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La psychanalyse :
une pensée
et une pratique
 


Sommaire de la page :

- Contribution à l'histoire de la psychanalyse (1914)
-  L'invention de la psychanalyse, documentaire - Quid de la révolution psychanalytique et notes sur les lectures "psy"
-  « Révisionnistes » et « comportementalistes » par Elisabeth Roudinesco
- Courrier sur la pratique psychanalytique (2008)
- Enjeux..., par Jean Szpirko
- Sites à découvrir !




  Court extrait ou introduction au sujet...

Contribution à l’histoire
du mouvement psychanalytique


par Sigmund Freud (1914)


 (...) Cette contribution présente un caractère subjectif qui, je l'espère, n'étonnera personne, de même qu'on ne trouvera sans doute pas étonnant que j'y parle du rôle que j'ai moi-même joué dans cette histoire. C'est que la psychanalyse est ma création : pendant dix ans, j'ai été le seul à m'en occuper, et pendant dix ans c'est sur ma tête que s'abattaient les critiques par lesquelles les contemporains exprimaient leur mécontentement envers la psychanalyse et leur mauvaise humeur à son égard. Je crois même pouvoir affirmer qu'aujourd'hui encore, où je suis loin d'être le seul psychanalyste, personne n'est à même de savoir mieux que moi ce qu'est la psychanalyse, en quoi elle diffère d'autres modes d'exploration de la vie psychique, ce qui peut être désigné par ce terme ou ce qui pourrait être mieux désigné autrement.


Ayant eu l'occasion, en 1904, de parler pour la première fois publiquement de la psychanalyse, du haut d'une chaire universitaire américaine, et conscient de l'importance que ce fait pouvait avoir pour les objectifs que je poursuivais, j'avais déclaré que ce n'était pas moi qui avais donné le jour à la psychanalyse, que c'était Josef Breuer qui s'était acquis ce mérite, alors que, encore étudiant, j'étais occupé à passer mes examens (de 1880 à 1882).

Mais des amis bienveillants m'ont fait observer depuis que j'avais poussé trop loin l'expression de ma reconnaissance ; que j'aurais dû, ainsi que je l'avais fait dans les occasions antérieures, faire ressortir que le « procédé cathartique » de Breuer constituait une phase préliminaire de la psychanalyse et que celle-ci datait du jour où, repoussant la technique hypnotique, j'avais introduit celle de l'association libre.

Au fond, il importe peu de savoir si les débuts de la psychanalyse remontent au procédé cathartique ou à la modification que j'ai fait subir à ce procédé ; et si je mentionne ici ce point d'histoire, si peu intéressant, c'est parce que certains adversaires de la psychanalyse ne manquent pas, à l'occasion, de proclamer que c'est à̀ Breuer, et non à moi, que revient le mérite d'avoir créé cet art.

Je dois ajouter toutefois que la priorité de Breuer n'est proclamée que par ceux qui attachent quelque valeur à la psychanalyse ; quant à ceux qui lui refusent toute valeur, ils n'hésitent pas à m'en attribuer la paternité sans partage. La grande part que Breuer a prise à la création de la psychanalyse ne lui a jamais valu, à ma connaissance, la minime partie des injures et des blâmes qui m'ont été prodigués.

Et comme j'ai reconnu depuis longtemps que la psychanalyse possède le don irrésistible de pousser les hommes à la contradiction, de les exaspérer, je suis arrivé à la conclusion qu'après tout il n'y avait rien d'impossible à ce que je fusse le véritable auteur de tout ce qui la caractérise et la distingue. Je me fais un plaisir d'ajouter que jamais Breuer n'a fait la moindre tentative de rabaisser mon rôle dans la création de la psychanalyse tant décriée et qu'il n'a jamais prêté le moindre appui aux tentatives faites dans ce sens par mes détracteurs. (...)


Le texte complet en PDF, Traduction de S. Yankélévitch (1927) : 


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Quid de la révolution psychanalytique?


Notes recyclées de Lionel Mesnard

Il existe surtout un mouvement des idées, une histoire clinique encore mal connue et un débat qui n'est pas prêt de se clore. Même si, ici ou là, une gazette titre une fois l'an sur la fin présumée de la psychanalyse. L'histoire de la psychanalyse représente cinq générations d'hommes et de femmes. Ils ou elles ont observé pour règle de soutenir ce qu'appela Freud de ses voeux : "La révolution psychanalytique".
 
Normalement cette pensée refuse toute forme d'institution ou d'uniformité, et s'organise au mieux dans la transmission d'un savoir et au pire à en faire une école... A confondre la psychanalyse avec la psychologie, la psychiatrie et quoi donc encore..., on ne finit par ne plus que parler de "psy... machin chose", et cela ne veut rien dire. En bas de page, et comme derniers documents, vous trouverez la réflexion d'un philosophe expliquant le lien et le sort réservé aux sciences qualifiées d'humaines et à leurs auteurs.
 
Résumer en quelques lignes ce qu'est la psychanalyse serait un contre-sens. Mais il est temps de manifester une ouverture d'esprit bien plus significative, à ce qu'il faut bien appelé un monde profane. Qui par trop souvent fait état ou véhicule à ce sujet une grande méconnaissance et beaucoup d'inexactitudes.

Ceux qui voudraient faire de la psychanalyse un "psy... machin chose" de plus pour spécialistes se trompent. Pour autant, l'enjeu n'est pas de vulgariser à tout rompre. Il est plutôt question de populariser au mieux l'expérience de ceux qui ont agi et favorisé de nouvelles pratiques sociales, cliniques quelque peu conséquentes. Et mieux connaître cet héritage, pour l'ouvrir aux esprits curieux... Et pour celles et ceux qui souhaitent trouver une information sérieuse en ce domaine.
 
En France et en Amérique du Sud, le travail théorique de Freud et de Lacan en sont les terres les plus fertiles. La psychanalyse en France plus qu'ailleurs a pu prendre souche et trouver une certaine reconnaissance. Bien que l'on cherche a tout prix à l'enfermer dans le rôle d'une science, ou d'une spécialité psychologique, du moins trop sommairement, car trop souvent on minimise ses résultats cliniques et l'impact d'une pensée décrivant les mécanismes inconscients.
 
Françoise Dolto est l'exemple qui vint bousculer l'institution hospitalière tout en lui redonnant un nouveau souffle. Elle sauva la vie de nombreux enfants notamment dans les pouponnières. Elle se mit à la fois à l'écoute et au service de ceux qui souffraient d'un manque de communication et en particulier le monde de l'enfance malade. Ce qu'elle voulue faire comme oeuvre dès ses jeunes années pris source dans son imagination de petite fille. Elle voulue devenir médecin des enfants souffrants, cette prédestination ne la quitta jamais et s'est accomplie.
 
Son travail et les applications réelles ont mis fin à bon nombre de préjugés sur les enfants et en particulier sur les bébés. Avec qui, elle avait fini par apprendre la langue, de même la langue des tous les jeunes enfants et de leurs maux. Dolto ouvrit ainsi en France la porte à des progrès significatifs sur l'éducation des plus jeunes. Si les enfants et les adolescents sont depuis devenus "une cause". Elle participa et accompagna la transformation des mentalités dans la société française, et d'évidence concernant des rapports plus libres et plus respectueux entre générations.
 
Cette somme pratique, parfois empiriques ou sommes d'expériences font aujourd'hui souches dans les lieux de santé et d'éducation des plus jeunes. Ceci a depuis longtemps largement débordé le seul domaine de la psychanalyse. Pour autant, elle ne se limite pas au huis clos analysant et analyste. C'est un outil pour une meilleure connaissance des conflits psychiques de la personne humaine, et toute sa complexité théorique réside dans sa diversité, qu'il est impossible de résumer en quelques mots.
 
Le progrès de cette pensée analytique fut de mieux comprendre et appréhender les comportements humains. En prenant sens dans le rapport que nous entretenons tous avec notre corps et notre psychisme. Si notre économie psychique ou corporelle est maltraitée, l'individu - et peu importe sa condition sociale - favorisera selon les causes une pathologie névrotique plus ou moins handicapante au cours de sa vie. Tout cela très bien administré par un lien invisible qui prend place dans toutes les civilisations et langues parlées de notre monde. Dans ce que désigna Freud comme le siège de nos grandes et petites turpitudes, c'est-à-dire : les mécanismes Inconscients. Et "l'inconscient est un langage", selon Jacques Lacan.


Au commencement des temps, les mots et la magie étaient une seule et même chose. (S. Freud)

SIGMUND FREUD, L'INVENTION DE LA PSYCHANALYSE
1ère partie du documentaire


                          Notes sur les lecture "psy" !

Quelques conseils si vous souhaitez découvrir la psychanalyse à travers ses productions écrites : il existe une importante littérature et l'on ne sait pas toujours quel auteur choisir, ou à quel sujet se fier. De préférence, il vaut mieux choisir un libraire qui dispose des classiques et à ce titre nous vous conseillons de commencer tout simplement par Freud, de choisir la traduction la plus récente, et de commencer par ses premières oeuvres, en particulier "l'analyse des rêves" et "Introduction à la psychanalyse".

Beaucoup d'ouvrages se lisent sans difficultés et vous donneront une idée précise du travail que Freud a pu élaborer et concrétiser dans sa pratique psychanalytique. Du moins ce qui a fait de sa découverte de l'inconscient la question centrale de sa théorie. Si vous souhaitez mieux comprendre "sa philosophie" vous disposez de "malaise dans la civilisation" et "l'avenir d'une illusion". Deux ouvrages qui mettent en lumière une pensée dense et profonde sur le monde occidental, et plus que jamais d'actualité.

Pour autant il ne sert à rien de trop vouloir s'approprier des concepts. Cela peut devenir rapidement indigeste, il est important de pousser sa propre investigation par une lecture qui corresponde aux questions que vous vous posez à votre sujet. Ne cherchez surtout pas pour un autre, c'est à vous de vous impliquer et d'appréhender votre propre désir en ce domaine.

Vous trouverez si votre soif de lecture est abondante, un rapport étroit avec de nombreux espaces intellectuels. Ne négligez pas l'histoire du mouvement psychanalytique de 1895 à nos jours. Cette aventure intellectuelle n'a pas toujours été comprise et a toujours connu une contestation plus que vive. Vous trouverez ainsi avec Elisabeth Roudinesco, des ouvrages précieux, notamment ceux qui se référent à l'Histoire et un "pourquoi", clair et cohérent sur la psychanalyse comme matière à penser.

Notes de LM, année 2007





« Révisionnistes »
et « comportementalistes »
contre la psychanalyse



Interview d’Élisabeth Roudinesco
par Antoine Artous, le 3 octobre 2007

Le bio-pouvoir à l’œuvre à propos de "Pourquoi tant de haine ?


Historienne très connue de la psychanalyse et chargée de conférences à l’École pratique des hautes études, Elisabeth Roudinesco a publié une importante Histoire de la pyschanalyse en France (2 volumes,1982, 1986, rééd. Fayard, 1994). Elle a aussi publié de nombreux autres ouvrages, notamment Jacques Lacan. Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée (Fayard 1993) et, avec Michel Plon, Dictionnaire de la psychanalyse (Fayard, 2000). Elle vient de publier Pourquoi tant de Haine ? Anatomie du Livre noir de la psychanalyse (Navarin 2005). Ce « petit » livre décortique Le Livre noir de la psychanalyse. Vivre, penser et aller mieux sans Freud (Arènes, 2005). Rouge (n° 219) a déjà souligné ce qu’il faut penser de ce Livre noir. Il est d’un noir inquiétant - tant pour la pensée que politiquement – par la façon dont il traite Freud et l’histoire de la psychanalyse, comme par la façon dont il veut la faire disparaître aux profits des thérapies cognitivo-comportementalistes (TCC) que l’Institut national de la santé et le la recherche médicale (Inserm) érige en seule théorie scientifique. « Menteur, charlatan, faussaire, plagiaire, misogyne, drogué à la cocaïne, dissimulateur, propagandiste, obsédé sexuel, avide d’argent et de pouvoir, (Freud) est présenté comme une sorte de dictateur ayant trompé le monde entier avec une doctrine fausse », écrit Elisabeth Roudinesco. Naturellement, il est possible de critiquer la psychanalyse. Les livres d’Elisabeth Roudinesco sont là pour en témoigner. Ainsi, par exemple, dans La Famille en désordre (Fayard, 2002), elle met vivement en cause l’homophobie, non pas de la psychanalyse en général, mais d’un nombre important de psychanalystes, qui s’est exprimée au moment du pacs et continue à s’exprimer à propos de l’homoparentalité. Mais, ici, il est question d’autre chose. D’abord d’une entreprise anti-Freud et anti-psychanalyse qui, du point de vue du contenu et de la forme, rappelle celles qui ont été menées contre Marx, le marxisme et le communisme. Ensuite, une volonté de promouvoir les TCC, particulièrement bien adaptées aux besoins de la mondialisation néolibérale et aux politiques de normalisation des conduites humaines qu’elle porte.

Questions...

A-A : Le Livre noir de la psychanalyse comporte un grand nombre de textes rassemblés par Catherine Meyer pour les Éditions des Arènes. Ils sont très hétérogènes. Toutefois, le livre est structuré autour de deux grands courants : un courant d’historiens « révisionnistes » issus des Etats-Unis, et des « comportementalistes », partisans des T.T.C.

Elisabeth Roudinesco : C’est un montage de textes de gens qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, sinon la haine commune qu’ils vouent à la psychanalyse. Le regroupement de ces deux courants est d’ailleurs une caractéristique française. Aux État-Unis, les « comportementalistes » et les historiens dits révisionnistes travaillent chacun de leur côté. Au demeurant, les textes de ces derniers édités dans ce livre n’apportent rien de nouveau, ils étaient déjà connus.

A-A : Commençons avec les historiens dits « révisionnistes ». Cela vaut la peine d’entrer un peu dans le détail car ces discussions sur l’histoire de la psychanalyse sont mal connues en France.


Elisabeth Roudinesco : Je précise pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté qu’ils se sont eux-mêmes appelés ainsi. Il s’agit en effet de réviser l’histoire officielle sur Freud et la psychanalyse, celle racontée par Ernest Jones [1], mais surtout par l’ensemble des sociétés psychanalytiques qui, toutes, et encore aujourd’hui, ont tendance à produire des histoires officielles, sans passer par un réel travail d’historien. C’est un problème permanent de toutes les Ecoles que ce danger dogmatique. Au départ il y a un « maître », un fondateur, dont la parole est parfois subversive par rapport à la tradition, puis on s’enferme dans la répétition talmudique. Jusque dans les années 1970, l’histoire de la psychanalyse était la chasse gardée des psychanalystes qui refusaient que Freud et la psychanalyse soient l’objet d’un regard historique extérieur. Soit de la part d’historiens issus de l’intérieur du mouvement psychanalytique, comme ce fut le cas de la première génération, soit issus de l’extérieur comme la seconde génération. Moi, par exemple, je suis issue de l’intérieur, mais je me suis faite historienne. L’important est de considérer Freud et la psychanalyse comme un objet historique comme les autres. À l’époque, j’ai collaboré avec bon nombre de ces historiens anglophones, étant d’ailleurs la seule en France à produire des études historiques sur ces sujets.

A-A :. Vous expliquez que ces historiens révisionnistes détournent l’oeuvre d’Henri Ellenberger.

Elisabeth Roudinesco : Ils font de lui un anti-freudien radical qui aurait été le premier à dénoncer de prétendues impostures freudiennes, alors qu’il n’utilise jamais un tel vocabulaire et que, dans les années 1970, il a été plus simplement le fondateur de l’historiographie critique dont je viens de parler. J’ai d’ailleurs la responsabilité de son oeuvre en France et j’ai assuré la publication de deux ses ouvrages majeurs : Histoire de la découverte de l’inconscient (Fayard, 1994) et Médecines de l’âme. Histoire de la folie. Essais d’histoire de la folie et des guérisons psychiques (Fayard, 1995). Ellenberger se situe un peu dans la même tradition que l’école historique des Annales en France, il immerge Freud dans la longue durée. Son histoire de la découverte de l’inconscient montre qu’il y a un avant Freud, un moment Freud et un après Freud. Ellenberger s’intéresse tout autant aux médecines modernes de l’âme qu’aux chamans ou aux sorciers, ou encore à la médecine de la Grèce ancienne. Mais attention, cela ne veut pas dire que pour Ellenberger tout se vaut, c’est un homme des Lumières. Simplement, c’est un historien des sciences, il inscrit le développement des sciences dans l’histoire.

A-A : C’est important : inscrire les sciences dans l’histoire, donc dans les vérités d’une époque, sans pour autant tomber dans le relativisme absolu, dire que tout se vaut.

Elisabeth Roudinesco : Prenons l’exemple de l’histoire de Mesmer au XVIIe siècle. C’est un médecin viennois qui soutient que les maladies nerveuses proviennent d’un déséquilibre dans la distribution d’un « fluide magnétique » qui se diffuse dans le monde vivant. Sa théorie a un contenu rationnel . Comme savant, il est « physiologiste », et il pense que ce phénomène s’apparente à l’aimant. Expulsé de Vienne, Mesmer demande asile à Louis XV. Il connaît le succès, puis passe devant une commission royale, qui condamne la théorie des fluides mais non – et c’est intéressant à noter - la réalité des phénomènes psychiques dont il est question. Ellenberger montre très bien comment Mesmer est un esprit des Lumières, il arrache au religieux des phénomènes que l’on appellerait aujourd’hui l’hystérie en menant un combat contre les exorcistes qui à l’époque les traitent. Et il les combat en disant : « j’ai une théorie scientifique », qu’il argumente sur la base du savoir de son époque. C’est cela faire de l’histoire des sciences, en montrant comment, par la suite, les savoirs évolueront.

A-A : Vous-vous réclamez donc de cette tradition d’analyse historique critique de la psychanalyse.


Elisabeth Roudinesco : Oui, je me suis inscrite dans cette tradition. D’ailleurs, quand j’ai commencé à faire le même genre de travail historique critique sur la psychanalyse en France, j’ai essuyé le feu de la plupart des psychanalystes. Cela dit, dans l’histoire des sciences, je me réclame également de Canguilhem et de Foucault pour lesquels il existe des ruptures dans l’histoire des savoirs. Pour Ellenberger, il n’y a pas de différences importantes entre Janet, Freud ou Jung. Pour moi, il existe une coupure freudienne. Freud s’est appuyé sur tout un savoir clinique de l’époque. Toutefois, l’invention freudienne consiste à ne pas s’en tenir à ce savoir ou à mettre en place de nouvelles pratiques thérapeutiques, mais à rattacher tout cela à la tragédie antique, afin de l’inscrire dans une problématique universaliste de la condition humaine.

A-A : Pour ceux qui veulent en connaître plus sur ce dernier point et sur la critique de ce que vous appelez une certaine « psychologisation » de l’héritage freudien, je ne peux que renvoyer à La famille en désordre ou à Pourquoi la psychanalyse ? (Fayard, 1999). Revenons à l’évolution de ces historiens «révisionnistes».

Elisabeth Roudinesco : J’ai rompu avec eux lorsque la génération qui a suivi Ellenberger a basculé de l’autre côte : Freud n’est plus l’Empereur à la barbe fleurie d’une certaine hagiographie freudienne, mais devient Satan, un mystificateur, un menteur. On retrouve ici Le Livre noir de la psychanalyse, qui procède d’ailleurs comme le Livre noir du communisme (Laffont 1997), mais en pire. Il ne s’agit plus de faire une histoire critique du communisme, mais on rend l’idée même du communisme responsable du goulag, on oublie le stalinisme, on met sur le même plan le communisme et le nazisme, etc. Et encore, certains des contributeurs du Livre noir du communisme, qui étaient des historiens sérieux, ont, par la suite, critiqué la ligne éditoriale du livre. Par ailleurs, le goulag est bien synonyme de crimes de masse.

Mais lorsque Le Livre noir de la psychanalyse accuse la psychanalyse, en tant que discipline, d’avoir commis des crimes, il invente un goulag imaginaire, sans apporter aucune preuve, sinon d’affirmer qu’elle est responsable de la mort en France de 10 000 toxicomanes parce que certains psychanalystes auraient contribué à interdire des traitements de substitution ! Par ailleurs, ces historiens se sont lancés dans la théorie du complot international. L’histoire de la psychanalyse, ce serait à leurs yeux celle d’un complot international visant à imposer une hégémonie freudienne dans le monde occidental. C’est ridicule ! Et puis il y a eu cette histoire de la tentative d’interdiction de l’Exposition Freud aux Etats-Unis (Washington) en 1996, qui était une exposition officielle en orthodoxe laissant peu de place à un regard pluriel et critique sur Freud. Ces historiens ne se sont pas contentés de protester – j’ai par exemple impulsé une pétition internationale à ce propos -, ils ont demandé l’interdiction en se posant comme les victimes d’une discrimination ! Il est légitime de militer pour que ses travaux soient reconnus et de mener le débat d’idées, mais demander interdiction pour cause de discrimination, c’est vouloir remplacer une histoire officielle par une autre : la leur.

A-A : Venons-en à présent aux thérapies cognitivo-comportementalistes (TCC). Dès 1999, dans Pourquoi la psychanalyse ?, vous souligniez comment durant les années 1990 a commencé à se construire un discours anti-Freud et anti-psychanalyse. Ainsi, Le Nouvel Observateur, qui a fait une vraie campagne de promotion du Livre noir de la psychanalyse, titrait en 1991 « Spécial Freud, le marxisme s’effondre, la psychanalyse résiste ». La limpidité du titre montre bien les enjeux. Puis cela se précise : « Faut-il brûler Lacan ? », « La science contre Freud »... [2]

Elisabeth Roudinesco : Ces campagnes se sont appuyées sur certains discours des neurosciences, du cognitivisme ou de la génétique. Naturellement, il ne s’agit pas de mettre en cause le travail scientifique, mais bien un discours scientiste – dénoncé par certains savants eux-mêmes – qui réduit les phénomènes psychiques au fonctionnement des neurones ou à celui de l’intelligence artificielle. Et ce discours est relayé par des philosophes. Ainsi, toujours au début des années 1990, Marcel Gauchet [3], qui se dit un représentant de la « gauche antitotalitaire », a prétendu substituer l’inconscient cérébral à l’inconscient freudien qui ne ferait plus « recette » dans un monde où « l’affect » serait en voie de disparition. Le mot cognitivisme est apparu en 1981, mais la méthode existait avant. Le grand historien des sciences Georges Canguilhem ne le connaissait donc pas lorsque qu’il prononce sa célèbre conférence « Le cerveau et la pensée » en 1980 [4]. Mais il critique férocement la croyance qui anime l’idéal cognitiviste : la prétention à vouloir créer une « science de l’esprit » fondée sur la corrélation entre les états mentaux et les états cérébraux.

A-A : Plus précisément, en ce qui concerne les TCC ?

Elisabeth Roudinesco. C’est un nouvel avatar du vieux behaviorisme [5]. Elles réduisent les êtres humains à leurs comportements et, pour guérir les individus, elles inventent des méthodes qui sont des pratiques de suggestion, de fascination, d’aliénation. Il faut naturellement éviter de faire découler mécaniquement telle ou telle position prise par un thérapeute de la théorie à laquelle il se réfère ; pour la psychanalyse comme pour la TCC. Mais toute théorie psychologique est porteuse d’une politique, au sens général du terme. Or, un thérapeute comportementaliste, qu’il soit cognitiviste behavioriste ou autre, conteste l’idée même de psychisme. Il ne veut rien savoir de la signification des actes inconscients, ou même de la signification historique de l’action humaine. Il n’y a pas de sujet, pas d’inconscient, pas de déterminisme historique, pas d’engagement qui vaille la peine. Il existe simplement une machine humaine. Du coup, ces thérapies s’appuient sur une notion de norme et de pathologie qui tend à classer tout comportement humain – une fois que ce comportement a été catégorisé d’une certain façon – du côté d’une pathologie ou d’une norme. Le problème devient alors celui de la définition des bonnes normes permettant que les individus soient en bonne santé. C’est la nouvelle barbarie du bio-pouvoir dont parlait Michel Foucault ; c’est-à-dire d’une politique qui entend gouverner le corps et l’esprit des individus, les conduites humaines en fonction de la « bonne santé » des populations.

A-A : Toujours dans Pourquoi La psychanalyse ?, vous montriez bien comment l’idéologie de « l’homme comportemental » est portée par la mondialisation libérale. Je conseille la lecture de ce livre à propos duquel nous avions eu d’ailleurs un entretien dans Critique communiste (n°157, hiver 2000-2001). Ici, je voudrais simplement souligner que sont également en jeu les politiques libérales de santé qui soumettent les thérapies à un critère de rentabilité immédiate.

Elisabeth Roudinesco : On reproche à la thérapie psychanalytique – ou à des thérapies qui s’en inspirent – d’être trop longue et trop coûteuse. D’autant que ses résultats ne sont pas mesurables. La médecine scientifique qui soigne les maladies somatiques constate des symptômes, nomme une maladie et administre un médicament. On dit alors que le malade est guéri du mécanisme biologique de la maladie. S’agissant du psychisme, on peut tenter de faire disparaître le symptôme, par des médicaments ou d’autres thérapies. Mais pour autant le malade n’est pas « guéri ». En fait, la « guérison psychique » a un statut différent de la guérison somatique. Elle n’est rien d’autre qu’une transformation existentielle du sujet. Et cela on ne le mesure pas.

A-A : L’autre face de la mondialisation néolibérale, c’est le développement de politiques de normalisation des conduites humaines. Des « comportementalistes », qui ont été partie prenante de manière active du Livre noir, se sont engagés dans des batailles concrètes de mise en oeuvre de projets de normalisation. En lien de plus avec l’Inserm.


Elisabeth Roudinesco : Le rôle que joue l’Inserm pose d’ailleurs un vrai problème. Cet institut public ne cesse de légitimer les partisans des TCC comme les représentants de la vraie science. Cela montre bien l’enjeu de ces débats. Si la psychanalyse et d’autres thérapies proches dites , disent les scientistes, ne sont pas des sciences véritables, alors pourquoi les enseigner à l’université ? En ce qui concerne les politiques de normalisation, il y a eu l’affaire de l’amendement Accoyer [6] et plus récemment l’expertise collective – c’est-à-dire la validation scientifique - de l’Inserm du 22 septembre 2005 sur le « trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent » [7]. Il s’agit d’habituer les familles, les professionnels de la petite enfance et les enseignants à identifier le trouble de conduite chez l’enfant et l’adolescent (dès 36 mois) afin d’éviter qu’il ne devienne un futur délinquant. Voilà l’illustration des bio-pouvoirs : on définit « scientifiquement » une nouvelle catégorie de symptôme et on le repère chez les enfants – et dieu sait s’il y a de nombreux enfants agités pour des raisons très diverses – afin d’éviter que la maladie (la délinquance) ne se développe. C’est directement utilisable par tout ministère de l’intérieur !

A-A : Certains auteurs du Livre noir n’appartiennent pas aux deux courants de pensée dont nous venons de parler. Ainsi Philippe Pignarre à qui nous avons demandé un article dans ce même numéro de la revue.

Elisabeth Roudinesco : Effectivement, Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, qui, elle aussi a écrit un texte, n’appartiennent pas à ces courants. On peut s’étonner de les trouver en si mauvaise compagnie. Une des raisons tient sans doute à leur relativisme absolu. Pour eux, il n’y a pas de différence entre la science et la non-science, entre les chamans et les psychanalystes, entre la médecine et les médecines parallèles. Tout se vaut. Ils mettent au même niveau le savoir des sorciers, celui des TCC, l’apport freudien, etc. Encore que pour Philippe Pignarre tout ne se vaut pas, car pour lui tout est mieux que la psychanalyse. Il a pris la plume, non seulement pour défendre le Livre noir, mais pour s’attaquer très violemment – et ici on retrouve la haine commune aux différents auteurs - non pas à des psychanalystes, qui avaient pris certaines positions critiquables, mais à la psychanalyse en tant que discipline. En revanche, je n’ai lu aucune critique de sa part à propos de l’expertise de l’Inserm dont on vient de parler.

A-A : Je vous laisse conclure...


Elisabeth Roudinesco : Je viens de le dire : si la psychanalyse n’est qu’une imposture, alors il ne faut pas l’enseigner. Mais certains historiens « révisionnistes » vont encore plus loin. Les auteurs, Mikkel Borch-Jacobsen et Sonu Shamdasani, d’un livre récent (paru aux Empêcheurs de penser en rond) expliquent que Freud et la psychanalyse n’ont pas existé. Que des historiens puissent dire que ce qu’ils ont étudié toute leur vie n’a pas existé est quelque peu étonnant ; pour ne pas dire plus. Reste qu’on ne peut se contenter de sourire : il s’agit tout simplement d’effacer Freud et la psychanalyse de l’Histoire. Les lecteurs de Critique communiste savent ce que cela veut dire : Staline a construit son règne en retouchant des photos pour effacer des acteurs essentiels de l’histoire.


Notes :

[1] Père fondateur de la psychanalyse en Grande-Bretagne, Ernest Jones (1879-1958) fut l’initiateur de l’historiographie psychanalytique.

[2] Le Nouvel Observateur, 3-9 octobre 1991, 9-15 septembre 1993, 20-26 mars 1997.

[3] Marcel Gauchet, L’Inconscient cérébral, Seuil, 1992.

[4] On trouvera la conférence dans Georges Canguilhem, historien de la science, Albin Michel, 1992.

[5] Le behaviorisme a été créé au débat du siècle passé par John Watson qui voulait ériger la psychologie en science naturelle, comme la médecine, la chimie, etc. en rejetant toutes références aux états mentaux pour traiter des seuls comportements compris une réponse à un stimulus extérieur.

[6] Du nom d’un sénateur qui, fin 2003, proposa de mettre en place une évaluation des psychothérapeutes. Cela donna lieu, également, à des divisions importantes entre les psychanalystes. Sur cette question, et plus généralement, celle de la réglementation de ces professions Elisabeth Roudinesco a écrit Le patient, le thérapeute et l’État, Fayard, 2004.

[7] Le Monde du 23/09/05 a fait une analyse détaillée sur ce rapport qu’on peut trouver sur le site de l’Inserm.




SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE TOURS

Monsieur Xavier Bertrand
Ministre de la Santé et des Solidarités

Tours, le 17 février 2006

    Monsieur le Ministre,

Après concertation des membres titulaires de notre association, nous aimerions vous communiquer notre sentiment et nos prises de position suite à l'article 52 de la loi de santé publique du 9 août 2004.

Cette loi, bien que ne concernant pas directement l'exercice de la psychanalyse porte en elle-même une menace pour son libre exercice et cela d'autant que les associations du Groupe de contact revendiquent de l'assimiler aux psychothérapies.

Nous aimerions vous signifier de la manière la plus officielle notre opposition aux futurs décrets d'application de l'article 52, s'ils venaient à amalgamer de près ou de loin le statut de psychothérapeute à l'exercice de la psychanalyse. Les associations de psychanalystes du Groupe de contact ne représentent absolument pas la majorité des praticiens de la psychanalyse qui ont sur ce point d,autres points de vue. Nous allons même jusqu'à dire que les représentants des dites associations ne représentent qu'eux-mêmes puisque le débat et l'exercice démocratique semblent être totalement fermés concernant cette question.

Depuis le début, soit depuis Freud, la formation des psychanalystes s,est toujours appuyée à la fois sur une démarche personnelle et privée et sur un apprentissage aux savoirs qui viennent en complément de cette initiative personnelle. Aucune formation universitaire, si performante soit-elle, ne viendrait garantir davantage ce type particulier d,exigence qui se transmet depuis le commencement de la pratique analytique. Bien au contraire, nous pensons qu,elle risquerait d,en atténuer l,importance et la portée.

Dès le mois de mars 2004, plus de mille cinq cent signataires ont manifesté leur opposition d'abord à la loi, puis aujourd,hui, à ses décrets d,application. Ces expressions individuelles et personnelles additionnées sous les textes signés du « manifeste pour la psychanalyse » et « du front du refus » forment une opinion qui est ignorée jusqu'à ce jour par les pouvoirs publics. Nul doute que ces praticiens de la psychanalyse ne manqueront pas, le moment venu, de réclamer la suppression de cette loi et de ses décrets d'application.

Veuillez croire, Monsieur le Ministre en l'assurance de notre haute considération.  

Pour le comité de direction, Le Président, Francis CAPRON
Et René  MAJOR - Annie BERNHARD - Roger COLISSON







La psychanalyse
depuis les années 80 :

crises, dévoiements
et replis


par Pierre Henri Castel

            En 1979 décède Wilfred Ruprecht Bion ; en 1981, Jacques Lacan et Heinz Kohut; en 1982, enfin, Anna Freud. En trois ans, le mouvement psychanalytique perd plus que de grands noms : il perd trois sources d’inspiration théoriques et pratiques essentiellement novatrices, et  la représentante de l’orthodoxie dont elles se démarquaient.

La suite appartint aux héritiers sur le plan institutionnel, aux continuateurs et aux commentateurs sur le plan intellectuel, et à l’exception notable de Jean Laplanche, on ne découvrira ensuite aucune élaboration autonome aussi systématique, ni dans le dogme ni dans l’hérésie. Ce n’est certes pas nier l’originalité de certaines appropriations de la psychanalyse par toute une génération. Didier Anzieu, André Green, Pierre Legendre, en France, Harry Rosenfeld, Richard Britton, Thomas Ogden et Christopher Bollas en Grande-Bretagne, Otto Kernberg et Joseph Sandler, aux États-Unis, ont une œuvre reconnue, discutée parfois au-delà du cercle de la profession. Mais leur capacité à imposer des questions freudiennes à la médecine mentale, à inquiéter la rationalité des sciences de l’homme, ou à peser sur les normes sociales, puis de là sur toute la culture, voilà qui est plus douteux.

C’est plutôt l’inverse qui s’est produit, et la psychanalyse qui a été remise en cause, dans un contexte d’ailleurs contradictoire, marqué par la montée en puissance des neurosciences, par la vigueur anti-freudienne du féminisme, par le déclin des relais que la théorie psychanalytique trouvait dans les humanités et par l’émergence d’une récusation historique et philosophique de l’acquis freudien jugé soit frauduleux, soit scientifiquement inepte. Plus insidieusement mais bien plus radicalement, la psychanalyse n’a pas su résister à sa lente dissolution dans le champ psychothérapeutique contemporain, où la revendication individualiste de bien-être psychique émousse peu à peu ce qui demeure, sur le plan moral, une des ultimes critiques consistantes du moi. Le triomphe des psychotropes s’inscrit dans cette dynamique sociale de privatisation du malaise intime, qui nie les étiologies relationnelles au nom de l’idéal d’autonomie d’un sujet identifié à son cerveau.

            Confrontée à ces sollicitations délétères, assommée de polémiques, la psychanalyse a suivi la voie ordinaire des doctrines fragilisées : le repli sur ses institutions, conçues comme sociétés savantes, mais refuge de l’entre-soi, et, non sans paradoxe, la réduction consensuelle des contradictions entre écoles, internes, donc, à la psychanalyse, à une théorie minimale mais maximalement compatible avec les contradictions externes auxquelles elle était soumise.

Comment ces deux aspects, historique et contextuel, puis conceptuel et doctrinal, sont-ils articulés ?
 
            Situer la psychanalyse au milieu du tourbillon causé dans les sciences psychologiques par l’émergence des neurosciences, c’est d’abord prendre acte du coup que fut, en 1980, la parution du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM3) sous l'autorité de Robert Spitzer, lui-même formé à la psychanalyse. Il proposait une taxinomie multiaxiale des troubles mentaux indépendante des hypothèses étiologiques, qui fut aussitôt comprise comme l'arrêt de mort de la psychopathologie freudienne : car si les troubles mentaux peuvent (voire doivent) être définis sans référence à une dynamique psychique, la voie est libre pour d’autres méthodes, comportementales et pharmacologiques, qui prennent de plein droit les symptômes pour cibles, et les éliminant, élimine le trouble de façon objectivée et quantifiable. Le holisme psychanalytique qui intègre le sens supposé des symptômes à une vie subjective n’est plus qu’un supplément d’âme, réduit analytiquement par la psychométrie, un artefact intentionnel que remplace l’enquête causale. L’affaire Osheroff, en 1990, opposant un patient à la clinique psychanalytique de Chestnut Lodge, au motif qu’on ne lui avait pas prescrit d’antidépresseurs mais d’inutiles séances de psychothérapie, reflète bien cette ambiance anti-freudienne.

Mais si les nouveaux antidépresseurs (moins sédatifs) et les thérapies cognitivo-comportementales centrées sur les symptômes ont été validés dans le cadre épistémologique du DSM3, ce succès (parfois idéologique et commercial) n’a pas pour autant liquidé l’exigence « humaniste » d’un traitement toujours plus individualisé, dont toutes les thérapies, psychanalytiques ou pas, ont retenu l’exigence, ni l’ambition d’une clinique fine de la relation, dont il est apparu peu à peu que les nouvelles connaissances sur le cerveau offrait la base biologique, mais pas le détail proprement subjectif ni concret. Du rejet brutal de la psychanalyse, on passerait donc aujourd’hui à des hypothèses de compatibilité : les concepts freudiens veulent se donner des bases neuroscientifiques (le lancement de Neuropsychoanalysis en 1999 est la trace) ; mais les neurosciences reformulent aussi biologiquement les idées de Freud (l’index en étant un article d’Eric Kandel, « Biology and the future of psychoanalysis : A new intellectual framework for psychiatry revisited », en 2000). L’avenir dira si le projet de traduire un idiome motivationnel à forte charge éthique tel que la psychanalyse (avec son concept du désir) comme l’effet d’un jeu de fonctions cérébrales, est plus qu’une aberration philosophique circonstancielle, dictée par l’effroi d’universitaires psychanalystes et médecins qu’on les raye du champ de la science.

            Car cette rebiologisation de la psychanalyse (qui n’a pour l’heure aucun fruit clinique) a son pendant culturaliste : depuis la parution en 1978 de The Reproduction of Mothering, de Nancy Chodorow, la contestation de la vision freudienne du féminin s’est nourrie des travaux sur le genre, influençant la critique féministe, mais aussi, en lien avec la lecture américaine de Foucault, le militantisme des minorités sexuelles. Les recherches de Jessica Benjamin en sont  l’illustration. Ce courant, mêlant sociologie semi-empirique et combat politique, concurrence la tradition des humanités freudiennes, dont Jacques Derrida était un moteur (de La Carte postale: De Socrate à Freud et au-delà, en 1980, à Résistances (de la psychanalyse) en 1996). Or le thème de la différence des sexes, qui est peu à peu devenu le grand moyen de faire entendre une voix psychanalytique dans le champ culturel, l’expose aussi à bégayer. En effet, pour contrer ce fort relativisme, présumé incompatible avec la clinique, se sont multipliées les considérations normatives inspirées soit de l’ordre symbolique à la Lacan (Pierre Legendre), soit d’un néo-naturalisme platement médical.

Car, à mesure que se perdait la discipline des récits de cas dans la littérature professionnelle, une colossale inflation philosophico-littéraire dépossédait les praticiens du monopole sur la théorie. Aussi, par-delà la lutte entre paradigmes épistémologiques (sciences biomédicales vs. sciences humaines), la psychanalyse s’est peut-être efforcée de résister à son succès comme Weltanschauung, en s’appuyant pour faire valoir son sérieux sur une biologie hypothétique plutôt que sur des performances cliniques vivement contestées. Si cette tendance, combattue chez les élèves de Lacan, ou par Jean Laplanche, n’a pas tout à fait triomphé, elle a occulté les recherches qui tentaient de problématiser autrement les liens intellectuels de la psychanalyse à l’époque : dans des registres très différents, ceux de John Forrester, Michel Henry, Michel de Certeau, Yosef Yerushalmi, Harold Blum, Richard Wollheim, tous difficiles à embrigader dans le combat pour la survie d’un groupe social confronté à un discrédit idéologique majeur.

            Car le pamphlet de Jeffrey Masson, The Assault on Truth, paru en 1984, a servi de détonateur à ce qui fut qualifié Outre-Atlantique, dans les années 1990, de Freud Wars. En expliquant que Freud avait refusé la réalité effective des séductions infantiles de ses patientes hystériques pour les réduire à de simples fantasmes, ce n’était pas juste le pilier de la « réalité psychique » freudienne qu’il attaquait : il faisait converger les réfutations philosophiques de la scientificité de la doctrine avec des enjeux éthiques (l’oppression des femmes), esquissait une historiographie nouvelle renversant l’hagiographie d’Ernst Jones et culminant en un jugement moral sur Freud menteur. Le sommet des Freud Wars fut atteint en 1995 lorsque le Congrès américain reporta l’exposition Freud face aux réclamations d’historiens et d’épistémologues sceptiques (Adolf Grünbaum, Mikkel Borch-Jacobsen, Frederick Crews, et bien d’autres), suscitant la contre-pétition d’Elisabeth Roudinesco et de René Major, qui a confirmé combien la France et l’Amérique latine étaient désormais les bastions de la psychanalyse. Or, examiné de près, ce courant sceptique n’est pas homogène.

L’anti-freudisme associe des partisans de l’hypnose (Isabelle Stengers, Léon Chertok, François Roustang) à ceux qui pensent que la suggestion explique l’apparence de guérison par la cure (Edward Erwin, Marshall Edelson). Il mêle des historiens qui réclament le droit de travailler normalement (Sonu Shamdasani) et de purs polémistes (Peter Swales). Il parachève en fait le règlement de compte d’une génération confrontée à l’arrogance polymorphe du freudisme, jusqu’aux dernières années 70, tant dans la psychiatrie américaine que dans les humanités, notamment en Europe. L’inconvénient de ce vacarme, c’est le silence où il noie des critiques épistémologiques mieux informées (Vincent Descombes, par exemple).

            Mais l’écho de ces querelles, finalement assez savantes, dans les médias, atteste à quel degré la psychanalyse est bien restée, selon le mot d’Auden cité par John Forrester, « a whole climate of opinion». Comme l’avait prévu Robert Castel dès 1980, la psychanalyse n’a été capable de préserver son originalité devant la demande croissante de psychothérapies (censées être brèves, efficaces, et surtout soumises aux idéaux de l’individu, lesquels seront toujours ceux du moi, et pas les risques du désir) qu’au prix d’une idéalisation de ses mérites, et d’un recrutement élitiste des patients comme des praticiens. Cela ne pouvait pas durer. Sans qu’on dispose de chiffres précis, les analystes sont plus nombreux, mais leurs clientèles fondent.

Le procès de 1985 contre le privilège de formation exclusive revendiqué par l’International Psychoanalytical Association a engendré Outre-Atlantique un effet institutionnel symétrique à la multiplication des praticiens dans les écoles post-lacaniennes : beaucoup de cliniciens sans beaucoup de clinique, exposés à des demandes où ils ne reconnaissent que les échos déformés d’un Freud réduit à de vagues promesses d’épanouissement génital.

La querelle de la cure-type opposée à la psychothérapie d’inspiration psychanalytique, qui agite bien des écoles, est le reflet de ce balancement entre la quête de respectabilité intellectuelle et professionnelle, et la survie sociale d’une pratique. A cet égard, la belle enquête d’Ernst Gellner sur les milieux psychanalytiques, The Psychoanalytic Movement: The Cunning of Unreason, parue en 1985, illustre la fin d’une époque dominatrice du paradigme freudien et non son état actuel. Mais un élément d’optimisme rarement souligné est le suivant : la psychiatrie actuelle, qui vise les symptômes, engendre quasi mécaniquement des exclus de la souffrance psychique légitime (les dépressifs « existentiels », les sexualités non-conformistes, les border-line, voire nombre de psychotiques non-reconnus, ou pire, abandonnés comme « asymptomatiques » entre deux crises).

A un certain point, lassés des solutions ponctuelles, ils trouvent le chemin des divans. Or partout les pouvoirs publics veulent encadrer l’accès aux thérapeutes, présumés charlatans, et suspects de manipulation mentale. Et voilà la psychanalyse prise entre deux feux. A droite, l’institution psychiatrique prétend contrôler le traitement des « vrais » malades mentaux (ne serait-ce que pour contrecarrer la pente récente à médicaliser hypocritement tous les désastres sociaux), et cela, par des procédures codifiées, objectivistes et anti-freudiennes (psychotropes, comportementalisme) ; à gauche, la nébuleuse des psychothérapies s’y réfère encore comme au lointain ancêtre, mais en lui greffant des techniques corporelles, masque dérisoire de leur anti-intellectualisme foncier, et en se pliant à des revendications de bien-être incompatibles avec l’essence tragique de la psychanalyse.
 
            Dans ce paysage traversé de tensions multiples, brossées ici à gros traits, l’élaboration théorique du dernier quart de siècle, en psychanalyse, offre aussi des traits contrastés, entre la radicalisation dogmatique et la concession affadissante. Mais elle révèle plusieurs constantes, qu’on peut presque articuler systématiquement.

            La première est l’extension désormais infinie du concept de « contre-transfert » dans le mouvement psychanalytique officiel (non-lacanien). Même dans l’école kleinienne, où l’idée d’identification projective demeurait un simple mécanisme, et où le contre-transfert conservait sa nuance d’insuffisance réactionnelle du psychanalyste confronté au transfert de son patient, la norme d’empathie tend à prévaloir sur la préservation d’une asymétrie fondamentale (Betty Joseph). Les conséquences sont vastes, et déjà, institutionnelles. Car derrière le problème du contre-transfert, il y a celui de la formation des analystes : à quoi doit ressembler quelqu’un capable de critiquer son contre-transfert ? Moustapha Safouan a montré que les normes de la transmission correcte de la psychanalyse s’élaborent dans la réponse à la question. Car on peut craindre les effets de formatage dérivés d’une évaluation de la capacité des candidats fondée sur l’empathie, elle-même contre-transférentielle, de leurs didacticiens. A l’opposé, une résolution complète du transfert dont le critère serait une pure indépendance ne fait pas nécessairement mieux l’affaire, et mine l’institutionnalisation de la transmission.

            La seconde constante des élaborations théoriques récentes est cependant liée à cette difficulté. La méfiance pour les systématisations de l’expérience autre que pédagogiques a cru à l’extrême. Toujours écrasés par Melanie Klein, par Winnicott et par les théoriciens de la relation d’objet, mais en plus par Lacan, Bion et par les multiples versions du self à la Kohut, les psychanalystes ont consacré au commentaire, sinon au digeste, l’essentiel de leurs forces. La marginalité même de l’oeuvre systématique de Jean Laplanche s’expliquer par la méfiance bien exprimée par Forrester à l’égard des constructions épistémologiques : la psychanalyse a tant à dire par le biais de son histoire culturelle et offre tant de ressources à l’exégèse textuelle (la méthode de Patrick Mahony dans sa lecture des grands cas de Freud), que les possibilités des concepts, et donc des extensions de concepts, déterminent un style français désormais minoritaire.

Ce n’est pas nier la valeur des grandes encyclopédies de la psychanalyse, ni des amples fresques historiques qui ont vu le jour, avec Alain de Mijolla et Elisabeth Roudinesco. Mais dans les comptes rendus des pratiques ordinaires, la contextualisation historico-littéraire de pures singularités psychiques s’accommode d’une grande confusion des références, qui accroît l’illisibilité de la littérature professionnelle, et donc la marginalisation de la recherche psychanalytique au sein des sciences humaines. Le ressassement des séminaires ésotériques de Bion, de Lacan (auquel Jacques-Alain Miller aura consacré des décennies), voire d’écrits figés de la tradition complétés de vignettes illustratives, atteste du déclin de l’inspiration et de la crainte d’ébranler les dogmatismes de repli en période trouble. La séduction de paradigmes parallèles (neurosciences, sociologie du genre, etc.) se comprend alors par défaut : l’enjeu d’élucidations novatrices du désir sexuel inconscient est ainsi contourné.

            A cet égard, la grande tentative anti-lacanienne qui fut toujours celle d’André Green, de réhabiliter l’affect contre le primat accordé au langage a certes acclimaté en France la riche tradition britannique. La folie privée, en 1990, et Le travail du négatif, en 1993, ont ouvert des perspectives sur les pathologies rebelles qui échoient de plus en plus aux analystes, en ces temps de pharmacologie et d’intolérance aux excès individuels. Elle reste un isolat rationnel dans les dévoiements induits par un contre-transfert frisant l’empathie sans règles. Le fantôme de Ferenczi, le père de l’idée de réversibilité des places entre analyste et analysant, plane sur ces essais de réduire à la restitution d’une intersubjectivité perdue une cure conçue comme un échange. Armé de réflexions philosophiques sur l’intentionnalité et d’une quête naturaliste de compatibilité avec les théories cognitivistes de l’émotion, Daniel Widlöcher a voulu la capter sous le chef de la « co-pensée » ; de façon plus floue, quoique plus expressive, Thomas Ogden la retrouve sous l’espèce de la « rêverie » partagée avec le patient ; au comble du dévoiement, Owen Renik, « intersubjectiviste » déclaré, abolit le cadre au service des besoins émotionnels du patient. On comprend qu’en 2001 l’Association Psychanalytique Internationale ait mis au programme de son congrès la question de savoir ce qu’est la psychanalyse.

            Enfin l’énigme récurrente de ces travaux est le but qu’ils assignent à la cure, tel qu’on peut le définir à partir des critères de sa terminaison. Rendus prudents par les recherches sur l’efficacité de la psychanalyse vs. les thérapies cognitives et comportementales, les analystes ont tenté de faire valoir d’autres critères que ceux, mesurés par la psychométrie, de réduction des symptômes. Ces critères sont bien sûr holistiques et mettent l’accent sur la capacité à se renouveler psychiquement. Contrairement aux apparences, il est vraisemblable qu’ils auront à la fin gain de cause : la médecine scientifique reste soumise aux exigences démocratiques, et en dernière analyse, ce sont des malades qu’il faut soigner, non des maladies.

Le récent retour en grâce des thérapies interpersonnelles et de la psychanalyse dans la psychiatrie objectiviste de référence, qui est américaine, ne s’explique pas autrement : au paradigme catégoriel pur du DSM, se substituera à l’avenir une analyse en termes de dimensions, sensible à la comorbidité et aux exigences d’intégration personnelle qui ne lui sont pas si hostiles. Mais ce n’est pas le véritable problème. Car on se demande comment les ponts jetés vers les neurosciences par la psychanalyse actuelle ne finiraient pas, et cela laisse plus perplexe, par conduire l’analyste à révéler au sujet, en guise de fantasme fondamental, une sorte de constante psychobiologique privée à partir de quoi tout ferait sens, mais dont il n’y aurait pas de sens. Or, à supposer qu’il existe un désir inconscient, fixé sous forme de fantasme chez un sujet et régissant sa vie à son insu, ce fantasme a-t-il ultimement une signification, offerte à une assomption éventuellement différente, à sa remise en cause ? Ou n’est-ce qu’une image figée, d’ordinaire inconnue, dont la contrainte s’exerce sans dialectique ?

Ce qu’isole le psychanalyste par son opération, est-ce ainsi un fait dernier de l’affectivité (et de la pensée) chez cet individu, ou plutôt un point de rebond chez un sujet, qui restera à jamais lié à sa révélation par un autre, l’analyste, et ouvert paradoxalement à d’autres usages par sa dépendance foncière à l’autre qui aura été le moyen de sa révélation signifiante, mais qui, à la fin, comme analyste, tombe ? Questions complexes qui engagent non le style de légitimation épistémologique requise par la psychanalyse, mais l’éthique au principe de la visée exacte de son objet, et « l’effet de vérité » qui lui est propre.

            L’espace où s’élaborent ces jeux subtils d’aliénation et de désaliénation relativement à soi-même et relativement à autrui, par l’analyse et dans l’analyse, est assurément loin d’avoir livré sa dernière figure. On devine sans mal combien, mesuré à cette aune, l’objection de la suggestion du psychanalyste sur son patient, ou encore l’impossibilité d’objectiver les effets de la cure selon les canons expérimentaux, bref ces réfutations dont on a vu ce dernier quart de siècle enfler la menace, constituent en même temps des difficultés fécondes. Fécondes, cependant, elles ne le seront que si la valeur profondément subversive de la psychanalyse eu égard à l’objectivation imaginaire des liens premiers entre un être humain et un autre (les identifications sexuelles, la filiation) se préserve inentamée, si vif soit le débat idéologique. Or c’est moins là une affaire de théories, ou pire, de postures thérapeutiques, que d’actes procédant d’un travail authentique sur soi.






ENJEUX...,

par Jean Szpirko

 

"Les discriminants spécifiques de la psychanalyse par rapport aux disciplines dites scientifiques et aux psychothérapies"

Le terme "psy" est utilisé pour désigner un ensemble de disciplines souvent mal différenciées, non seulement pour le public profane mais aussi par un grand nombre de praticiens de l'une ou l'autre de ces spécialités. Alors que la terminologie devrait permettre de spécifier différents champs théoriques et clinique : psychologie, psychiatrie, psychothérapie, psychanalyse... les difficultés persistent, comme si les explicitations, d'où qu'elles viennent, étaient mal venues. Sans doute certaines connotations imaginaires relatives à la désignation de ces champs génèrent-elles un malaise [1] . Le mot science comporte lui-même d'autres ambiguïtés, qui nécessitent aussi d'être élucidées. Les fonctions dévolues au savoir nous serviront de boussole pour éclairer, spécifier et rendre transmissibles les différences entre science, psychanalyse et psychothérapies.

Les psychothérapies et la psychanalyse visent à réduire ou supprimer une souffrance. Je qualifierai, ici, la souffrance psychique de deux termes proposés par Cicéron : aegritudo et cupiditas que Danièle Robert traduit par "mal-être" et "manque à être". Je cite son commentaire: "il s'agit avec le premier d'exprimer le malaise moral né d'une perte... avec le second de signifier le regret de ce qui manque pour être pleinement, le désir lancinant, compulsif d'un vide à combler [2]".

A l'origine, Freud considérait la psychanalyse comme une psychothérapie, c'est-à-dire comme destinée à soulager des souffrances physiques dont les racines seraient psychologiques : l'hystérie devait trouver ses étayages dans l'histoire subjective de ses patients. Les symptômes psychiques étaient envisagés à partir du modèle médical. Au fur et à mesure de son développement, la psychanalyse a élargi son champ en questionnant la pathologie psychiatrique, de laquelle s'infère la notion de normalité [3] , et en attribuant d'autres fonctions à la nosographie. Le symptôme cesse de se lire sur le corps du "malade" : il se lit dans le mode d'expression de la plainte. La  nosographie n'a plus, dès lors, pour fonction de différencier le normal et le pathologique, puisque chaque humain est le fruit d'une histoire - grande et petite - dont les nombreux orages inscrivent des blessures plus ou moins vives et explicites dans la quotidienneté des mots et des actes de la vie.

La psychanalyse s'est intéressée aux racines de la subjectivité, au point d'élargir son interrogation à des thèmes jusqu'alors abordés par des théologiens, des philosophes, des politiciens, des artistes..., proposant un nouveau regard sur " le malaise dans la civilisation ". Dans cette perspective, l'objet de la psychanalyse n'est pas de formuler une "conception du monde", mais de mettre à jour celle que chacun se formule en silence, de repérer les fonctions qui lui sont dévolues et d'élaborer la façon dont les représentations qui modèlent la réalité génèrent, dans le même mouvement, inhibition, symptômes, angoisse, démarche de connaissance et création. La question peut se poser de savoir si de telles élaborations appartiennent au registre des croyances [4] ou sont le fruit d'une approche susceptible d'être confrontée à celle des sciences. Répondre à cette question implique de développer certains préalables, afin de tenir compte des ambiguïtés et des présupposés insus que chacun transporte avec lui.

Sciences dites "exactes" et sciences dites "humaines"

Le public reconnaît que l'acquisition des "savoirs" (concepts, références, modes opératoires) pour certaines disciplines nécessite des efforts d'apprentissage, et du temps. Ces "savoirs" ne sont donc pas considérés comme constitués de données immédiatement accessibles à la conscience. Par contre, pour d'autres disciplines, affectées au registre des sciences dites humaines, chacun estime être plus ou moins concerné et avoir son mot à dire - à juste titre : ces disciplines comportent, en effet, une dimension subjective explicite, qui implique de tenir compte des singularités en regard de propositions qui ambitionnent d'accéder à un statut universel.

Les sciences humaines s'appuient sur des textes d'auteurs, parfois vénérés, qui constituent des références [5] : des réalités objectivables, dans la mesure où elles théorisent des "faits" accessibles à d'autres qui disposeraient de la même formation, des mêmes concepts. Ces réalités sont pourtant empreintes d'une certaine subjectivité. Le statut d'une référence, même prestigieuse, dans le domaine des sciences humaines, est différent de celui que revêt une preuve - objective - dans les sciences expérimentales, pour lesquelles les concepts moins nombreux,  font davantage consensus. Cette particularité justifie que les références dans les sciences humaines ne font pas toujours l'unanimité : elles sont assimilées à des convictions intimes, des croyances issues d'une certaine façon de "lire", "d'interpréter" le monde, en lui affectant "un sens" - qui peut faire école.

Dans les sciences humaines, les énoncés de références, qui tiennent la fonction de savoirs, sont souvent assimilés à des opinions d'auteurs qui n'ont trouvé leur renommée que parce qu'un public (lecteurs, élèves, disciples...) a été intéressé, séduit, convaincu, "converti". Tout se passe comme si des opinions singulières d'auteurs, dont les prestiges éventuels confèrent à leurs productions le statut de références, pouvaient être assimilées à des croyances. Ce processus est intéressant pour la réflexion : la conviction peut être engendrée par d'autres moyens que ceux de la démonstration en faisant appel à ce qui serait du registre de la conviction intime - au nom de laquelle la " vérité " se décide ou s'affirme en droit. Cela induit certains effets, comme si partager une croyance avec d'autres conférait à cette croyance une " valeur ", tout comme dans les religions où il n'est pas question de soumettre un énoncé de référence à l'épreuve de la critique ou de l'expérimentation.

La "vérité" revêt différentes figures selon le champ où elle est invoquée, ce qui occasionne de nombreux malentendus, non seulement à propos de la psychanalyse mais aussi à propos de ce que certains qualifient de science, et en particulier de "science molle". Après avoir dégagé le concept de science de certains présupposés, il nous sera possible de mieux discriminer les enjeux spécifiques de la psychanalyse de ceux des psychothérapies.

Résumé

Il s'agit d'éclairer les différences entre pratiques qui se référent au champ " psy " - en particulier, la psychanalyse et les psychothérapies - en prenant les sciences comme instrument de mesure. Les critères qui permettent de spécifier et de départager les champs, les théories et les pratiques, ont fonction de discriminants à partir desquels il est possible d'essayer de penser : établir des différences et orienter les réflexions.

A l'origine ce texte dans sa totalité a été publié dans Les lettres de la Société de Psychanalyse Freudienne N°7. 2001.
Il reprend un exposé présenté à un  moment où il s'agissait de lever certaines confusions auprès de parlementaires qui s'apprêtaient à légiférer.

Notes :

[1] Une revue appelée "Psychologie", destinée au grand public, offre abondamment ses rubriques au paranormal : astrologie, voyance et différentes formes de sorcellerie.
[2]
Cicéron. Devant la souffrance. Arléa. 1996, p 11.
[3]
Michel Foucault. Naissance de la clinique. PUF. 1963.
[4]
Bertrand Russel. Science et Religion. Gallimard.
[5]
Jean Szpirko. Incidence du référent dans les textes de psychanalystes. L'effet de sens. Edité par l'AFORESH. 1997.




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