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Vers la paix en Colombie?
 
1 -  Les mots sont seules armes, à vos plumes pour la paix !
2 - Conférence de Hato Grande, rencontre Uribe-Chavez
3 - Les Insurgés colombiens prêts au dialogue, Numancia Martínez Poggi
4 - Entretien avec Rodrigo Granda (FARC-EP), Jean Batou


Amérique Latine

Archives
des articles 2007

Sommaire :

 2ème partie



Les mots sont nos seules armes,

"À vos plumes pour la paix !"


Lionel Mesnard, le 7 septembre 2007


 « Si, il n'y a pas d'échange humanitaire avec l'appui d’Hugo Chávez, il sera très difficile de le voir avec ce gouvernement. »

hebdomadaire Semana, du 1er septembre 2007


« Le président du Venezuela, Hugo Chávez est arrivé à Bogotá à 9h30 du matin vendredi (31-08_07) ; il s’est retrouvé au milieu d'une attente, que ses rencontres antérieures avec Álvaro Uribe n'avaient jamais provoqué. L'espérance de cette rencontre (pourrait) débloqué l'accord humanitaire avec les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, donnant à la rencontre une importance que n'avait pas eut le même sommet Uribe-Chávez en 2005, qui avait mis une fin à la crise engendrée par la capture à Caracas de Rodrigo Granda, dit le « chancelier » par les FARC. » Semana.com

Comment ne pas témoigner une certaine joie à découvrir le président Chavez servir de lien entre les familles des otages, le président Alvaro Uribe, et les dirigeants des FARC et de L’ELN. Le président vénézuélien est le seul en l’état, pouvant servir d’intermédiaire, ou d’interface au sein du plus vieux conflit du monde. Soixante années écoulées depuis l’assassinat du dirigeant du parti Libéral Jorge Eliécer Gaitán, puis 40 années de guerre civile non-stop.

Il importe de retenir une chose, nous sommes face à une guerre. La conséquence de nombreuses violations des droits les plus fondamentaux ne peut déboucher que par une coopération internationale la plus large possible. Aujourd’hui, il existe pour toutes les parties une issue raisonnable. Le politique doit primer et trouver le chemin d’un accord sous l’égide de l’ONU.

Nous voici possiblement à une phase importante de réconciliation nationale pour les Colombiens. Si, objectif il y a ? Il est de trouver une solution politique allant dans le sens de la paix, en respectant l’autorité de chaque partie. Toutefois, les plus fragiles demeurent les otages et familles des séquestrés. Ils ne disposent d’aucun rapport de force en leur faveur. De solidarités venant de tous lieux peuvent tisser un appui déterminant pour pacifier cette région du monde.

L’exemple de l’Irlande du Nord, prouve qu’en cas de guerre civile : la reconnaissance politique passera inévitablement pas les urnes et non par l’usage de la force. Jusqu’à présent les tentatives menées à Genève puis à Cuba en 2005 ont échoué. L’entrée en scène du Venezuela peut avoir un rôle fondamental. Il faut le souhaiter déterminant ; - et, s’avérer essentiel dans le développement économique futur des pays limitrophes de la Colombie. Il est à souhaiter que partout dans le monde se produise un soutien manifeste. Les Colombiens ont soif de paix, et ils ont le droit de regagner l’espoir d’une démocratie pleine et entière. Il est plus que temps que les armes se taisent.

Hugo Chavez dispose de très bonnes relations avec le président colombien, il partage avec les FARC une certaine conception du monde. Pour sortir de l’impasse, seul le dialogue peut endiguer la violence des armes, et les problèmes et parfois tensions que cela pose aux frontières des 2 pays (et aussi aux frontières du Pérou et de l’Équateur). Saisissons cette chance, la guerre n’a plus de raison d’être, sauf de toujours pousser plus loin la Colombie dans le chaos.

De plus le président vénézuélien a posé deux actes. Premièrement, il a organisé le retour de  paramilitaires colombiens dans leurs familles (après avoir écoulés quatre années de prison au Venezuela). Ces hommes s’étaient dissimulés dans une maison, non loin de Caracas, afin de préparer un coup de force contre le Palais présidentiel de Miraflorès. Deuxième acte, le Venezuela retourne au sein de la Communauté des Nations Andines, comme l’avait manifesté le président bolivien Evo Morales à la fin de l’année 2006. Il passe l’éponge et révise en partie sa stratégie, entrant de plein fouet dans l’arène des personnages clefs du nouveau siècle, et comme vecteur de changement.

«Inventez ou errez» disait le précepteur d’un certain Simon Bolivar. Bolivar est une figure historique des débuts de l’époque contemporaine. Il est peu connu ici en France, comme beaucoup d’autres héros de la révolution d’indépendance des Amériques espagnoles. Ne le cherchez pas. Il n’est pas dans vos livres d’histoires, ou l’on préfère les menées criminelles de Bonaparte. Beaucoup de modes sont passées pour avoir oublié le phénomène, qu’enclencha en son temps cette personnalité. Qui encore de nos jours alimentent l’imaginaire de nombreux sud américains. Simon Bolivar, au-delà des faits guerriers fut aussi un administrateur aussi ambitieux que l’énigmatique Hugo Chavez, un apport novateur sur ce continent pluriel en devenir.

Hugo Chavez se pose, comme un des rares acteurs pouvant servir d’intermédiaire dans le conflit colombien. Sa position est unique et d’envergure. Il dispose maintenant, d’un appui dans les capitales européennes. Sa mission ne sera pas simple. Aussi, il a pris soin récemment de rencontrer des proches d’Ingrid Betancourt et de Clara Rojas et d’autres familles. Lors de sa conférence commune avec Alvaro Uribe (le 31-08-07),  il ne s’est pas attardé à dévoiler le contenu de cette mission de «dernière chance».




Conférence conjointe depuis « Hato Grande » en Colombie

Le Président Alvaro Uribe remercie la visite du Président Chávez en Colombie

- 31 août 2007 -

"Je souhaite vivement saluer cette visite si positive et agréable. Cette nouvelle réunion bilatérale que nous avions programmée il y a quelques semaines, après ces cinq difficiles années dans le monde, sur le Continent et avec les difficultés de nos pays", a exprimé le Président de la Colombie, Alvaro Uribe Vélez, à son homologue vénézuélien Hugo Chávez Frías, après avoir tenu une conférence de presse conjointe, que les deux Chefs ont réalisé ce vendredi (31 août 2007), depuis le résidence présidentielle de «Hato Grande» en Colombie.

Uribe Vélez a déclaré que les deux pays ont construit, une relation "stimulée par l'amour de nos deux patries, qui sont une et même Nation". Dans le même esprit, il a exprimé que la courtoisie fictive, ne symbolise pas l'amitié, "pour nous, pour vous et pour moi, l'amitié a toujours été accompagnée de la franchise, une sincérité et une qualité absolues".

De la même manière, le Chef d'État colombien a remercié le vif intérêt du Président de la République Bolivarienne du Venezuela, Hugo Chávez Frías, pour sa collaboration concernant la libération des otages séquestrés par les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, (FARC). Il a affirmé "Je remercie du fond du coeur le Président Chávez pour son intérêt, qui avec tout son affection, à aider la Colombie",. Alvaro Uribe a aussi ajouté, que le sujet avait été abordé pendant la rencontre privée, qui s’est tenue avec le Président Chávez, en compagnie de la sénatrice Piedad Córdoba, autorisée par son Gouvernement à servir de médiatrice sur cette question.

Source : Aporrea.org




Les Insurgés colombiens
prêts au dialogue

 
Numancia Martínez Poggi, 6 septembre 2007


Sollicité par la sénatrice colombienne Piedad Córdoba, le président vénézuélien Hugo Chávez vient de s’engager à jouer un rôle de facilitateur dans la recherche de l’Échange humanitaire de prisonniers en Colombie. Chávez entretient des relations cordiales avec le président colombien Uribe Vélez malgré des visions, politiques et stratégiques, diamétralement opposées. Par principe Chávez souhaite entretenir des relations cordiales avec tous les pays du monde, même si avec la Colombie uribiste la diplomatie bolivarienne a dû montrer davantage de patience, davantage de nerfs. Les provocations et les insidieuses invitations à l’affrontement n’ont pas manqué ces dernières années, mais Chávez considère raisonnablement que rien ne serait pire qu’un affrontement ouvert, l’interpénétration entre les deux pays voisins étant si forte.


Le vendredi 31 août 2007 Chávez s’est donc rendu à Bogotá, pour converser longuement avec le président Uribe Vélez. À l’issue de cette rencontre les deux présidents de ce qui fut la Grande Colombie ont donné une conférence de presse conjointe. Cette rencontre fut l’occasion pour le président Chávez de recevoir le feu vert du président Uribe Vélez et cette rencontre constitue dans le même temps le premier pas concret de ce qui s’annonce comme un long pèlerinage vers la paix colombienne pour le président Chávez. Rapidement les présidents de la région ont manifesté leur soutien au président Chávez : Lula, le président ex-guérillero Daniel Ortega, etc. 

Chávez est lui-même un militaire qui a combattu les guérillas vénézuéliennes dans les années 1970, avant d’assister à la pacification. Dans le gouvernement de Chávez il y a des ex guérilleros. Chávez a lui-même connu la prison, à la suite du soulèvement civico-militaire de février 1992. Chávez a lui-même été séquestré lors du coup d’État fasciste d’avril 2002 au Venezuela. Son vécu personnel explique certainement sa perception emplie d’humanité et de sensibilité sur ces questions.

Cette initiative diplomatique a vite dépassé la dimension régionale. Le mercredi 5 septembre 2007 la famille de l’un des trois mercenaires états-uniens détenus par les FARC-EP a visité l’ambassadeur du Venezuela à Washington Bernardo Álvarez. Ces personnes lui ont manifesté leur satisfaction de l’implication du président Chávez et ont fait connaître leur souhait de rencontrer ce dernier.

Malgré la grande quantité d’articles sur le thème colombien, certaines vérités élémentaires ne sont jamais données à connaître au public francophone, supposé disposer de la science infuse dès qu’il s’agit d’une information qui pourrait peu ou prou contribuer à donner une lecture rationnelle au comportement de la guérilla. Avec l’information dont dispose le citoyen moyen il est fatal qu’il considère les guérilleros des FARC-EP comme des personnes insensibles et irrationnelles. Le conflit colombien, comme tous les conflits, se joue aussi dans la présentation du conflit, et ce n’est pas par hasard qu’une part importante du budget du Plan Colombie est spécifiquement orientée aux relations publiques, aux questions d’image et de propagande. Les FARC-EP ne peuvent hélas pas, ou quasiment pas, accéder à l’ample dispositif culturel dominant, médiatique et universitaire, qui diffuse nouvelles et analyses dans le monde.
 

Chávez et Marulanda


Chávez, qui a toujours manifesté la tristesse que lui provoque la perpétuation de l’affrontement armé dans le pays frère, a déclaré ces derniers jours qu’il serait très intéressé de connaître personnellement Manuel Marulanda et qu’il avait sur ce point reçu le feu vert du gouvernement colombien. La parenté politique entre la Révolution bolivarienne du Venezuela et la guérilla colombienne des FARC-Ejército del Pueblo, armée bolivarienne luttant pour le socialisme, est un fait assez facilement perceptible.

Manuel Marulanda ne s’est pas prononcé personnellement, mais Raúl Reyes –responsable de la Commission Internationale des FARC-EP–, dans une interview donnée à Jorge Enrique Botero le 4 septembre 2007 (La Jornada, Mexique), dit que cela serait une heureuse rencontre. Dans la tradition chevaleresque du paysannat colombien, Manuel Marulanda avait au demeurant reçu la fascinante reine Noor de Jordanie venue du lointain Orient arabe jusqu’au Caguán pour lui rendre visite en juin 2001.

Dans le Document de Santa Fe IV, rendu public en 2000, on peut lire que les « négociations successives entre le gouvernement colombien et les FARC n’ont jamais eu de signification réelle parce qu’elles n’ont aucun véritable agenda (…) » mais ailleurs on peut lire qu’il est « raisonnable de supposer que quand elles parviendront au pouvoir, si elles y parviennent, leur système de gouvernement sera totalitaire (…) », ça va sans dire. Bref, non seulement les FARC-EP n’ont pas d’idées mais en plus elles ont de mauvaises idées. Ce document donne les linéaments stratégiques du clan Bush vis-à-vis de l’Amérique latine et les orientations pour le travail de propagande. C’est donc naturellement cette présentation, binaire et bancale, qui est le plus souvent reprise dans le dispositif culturel dominant. Précisons que les FARC-EP ont un programme et une proposition politique : c’est la Plateforme en dix points pour un Gouvernement de Réconciliation et de Reconstruction Nationale rendue publique en 1993.

Qualifiées en octobre 2001 par Francis X. Taylor –alors coordinateur du Bureau antiterroriste du département d’État des États-Unis– comme « le groupe terroriste international le plus dangereux basé dans notre hémisphère », les FARC-EP ont toujours manifesté leur solidarité avec Cuba socialiste, avec le Venezuela bolivarien, aujourd’hui avec la Bolivie émancipée, et avec la gauche latino-américaine de façon générale. Les FARC-EP ont des relations fraternelles avec les organisations qui partagent leurs idéaux et leurs principes, comme le FPLP palestinien, et des relations amicales avec l’ensemble du mouvement anti-impérialiste.
 
 
Le discrédit du gouvernement Uribe Vélez
 
Chávez entre en scène à un moment bien particulier de la vie socio-politique colombienne. Le thème de l’Échange humanitaire est de plus en plus présent dans le débat public, notamment de par la mobilisation des familles, mais aussi par les prises de positions, favorables, il y a quelques mois, de quatre ex-présidents colombiens, déjà signe d’un changement de climat. La tendance au renforcement de la clameur citoyenne pour la réalisation de l’Échange complique le discours uribiste qui voudrait faire porter à la guérilla la responsabilité de l’impasse sur cette question.

Le mois passé le professeur Gustavo Moncayo a attiré l’attention en effectuant une grande marche à travers le pays pour donner de l’écho à la cause des séquestrés. Arrivé à Bogotá le professeur Moncayo a pris la parole sur la Place Bolívar devant un public en rien sympathisant de la guérilla, puis, lorsque le président Uribe Vélez s’est adressé au même public il a été hué et quelques adjectifs colorés lui ont été lancés. Un rassemblement qui en d’autres temps aurait été l’occasion d’alimenter la propagande anti-guérilla a tourné à la déconvenue d’Uribe Vélez et des tenants de l’intransigeance. La distance s’est accentuée entre ceux qui sont intéressés par la propagande et ceux qui ont des objectifs concrets –la libération de leurs proches– et sont donc plus pragmatiques. Le vent tourne.

De plus, l’image du régime d’Uribe Vélez se trouve gravement endommagée. Bien des choses que l’on pouvait savoir depuis longtemps, mais qui n’étaient guère commentées dans le cadre du dispositif culturel dominant, s’étalent aujourd’hui sur la place publique. Le pacte qui liait le gouvernement Uribe Vélez et les paramilitaires a été brisé à la suite de zigzags hasardeux dans le système judiciaire. Les paramilitaires qui devaient logiquement être blanchis se considèrent floués, et donc parlent. Uribe Vélez est un représentant de la néo-bourgeoisie enrichie dans le narcotrafic. Bien des proches d’Uribe Vélez, amis politiques, membres du gouvernement, se trouvent aujourd’hui en prison ou en fuite.

On ne peut plus cacher, quoi qu’en disent d’étranges intellectuels de cour, que l’armée colombienne a organisé et maintenu les escadrons de la mort paramilitaires. La nécessité de donner des gages, y compris vis-à-vis de certains secteurs démocrates aux  États-Unis qui se prennent à gronder publiquement Uribe Vélez, conduit à certains remaniements dans l’armée, ce qui naturellement provoque une crise de confiance dans l’institution.
 
 
Pourquoi la lutte armée ? 
 
La répression de l’armée et des escadrons de la mort paramilitaires a en effet marqué la société colombienne. À la fin des années 1980 un génocide politique comme on en a peu vu s’est produit en Colombie, accompagné du silence de rigueur du dispositif culturel dominant. Un rassemblement politique de gauche, l’Union patriotique, a été supprimé physiquement : ses deux candidats présidentiels, Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo, ses élus à tous les niveaux, et des milliers de militants ont été assassinés l’un après l’autre avec une persistance méticuleuse.

Durant les années 1990 les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie–Armée du Peuple, vieille guérilla paysanne commandée par le légendaire Manuel Marulanda, ont dû absorber des centaines de militants fuyant le génocide entre traumatisme et fureur. Combien de jeunes garçons, aujourd’hui guérilleros intraitables, ont vu leurs parents disparaître dans les tourbillons de la répression ? Le massacre des dignes et limpides militants de l’Union patriotique ne pouvait se produire sans conséquences – ce serait mal connaître le peuple colombien. La fraternité entre les paysans vétérans de la résistance héroïque de Marquetalia et les militants issus du mouvement populaire urbain a alors été revivifiée.

Voilà le facteur principal de la puissance des FARC-EP aujourd’hui – on ne saurait cacher la lumière du soleil avec quelque doigt que ce fût. Jorge Enrique Botero rappelle par exemple incidemment que Raúl Reyes a travaillé chez Nestlé et qu’il a été dirigeant communiste dans le département du Caquetá. Autre exemple : Simón Trinidad, jeune cadre en vue dans la banque, garçon d’origine huppée, lecteur passionné de l’œuvre de Simón Bolívar, était devenu militant de l’Union patriotique, avant de devoir rejoindre le maquis pour échapper au massacre.
 
 
Une guérilla invincible
 
En 1996 les FARC-EP ont pris la grande base militaire de Las Delicias dans le sud du pays, faisant alors la bagatelle de 67 prisonniers. Ces derniers ont été libérés l’année suivante, remis au président Samper qui avait à cette fin accepté de démilitariser brièvement la municipalité de Cartagena del Chairá dans le département du Caquetá.

En décembre 1997 la guérilla a pris dans le sud du pays le Cerro de Patascoy, sommet qui s’élève à 4200 mètres et où se trouvait l’une des plus importantes bases de communication de l’armée. Une quarantaine de guérilleros, soutenus par une arrière-garde de quelque 100 compañeros, ont remporté une victoire totale sur les 34 militaires qui gardaient la base. Les guérilleros étaient venus des régions tropicales, où la température est toujours aux alentours de 30 degrés, pour remporter une surprenante victoire juste avant Noël sur un sommet où la température n’est jamais loin de 0 degrés. Les guérilleros transis ont pu se retirer sans dommage avant que l’aviation n’ait le temps d’intervenir.

Ce n’est donc pas complètement par hasard que la diplomatie états-unienne a rapidement voulu rencontrer les FARC-EP. En décembre 1998 le responsable de la Commission Internationale des FARC-EP Raúl Reyes a rencontré au Costa Rica Philip Chicola, responsable de la région andine au département d’État des États-Unis. Rencontre sans lendemain, certes, mais le régime états-unien fait preuve d’un toupet stupéfiant quand il se permet de stigmatiser d’autres gouvernements qui acceptent de rencontrer officiellement des représentants de la guérilla colombienne.


Négociations et libérations unilatérales

 
En 1998 le président Andrés Pastrana avait annoncé qu’il souhaitait entrer en négociation avec les FARC-EP. Les FARC-EP pour engager le Processus de Paix avaient réclamé la démilitarisation de cinq municipalités rurales dans le sud du pays. Les commentateurs du dispositif culturel dominant avaient aussitôt jugé cette demande extravagante. Les municipalités de San Vicente del Caguán (dans le département du Caquetá), Vistahermosa, La Macarena, Uribe et Mesetas (ces quatre dernières dans le département du Meta) ont néanmoins bien été démilitarisées, soit une région d’environ 42 000 kilomètres carrés – cinq fois la Corse. Le Processus de Paix a donc commencé en janvier 1999 dans cette région qu’on a pris l’habitude d’appeler le Caguán.

Ce Processus de Paix entre Andrés Pastrana et les FARC-EP avait ses ennemis, plus ou moins déclarés, au sein de l’oligarchie colombienne. Les positions de départ étaient assez distantes : le gouvernement souhaitait une pacification sans concession politique ; les FARC-EP voulaient des changements politiques substantiels, ou pour le moins des signes clairs d’une réorientation de la politique de l’État sur des questions aussi élémentaires que le paramilitarisme, les richesses nationales, la répartition de la terre, etc. Malgré les difficultés et les réticences à aborder les questions politiques, la bonne volonté commune quant à la nécessité de l’humanisation du conflit maintenait le contact, et l’espoir… 

En juin 2001, geste concret quant à l’humanisation de la guerre, et porte ouverte à la réconciliation des Colombiens, les FARC-EP ont libéré de façon unilatérale 242 militaires ou policiers. Ils étaient pour la plupart détenus depuis les retentissantes batailles de la fin des années 1990, c’est-à-dire depuis plusieurs années. La guérilla a cependant gardé en détention, séquestrés selon le langage du dispositif culturel dominant, les officiers militaires. Le fils du professeur Moncayo, officier fait prisonnier au Cerro de Patascoy en décembre 1997, n’a donc pas été libéré. Le dirigeant des FARC-EP Jorge Briceño (« el Mono Jojoy ») fit alors savoir que les FARC-EP avait pris la décision de capturer des membres de l’oligarchie, à seule fin d’infléchir se perception de la question de l’Échange humanitaire.

En février 2002 le gouvernement Pastrana, en bout de course, sans résultat concret, harcelé par les courants bellicistes au sein de l’armée, mit brutalement un terme au Processus de Paix. Aussitôt la Zone démilitarisée du Caguán fut intensément bombardée pendant de longues heures. Les guérilleros, vieille habitude, se sont cependant dispersés sans dommage notable.

Quelques mois plus tard Uribe Vélez est porté au pouvoir par les secteurs qui rejettent radicalement le Processus de Paix et qui préconisent la victoire militaire contre les FARC-EP.
 

Deux départements pour le Processus de Paix 
 
Le 15 mai 2002, soit moins de trois mois après la brutale rupture de février 2002, les FARC-EP émettent un communiqué officiel dans lequel sont précisées les trois conditions pour la reprise du Processus de Paix : 1) les départements de Caquetá et Putumayo seront démilitarisés ; 2) les personnes représentant officiellement l’État et le gouvernement s’abstiendront d’employer les termes de « terroristes » et de « narcoterroristes » pour parler des FARC-EP ; et, 3) la politique gouvernementale sera clairement orientée vers l’élimination du paramilitarisme. Ce communiqué, qui n’a été ni remplacé ni modifié, garde toute sa validité. Le Caquetá fait presque 89 000 kilomètres carrés et le Putumayo fait un peu moins de 25 000 kilomètres carrés ; il s’agit donc de près de 115 000 kilomètres carrés (un peu plus grand que la Bulgarie) demandés pour la reprise du Processus de Paix. Ce territoire a de plus la caractéristique particulière de se trouver sur une longue zone frontalière au sud du pays, ce qui serait une nouveauté dans l’histoire des Processus de Paix en Colombie. Cette demande est bien entendu jugée extravagante par le dispositif culturel dominant – dans les cas où le sujet ne peut être évité, s’entende, parce que le plus courant en l’affaire c’est la loi du silence.
 
 
Deux municipalités pour l’Échange humanitaire
 
En mai 2003, soit l’année suivante, les FARC-EP font connaître à l’opinion publique les noms des trois guérilleros officiellement chargés de l’Échange humanitaire : Carlos Antonio Lozada, Simón Trinidad et Domingo Biojó. El Tiempo, le seul quotidien de dimension nationale, le 3 mai 2003, explique que Domingo Biojó avait été chargé de la question des Négritudes durant le Processus de Paix achevé l’année antérieure. Carlos Antonio Lozada avait été lui responsable de la guérilla urbaine à Bogotá et, toujours selon le quotidien unique El Tiempo, sa présence dans ce trio de contact doit être comprise comme le « quota » de « Jojoy », sans toutefois préciser quels quotas représentent Domingo Biojó et Simón Trinidad.

En janvier 2004, Simón Trinidad est capturé à Quito, en Équateur, où il réalisait des contacts propres au rôle qui était le sien. Il est aussitôt transféré en Colombie, hors de toute légalité, avec dans le meilleur des cas la complaisance du gouvernement de Lucio Gutiérrez. Telle est la réponse d’Uribe Vélez à la proposition publique faite par les FARC-EP. Cela n’est pas pour construire la confiance.
 
En septembre 2004 les FARC-EP demandent la démilitarisation de San Vicente del Caguán et de Cartagena del Chairá, deux municipalités rurales du département du Caquetá, une zone d’environ 31 000 kilomètres carrés pour la réalisation de l’Échange humanitaire. L’armée oligarchique prétend que cette demande des FARC-EP est déloyale parce que c’est dans ces deux municipalités justement que se déroule le gros de la confrontation dans le cadre du Plan « Patriota », étape du Plan Colombie, étape peu originale en cela qu’elle doit être la énième offensive finale contre les rebelles. La guérilla est donc accusée de vouloir obtenir un avantage militaire en effectuant un odieux chantage basé sur la sécurité des personnes séquestrées. Le vice-président Santos, membre de la famille propriétaire du quotidien unique El Tiempo, déclare aussitôt qu’aucune zone démilitarisée n’est nécessaire pour réaliser un Échange humanitaire, et que « ce qu’il faut c’est de la volonté et nous pensons que les FARC n’en ont pas ».

Début décembre 2004, dans un geste de bonne volonté, signal d’une flexibilité constructive, les FARC-EP demandent alors que soient démilitarisées les municipalités de Pradera (403 kilomètres carrés) et Florida (395 kilomètres carrés). Ces deux municipalités rurales, 800 kilomètres carrés en tout, proposées pour servir de théâtre à l’Échange humanitaire, se trouvent dans le département du Valle del Cauca dont le gouverneur Angelino Garzón est réputé pragmatique et constructif en la matière. Cette proposition remplace la proposition antérieure qui portait sur San Vicente del Caguán et Cartagena del Chairá, mais non la demande de démilitarisation des départements de Caquetá et Putumayo pour la reprise du Processus de Paix. La zone démilitarisée dans les municipalités de Pradera et de Florida, dans le Valle del Cauca, serait près de 40 fois mois étendue que la zone de San Vicente del Caguán et Cartagena del Chairá.

Le périmètre de la zone démilitarisée de Pradera et Florida, certainement le facteur le plus important pour la réalisation de ce genre d’opération, serait environ trois fois inférieur à celui de la première proposition. Ce qui importe pour les guérilleros, dans le cas d’une zone démilitarisée, c’est de pouvoir y accéder sans s’offrir en cibles sur plateau d’argent ; et les forces armées ne manqueraient pas de tisser un dispositif militaire sur le périmètre de la zone démilitarisée (dans le meilleur des cas). Alors qu’elle ne demandait la démilitarisation que pour trois jours dans le premier cas, la guérilla demande une période de plusieurs semaines dans le cas de la zone de Pradera et Florida, le déplacement des personnes retenues étant nécessairement une procédure complexe. Cette période doit en plus permettre la dispersion des guérilleros libérés ; certains prisonniers depuis de longues années sont assez diminués quant aux capacités de déplacement.
 
 
Vers un dénouement ?
 
La guerre colombienne entre l’armée et la guérilla a parfois été décrite comme une guerre de paysans pauvres contre des paysans pauvres, ce qui pourrait bien expliquer l’insensibilité et l’intransigeance de l’oligarchie colombienne sur la question de l’Échange de prisonniers. Les gens de la haute société colombienne savent au demeurant se montrer pragmatiques lorsque l’un des leur vient à se trouver dans une situation inconfortable. Ainsi, exemple parmi tant d’autres, lorsque le frère du président César Gaviria, Juan Carlos Gaviria, avait été séquestré par le groupe Jega en 1996, les démarches pour la négociation avaient instantanément démarré au plus haut niveau.

Presque toutes les guerres ont donné lieu à des échanges de prisonniers, et  y compris en Colombie il existe en effet une riche expérience de ce genre de démarche. Tout ce qui est nécessaire c’est un minimum de volonté et la construction de mécanismes sûrs et loyaux à même de donner confiance aux deux protagonistes qui se trouvent par ailleurs dans une situation de confrontation militaire.

Les FARC-EP, qui détiennent moins de cinquante personnes  –la plupart sont des officiers militaires–, demandent la libération de plusieurs centaines de guérilleros et militants injustement emprisonnés. D’aucuns se scandalisent de ce cas manifeste d’Échange inégal. Il est courant dans les conflits que la disproportion des forces militaires en présence se reflète au moment des échanges de prisonniers, un officier israélien contre plusieurs dizaines de résistants palestiniens ou libanais, par exemple – même s’il est au demeurant vrai que dans le cas colombien les forces en confrontation tendent à s’équilibrer à mesure que les années passent.

Les FARC-EP détiennent aussi trois citoyens états-uniens, capturés le 13 février 2003, quand leur avion est tombé dans le département du Caquetá. Le 26 février 2003 le holding états-unien Northrop Grumman Corporation a déclaré que ces trois personnes capturées travaillaient pour l’entreprise California Microwave Systems, entreprise spécialisée dans l’installation de senseurs et de radars pour la surveillance aérienne. Cette entreprise agit en Colombie en vertu d’un contrat qui la lie au Département de la Défense des États-Unis, a fait savoir le Commandement sud (SouthCom) de l’armée des États-Unis, responsable des opérations en Colombie. Selon les informations apportées par le quotidien The Baltimore Sun, le 27 février 2003, ni l’entreprise ni le Pentagone n’ont souhaité offrir davantage de commentaires quant à la nature des activités de l’entreprise en Colombie. Évidemment le dispositif culturel dominant considère ces trois personnes comme des séquestrés victimes de l’arbitraire et de l’inhumanité des guérilleros. En 2002, un Français, Pierre Galipon, et deux Canadiens avaient été détenus par les FARC-EP dans le sud de la Colombie. Vérification faite, les trois personnes avaient été libérées le 30 juillet 2002. Le dispositif culturel dominant n’avait guère donné d’écho à cette affaire : le Français racontait qu’il avait été très bien traité, que leurs biens leur avaient été rendus, etc.

L’oligarchie colombienne entravait par tous les moyens possibles les avancées qui pouvaient se produire sur le thème de l’Échange de prisonniers. Au début du gouvernement Uribe Vélez toute idée de zone démilitarisée était proscrite et l’antienne uribiste était : « En Colombie il n’y a pas de conflit, il y a des terroristes et nous luttons contre le terrorisme, comme le font nos amis dans le monde… » Pour signaler son refus de l’Échange humanitaire Uribe Vélez est allé jusqu’à déporter aux États-Unis le guérillero Simón Trinidad, capturé à Quito en janvier 2004, et qui était l’un des trois porte-parole désignés par la guérilla pour réaliser les contacts nécessaires à l’Échange humanitaire.
Or le temps passe et la victoire ne vient pas. La guérilla a aujourd’hui achevé son déploiement stratégique sur l’ensemble du territoire colombien et il est donc très difficile, à qui veut conserver quelque crédibilité, de parler d’une bande de terroristes débandés. La confrontation militaire pourrait s’éterniser encore pendant de longues années faute d’un retour au Processus de Paix qui donnerait une issue négociée au conflit colombien. Même s’il s’agit de deux procédures clairement distinctes, la réalisation de l’Échange peut être une étape vers la reprise du Processus de Paix souhaité par tous.

Les arguments d’Uribe Vélez pour refuser l’Échange humanitaire ont l’un après l’autre été pulvérisés par la réalité et l’entrée en scène du président Chávez est venue donner un souffle nouveau aux défenseurs de l’Échange. Uribe Vélez n’a certainement pas changé de point de vue – mais le fait est qu’il cède. Nous ne sommes plus à l’époque ou celui qui se voyait déjà comme le Sharon des Andes allait faire enlever à Caracas, en plein jour, un membre de la Commission Internationale des FARC-EP. Le fait qu’Uribe Vélez soit contraint de donner son feu vert à Chávez est aussi, au-delà de la question de l’Échange de prisonniers, le signe que le camp progressiste prend le dessus dans la région. Imaginons le cœur des Palestiniens quand les États-Unis ne pourront plus s’imposer comme médiateur entre eux et Israël. On ne peut pas dire que Jérusalem la Sainte soit en vue mais, sans doute, on avance.

Le président Chávez, qui a souvent montré sa patience, dispose aussi d’une qualité nécessaire ici : il sait hiérarchiser les problèmes, délaisser ce qui n’est que l’écume décorative de la vie et appréhender sincèrement, concrètement, la profondeur des choses.




Guérilla en Colombie : la fin et les moyens



Entretien avec Rodrigo Granda, FARC-EP


Le 24 juillet dernier, à la Havane, le journal solidaritéS a obtenu un entretien exclusif avec Rodrigo Granda, membre de la Commission internationale des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie- Armée du Peuple (FARC-EP), enlevé au Venezuela par la police secrète colombienne, incarcéré, puis sorti de prison à la demande de Nicolas Sarkozy. Il permet de mieux comprendre les positions de ce mouvement politico-militaire très controversé qui combat le régime de l’oligarchie colombienne, soutenu par les Etats-Unis, depuis 43 ans.

— Les FARC se considèrent comme un mouvement politico-militaire qui mène une guerre sociale insurrectionnelle contre l’Etat colombien. A ce titre, elles capturent des policiers, des soldats, des officiers et des mercenaires. Elles ont également décidé de séquestrer des personnalités civiles représentatives de l’appareil d’Etat colombien. Enfin, elles ont enlevé aussi des civils dont la libération a été conditionnée au payement d’une rançon. Si personne ne peut contester qu’une armée emprisonne des combattants adverses, comment les FARC peuvent-elles justifier l’incarcération de civils ? Ne pensent-elles pas que de telles pratiques tendent à les isoler de larges secteurs de l’opinion publique colombienne opposés au gouvernement?

Effectivement, les FARC-EP sont un mouvement politico-militaire usant du juste droit à la rébellion contre un Etat qui pratique une démocratie de façade. Nous répondons à une guerre qui nous a été imposée par les hautes sphères du pouvoir colombien. Durant des décennies, le terrorisme d’Etat a été utilisé comme méthode d’extermination contre nous et notre peuple. Dès lors, et tout le monde le sait bien, une telle guerre a besoin de financement. Ce conflit nous a été imposé par les riches de Colombie : ils doivent donc financer cette guerre qu’ils ont eux-mêmes déclenchée. C’est pour cela que les FARC capturent des personnes, libérées en échange d’une somme d’argent qui est de fait un impôt. Cet argent est destiné au financement de l’appareil de guerre du peuple.

Comme vous le savez, nous parlons de la construction d’un nouveau pouvoir et d’un nouvel Etat. En Suisse, en France, ou aux Etats-Unis, si quelqu’un ne paie pas ses impôts, il va nécessairement en prison. Le nouvel Etat que nous sommes en train de forger a décidé le paiement d’un impôt pour la paix. Cela signifie que toute personne physique ou morale, de même que les entreprises étrangères qui sont établies en Colombie et réalisent des bénéfices supérieurs à un million de dollars par an, doivent s’acquitter d’un impôt pour la paix représentant 10% de leurs gains. Les débiteurs sont informés qu’ils doivent entrer en discussion avec les responsables financiers des FARC et acquitter cette somme. Si ces personnes ne le font pas, elles sont alors arrêtées et emprisonnées jusqu’à ce qu’elles aient effectué leur paiement, avec lequel nous assumons les charges du nouvel Etat, construit et dirigé par les FARC, agissant comme armée du peuple.

Evidemment, au cours des opérations militaires, les FARC capturent des officiers, des sous-officiers, des policiers et des soldats - actuellement détenus comme prisonniers de guerre. Dans ces affrontements, il arrive aussi que l’ennemi capture des prisonniers de notre bord qui, après des jugements sommaires et truqués, purgent des condamnations très lourdes dans les différentes prisons du pays. Malheureusement, cela est normal dans le contexte de la guerre. Quoi qu’il en soit, dans un conflit aussi aigu que celui de la Colombie, il est possible que certaines détentions de civils ne soient pas bien vues par la population de manière générale. Néanmoins, nous considérons qu’en ayant publié la loi 002, selon laquelle certaines personnes et entités économiquement puissantes doivent payer l’impôt pour la paix, nous les avons dûment avisées et qu’elles peuvent entrer en discussion et régler leur situation dans les délais impartis. Si nous obtenons cela, il est indubitable que les arrestations diminueront.

Quant au fait que cela nous éloigne de la population civile, cela se peut, mais ne va sûrement pas être déterminant, parce que de larges secteurs de la population colombienne savent parfaitement que généralement, les FARC-EP ne détiennent que des personnes économiquement solvables. Il ne s’agit, en aucune manière, de détenir des gens au hasard. Concernant les prisonniers de guerre, nous les gardons en prévision d’un échange humanitaire, que nous espérons très proche. Nous n’oublions pas de tenir compte du fait, qu’en Colombie, la justice et les juges spéciaux imposent de fortes condamnations à de nombreux guérilleros et guérilleras arrêtés – qui ont eu la chance de ne pas être assassinés lors de leur capture – : ces condamnations équivalent pratiquement à des emprisonnements à vie. Car, dans notre pays, la justice est une justice de classe et s’applique comme telle : ceux qui font usage du juste droit à la rébellion sont condamnés comme « terroristes » ou « auteurs de séquestration » : les sentences contre les révolutionnaires oscillent entre 40 et 80 années de prison. Ainsi, l’impôt est une nécessité dictée par la situation actuelle de guerre que vit la Colombie. Nous voudrions ne détenir aucune personne, ni civile – même issues des sommets de l’oligarchie -, ni militaire... Mais la confrontation quotidienne dans notre pays impose que les choses se passent de cette manière, et non comme nous le souhaiterions.

— Le financement de la lutte armée dépend en large partie de l’impôt révolutionnaire prélevé sur la culture de la feuille de coca et sur la production de pâte base, et dans une certaine mesure aussi des enlèvements contre rançon. Si un processus de paix débutait, la guérilla pourrait-elle se passer de ces sources de financement sans mettre en péril son autonomie politique et organisationnelle ? En d’autres termes, n’existe-t-il pas à l’intérieur de votre mouvement des forces qui tendent à défendre le statu quo par crainte que la démobilisation prive les FARC de sources de revenus décisives et que cela conduise à leur marginalisation ?

Premièrement, il faut dire que les FARC-EP ont toujours été un mouvement autarcique, c’est-à-dire qu’elles ont vécu de leurs propres ressources et n’ont jamais dépendu – ni hier ni aujourd’hui – et ne dépendront jamais d’aucun financement d’origine étrangère. Comme FARC-EP, nous avons réussi à développer initialement une économie de subsistance avant de développer des facteurs de production qui permettent le maintien de notre mouvement. Les FARC-EP existaient en Colombie bien avant le développement du narcotrafic ou la mise en oeuvre d’une politique logistique de capture systématique de personnes, qui sont des choses conjoncturelles. Avec les années, les FARC-EP ont diversifié leur financement grâce à des investissements de tous ordres : dans des opérations financières à l’intérieur et à l’extérieur du pays, dans la production agricole, l’élevage, la mine, le transport et bien d’autres secteurs productifs.

Il est indéniable que la Colombie a été transfigurée par des politiques néolibérales imposées par la terreur, qui ont ruiné les campagnes, dans un pays producteur de feuilles de coca pour l’élaboration de la cocaïne, et cela a obligé des milliers et des milliers de familles paysannes pauvres à tirer leur subsistance de cette économie pour ne pas mourir de faim face à la destruction de leurs cultures traditionnelles de café, de maïs, de bananes, de sorgho, de coton, etc.

Les FARC-EP sont un mouvement principalement rural et nous sommes en contact direct avec cette réalité, mais nous n’avons pas les moyens d’obliger les gens à abandonner ces plantations dites illicites sans leur donner une alternative. Lors du dialogue de el Caguán (1999-2002) [1], le gouvernement de M. Pastrana, à l’initiative de notre organisation, avait organisé la première conférence publique internationale pour le remplacement des cultures dites « illicites » et la protection de l’environnement. L’Union européenne, le Japon, le Canada, ainsi que l’ONU, le Groupe des pays amis du processus de paix en Colombie et les pays accompagnateurs de ce dialogue ont participé à ces rencontres. Les Etats-Unis avaient été conviés, mais ils ont décliné cette invitation. A cette occasion, les FARC ont présenté un projet viable pour l’éradication des plantations de feuilles de coca dans les municipes de Cartagena del Chairá et du Caquetá, qui vouaient alors quelques 8 000 hectares à cette activité.

Nous aurions voulu obtenir que la communauté internationale s’engage en faveur d’une alternative à la répression et qu’on réalise des investissements sociaux dans cette région afin d’y développer un « laboratoire expérimental » en vue de la recherche de solutions pour supprimer ces cultures, qui auraient pu être étendues ensuite à d’autres zones du pays, et si possible du continent : en Equateur, au Pérou, en Bolivie. Cette proposition est toujours valable. Nous croyons aussi que la légalisation de la drogue contribuerait à la solution du problème. Des économistes comme Friedman et une revue aussi prestigieuse que The Economist le reconnaissent d’ailleurs. Il y a des raisons à cela : comme il s’agit d’un commerce clandestin, la rotation du capital est impressionnante. Actuellement, on calcule que le produit mondial du narcotrafic représente 680 milliards de dollars et il n’est pas de crime qui ne soit pas commis pour s’approprier cette énorme quantité d’argent.

Il s’agit tout d’abord d’un problème économique, puis politique, et aussi éthique, mais si les énormes profits disparaissaient, l’incitation fondamentale que sont les gains sur investissements disparaîtrait et les Etats pourraient contrôler ce marché. Quelque chose de semblable à ce qui est arrivé, toutes proportions gardées, avec la fin de la prohibition aux Etats-Unis à l’époque de la mafia d’Al Capone et Cie, dans les années 20. Il doit être clair – et nous l’avons démontré face à notre nation et à la communauté internationale – que les FARC-EP ne sont en aucune manière des narcotrafiquants et qu’elles ne sont mêlées ni à la production, ni au transport, ni à la commercialisation, ni à l’exportation de narcotiques. Au contraire, nous sommes disposés à travailler avec la communauté internationale et même avec le gouvernement des Etats-Unis à la solution de ce grave problème.

Notre organisation a imposé le prélèvement d’un impôt aux acheteurs de pâte de coca qui doivent pénétrer dans les zones où ces cultures existent et où nous sommes présents ; et cet impôt représente une forme de contrôle par rapport aux abus commis à l’encontre des paysans cultivateurs. Ensuite, nous n’exerçons pas de fonctions de police. C’est à l’Etat colombien de contrôler ces zones et, jusqu’à présent, il a été incapable de le faire en dépit des milliers de millions de dollars investis par le gouvernement des Etats-Unis pour en finir avec ce trafic qui affecte le monde.

De plus, il faut tenir compte du fait que les revenus générés par cet impôt représentent une fraction infime des coûts de l’appareil militaire des FARC-EP. En ce qui concerne la détention de personnes, il faut dire que leur produit aide aussi au maintien économique des FARC, mais ce n’est pas décisif. L’objectif ultime des FARC-EP n’est pas le « confort » de son personnel dirigeant, de sa hiérarchie ou de ses combattant-e-s. Pour nous, l’argent est un moyen, quelque chose qui peut contribuer à la concrétisation du but politique et stratégique des FARC-EP, soit la prise du pouvoir pour effectuer des changements politiques, économiques, sociaux, écologiques et de tout ordre, dont le pays a besoin et qu’il réclame. Le financement est donc un moyen pour arriver à de telles fins. Personne des FARC-EP n’aspire à devenir multimillionnaire ; c’est l’une de nos grandes différences avec les narcotrafiquants et les paramilitaires qui cherchent à s’enrichir personnellement et à « mener la grande vie ».

Quant à une possible démobilisation - à laquelle vous faites allusion -, cela n’entre pas dans les calculs immédiats des FARC-EP. Imaginez-vous que nous n’avons plus aucun contact avec le gouvernement Uribe. Si nous parvenions à une hypothétique situation d’arrêt de la guerre et devions passer à un autre type d’actions, les FARC-EP disposent d’un « plan B ». Mais nous parlons ici de suppositions, alors que la réalité est bien différente.

Enfin, les FARC-EP ne font pas la guerre par plaisir. Nous avons dit que si le cadre politique ambiant change et que les conditions pour mener une politique large, légale, sans crainte de représailles ou d’assassinats existent, si la voie est ouverte à une démocratie réelle, nous pourrions alors penser à changer la forme actuelle de confrontation militaire pour répondre à la nouvelle donne. Durant tout le mandat présidentiel de M. Uribe, et bien avant, les FARC-EP ont dû faire une opposition politique et militaire au régime, parce qu’il n’existait aucune autre manière de pouvoir exprimer notre pensée. La bourgeoisie colombienne est une bourgeoisie sanguinaire, rétrograde, qui ne comprend que le langage des armes. Si nous n’avions pas répondu à l’agression, elle nous aurait déjà marqués au fer rouge et enchaînés, comme à l’époque de l’esclavage...

— Les récentes mobilisations de masse contre la violence et les séquestrations ont fait porter la responsabilité aussi bien sur le gouvernement que sur les insurgés. Ces mobilisations ne représentent-elles pas un revers pour la gauche, dans la mesure où Alvaro Uribe a su en tirer parti pour détourner l’attention du public par rapport à son implication dans les scandales de la parapolitique ?

Comme vous le dites vous-même, ces mobilisations ont le sens d’un rejet de la violence, et plus particulièrement de la violence officielle et paramilitaire. Le peuple colombien est bien sûr fatigué de l’affrontement militaire, mais quel peuple ne le serait pas après 40 ans de guerre imposés par le régime en place. M. Alvaro Uribe a essayé de capitaliser un mouvement auquel ont pris part des secteurs populaires très proches des FARC-EP, et même des membres de notre organisation. On pouvait voir dans ces mobilisations des pancartes exigeant l’échange humanitaire des prisonniers, la recherche du dialogue pour une issue politique au conflit social et armé que vit le pays. Si vous analysez les bulletins de la presse, de la radio ou de la télévision, vous constaterez que la plus grande part des éditorialistes du pays ont critiqué l’opportunisme politique du gouvernement. Il faut en outre rappeler que dans la ville de Cali, il y a eu un affrontement public entre le ministre de l’Intérieur et l’un des parents des 11 députés tués lors de la tentative manquée de sauvetage militaire, ordonnée par le gouvernement, le 18 juin 2007. Enfin, il n’est pas certain que le président Uribe ait capitalisé ces mobilisations. Au contraire, les derniers sondages d’opinion effectués après cet événement montrent que l’image de M. Uribe est usée et « en chute libre », et ceci pour la première fois depuis son accession à la présidence [2002].

Quant au problème de la parapolitique [2], il a été dénoncé depuis plus de vingt ans par le journal Voz, l’organe du Parti communiste de Colombie, par les FARC-EP et par des démocrates de tout le pays. Néanmoins, l’Etat colombien a toujours ignoré ces dénonciations. Il y a un an et demi, j’ai eu l’occasion de parler - dans la prison de haute sécurité de Combita, où j’étais alors détenu - avec le responsable pour la paix du gouvernement Uribe, le docteur Luis Carlos Restrepo. Durant cette conversation, nous avons abordé plusieurs thèmes : j’ai pu entre autres lui démontrer que la politique de « sécurité démocratique » imposée par le président et le Plan Colombie avaient échoué. Il m’a répondu : « Ecoutez Monsieur Granda, l’Etat colombien vous a certainement combattus avec des méthodes non orthodoxes...». Ces méthodes dont parlait Restrepo sont précisément la parapolitique et le paramilitarisme, parce que cette manière de faire a été froidement calculée pour la Colombie. C’est l’une des formes d’expression du fascisme, grâce auxquelles les monopoles financiers, le secteur industriel et les grands propriétaires terriens ont bénéficié de l’ensemble de la recomposition économique du pays, provoquée par la globalisation et les privatisations qui l’accompagne. Les affaires et les gains effectués par ces secteurs ont été extraordinaires. Ce qui reste à privatiser en ce moment est réduit, ce qui nous indique que la période de mise en œuvre la plus brutale du projet néolibéral en Colombie est, dans une certaine mesure, déjà derrière nous, puisqu’il ne reste aucune entreprise publique d’importance à vendre aux transnationales. C’est pour cette raison qu’ils tentent maintenant de démonter ces appareils de mort qu’ils avaient mis en place comme appui militaire à leur projet fascisant d’imposition du néolibéralisme.

Dans ce sens, nous pourrions faire une comparaison avec le Chili du général Pinochet. Rappelez-vous que les politiques néolibérales ont commencé à être imposées au continent après le coup d’Etat de 1973 au Chili. Ce coup d’Etat a pratiquement liquidé la résistance populaire de la classe ouvrière, des classes moyennes et de la paysannerie ; il a imposé la discipline sociale des monopoles, c’est-à-dire le fascisme au service du néolibéralisme, qui a utilisé la terreur dans notre Amérique pour imposer son projet économique et son idéologie politique. Maintenant, en Colombie, l’establishment est secoué, parce que les institutions et les hommes qui les composent, sont impliqués dans la crise à laquelle ils ont conduit la nation. La Colombie est l’un des pays avec le plus haut niveau de corruption à l’échelle mondiale. On dirait que les institutions colombiennes on été créées pour protéger toutes les formes de corruption. C’est pour cette raison que l’establishment, pour imposer ses politiques néolibérales, a jeté par-dessus bord tout sens éthique en politique, et maintenant il reçoit et paye la facture de son « mariage » avec un narco-paramilitarisme créé pour éliminer la gauche révolutionnaire à n’importe quel prix. Ce modèle et ce projet fascistes pour la Colombie ont échoué. Lorsque déferle la marée des dénonciations, le président tente évidemment d’éviter tout débat public et crée des écrans de fumée : la réélection, le référendum, la coupe du monde de football, etc., afin de distraire l’opinion publique nationale. Mais les scandales et la corruption régnante en Colombie sont d’une telle ampleur, qu’aucun de ces shows publicitaires ne réussira à détourner l’attention de l’aspect fondamental : la corruption imposée par la mafia, le paramilitarisme et le narcotrafic - qui sont la même chose – en faveur d’un gouvernement qui est un gouvernement mafieux qui pratiquent une narco-démocratie.

— L’Armée de libération nationale (ELN, Ejército de Liberación Nacional) a décidé récemment de déposer les armes. Dans quelle mesure, cette décision affaiblit-elle la lutte armée des FARC, vu que désormais l’Etat colombien, le paramilitarisme et les Etats-Unis pourront concentrer tous leurs efforts pour vous combattre ?

Il faut relativiser l’impact de la lutte contre-insurrectionnelle que nous vivons aujourd’hui, de la part du gouvernement colombien et des Etats-Unis. Pratiquement, depuis le début du Plan Colombie, les FARC-EP ont résisté seules à ces opérations. Il est indéniable que l’Etat colombien n’a jamais combattu militairement le paramilitarisme. Les opérations militaires dans des zones où opèrent les camarades de l’ELN ont été minimes ; dans une certaine mesure, la responsabilité et le poids fondamental des opérations menées par l’armée colombienne et les gringos ont été supportés par notre organisation. Vous devez vous souvenir qu’en ce moment, la Colombie est le troisième pays bénéficiaire de l’aide militaire nord-américaine, après Israël et l’Egypte. Dans la première étape du Plan Colombie, les États-Unis ont investi 7,5 milliards de dollars et l’Etat colombien a imposé un impôt de guerre de 12 % (qui a été majoré cette année de 8 %). Même ainsi, toutes les opérations du Plan Colombie et celle qui ont suivi ont échoué face à la résistance et à la contre-offensive des FARC-EP.

Il est donc très relatif de penser que l’ennemi puisse nous mettre en déroute, bien qu’il braque toutes ses batteries sur nous. Notre histoire le démontre depuis l’époque de notre naissance à Marquetalia (1964) : rappelons que 16 000 militaires furent déployés dans cette région contre le groupe fondateur des FARC, formé de quarante-six hommes et de deux femmes d’origine paysanne. A ce moment, il n’y avait aucun autre mouvement insurgé dans le pays. Le poids de cette offensive contre les zones d’autodéfense paysanne - dénommée « Opération LASO » [Latinoamerican Security Operation] - retomba naturellement sur les FARC-EP.

Nous croyons que dans cette nouvelle période, une limite a été atteinte dans les actions militaires des troupes gringas, mercenaires et de l’armée colombienne. Nous parlons actuellement de leur déclin. Il faut dire que dans les hautes sphères du gouvernement colombien et dans les couloirs du Pentagone, on parle de l’échec retentissant du Plan Colombie, du Plan Patriota [3], du Plan Consolidation et du Plan Victoria(2002-2007). Il est impossible pour les gringos et l’Etat colombien de remporter une victoire militaire sur un mouvement armé qui, comme le nôtre, mène la lutte depuis quarante-trois ans, et qui dispose d’une large expérience, tant au niveau de ses commandant-e-s que de ses combattant-e-s. Il faut dire qu’il s’agit d’une expérience quasi unique en Amérique latine et dans le monde. Vous pouvez constater qu’en ce moment, il n’y a aucun autre grand plan ou « opération militaire  » dans l’hémisphère occidental, qui ait l’envergure et les caractéristiques des opérations menées dans le centre et le sud de la Colombie et pratiquement sur tout le territoire national.

Nous avons dû vraiment livrer une guerre seuls. Auparavant, il existait le « camp socialiste », la solidarité internationale, et nous avons dû « danser avec la plus laide » (pour utiliser une expression populaire colombienne un peu machiste), mais nous avons vu que seuls, nous pouvions aussi affronter et vaincre l’ennemi. Pour nous, c’est une obligation et notre apport solidaire aux peuples opprimés du monde. La combinaison de toutes les formes de lutte de masses va nous assurer la victoire dans un futur proche. Il ne reste plus d’autre alternative à l’Etat colombien que d’accepter son incapacité à mettre en déroute les insurgé-e-s, ainsi que l’échec de son projet fasciste, qui a utilisé la terreur d’Etat comme arme fondamentale, et de chercher un accord pour que nous puissions entamer une discussion et trouver une issue politique négociée à ce long conflit social et armé que vit notre pays.

Quant au désarmement de l’ELN, je l’apprends... Car je sais que l’ELN n’a pas déposé les armes. Je ne peux pas me prononcer sur les décisions de l’ELN. C’est une organisation souveraine, une organisation de guérilla qui combat depuis des années et qui, d’après ce que je sais, n’a jusqu’ici pas livré une seule cartouche.

— Les FARC sont nées d’un mouvement de paysans pauvres, qui constituent toujours le noyau principal de leur base sociale. Les FARC ont-elles été capables depuis lors de repenser leur réorientation stratégique à la lumière de l’urbanisation extrêmement rapide de la Colombie ? En d’autres termes, comment les FARC s’adressent-elles aux masses urbaines paupérisées qui subissent les constantes attaques des paramilitaires, et la répression exercée par l’Etat colombien ?

Je vous disais à l’instant que les FARC-EP sont une organisation politico-militaire. La lutte que mènent les FARC-EP n’est pas un affrontement d’appareils, c’est-à-dire entre l’appareil militaire de l’Etat colombien et celui des FARC-EP proprement dit.

De manière générale, si on analyse l’évolution du comportement des Etats bourgeois, on observe que ceux-ci ont diverses manières de mettre en œuvre ce qu’ils appellent « la démocratie représentative », et qu’ils combinent à peu près toutes les formes de lutte pour exploiter les peuples. Les gringos appellent cela « la carotte et le bâton », qu’ils pratiquent de la manière suivante : s’ils considèrent que les masses sont dociles, ils les laissent développer certaines formes limitées de démocratie pendant un certain temps ; s’ils considèrent que ces masses se sont radicalisées, ils font descendre les troupes dans la rue et répriment. Mais s’ils constatent que ces mouvements de masse se radicalisent encore, ils recourent au terrorisme d’Etat et massacrent leurs opposant-e-s et exterminent des organisations de masse. C’est la terreur au niveau le plus effrayant, qu’ont connu tous les pays de notre Amérique dans le passé récent et qui perdure encore en Colombie.

De ce point de vue, il est légitime que les mouvements révolutionnaires de Colombie et du monde emploient toutes les formes de lutte de masse pour arriver aux changements révolutionnaires dont la société a besoin à un moment de son développement. Nous n’avons pas proclamé la lutte armée par décret. Elle ne peut d’ailleurs pas l’être, pas plus que par la volonté de tel ou tel personne ou parti. La lutte armée naît de la nécessité impérieuse de défendre des intérêts de classe à un moment donné, lorsque les Etats bourgeois ferment toute possibilité de démocratie et d’expression dont peuvent bénéficier les masses.

En Colombie, malheureusement, l’histoire a confirmé ce que je viens d’affirmer : les FARC-EP, à la recherche d’une réconciliation nationale en 1982, sont entrées en dialogue avec le président de l’époque Belisario Betancur. On est parvenu alors à signer les accords de La Uribe [1984]. Comme corollaire à ces accords a été fondé le large mouvement appelé Union patriotique (UP). Lorsque ce mouvement est apparu dans la vie politique nationale, il a bénéficié d’un sentiment de sympathie de la part des habitant-e-s de la campagne et des villes, des classes moyennes, des étudiant-e-s, etc. Autrement dit, c’était un mouvement qui rassemblait des secteurs très divers. Lorsque celui-ci a commencé à se développer, la bourgeoisie a paniqué et entamé son extermination planifiée et systématique : en premier lieu celle de ses dirigeant-e-s, ensuite de ses militant-e-s. Tout ceci a conduit au génocide politique le plus aberrant qu’ait connu l’Amérique latine. De cette expérience, mise en échec par le terrorisme d’Etat, les FARC-EP ont beaucoup appris ; elles ne sont pas disposées à répéter la même histoire.

Nous avons produit un effort important du fait de la création et du développement de mouvements et d’organisations populaires et politiques au niveau national. Nous faisons un effort considérable pour la construction du Parti communiste clandestin de Colombie, qui doit être clandestin parce que nous avons déjà fait l’expérience de plus de cinq mille morts avec l’UP. Nous construisons également le Mouvement bolivarien pour une nouvelle Colombie, auquel tout un chacun peut participer. Ce mouvement n’a pas de statuts, les gens peuvent se réunir en petits groupes pour éviter les coups de l’ennemi ; personne ne doit faire référence à son activisme politique, et ses formes d’expression sont clandestines. A travers ces structures organisationnelles, il est possible de participer au mouvement estudiantin, ouvrier, paysan, populaire… mais les FARC-EP construisent aussi les Milices bolivariennes, qui agissent dans les campagnes, aux alentours des grandes villes et à l’intérieur de ces dernières.

Les FARC-EP considèrent que la révolution en Colombie doit déboucher en partie sur des formes d’insurrection urbaine, peut-être analogues à celles qui se sont développées au Nicaragua à l’époque (que l’on se souvienne des batailles de Managua, Masaya, Estelí, León, pour n’en citer que quelques-unes), qui furent des actions de guérilla et d’insurrection populaire combinées qui, dans leur ensemble, ont fait tomber la dictature de Somoza.

Nous faisons un effort très important en direction du mouvement syndical, estudiantin, des classes moyennes urbaines, des travailleurs-euses informels, du mouvement communal, coopératif, des pères de famille. C’est-à-dire que nous essayons de tout ramener à des formes d’organisation simple, afin de favoriser du dehors la conscience politique et pratique de la nécessité des changements dont le pays a besoin, davantage encore dès lors que les conséquences désastreuses des politiques néolibérales non seulement radicalisent les masses urbaines, mais aussi, paradoxalement, les rapprochent et les allient dans la luttes.

En Colombie, les FARC-EP sont intéressées par la construction d’un nouveau gouvernement de réconciliation et de reconstruction nationales, large et démocratique, sans exclusives, auquel puissent participer tous les secteurs de la vie politique nationale qui souhaitent sortir le pays de l’abîme dans lequel il se trouve pour le mettre en situation d’affronter les défis du 21e siècle avec beaucoup d’espérance, d’optimisme et en nous plaçant à l’avant-garde des nations démocratiques et révolutionnaires du monde.

— Quels sont pour les FARC les mouvements sociaux urbains dont le développement paraît stratégiquement essentiel dans ce processus ?

Dans les villes, nous travaillons essentiellement en direction des secteurs industriels. Nous travaillons également au sein du mouvement coopératif, avec les collectifs d’action communale dans les quartiers, avec des associations de l’économie informelle, qui se sont multipliées au cours des dernières années en raison des politiques néolibérales. Nous accordons aussi beaucoup d’importance au problème des femmes et de la jeunesse en général. En conséquence, nous disposons d’une représentation dans tous ces secteurs. Nous agissons de manière consciencieuse pour leur donner un caractère organisationnel et les orienter vers la lutte politique. En même temps, ce travail nourrit, par ses expériences et ses formes d’affrontement avec la répression, notre propre action politique. Bien que les FARC soit nées comme un mouvement essentiellement paysan et que cette base sociale se maintienne dans sa composition actuelle, il est également vrai qu’il y a d’autres secteurs de la société qui nous accompagnent dans la lutte. Parmi les gens liés aux FARC-EP, on trouve des secteurs des classes moyennes et professionnelles, techniques et supérieures, mais aussi des professions libérales, des prêtres, des gens des milieux de la culture et de l’art populaire dans toutes ses expressions. C’est un changement qui s’est opéré au cours de ces dernières années. Nous soulignons la participation des femmes dans nos rangs : elles représentent aujourd’hui 43% des forces de la guérilla.

— On dit que les FARC ne se sont pas toujours montrées capables de permettre concrètement, dans les régions sous leur contrôle, le développement d’une société civile organisée de manière autonome en fonction des différents intérêts qui la traversent (coopératives, syndicats, associations diverses, minorités indigènes, etc.). Cette attitude ne révèle-t-elle pas un projet de société autoritaire fondé exclusivement sur les capacités et les compétences d’une sorte de parti-Etat ?

(Rires…) Je ne sais pas à quoi vous vous référez avec cette question. Je ne sais pas non plus quand nous avons eu sous notre contrôle une quelconque partie du territoire national. Ceci n’est encore jamais arrivé jusqu’à présent. En Colombie, nous ne menons pas une guerre de position. Nous sommes une armée de guérillas mobiles. Lorsque nous sommes pour un temps dans certaines régions, nous développons la démocratie directe d’une façon inédite. Plus encore, je crois que les FARC-EP sont beaucoup plus démocratiques que certains Etats ou démocraties. Nous disposons, comme organe de décision des FARC-EP, de la conférence nationale des guérilleros, qui se réunit tous les quatre ans (ou un peu plus, selon l’état de la guerre). Les postes de commandement, sans exception, sont décidés au vote de tous les guérilleros. Autrement dit, il n’y a pas de nomination par décret. C’est au travers du vote populaire, au travers du vote des membres des FARC-EP, que se vit la démocratie et que se règlent les questions de hiérarchie à l’intérieur du mouvement guérillero, en collaboration avec les communautés.

Le cas le plus significatif a été celui de San Vicente del Caguán, dans le centre-sud du pays, pendant la période du désengagement et du dialogue, entre 1999 et 2002. Là, nous nous sommes installés pendant trois ans, et nous avons oeuvré avec les communautés dans le cadre d’actions civiles et militaires. Ensemble, la population civile et le groupe de guérilleros, nous avons construit, en travaillant en commun, des ponts, des routes, des écoles, des hôpitaux, des chemins vicinaux, et plusieurs fleuves, rivières et ruisseaux fortement pollués ont pu être réhabilités. D’autre part, les FARC-EP ont émis des règlements en matière écologique (chasse, pêche, élagage et exploitation du bois, protection des arbres indigènes), et tout ceci s’est fait avec la participation de la communauté. Par exemple, pour la construction d’une route, 100 à 200 collectifs d’action communale de toute la région se sont réunis, et là, par votation populaire, ils ont déterminé qui allait travailler, comment, et avec quel appui économique et logistique. On faisait ensuite les comptes et on les présentait aux masses pour qu’elles analysent la finalité de chaque investissement. Ça, c’est la démocratie participative et ouverte, une vraie démocratie de masse comme n’en a jamais connu le pays. C’est l’expérience que nous avons faite.

L’autoritarisme ne fait pas partie des principes des FARC-EP. Certes, nous défendons des principes, et sur ces principes nous ne cédons pas. Nous avons notre propre vision de ce que doit être la démocratie. La démocratie doit être ouverte et la plus directe possible. C’est-à-dire une démocratie de masse comme forme permettant de définir et de débattre des grands problèmes. C’est très simple : si dans une communauté, il y a 100 personnes, pourquoi 10 devraient-elles décider ? Pour nous, ce sont ces 100 personnes qui ont le pouvoir de prendre la décision. On parle d’une démocratie représentative en Colombie, parce qu’il y a des élections, mais, en réalité, ces scélérats qui vont au Sénat ou à la Chambre des représentants ne sont en aucune manière des représentants authentiques des communautés. Ce sont des gens qui arrivent là du fait de leur richesse, par le clientélisme et les escroqueries auxquelles ils soumettent notre peuple. Par conséquent, comme vous le voyez, il est important de clarifier le type de démocratie dont on parle, ce que nous entendons, nous FARC-EP, par démocratie, et ce que vous entendez vous, en Europe, par ce terme. Je considère que les FARC-EP sont une organisation démocratique qui exerce la démocratie dans les domaines dans lesquels elle travaille. Nous sommes en faveur de la démocratie directe la plus large et la plus participative possible. Une démocratie exercée pour et par les majorités et non une démocratie de façade, une démocratie pour un groupe restreint de privilégiés. Ce type de « démocratie » ne nous plait pas et nous n’allons pas la pratiquer. Je vous ai dit que dans les FARC-EP nous préférions organiser les masses dans toutes sortes de collectifs qui leur permettent de défendre leurs intérêts. Ceci est le secret de la survie des FARC-EP au coeur d’un conflit aussi complexe que celui de la Colombie.

— Les FARC sont fréquemment critiquées, y compris par des forces de gauche, pour l’usage de méthodes « expéditives » en leur sein : c’est le cas des exécutions de déserteurs, de l’envoi de militant-e-s « démoralisé-e-s » pour accomplir des missions suicides, de l’obligation faite aux combattantes enceintes d’avorter, etc. Il n’y a pas de doutes que les FARC sont engagées dans une lutte armée très dure, mais de telles méthodes ou pratiques ne mettent-elles pas en question les droits individuels des combattants ou la liberté de discussion au sein de la guérilla, révélant ainsi une forme d’organisation politique très verticale dans la tradition stalinienne ?

Votre question montre que l’on sait très peu de choses sur les FARC-EP et qu’on se fait ainsi l’écho, peut-être inconsciemment, de la propagande du régime (le régime oligarchique colombien et son allié les Etats-Unis). C’est l’ennemi qui affirme que nous sommes organisés de manière verticale, que nous résolvons tous les problèmes d’une façon expéditive, comme vous l’évoquez dans votre question.

Nous utilisons des méthodes politiques pour résoudre tous les problèmes qui apparaissent à l’intérieur des FARC-EP. Initialement, les nouveaux combattant-e-s suivent une école de formation de six mois, où les documents qui sont étudiés sont essentiellement nos statuts, les normes de commandement et le régime de discipline. Si l’aspirant-e se rend compte qu’il ne peut pas, pour des raisons physiques ou morales, mettre en œuvre ces normes, il peut retourner chez lui sans problème, parce que jusqu’à ce moment, il ne connaît rien ni personne de plus que les gens qui, comme lui, ont assisté clandestinement au cours de formation initiale. Une fois passé ce niveau, la personne contracte un engagement, et lorsqu’on intègre les FARC-EP, c’est pour la vie, c’est-à-dire jusqu’au triomphe de la révolution et à la construction d’une nouvelle société.

Nous ne disposons pas d’un service militaire obligatoire, ni d’ailleurs volontaire. L’intégration aux FARC-EP suppose l’implication complète dans la formation politique et militaire sur la base d’une adhésion consciente. N’oublions pas que l’on trouve des gens pour manipuler des armes partout, mais des gens pour comprendre la politique, la lutte des classes et les changements sociaux, dans une société comme la nôtre, c’est bien plus difficile. Cet ensemble de capacités, dont le développement est dans notre intérêt, nécessite et exige une formation permanente et à long terme.

Il n’est pas vrai, par conséquent, que nous utilisions le peloton d’exécution ou que nous nous livrions à des exécutions extrajudiciaires. Nous n’avons pas à le faire, parce qu’il y a dans nos statuts bien des manières de sanctionner les ruptures de la discipline de notre organisation. L’exécution n’est envisagée que pour les traîtres et les infiltrés qui travaillent consciemment pour l’ennemi. C’est la mesure la plus grave qui s’applique dans les FARC-EP. Pour le reste, toute situation se résout par la critique et l’autocritique sur la base des principes du marxisme-léninisme qui sont partie intégrante de notre conception de la révolution.

Le reste, au même titre que ce qui est contenu dans votre question, relève d’une campagne diffamatoire qui cherche à transformer les FARC en un mouvement sans discipline, sans hiérarchie, sans mandats de commandement reconnus. Et, dans ces conditions, une organisation militaire ne peut pas subsister. Il y a un adage qui dit : « Soit la discipline est mise en œuvre, soit la milice disparaît ».

En ce sens, il serait absurde de penser que nous pourrions envoyer des personnes démoralisées, avec des problèmes psychiques, ou sans qualifications politico-militaires suffisantes, accomplir des missions. Il s’agit d’une guerre ! Qui pourrait commettre une telle erreur ? Bien au contraire, à l’intérieur des FARC-EP, la participation à des missions constitue une forme de reconnaissance du bon travail ; elle est un encouragement et un honneur pour les combattant-es. Dans les FARC-EP, on préconise une participation consciente et, pour cela, la valeur des combattant-e-s en mesure de participer à chacune des actions de guerre, ou aux missions spéciales que les FARC-EP décident, est étudiée à l’avance par les commandant-e-s.

Pour ce qui est des femmes dans la guérilla, elles sont libres. Pour la première fois, une organisation de gauche et un mouvement révolutionnaire envisagent la femme comme une personne absolument libre et égale à l’homme, qui assume les mêmes responsabilités, les mêmes tâches et a les mêmes droits. Depuis sans doute l’époque du matriarcat, la guérilla est aujourd’hui le lieu où la femme commence à tenir le rôle qu’historiquement elle a perdu, ce qui fut la défaite la plus grande qu’ait subi le genre féminin dans l’histoire de l’humanité. A propos du problème de la grossesse dans les FARC-EP, les guérilleras savent d’avance que dans le contexte de guerre qu’elles vivent, elles ne peuvent tomber enceinte. A l’intérieur de notre organisation, nous avons mis en œuvre un travail éducatif de diffusion de l’information et de prévention pour que les femmes connaissent bien les mécanismes de la procréation, ainsi que les manières d’éviter la grossesse et/ou les maladies sexuellement transmissibles.

Parfois, par erreur ou accident, se produisent des cas involontaires de grossesse, mais compte tenu des normes et des conditions objectives de la vie dans un environnement combattant, la grossesse est interrompue, en général à la demande de la combattante elle-même. Dans ces cas, l’interruption s’effectue dans des conditions hygiéniques d’asepsie, avec des médecins qualifiés, et en prenant les mesures pour éviter tout risque pour leurs vies. Dans beaucoup de pays, l’interruption de la grossesse est légalisée et fait partie de certaines constitutions du monde, mais on nous a toujours reproché notre arbitraire supposé sur ce thème et on nous a diabolisés. N’y a-t-il pas ici une double morale ? Sachez que pour les FARC-EP, les valeurs familiales (très importantes pour la société colombienne) constituent un fondement de la conception de la nouvelle société que nous voulons construire. Mais nous vivons une étape qui ne facilite pas le développement de cette partie importante de la vie.

Il est révélateur que, malgré toute cette propagande contre notre organisation, la présence féminine dans les rangs des FARC-EP soit actuellement de l’ordre de 43%. Les guérilleras des FARC sont de vraies amazones dans la guerre, ou comme dirait Simon Bolivar en se référant à ces valeureuses guerrières romaines, elles sont de véritables « lumières ». Hors de la guerre, nos camarades femmes ont un comportement très féminin. Au combat, elles sont aussi aguerries que les hommes. Elles nous donnent des leçons d’honnêteté, d’abnégation, de sacrifice, de fraternité et d’héroïsme… Comment pourrions-nous maltraiter ces camarades, qui prennent une part fondamentale à la lutte pour le triomphe de la révolution…

— Qui est responsable de la mort des onze députés colombiens détenus par les FARC ? Comment est-il possible que ces onze otages se soient trouvés ensemble au même endroit ? Pensez-vous qu’il s’agisse d’une opération délibérée de l’Etat colombien pour lancer une vaste campagne politique contre la guérilla des FARC ?

Cela fait un certain temps que les FARC-EP avertissaient l’opinion publique nationale et internationale du fait que les opérations de sauvetage de prisonniers par l’armée étaient exagérément risquées pour la vie des otages qu’elles détenaient. C’est pour cela que les FARC-EP ont indiqué que la responsabilité de la mort des onze députés du Valle del Cauca, le 18 juin 2007, incombait essentiellement à ceux qui ont donné l’ordre et tenté de les libérer par la force. Le premier responsable est Monsieur Uribe.

Vous expliquer pourquoi ils étaient ensemble serait me livrer à des spéculations, parce que je me souviens qu’à cette date, je venais tout juste de quitter la prison de La Dorada. Concernant la mort des onze députés, il faut dire qu’indiscutablement, il s’agit d’un plan minutieusement préparé tant politiquement que militairement et sur le plan de la propagande. Le gouvernement de Uribe a démarré son plan en parlant de la possibilité de faire sortir de prison un certain nombre de prisonniers des FARC-EP, sur lesquels personne n’avait rien demandé. Nous avons toujours cherché à obtenir un échange humanitaire de prisonniers bilatéral FARC-EP/gouvernement. C’est alors que Uribe a relâché, de façon totalement unilatérale, certains combattants des FARC-EP. Cette action, à mon sens, était liée à la préparation en secret d’une action de plus grande envergure dans les montagnes colombiennes. Il s’agissait précisément du sauvetage des douze députés par un groupe de spécialistes composé d’agents de la CIA, de mercenaires anglais et israéliens et de commandos de l’armée colombienne.

Le projet était sans doute celui-ci : pendant que ce groupe apparaissait comme libérant avec succès les douze députés, Uribe remettrait en prison les prisonniers relâchés et commencerait un travail politique à l’intérieur et à l’extérieur du pays visant à démontrer que les interventions directes seraient dorénavant le moyen le plus indiqué pour obtenir la libération des personnes contrôlées par les FARC-EP, fermant ainsi tout espoir d’échange humanitaire et toute possibilité de dialogue. Le résultat de cette opération et d’autres opérations analogues nous conduit à penser que les tentatives de libération du type « Ambassade de Lima » [1996-1997] ou « Opération Entebbe » [1976] ne peuvent être menées à bien dans les forêts colombiennes. Ce qui s’impose inexorablement en Colombie, c’est l’échange humanitaire entre le gouvernement et les FARC-EP, comme préambule à une possibilité de dialogue ouvrant la voie à la paix et la justice sociale. Espérons que nombre de vos lecteurs, la communauté internationale, les Etats, les gouvernements, les partis, les organisations sociales, religieuses, humanistes et de gauche pourront contribuer à cette quête afin de permettre un échange humanitaire, et que cela sera utile pour établir une forme de dialogue en vue d’une issue au conflit social et armé que nous vivons en Colombie.



Questions posées par Jean Batou.
Entretien mené par un envoyé spécial de la rédaction.




Dossier RISAL

Guérillas et lutte armée en Colombie : Cliquez ici !



NOTES :

[1] [Risal] Dialogues et processus de paix dans la zone démilitarisée de El Caguan.

[2] [Risal] Consultez à ce propos le dossier « parapolitique et paramilitarisme » sur le site du RISAL.

[3] [Risal] En plus des opérations de lutte contre la drogue du Plan Colombie, les militaires colombiens ont aussi mis en oeuvre le Plan Patriota soutenu par les Etats-Unis, une opération de grande envergure de contre- insurrection qui a pour but de prendre le contrôle des régions contrôlées par les FARC dans le Sud et l’Est de la Colombie.


Sources : Traduction revue solidaritéS,
(http://www.solidarites.ch/), Genève, août 2007.
RISAL (http://risal.collectifs.net/)



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Dernières modifications : 05/02/2011