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Boris Cyrulnik,
Sommaire
de la page :
- Pour éviter tout
malentendu sur Boris
Cyrulnik?
- Résilience & Cerveau, et psychothérapie (2 vidéos en ligne)
-
A propos de Freud et la psychanalyse?
- Les
limites d'un concept et
l'intégrité d'un homme
- Sommes-nous
égaux devant le bonheur?
- Liens sécures et
insécures (vidéo en
ligne)
- Deux entretiens avec Boris
Cyrulnik :
Extraits sur la
résilience
(Le Monde de
l'éducation et le
Courrier de l'Unesco)
- La résilience,
c'est "le ressort
intime face
aux coups de l'existence"
-
Bibliographie, ou choix de lectures
Pour éviter tout malentendu sur Boris Cyrulnik?
Lionel Mesnard, le 4 novembre 2010
Ne nous trompons pas sur Boris Cyrulnik, certes il y a
l’individu
médiatique, mais il y a surtout une œuvre
relativement
dense, et, qui ne se limite pas au seul concept de résilience.
Il est
le premier à être conscient que tout le monde
n’aura
pas la chance de surmonter certaines épreuves de la vie. Il
faut
se méfier du temps médiatique et rien ne vaut de
connaître le
professeur Cyrulnik par
ce qu’il a écrit. Ses livres ne se
résument pas à une
approche limitée, il est même un bel exemple pour
la
pluridisciplinarité scientifique du fait de son parcours
professionnel : psychiatre, psychanalyste, éthologue,
enseignant
et essayiste. Il est de la même veine qu’un Henri Laborit
ou un Edgar Morin, et cet homme n’est pas un normalisateur,
ni un
régulateur social.
Que la résilience soit devenue une tarte à la
crème, il n'y a pas de doute, mais en ce domaine son
travail pratique consiste pour exemple à créer et
appuyer
des lieux
d’accueil pour des enfants en Amérique Latine. Son
objectif n’est pas d’imposer un dogme ou une norme.
Ce que
je soulignais dans la note précédente de 2005
(ci-après) c’est
le rôle que la notion de résilience peut avoir
dans
certaines situations sociales. Ce que j’en ai tiré
de
positif et de constructif, c’est le rôle du travail
de
création et les espaces où des individus sont
amenés à échanger et partager. Dans
ces
circonstances, des mécanismes résilients sont
possibles
et peuvent permettre à des individus de surmonter certaines
épreuves. Ce peut être aussi un outil
d’analyse et
de pratique pour des professionnels face à des personnes en
situation difficile ou fragile. Qu’ensuite les
médias de
masse aient fait de son concept une solution miracle, c’est
une
autre
affaire. Comme toute mode ou effet de masse, il y a un temps de
balancier et il n’y a pas
à tomber dans l’excès inverse, non
plus.
Tout individu peut-être amené à
souffrir tout
au long de sa vie, il n’est pas pour autant
condamné
à se vivre dans la souffrance éternellement. De
toute
façon, la vie n’est pour personne un long fleuve
tranquille, et mieux vaut se méfier des
généralités et des raccourcis. Il y a
plutôt
de quoi s’inquiéter d’une sorte de
quête du bonheur permanent, et de comment certains
scientifiques
moins scrupuleux font un commerce très lucratif de la
souffrance
humaine. Oui, il existe des charlatans et des compagnies
pharmaceutiques faisant de bonnes affaires sonnantes et
trébuchantes. Au pays champion du monde des traitements
neuroleptiques, le consommateur est une cible de choix et si vous ne
baignez pas dans ce flot dédié à vous
anesthésier, ne craignez rien, vous êtes
peut-être
dans la vérité... Dans un monde qui vise
à produire
toujours plus, il faut que l’humain soit performant.
L’individu doit répondre à des
critères lui
permettant de vivre au sein de la norme et il reproduit ce
qu’un
"système" lui impose comme préceptes moraux. Mais
attention
de ne pas juger, le fait d’accepter ou de se conformer
à
la norme n’est pas un mal absolu, c’est la
réalité la plus courante.
Avant que Boris Cyrulnik et d’autres viennent mettre un nom
sur
un processus humain, le fait d'être en situation
résiliente était de mise. Une rencontre peut
venir
bousculer une existence en bien comme en mal. Nous ne sommes
à
l’abri de rien, ni du pire, ni comme du meilleur. La lecture
de
son œuvre peut trouver un sens et pas obligatoirement ce
qu’en a traduit un journaliste d’un journal
féminin
ou en vogue. Ne réduisons pas un travail, une vie
à des
considérations fausses. Les écrits de Boris
Cyrulnik ont pour but des
vous
questionner, il n’y a pas à chercher une
réponse, une solution, mais trouver ce qui vous concerne et
peut
vous aider à mieux appréhender la vie. Si
vérité il y a, c’est qu’il
n’en existe
aucune justifiant l’horreur de la guerre ou la
volonté de
soumettre une population à un dictat, de même
d’un
viol de son intimité mentale ou physique. Il
n’est pas simple de se relever de telles épreuves.
Boris
Cyrulnik commettrait-il un crime à chercher des relations
plus
apaisées au sein de nos relations humaines?
L’idée que nous soyons artisan ou jardinier ou
tricoteur
de notre existence a un sens, cela met en lumière la
capacité de notre imaginaire à
interférer sur le
cours des choses. Si nous réduisons
l’être en
souffrance à sa seule souffrance, ou à un seul
statut de
victime, il est dans ce cas difficile d’agir. Face
à
l’inhibition de l’action, un individu peut courir
de grave
danger, notamment physiologique et en particulier des phases
dépressives et dépréciatives. Nous ne
pouvons nier
non plus des réalités biologiques connues et
reconnues.
Un être heureux est un être gratifié et
l’accès à ce bonheur est dans la norme
ou plus
exactement dans les fondements de notre éducation, le fameux
surmoi freudien. La question n’est pas de réduire
l’Homme à une seule réalité
biologique, mais
de pouvoir articuler une pensée à partir de
plusieurs
domaines de la recherche, qu’elle soit en sciences humaines
et
sociales, ou du domaine des sciences du vivant. C’est tout
l’intérêt que nous avons de
connaître et
d’avoir des chercheurs capables de croiser plusieurs savoirs,
et
cette démarche ne peut se forger que par une approche
critique,
et une lecture de même.
«
Je fais partie de ceux qui pensent que l’on n’est
pas
obligé de raconter son secret sur la place publique pour
aller
mieux. On peut, que l’on soit adulte ou enfant, utiliser le
para-dit en écrivant, en mettant en
scène… On se
libère de son secret sans pour autant le dire. Les enfants
résilients deviennent de grands créatifs, et
transforment
leur blessure en œuvre d'art pour mettre une distance entre
eux
et leur traumatisme : ils sont souvent écrivains,
comédiens. Certains se tournent vers les autres, et veulent
s'engager socialement (œuvres humanitaires,
éducateurs de
rue, …), ou s'orientent vers de longues études
(souvent
en psychologie) : ce qu'ils veulent avant tout, c'est devenir l'auteur
de leur destin. Ce sont des décideurs parce qu'ils n'ont
rien
décidé de leur enfance.» (Boris
Cyrulnik).
« Si
on ne sait pas qui on est,
on est ravi qu'une dictature vous prenne en
charge »
Boris Cyrulnik
"La résilience dans les situations extrêmes" (64 minutes)
"Cerveau et psychothérapie" (70 minutes)
Résumés des vidéos de l'Université de Nantes (année 2015) :
Vidéo I : "Dès le stade foetal apparaît une
mémoire sans souvenirs que précèdent les traces de ce dont nous sommes
issus. Ces traces de vie nous submergent ou nous manquent, nous
enchantent ou nous hantent, nous subliment ou nous sidèrent
lorsqu'elles sont liées à l'innommable, nous repèrent ou nous perdent,
souvent nous trompent, toujours s'estompent. Différentes formes
d'expression, l'art comme le récit, les rappellent à leur façon.
Celui-ci peut se faire à bouche fermé, être partagé, il forme notre
alentour comme il nous forme ou nous déforme. Qu'en faisons-nous,
ancrent-elles nos douleurs ou sont-elles factrices possibles de
résilience ? A l'occasion de l'hommage rendu à Germaine Tillion au
Panthéon, mercredi 27 mai 2015, Boris Cyrulnik revient sur la vie de la
résistante française pour développer la théorie de la résilience dans
les situations extrêmes".
Vidéo II : "Les performances techniques des images du cerveau
associées à la clinique neurologique et à la psychologie permettent
aujourd’hui d’aborder le problème d’une manière non dualiste. Les
avancées confirment les intuitions de Freud sur la réalité de
l’inconscient et les théories analytiques permettent aux
neurobiologistes de mieux saisir ce qu’ils observent. D’ailleurs, un
nombre croissant de psys s’offrent une formation en neurologie, tandis
que les neurologues ont un peu moins peur de s’allonger sur le divan."
Invité de l'Université permanente, Boris Cyrulnik a dispensé une
conférence intitulée "Cerveau et psychothérapie".
À
propos de Freud
et
de la psychanalyse?
*
Compte-rendu
des propos de Boris Cyrulnik, le 8 avril 2011 à
Ollioules (Var)
Boris
Cyrulnik introduit la conférence...
Déjà, dans l'Antiquité, le
théâtre grec avait une fonction, celle de
médiatiser les questions existentielles. La
représentation avait pour
objet de mettre à distance l'affect des spectateurs: ce que
je vois,
représenté sur la scène, c'est moi.
(…) Jean Charcot, à la
Salpêtrière, avait désigné
Pierre Janet comme
son successeur. Freud se sentait en rivalité avec lui...
Différences
des tempéraments: Janet était un praticien
travailleur," qui a brûlé
par la suite tous ses dossiers. C'était le genre de personne
qui
prenait des notes sur ses "patients", qui les leur lisaient ensuite
pour savoir, s'ils étaient d'accord avec ce qui avait
été écrit...
Charcot était un solitaire... Pas du tout le style de Freud,
qui
parlait de sa bande".
Il arrivait que Charcot invitât Freud chez lui, lors de
soirées. Ce
dernier était intimidé par le niveau de vie
bourgeois de Charcot. Et il
avait remarqué que lorsqu'il mâchait une graine de
cocaïne, il était
beaucoup plus détendu... Henri Ellenberger a fait un travail
d'archives
sur la vie de Freud. Il en ressort que lorsqu'on parle de ses
débuts laborieux, on participe à la
légende..." Le héros d'une
épopée
doit avoir été persécuté".
Par exemple, la question de la sexualité
infantile était loin d'être un tabou dans la
société viennoise de la
fin du XIX° siècle.
Boris Cyrulnik, qui a visité l'appartement de Freud
à Vienne, a pu lire
les journaux de l'époque. On y voit que la
psychanalyse avait
fait des adeptes, et qu'on y faisait de la réclame du style.
«Devenez
psychanalystes en trois semaines, ou en dix
leçons». Alors Freud,
a-t-il "inventé" l'inconscient? Il est bien difficile
lorsqu'une idée
est dans l'air, d'en attribuer la paternité à tel
ou tel.
« Toutes les sciences, qu'elles soient "molles", ou "dures"
procèdent
par ajustements successifs. On met en avant ce qui marche, et
l’on
gomme ce qui ne fonctionne pas comme on le souhaiterait. Ce qui vaut
dans la psychanalyse vaut également en médecine.
» (B.C. cite des
anecdotes sur les théories en médecine, qui se
succèdent et se
contredisent).
Il arrive aussi qu'une observation, en éthologie animale par
exemple,
entraîne une transposition qui deviendra un concept dans la
théorie
psychanalytique. C'est le cas du "stade du miroir",
formalisé et
développé par Lacan, mais déduit d'un
comportement observé en éthologie
animale par Konrad Lorenz (phénomène de
l'empreinte). De même, Lacan a
emprunté sa distinction entre le "réel" et
"l'imaginaire ». "Il est à
noter que Lacan a cité très
honnêtement ses sources." Puis,
Boris Cyrulnik, aborde la période contemporaine,
mêlant son itinéraire
personnel aux mouvements qui jalonnent l'avancée des
sciences
humaines.
Après
la
guerre...
L'idéologie nazie "était encore
très présente dans l'approche du
fonctionnement du cerveau et du psychisme, tant en France qu'en
Angleterre et en Allemagne." Les schizophrènes
étaient considérés comme
des dégénérés". Les travaux
de Freud étaient mal connus. Le livre "La
première année de l'enfant" écrit par
René A. Spitz et préfacé par Anna
Freud comportait dans sa première
édition, une bibliographie
largement puisée dans des ouvrages d'éthologie.
Cette bibliographie a
disparu par la suite, à mesure de la progression de la
psychanalyse.
L'éthologie, étude des comportements (animaux et
humains) en lien avec
la biologie (et la chimie) étaient alors
considérées comme les seules
sources de soins aux personnes souffrant de troubles psychiques. On
découvre les écrits de Freud. Leur traduction et
leur étude ont
constitué, face aux théories fondées
sur la biologie,"une formidable
bouffée d'oxygène dans les années
1950-1960."
Ainsi, il était possible d'améliorer le
sort des "malades de
l'esprit" autrement que par les drogues, l'enfermement ou les
électrochocs dans le cas de troubles du comportement
risquant de mettre
en péril le malade et/ou la société
! Le problème, c'est que l'on se
trouvait en présence de disciplines disparates (mais
complémentaires) :
l'éthologie, étude des comportements d'un
côté, et la psychanalyse,
théorie de l'inconscient -déconnectée
du réel - de l'autre.
Boris Cyrulnik s'est trouvé à former des
psychanalystes à l'éthologie.
Assez vite une controverse est apparue.
Fallait-il
enseigner la psychanalyse à l'Université ?
Deux tendances s'affrontent:
- la société des psy qui
s'autogérerait : la condition pour être
analyste étant d'avoir vécu une
analyse; la compétence pour être
analyste étant reconnue par les " pairs".
- l'enseignement universitaire: l'argument de base
étant d'
homogénéiser les pratiques... mais, quid de
l'analyse de l'analyste ?
La psychanalyse peut-elle se réduire à
des connaissances
théoriques " froides" c'est-à-dire sans le
vécu du transfert, qui est
la particularité de l'expérience analytique?
L'analyse dite
didactique est-elle suffisante? Après mai 68, la
psychanalyse est
enseignée à l'Université. On assiste
ensuite à la formation de "clans"
fermés les uns aux autres, et repliés sur
eux-mêmes. Ils ont une "
théorie" hors de laquelle point de salut.
Une théorie a pour but et pour intérêt
de présenter une cohérence...
Mais cela peut virer parfois à la perversion ou
à la paranoïa. Si
l'on n'est pas reconnu par le clan, on est exclu. Les membres restent
entre eux... Dès lors, la
théorie paraît de plus en
plus cohérente; le clan se sent de plus en plus fort, mais
c'est une
illusion, car vient le moment où, faute de faire de la
recherche, de
remettre en question la théorie, celle-ci se trouve
désadaptée à la
réalité. Et là, elle peut s'effondrer
sur une simple pichenette...
"Appartenir à
un clan, c'est la
pensée paresseuse"
On récite un catéchisme, on fait du psittacisme.
C'est la même chose en
biologie: croire qu'une molécule, à elle seule,
peut guérir le
psychisme, c’est vain. On arrive ainsi à des
absurdités; il y a celui
qui croit qu'une molécule peut guérir une
névrose obsessionnelle, et
celui qui affirme que l'origine de cette névrose viendrait
du fait que
la mère a mis son enfant trop tôt sur le pot !
En revanche, le
mélange des techniques peut donner des résultats
en termes de guérison
; on n'est pas dans le "tout par la parole", ni dans le " tout par la
chimie".
Il prend l'exemple de Laborit, médecin de la Marine,
à l'Hôpital
Sainte-Anne, à Toulon et sa "découverte" du
lithium. On avait observé
dans une tribu africaine, que certains maux psychiques
étaient soignés
par le fait de faire sucer une pierre blanche aux malades... Un savoir
empirique, donc. Après analyse, on trouve du sel, du
magnésium... Et on
découvre des traces de lithium. Même si la
découverte du lithium (et
son adaptation en quantité compatible à la
pharmacopée) n'est pas
attribuée à Laborit, cette
découverte - toute empirique qu'elle
fût - a participé à
la généralisation de son usage pour
soigner les manifestations des troubles maniaco-dépressifs.
"Quand on me demande de
choisir
entre deux voies ? je
choisis la
troisième" (Woody Allen)
(…) Boris Cyrulnik dit privilégier le croisement
des disciplines. Il
travaille avec des sociologues, des psychiatres, des anthropologues,
des éthologues. «Et tout ce monde travaille bien
ensemble». Ils
pratiquent l'étude systémique. La personne est en
interaction
permanente avec son milieu, et si un élément
bouge, tout bouge.
L'exemple le plus simple est le système respiratoire,
composé
d'éléments
hétérogènes, mais en interaction
permanente. Si l'on ôte un
de ces éléments, le système se
bloque.
Comprendre et soigner, ce n'est pas la même chose. La
psychanalyse peut
sauver des gens dans la détresse, après un trauma
entre autres. Il
ajoute que l'idée de la "séance"
sécurise. Mais, il récuse les
"intégristes" de la psychanalyse. Karl Popper a
reproché à la
psychanalyse de ne pas être scientifique". Mais la
psychanalyse, ça
marche! Elle établit un rituel des séances.
Comment expliquer ce qu'il
se passe en dehors des séances, donc, en l'absence du Psy?
Un travail
est en marche... Il y a le temps des séances, et le temps
hors
séances qui est également un temps de
travail de l'inconscient du
sujet, sur lui-même. Le nombre de personnes qui
témoignent du fait, que
la psychanalyse les a sauvées suffit à montrer
son efficacité !" (….)
«
Non, les gens ne communiquent pas »...
Ou pas comme il le faudrait parfois. C'est justement parce que dans les
familles, on est trop proches, qu'on ne peut pas dire
certaines
choses. Parce que si on les disait, cela aurait des
conséquences qu'on
ne veut pas vivre ". Le psy est proche, mais on ne lui est pas "
lié"
sauf le temps de l'analyse.
Et c'est ce qui permet de dire des choses, de les sortir de soi. Le
concept de "horde primitive" a été
évacué, parce que la psychanalyse
progresse. Les psychanalystes ne s'y réfèrent
plus. L'empathie et la
morale ont existé avant l'Homme (chez les animaux par
exemple). Sur la
découverte de l'inconscient, quand une idée est
dans l'air, il est
difficile d'en attribuer la découverte à
quelqu'un.
Vous savez qu'il y a 1% de différence entre le capital
génétique du
chimpanzé et celui de l'homme, mais qu'il y a 10% de
différence entre
celui de la femme, et celui de l'homme ! Sur la question des sciences
en relation avec la statistique: si l'on rapporte le nombre de
relations sexuelles au nombre d'enfants qu'une femme met au monde.au
cours de sa vie..... on serait fondé à
déconnecter la procréation de
l'acte sexuel ! (…)
A
propos de
la guérison…
Boris Cyrulnik prend l'exemple de Françoise Giroud, qui a
fait des
dépressions à répétition.
Soignée par la chimie. Deux ans après en
être
sortie, elle a fait une cure analytique avec Lacan. Et elle
écrit : "
C'est Lacan qui m'a guérie"... Que s'est-il passé
? Elle était sortie
de la maladie physique de ses dépressions... Avec Lacan,
elle a changé
sa vision du monde, et c'est ce qu'elle appelle sa " vraie
guérison." A
supposer que le terme de guérison soit abusif ( on n'a pas
100% de
réussite), ces personnes ont pu changer leur
représentation
d'elles-mêmes, et vivre plus en harmonie avec cette
représentation
nouvelle.
Il s'agit d'un travail d'élaboration qui se fait lentement.
C'est un
travail sur soi-même, pendant les séances et en
dehors des séances
... Par ailleurs, un trauma peut entraîner des
conséquences graves.
Combien de personnes évoquent que depuis tel ou tel fait, "
plus rien
n'a été comme avant", ou encore "qu'elles ne
voient plus la vie de la
même façon ?
"La Psychanalyse permet de changer d'opinion sur le monde, sur la vie".
Et puis, une théorie peut ne pas être explicative
de tout ce qui marche
!" A propos de science " qui s'impose"; on a longtemps cru que le
patrimoine génétique n'était
apporté que par l'homme, et que la femme
n'était que "porteuse"...Et pourtant, ça marche,
puisque nous sommes
maintenant presque 7 milliards d'humains sur terre ! (…)
« Je pense qu'il
y a là une
confusion
entre la parole "affective" et la parole " informative" »
En psychanalyse, "on se donne rendez-vous pour parler de soi comme on
ne peut le faire nulle part ailleurs. C'est cette proximité
qui donne
un poids aux mots... Un poids qu'ils n'ont pas dans la vie
quotidienne" Et puis, tout le monde n'a pas accès
à la parole abstraite
de la philosophie, ou des mathématiques. De même,
d'autres ne sont pas
accessibles à la psychanalyse". C'est dans les familles
qu'on se dit le
moins de choses. La psychanalyse a apporté
à la civilisation
occidentale une prothèse à des
défaillances familiales et
culturelles."
Source initiale : http://blogs.mediapart.fr/blog/netmamou
du 26 04 2011
Les limites d'un concept et l'intégrité d'un homme
Boris
Cyrulnik est à la fois
psychiatre, neurologue, éthologue, psychanalyste et
professeur d'université. Il s'est fait connaître
pour des ouvrages de vulgarisation scientifique, notamment sur le
comportement animal, la fonction biologique du langage et plus
récemment sur la notion de résilience.Ses
ouvrages atteignent facilement 100.000 exemplaires et aboutissent la
plupart en édition de poche, donc pas la peine de se
précipiter pour acheter le dernier, et il est même
fortement conseiller de débuter par ses premières
publications. On peut y voir un phénomène de
société, un succès
d'édition, il s'agit d'une demande du public en la
matière.
Et, il y a
vraiment de tout
et surtout n'importe
quoi dans les rayons "psy" ou sciences de l'âme. Un
âne qui écrirait sur la question de la
dépression pour expliquer en 230 pages en quoi sa
méthode fonctionne serait quasiment assuré de
trouver un lectorat, s'il trouvait un éditeur, et, des
éditeurs pas
toujours scrupuleux ils s'en
trouvent. Boris Cyrulnik, à ce sujet, n'est pas ce que l'on
pourrait appeler un charlatan. Tout au contraire, il n'y a pas
à lui reprocher d'élargir un peu le cercle des
connaissances en direction du plus grand nombre. Jusqu'à ce
qu'il aborde la question de la résilience, ses livres ont
ouvert des domaines jusqu'à là peu
abordé en dehors du monde universitaire ou de la recherche.
Du moins en quoi l'observation des animaux et de leurs comportements
permet d'éviter certaines idées reçues
et de mieux comprendre notre propre complexité.
"En
débarquant sur Terre, toute espèce vivant
possède une espérance de vie de 7 millions
d'années. Nous venons donc de naître puisqu'il n'y
a que trois millions d'années que nous nous arrachons
à l'animalité, que nous marchons sur nos pattes
postérieurs, que nos mains libérées
fabriquent des outils ; il n'y a que trente mille ans que nous sommes
devenus "savants", que nous nommons nos pères, que nos
récits racontent les mythes qui nous façonnent et
que nos techniques utilisent les lois de la nature pour
échapper à la nature. Nous avons encore droit
à quatre millions d'années ! C'est pourquoi il
faut redonner la parole aux lions, car l'homme qui vient de
naître n'est pas encore hominisé.
Peut-être en aura t'il le temps?"
(In Les nourritures
affectives).
Comprendre
pourquoi nous tombons amoureux,
à quoi rêve un fœtus, ou la place de la violence
dans nos sociétés humaines, sont des questions
qui pourraient être à mille lieux du monde animal
? Sauf à tout
mélanger et donner à un albatros des
particularités impropres, dans ce cas attribuer
à cet oiseau des sentiments humains. Il y a à en
comprendre qui est l'Homme au sein des espèces,
c'est-à-dire un animal
supérieur dans le meilleur des
cas. Le dernier maillon de la lignée des grands singes
profitant d'un larynx bien ajusté, lui permettant de
s'exprimer et produire du sens.
Dans cette organisation des
espèces, ce qui nous distingue, c'est le langage et ce qu'il
nous offre comme possibilité d'action dans un
réel bien trop souvent halluciné et auquel nous
faisons participer nos animaux familiers. Des chiens qui aboient pour
répondre à nos sollicitations, ce n'est pas
possible en pleine nature, un chasseur est avant tout silencieux. Et
c'est ainsi qu'un caniche ou un labrador va se prendre pour un
"sur-chien", il n'est plus vraiment une bête commune, sans
pour autant être un humain. La transformation de nos modes de
vie en occident est telle, que la volonté de domination des
hommes s'avère sans limite et à bien des
égard négatives.
Faire
entrée
le débat scientifique, dans un ensemble de
problématiques sociales ou politiques peut participer
à ce que la question du réel soit mis sous cloche
ou aborder avec précaution. De quel
réel parle-t-on, le sien
propre, celui de l'autre, ou globalement le nôtre, ou de
quelque chose
de si abstrait que chacun à son idée Tout
le travail de Boris Cyrulnik consistant à faire tomber
certains mythes fut utile pour faire comprendre que le travail
scientifique le doit pour beaucoup à l'observation. On ne
porte pas son attention sur un canard ou un humain dans les
mêmes termes. Si les comportements des espèces ont
certaines communautés, depuis quelques milliers
d'années, l'Homme à su transcender son univers
grâce au langage. Il s'est cru si supérieur, qu'il
a cru en la quête d'un surhomme.
Cette
"philosophie" a fini par
servir les pires ordres totalitaires
du vingtième siècle. Ce n'est pas si anecdotique
que de dé-sublimer ou désenchanter le monde, il
est plus riche de rendre notre espace et ce qui le compose plus
conforme à ce qu'il est. C'est même passionnant
que de pouvoir pousser la question de la raison plus loin, et avec une
approche en grande partie fiable ou valide. Savoir pourquoi les animaux
répondent eux aussi à des situations de stress,
à une défense de leur territoire, comment une
population animale peut se développer et aussi
disparaître ? Ces questions ne sont pas anodines et l'apport
de l'éthologie est un domaine d'une grande
fraîcheur.
Boris
Cyrulnik, au fil
de ses écrits constatera que son histoire personnelle allait
se retrouver pendant le procès de Maurice Papon mis
à jour. Un retour en arrière qu'il n'avait pas
prévu. Il
écrira du coup sur ces jeunes années et comment
pendant l'occupation nazie, un petit français de confession
juive se sortira de ces années sombres. S'ouvrira peu
à peu la page "de la résilience" en France.
L'interrogation fut de savoir pourquoi un enfant se nommant "Bernard"
(alias Boris) échappera aux rafles ?
Cette
actualité surgira et viendra remettre à vif une
partie de la vie de Boris Cyrulnik, et ses propres interrogations
à ce sujet: comment échappe t'on à
l'horreur ? Comment peut-on traverser de telles
difficultés, quels sont les mécanismes pouvant
intervenir et aider à avancer, voire survivre, puis revenir
au monde et à la lumière des vivants en quelque
sorte ?
Le petit Bernard a eu beaucoup de chance, il
a pu
aussi
à certains moments clefs rencontrer des personnes qui
l'aideront à dépasser ses peurs, ou certaines
épreuves. En soit, notre professeur croit que chacun peut en
lui trouver des ressorts face aux
déséquilibres de l'existence, non point pour une
merveilleuse vie, mais en se tricotant une histoire ou
possiblement on peut se reconstruire dans un espace plus propre
à son désir. Il est possible que le vilain petit
canard deviendra
cygne, mais si le vilain petit canard est vraiment un "affreux"
caneton, il y a là un piège dans lequel il ne
faut pas tomber. On peut créer de vains espoirs et courir
tout doit dans un mur.
Ce
qu'écrit
Boris Cyrulnik ne sont pas des inepties, il y a des outils à
en exraire. Il est offert à
chacun de trouver une
forme
d'épanouissement, rien ne dit pour autant que cela soit
monnaie courante chez tout le monde. C'est aussi un peu le danger de
tomber dans une vulgate, un langage spécialisé de
plus, pire s'il en devient un mot ou une expression
banalisée. Certes notre capacité à
sublimer est sans réelle limite, mais tout le monde n'est
pas Boris Cyrulnik.
L'homme est passionnant, sa vie est
singulière, mais il semble pousser parfois des portes
ouvertes avec
sa propre résilience, qui est en fait un
témoignage. Et le professeur Cyrulnik peut participer
à une certaine
confusion. Plus les scientifiques nous
expliqueront ce qu'ils font, et de manière relativement
simple, plus cet échange d'information permettra au plus
grand nombre de suivre les progrès de la science et leurs
multiples applications. Mais de là à vendre une
solution préemballée à monsieur tout
le monde, restons prudents. Ce n'est pas l'humanité ou
l'honnêteté de cet homme qui est en cause, mais
certains travers marchands et médiatiques. Notre perception
est à tout propos hallucinée, attention si rien
ne vient pas un peu alimenter la critique et de garder une
distance certaine avec certains concepts rapidement
galvaudés.
Il
serait plus
constructif serait de mettre cette idée "de
résilience" à l'épreuve des faits.
Du moins ce concept n'altère
en
rien l'idée de porter secours à autrui, notamment
aux enfants dans les lieux éducatifs ou hospitaliers, c'est
une
donne supplémentaire pour les personnels
éducatifs et soignants. Savoir être à
l'écoute, et pas du seul visible, c'est fort utile pour ne
pas en rajouter à des systèmes relativement
rigides et parfois très austères et
contraignants. "L'iceberg social", quoi, qu'est ce cette terminologie?
C'est ce qui explique en psychologie comment en chacun de nous ou chez
l'autre, il y a ce que l'on voit, et ce qui ne se devine pas. L'image
de l'iceberg avec une faible surface immergée illustre la
mince connaissance que nous pouvons avoir de l'autre en situation
sociale.
Ce qui peut
amener aussi à
faire des erreurs de
jugements, voire mettre en danger des personnes, ou simplement
provoquer un malaise sans en connaître l'origine. Ce n'est
pas simple
un
Homme et c'est aussi le fruit d'une morale, d'une
société, et d'une famille, et de sa
capacité à se distinguer comme individu
à part entière, ou de se limiter à une
culture, voire à des traditions. Nous avons besoin de rite
de
passage, de formes initiatiques, et nous avons à
transmettre des informations de plus en plus complexes.
L'observation
est une source considérable du travail scientifique.
Et c'est en
cela que le monde peut s'ouvrir
à tous, quitte à écorner un peu celui
qui a pu vous ouvrir les yeux. Nous sommes appelés
à devenir un peu plus grands que nos pères ou
géniteurs et cette question est un des aspects du rapport
entre dominants et dominés et des changements qui
interviennent quand une génération livre combat
à ses aînés. En
général pour reproduire le même
modèle, le même système de domination,
et s'il existe des formes résilientes pour en
dépasser l'arbitraire, il ne faudrait pas
mélanger des données empiriques soumises au jeu
de la mémoire, pour en construire une solution pour tous.
Ce
qui n'empêche pas en situation sociale de trouver des
expériences qui participent d'une solidarité
entre générations ou simplement à la
transmission d'un savoir simple d'entraide. Il y a de quoi partager le
souci de Boris Cyrulnik de choisir des formes d'apaisements ou de le
susciter au sein de nos sociétés. Toutefois, si
l'aspirine est un excellent médicament, sa prise ne soigne
pas
tout et l'on n'explique pas vraiment comment et pourquoi certains s'en
sortent mieux que d'autres, sauf à faire du "darwinisme
social".
Sommes-nous
égaux devant
le bonheur?
Pauline
Gravel
Le
célèbre neuropsychiatre Boris Cyrulnik estime que
la
souffrance est un passage obligé pour atteindre le bonheur
Certaines
personnes semblent y accéder plus facilement que
d’autres,
même quand le malheur s’abat sur elles.
Existerait-il des
gènes qui prédestinent au bonheur ? En
s’appuyant
sur les plus récentes découvertes en neurologie
et en
psychologie, le célèbre neuropsychiatre Boris
Cyrulnik
démontre dans son dernier livre, De chair et
d’âme,
qu’en matière de bonheur, la
génétique
oriente en effet nos choix de vie. Mais elle ne nous voue pas
nécessairement à une vie heureuse ou à
la
dépression.
De même, les terribles
épreuves subies
par certains enfants ne les condamnent pas
irrémédiablement à une vie
ratée et
malheureuse. Le milieu sensoriel, affectif, social et culturel dans
lequel nous baignons refaçonne constamment notre cerveau,
berceau des émotions. L’humain peut ainsi rebondir
du
malheur au bonheur. Ces deux antagonistes sont d’ailleurs
inextricablement liés, souligne le théoricien de
la
résilience, Boris Cyrulnik. La souffrance serait
même un
passage obligé pour atteindre le bonheur. Sans elle, la vie
n’aurait aucun intérêt.
Le
gène de la
vulnérabilité
À
la fin des années 90, des chercheurs ont
découvert que
chez les singes et les êtres humains, certains individus ont
des
gènes qui synthétisent de longues
protéines
capables de véhiculer beaucoup de sérotonine,
alors que
d’autres individus sont de petits transporteurs de
sérotonine. Neuromédiateur
sécrété
dans l’espace situé entre deux neurones, la
sérotonine joue un rôle fondamental dans
l’humeur.
Elle stimule les désirs, améliore les fonctions
cognitives, et un grand nombre de médicaments
antidépresseurs accroissent sa présence dans le
cerveau.
« Or on constate que les petits transporteurs de
sérotonine sont hypersensibles. Ils réagissent
avec
beaucoup plus d’émotivité aux
épreuves que
les gros transporteurs, beaucoup moins sensibles aux
événements de la vie », confirme Boris
Cyrulnik au
bout du fil depuis Paris.
« Toutefois, cette tendance
naturelle
ne prédit absolument pas les dépressions
à venir.
» Prenant conscience très jeunes, pendant
l’enfance, qu’ils sont vulnérables aux
difficultés, les petits transporteurs de
sérotonine
s’organisent une vie stable et paisible, entourés
de
l’affection de maman et papa. Ils
s’intègrent bien
à l’école, laquelle encourage la
routine. Par
contre, ils supportent mal les déménagements.
Lorsqu’ils se marient, ils font des maris fidèles
et de
gentils parents. En revanche, les gros
sécréteurs de
sérotonine ont besoin de fortes stimulations pour avoir
l’impression d’exister. Enfants, ils sont des
transgresseurs, et quand ils arrivent à
l’adolescence, ils
prennent des risques. Les filles font de l’auto-stop en
minijupe
et en débardeur. Les garçons font des
excès de
vitesse ou se lancent dans des bagarres inutiles, note Boris Cyrulnik.
Adultes, ils multiplient les aventures extraconjugales, et quand on les
abandonne, ils ne souffrent pas longtemps avant de tourner la page.
Toutefois, arrivés à un certain âge,
ils
n’ont rien construit et un nombre non négligeable
d’entre eux sombrent dans la dépression. Alors
que, chez
les animaux, le fait d’être un gros transporteur de
sérotonine est garant d’un rang
élevé dans
l’échelle sociale, chez les humains, les petits
transporteurs, à force de bons résultats
scolaires -
très valorisés dans notre culture - et de travail
routinier, accéderont souvent à des postes
supérieurs. Mais les enfants sages et sans
problèmes ne
sont pas pour autant assurés de connaître le
bonheur
éternel, nous apprend Boris Cyrulnik dans De chair et
d’âme, qui paraît aux Éditions
Odile Jacob et
qui arrivera dans nos librairies à la mi-novembre.
L’auteur cite les résultats d’une
étude
longitudinale menée par des chercheurs portugais sur une
cohorte
d’enfants modèles. Comme on s’y
attendait, ces
enfants irréprochables étaient devenus des
adultes bien
socialisés et sans troubles graves de la
personnalité.
Par contre, ils (davantage les filles que les garçons)
étaient devenus anxieux et plus souvent
déprimés
que les enfants « normalement difficiles »,
c’est-à-dire plus sujets à provoquer de
petits
conflits sans grande conséquence. Rien n’est
simple...
Période sensible
Ce
déterminant biologique lié au transport de la
sérotonine « n’empêche
toutefois pas le milieu
de marquer son empreinte dans le cerveau et d’orienter
l’acquisition d’un style affectif - d’une
manière d’aimer - particulier »,
rappelle Boris
Cyrulnik. Le scientifique explique que les informations sensorielles
qui enveloppent le jeune enfant induisent la création
d’une myriade de nouveaux circuits dans le cerveau.
Les
neurones
établissent 200 000 contacts par heure au cours des quatre
premières années de la vie,
précise-t-il. Un
enfant négligé, maltraité ou qui vit
auprès
d’une mère dépressive et malheureuse
à ce
moment critique du développement
cérébral
apprendra à son cerveau à canaliser (à
«
circuiter ») les informations vers les zones
cérébrales qui déclenchent
plutôt la
tristesse, explique-t-il. Par contre, si l’enfant est
rassuré et entouré d’une
mère gaie, son
cerveau sera formaté différemment et les
stimulations de
son milieu seront projetées de
préférence vers la
région cérébrale qui induit des
sensations de
bonheur et d’euphorie. « C’est la
banalité du
quotidien qui façonne le cerveau, souligne Boris Cyrulnik.
Les
interactions quotidiennes établissent des circuits, des
voies
préférentielles, ce qui confirme
l’intuition de
Freud. » L’isolement sensoriel dans lequel se
retrouve un
enfant qui perd sa mère et ne trouve aucun substitut dans sa
famille ou sa culture ralentit la création de nouveaux
circuits
cérébraux. Cette carence peut même
mener à
l’atrophie de la région fronto-limbique du
cerveau.
L’observation au scanner des cerveaux de jeunes orphelins
abandonnés et privés de toute affection a en
effet
montré que cette zone cérébrale,
responsable des
émotions et de la mémoire, avait
littéralement
fondu. Lorsque ces enfants ont été
confiés
à des familles d’accueil
généreuses, leur
cerveau a retrouvé sa taille normale un an plus tard. Les
gamins
avaient également récupéré
un niveau
intellectuel normal et s’intégraient bien
socialement. En
s’appuyant sur ces exemples, Boris Cyrulnik affirme que tout
n’est pas perdu pour un enfant abandonné,
maltraité
par la vie.
Grâce au phénomène de la
résilience - que le neuropsychiatre a grandement
vulgarisé -, « l’enfant pourra reprendre
un autre
type de développement si la famille et la culture disposent
autour de lui de nouveaux tuteurs ». Boris Cyrulnik en sait
quelque chose, lui qui est devenu orphelin à
l’âge
de cinq ans un jour de 1942, lors duquel sa mère polonaise
est
arrêtée et déportée.
Enrôlé
dans la Légion étrangère, son
père, Juif
d’Ukraine, disparaît aussi. Le jeune Boris
échoue
alors à l’Assistance publique
(l’orphelinat),
où une institutrice, qui le croit en danger, le garde chez
elle
jusqu’à ce que des voisins les
dénoncent. Le gamin
est alors embarqué et enfermé dans une synagogue
de
Bordeaux. Il échappe de justesse à la
déportation
en s’éclipsant dans les toilettes au moment
d’une
rafle. Il a 11 ans lorsqu’il retrouve à Paris une
tante
qui l’inscrit à l’école. Il
se passionne
alors pour la natation, la nature et l’éthologie,
c’est-à-dire le comportement animal mais aussi
celui de
l’homme, qu’il étudiera par le
truchement de la
psychologie, de la neurologie et de la psychanalyse.
Influences
déterminantes
Dans
son livre, le neuropsychiatre explique que d’autres membres
de la
famille de l’enfant, des amis et même la culture
peuvent en
effet avoir une influence déterminante sur le
développement de l’attachement en favorisant une
évolution résiliente. Des enfants
maltraités par
un parent ne deviendront pas nécessairement maltraitants
à l’âge adulte s’ils
bénéficient
du soutien d’une autre personne aimante de leur entourage et
si
leur communauté propose d’autres lieux
éducatifs.
Le vulgarisateur de la résilience donne en exemple Bill
Clinton
qui, en dépit de la violence du second mari de sa
mère, a
réussi à développer une
sociabilité tout
à fait normale grâce à
l’affection de sa
mère et de ses grands-parents ainsi qu’aux
nombreuses
associations de sport, de musique et d’activités
culturelles présentes dans son patelin. Si le petit Bill
avait
vécu dans un milieu fermé et isolé,
son
cheminement aurait été nettement plus difficile,
prévient Boris Cyrulnik.
La culture n’agit pas
toujours
favorablement, fait-il par ailleurs remarquer. Longtemps, les
Européens et les Québécois ont cru
qu’il
valait mieux laisser pleurer les bébés et
éviter
de les prendre dans ses bras de peur qu’ils ne deviennent
capricieux, rappelle-t-il. « Effectivement, un
bébé
dont on ne s’occupe pas arrêtera de pleurer au bout
de
trois heures, dit-il. Cela ne donne pas raison à cette
théorie pour autant mais confirme en fait qu’un
bébé non bercé apprend le
désespoir.
Tout
se passe comme s’il se disait : “Pas la peine de
pleurer,
personne ne viendra m’aider. Je suis seul au monde et je dois
devenir indifférent pour ne pas trop souffrir.”
»
C’est un comportement courant dans les grands orphelinats.
« À l’inverse, si, au moindre pleur, on
se
précipite sur lui pour le cajoler, on compromet aussi son
développement, car le bébé apprend que
son
désir est roi : ta mère est à ta
disposition, et
si elle n’accourt pas tout de suite, c’est
qu’elle
est une mauvaise éducatrice », poursuit-il. En
bref, le
parent doit être ni trop distant ni trop protecteur afin que
son
enfant apprenne à surmonter les épreuves. Alors,
il
pourra développer un attachement solide et sans
inquiétude (« sécure ») qui
lui permettra de
s’épanouir.
Sans souffrance, point de bonheur
Pour
que se tisse un lien d’attachement, l’enfant doit
vivre
quelques frayeurs (une voiture qui klaxonne, un chien qui jappe, un
inconnu qui entre dans la maison), que sa mère ou son
père sauront apaiser. Privé de ces petites
frayeurs,
l’enfant n’a pas de raison de s’attacher,
affirme
Boris Cyrulnik. « Une alerte pacifiée, un chagrin
consolé donnent à une figure
d’attachement un
pouvoir tranquillisant et permettent à l’enfant de
reprendre confiance en soi et d’éprouver le
plaisir de
partir à la découverte de l’inconnu
»,
précise-t-il dans son livre.
« Quand les parents,
au
contraire, entourent le petit au point de l’enfermer dans une
prison affective, toute séparation est alors
vécue comme
une menace de perte. » L’enfant rassuré
éprouve un intense bonheur quand il retrouve la personne
à laquelle il est attaché et dont il a
été
temporairement privé de la présence. Par contre,
l’enfant assiégé par le
dévouement amoureux
de sa mère peut ressentir du déplaisir au moment
des
retrouvailles, comme la nourriture finit par provoquer le
dégoût lorsqu’on a mangé
à
satiété. « C’est donc le
rythme, la pulsation
et l’alternance qui provoquent la sensation de joie ou de
bonheur
extrêmes », souligne-t-il.
« On peut
donc dire que
les séparations entre la mère et son enfant sont
nécessaires au cours de l’éducation. Si
ces
séparations sont durables au point de devenir des abandons
et
des isolements sensoriels, l’alerte biologique jamais
calmée finit toutefois par faire éclater les
cellules,
expliquant ainsi l’atrophie cérébrale
observée chez les enfants abandonnés dans des
orphelinats
et leur instabilité émotionnelle »,
écrit M.
Cyrulnik. On peut dire aussi que lorsqu’il n’y a
jamais de
séparation, la routine qui enveloppe l’enfant
supprime
toute sensation d’événement. Or un
cerveau qui
n’est pas stimulé rend l’enfant passif,
incapable de
décider. « Seul le couplage “tristesse
de la
séparation” et “bonheur des
retrouvailles”
apprend à l’enfant à surmonter ses
petits chagrins
et lui permet d’acquérir un sentiment de
confiance. Pour
accroître l’attachement d’un petit
enfant, il ne
suffit pas de satisfaire ses besoins, insiste Boris Cyrulnik.
Au
contraire, c’est l’apaisement d’une
souffrance qui
l’augmente et non la satisfaction d’un plaisir.
»
L’empathie, cette faculté de ressentir ce que
pensent et
ressentent les autres, prépare à la parole et
à la
socialisation, poursuit-il. Or le développement de cette
faculté est compromis autant chez les enfants
privés
d’une base de sécurité en raison
d’un abandon
que chez les bambins sous l’emprise d’un amour
parental
trop bienveillant qui les isole du monde extérieur. Une fois
à l’adolescence, l’individu qui a
été
« trop entouré ne saura pas harmoniser ses
désirs
à ceux du partenaire espéré car il
n’aura
pas appris à se décentrer de lui-même
».
Une seconde chance à
l’adolescence
Au
cours des premières années,
l’attachement est
particulièrement malléable, souligne le
chercheur. Chaque
rencontre a un pouvoir façonnant alors que les neurones
envoient
des prolongements synaptiques dans tous les sens. Puis, le cerveau
s’apaise et l’enfant établit ses
relations en
employant le style affectif qu’il a inconsciemment acquis.
Dans
toutes les cultures, un enfant sur trois n’a pas acquis
l’attachement « sécure », soit
parce
qu’il est tombé gravement malade, soit parce que
sa
mère est dépressive, soit parce que son
père est
disparu, indique Boris Cyrulnik.
Pour ces mal partis de la vie,
l’adolescence représente une deuxième
chance. Sous
l’effet du déversement hormonal, le cerveau
retrouve une
certaine plasticité qui permet aux intenses
émotions
provoquées par les premières amours
d’induire un
remaniement du mode d’attachement. Dans le cadre des
recherches
qu’il effectue à l’Université
de Toulon,
Boris Cyrulnik a ainsi vu des délinquants apprendre
à
mieux se faire aimer. Un tel phénomène est plus
courant
chez les garçons qui connaissent un bouleversement hormonal
plus
intense que les filles, dont les sécrétions
hormonales
sont plus douces et plus graduelles, précise le chercheur.
Plus
tard dans la vie, à l’âge de la
retraite,
l’attachement subit généralement
quelques
transformations additionnelles.
À cette étape de
la vie
où les proches parents et les amis disparaissent peu
à
peu, l’environnement affectif s’appauvrit. Par
contre,
notre monde intime, constitué par le récit de soi
qui est
bien gravé dans la mémoire, prend le relais.
« Les
anciennes figures d’attachement s’internalisent.
Une photo,
une lettre ou un petit objet suffit pour les évoquer et
provoquer un apaisement », indique Boris Cyrulnik.
À cet
âge, l’identité de la personne est plus
forte que
jamais. Elle nous permet de savoir ce qu’on veut, ce
qu’on
aime, là où on est fort et là
où on
échoue. Nos choix sont donc mieux adaptés alors
que
lorsqu’on est jeune, on fait parfois des choix malheureux
parce
qu’on se connaît mal. « Les jeunes ont
une
identité encore incertaine, ce qui fait qu’ils
peuvent
bien rêver de devenir chanteur alors qu’ils
n’ont
aucune aptitude », précise le chercheur. Quand on
devient
âgé, on peut aussi se rapprocher de Dieu.
« Le
psychisme a horreur du vide, affirme Boris Cyrulnik.
Alors, quand une
personne âgée cherche à se
représenter
l’après-mort, elle éprouve une sorte de
vertige au
bord du gouffre et se sent apaisée dès
qu’elle y
place Dieu. » La plupart du temps, la personne
âgée
qui a vécu dans une famille croyante redécouvre
Dieu et
s’attache à lui. Les «
sécures »
« le remercient du miracle de vivre ». Plus
vulnérables et plus rigides, les «
insécures
» entretiennent avec Dieu un hyperattachement anxieux qui les
rend agressifs quand on tente de les faire douter de leur planche de
salut. « Globalement, les croyants se sentent mieux que les
athées parce qu’ils maintiennent au fond
d’eux-mêmes une base de
sécurité. Le fait de
rencontrer régulièrement des gens qui partagent
la
même croyance structure leur enveloppe affective »,
explique le neuropsychiatre avant d’ajouter que la simple
évocation de Dieu diminue les marqueurs biologiques du
stress.
Tout au long de son livre, Boris Cyrulnik nous montre que «
la
vie est une conquête perpétuelle, jamais
fixée
d’avance. Ni nos gènes ni notre milieu
d’origine ne
nous interdisent d’évoluer. Tout reste
possible».
Source :Le
Devoir, 3
novembre 2006
"Lien
sécure et lien insécure"
Extrait vidéo
d'une conférence avec
Boris Cyrulnik
Extraits d'autres propos
recueillis
auprès de Boris
Cyrulnik
Sophie Boukhari
Courrier de l'UNESCO -
année 2002
Vous
avez évoqué les problèmes graves des
adolescents d'aujourd'hui, qui «flottent» de plus
en plus. De fait, on n'a jamais aussi bien compris les enfants que
maintenant et pourtant, il n'y a jamais eu autant de
névroses précoces, de suicides d'adolescents, de
délinquance.
Ce
n'est pas paradoxal. Tous les progrès se payent. Le prix de
la liberté, c'est l'angoisse. Aujourd'hui, on aide les
enfants à développer leur
personnalité, à prendre conscience d'un tas de
choses. Ils sont plus intelligents, plus vifs, mais plus
angoissés. On s'en occupe très bien à
la maternelle et à l'adolescence, on les abandonne. La
société ne prend pas le relais des parents. Du
coup, un adolescent sur trois s'effondre, après le bac
généralement. Pour éviter cela, il
faudrait davantage de structures sociales et culturelles qui leur
permettraient de donner un sens à leur vie, en encourageant
la créativité, la parole, l'être
ensemble, l'élan vers l'autre. Or, on ne le fait pas.
Problème de l'adolescent: «qu'est ce que je vais
faire de ce qu'on a fait de moi?». Pour répondre
à cette question, il doit être entouré
de structures affectives (des groupes partageant la même
activité, des copains) et pouvoir travailler. Mais la
technologie a provoqué une telle révolution
qu'actuellement, l'école a le monopole du tri social. Si un
gamin ou une gamine s'y épanouit, il réussit des
études et apprend un métier. Il fera partie des
deux adolescents sur trois qui profitent de l'amélioration
des structures de la petite enfance. Mais un enfant sur trois ne se
plaît pas à l'école, s'y sent
humilié et n'a pas la possibilité de
s'épanouir ailleurs. Il se retrouve largué dans
les quartiers, sans travail, et souvent sans famille... Comment fait-il
pour retrouver son estime de soi? Il accomplit des actes
«ordaliques», c'est-à-dire qu'il se met
à l'épreuve, retrouve des rituels
d'intégration archaïques comme la violence, la
bagarre, la drogue.
La
notion de
résilience que vous développez dans vos derniers
ouvrages fait une très belle carrière. Pourquoi
un tel succès?
Quand
on se penche sur les enquêtes
épidémiologiques mondiales de l'OMS, on constate
qu'aujourd'hui, une personne sur deux a été ou
sera gravement traumatisée au cours de sa vie (guerre,
violence, viol, maltraitance, inceste, etc.). Une personne sur quatre
encaissera au moins deux traumatismes graves. Quant aux autres, ils
n'échapperont pas aux épreuves de la vie.
Pourtant, le concept de résilience, qui désigne
la capacité de se développer dans des conditions
incroyablement adverses, n'avait pas été
étudié de manière scientifique
jusqu'à une période récente.
Aujourd'hui, il rencontre un succès fabuleux. En France,
mais surtout à l'étranger. En Amérique
latine, il y a des instituts de résilience, en Hollande et
en Allemagne, des universités de résilience. Aux
Etats-Unis, le mot est employé couramment. Les deux tours du
World Trade Center viennent d'être surnommées
«the twin resilient towers» par ceux qui voudraient
rebâtir.
Pourquoi
ce concept
n'a-t-il pas été étudié
plus tôt?
Parce
qu'on a longtemps méprisé les victimes. Dans la
plupart des cultures, on est coupable d'être une victime. Une
femme violée, par exemple, est souvent condamnée
autant que son agresseur: «elle a dû le
provoquer», dit-on. Parfois, la victime est même
punie plus sévèrement que l'agresseur. Il n'y a
pas si longtemps, en Europe, une fille qui avait un enfant hors mariage
était mise à la rue alors que le père
ne courait guère de risques. D'autre part, les victimes des
guerres ont honte et se sentent coupables de survivre. La famille, le
village les soupçonne: «s'il rentre, c'est qu'il a
dû se planquer ou pactiser avec l'ennemi».
Après la Deuxième Guerre mondiale, qui fut la
plus meurtrière de l'Histoire, on a basculé dans
l'excès inverse.
Les victimes sont devenues
héroïques: elles devaient faire une
carrière de victime car on pensait que si elles s'en
sortaient, cela relativiserait les crimes des nazis. A
l'époque, René Spitz et Anna Freud2
décrivent des enfants dont les parents ont
été massacrés par les bombardements de
Londres. Ils sont tous très altérés,
pseudo-autistes, en train de se balancer, atteints de troubles
sphinctériens. Lorsqu'ils les revoient des années
plus tard, Spitz et Anna Freud s'étonnent de leur
récupération et écrivent clairement
que ces enfants abandonnés passent par quatre stades:
protestation, désespoir, indifférence... tous les
étudiants apprenaient cela. Mais personne ne
s'intéressait au quatrième stade:
guérison.
Comment
la
résilience s'est-elle imposée en psychologie?
Le
mot, qui vient du latin resalire (re-sauter) est apparu dans la langue
anglaise et est passé dans la psychologie dans les
années 1960, avec Emmy Werner. Cette psychologue
américaine était allée à
Hawaï faire une évaluation du
développement des enfants qui n'avaient ni école
ni famille, et qui vivaient dans une grande misère,
exposés aux maladies, à la violence. Elles les a
suivis pendant 30 ans. Au bout de tout ce temps, 30% de ces individus
savaient lire et écrire, avaient appris un
métier, fondé un foyer: 70% étaient
donc en piteux état. Mais si l'homme était une
machine, on aurait atteint 100%.
Y
a-t-il un profil
socio-culturel de l'enfant résilient?
Non
mais il y a un profil d'enfants traumatisés qui ont
l'aptitude à la résilience, ceux qui ont acquis
la «confiance primitive» entre 0 et 12 mois: on m'a
aimé donc je suis aimable, donc je garde l'espoir de
rencontrer quelqu'un qui m'aidera à reprendre mon
développement. Ces enfants sont dans le chagrin mais
continuent à s'orienter vers les autres, à faire
des offrandes alimentaires, à chercher l'adulte qu'ils vont
transformer en parent. Ensuite, ils se forgent une identité
narrative: je suis celui qui... a été
déporté, violé, transformé
en enfant soldat, etc.
Si on leur donne des possibilités de
rattrapage, d'expression, un grand nombre, 90 à 95%,
deviendra résilient. Il faut leur offrir des tribunes de
créativité et des épreuves de gosses:
le scoutisme, préparer un examen, organiser un voyage,
apprendre à être utile. Les jeunes en
difficulté se sentent humiliés si on leur donne
quelque chose (et si en plus, on leur fait la morale). Mais ils
rétablissent le rapport d'équilibre quand on leur
donne l'occasion de donner. Devenus adultes, ces enfants sont
attirés par les métiers d'altruisme. Ils veulent
faire bénéficier les autres de leur
expérience. Ils deviennent souvent éducateurs,
assistants sociaux, psychiatres, psychologues. Avoir
eux-mêmes été des «enfants
monstres» leur permet de s'identifier, de respecter l'autre
blessé.
Extraits d'une autre
entrevue avec
Boris Cylrulnik
Pierre Boncenne
Après
Un merveilleux
malheur (Odile
Jacob), votre dernier livre, les vilains petits canards, explore
à nouveau la notion-clé de
"résilience", cette capacité à se
remettre de ses blessures. Il est d'abord important de rappeler
l'origine très concrète du mot "résilience", qui vient de la
physique.
En effet,
c'est un mot
que l'on trouve dans le dictionnaire employé pour
désigner la résilience d'un métal,
c'est-à-dire son aptitude à reprendre sa
structure après un coup. On utilise aussi le mot
"résilient" pour une sorte de ressort permettant, par
exemple, l'ajustement entre deux wagons de chemin de fer. Et, bien
sûr, il y a une grande proximité avec l'expression
"résilier un contrat". L'autre jour, j'ai même
découvert une publicité pour des "matelas
résilients", ce qui, je l'espère, est un bon
signe. Car, contrairement aux Etats-Unis, où le terme
"résilience" est d'usage courant, tel un marqueur culturel
d'optimisme, en Europe, il est plus difficile de l'imposer, comme si
nous avions un penchant pour le misérabilisme.
Tout
en soulignant que la résilience n'est synonyme ni
d'invulnérabilité ni de réussite
sociale, vous évoquez notamment Barbara,
traumatisée par l'inceste et la guerre, qui a pu dire :
"J'ai perdu la vie autrefois. Mais je m'en suis sortie puisque je
chante". Voilà un exemple type de résilience?
Exactement
: je m'en suis sortie, ce qui ne veut pas dire que je n'ai pas
été affreusement blessée et que cela
ne m'a rien coûté. Il y a des issues possibles :
l'engagement affectif, intellectuel, social et la
créativité artistique, même si ce n'est
pas la voie la plus facile. Pour s'en sortir, il faut disposer
très tôt de ressources en soi et pouvoir
bénéficier des mains tendues ou tuteurs de
résilience.
La
mise en place des
facteurs de résilience, expliquez-vous, commence pour
l'enfant dans l'attachement, bien avant la parole et l'acquisition du
langage.
En
écrivant
Les vilains petits canards, j'ai pensé à la
thématique de Sartre : que vais-je faire de ce qu'on a fait
de moi ? Avant la parole, on est façonné par le
milieu dans lequel la vie nous a mis. Un enfant dont la mère
est dépressive s'attache à elle et à
son malheur selon un mode particulier qui peut devenir une prison
affective. Voilà pourquoi il est important qu'il y ait tout
de suite un triangle parental où la mère n'a pas
le monopole des empreintes affectives et le père, un autre
homme, une autre femme, voire une institution, joue un rôle
quotidien réel. S'il n'y a pas ce système de
poly-attachement autour de l'enfant, celui-ci devient un
récipient passif et, quand un attachement s'effondre, il n'y
a plus de substitut possible pour pouvoir continuer son
développement malgré sa blessure.
La
notion d'attachement, somme toute assez récente, est
d'ailleurs venue balayer la fallacieuse représentation des
enfants comme bonne ou mauvaise graine.
Il
existait, en effet, des métaphores
végétales qui induisaient de redoutables
comportements sociaux. Les mauvaises graines, on les arrachait en
créant des bagnes pour enfants ou des
établissements spécialisés. On
enlevait l'enfant à sa famille pour le mettre au bon air et
avec une autre alimentation où l'on pensait qu'il se
développerait bien. Et quand, après quelques
années, on rendait l'enfant à sa mère,
on avait brisé l'attachement. Chacun considérait
l'autre comme un étranger.
"On
n'est pas encore
né que déjà on se tricote",
dites-vous. Le psychisme de la femme enceinte aura donc des
répercussions sur le comportement du nouveau-né.
Aujourd'hui, c'est vraiment admis?
Personne
ne le conteste.
On peut faire des expériences en filmant des images d'une
échographie dans les dernières semaines de la
grossesse et en demandant à la femme qui accepte d'observer
d'abord trois minutes de silence, puis de chanter une chanson.
Instantanément, on voit que le bébé,
dont le coeur s'accélère, se met à
bouger. En comparant de nombreux enregistrements, on constate aussi que
la gamme des réactions des bébés est
très diversifiée, allant du vif à
l'indolent. Selon l'interaction avec les émotions de la
mère, il y a façonnement du
tempérament.
Les représentations d'images dans
l'esprit de la mère provoquent des manifestations somatiques
qui ont des répercussions, et on sait, maintenant, que les
petites molécules de stress, par exemple, passent
à travers le filtre du placenta. Dès avant la
naissance, il existe une biologie périphérique,
ce que j'ai pu appeler la "nourriture affective", qui aura beaucoup
d'influence à tous les stades ultérieurs du
développement et déterminera les types
d'attachement. Après la naissance, tous ces processus
d'interactions vont s'accélérer selon
l'organisation du milieu social autour de l'enfant.
J'ai eu des
conflits avec certains psychanalystes pour lesquels un enfant avant la
parole, en somme, c'est de la viande. Je m'inscris totalement en faux
contre cette conception. Même dans un univers
préverbal, sans articulation du signifiant et du
signifié, un enfant appréhende un nombre
incalculable de situations. La seule intonation des mots peut lui
servir de stimulation, et voilà pourquoi il est important de
parler à un bébé.
Parmi
toutes les formes de résilience
étudiées dans Les vilains petits canards, vous
insistez sur la "fantaisie artistique" comme le principal outil pour
affronter le malheur. Et, en citant une liste impressionnante
d'écrivains, vous indiquez que "l'orphelinage et les
séparations précoces ont fourni une
énorme population de créateurs".
Attention,
la réciproque n'est pas vraie : si la souffrance contraint
à la créativité, cela ne signifie pas
qu'il faille être contraint à la souffrance pour
devenir créatif. Par ailleurs, tous les orphelins ne
deviennent pas des créateurs, loin de là. Cela
étant, lorsqu'on souffre, on éprouve, de fait,
une sensation de manque et d'amoindrissement et on a l'impression de ne
pas être à la hauteur par rapport au monde autour
de soi. Pour essayer de réparer ce manque, on peut
réussir à le combler par
l'hyperactivité. Mais, dès le moment
où l'action cesse, on retrouve par la pensée la
cause de sa souffrance.
En fait, le plus sûr moyen de calmer
l'angoisse induite par une sensation de manque consiste à
remplir le vide avec des représentations ayant pour but de
transposer cette souffrance. L'invention picturale ou la fantasmagorie
littéraire permettent de supporter le réel
désolé en apportant des compensations magiques,
et il est troublant de constater que beaucoup d'artistes et
d'écrivains connus ont été
marqués par des souffrances précoces. Chez ces
personnalités blessées dans leur enfance, le
besoin de création peut représenter quelque chose
de vital pour reconstruire leur existence et les empêcher de
sombrer. Mais, j'insiste là-dessus, cela n'a rien
à voir avec l'accès ou non à la
notoriété, et chacun à son niveau peut
profiter de la fantaisie artistique.
Longtemps
vous avez
gardé le silence sur votre propre enfance. Vos parents ont
été déportés, vous avez
échappé à Drancy et vous avez
été sauvé par une femme, Marguerite
Farge, qui, en 1997, a été distinguée
parmi les justes. Pourquoi ne vouliez-vous pas en parler?
C'était
une forme de protection ou de défense et il fallait que je
me rende assez fort pour en parler, ce qui peut prendre des
décennies. J'avais très peur, selon l'expression,
de la ramener. Mais, un jour, une patiente m'a dit que j'avais tort et
m'a fait prendre conscience d'une réelle contradiction : je
demandais à mes patients de vraiment me parler tout en
jouant pour moi la carte de la pudeur. Quand j'ai fait remettre la
médaille des Justes à cette femme, comme les
organisateurs en ont fait une cérémonie
très publique, j'ai admis qu'il me fallait changer
d'attitude, que je ne devais pas garder une sorte de secret pour
d'autres que mes proches. Maintenant, je ne cache pas que ce fut
probablement là ma motivation profonde pour devenir
psychiatre : la contrainte à comprendre.
Pourquoi des hommes
cultivés ont-ils été capables
d'infliger un tel fracas? J'étais persuadé que
la psychiatrie me fournirait les réponses et me permettrait
d'aider ceux ou celles qui ont subi des épreuves similaires.
Le choix de l'objet de science est un aveu autobiographique. Et lorsque
j'ai élargi mes préoccupations vers
l'éthologie, il est certain qu'en arrière-plan je
poursuivais le même but, notamment en essayant de
m'interroger sur la manière dont les enfants sont les
premières victimes de l'immense violence politique que nous
connaissons.
Et,
précisément, vous notez : "Grâce
à la technologie des armes et des transports, le XXe
siècle a découvert une barbarie que ni
l'Antiquité ni le Moyen Age n'avaient connue, la guerre
contre les enfants." Comment se manifeste cette nouvelle barbarie?
On a
souvent été d'une rare cruauté avec
les enfants. On les a sacrifiés, mutilés,
abandonnés ou on les a fait travailler très
tôt dans des conditions épouvantables. On a
envoyé des petits de douze ans à la mine sachant
qu'ils ne reverraient jamais le soleil et qu'ils allaient mourir de
silicose. Mais, au XXe siècle, et on l'a vu encore
dernièrement, ce sont les Etats qui font la guerre aux
enfants. On envoie des armées contre eux, semant la terreur
et laissant les survivants avec des traumatismes inouïs.
Aujourd'hui, il y a plus de cent millions d'enfants
abandonnés sur la planète. Comment peut-on
expliquer un tel scandale? L'OMS prévoit une aggravation du
rejet des enfants, de leur exclusion et de leur exploitation. Et le
pire, c'est que l'on s'étonne parfois de notre indignation.
En Roumanie, j'ai entendu des médecins cultivés
se demander pourquoi nous voulions nous occuper des "monstres"
irrécupérables alors qu'on avait du mal,
déjà, avec les enfants normaux Que fait-on des
"monstres"? On les tue? On les enferme à jamais? Mais,
sans opérer de rapprochements abusifs, je voudrais ajouter
que nos propres cultures ne sont pas à l'abri de
dérives inquiétantes. A La Seyne où
j'habite, à l'occasion d'un carnaval, des adolescents sont
venus chahuter de manière très
désagréable, j'en conviens. Etait-il
indispensable, comme beaucoup de gens l'ont fait, de
téléphoner aux CRS pour qu'un bataillon
intervienne contre eux ? Nous devrions réfléchir
un peu plus à la manière dont nous avons peur
aussi de nos enfants tout en vivant dans une culture qui
prétend toujours les protéger.
Un
adulte peut-il devenir un résilient ?
Un
adulte et même une personne âgée. Nous
avons un groupe de recherche qui travaille sur ce sujet et va commencer
à publier des travaux dans quelques mois. Jusqu'à
un âge avancé, il existe des flammèches
que l'on peut repérer pour essayer de développer
des processus de résilience. Même dans la maladie
d'Alzheimer, il y a des flammèches : l'accès aux
mots se perd mais on peut encore communiquer avec des gestes
illustratifs et démonstratifs, le détour de la
musique et de la danse. Au lieu d'accentuer les blessures de ces
malades et les rejeter, on continue ainsi à les faire
participer au monde des humains. Et, que ce soit au début ou
à la fin de la vie, n'est-ce pas un objectif capital?
c'est
"le ressort intime face aux coups de l'existence"
Marie-Frédérique Bacqué
On l'a
comparée à ce phénomène
physique qui permet à un bloc de matière d'une
dureté variable de renvoyer un objet qui vient de le heurter
avec plus ou moins d'énergie. Mais Cyrulnik donne un tour
nouveau au concept. Il le traduit en langage scientifique : "la
résilience est un processus diachronique et synchronique :
les forces biologiques développementales s'articulent avec
le contexte social, pour créer une représentation
de soi qui permet l'historisation du sujet". En langue grand-public
cela donne: "la résilience est un tricot qui noue une laine
développementale avec une laine affective et sociale (...)
la résilience n'est pas une substance, c'est un maillage".
On ne peut pas l'objectiver à un moment T puisque c'est une
"théorie de vie" qui se noue et se dénoue
continuellement. La métaphore du tricot n'est pas qu'une
vision de "bonne femme". C'est au contraire une image
kinesthésique qui exprime le temps qui passe et le geste qui
le poursuit pour le fixer. Le tricot n'est guère que le
symbole du temps.
À
l'origine était le traumatisme... Nous le
subissons tous
ce traumatisme de la naissance... Il nous plonge subitement dans
l'Histoire, la grande mais aussi celle du groupe et de notre
identité plus ou moins pré-constituée.
Sa répétition est à l'oeuvre dans
l'aspect pathogène de l'agression humaine ou naturelle.
Condamné à mort à six ans,
interné à Drancy à cinq ans,
témoin de l'éxécution de ses parents
à huit ans, ces enfants subissent d'abord passivement la loi
morbide des adultes.
Les
rêveries,
le souvenir et l'idéalisation de ses parents permettent la
constitution d'un espace interne inviolable où l'enfant peut
se ressourcer. La
sublimation est donc
l'une des conditions de la résilience. Elle prend appui sur
les liens que l'enfant a pu tisser avant le traumatisme. Ici, Cyrulnik
introduit un autre concept, celui de l'oxymoron. Cette figure de
réthorique consiste à associer deux termes
antinomiques, un "merveilleux malheur" en est l'exemple le plus
évident. Ceux qui s'en sortent parviennent à
faire cohabiter désormais l'horreur et la poésie,
le désespoir et l'attente du mieux, la torture
glacée et la chaleur humaine. Ainsi va le monde de l'enfant
blessé : face à la mort, il conserve un lambeau
de bonheur qui lui permet de dépasser l'atrocité
du moment.
Une
autre possibilité de lutte est
la rencontre avec un personnage "initiateur", une
grande soeur, un
compagnon d'infortune et toute personne support d'identification pour
l'enfant. Les autres facteurs de dépassement sont
liés à la parole libérée
par l'enfant et surtout à ceux qui vont la recueillir. Mais
dire son malheur n'est pas si simple : Primo Levi, Robert Antelme et
bien d'autres s'y sont brûlés les ailes. En
s'opposant à la "mémoire collective", le
traumatisé prend un risque énorme.
La
Société a toujours intérêt
à faire taire le paria,
le
déjà-mort, celui qui
représente le malheur. Si Anne Frank a rencontré
un succès (hélas posthume) avec son journal,
c'est parce qu'elle y avait mis tout son humour et sa franchise alerte,
mais ceux qui rapportaient la misère du désespoir
n'étaient que des démoralisateurs dont on se
passait fort bien en ces temps de reconstruction. Cyrulnik est ici
très critique à l'égard des
institutions qui accueillent les enfants malmenés par la
vie. Révéler le secret de la naissance, le
décès d'un père lointain mais mythique
peut déclencher des blessures bien pires parfois que le
secret lui-même. Aussi, attention à cette
génération du "tout dire" à l'enfant.
Ici Cyrulnik pense que nous nous trompons de malade. "Ce n'est pas tant
sur le blessé qu'il faut agir afin qu'il souffre moins,
c'est surtout sur la culture". Tout faire pour que le
traumatisé ne constate pas comme Elie Wiesel: "Il m'est
interdit de me taire, il m'est impossible de parler"...
Une
des
conclusions importantes de cet ouvrage réside donc dans les
possibilités créatrices qui transcendent la
souffrance. Ce
qui n'implique pas que la souffrance engendre nécessairement
de la création. Cependant la blessure permet la mise au
point de mécanismes tels que la sublimation et le
développement de toutes ces facultés qui
élèvent l'homme au-delà de son statut
d'animal totipotent. La résilience ne relève donc
pas que du sujet traumatisé, l'environnement joue un
rôle dans la récupération et dans la
transformation de la blessure. Ici, toutes les institutions qui
récupèrent les enfants touchés doivent
repenser leurs offres de survie.
Une dernière image
livrée par Boris Cyrulnik : "Ni acier, ni surhomme, le
résilient ne peut pas échapper à
l'oxymoron dont la perle de l'huître pourrait être
l'emblème : quand un grain de sable
pénêtre dans une huître et l'agresse au
point que, pour s'en défendre, elle doit
sécréter la nacre arrondie, cette
réaction de défense donne un bijou dur, brillant
et précieux." Après la catastrophe, tout n'est
donc pas perdu ? Le temps qui passe, le flux et le reflux de
l'océan, ne permettent-ils pas de saisir de minuscules
scories du milieu, et de les transformer en joyau ?
Source
: Carnet
Psy.com-
Extraits, année 2002
Bibiliographie
incomplète ou choix
de lectures...
Aux
éditions
Odile Jacob :
Aux éditions Hachette :
- Les
Vilains Petits Canard (2001)
- Un merveilleux malheur (1999)
- L'Ensorcellement du
monde (1997)
- Les
Nourritures affectives
(1993)
-
Naissance
du sens
(1991)
- Sous le signe du lien (1989)
- Mémoire de
singe et paroles d'homme (1983)
Il existe aussi des
ouvrages
collectifs
avec Boris Cyrulnik... dont un sur le mensonge en politique
Cet
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politique, ou entreprise commerciale. Le contenu est sous la
responsabilité de son créateur, en tant que
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Les articles et
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