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La
psychanalyse :
une pensée
et une pratique
Sommaire
de la page :
- Contribution à l'histoire de la psychanalyse (1914)
- L'invention de la psychanalyse, documentaire - Quid de la révolution psychanalytique et notes sur
les lectures "psy" -
«
Révisionnistes » et «
comportementalistes » par Elisabeth Roudinesco -
Courrier sur la pratique psychanalytique (2008) -
Enjeux..., par
Jean Szpirko -
Sites à
découvrir !
Court extrait ou introduction au sujet...
Contribution à l’histoire
du mouvement psychanalytique
par Sigmund Freud (1914)
(...)
Cette contribution présente un caractère subjectif qui, je l'espère,
n'étonnera personne, de même qu'on ne trouvera sans doute pas étonnant
que j'y parle du rôle que j'ai moi-même joué dans cette histoire.
C'est que la psychanalyse est ma création : pendant dix ans, j'ai
été le seul à m'en occuper, et pendant dix ans c'est sur ma tête que
s'abattaient les critiques par lesquelles les contemporains exprimaient
leur mécontentement envers la psychanalyse et leur mauvaise humeur à
son égard. Je crois même pouvoir affirmer qu'aujourd'hui encore, où
je suis loin d'être le seul psychanalyste, personne n'est à même de
savoir mieux que moi ce qu'est la psychanalyse, en quoi elle diffère
d'autres modes d'exploration de la vie psychique, ce qui peut être
désigné par ce terme ou ce qui pourrait être mieux désigné
autrement.
Ayant eu l'occasion, en 1904, de parler pour la première fois
publiquement de la psychanalyse, du haut d'une chaire universitaire
américaine, et conscient de l'importance que ce fait pouvait avoir
pour les objectifs que je poursuivais, j'avais déclaré que ce
n'était pas moi qui avais donné le jour à la psychanalyse, que
c'était Josef Breuer qui s'était acquis ce mérite, alors que, encore
étudiant, j'étais occupé à passer mes examens (de 1880 à 1882).
Mais des amis bienveillants m'ont fait observer depuis que j'avais
poussé trop loin l'expression de ma reconnaissance ; que j'aurais dû,
ainsi que je l'avais fait dans les occasions antérieures, faire
ressortir que le « procédé cathartique » de Breuer constituait une
phase préliminaire de la psychanalyse et que celle-ci datait du jour
où, repoussant la technique hypnotique, j'avais introduit celle de
l'association libre.
Au fond, il importe peu de savoir si les débuts de la psychanalyse
remontent au procédé cathartique ou à la modification que j'ai fait
subir à ce procédé ; et si je mentionne ici ce point d'histoire, si peu
intéressant, c'est parce que certains adversaires de la psychanalyse ne
manquent pas, à l'occasion, de proclamer que c'est à̀ Breuer, et non à
moi, que revient le mérite d'avoir créé cet art.
Je dois ajouter toutefois que la priorité de Breuer n'est proclamée
que par ceux qui attachent quelque valeur à la psychanalyse ; quant à
ceux qui lui refusent toute valeur, ils n'hésitent pas à m'en
attribuer la paternité sans partage. La grande part que Breuer a prise
à la création de la psychanalyse ne lui a jamais valu, à ma
connaissance, la minime partie des injures et des blâmes qui m'ont
été prodigués.
Et comme j'ai reconnu depuis longtemps que la psychanalyse possède le
don irrésistible de pousser les hommes à la contradiction, de les
exaspérer, je suis arrivé à la conclusion qu'après tout il n'y
avait rien d'impossible à ce que je fusse le véritable auteur de tout
ce qui la caractérise et la distingue. Je me fais un plaisir d'ajouter
que jamais Breuer n'a fait la moindre tentative de rabaisser mon rôle
dans la création de la psychanalyse tant décriée et qu'il n'a jamais
prêté le moindre appui aux tentatives faites dans ce sens par mes
détracteurs. (...)
Le texte complet en PDF, Traduction de S. Yankélévitch (1927) :
Il existe surtout un mouvement des idées, une histoire
clinique
encore mal connue et un débat qui n'est pas prêt
de se
clore. Même si, ici ou là, une gazette titre une
fois l'an
sur la fin présumée de la psychanalyse. L'histoire
de la psychanalyse représente cinq
générations d'hommes et de femmes.
Ils ou elles ont observé pour règle de soutenir
ce qu'appela Freud de
ses voeux : "La révolution psychanalytique".
Normalement
cette pensée refuse toute forme d'institution ou
d'uniformité, et
s'organise au mieux dans la transmission d'un savoir et au pire
à en
faire une école... A confondre la psychanalyse avec la
psychologie, la
psychiatrie et quoi donc encore..., on ne finit par ne plus que parler
de "psy... machin chose", et cela ne veut rien dire. En bas de page, et
comme derniers documents, vous trouverez la réflexion d'un
philosophe
expliquant le lien et le sort réservé aux
sciences qualifiées
d'humaines et à leurs auteurs.
Résumer en quelques lignes ce qu'est la psychanalyse serait
un
contre-sens. Mais il est temps de manifester une ouverture d'esprit
bien plus significative, à ce qu'il faut bien
appelé un monde profane.
Qui par trop souvent fait état ou véhicule
à ce sujet une grande
méconnaissance et beaucoup d'inexactitudes.
Ceux qui voudraient faire de la psychanalyse un "psy... machin chose"
de plus pour spécialistes se trompent. Pour autant, l'enjeu
n'est pas
de vulgariser à tout rompre. Il est plutôt
question de populariser au
mieux l'expérience de ceux qui ont agi et
favorisé de nouvelles
pratiques sociales, cliniques quelque peu conséquentes. Et
mieux
connaître cet héritage, pour l'ouvrir aux esprits
curieux... Et pour
celles et ceux qui souhaitent trouver une information
sérieuse en ce
domaine.
En France et en Amérique du Sud, le travail
théorique de Freud et de
Lacan en sont les terres les plus fertiles. La psychanalyse en France
plus qu'ailleurs a pu prendre souche et trouver une certaine
reconnaissance. Bien que l'on cherche a tout prix à
l'enfermer dans le
rôle d'une science, ou d'une spécialité
psychologique, du moins trop
sommairement, car trop souvent on minimise ses résultats
cliniques et
l'impact d'une pensée décrivant les
mécanismes inconscients.
Françoise Dolto est l'exemple qui vint bousculer
l'institution
hospitalière tout en lui redonnant un nouveau souffle. Elle
sauva la
vie de nombreux enfants notamment dans les pouponnières.
Elle se mit à
la fois à l'écoute et au service de ceux qui
souffraient d'un manque de
communication et en particulier le monde de l'enfance malade. Ce
qu'elle voulue faire comme oeuvre dès ses jeunes
années pris source
dans son imagination de petite fille. Elle voulue devenir
médecin des
enfants souffrants, cette prédestination ne la quitta jamais
et s'est
accomplie.
Son travail et les applications réelles ont mis fin
à bon nombre de
préjugés sur les enfants et en particulier sur
les bébés. Avec qui,
elle avait fini par apprendre la langue, de même la langue
des tous les
jeunes enfants et de leurs maux. Dolto ouvrit ainsi en France la porte
à des progrès significatifs sur
l'éducation des plus jeunes. Si les
enfants et les adolescents sont depuis devenus "une cause". Elle
participa et accompagna la transformation des mentalités
dans la
société française, et
d'évidence concernant des rapports plus libres et
plus respectueux entre générations.
Cette somme pratique, parfois empiriques ou sommes
d'expériences font
aujourd'hui souches dans les lieux de santé et
d'éducation des plus
jeunes. Ceci a depuis longtemps largement débordé
le seul domaine de la
psychanalyse. Pour autant, elle ne se limite pas au huis clos analysant
et analyste. C'est un outil pour une meilleure connaissance des
conflits psychiques de la personne humaine, et toute sa
complexité
théorique réside dans sa diversité,
qu'il est impossible de résumer en
quelques mots.
Le progrès de cette pensée analytique fut de
mieux comprendre et
appréhender les comportements humains. En prenant sens dans
le rapport
que nous entretenons tous avec notre corps et notre psychisme. Si notre
économie psychique ou corporelle est maltraitée,
l'individu - et peu
importe sa condition sociale - favorisera selon les causes une
pathologie névrotique plus ou moins handicapante au cours de
sa vie.
Tout cela très bien administré par un lien
invisible qui prend place
dans toutes les civilisations et langues parlées de notre
monde. Dans
ce que désigna Freud comme le siège de nos
grandes et petites
turpitudes, c'est-à-dire : les mécanismes
Inconscients. Et
"l'inconscient est un langage", selon Jacques Lacan.
Au commencement des temps, les mots et la magie étaient une seule et même chose. (S. Freud)
Quelques conseils si vous souhaitez découvrir la
psychanalyse à travers
ses productions écrites : il
existe une importante littérature et l'on ne sait pas
toujours quel
auteur choisir, ou à quel sujet se fier. De
préférence, il vaut mieux
choisir un libraire qui dispose des classiques et à ce titre
nous vous
conseillons de commencer tout simplement par Freud, de choisir la
traduction la plus récente, et de commencer par ses
premières oeuvres,
en particulier "l'analyse des rêves" et "Introduction
à la psychanalyse".
Beaucoup d'ouvrages se
lisent sans
difficultés et vous donneront une idée
précise du travail que Freud a
pu élaborer et concrétiser dans sa pratique
psychanalytique. Du moins ce qui a fait de sa
découverte de l'inconscient
la question centrale de sa théorie. Si vous souhaitez mieux
comprendre
"sa philosophie" vous disposez de "malaise dans la civilisation" et
"l'avenir d'une illusion". Deux ouvrages qui mettent en
lumière une
pensée dense et profonde sur le monde occidental, et plus
que jamais
d'actualité.
Pour autant il ne sert
à rien de trop
vouloir s'approprier des concepts. Cela peut devenir
rapidement indigeste, il est important
de pousser sa propre investigation par une lecture qui corresponde aux
questions que vous vous posez à votre sujet. Ne cherchez
surtout pas
pour un autre, c'est à vous de vous impliquer et
d'appréhender votre
propre désir en ce domaine.
Vous trouverez si votre
soif de lecture
est abondante, un rapport étroit avec de nombreux espaces
intellectuels. Ne négligez
pas l'histoire du mouvement psychanalytique de 1895 à nos
jours. Cette
aventure intellectuelle n'a pas toujours été
comprise et a toujours
connu une contestation plus que vive. Vous trouverez ainsi avec
Elisabeth Roudinesco, des ouvrages précieux, notamment ceux
qui se
référent à l'Histoire et un
"pourquoi", clair et cohérent sur la
psychanalyse comme matière à penser.
Notes de LM, année 2007
«
Révisionnistes » et
«
comportementalistes » contre
la
psychanalyse
Interview
d’Élisabeth
Roudinesco par
Antoine
Artous, le 3 octobre 2007
Le bio-pouvoir à l’œuvre à
propos de "Pourquoi tant de
haine ?
Historienne
très connue de la psychanalyse et chargée de
conférences à l’École
pratique des hautes études, Elisabeth Roudinesco a
publié une
importante Histoire de la pyschanalyse en France (2 volumes,1982, 1986,
rééd. Fayard, 1994). Elle a aussi
publié de nombreux autres ouvrages,
notamment Jacques Lacan. Esquisse d’une vie, histoire
d’un système de
pensée (Fayard 1993) et, avec Michel Plon, Dictionnaire de
la
psychanalyse (Fayard, 2000). Elle vient de publier Pourquoi tant de
Haine ? Anatomie du Livre noir de la psychanalyse (Navarin 2005). Ce
«
petit » livre décortique Le Livre noir de la
psychanalyse. Vivre,
penser et aller mieux sans Freud (Arènes, 2005). Rouge
(n° 219) a déjà
souligné ce qu’il faut penser de ce Livre noir. Il
est d’un noir
inquiétant - tant pour la pensée que
politiquement – par la façon dont
il traite Freud et l’histoire de la psychanalyse, comme par
la façon
dont il veut la faire disparaître aux profits des
thérapies
cognitivo-comportementalistes (TCC) que l’Institut national
de la santé
et le la recherche médicale (Inserm) érige en
seule théorie
scientifique. « Menteur, charlatan, faussaire, plagiaire,
misogyne,
drogué à la cocaïne, dissimulateur,
propagandiste, obsédé sexuel, avide
d’argent et de pouvoir, (Freud) est
présenté comme une sorte de
dictateur ayant trompé le monde entier avec une doctrine
fausse »,
écrit Elisabeth Roudinesco. Naturellement, il est possible
de critiquer
la psychanalyse. Les livres d’Elisabeth Roudinesco sont
là pour en
témoigner. Ainsi, par exemple, dans La Famille en
désordre (Fayard,
2002), elle met vivement en cause l’homophobie, non pas de la
psychanalyse en général, mais d’un
nombre important de psychanalystes,
qui s’est exprimée au moment du pacs et continue
à s’exprimer à propos
de l’homoparentalité. Mais, ici, il est question
d’autre chose. D’abord
d’une entreprise anti-Freud et anti-psychanalyse qui, du
point de vue
du contenu et de la forme, rappelle celles qui ont
été menées contre
Marx, le marxisme et le communisme. Ensuite, une volonté de
promouvoir
les TCC, particulièrement bien adaptées aux
besoins de la
mondialisation néolibérale et aux politiques de
normalisation des
conduites humaines qu’elle porte.
Questions...
A-A
: Le Livre noir de la psychanalyse comporte un grand nombre de textes
rassemblés par Catherine Meyer pour les Éditions
des Arènes. Ils sont
très hétérogènes.
Toutefois, le livre est structuré autour de deux
grands courants : un courant d’historiens «
révisionnistes » issus des
Etats-Unis, et des « comportementalistes »,
partisans des T.T.C.
Elisabeth
Roudinesco : C’est un montage de textes de gens
qui n’ont rien à
voir
les uns avec les autres, sinon la haine commune qu’ils vouent
à la
psychanalyse. Le regroupement de ces deux courants est
d’ailleurs une
caractéristique française. Aux
État-Unis, les « comportementalistes »
et les historiens dits révisionnistes travaillent chacun de
leur côté.
Au demeurant, les textes de ces derniers édités
dans ce livre
n’apportent rien de nouveau, ils étaient
déjà connus. A-A
: Commençons avec les historiens dits «
révisionnistes ».
Cela vaut la peine d’entrer un peu dans le détail
car ces discussions
sur l’histoire de la psychanalyse sont mal connues en France.
Elisabeth
Roudinesco : Je précise pour qu’il
n’y ait pas d’ambiguïté
qu’ils se
sont eux-mêmes appelés ainsi. Il s’agit
en effet de réviser l’histoire
officielle sur Freud et la psychanalyse, celle racontée par
Ernest
Jones [1], mais surtout par l’ensemble des
sociétés psychanalytiques
qui, toutes, et encore aujourd’hui, ont tendance à
produire des
histoires officielles, sans passer par un réel travail
d’historien.
C’est un problème permanent de toutes les Ecoles
que ce danger
dogmatique. Au départ il y a un « maître
», un fondateur, dont la
parole est parfois subversive par rapport à la tradition,
puis on
s’enferme dans la répétition
talmudique. Jusque dans les années 1970,
l’histoire de la psychanalyse était la chasse
gardée des psychanalystes
qui refusaient que Freud et la psychanalyse soient l’objet
d’un regard
historique extérieur. Soit de la part d’historiens
issus de l’intérieur
du mouvement psychanalytique, comme ce fut le cas de la
première
génération, soit issus de
l’extérieur comme la seconde
génération. Moi,
par exemple, je suis issue de l’intérieur, mais je
me suis faite
historienne. L’important est de considérer Freud
et la psychanalyse
comme un objet historique comme les autres. À
l’époque, j’ai collaboré
avec bon nombre de ces historiens anglophones, étant
d’ailleurs la
seule en France à produire des études historiques
sur ces sujets.
A-A
:. Vous
expliquez que ces historiens révisionnistes
détournent l’oeuvre d’Henri
Ellenberger.
Elisabeth
Roudinesco : Ils font de lui un anti-freudien radical qui
aurait
été le
premier à dénoncer de prétendues
impostures freudiennes, alors qu’il
n’utilise jamais un tel vocabulaire et que, dans les
années 1970, il a
été plus simplement le fondateur de
l’historiographie critique dont je
viens de parler. J’ai d’ailleurs la
responsabilité de son oeuvre en
France et j’ai assuré la publication de deux ses
ouvrages majeurs :
Histoire de la découverte de l’inconscient
(Fayard, 1994) et Médecines
de l’âme. Histoire de la folie. Essais
d’histoire de la folie et des
guérisons psychiques (Fayard, 1995). Ellenberger se situe un
peu dans
la même tradition que l’école historique
des Annales en France, il
immerge Freud dans la longue durée. Son histoire de la
découverte de
l’inconscient montre qu’il y a un avant Freud, un
moment Freud et un
après Freud. Ellenberger s’intéresse
tout autant aux médecines modernes
de l’âme qu’aux chamans ou aux sorciers,
ou encore à la médecine de la
Grèce ancienne. Mais attention, cela ne veut pas dire que
pour
Ellenberger tout se vaut, c’est un homme des
Lumières. Simplement,
c’est un historien des sciences, il inscrit le
développement des
sciences dans l’histoire.
A-A
: C’est
important :
inscrire les sciences dans l’histoire, donc dans les
vérités d’une
époque, sans pour autant tomber dans le relativisme absolu,
dire que
tout se vaut.
Elisabeth
Roudinesco
: Prenons l’exemple de
l’histoire de Mesmer au XVIIe siècle.
C’est un médecin viennois qui
soutient que les maladies nerveuses proviennent d’un
déséquilibre dans
la distribution d’un « fluide magnétique
» qui se diffuse dans le monde
vivant. Sa théorie a un contenu rationnel . Comme savant, il
est «
physiologiste », et il pense que ce
phénomène s’apparente à
l’aimant.
Expulsé de Vienne, Mesmer demande asile à Louis
XV. Il connaît le
succès, puis passe devant une commission royale, qui
condamne la
théorie des fluides mais non – et c’est
intéressant à noter - la
réalité des phénomènes
psychiques dont il est question. Ellenberger
montre très bien comment Mesmer est un esprit des
Lumières, il arrache
au religieux des phénomènes que l’on
appellerait aujourd’hui l’hystérie
en menant un combat contre les exorcistes qui à
l’époque les traitent.
Et il les combat en disant : « j’ai une
théorie scientifique », qu’il
argumente sur la base du savoir de son époque.
C’est cela faire de
l’histoire des sciences, en montrant comment, par la suite,
les savoirs
évolueront. A-A
: Vous-vous réclamez donc de cette tradition
d’analyse historique
critique de la psychanalyse.
Elisabeth
Roudinesco : Oui, je me suis inscrite dans cette
tradition.
D’ailleurs,
quand j’ai commencé à faire le
même genre de travail historique
critique sur la psychanalyse en France, j’ai
essuyé le feu de la
plupart des psychanalystes. Cela dit, dans l’histoire des
sciences, je
me réclame également de Canguilhem et de Foucault
pour lesquels il
existe des ruptures dans l’histoire des savoirs. Pour
Ellenberger, il
n’y a pas de différences importantes entre Janet,
Freud ou Jung. Pour
moi, il existe une coupure freudienne. Freud s’est
appuyé sur tout un
savoir clinique de l’époque. Toutefois,
l’invention freudienne consiste
à ne pas s’en tenir à ce savoir ou
à mettre en place de nouvelles
pratiques thérapeutiques, mais à rattacher tout
cela à la tragédie
antique, afin de l’inscrire dans une problématique
universaliste de la
condition humaine.
A-A
: Pour ceux qui veulent en
connaître plus sur ce dernier point et sur la critique de ce
que vous
appelez une certaine « psychologisation » de
l’héritage freudien, je ne
peux que renvoyer à La famille en désordre ou
à Pourquoi la
psychanalyse ? (Fayard, 1999). Revenons à
l’évolution de ces historiens
«révisionnistes».
Elisabeth
Roudinesco
: J’ai rompu avec eux
lorsque la génération qui a suivi Ellenberger a
basculé de l’autre côte
: Freud n’est plus l’Empereur à la barbe
fleurie d’une certaine
hagiographie freudienne, mais devient Satan, un mystificateur, un
menteur. On retrouve ici Le Livre noir de la psychanalyse, qui
procède
d’ailleurs comme le Livre noir du communisme (Laffont 1997),
mais en
pire. Il ne s’agit plus de faire une histoire critique du
communisme,
mais on rend l’idée même du communisme
responsable du goulag, on oublie
le stalinisme, on met sur le même plan le communisme et le
nazisme,
etc. Et encore, certains des contributeurs du Livre noir du communisme,
qui étaient des historiens sérieux, ont, par la
suite, critiqué la
ligne éditoriale du livre. Par ailleurs, le goulag est bien
synonyme de
crimes de masse.
Mais lorsque Le Livre noir de la psychanalyse accuse
la psychanalyse, en tant que discipline, d’avoir commis des
crimes, il
invente un goulag imaginaire, sans apporter aucune preuve, sinon
d’affirmer qu’elle est responsable de la mort en
France de 10 000
toxicomanes parce que certains psychanalystes auraient
contribué à
interdire des traitements de substitution ! Par ailleurs, ces
historiens se sont lancés dans la théorie du
complot international.
L’histoire de la psychanalyse, ce serait à leurs
yeux celle d’un
complot international visant à imposer une
hégémonie freudienne dans le
monde occidental. C’est ridicule ! Et puis il y a eu cette
histoire de
la tentative d’interdiction de l’Exposition Freud
aux Etats-Unis
(Washington) en 1996, qui était une exposition officielle en
orthodoxe
laissant peu de place à un regard pluriel et critique sur
Freud. Ces
historiens ne se sont pas contentés de protester –
j’ai par exemple
impulsé une pétition internationale à
ce propos -, ils ont demandé
l’interdiction en se posant comme les victimes
d’une discrimination !
Il est légitime de militer pour que ses travaux soient
reconnus et de
mener le débat d’idées, mais demander
interdiction pour cause de
discrimination, c’est vouloir remplacer une histoire
officielle par une
autre : la leur.
A-A
: Venons-en à présent aux
thérapies cognitivo-comportementalistes (TCC).
Dès 1999, dans Pourquoi
la psychanalyse ?, vous souligniez comment durant les années
1990 a
commencé à se construire un discours anti-Freud
et anti-psychanalyse.
Ainsi, Le Nouvel Observateur, qui a fait une vraie campagne de
promotion du Livre noir de la psychanalyse, titrait en 1991 «
Spécial
Freud, le marxisme s’effondre, la psychanalyse
résiste ». La limpidité
du titre montre bien les enjeux. Puis cela se précise :
« Faut-il
brûler Lacan ? », « La science contre
Freud »... [2]
Elisabeth
Roudinesco : Ces campagnes se sont appuyées
sur certains
discours des
neurosciences, du cognitivisme ou de la
génétique. Naturellement, il ne
s’agit pas de mettre en cause le travail scientifique, mais
bien un
discours scientiste – dénoncé par
certains savants eux-mêmes – qui
réduit les phénomènes psychiques au
fonctionnement des neurones ou à
celui de l’intelligence artificielle. Et ce discours est
relayé par des
philosophes. Ainsi, toujours au début des années
1990, Marcel Gauchet
[3], qui se dit un représentant de la « gauche
antitotalitaire », a
prétendu substituer l’inconscient
cérébral à l’inconscient
freudien qui
ne ferait plus « recette » dans un monde
où « l’affect » serait en voie
de disparition. Le mot cognitivisme est apparu en 1981, mais la
méthode
existait avant. Le grand historien des sciences Georges Canguilhem ne
le connaissait donc pas lorsque qu’il prononce sa
célèbre conférence «
Le cerveau et la pensée » en 1980 [4]. Mais il
critique férocement la
croyance qui anime l’idéal cognitiviste : la
prétention à vouloir créer
une « science de l’esprit »
fondée sur la corrélation entre les
états
mentaux et les états cérébraux.
A-A
: Plus
précisément, en ce qui concerne les TCC ?
Elisabeth
Roudinesco. C’est un nouvel avatar du vieux behaviorisme [5].
Elles
réduisent les êtres humains à leurs
comportements et, pour guérir les
individus, elles inventent des méthodes qui sont des
pratiques de
suggestion, de fascination, d’aliénation. Il faut
naturellement éviter
de faire découler mécaniquement telle ou telle
position prise par un
thérapeute de la théorie à laquelle il
se réfère ; pour la psychanalyse
comme pour la TCC. Mais toute théorie psychologique est
porteuse d’une
politique, au sens général du terme. Or, un
thérapeute
comportementaliste, qu’il soit cognitiviste behavioriste ou
autre,
conteste l’idée même de psychisme. Il ne
veut rien savoir de la
signification des actes inconscients, ou même de la
signification
historique de l’action humaine. Il n’y a pas de
sujet, pas
d’inconscient, pas de déterminisme historique, pas
d’engagement qui
vaille la peine. Il existe simplement une machine humaine. Du coup, ces
thérapies s’appuient sur une notion de norme et de
pathologie qui tend
à classer tout comportement humain – une fois que
ce comportement a été
catégorisé d’une certain
façon – du côté
d’une pathologie ou d’une
norme. Le problème devient alors celui de la
définition des bonnes
normes permettant que les individus soient en bonne santé.
C’est la
nouvelle barbarie du bio-pouvoir dont parlait Michel Foucault ;
c’est-à-dire d’une politique qui entend
gouverner le corps et l’esprit
des individus, les conduites humaines en fonction de la «
bonne santé »
des populations.
A-A
:
Toujours dans Pourquoi La
psychanalyse ?, vous montriez bien comment
l’idéologie de « l’homme
comportemental » est portée par la mondialisation
libérale. Je
conseille la lecture de ce livre à propos duquel nous avions
eu
d’ailleurs un entretien dans Critique communiste
(n°157, hiver
2000-2001). Ici, je voudrais simplement souligner que sont
également en
jeu les politiques libérales de santé qui
soumettent les thérapies à un
critère de rentabilité immédiate.
Elisabeth
Roudinesco
: On
reproche à la thérapie psychanalytique
– ou à des thérapies qui s’en
inspirent – d’être trop longue et trop
coûteuse. D’autant que ses
résultats ne sont pas mesurables. La médecine
scientifique qui soigne
les maladies somatiques constate des symptômes, nomme une
maladie et
administre un médicament. On dit alors que le malade est
guéri du
mécanisme biologique de la maladie. S’agissant du
psychisme, on peut
tenter de faire disparaître le symptôme, par des
médicaments ou
d’autres thérapies. Mais pour autant le malade
n’est pas « guéri ». En
fait, la « guérison psychique » a un
statut différent de la guérison
somatique. Elle n’est rien d’autre qu’une
transformation existentielle
du sujet. Et cela on ne le mesure pas. A-A
: L’autre face de la mondialisation
néolibérale, c’est le
développement
de politiques de normalisation des conduites humaines. Des «
comportementalistes », qui ont été
partie prenante de manière active du
Livre noir, se sont engagés dans des batailles
concrètes de mise en
oeuvre de projets de normalisation. En lien de plus avec
l’Inserm.
Elisabeth
Roudinesco : Le rôle que joue l’Inserm
pose d’ailleurs un vrai
problème.
Cet institut public ne cesse de légitimer les partisans des
TCC comme
les représentants de la vraie science. Cela montre bien
l’enjeu de ces
débats. Si la psychanalyse et d’autres
thérapies proches dites , disent
les scientistes, ne sont pas des sciences véritables, alors
pourquoi
les enseigner à l’université ? En ce
qui concerne les politiques de
normalisation, il y a eu l’affaire de l’amendement
Accoyer [6] et plus
récemment l’expertise collective –
c’est-à-dire la validation
scientifique - de l’Inserm du 22 septembre 2005 sur le
« trouble des
conduites chez l’enfant et l’adolescent »
[7]. Il s’agit d’habituer les
familles, les professionnels de la petite enfance et les enseignants
à
identifier le trouble de conduite chez l’enfant et
l’adolescent (dès 36
mois) afin d’éviter qu’il ne devienne un
futur délinquant. Voilà
l’illustration des bio-pouvoirs : on définit
« scientifiquement » une
nouvelle catégorie de symptôme et on le
repère chez les enfants – et
dieu sait s’il y a de nombreux enfants agités pour
des raisons très
diverses – afin d’éviter que la maladie
(la délinquance) ne se
développe. C’est directement utilisable par tout
ministère de
l’intérieur !
A-A
: Certains auteurs du Livre
noir n’appartiennent pas aux deux courants de
pensée dont nous venons
de parler. Ainsi Philippe Pignarre à qui nous avons
demandé un article
dans ce même numéro de la revue.
Elisabeth
Roudinesco
: Effectivement, Philippe Pignarre et Isabelle
Stengers, qui, elle aussi
a écrit un texte, n’appartiennent pas à
ces courants. On peut s’étonner
de les trouver en si mauvaise compagnie. Une des raisons tient sans
doute à leur relativisme absolu. Pour eux, il n’y
a pas de différence
entre la science et la non-science, entre les chamans et les
psychanalystes, entre la médecine et les
médecines parallèles. Tout se
vaut. Ils mettent au même niveau le savoir des sorciers,
celui des TCC,
l’apport freudien, etc. Encore que pour Philippe Pignarre
tout ne se
vaut pas, car pour lui tout est mieux que la psychanalyse. Il a pris la
plume, non seulement pour défendre le Livre noir, mais pour
s’attaquer
très violemment – et ici on retrouve la haine
commune aux différents
auteurs - non pas à des psychanalystes, qui avaient pris
certaines
positions critiquables, mais à la psychanalyse en tant que
discipline.
En revanche, je n’ai lu aucune critique de sa part
à propos de
l’expertise de l’Inserm dont on vient de parler. A-A
: Je vous
laisse conclure...
Elisabeth
Roudinesco : Je viens de le dire : si la psychanalyse
n’est
qu’une
imposture, alors il ne faut pas l’enseigner. Mais certains
historiens «
révisionnistes » vont encore plus loin. Les
auteurs, Mikkel
Borch-Jacobsen et Sonu Shamdasani, d’un livre
récent (paru aux
Empêcheurs de penser en rond) expliquent que Freud et la
psychanalyse
n’ont pas existé. Que des historiens puissent dire
que ce qu’ils ont
étudié toute leur vie n’a pas
existé est quelque peu étonnant ; pour ne
pas dire plus. Reste qu’on ne peut se contenter de sourire :
il s’agit
tout simplement d’effacer Freud et la psychanalyse de
l’Histoire. Les
lecteurs de Critique communiste savent ce que cela veut dire : Staline
a construit son règne en retouchant des photos pour effacer
des acteurs
essentiels de l’histoire.
Notes
:
[1]
Père fondateur de la psychanalyse en Grande-Bretagne, Ernest
Jones
(1879-1958) fut l’initiateur de l’historiographie
psychanalytique.
[2] Le Nouvel Observateur, 3-9 octobre 1991, 9-15 septembre 1993, 20-26
mars 1997.
[4] On trouvera la conférence dans Georges Canguilhem,
historien de la
science, Albin Michel, 1992.
[5]
Le behaviorisme a été créé
au débat du siècle passé par John
Watson qui
voulait ériger la psychologie en science naturelle, comme la
médecine,
la chimie, etc. en rejetant toutes références aux
états mentaux pour
traiter des seuls comportements compris une réponse
à un stimulus
extérieur.
[6] Du nom d’un sénateur qui, fin 2003, proposa de
mettre en place une évaluation des
psychothérapeutes. Cela donna lieu,
également, à des divisions importantes entre les
psychanalystes. Sur
cette question, et plus généralement, celle de la
réglementation de ces
professions Elisabeth Roudinesco a écrit Le patient, le
thérapeute et
l’État, Fayard, 2004.
[7] Le Monde du 23/09/05 a fait une
analyse détaillée sur ce rapport qu’on
peut trouver sur le site de
l’Inserm.
SOCIÉTÉ
PSYCHANALYTIQUE DE TOURS
Monsieur
Xavier Bertrand
Ministre de la Santé et des Solidarités
Tours,
le 17 février 2006
Monsieur
le Ministre,
Après
concertation des membres titulaires de notre association, nous
aimerions vous communiquer notre sentiment et nos prises de position
suite à l'article 52 de la loi de santé publique
du 9 août 2004.
Cette
loi, bien que ne concernant pas directement l'exercice de la
psychanalyse porte en elle-même une menace pour son libre
exercice et
cela d'autant que les associations du Groupe de contact revendiquent de
l'assimiler aux psychothérapies.
Nous
aimerions vous signifier de la manière la plus officielle
notre
opposition aux futurs décrets d'application de l'article 52,
s'ils
venaient à amalgamer de près ou de loin le statut
de psychothérapeute à
l'exercice de la psychanalyse. Les associations de psychanalystes du
Groupe de contact ne représentent absolument pas la
majorité des
praticiens de la psychanalyse qui ont sur ce point d,autres points de
vue. Nous allons même jusqu'à dire que les
représentants des dites
associations ne représentent qu'eux-mêmes puisque
le débat et
l'exercice démocratique semblent être totalement
fermés concernant
cette question.
Depuis
le début, soit depuis Freud, la formation des psychanalystes
s,est
toujours appuyée à la fois sur une
démarche personnelle et privée et
sur un apprentissage aux savoirs qui viennent en complément
de cette
initiative personnelle. Aucune formation universitaire, si performante
soit-elle, ne viendrait garantir davantage ce type particulier
d,exigence qui se transmet depuis le commencement de la pratique
analytique. Bien au contraire, nous pensons qu,elle risquerait d,en
atténuer l,importance et la portée.
Dès
le mois de mars 2004, plus de mille cinq cent signataires ont
manifesté
leur opposition d'abord à la loi, puis aujourd,hui,
à ses décrets
d,application. Ces expressions individuelles et personnelles
additionnées sous les textes signés du
« manifeste pour la psychanalyse
» et « du front du refus » forment une
opinion qui est ignorée jusqu'à
ce jour par les pouvoirs publics. Nul doute que ces praticiens de la
psychanalyse ne manqueront pas, le moment venu, de réclamer
la
suppression de cette loi et de ses décrets d'application.
Veuillez
croire, Monsieur le Ministre en l'assurance de notre haute
considération.
Pour
le comité de direction, Le Président, Francis
CAPRON
Et René MAJOR - Annie BERNHARD - Roger COLISSON
La psychanalyse
depuis les années 80 : crises,
dévoiements
et replis
par Pierre
Henri Castel
En 1979 décède Wilfred Ruprecht Bion ; en 1981,
Jacques
Lacan et Heinz Kohut; en 1982, enfin, Anna Freud. En trois ans, le
mouvement psychanalytique perd plus que de grands noms : il perd trois
sources d’inspiration théoriques et pratiques
essentiellement novatrices, et la représentante de
l’orthodoxie dont elles se démarquaient.
La suite
appartint aux héritiers sur le plan institutionnel, aux
continuateurs et aux commentateurs sur le plan intellectuel, et
à l’exception notable de Jean Laplanche, on ne
découvrira ensuite aucune élaboration autonome
aussi
systématique, ni dans le dogme ni dans
l’hérésie. Ce n’est certes
pas nier
l’originalité de certaines appropriations de la
psychanalyse par toute une génération. Didier
Anzieu,
André Green, Pierre Legendre, en France, Harry Rosenfeld,
Richard Britton, Thomas Ogden et Christopher Bollas en Grande-Bretagne,
Otto Kernberg et Joseph Sandler, aux États-Unis, ont une
œuvre reconnue, discutée parfois
au-delà du cercle
de la profession. Mais leur capacité à imposer
des
questions freudiennes à la médecine mentale,
à
inquiéter la rationalité des sciences de
l’homme,
ou à peser sur les normes sociales, puis de là
sur toute
la culture, voilà qui est plus douteux.
C’est
plutôt
l’inverse qui s’est produit, et la psychanalyse qui
a
été remise en cause, dans un contexte
d’ailleurs
contradictoire, marqué par la montée en puissance
des
neurosciences, par la vigueur anti-freudienne du féminisme,
par
le déclin des relais que la théorie
psychanalytique
trouvait dans les humanités et par
l’émergence
d’une récusation historique et philosophique de
l’acquis freudien jugé soit frauduleux, soit
scientifiquement inepte. Plus insidieusement mais bien plus
radicalement, la psychanalyse n’a pas su résister
à
sa lente dissolution dans le champ psychothérapeutique
contemporain, où la revendication individualiste de
bien-être psychique émousse peu à peu
ce qui
demeure, sur le plan moral, une des ultimes critiques consistantes du
moi. Le triomphe des psychotropes s’inscrit dans cette
dynamique
sociale de privatisation du malaise intime, qui nie les
étiologies relationnelles au nom de
l’idéal
d’autonomie d’un sujet identifié
à son
cerveau.
Confrontée à ces sollicitations
délétères, assommée de
polémiques,
la psychanalyse a suivi la voie ordinaire des doctrines
fragilisées : le repli sur ses institutions,
conçues
comme sociétés savantes, mais refuge de
l’entre-soi, et, non sans paradoxe, la réduction
consensuelle des contradictions entre écoles, internes,
donc,
à la psychanalyse, à une théorie
minimale mais
maximalement compatible avec les contradictions externes auxquelles
elle était soumise.
Comment ces deux aspects, historique et contextuel, puis conceptuel et
doctrinal, sont-ils articulés ?
Situer la psychanalyse au milieu du tourbillon causé dans
les
sciences psychologiques par l’émergence des
neurosciences,
c’est d’abord prendre acte du coup que fut, en
1980, la
parution du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders
(DSM3) sous l'autorité de Robert Spitzer, lui-même
formé à la psychanalyse. Il proposait une
taxinomie
multiaxiale des troubles mentaux indépendante des
hypothèses étiologiques, qui fut
aussitôt comprise
comme l'arrêt de mort de la psychopathologie freudienne : car
si
les troubles mentaux peuvent (voire doivent) être
définis
sans référence à une dynamique
psychique, la voie
est libre pour d’autres méthodes, comportementales
et
pharmacologiques, qui prennent de plein droit les symptômes
pour
cibles, et les éliminant, élimine le trouble de
façon objectivée et quantifiable. Le holisme
psychanalytique qui intègre le sens supposé des
symptômes à une vie subjective n’est
plus
qu’un supplément d’âme,
réduit
analytiquement par la psychométrie, un artefact intentionnel
que
remplace l’enquête causale. L’affaire
Osheroff, en
1990, opposant un patient à la clinique psychanalytique de
Chestnut Lodge, au motif qu’on ne lui avait pas prescrit
d’antidépresseurs mais d’inutiles
séances de
psychothérapie, reflète bien cette ambiance
anti-freudienne.
Mais si les nouveaux antidépresseurs (moins
sédatifs) et les thérapies
cognitivo-comportementales
centrées sur les symptômes ont
été
validés dans le cadre épistémologique
du DSM3, ce
succès (parfois idéologique et commercial)
n’a pas
pour autant liquidé l’exigence «
humaniste »
d’un traitement toujours plus individualisé, dont
toutes
les thérapies, psychanalytiques ou pas, ont retenu
l’exigence, ni l’ambition d’une clinique
fine de la
relation, dont il est apparu peu à peu que les nouvelles
connaissances sur le cerveau offrait la base biologique, mais pas le
détail proprement subjectif ni concret. Du rejet brutal de
la
psychanalyse, on passerait donc aujourd’hui à des
hypothèses de compatibilité : les concepts
freudiens
veulent se donner des bases neuroscientifiques (le lancement de
Neuropsychoanalysis en 1999 est la trace) ; mais les neurosciences
reformulent aussi biologiquement les idées de Freud
(l’index en étant un article d’Eric
Kandel, «
Biology and the future of psychoanalysis : A new intellectual framework
for psychiatry revisited », en 2000). L’avenir dira
si le
projet de traduire un idiome motivationnel à forte charge
éthique tel que la psychanalyse (avec son concept du
désir) comme l’effet d’un jeu de
fonctions
cérébrales, est plus qu’une aberration
philosophique circonstancielle, dictée par
l’effroi
d’universitaires psychanalystes et médecins
qu’on
les raye du champ de la science.
Car cette rebiologisation de la psychanalyse (qui n’a pour
l’heure aucun fruit clinique) a son pendant culturaliste :
depuis
la parution en 1978 de The Reproduction of Mothering, de Nancy
Chodorow, la contestation de la vision freudienne du féminin
s’est nourrie des travaux sur le genre,
influençant la
critique féministe, mais aussi, en lien avec la lecture
américaine de Foucault, le militantisme des
minorités
sexuelles. Les recherches de Jessica Benjamin en sont
l’illustration. Ce courant, mêlant sociologie
semi-empirique et combat politique, concurrence la tradition des
humanités freudiennes, dont Jacques Derrida était
un
moteur (de La Carte postale: De Socrate à Freud et
au-delà, en 1980, à Résistances (de la
psychanalyse) en 1996). Or le thème de la
différence des
sexes, qui est peu à peu devenu le grand moyen de faire
entendre
une voix psychanalytique dans le champ culturel, l’expose
aussi
à bégayer. En effet, pour contrer ce fort
relativisme,
présumé incompatible avec la clinique, se sont
multipliées les considérations normatives
inspirées soit de l’ordre symbolique à
la Lacan
(Pierre Legendre), soit d’un néo-naturalisme
platement
médical.
Car, à mesure que se perdait la
discipline des
récits de cas dans la littérature
professionnelle, une
colossale inflation philosophico-littéraire
dépossédait les praticiens du monopole sur la
théorie. Aussi, par-delà la lutte entre
paradigmes
épistémologiques (sciences
biomédicales vs.
sciences humaines), la psychanalyse s’est peut-être
efforcée de résister à son
succès comme
Weltanschauung, en s’appuyant pour faire valoir son
sérieux sur une biologie hypothétique
plutôt que
sur des performances cliniques vivement contestées. Si cette
tendance, combattue chez les élèves de Lacan, ou
par Jean
Laplanche, n’a pas tout à fait
triomphé, elle a
occulté les recherches qui tentaient de
problématiser
autrement les liens intellectuels de la psychanalyse à
l’époque : dans des registres très
différents, ceux de John Forrester, Michel Henry, Michel de
Certeau, Yosef Yerushalmi, Harold Blum, Richard Wollheim, tous
difficiles à embrigader dans le combat pour la survie
d’un
groupe social confronté à un discrédit
idéologique majeur.
Car le pamphlet de Jeffrey Masson, The Assault on Truth, paru en 1984,
a servi de détonateur à ce qui fut
qualifié
Outre-Atlantique, dans les années 1990, de Freud Wars. En
expliquant que Freud avait refusé la
réalité
effective des séductions infantiles de ses patientes
hystériques pour les réduire à de
simples
fantasmes, ce n’était pas juste le pilier de la
«
réalité psychique » freudienne
qu’il
attaquait : il faisait converger les réfutations
philosophiques
de la scientificité de la doctrine avec des enjeux
éthiques (l’oppression des femmes), esquissait une
historiographie nouvelle renversant l’hagiographie
d’Ernst
Jones et culminant en un jugement moral sur Freud menteur. Le sommet
des Freud Wars fut atteint en 1995 lorsque le Congrès
américain reporta l’exposition Freud face aux
réclamations d’historiens et
d’épistémologues sceptiques (Adolf
Grünbaum,
Mikkel Borch-Jacobsen, Frederick Crews, et bien d’autres),
suscitant la contre-pétition d’Elisabeth
Roudinesco et de
René Major, qui a confirmé combien la France et
l’Amérique latine étaient
désormais les
bastions de la psychanalyse. Or, examiné de près,
ce
courant sceptique n’est pas homogène.
L’anti-freudisme associe des partisans de l’hypnose
(Isabelle Stengers, Léon Chertok, François
Roustang)
à ceux qui pensent que la suggestion explique
l’apparence
de guérison par la cure (Edward Erwin, Marshall Edelson). Il
mêle des historiens qui réclament le droit de
travailler
normalement (Sonu Shamdasani) et de purs polémistes (Peter
Swales). Il parachève en fait le règlement de
compte
d’une génération confrontée
à
l’arrogance polymorphe du freudisme, jusqu’aux
dernières années 70, tant dans la psychiatrie
américaine que dans les humanités, notamment en
Europe.
L’inconvénient de ce vacarme, c’est le
silence
où il noie des critiques
épistémologiques mieux
informées (Vincent Descombes, par exemple).
Mais l’écho de ces querelles, finalement assez
savantes,
dans les médias, atteste à quel degré
la
psychanalyse est bien restée, selon le mot d’Auden
cité par John Forrester, « a whole climate of
opinion». Comme l’avait prévu Robert Castel
dès
1980, la psychanalyse n’a été capable
de
préserver son originalité devant la demande
croissante de
psychothérapies (censées être
brèves,
efficaces, et surtout soumises aux idéaux de
l’individu,
lesquels seront toujours ceux du moi, et pas les risques du
désir) qu’au prix d’une
idéalisation de ses
mérites, et d’un recrutement élitiste
des patients
comme des praticiens. Cela ne pouvait pas durer. Sans qu’on
dispose de chiffres précis, les analystes sont plus
nombreux,
mais leurs clientèles fondent.
Le procès de 1985
contre
le privilège de formation exclusive revendiqué
par
l’International Psychoanalytical Association a
engendré
Outre-Atlantique un effet institutionnel symétrique
à la
multiplication des praticiens dans les écoles
post-lacaniennes :
beaucoup de cliniciens sans beaucoup de clinique, exposés
à des demandes où ils ne reconnaissent que les
échos déformés d’un Freud
réduit
à de vagues promesses d’épanouissement
génital.
La querelle de la cure-type opposée
à la
psychothérapie d’inspiration psychanalytique, qui
agite
bien des écoles, est le reflet de ce balancement entre la
quête de respectabilité intellectuelle et
professionnelle,
et la survie sociale d’une pratique. A cet égard,
la belle
enquête d’Ernst Gellner sur les milieux
psychanalytiques,
The Psychoanalytic Movement: The Cunning of Unreason, parue en 1985,
illustre la fin d’une époque dominatrice du
paradigme
freudien et non son état actuel. Mais un
élément
d’optimisme rarement souligné est le suivant : la
psychiatrie actuelle, qui vise les symptômes, engendre quasi
mécaniquement des exclus de la souffrance psychique
légitime (les dépressifs « existentiels
»,
les sexualités non-conformistes, les border-line, voire
nombre
de psychotiques non-reconnus, ou pire, abandonnés comme
«
asymptomatiques » entre deux crises).
A un certain point,
lassés des solutions ponctuelles, ils trouvent le chemin des
divans. Or partout les pouvoirs publics veulent encadrer
l’accès aux thérapeutes,
présumés
charlatans, et suspects de manipulation mentale. Et voilà la
psychanalyse prise entre deux feux. A droite, l’institution
psychiatrique prétend contrôler le traitement des
«
vrais » malades mentaux (ne serait-ce que pour contrecarrer
la
pente récente à médicaliser
hypocritement tous les
désastres sociaux), et cela, par des procédures
codifiées, objectivistes et anti-freudiennes (psychotropes,
comportementalisme) ; à gauche, la nébuleuse des
psychothérapies s’y réfère
encore comme au
lointain ancêtre, mais en lui greffant des techniques
corporelles, masque dérisoire de leur anti-intellectualisme
foncier, et en se pliant à des revendications de
bien-être
incompatibles avec l’essence tragique de la psychanalyse.
Dans ce paysage traversé de tensions multiples,
brossées
ici à gros traits, l’élaboration
théorique
du dernier quart de siècle, en psychanalyse, offre aussi des
traits contrastés, entre la radicalisation dogmatique et la
concession affadissante. Mais elle révèle
plusieurs
constantes, qu’on peut presque articuler
systématiquement.
La première est l’extension désormais
infinie du
concept de « contre-transfert » dans le mouvement
psychanalytique officiel (non-lacanien). Même dans
l’école kleinienne, où
l’idée
d’identification projective demeurait un simple
mécanisme,
et où le contre-transfert conservait sa nuance
d’insuffisance réactionnelle du psychanalyste
confronté au transfert de son patient, la norme
d’empathie
tend à prévaloir sur la préservation
d’une
asymétrie fondamentale (Betty Joseph). Les
conséquences
sont vastes, et déjà, institutionnelles. Car
derrière le problème du contre-transfert, il y a
celui de
la formation des analystes : à quoi doit ressembler
quelqu’un capable de critiquer son contre-transfert ?
Moustapha
Safouan a montré que les normes de la transmission correcte
de
la psychanalyse s’élaborent dans la
réponse
à la question. Car on peut craindre les effets de formatage
dérivés d’une évaluation de
la
capacité des candidats fondée sur
l’empathie,
elle-même contre-transférentielle, de leurs
didacticiens.
A l’opposé, une résolution
complète du
transfert dont le critère serait une pure
indépendance ne
fait pas nécessairement mieux l’affaire, et mine
l’institutionnalisation de la transmission.
La seconde constante des élaborations théoriques
récentes est cependant liée à cette
difficulté. La méfiance pour les
systématisations
de l’expérience autre que pédagogiques
a cru
à l’extrême. Toujours
écrasés par
Melanie Klein, par Winnicott et par les théoriciens de la
relation d’objet, mais en plus par Lacan, Bion et par les
multiples versions du self à la Kohut, les psychanalystes
ont
consacré au commentaire, sinon au digeste,
l’essentiel de
leurs forces. La marginalité même de
l’oeuvre
systématique de Jean Laplanche s’expliquer par la
méfiance bien exprimée par Forrester à
l’égard des constructions
épistémologiques :
la psychanalyse a tant à dire par le biais de son histoire
culturelle et offre tant de ressources à
l’exégèse textuelle (la
méthode de Patrick
Mahony dans sa lecture des grands cas de Freud), que les
possibilités des concepts, et donc des extensions de
concepts,
déterminent un style français
désormais
minoritaire.
Ce n’est pas nier la valeur des grandes
encyclopédies de la psychanalyse, ni des amples fresques
historiques qui ont vu le jour, avec Alain de Mijolla et Elisabeth
Roudinesco. Mais dans les comptes rendus des pratiques ordinaires, la
contextualisation historico-littéraire de pures
singularités psychiques s’accommode
d’une grande
confusion des références, qui accroît
l’illisibilité de la littérature
professionnelle,
et donc la marginalisation de la recherche psychanalytique au sein des
sciences humaines. Le ressassement des séminaires
ésotériques de Bion, de Lacan (auquel
Jacques-Alain
Miller aura consacré des décennies), voire
d’écrits figés de la tradition
complétés de vignettes illustratives, atteste du
déclin de l’inspiration et de la crainte
d’ébranler les dogmatismes de repli en
période
trouble. La séduction de paradigmes parallèles
(neurosciences, sociologie du genre, etc.) se comprend alors par
défaut : l’enjeu
d’élucidations novatrices du
désir sexuel inconscient est ainsi contourné.
A cet égard, la grande tentative anti-lacanienne qui fut
toujours celle d’André Green, de
réhabiliter
l’affect contre le primat accordé au langage a
certes
acclimaté en France la riche tradition britannique. La folie
privée, en 1990, et Le travail du négatif, en
1993, ont
ouvert des perspectives sur les pathologies rebelles qui
échoient de plus en plus aux analystes, en ces temps de
pharmacologie et d’intolérance aux
excès
individuels. Elle reste un isolat rationnel dans les
dévoiements
induits par un contre-transfert frisant l’empathie sans
règles. Le fantôme de Ferenczi, le père
de
l’idée de réversibilité des
places entre
analyste et analysant, plane sur ces essais de réduire
à
la restitution d’une intersubjectivité perdue une
cure
conçue comme un échange. Armé de
réflexions
philosophiques sur l’intentionnalité et
d’une
quête naturaliste de compatibilité avec les
théories cognitivistes de l’émotion,
Daniel
Widlöcher a voulu la capter sous le chef de la «
co-pensée » ; de façon plus floue,
quoique plus
expressive, Thomas Ogden la retrouve sous l’espèce
de la
« rêverie » partagée avec le
patient ; au
comble du dévoiement, Owen Renik, «
intersubjectiviste
» déclaré, abolit le cadre au service
des besoins
émotionnels du patient. On comprend qu’en 2001
l’Association Psychanalytique Internationale ait mis au
programme
de son congrès la question de savoir ce qu’est la
psychanalyse.
Enfin l’énigme récurrente de ces
travaux est le but
qu’ils assignent à la cure, tel qu’on
peut le
définir à partir des critères de sa
terminaison.
Rendus prudents par les recherches sur
l’efficacité de la
psychanalyse vs. les thérapies cognitives et
comportementales,
les analystes ont tenté de faire valoir d’autres
critères que ceux, mesurés par la
psychométrie, de
réduction des symptômes. Ces critères
sont bien
sûr holistiques et mettent l’accent sur la
capacité
à se renouveler psychiquement. Contrairement aux apparences,
il
est vraisemblable qu’ils auront à la fin gain de
cause :
la médecine scientifique reste soumise aux exigences
démocratiques, et en dernière analyse, ce sont
des
malades qu’il faut soigner, non des maladies.
Le
récent
retour en grâce des thérapies interpersonnelles et
de la
psychanalyse dans la psychiatrie objectiviste de
référence, qui est américaine, ne
s’explique
pas autrement : au paradigme catégoriel pur du DSM, se
substituera à l’avenir une analyse en termes de
dimensions, sensible à la comorbidité et aux
exigences
d’intégration personnelle qui ne lui sont pas si
hostiles.
Mais ce n’est pas le véritable
problème. Car on se
demande comment les ponts jetés vers les neurosciences par
la
psychanalyse actuelle ne finiraient pas, et cela laisse plus perplexe,
par conduire l’analyste à
révéler au sujet,
en guise de fantasme fondamental, une sorte de constante
psychobiologique privée à partir de quoi tout
ferait
sens, mais dont il n’y aurait pas de sens. Or, à
supposer
qu’il existe un désir inconscient, fixé
sous forme
de fantasme chez un sujet et régissant sa vie à
son insu,
ce fantasme a-t-il ultimement une signification, offerte à
une
assomption éventuellement différente,
à sa remise
en cause ? Ou n’est-ce qu’une image
figée,
d’ordinaire inconnue, dont la contrainte s’exerce
sans
dialectique ?
Ce qu’isole le psychanalyste par son
opération, est-ce ainsi un fait dernier de
l’affectivité (et de la pensée) chez
cet individu,
ou plutôt un point de rebond chez un sujet, qui restera
à
jamais lié à sa révélation
par un autre,
l’analyste, et ouvert paradoxalement à
d’autres
usages par sa dépendance foncière à
l’autre
qui aura été le moyen de sa
révélation
signifiante, mais qui, à la fin, comme analyste, tombe ?
Questions complexes qui engagent non le style de
légitimation
épistémologique requise par la psychanalyse, mais
l’éthique au principe de la visée
exacte de son
objet, et « l’effet de vérité
» qui lui
est propre.
L’espace où s’élaborent ces
jeux subtils
d’aliénation et de
désaliénation
relativement à soi-même et relativement
à autrui,
par l’analyse et dans l’analyse, est
assurément loin
d’avoir livré sa dernière figure. On
devine sans
mal combien, mesuré à cette aune,
l’objection de la
suggestion du psychanalyste sur son patient, ou encore
l’impossibilité d’objectiver les effets
de la cure
selon les canons expérimentaux, bref ces
réfutations dont
on a vu ce dernier quart de siècle enfler la menace,
constituent
en même temps des difficultés fécondes.
Fécondes, cependant, elles ne le seront que si la valeur
profondément subversive de la psychanalyse eu
égard
à l’objectivation imaginaire des liens premiers
entre un
être humain et un autre (les identifications sexuelles, la
filiation) se préserve inentamée, si vif soit le
débat idéologique. Or c’est moins
là une
affaire de théories, ou pire, de postures
thérapeutiques,
que d’actes procédant d’un travail
authentique sur
soi.
"Les
discriminants
spécifiques de la psychanalyse par rapport aux disciplines dites scientifiques et aux psychothérapies"
Le
terme "psy"
est utilisé pour désigner un ensemble de
disciplines souvent mal
différenciées, non seulement pour le public
profane mais aussi par un
grand nombre de praticiens de l'une ou l'autre de ces
spécialités. Alors que la
terminologie devrait
permettre de spécifier différents champs
théoriques et clinique :
psychologie, psychiatrie, psychothérapie, psychanalyse...
les
difficultés persistent, comme si les explicitations,
d'où qu'elles
viennent, étaient mal venues. Sans doute certaines
connotations
imaginaires relatives à la désignation de ces
champs génèrent-elles un
malaise
[1] . Le mot science
comporte lui-même d'autres ambiguïtés,
qui nécessitent aussi d'être
élucidées. Les fonctions dévolues au
savoir nous serviront de boussole pour éclairer,
spécifier et rendre
transmissibles les différences entre science, psychanalyse
et
psychothérapies.
Les
psychothérapies et la psychanalyse visent à
réduire ou supprimer une
souffrance. Je
qualifierai,
ici, la souffrance psychique de deux termes proposés par
Cicéron :
aegritudo et cupiditas que Danièle Robert traduit par
"mal-être" et
"manque à être". Je cite son commentaire: "il
s'agit avec le premier
d'exprimer le malaise moral né d'une perte... avec le second
de
signifier le regret de ce qui manque pour être pleinement, le
désir
lancinant, compulsif d'un vide à combler [2]".
A
l'origine,
Freud considérait la psychanalyse comme une
psychothérapie,
c'est-à-dire comme destinée à soulager
des souffrances physiques dont
les racines seraient psychologiques : l'hystérie
devait trouver ses étayages dans l'histoire
subjective de ses patients. Les symptômes psychiques
étaient envisagés
à partir du modèle médical. Au fur et
à mesure de son développement, la
psychanalyse a élargi son champ en questionnant la
pathologie
psychiatrique, de laquelle s'infère la notion de
normalité [3] , et en attribuant
d'autres fonctions à
la nosographie. Le symptôme cesse de se lire sur le corps du
"malade" :
il se lit dans le mode d'expression de la plainte. La
nosographie
n'a plus, dès lors, pour fonction de différencier
le normal et le
pathologique, puisque chaque humain est le fruit d'une histoire -
grande et petite - dont les nombreux orages inscrivent des blessures
plus ou moins vives et explicites dans la quotidienneté des
mots et des
actes de la vie.
La
psychanalyse
s'est intéressée aux racines de la
subjectivité, au point d'élargir son
interrogation à des thèmes jusqu'alors
abordés par des théologiens, des
philosophes, des politiciens, des artistes..., proposant un nouveau
regard sur " le malaise dans la civilisation ". Dans cette perspective,
l'objet de la
psychanalyse n'est pas de formuler une "conception du monde", mais de
mettre à jour celle que chacun se formule en silence, de
repérer les
fonctions qui lui sont dévolues et d'élaborer la
façon dont les
représentations qui modèlent la
réalité génèrent, dans le
même
mouvement, inhibition, symptômes, angoisse,
démarche de connaissance et
création. La question peut se poser de savoir si de telles
élaborations
appartiennent au registre des croyances [4] ou sont le fruit d'une
approche susceptible d'être
confrontée à celle des sciences.
Répondre à cette question implique de
développer certains préalables, afin de tenir
compte des ambiguïtés et
des présupposés insus que chacun transporte avec
lui.
Sciences
dites
"exactes" et sciences dites "humaines"
Le
public
reconnaît que l'acquisition des "savoirs" (concepts,
références, modes
opératoires) pour certaines disciplines nécessite
des efforts
d'apprentissage, et du temps. Ces
"savoirs" ne sont donc pas considérés comme
constitués de données
immédiatement accessibles à la conscience. Par
contre, pour d'autres
disciplines, affectées au registre des sciences dites
humaines, chacun
estime être plus ou moins concerné et avoir son
mot à dire - à juste
titre : ces disciplines comportent, en effet, une dimension subjective
explicite, qui implique de tenir compte des singularités en
regard de
propositions qui ambitionnent d'accéder à un
statut universel.
Les
sciences
humaines s'appuient sur des textes d'auteurs, parfois
vénérés, qui
constituent des références [5] : des
réalités
objectivables, dans la mesure où elles théorisent
des "faits"
accessibles à d'autres qui disposeraient de la
même formation, des
mêmes concepts. Ces réalités sont
pourtant empreintes d'une certaine
subjectivité. Le statut d'une
référence, même prestigieuse, dans le
domaine des sciences humaines, est différent de celui que
revêt une
preuve - objective - dans les sciences expérimentales, pour
lesquelles
les concepts moins nombreux, font davantage consensus. Cette
particularité justifie que les
références dans les sciences humaines ne
font pas toujours l'unanimité : elles sont
assimilées à des convictions
intimes, des croyances issues d'une certaine façon de
"lire",
"d'interpréter" le monde, en lui affectant "un sens" - qui
peut faire
école.
Dans
les
sciences humaines, les énoncés de
références, qui tiennent la fonction
de savoirs, sont souvent assimilés à des opinions
d'auteurs qui n'ont
trouvé leur renommée que parce qu'un public
(lecteurs, élèves,
disciples...) a été
intéressé, séduit, convaincu,
"converti".
Tout se passe comme si des opinions
singulières
d'auteurs, dont les prestiges éventuels confèrent
à leurs productions
le statut de références, pouvaient être
assimilées à des croyances. Ce
processus est intéressant pour la
réflexion : la conviction peut
être engendrée par d'autres moyens que ceux de la
démonstration en
faisant appel à ce qui serait du registre de la conviction
intime - au
nom de laquelle la " vérité "
se décide ou s'affirme en
droit. Cela induit certains effets, comme si partager une croyance avec
d'autres conférait à cette croyance une
" valeur ", tout
comme dans les religions où il n'est pas question de
soumettre un
énoncé de référence
à l'épreuve de la critique ou de
l'expérimentation.
La
"vérité"
revêt différentes figures selon le champ
où elle est invoquée, ce qui
occasionne de nombreux malentendus, non seulement à propos
de la
psychanalyse mais aussi à propos de ce que certains
qualifient de
science, et en particulier de "science molle". Après avoir
dégagé le concept de science de certains
présupposés, il nous sera possible de mieux
discriminer les enjeux
spécifiques de la psychanalyse de ceux des
psychothérapies.
Résumé
Il
s'agit
d'éclairer les différences entre pratiques qui se
référent au champ
" psy " - en particulier, la psychanalyse et les
psychothérapies - en prenant les sciences comme instrument
de mesure. Les
critères qui permettent de spécifier
et de départager les champs, les théories et les
pratiques, ont
fonction de discriminants à partir desquels il est possible
d'essayer
de penser : établir des différences et
orienter les réflexions.
A l'origine ce texte dans sa totalité a
été publié dans Les lettres de
la Société de Psychanalyse Freudienne
N°7. 2001. Il reprend un exposé
présenté à un
moment où il s'agissait de lever certaines confusions
auprès de
parlementaires qui s'apprêtaient à
légiférer.
Notes :
[1] Une revue
appelée "Psychologie", destinée au grand public, offre
abondamment ses
rubriques au paranormal : astrologie, voyance et
différentes
formes de sorcellerie.
[2] Cicéron.Devant la souffrance. Arléa.
1996, p 11.
[3] Michel
Foucault. Naissance de la clinique. PUF. 1963.
[4] Bertrand
Russel. Science et Religion. Gallimard.
[5] Jean Szpirko. Incidence du
référent dans les textes de
psychanalystes. L'effet de sens.
Edité par l'AFORESH. 1997.
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