toute région confondue.

Pour les archives réparties entre les communes, les départements provenant de l’époque, la considérable masse documentaire permet notamment l’accès aux états civils : naissance, mariage et décès, aux cahiers de doléances (69.000), au cadastre ou plans et cartes pouvant localiser un bâtiment public ou privé, les voies de circulation, etc… Pour la capitale, il faut souligner la place de la bibliothèque historique de la Ville de Paris (B.H.V.P) et du musée Carnavalet disposant de documents spécifiques à la région francilienne. Il ne faut pas oublier à ce recensement bien qu’incomplet, les archives de police et de justice ou des administrations comme les hôpitaux de Paris (AP-HP), et pour finir les archives diplomatiques fenêtre des relations avec les pays étrangers. Sachant que la langue française était parlée dans l’ensemble des milieux diplomatiques et princiers en Europe et sur le continent américain.

A l’échelon de l’hexagone, les Archives Nationales et la Bibliothèque nationale (B.n.F.) sur deux sites regroupent les grands fonds de la R.F. ouverts aux chercheurs (38.000 documents), le fruit conservé d’archives privés et publiques par les différents régimes politiques qui se sont succédés au XIXe siècle. A cela, il existe des fonds universitaires à Paris et en province, des collections privées éparpillées en France et dans le monde. A ce sujet, les bibliothèques nationales à l’international ou comme certaines universités comme aux États-Unis disposent elles aussi d’ouvrages, de manuscrits et fonds en français ou autres langues ; surtout des études vue hors de France avec des yeux extérieurs, le tout venant boucler ce que peut vouloir dire le mot source ou archive de la R.F.

Ou presque, car il faut rajouter un pan non négligeable de cette mémoire historique, la place et le rôle des colonies de l’Empire français, qui ont fait l’objet de recherches depuis la célébration du bicentenaire en 1989. Notamment les îles des Caraïbes ont apporté de nouvelles approches sur ce qui fut la traite négrière, ou le commerce esclavagiste avec la Compagnie des Indes comme fer de lance de cette entreprise criminelle contre l’humanité.

A l’examen des circonstances qui ont pu conduire une population entière à se soulever contre le despotisme royal, le premier indicateur à prendre en compte, c’est que nous sommes face à des humains - qui en dehors des mœurs plus volages et - en raison de nos modes de vie transformés par les divers progrès de la technique, et malgré des parlers régionaux très présents, ils et elles nous ressemblent. Si l’intimité avait peu de place, si ce n’est aucune au bas de l’échelle sociale, le monde contemporain ouvre le chapitre de l’individualité, d’un droit naissant à l’émancipation du plus grand nombre.

Si les familles des grandes villes ne vivaient pas à même le pavé ou au sein des rues parisiennes, l’on s’entassait au mieux dans une grande pièce où résidaient plusieurs générations, quand ce n’était pas sous les soupentes des maisons bourgeoises, que l’on se blottissait l’hiver venant, ou dans les hôtels borgnes ou miteux de la capitale. Le vagabond, l’errant ou ce que nous nommons les sans-domiciles touchaient indifféremment des femmes, des hommes et des enfants et dans une proportion équivalente à dix pour cent de la population.

Pour toute précision utile, ce n’est pas la fibre patriotique ou l’attachement à la Nation, celle où je vis, qui m’a porté à enquêter sur la Révolution française. Pour préciser que cette révolution dépasse largement le cadre national et n’étant détenteur d’une quelconque vérité révélée, j’ai préféré l’aborder sous divers contenus, tout en devinant sans trop de difficultés que tous les auteurs ou contributeurs de cette page non négligeable de l’Histoire de notre humanité étaient tous plus ou moins sous le coup de leurs propres préjugés politiques ou référents intellectuels et idéologiques.

Normal! faut-il écrire, et il faut d’entrée pouvoir distinguer l’histoire politique et le rôle de l’historien dans une démarche scientifique, dont le but n’est pas de faire de la production d’idée, de l’idéologie, mais d’analyser, observer et penser les faits au plus proche de la réalité. La réalité, ou ce que l’on cherche à dépeindre comme le réel, c’est que la R.F. vue seulement à l’aune de la France n’y suffit point. En plus, l’analyse d’un temps court en comparaison à celle d’un long temps favorise ou fixe l’attention sur de micros événements, qui pris dans un ensemble plus large peuvent apparaître marginaux et contradictoirement révélateurs.

Quitte à mettre la main dans les horreurs du temps, comme certains prosateurs s’ingénient depuis plus de 220 ans à ressortir à tout bout de champ la dite « Terreur » et construire un amas de légende source de la « légende noire » ou bien face au mythe national du « bloc », qu’il faut avaler d’un seul morceau, ceci pour finir par vanter l’empire dans sa vision bonapartiste ou césarienne. Il y a quelque chose d’indigeste et surtout qui ne permet pas de comprendre ce qui a pu se jouer et de quoi dérouter beaucoup de monde.

L’étude du temps long que j’ai toujours favorisé dans mes approches m’ont finalement conduit à concentrer mes recherches sur les premières années de 1788 à 1792. Une séquence courte mais conséquente, car il s’agit de la première et seconde révolution comme l’entendent certains historiens. Plus encore, j’ai favorisé certains mois ou journées spécifiques, comme les 12, 13 et 14 juillet, et une attention particulière, pour août et septembre 1792, coulisses de la naissance de la première République.

Il est impossible de tout lire. Il a fallu faire des choix et réfléchir à certains aspects complémentaires. A ce titre, je n’ai pas encore lu Albert Soboul, Michel Vovelle, ou pas assez François Furet, en général les historiens les plus contemporains et me suis limité à l’étude de livres datant d’avant les années 1950 et remontant aux premières heures. Le site Gallica entre autres permet de collecter une masse d’informations et de découvrir une collection riche en livres, journaux, gravures de la R.F., s’y ajoute un certain nombre de documents de Google-livres et provenant la plupart de bibliothèques étrangères et qui sont libres de droits.

Quelques sites spécialisés sur la question offrent de même des textes plus ou moins courts avec des analyses récentes. J’ai privilégié la capitale pour des raisons évidentes, c’est mon domaine de prédilection et de recherche en histoire depuis plusieurs années, cependant il existe des archives départementales et communales partout en France, elles restent encore à mettre en valeur. L’objet n’étant pas d’alimenter une vision proprement parisienne ou localiste, mais de comprendre le rôle de cette ville comme entité géographique dans les tourmentes révolutionnaires.

Texte de Lionel Mesnard



Remontrances du Parlement de Paris

sur l’usage
des lettres de cachet,
l’exil du duc d’Orléans
et l’enlèvement de M.M. Fréteaux et Sabatier,
arrêtés le 11 mars 1788
« Louis XIV n'oublia jamais la révolte du Parlement contre l'autorité royale pendant sa minorité. Le souvenir des barricades, de la fuite de la Cour, de la guerre civile, fut toujours présent à son esprit. Dès qu'il fut le maître, il ne toléra plus l'intervention active du Parlement dans l'exercice du pouvoir législatif ; les remontrances restèrent sans effet et les cours souveraines n'osèrent plus tenter de modifier les lois envoyées à l'enregistrement ou d'en suspendre la publication pendant un certain temps. Cette docilité de la magistrature ne désarma pas le jeune roi. Il résolut de limiter par une loi solennelle les droits si étendus en matière de législation que les cours et surtout le Parlement de Paris s'étaient attribués en s'appuyant sur des traditions incertaines. »

Jules Flammermont, éditeur scientifique,
Remontrances du Parlement de Paris au XVIIIe siècle
, en trois volumes, Hachette et Cie, 1899

Ce courrier se compose d’une quinzaine de feuillets et il fait suite à l’arrestation de deux magistrats de ce même Parlement, suite à une réunion tenue en 1787, ces derniers avaient exprimé une opinion négative sur la publication d’un édit royal, touchant à un crédit ordonné sans discussion préalable, et qui fut contesté en séance par celui que l’on nomma « Philippe Egalité ». Futur député et Père du futur Louis-Philippe, roi des Français et non plus de France, comme il fut sous l’ancien régime. Messieurs Fréteaux (de Saint-Just) et Sabatier (de Cabre), membres de ce Parlement furent envoyés un temps en exil sur les îles d’Hyères avant d’être rappelés. Pareillement pour le duc d’Orléans, il sera assigné à résidence à Villers-Cotterets, qui lors de la même séance va dit-on s’opposer pour la première et dernière fois de sa vie à son parent, selon Adolphe Thiers. (Histoire de la Révolution française, tome I, édité en 1839)

« Le 19 novembre 1787, (…) un édit ouvrant un emprunt de 420 millions en plusieurs séries. Après une allocution du Roi et un discours du Garde des Sceaux, le Premier Président alla aux opinions sur l'édit d'emprunt, comme dans les assemblées ordinaires; mais, au moment où il ne restait plus qu'à compter les voix, le Roi ordonna l'enregistrement de l'édit. Cet acte souleva l'indignation de la plupart des conseillers. Le duc d'Orléans protesta, mais Louis XVI maintint son ordre. Dès que le Roi fut sorti, la Cour déclara qu'elle n'entendait prendre aucune part à la transcription de l'édit sur ses registres. »


Source : Jules Flammermont, page 702 du tome III
A cette occasion, une lettre est rédigée au nom du Parlement, commençant selon l’usage par « Sire » et les raisons des critiques, elle fait notamment référence aux « droits de l’Homme », et au système discrétionnaire des lettres cachetées, ou concernant les droits de l’accusé, ceux-ci sont bafoués car ne pouvant être contestés. Le Parlement de Paris devait apporter sa caution aux décisions pour les rendre applicables, il avait entre autres permis d’invalider le testament de Louis XIV par le régent Philippe de la branche des Orléans en 1715.  Avec son soutien à la Fronde, cette assemblée, de notables et juristes, n’était plus vraiment en bonne grâce avec le pouvoir depuis de longues années, entre autres par sa proximité ou porosité avec les idées jansénistes, devenues la cause de nombreuses arrestations politiques, et l’objet d’une censure manifeste du pouvoir.

Le Parlement de Paris avait été même dissout en 1771, puis avait été rétabli par Louis XVI. Les relations allaient de nouveau en empirant, malgré les tentatives d’en limiter son pouvoir par éparpillement ou si besoin était sa mise à distance de la capitale. D’autant plus ces derniers mois où les tensions augmentèrent dans le refus de soutenir le plan du contrôleur des finances, M. Calonne et les intrigues de Cour de même. Le pays était à la limite de la banqueroute, donc de la ruine. De quoi faire apparaître une contradiction sur une assemblée qui cherchait à défendre les privilégiés, qu’ils détenaient, d’une part, et la défense du droit du plus grand nombre, celle des citoyens d’autre part. Mais nous verrons que les contradictions seront nombreuses dans les semaines et mois à venir. Entre l’affichage et les réalités, de nombreuses discordances apparurent, et pas seulement émanant du Parlement parisien, néanmoins et malgré les dires de cette instance.

Ce courrier fera office de pamphlet et sera imprimé à Paris, il n’est pas signé et sans que le nom de l’éditeur soit mentionné, aucun nom n’étant stipulé, clandestinité oblige, cette lettre n’est cependant pas le reflet de toutes les dissensions existantes, mais pose la question de la liberté individuelle face à un ordre sans partage. Qui plus est de l’usage plus qu’abusif des lettres de cachets, qui ne seront abolies par l’Assemblée nationale qu’en mars 1790, et non le 26 juin 1789, comme il est précisé par l’encyclopédie numérique Wikipedia (un outil utile mais avec ses grosses failles...). Comme le mentionne un ouvrage de Michel Vovelle, nous entrons dans « la fin de l’ancien régime », qui ne prendra fin que le jour de la destitution du monarque, c’est-à-dire pas avant un certain mois d’août 1792.

Sur l’usage des lettres de cachet, l’exil du duc d’Orléans et l’enlèvement de M.M. Fréteaux et Sabatier, arrêtés le 11 mars 1788

« La sûreté publique est donc un bien imaginaire, là où subsiste l'usage des lettres de cachet. S'il est des circonstances qui rendent nécessaire l'exercice subit de votre autorité, il n'en est point qui puissent autoriser la détention secrète d'un prisonnier qui demande des Juges ; il n'en est point qui doivent arrêter son renvoi à la Justice, non pas même son silence ; pas même son consentement formel à la détention.

La réponse de Votre Majesté du 14 Mai 1777, a consacré ces maximes nationales. Elle y déclare ne vouloir jamais souffrir qu'on attente à la liberté de ses Sujets ; mais qu'il est des circonstances ou la sûreté publique exige que son autorité vienne au secours de la Justice, pour empêcher l'évasion des coupables : paroles mémorables confiantes en effet pour la Justice ! elles concilient la liberté avec la puissance ! c'est ainsi que Votre Majesté a fixé sur ce point, et de sa propre bouche, le principe, l'objet et le terme de son pouvoir. Mais l'honneur des familles ! c'est la dernière objection ; et l'on ne pense pas que cette objection, dans laquelle se retranchent les partisans du pouvoir arbitraire, doit elle-même sa force prétendue aux Lettres de cachet, dont l'usage une fois admis trompe l'honneur, et l'arme contre la liberté.

Votre Parlement, SIRE, conviendra de l'existence du préjugé ; mais il ne conviendra pas qu'un préjugé du faux honneur doive l'emporter pour l'intérêt de quelques citoyens, sur l'intérêt public , sur la raison, la morale et la Loi. Et s'il plaisait à Votre Majesté, après avoir abandonné aux Lois tous les coupables, sans distinction de rang ni de naissance, d'appeler leurs parents auprès d'Elle, dans ses Cours, ses Conseils et ses Armées, oserait-on lui dire qu'un préjugé nourri par ses seuls succès résisterait à cet exemple auguste?

Plusieurs faits assez connus prouvent que la Nation, plus éclairée sur ses vrais intérêts, dans les classes même les plus élevées, est disposée à recevoir des mains de Votre Majesté le plus grand bien qu'un Roi puisse rendre à ses Sujets ; la liberté. C'est ce bien qui rend l'autorité plus sûre et les Lois plus chères ; ce bien qui donne un prix à la vertu, des moyens au génie, un frein à la licence, que votre Parlement vient vous redemander, SIRE, au nom d'un Peuple généreux et fidèle.

Il vous supplie très respectueusement d'abolir à jamais l'usage des Lettres de cachet. Il vous supplie de rejeter pour toujours ces conseils ambitieux, ces frivoles motifs, ces perfides rapports également désavoués par la raison, et démentis par les faits. Que n'est-il possible à Votre Majesté d'entrer dans les détails de ces rapports, fabriqués par des Commis, sur des Mémoires toujours secrets, sur des informations toujours clandestines? Que ne peut-Elle interroger toutes ces victimes du pouvoir arbitraire, confinées, oubliées dans ces prisons impénétrables, où règnent l'injustice et le silence?

Combien n'en verrait-Elle pas de ces victimes infortunées, qui jamais n'ont menacé ni la paix de l'Etat, ni l'honneur de leurs familles ! Bientôt, SIRE, vous seriez convaincu que l'intrigue, l'avidité, la jalousie du pouvoir, la soif de la vengeance, la crainte ou la haine de la Justice, l'humeur , la simple convenance d'un homme en crédit, président tour à tour à la distribution des Lettres de cachet. Vous sauriez à quels tourments sont condamnés des malheureux pour qui le jour se lève sans espérance, pour, qui la nuit revient sans le repos. Horrible incertitude ! abandon pire que la mort ! et c'est au nom du Roi !

Vous le sauriez, SIRE ; vous feriez effrayé du fort de vos Sujets ; vous gémiriez sur la condition des meilleurs Princes, et Votre Majesté se hâterait d'éteindre ces foudres invisibles qui frappent la Justice, en tombant sur l'Innocence, et la frappent encore, en tombant sur des Coupables. Animé de cet espoir, fondé sur ces principes, après avoir demandé à Votre Majesté la liberté de la Nation, votre Parlement, SIRE, ne peut se dispenser de lui redemander celle de trois Citoyens.

Nous sommes autorisés à croire que M. le duc d'Orléans, MM. Fréteaux et Sabatier ne sont point coupables. S'ils étaient coupables, le droit de les juger est réservé à votre Parlement. Celui de faire grâce, est l'heureuse prérogative de Votre Majesté. La liberté n'est point un privilège ; c'est un droit, et respecter ce droit est le devoir de tous les Gouvernements. La même force qui prive de ses Membres un corps délibérant, pèse sur le corps tout entier, - les uns font arrêtés, tous les autres sont menacés, aucun n'est libre. Un corps délibérant qui n'est pas libre, que la force menace, s'il délibère encore, s'il s'élève au-dessus de la crainte, son courage n'est soutenu que par sa fidélité.

Cette vertu, SIRE, n'a point abandonné votre Parlement : il ne cessera point de demander très respectueusement à Votre Majesté, par l'abolition des Lettres de cachet, la liberté publique ; et par une conséquence digne du Prince et des deux Magistrats dont nous sommes privés, la liberté personnelle de cet auguste Prince et des deux Magistrats. Ce n'est plus un Prince de votre Sang, ce ne sont plus deux Magistrats que votre Parlement redemande au nom des lois et de la raison : ce sont trois Français, ce sont trois hommes.

Ce sont là, SIRE,

Les très humbles et très respectueuses Remontrances qu'ont cru devoir présenter à Votre Majesté, Vos très humbles et très obéissants et très fidèles, et très affectionnés Serviteurs. et Sujets, les Gens tenant votre Cour de Parlement. »

Paris, du 11 au 13 mars 1788

Post-scriptum :
« Le 17 mars, la Cour entendit le récit du Premier Président et résolut de continuer la délibération au 8 avril. Ce jour, elle décida d'itératives remontrances et des commissaires furent nommés pour les rédiger. Mais des objets plus importants occupèrent l'attention du Parlement, et cette affaire fut laissée de côté ».

Archives nationales - Jules Flammermont

Source
: Gallica-Bnf de Jules Flammermont  : Hachette et Cie, 1899,
Remontrances du Parlement de Paris au XVIIIe siècle
- page 702 tome III


Suite sur la Révolution française...
Le grand retour de Mr Necker - 1788 (2)

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