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Vers la paix en Colombie?
1 - Les mots sont seules armes, à vos plumes pour la paix !
2 - Conférence de Hato Grande, rencontre Uribe-Chavez
3 - Les Insurgés colombiens prêts au dialogue, Numancia Martínez Poggi
4 - Entretien avec Rodrigo Granda (FARC-EP), Jean Batou
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Amérique Latine
Archives
des articles 2007
Sommaire
:
2ème partie
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| Les mots sont
nos seules armes,
"À vos plumes
pour la paix !"
Lionel Mesnard, le
7 septembre 2007
« Si, il n'y a
pas d'échange
humanitaire avec l'appui d’Hugo Chávez, il sera
très difficile de le
voir avec ce gouvernement. »
hebdomadaire Semana, du
1er
septembre 2007
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« Le
président du Venezuela, Hugo Chávez est
arrivé à Bogotá à 9h30 du
matin vendredi (31-08_07) ; il s’est retrouvé au
milieu d'une attente, que ses rencontres antérieures avec
Álvaro Uribe n'avaient jamais provoqué.
L'espérance de cette rencontre (pourrait)
débloqué l'accord humanitaire avec les Forces
Armées Révolutionnaires de Colombie, donnant
à la rencontre une importance que n'avait pas eut le
même sommet Uribe-Chávez en 2005, qui avait mis
une fin à la crise engendrée par la capture
à Caracas de Rodrigo Granda, dit le « chancelier
» par les FARC. » Semana.com
Comment
ne pas
témoigner une certaine joie à
découvrir le président Chavez servir de lien
entre les familles des otages, le président Alvaro Uribe, et
les dirigeants des FARC et de L’ELN. Le président
vénézuélien est le seul en
l’état, pouvant servir
d’intermédiaire, ou d’interface au sein
du plus vieux conflit du monde. Soixante années
écoulées depuis l’assassinat du
dirigeant du parti Libéral Jorge Eliécer
Gaitán, puis 40
années de guerre civile non-stop.
Il
importe de retenir une chose, nous sommes face à une guerre.
La conséquence de nombreuses violations des droits
les plus fondamentaux ne peut déboucher que par une
coopération internationale la plus large possible.
Aujourd’hui, il existe pour toutes les parties une issue
raisonnable. Le politique doit primer et trouver le chemin
d’un accord sous l’égide de
l’ONU.
Nous
voici possiblement
à une phase importante de réconciliation
nationale pour les Colombiens. Si, objectif il y a ? Il est de trouver
une solution politique allant dans le sens de la paix, en respectant
l’autorité de chaque partie. Toutefois, les plus
fragiles demeurent les otages et familles des
séquestrés. Ils ne disposent d’aucun
rapport de force en leur faveur. De solidarités venant de
tous lieux peuvent tisser un appui déterminant pour pacifier
cette région du monde.
L’exemple
de l’Irlande du Nord, prouve qu’en cas de guerre
civile : la reconnaissance politique passera inévitablement
pas les urnes et non par l’usage de la force.
Jusqu’à présent les tentatives
menées à Genève puis à Cuba
en 2005 ont échoué. L’entrée
en scène du Venezuela peut avoir un rôle
fondamental. Il faut le souhaiter déterminant ; - et,
s’avérer essentiel dans le
développement économique futur des pays
limitrophes de la Colombie. Il est à souhaiter que partout
dans le monde se produise un soutien manifeste. Les
Colombiens ont soif
de paix, et ils ont le droit de regagner l’espoir
d’une démocratie pleine et entière. Il
est plus que temps que les armes se taisent. Hugo
Chavez dispose de très bonnes relations avec le
président colombien, il partage avec les FARC une certaine
conception du monde. Pour sortir de l’impasse, seul le
dialogue peut endiguer la violence des armes, et les
problèmes et parfois tensions que cela pose aux
frontières des 2 pays (et aussi aux frontières du
Pérou et de l’Équateur). Saisissons
cette chance, la guerre n’a plus de raison
d’être, sauf de toujours pousser plus loin la
Colombie dans le chaos.
De plus le
président vénézuélien a
posé deux actes. Premièrement, il a
organisé le retour de paramilitaires colombiens
dans leurs familles (après avoir
écoulés
quatre années de prison au Venezuela). Ces hommes
s’étaient dissimulés dans une maison,
non loin de Caracas, afin de préparer un coup de force
contre le Palais présidentiel de Miraflorès.
Deuxième acte, le Venezuela retourne au sein de la
Communauté des Nations Andines, comme l’avait
manifesté le président bolivien Evo Morales
à la fin de l’année 2006. Il passe
l’éponge et révise en partie sa
stratégie, entrant de plein fouet dans
l’arène des personnages clefs du nouveau
siècle, et comme vecteur de changement.
«Inventez
ou errez» disait le précepteur
d’un certain Simon Bolivar. Bolivar est une figure historique
des débuts de l’époque contemporaine.
Il est peu connu ici en France, comme beaucoup d’autres
héros de la révolution
d’indépendance des Amériques
espagnoles.
Ne le cherchez pas. Il n’est pas dans vos livres
d’histoires, ou l’on préfère
les menées criminelles de Bonaparte. Beaucoup
de modes sont passées pour avoir oublié le
phénomène, qu’enclencha en son temps
cette personnalité. Qui encore de nos jours alimentent
l’imaginaire de nombreux sud américains. Simon
Bolivar, au-delà des faits guerriers fut aussi un
administrateur aussi ambitieux que l’énigmatique
Hugo Chavez, un apport novateur sur ce continent pluriel en devenir.
Hugo
Chavez se pose, comme un des rares acteurs pouvant servir
d’intermédiaire dans le conflit colombien. Sa
position est unique et d’envergure. Il dispose maintenant,
d’un appui dans les capitales européennes. Sa
mission ne sera pas simple. Aussi, il a pris soin récemment
de rencontrer des proches d’Ingrid Betancourt et de Clara
Rojas et d’autres familles. Lors de sa conférence
commune avec Alvaro Uribe (le 31-08-07), il ne
s’est pas attardé à dévoiler
le contenu de cette mission de «dernière
chance».
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| Conférence
conjointe depuis « Hato Grande » en Colombie
Le
Président Alvaro Uribe remercie la visite du
Président Chávez en Colombie
-
31 août 2007 -
"Je
souhaite vivement saluer cette visite si positive et
agréable.
Cette nouvelle réunion bilatérale que nous avions
programmée il y a
quelques semaines, après ces cinq difficiles
années dans le monde, sur
le Continent et avec les difficultés de nos pays", a
exprimé le
Président de la Colombie, Alvaro Uribe Vélez,
à son homologue
vénézuélien Hugo Chávez
Frías, après avoir tenu une conférence
de
presse conjointe, que les deux Chefs ont réalisé
ce vendredi (31 août
2007), depuis le résidence présidentielle de
«Hato Grande» en
Colombie.
Uribe
Vélez a déclaré que les deux pays ont
construit,
une relation "stimulée par l'amour de nos deux patries, qui
sont une et
même Nation". Dans le
même esprit, il a
exprimé que
la
courtoisie fictive, ne symbolise pas l'amitié, "pour nous,
pour vous et
pour moi, l'amitié a toujours été
accompagnée de la franchise, une
sincérité et une qualité absolues".
De la
même
manière, le Chef d'État colombien a
remercié le vif intérêt du
Président de la République Bolivarienne du
Venezuela, Hugo Chávez
Frías, pour
sa collaboration concernant la libération des otages
séquestrés par les
Forces Armées Révolutionnaires de Colombie,
(FARC). Il a affirmé "Je remercie du
fond du coeur le Président Chávez pour son
intérêt, qui avec tout son
affection, à aider la Colombie",. Alvaro Uribe a aussi
ajouté, que le sujet avait été
abordé pendant la rencontre privée, qui
s’est tenue avec le Président Chávez,
en compagnie de la sénatrice Piedad Córdoba,
autorisée par son Gouvernement à servir de
médiatrice sur cette question.
Source
: Aporrea.org
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Les
Insurgés colombiens prêts au
dialogue Numancia Martínez Poggi, 6 septembre 2007 |
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Sollicité
par la
sénatrice colombienne Piedad Córdoba, le
président vénézuélien Hugo
Chávez vient de s’engager à jouer un
rôle de facilitateur dans la recherche de
l’Échange humanitaire de prisonniers en Colombie.
Chávez entretient des relations cordiales avec le
président colombien Uribe Vélez malgré
des visions, politiques et stratégiques,
diamétralement opposées. Par principe
Chávez souhaite entretenir des relations cordiales avec tous
les pays du monde, même si avec la Colombie uribiste la
diplomatie bolivarienne a dû montrer davantage de patience,
davantage de nerfs. Les provocations et les insidieuses invitations
à l’affrontement n’ont pas
manqué ces dernières années, mais
Chávez considère raisonnablement que rien ne
serait pire qu’un affrontement ouvert,
l’interpénétration entre les deux pays
voisins étant si forte.Le vendredi 31
août 2007 Chávez s’est donc rendu
à Bogotá, pour converser longuement avec le
président Uribe Vélez. À
l’issue de cette rencontre les deux présidents de
ce qui fut la Grande Colombie ont donné une
conférence de presse conjointe. Cette rencontre fut
l’occasion pour le président Chávez de
recevoir le feu vert du président Uribe Vélez et
cette rencontre constitue dans le même temps le premier pas
concret de ce qui s’annonce comme un long
pèlerinage vers la paix colombienne pour le
président Chávez. Rapidement les
présidents de la région ont manifesté
leur soutien au président Chávez : Lula, le
président ex-guérillero Daniel Ortega,
etc. Chávez est
lui-même un militaire qui a combattu les guérillas
vénézuéliennes dans les
années 1970, avant d’assister à la
pacification. Dans le gouvernement de Chávez il y a des ex
guérilleros. Chávez a lui-même connu la
prison, à la suite du soulèvement
civico-militaire de février 1992. Chávez a
lui-même été
séquestré lors du coup
d’État fasciste d’avril 2002 au
Venezuela. Son vécu personnel explique certainement sa
perception emplie d’humanité et de
sensibilité sur ces questions.Cette initiative
diplomatique a vite dépassé la dimension
régionale. Le mercredi 5 septembre 2007 la famille de
l’un des trois mercenaires états-uniens
détenus par les FARC-EP a visité
l’ambassadeur du Venezuela à Washington Bernardo
Álvarez. Ces personnes lui ont manifesté leur
satisfaction de l’implication du président
Chávez et ont fait connaître leur souhait de
rencontrer ce dernier.Malgré la
grande quantité d’articles sur le thème
colombien, certaines vérités
élémentaires ne sont jamais données
à connaître au public francophone,
supposé disposer de la science infuse dès
qu’il s’agit d’une information qui
pourrait peu ou prou contribuer à donner une lecture
rationnelle au comportement de la guérilla. Avec
l’information dont dispose le citoyen moyen il est fatal
qu’il considère les guérilleros des
FARC-EP comme des personnes insensibles et irrationnelles. Le conflit
colombien, comme tous les conflits, se joue aussi dans la
présentation du conflit, et ce n’est pas par
hasard qu’une part importante du budget du Plan Colombie est
spécifiquement orientée aux relations publiques,
aux questions d’image et de propagande. Les FARC-EP ne
peuvent hélas pas, ou quasiment pas, accéder
à l’ample dispositif culturel dominant,
médiatique et universitaire, qui diffuse nouvelles et
analyses dans le monde. Chávez
et MarulandaChávez, qui a
toujours manifesté la tristesse que lui provoque la
perpétuation de l’affrontement armé
dans le pays frère, a déclaré ces
derniers jours qu’il serait très
intéressé de connaître personnellement
Manuel Marulanda et qu’il avait sur ce point reçu
le feu vert du gouvernement colombien. La parenté politique
entre la Révolution bolivarienne du Venezuela et la
guérilla colombienne des FARC-Ejército del
Pueblo, armée bolivarienne luttant pour le socialisme, est
un fait assez facilement perceptible.Manuel Marulanda ne
s’est pas prononcé personnellement, mais
Raúl Reyes –responsable de la Commission
Internationale des FARC-EP–, dans une interview
donnée à Jorge Enrique Botero le 4 septembre 2007
(La Jornada, Mexique), dit que cela serait une heureuse rencontre. Dans
la tradition chevaleresque du paysannat colombien, Manuel Marulanda
avait au demeurant reçu la fascinante reine Noor de Jordanie
venue du lointain Orient arabe jusqu’au Caguán
pour lui rendre visite en juin 2001.Dans le Document de Santa
Fe IV, rendu public en 2000, on peut lire que les «
négociations successives entre le gouvernement colombien et
les FARC n’ont jamais eu de signification réelle
parce qu’elles n’ont aucun véritable
agenda (…) » mais ailleurs on peut lire
qu’il est « raisonnable de supposer que quand elles
parviendront au pouvoir, si elles y parviennent, leur
système de gouvernement sera totalitaire (…)
», ça va sans dire. Bref, non seulement les
FARC-EP n’ont pas d’idées mais en plus
elles ont de mauvaises idées. Ce document donne les
linéaments stratégiques du clan Bush
vis-à-vis de l’Amérique latine et les
orientations pour le travail de propagande. C’est donc
naturellement cette présentation, binaire et bancale, qui
est le plus souvent reprise dans le dispositif culturel dominant.
Précisons que les FARC-EP ont un programme et une
proposition politique : c’est la Plateforme en dix points
pour un Gouvernement de Réconciliation et de Reconstruction
Nationale rendue publique en 1993.Qualifiées en
octobre 2001 par Francis X. Taylor –alors coordinateur du
Bureau antiterroriste du département
d’État des États-Unis– comme
« le groupe terroriste international le plus dangereux
basé dans notre hémisphère
», les FARC-EP ont toujours manifesté leur
solidarité avec Cuba socialiste, avec le Venezuela
bolivarien, aujourd’hui avec la Bolivie
émancipée, et avec la gauche
latino-américaine de façon
générale. Les FARC-EP ont des relations
fraternelles avec les organisations qui partagent leurs
idéaux et leurs principes, comme le FPLP palestinien, et des
relations amicales avec l’ensemble du mouvement
anti-impérialiste. Le
discrédit du gouvernement Uribe Vélez Chávez entre
en scène à un moment bien particulier de la vie
socio-politique colombienne. Le thème de
l’Échange humanitaire est de plus en plus
présent dans le débat public, notamment de par la
mobilisation des familles, mais aussi par les prises de positions,
favorables, il y a quelques mois, de quatre ex-présidents
colombiens, déjà signe d’un changement
de climat. La tendance au renforcement de la clameur citoyenne pour la
réalisation de l’Échange complique le
discours uribiste qui voudrait faire porter à la
guérilla la responsabilité de l’impasse
sur cette question.Le mois passé
le professeur Gustavo Moncayo a attiré l’attention
en effectuant une grande marche à travers le pays pour
donner de l’écho à la cause des
séquestrés. Arrivé à
Bogotá le professeur Moncayo a pris la parole sur la Place
Bolívar devant un public en rien sympathisant de la
guérilla, puis, lorsque le président Uribe
Vélez s’est adressé au même
public il a été hué et quelques
adjectifs colorés lui ont été
lancés. Un rassemblement qui en d’autres temps
aurait été l’occasion
d’alimenter la propagande anti-guérilla a
tourné à la déconvenue
d’Uribe Vélez et des tenants de
l’intransigeance. La distance s’est
accentuée entre ceux qui sont
intéressés par la propagande et ceux qui ont des
objectifs concrets –la libération de leurs
proches– et sont donc plus pragmatiques. Le vent tourne.De plus,
l’image du régime d’Uribe
Vélez se trouve gravement endommagée. Bien des
choses que l’on pouvait savoir depuis longtemps, mais qui
n’étaient guère commentées
dans le cadre du dispositif culturel dominant,
s’étalent aujourd’hui sur la place
publique. Le pacte qui liait le gouvernement Uribe Vélez et
les paramilitaires a été brisé
à la suite de zigzags hasardeux dans le système
judiciaire. Les paramilitaires qui devaient logiquement être
blanchis se considèrent floués, et donc parlent.
Uribe Vélez est un représentant de la
néo-bourgeoisie enrichie dans le narcotrafic. Bien des
proches d’Uribe Vélez, amis politiques, membres du
gouvernement, se trouvent aujourd’hui en prison ou en fuite.On ne peut plus cacher,
quoi qu’en disent d’étranges
intellectuels de cour, que l’armée colombienne a
organisé et maintenu les escadrons de la mort
paramilitaires. La nécessité de donner des gages,
y compris vis-à-vis de certains secteurs
démocrates aux États-Unis qui se
prennent à gronder publiquement Uribe Vélez,
conduit à certains remaniements dans
l’armée, ce qui naturellement provoque une crise
de confiance dans l’institution. Pourquoi
la lutte armée ? La répression
de l’armée et des escadrons de la mort
paramilitaires a en effet marqué la
société colombienne. À la fin des
années 1980 un génocide politique comme on en a
peu vu s’est produit en Colombie, accompagné du
silence de rigueur du dispositif culturel dominant. Un rassemblement
politique de gauche, l’Union patriotique, a
été supprimé physiquement : ses deux
candidats présidentiels, Jaime Pardo Leal et Bernardo
Jaramillo, ses élus à tous les niveaux, et des
milliers de militants ont été
assassinés l’un après l’autre
avec une persistance méticuleuse.Durant les
années 1990 les Forces Armées
Révolutionnaires de Colombie–Armée du
Peuple, vieille guérilla paysanne commandée par
le légendaire Manuel Marulanda, ont dû absorber
des centaines de militants fuyant le génocide entre
traumatisme et fureur. Combien de jeunes garçons,
aujourd’hui guérilleros intraitables, ont vu leurs
parents disparaître dans les tourbillons de la
répression ? Le massacre des dignes et limpides militants de
l’Union patriotique ne pouvait se produire sans
conséquences – ce serait mal connaître
le peuple colombien. La fraternité entre les paysans
vétérans de la résistance
héroïque de Marquetalia et les militants issus du
mouvement populaire urbain a alors été
revivifiée.Voilà le
facteur principal de la puissance des FARC-EP aujourd’hui
– on ne saurait cacher la lumière du soleil avec
quelque doigt que ce fût. Jorge Enrique Botero rappelle par
exemple incidemment que Raúl Reyes a travaillé
chez Nestlé et qu’il a été
dirigeant communiste dans le département du
Caquetá. Autre exemple : Simón Trinidad, jeune
cadre en vue dans la banque, garçon d’origine
huppée, lecteur passionné de
l’œuvre de Simón Bolívar,
était devenu militant de l’Union patriotique,
avant de devoir rejoindre le maquis pour échapper au
massacre. Une
guérilla invincible En 1996 les FARC-EP ont
pris la grande base militaire de Las Delicias dans le sud du pays,
faisant alors la bagatelle de 67 prisonniers. Ces derniers ont
été libérés
l’année suivante, remis au président
Samper qui avait à cette fin accepté de
démilitariser brièvement la
municipalité de Cartagena del Chairá dans le
département du Caquetá.En décembre
1997 la guérilla a pris dans le sud du pays le Cerro de
Patascoy, sommet qui s’élève
à 4200 mètres et où se trouvait
l’une des plus importantes bases de communication de
l’armée. Une quarantaine de
guérilleros, soutenus par une arrière-garde de
quelque 100 compañeros, ont remporté une victoire
totale sur les 34 militaires qui gardaient la base. Les
guérilleros étaient venus des régions
tropicales, où la température est toujours aux
alentours de 30 degrés, pour remporter une surprenante
victoire juste avant Noël sur un sommet où la
température n’est jamais loin de 0
degrés. Les guérilleros transis ont pu se retirer
sans dommage avant que l’aviation n’ait le temps
d’intervenir.Ce n’est donc
pas complètement par hasard que la diplomatie
états-unienne a rapidement voulu rencontrer les FARC-EP. En
décembre 1998 le responsable de la Commission Internationale
des FARC-EP Raúl Reyes a rencontré au Costa Rica
Philip Chicola, responsable de la région andine au
département d’État des
États-Unis. Rencontre sans lendemain, certes, mais le
régime états-unien fait preuve d’un
toupet stupéfiant quand il se permet de stigmatiser
d’autres gouvernements qui acceptent de rencontrer
officiellement des représentants de la guérilla
colombienne. Négociations
et libérations unilatérales En 1998 le
président Andrés Pastrana avait
annoncé qu’il souhaitait entrer en
négociation avec les FARC-EP. Les FARC-EP pour engager le
Processus de Paix avaient réclamé la
démilitarisation de cinq municipalités rurales
dans le sud du pays. Les commentateurs du dispositif culturel dominant
avaient aussitôt jugé cette demande extravagante.
Les municipalités de San Vicente del Caguán (dans
le département du Caquetá), Vistahermosa, La
Macarena, Uribe et Mesetas (ces quatre dernières dans le
département du Meta) ont néanmoins bien
été démilitarisées, soit
une région d’environ 42 000 kilomètres
carrés – cinq fois la Corse. Le Processus de Paix
a donc commencé en janvier 1999 dans cette région
qu’on a pris l’habitude d’appeler le
Caguán.Ce Processus de Paix
entre Andrés Pastrana et les FARC-EP avait ses ennemis, plus
ou moins déclarés, au sein de
l’oligarchie colombienne. Les positions de départ
étaient assez distantes : le gouvernement souhaitait une
pacification sans concession politique ; les FARC-EP voulaient des
changements politiques substantiels, ou pour le moins des signes clairs
d’une réorientation de la politique de
l’État sur des questions aussi
élémentaires que le paramilitarisme, les
richesses nationales, la répartition de la terre, etc.
Malgré les difficultés et les
réticences à aborder les questions politiques, la
bonne volonté commune quant à la
nécessité de l’humanisation du conflit
maintenait le contact, et l’espoir… En juin 2001, geste
concret quant à l’humanisation de la guerre, et
porte ouverte à la réconciliation des Colombiens,
les FARC-EP ont libéré de façon
unilatérale 242 militaires ou policiers. Ils
étaient pour la plupart détenus depuis les
retentissantes batailles de la fin des années 1990,
c’est-à-dire depuis plusieurs années.
La guérilla a cependant gardé en
détention, séquestrés selon le langage
du dispositif culturel dominant, les officiers militaires. Le fils du
professeur Moncayo, officier fait prisonnier au Cerro de Patascoy en
décembre 1997, n’a donc pas
été libéré. Le dirigeant
des FARC-EP Jorge Briceño (« el Mono Jojoy
») fit alors savoir que les FARC-EP avait pris la
décision de capturer des membres de l’oligarchie,
à seule fin d’infléchir se perception
de la question de l’Échange humanitaire.En février
2002 le gouvernement Pastrana, en bout de course, sans
résultat concret, harcelé par les courants
bellicistes au sein de l’armée, mit brutalement un
terme au Processus de Paix. Aussitôt la Zone
démilitarisée du Caguán fut
intensément bombardée pendant de longues heures.
Les guérilleros, vieille habitude, se sont cependant
dispersés sans dommage notable.Quelques mois plus tard
Uribe Vélez est porté au pouvoir par les secteurs
qui rejettent radicalement le Processus de Paix et qui
préconisent la victoire militaire contre les FARC-EP. Deux
départements pour le Processus de Paix Le 15 mai 2002, soit
moins de trois mois après la brutale rupture de
février 2002, les FARC-EP émettent un
communiqué officiel dans lequel sont
précisées les trois conditions pour la reprise du
Processus de Paix : 1) les départements de
Caquetá et Putumayo seront
démilitarisés ; 2) les personnes
représentant officiellement l’État et
le gouvernement s’abstiendront d’employer les
termes de « terroristes » et de «
narcoterroristes » pour parler des FARC-EP ; et, 3) la
politique gouvernementale sera clairement orientée vers
l’élimination du paramilitarisme. Ce
communiqué, qui n’a été ni
remplacé ni modifié, garde toute sa
validité. Le Caquetá fait presque 89 000
kilomètres carrés et le Putumayo fait un peu
moins de 25 000 kilomètres carrés ; il
s’agit donc de près de 115 000
kilomètres carrés (un peu plus grand que la
Bulgarie) demandés pour la reprise du Processus de Paix. Ce
territoire a de plus la caractéristique
particulière de se trouver sur une longue zone
frontalière au sud du pays, ce qui serait une
nouveauté dans l’histoire des Processus de Paix en
Colombie. Cette demande est bien entendu jugée extravagante
par le dispositif culturel dominant – dans les cas
où le sujet ne peut être
évité, s’entende, parce que le plus
courant en l’affaire c’est la loi du silence. Deux
municipalités pour l’Échange humanitaire En mai 2003, soit
l’année suivante, les FARC-EP font
connaître à l’opinion publique les noms
des trois guérilleros officiellement chargés de
l’Échange humanitaire : Carlos Antonio Lozada,
Simón Trinidad et Domingo Biojó. El Tiempo, le
seul quotidien de dimension nationale, le 3 mai 2003, explique que
Domingo Biojó avait été
chargé de la question des Négritudes durant le
Processus de Paix achevé l’année
antérieure. Carlos Antonio Lozada avait
été lui responsable de la guérilla
urbaine à Bogotá et, toujours selon le quotidien
unique El Tiempo, sa présence dans ce trio de contact doit
être comprise comme le « quota » de
« Jojoy », sans toutefois préciser quels
quotas représentent Domingo Biojó et
Simón Trinidad.En janvier 2004,
Simón Trinidad est capturé à Quito, en
Équateur, où il réalisait des contacts
propres au rôle qui était le sien. Il est
aussitôt transféré en Colombie, hors de
toute légalité, avec dans le meilleur des cas la
complaisance du gouvernement de Lucio Gutiérrez. Telle est
la réponse d’Uribe Vélez à
la proposition publique faite par les FARC-EP. Cela n’est pas
pour construire la confiance. En septembre 2004 les
FARC-EP demandent la démilitarisation de San Vicente del
Caguán et de Cartagena del Chairá, deux
municipalités rurales du département du
Caquetá, une zone d’environ 31 000
kilomètres carrés pour la réalisation
de l’Échange humanitaire.
L’armée oligarchique prétend que cette
demande des FARC-EP est déloyale parce que c’est
dans ces deux municipalités justement que se
déroule le gros de la confrontation dans le cadre du Plan
« Patriota », étape du Plan Colombie,
étape peu originale en cela qu’elle doit
être la énième offensive finale contre
les rebelles. La guérilla est donc accusée de
vouloir obtenir un avantage militaire en effectuant un odieux chantage
basé sur la sécurité des personnes
séquestrées. Le vice-président Santos,
membre de la famille propriétaire du quotidien unique El
Tiempo, déclare aussitôt qu’aucune zone
démilitarisée n’est
nécessaire pour réaliser un Échange
humanitaire, et que « ce qu’il faut c’est
de la volonté et nous pensons que les FARC n’en
ont pas ».Début
décembre 2004, dans un geste de bonne volonté,
signal d’une flexibilité constructive, les FARC-EP
demandent alors que soient démilitarisées les
municipalités de Pradera (403 kilomètres
carrés) et Florida (395 kilomètres
carrés). Ces deux municipalités rurales, 800
kilomètres carrés en tout, proposées
pour servir de théâtre à
l’Échange humanitaire, se trouvent dans le
département du Valle del Cauca dont le gouverneur Angelino
Garzón est réputé pragmatique et
constructif en la matière. Cette proposition remplace la
proposition antérieure qui portait sur San Vicente del
Caguán et Cartagena del Chairá, mais non la
demande de démilitarisation des départements de
Caquetá et Putumayo pour la reprise du Processus de Paix. La
zone démilitarisée dans les
municipalités de Pradera et de Florida, dans le Valle del
Cauca, serait près de 40 fois mois étendue que la
zone de San Vicente del Caguán et Cartagena del
Chairá.Le
périmètre de la zone
démilitarisée de Pradera et Florida, certainement
le facteur le plus important pour la réalisation de ce genre
d’opération, serait environ trois fois
inférieur à celui de la première
proposition. Ce qui importe pour les guérilleros, dans le
cas d’une zone démilitarisée,
c’est de pouvoir y accéder sans s’offrir
en cibles sur plateau d’argent ; et les forces
armées ne manqueraient pas de tisser un dispositif militaire
sur le périmètre de la zone
démilitarisée (dans le meilleur des cas). Alors
qu’elle ne demandait la démilitarisation que pour
trois jours dans le premier cas, la guérilla demande une
période de plusieurs semaines dans le cas de la zone de
Pradera et Florida, le déplacement des personnes retenues
étant nécessairement une procédure
complexe. Cette période doit en plus permettre la dispersion
des guérilleros libérés ; certains
prisonniers depuis de longues années sont assez
diminués quant aux capacités de
déplacement. Vers un
dénouement ? La guerre colombienne
entre l’armée et la guérilla a parfois
été décrite comme une guerre de
paysans pauvres contre des paysans pauvres, ce qui pourrait bien
expliquer l’insensibilité et
l’intransigeance de l’oligarchie colombienne sur la
question de l’Échange de prisonniers. Les gens de
la haute société colombienne savent au demeurant
se montrer pragmatiques lorsque l’un des leur vient
à se trouver dans une situation inconfortable. Ainsi,
exemple parmi tant d’autres, lorsque le frère du
président César Gaviria, Juan Carlos Gaviria,
avait été séquestré par le
groupe Jega en 1996, les démarches pour la
négociation avaient instantanément
démarré au plus haut niveau. Presque toutes les
guerres ont donné lieu à des échanges
de prisonniers, et y compris en Colombie il existe en effet
une riche expérience de ce genre de démarche.
Tout ce qui est nécessaire c’est un minimum de
volonté et la construction de mécanismes
sûrs et loyaux à même de donner
confiance aux deux protagonistes qui se trouvent par ailleurs dans une
situation de confrontation militaire.Les FARC-EP, qui
détiennent moins de cinquante personnes
–la plupart sont des officiers militaires–,
demandent la libération de plusieurs centaines de
guérilleros et militants injustement emprisonnés.
D’aucuns se scandalisent de ce cas manifeste
d’Échange inégal. Il est courant dans
les conflits que la disproportion des forces militaires en
présence se reflète au moment des
échanges de prisonniers, un officier israélien
contre plusieurs dizaines de résistants palestiniens ou
libanais, par exemple – même s’il est au
demeurant vrai que dans le cas colombien les forces en confrontation
tendent à s’équilibrer à
mesure que les années passent.Les FARC-EP
détiennent aussi trois citoyens états-uniens,
capturés le 13 février 2003, quand leur avion est
tombé dans le département du Caquetá.
Le 26 février 2003 le holding états-unien
Northrop Grumman Corporation a déclaré que ces
trois personnes capturées travaillaient pour
l’entreprise California Microwave Systems, entreprise
spécialisée dans l’installation de
senseurs et de radars pour la surveillance aérienne. Cette
entreprise agit en Colombie en vertu d’un contrat qui la lie
au Département de la Défense des
États-Unis, a fait savoir le Commandement sud (SouthCom) de
l’armée des États-Unis, responsable des
opérations en Colombie. Selon les informations
apportées par le quotidien The Baltimore Sun, le 27
février 2003, ni l’entreprise ni le Pentagone
n’ont souhaité offrir davantage de commentaires
quant à la nature des activités de
l’entreprise en Colombie. Évidemment le dispositif
culturel dominant considère ces trois personnes comme des
séquestrés victimes de l’arbitraire et
de l’inhumanité des guérilleros. En
2002, un Français, Pierre Galipon, et deux Canadiens avaient
été détenus par les FARC-EP dans le
sud de la Colombie. Vérification faite, les trois personnes
avaient été libérées le 30
juillet 2002. Le dispositif culturel dominant n’avait
guère donné d’écho
à cette affaire : le Français racontait
qu’il avait été très bien
traité, que leurs biens leur avaient
été rendus, etc.L’oligarchie
colombienne entravait par tous les moyens possibles les
avancées qui pouvaient se produire sur le thème
de l’Échange de prisonniers. Au début
du gouvernement Uribe Vélez toute idée de zone
démilitarisée était proscrite et
l’antienne uribiste était : « En
Colombie il n’y a pas de conflit, il y a des terroristes et
nous luttons contre le terrorisme, comme le font nos amis dans le
monde… » Pour signaler son refus de
l’Échange humanitaire Uribe Vélez est
allé jusqu’à déporter aux
États-Unis le guérillero Simón
Trinidad, capturé à Quito en janvier 2004, et qui
était l’un des trois porte-parole
désignés par la guérilla pour
réaliser les contacts nécessaires à
l’Échange humanitaire.Or le temps passe et la
victoire ne vient pas. La guérilla a aujourd’hui
achevé son déploiement stratégique sur
l’ensemble du territoire colombien et il est donc
très difficile, à qui veut conserver quelque
crédibilité, de parler d’une bande de
terroristes débandés. La confrontation militaire
pourrait s’éterniser encore pendant de longues
années faute d’un retour au Processus de Paix qui
donnerait une issue négociée au conflit
colombien. Même s’il s’agit de deux
procédures clairement distinctes, la réalisation
de l’Échange peut être une
étape vers la reprise du Processus de Paix
souhaité par tous.
Les arguments
d’Uribe Vélez pour refuser
l’Échange humanitaire ont l’un
après l’autre été
pulvérisés par la réalité
et l’entrée en scène du
président Chávez est venue donner un souffle
nouveau aux défenseurs de l’Échange.
Uribe Vélez n’a certainement pas changé
de point de vue – mais le fait est qu’il
cède. Nous ne sommes plus à
l’époque ou celui qui se voyait
déjà comme le Sharon des Andes allait faire
enlever à Caracas, en plein jour, un membre de la Commission
Internationale des FARC-EP. Le fait qu’Uribe Vélez
soit contraint de donner son feu vert à Chávez
est aussi, au-delà de la question de
l’Échange de prisonniers, le signe que le camp
progressiste prend le dessus dans la région. Imaginons le
cœur des Palestiniens quand les États-Unis ne
pourront plus s’imposer comme médiateur entre eux
et Israël. On ne peut pas dire que Jérusalem la
Sainte soit en vue mais, sans doute, on avance.
Le président
Chávez, qui a souvent montré sa patience, dispose
aussi d’une qualité nécessaire ici : il
sait hiérarchiser les problèmes,
délaisser ce qui n’est que
l’écume décorative de la vie et
appréhender sincèrement, concrètement,
la profondeur des choses.
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Guérilla
en Colombie : la fin et les moyens
Entretien avec Rodrigo Granda,
FARC-EP
Le 24 juillet dernier,
à la Havane, le journal solidaritéS a obtenu un
entretien exclusif avec Rodrigo Granda, membre de la Commission
internationale des Forces Armées Révolutionnaires
de Colombie- Armée du Peuple (FARC-EP), enlevé au
Venezuela par la police secrète colombienne,
incarcéré, puis sorti de prison à la
demande de Nicolas Sarkozy. Il permet de mieux comprendre les positions
de ce mouvement politico-militaire très
controversé qui combat le régime de
l’oligarchie colombienne, soutenu par les Etats-Unis, depuis
43 ans.
— Les FARC se
considèrent comme un mouvement politico-militaire qui
mène une guerre sociale insurrectionnelle contre
l’Etat colombien. A ce titre, elles capturent des policiers,
des soldats, des officiers et des mercenaires. Elles ont
également décidé de
séquestrer des personnalités civiles
représentatives de l’appareil d’Etat
colombien. Enfin, elles ont enlevé aussi des civils dont la
libération a été
conditionnée au payement d’une rançon.
Si personne ne peut contester qu’une armée
emprisonne des combattants adverses, comment les FARC peuvent-elles
justifier l’incarcération de civils ? Ne
pensent-elles pas que de telles pratiques tendent à les
isoler de larges secteurs de l’opinion publique colombienne
opposés au gouvernement?
Effectivement, les
FARC-EP sont un mouvement politico-militaire usant du juste droit
à la rébellion contre un Etat qui pratique une
démocratie de façade. Nous répondons
à une guerre qui nous a été
imposée par les hautes sphères du pouvoir
colombien. Durant des décennies, le terrorisme
d’Etat a été utilisé comme
méthode d’extermination contre nous et notre
peuple. Dès lors, et tout le monde le sait bien, une telle
guerre a besoin de financement. Ce conflit nous a
été imposé par les riches de Colombie
: ils doivent donc financer cette guerre qu’ils ont
eux-mêmes déclenchée. C’est
pour cela que les FARC capturent des personnes,
libérées en échange d’une
somme d’argent qui est de fait un impôt. Cet argent
est destiné au financement de l’appareil de guerre
du peuple.
Comme vous le savez, nous
parlons de la construction d’un nouveau pouvoir et
d’un nouvel Etat. En Suisse, en France, ou aux Etats-Unis, si
quelqu’un ne paie pas ses impôts, il va
nécessairement en prison. Le nouvel Etat que nous sommes en
train de forger a décidé le paiement
d’un impôt pour la paix. Cela signifie que toute
personne physique ou morale, de même que les entreprises
étrangères qui sont établies en
Colombie et réalisent des bénéfices
supérieurs à un million de dollars par an,
doivent s’acquitter d’un impôt pour la
paix représentant 10% de leurs gains. Les
débiteurs sont informés qu’ils doivent
entrer en discussion avec les responsables financiers des FARC et
acquitter cette somme. Si ces personnes ne le font pas, elles sont
alors arrêtées et emprisonnées
jusqu’à ce qu’elles aient
effectué leur paiement, avec lequel nous assumons les
charges du nouvel Etat, construit et dirigé par les FARC,
agissant comme armée du peuple.
Evidemment, au cours des
opérations militaires, les FARC capturent des officiers, des
sous-officiers, des policiers et des soldats - actuellement
détenus comme prisonniers de guerre. Dans ces affrontements,
il arrive aussi que l’ennemi capture des prisonniers de notre
bord qui, après des jugements sommaires et
truqués, purgent des condamnations très lourdes
dans les différentes prisons du pays. Malheureusement, cela
est normal dans le contexte de la guerre. Quoi qu’il en soit,
dans un conflit aussi aigu que celui de la Colombie, il est possible
que certaines détentions de civils ne soient pas bien vues
par la population de manière générale.
Néanmoins, nous considérons qu’en ayant
publié la loi 002, selon laquelle certaines personnes et
entités économiquement puissantes doivent payer
l’impôt pour la paix, nous les avons
dûment avisées et qu’elles peuvent
entrer en discussion et régler leur situation dans les
délais impartis. Si nous obtenons cela, il est indubitable
que les arrestations diminueront.
Quant au fait que cela
nous éloigne de la population civile, cela se peut, mais ne
va sûrement pas être déterminant, parce
que de larges secteurs de la population colombienne savent parfaitement
que généralement, les FARC-EP ne
détiennent que des personnes économiquement
solvables. Il ne s’agit, en aucune manière, de
détenir des gens au hasard. Concernant les prisonniers de
guerre, nous les gardons en prévision d’un
échange humanitaire, que nous espérons
très proche. Nous n’oublions pas de tenir compte
du fait, qu’en Colombie, la justice et les juges
spéciaux imposent de fortes condamnations à de
nombreux guérilleros et guérilleras
arrêtés – qui ont eu la chance de ne pas
être assassinés lors de leur capture – :
ces condamnations équivalent pratiquement à des
emprisonnements à vie. Car, dans notre pays, la justice est
une justice de classe et s’applique comme telle : ceux qui
font usage du juste droit à la rébellion sont
condamnés comme « terroristes » ou
« auteurs de séquestration » : les
sentences contre les révolutionnaires oscillent entre 40 et
80 années de prison. Ainsi, l’impôt est
une nécessité dictée par la situation
actuelle de guerre que vit la Colombie. Nous voudrions ne
détenir aucune personne, ni civile –
même issues des sommets de l’oligarchie -, ni
militaire... Mais la confrontation quotidienne dans notre pays impose
que les choses se passent de cette manière, et non comme
nous le souhaiterions.
— Le financement
de la lutte armée dépend en large partie de
l’impôt révolutionnaire
prélevé sur la culture de la feuille de coca et
sur la production de pâte base, et dans une certaine mesure
aussi des enlèvements contre rançon. Si un
processus de paix débutait, la guérilla
pourrait-elle se passer de ces sources de financement sans mettre en
péril son autonomie politique et organisationnelle ? En
d’autres termes, n’existe-t-il pas à
l’intérieur de votre mouvement des forces qui
tendent à défendre le statu quo par crainte que
la démobilisation prive les FARC de sources de revenus
décisives et que cela conduise à leur
marginalisation ?
Premièrement,
il faut dire que les FARC-EP ont toujours été un
mouvement autarcique, c’est-à-dire
qu’elles ont vécu de leurs propres ressources et
n’ont jamais dépendu – ni hier ni
aujourd’hui – et ne dépendront jamais
d’aucun financement d’origine
étrangère. Comme FARC-EP, nous avons
réussi à développer initialement une
économie de subsistance avant de développer des
facteurs de production qui permettent le maintien de notre mouvement.
Les FARC-EP existaient en Colombie bien avant le
développement du narcotrafic ou la mise en oeuvre
d’une politique logistique de capture systématique
de personnes, qui sont des choses conjoncturelles. Avec les
années, les FARC-EP ont diversifié leur
financement grâce à des investissements de tous
ordres : dans des opérations financières
à l’intérieur et à
l’extérieur du pays, dans la production agricole,
l’élevage, la mine, le transport et bien
d’autres secteurs productifs.
Il est
indéniable que la Colombie a été
transfigurée par des politiques
néolibérales imposées par la terreur,
qui ont ruiné les campagnes, dans un pays producteur de
feuilles de coca pour l’élaboration de la
cocaïne, et cela a obligé des milliers et des
milliers de familles paysannes pauvres à tirer leur
subsistance de cette économie pour ne pas mourir de faim
face à la destruction de leurs cultures traditionnelles de
café, de maïs, de bananes, de sorgho, de coton, etc.
Les FARC-EP sont un
mouvement principalement rural et nous sommes en contact direct avec
cette réalité, mais nous n’avons pas
les moyens d’obliger les gens à abandonner ces
plantations dites illicites sans leur donner une alternative. Lors du
dialogue de el Caguán (1999-2002) [1], le gouvernement de M.
Pastrana, à l’initiative de notre organisation,
avait organisé la première conférence
publique internationale pour le remplacement des cultures dites
« illicites » et la protection de
l’environnement. L’Union européenne, le
Japon, le Canada, ainsi que l’ONU, le Groupe des pays amis du
processus de paix en Colombie et les pays accompagnateurs de ce
dialogue ont participé à ces rencontres. Les
Etats-Unis avaient été conviés, mais
ils ont décliné cette invitation. A cette
occasion, les FARC ont présenté un projet viable
pour l’éradication des plantations de feuilles de
coca dans les municipes de Cartagena del Chairá et du
Caquetá, qui vouaient alors quelques 8 000 hectares
à cette activité.
Nous aurions voulu
obtenir que la communauté internationale s’engage
en faveur d’une alternative à la
répression et qu’on réalise des
investissements sociaux dans cette région afin d’y
développer un « laboratoire
expérimental » en vue de la recherche de solutions
pour supprimer ces cultures, qui auraient pu être
étendues ensuite à d’autres zones du
pays, et si possible du continent : en Equateur, au Pérou,
en Bolivie. Cette proposition est toujours valable. Nous croyons aussi
que la légalisation de la drogue contribuerait à
la solution du problème. Des économistes comme
Friedman et une revue aussi prestigieuse que The Economist le
reconnaissent d’ailleurs. Il y a des raisons à
cela : comme il s’agit d’un commerce clandestin, la
rotation du capital est impressionnante. Actuellement, on calcule que
le produit mondial du narcotrafic représente 680 milliards
de dollars et il n’est pas de crime qui ne soit pas commis
pour s’approprier cette énorme quantité
d’argent.
Il s’agit tout
d’abord d’un problème
économique, puis politique, et aussi éthique,
mais si les énormes profits disparaissaient,
l’incitation fondamentale que sont les gains sur
investissements disparaîtrait et les Etats pourraient
contrôler ce marché. Quelque chose de semblable
à ce qui est arrivé, toutes proportions
gardées, avec la fin de la prohibition aux Etats-Unis
à l’époque de la mafia d’Al
Capone et Cie, dans les années 20. Il doit être
clair – et nous l’avons
démontré face à notre nation et
à la communauté internationale – que
les FARC-EP ne sont en aucune manière des narcotrafiquants
et qu’elles ne sont mêlées ni
à la production, ni au transport, ni à la
commercialisation, ni à l’exportation de
narcotiques. Au contraire, nous sommes disposés à
travailler avec la communauté internationale et
même avec le gouvernement des Etats-Unis à la
solution de ce grave problème.
Notre organisation a
imposé le prélèvement d’un
impôt aux acheteurs de pâte de coca qui doivent
pénétrer dans les zones où ces
cultures existent et où nous sommes présents ; et
cet impôt représente une forme de
contrôle par rapport aux abus commis à
l’encontre des paysans cultivateurs. Ensuite, nous
n’exerçons pas de fonctions de police.
C’est à l’Etat colombien de
contrôler ces zones et, jusqu’à
présent, il a été incapable de le
faire en dépit des milliers de millions de dollars investis
par le gouvernement des Etats-Unis pour en finir avec ce trafic qui
affecte le monde.
De plus, il faut tenir
compte du fait que les revenus générés
par cet impôt représentent une fraction infime des
coûts de l’appareil militaire des FARC-EP. En ce
qui concerne la détention de personnes, il faut dire que
leur produit aide aussi au maintien économique des FARC,
mais ce n’est pas décisif. L’objectif
ultime des FARC-EP n’est pas le « confort
» de son personnel dirigeant, de sa hiérarchie ou
de ses combattant-e-s. Pour nous, l’argent est un moyen,
quelque chose qui peut contribuer à la
concrétisation du but politique et stratégique
des FARC-EP, soit la prise du pouvoir pour effectuer des changements
politiques, économiques, sociaux, écologiques et
de tout ordre, dont le pays a besoin et qu’il
réclame. Le financement est donc un moyen pour arriver
à de telles fins. Personne des FARC-EP n’aspire
à devenir multimillionnaire ; c’est
l’une de nos grandes différences avec les
narcotrafiquants et les paramilitaires qui cherchent à
s’enrichir personnellement et à « mener
la grande vie ».
Quant à une
possible démobilisation - à laquelle vous faites
allusion -, cela n’entre pas dans les calculs
immédiats des FARC-EP. Imaginez-vous que nous
n’avons plus aucun contact avec le gouvernement Uribe. Si
nous parvenions à une hypothétique situation
d’arrêt de la guerre et devions passer à
un autre type d’actions, les FARC-EP disposent d’un
« plan B ». Mais nous parlons ici de suppositions,
alors que la réalité est bien
différente.
Enfin, les FARC-EP ne
font pas la guerre par plaisir. Nous avons dit que si le cadre
politique ambiant change et que les conditions pour mener une politique
large, légale, sans crainte de représailles ou
d’assassinats existent, si la voie est ouverte à
une démocratie réelle, nous pourrions alors
penser à changer la forme actuelle de confrontation
militaire pour répondre à la nouvelle donne.
Durant tout le mandat présidentiel de M. Uribe, et bien
avant, les FARC-EP ont dû faire une opposition politique et
militaire au régime, parce qu’il
n’existait aucune autre manière de pouvoir
exprimer notre pensée. La bourgeoisie colombienne est une
bourgeoisie sanguinaire, rétrograde, qui ne comprend que le
langage des armes. Si nous n’avions pas répondu
à l’agression, elle nous aurait
déjà marqués au fer rouge et
enchaînés, comme à
l’époque de l’esclavage...
— Les
récentes mobilisations de masse contre la violence et les
séquestrations ont fait porter la responsabilité
aussi bien sur le gouvernement que sur les insurgés. Ces
mobilisations ne représentent-elles pas un revers pour la
gauche, dans la mesure où Alvaro Uribe a su en tirer parti
pour détourner l’attention du public par rapport
à son implication dans les scandales de la parapolitique ?
Comme vous le dites
vous-même, ces mobilisations ont le sens d’un rejet
de la violence, et plus particulièrement de la violence
officielle et paramilitaire. Le peuple colombien est bien sûr
fatigué de l’affrontement militaire, mais quel
peuple ne le serait pas après 40 ans de guerre
imposés par le régime en place. M. Alvaro Uribe a
essayé de capitaliser un mouvement auquel ont pris part des
secteurs populaires très proches des FARC-EP, et
même des membres de notre organisation. On pouvait voir dans
ces mobilisations des pancartes exigeant l’échange
humanitaire des prisonniers, la recherche du dialogue pour une issue
politique au conflit social et armé que vit le pays. Si vous
analysez les bulletins de la presse, de la radio ou de la
télévision, vous constaterez que la plus grande
part des éditorialistes du pays ont critiqué
l’opportunisme politique du gouvernement. Il faut en outre
rappeler que dans la ville de Cali, il y a eu un affrontement public
entre le ministre de l’Intérieur et l’un
des parents des 11 députés tués lors
de la tentative manquée de sauvetage militaire,
ordonnée par le gouvernement, le 18 juin 2007. Enfin, il
n’est pas certain que le président Uribe ait
capitalisé ces mobilisations. Au contraire, les derniers
sondages d’opinion effectués après cet
événement montrent que l’image de M.
Uribe est usée et « en chute libre », et
ceci pour la première fois depuis son accession à
la présidence [2002].
Quant au
problème de la parapolitique [2], il a
été dénoncé depuis plus de
vingt ans par le journal Voz, l’organe du Parti communiste de
Colombie, par les FARC-EP et par des démocrates de tout le
pays. Néanmoins, l’Etat colombien a toujours
ignoré ces dénonciations. Il y a un an et demi,
j’ai eu l’occasion de parler - dans la prison de
haute sécurité de Combita, où
j’étais alors détenu - avec le
responsable pour la paix du gouvernement Uribe, le docteur Luis Carlos
Restrepo. Durant cette conversation, nous avons abordé
plusieurs thèmes : j’ai pu entre autres lui
démontrer que la politique de «
sécurité démocratique »
imposée par le président et le Plan Colombie
avaient échoué. Il m’a
répondu : « Ecoutez Monsieur Granda,
l’Etat colombien vous a certainement combattus avec des
méthodes non orthodoxes...». Ces
méthodes dont parlait Restrepo sont
précisément la parapolitique et le
paramilitarisme, parce que cette manière de faire a
été froidement calculée pour la
Colombie. C’est l’une des formes
d’expression du fascisme, grâce auxquelles les
monopoles financiers, le secteur industriel et les grands
propriétaires terriens ont
bénéficié de l’ensemble de
la recomposition économique du pays, provoquée
par la globalisation et les privatisations qui l’accompagne.
Les affaires et les gains effectués par ces secteurs ont
été extraordinaires. Ce qui reste à
privatiser en ce moment est réduit, ce qui nous indique que
la période de mise en œuvre la plus brutale du
projet néolibéral en Colombie est, dans une
certaine mesure, déjà derrière nous,
puisqu’il ne reste aucune entreprise publique
d’importance à vendre aux transnationales.
C’est pour cette raison qu’ils tentent maintenant
de démonter ces appareils de mort qu’ils avaient
mis en place comme appui militaire à leur projet fascisant
d’imposition du néolibéralisme.
Dans ce sens, nous
pourrions faire une comparaison avec le Chili du
général Pinochet. Rappelez-vous que les
politiques néolibérales ont commencé
à être imposées au continent
après le coup d’Etat de 1973 au Chili. Ce coup
d’Etat a pratiquement liquidé la
résistance populaire de la classe ouvrière, des
classes moyennes et de la paysannerie ; il a imposé la
discipline sociale des monopoles, c’est-à-dire le
fascisme au service du néolibéralisme, qui a
utilisé la terreur dans notre Amérique pour
imposer son projet économique et son idéologie
politique. Maintenant, en Colombie, l’establishment est
secoué, parce que les institutions et les hommes qui les
composent, sont impliqués dans la crise à
laquelle ils ont conduit la nation. La Colombie est l’un des
pays avec le plus haut niveau de corruption à
l’échelle mondiale. On dirait que les institutions
colombiennes on été créées
pour protéger toutes les formes de corruption.
C’est pour cette raison que l’establishment, pour
imposer ses politiques néolibérales, a
jeté par-dessus bord tout sens éthique en
politique, et maintenant il reçoit et paye la facture de son
« mariage » avec un narco-paramilitarisme
créé pour éliminer la gauche
révolutionnaire à n’importe quel prix.
Ce modèle et ce projet fascistes pour la Colombie ont
échoué. Lorsque déferle la
marée des dénonciations, le président
tente évidemment d’éviter tout
débat public et crée des écrans de
fumée : la réélection, le
référendum, la coupe du monde de football, etc.,
afin de distraire l’opinion publique nationale. Mais les
scandales et la corruption régnante en Colombie sont
d’une telle ampleur, qu’aucun de ces shows
publicitaires ne réussira à détourner
l’attention de l’aspect fondamental : la corruption
imposée par la mafia, le paramilitarisme et le narcotrafic -
qui sont la même chose – en faveur d’un
gouvernement qui est un gouvernement mafieux qui pratiquent une
narco-démocratie.
—
L’Armée de libération nationale (ELN,
Ejército de Liberación Nacional) a
décidé récemment de déposer
les armes. Dans quelle mesure, cette décision affaiblit-elle
la lutte armée des FARC, vu que désormais
l’Etat colombien, le paramilitarisme et les Etats-Unis
pourront concentrer tous leurs efforts pour vous combattre ?
Il faut relativiser
l’impact de la lutte contre-insurrectionnelle que nous vivons
aujourd’hui, de la part du gouvernement colombien et des
Etats-Unis. Pratiquement, depuis le début du Plan Colombie,
les FARC-EP ont résisté seules à ces
opérations. Il est indéniable que
l’Etat colombien n’a jamais combattu militairement
le paramilitarisme. Les opérations militaires dans des zones
où opèrent les camarades de l’ELN ont
été minimes ; dans une certaine mesure, la
responsabilité et le poids fondamental des
opérations menées par
l’armée colombienne et les gringos ont
été supportés par notre organisation.
Vous devez vous souvenir qu’en ce moment, la Colombie est le
troisième pays bénéficiaire de
l’aide militaire nord-américaine, après
Israël et l’Egypte. Dans la première
étape du Plan Colombie, les États-Unis ont
investi 7,5 milliards de dollars et l’Etat colombien a
imposé un impôt de guerre de 12 % (qui a
été majoré cette année de 8
%). Même ainsi, toutes les opérations du Plan
Colombie et celle qui ont suivi ont échoué face
à la résistance et à la
contre-offensive des FARC-EP.
Il est donc
très relatif de penser que l’ennemi puisse nous
mettre en déroute, bien qu’il braque toutes ses
batteries sur nous. Notre histoire le démontre depuis
l’époque de notre naissance à
Marquetalia (1964) : rappelons que 16 000 militaires furent
déployés dans cette région contre le
groupe fondateur des FARC, formé de quarante-six hommes et
de deux femmes d’origine paysanne. A ce moment, il
n’y avait aucun autre mouvement insurgé dans le
pays. Le poids de cette offensive contre les zones
d’autodéfense paysanne -
dénommée « Opération LASO
» [Latinoamerican Security Operation] - retomba naturellement
sur les FARC-EP.
Nous croyons que dans
cette nouvelle période, une limite a
été atteinte dans les actions militaires des
troupes gringas, mercenaires et de l’armée
colombienne. Nous parlons actuellement de leur déclin. Il
faut dire que dans les hautes sphères du gouvernement
colombien et dans les couloirs du Pentagone, on parle de
l’échec retentissant du Plan Colombie, du Plan
Patriota [3], du Plan Consolidation et du Plan Victoria(2002-2007). Il
est impossible pour les gringos et l’Etat colombien de
remporter une victoire militaire sur un mouvement armé qui,
comme le nôtre, mène la lutte depuis
quarante-trois ans, et qui dispose d’une large
expérience, tant au niveau de ses commandant-e-s que de ses
combattant-e-s. Il faut dire qu’il s’agit
d’une expérience quasi unique en
Amérique latine et dans le monde. Vous pouvez constater
qu’en ce moment, il n’y a aucun autre grand plan ou
« opération militaire » dans
l’hémisphère occidental, qui ait
l’envergure et les caractéristiques des
opérations menées dans le centre et le sud de la
Colombie et pratiquement sur tout le territoire national.
Nous avons dû
vraiment livrer une guerre seuls. Auparavant, il existait le
« camp socialiste », la solidarité
internationale, et nous avons dû « danser avec la
plus laide » (pour utiliser une expression populaire
colombienne un peu machiste), mais nous avons vu que seuls, nous
pouvions aussi affronter et vaincre l’ennemi. Pour nous,
c’est une obligation et notre apport solidaire aux peuples
opprimés du monde. La combinaison de toutes les formes de
lutte de masses va nous assurer la victoire dans un futur proche. Il ne
reste plus d’autre alternative à l’Etat
colombien que d’accepter son incapacité
à mettre en déroute les insurgé-e-s,
ainsi que l’échec de son projet fasciste, qui a
utilisé la terreur d’Etat comme arme fondamentale,
et de chercher un accord pour que nous puissions entamer une discussion
et trouver une issue politique négociée
à ce long conflit social et armé que vit notre
pays.
Quant au
désarmement de l’ELN, je l’apprends...
Car je sais que l’ELN n’a pas
déposé les armes. Je ne peux pas me prononcer sur
les décisions de l’ELN. C’est une
organisation souveraine, une organisation de guérilla qui
combat depuis des années et qui,
d’après ce que je sais, n’a
jusqu’ici pas livré une seule cartouche.
— Les FARC sont
nées d’un mouvement de paysans pauvres, qui
constituent toujours le noyau principal de leur base sociale. Les FARC
ont-elles été capables depuis lors de repenser
leur réorientation stratégique à la
lumière de l’urbanisation extrêmement
rapide de la Colombie ? En d’autres termes, comment les FARC
s’adressent-elles aux masses urbaines
paupérisées qui subissent les constantes attaques
des paramilitaires, et la répression exercée par
l’Etat colombien ?
Je vous disais
à l’instant que les FARC-EP sont une organisation
politico-militaire. La lutte que mènent les FARC-EP
n’est pas un affrontement d’appareils,
c’est-à-dire entre l’appareil militaire
de l’Etat colombien et celui des FARC-EP proprement dit.
De manière
générale, si on analyse
l’évolution du comportement des Etats bourgeois,
on observe que ceux-ci ont diverses manières de mettre en
œuvre ce qu’ils appellent « la
démocratie représentative », et
qu’ils combinent à peu près toutes les
formes de lutte pour exploiter les peuples. Les gringos appellent cela
« la carotte et le bâton »,
qu’ils pratiquent de la manière suivante :
s’ils considèrent que les masses sont dociles, ils
les laissent développer certaines formes limitées
de démocratie pendant un certain temps ; s’ils
considèrent que ces masses se sont radicalisées,
ils font descendre les troupes dans la rue et répriment.
Mais s’ils constatent que ces mouvements de masse se
radicalisent encore, ils recourent au terrorisme d’Etat et
massacrent leurs opposant-e-s et exterminent des organisations de
masse. C’est la terreur au niveau le plus effrayant,
qu’ont connu tous les pays de notre Amérique dans
le passé récent et qui perdure encore en Colombie.
De ce point de vue, il
est légitime que les mouvements révolutionnaires
de Colombie et du monde emploient toutes les formes de lutte de masse
pour arriver aux changements révolutionnaires dont la
société a besoin à un moment de son
développement. Nous n’avons pas
proclamé la lutte armée par décret.
Elle ne peut d’ailleurs pas l’être, pas
plus que par la volonté de tel ou tel personne ou parti. La
lutte armée naît de la
nécessité impérieuse de
défendre des intérêts de classe
à un moment donné, lorsque les Etats bourgeois
ferment toute possibilité de démocratie et
d’expression dont peuvent bénéficier
les masses.
En Colombie,
malheureusement, l’histoire a confirmé ce que je
viens d’affirmer : les FARC-EP, à la recherche
d’une réconciliation nationale en 1982, sont
entrées en dialogue avec le président de
l’époque Belisario Betancur. On est parvenu alors
à signer les accords de La Uribe [1984]. Comme corollaire
à ces accords a été fondé
le large mouvement appelé Union patriotique (UP). Lorsque ce
mouvement est apparu dans la vie politique nationale, il a
bénéficié d’un sentiment de
sympathie de la part des habitant-e-s de la campagne et des villes, des
classes moyennes, des étudiant-e-s, etc. Autrement dit,
c’était un mouvement qui rassemblait des secteurs
très divers. Lorsque celui-ci a commencé
à se développer, la bourgeoisie a
paniqué et entamé son extermination
planifiée et systématique : en premier lieu celle
de ses dirigeant-e-s, ensuite de ses militant-e-s. Tout ceci a conduit
au génocide politique le plus aberrant qu’ait
connu l’Amérique latine. De cette
expérience, mise en échec par le terrorisme
d’Etat, les FARC-EP ont beaucoup appris ; elles ne sont pas
disposées à répéter la
même histoire.
Nous avons produit un
effort important du fait de la création et du
développement de mouvements et d’organisations
populaires et politiques au niveau national. Nous faisons un effort
considérable pour la construction du Parti communiste
clandestin de Colombie, qui doit être clandestin parce que
nous avons déjà fait
l’expérience de plus de cinq mille morts avec
l’UP. Nous construisons également le Mouvement
bolivarien pour une nouvelle Colombie, auquel tout un chacun peut
participer. Ce mouvement n’a pas de statuts, les gens peuvent
se réunir en petits groupes pour éviter les coups
de l’ennemi ; personne ne doit faire
référence à son activisme politique,
et ses formes d’expression sont clandestines. A travers ces
structures organisationnelles, il est possible de participer au
mouvement estudiantin, ouvrier, paysan, populaire… mais les
FARC-EP construisent aussi les Milices bolivariennes, qui agissent dans
les campagnes, aux alentours des grandes villes et à
l’intérieur de ces dernières.
Les FARC-EP
considèrent que la révolution en Colombie doit
déboucher en partie sur des formes d’insurrection
urbaine, peut-être analogues à celles qui se sont
développées au Nicaragua à
l’époque (que l’on se souvienne des
batailles de Managua, Masaya, Estelí, León, pour
n’en citer que quelques-unes), qui furent des actions de
guérilla et d’insurrection populaire
combinées qui, dans leur ensemble, ont fait tomber la
dictature de Somoza.
Nous faisons un effort
très important en direction du mouvement syndical,
estudiantin, des classes moyennes urbaines, des travailleurs-euses
informels, du mouvement communal, coopératif, des
pères de famille. C’est-à-dire que nous
essayons de tout ramener à des formes
d’organisation simple, afin de favoriser du dehors la
conscience politique et pratique de la nécessité
des changements dont le pays a besoin, davantage encore dès
lors que les conséquences désastreuses des
politiques néolibérales non seulement
radicalisent les masses urbaines, mais aussi, paradoxalement, les
rapprochent et les allient dans la luttes.
En Colombie, les FARC-EP
sont intéressées par la construction
d’un nouveau gouvernement de réconciliation et de
reconstruction nationales, large et démocratique, sans
exclusives, auquel puissent participer tous les secteurs de la vie
politique nationale qui souhaitent sortir le pays de
l’abîme dans lequel il se trouve pour le mettre en
situation d’affronter les défis du 21e
siècle avec beaucoup d’espérance,
d’optimisme et en nous plaçant à
l’avant-garde des nations démocratiques et
révolutionnaires du monde.
— Quels sont
pour les FARC les mouvements sociaux urbains dont le
développement paraît stratégiquement
essentiel dans ce processus ?
Dans les villes, nous
travaillons essentiellement en direction des secteurs industriels. Nous
travaillons également au sein du mouvement
coopératif, avec les collectifs d’action communale
dans les quartiers, avec des associations de
l’économie informelle, qui se sont
multipliées au cours des dernières
années en raison des politiques
néolibérales. Nous accordons aussi beaucoup
d’importance au problème des femmes et de la
jeunesse en général. En conséquence,
nous disposons d’une représentation dans tous ces
secteurs. Nous agissons de manière consciencieuse pour leur
donner un caractère organisationnel et les orienter vers la
lutte politique. En même temps, ce travail nourrit, par ses
expériences et ses formes d’affrontement avec la
répression, notre propre action politique. Bien que les FARC
soit nées comme un mouvement essentiellement paysan et que
cette base sociale se maintienne dans sa composition actuelle, il est
également vrai qu’il y a d’autres
secteurs de la société qui nous accompagnent dans
la lutte. Parmi les gens liés aux FARC-EP, on trouve des
secteurs des classes moyennes et professionnelles, techniques et
supérieures, mais aussi des professions
libérales, des prêtres, des gens des milieux de la
culture et de l’art populaire dans toutes ses expressions.
C’est un changement qui s’est
opéré au cours de ces dernières
années. Nous soulignons la participation des femmes dans nos
rangs : elles représentent aujourd’hui 43% des
forces de la guérilla.
— On dit que les
FARC ne se sont pas toujours montrées capables de permettre
concrètement, dans les régions sous leur
contrôle, le développement d’une
société civile organisée de
manière autonome en fonction des différents
intérêts qui la traversent
(coopératives, syndicats, associations diverses,
minorités indigènes, etc.). Cette attitude ne
révèle-t-elle pas un projet de
société autoritaire fondé
exclusivement sur les capacités et les
compétences d’une sorte de parti-Etat ?
(Rires…) Je ne
sais pas à quoi vous vous référez avec
cette question. Je ne sais pas non plus quand nous avons eu sous notre
contrôle une quelconque partie du territoire national. Ceci
n’est encore jamais arrivé
jusqu’à présent. En Colombie, nous ne
menons pas une guerre de position. Nous sommes une armée de
guérillas mobiles. Lorsque nous sommes pour un temps dans
certaines régions, nous développons la
démocratie directe d’une façon
inédite. Plus encore, je crois que les FARC-EP sont beaucoup
plus démocratiques que certains Etats ou
démocraties. Nous disposons, comme organe de
décision des FARC-EP, de la conférence nationale
des guérilleros, qui se réunit tous les quatre
ans (ou un peu plus, selon l’état de la guerre).
Les postes de commandement, sans exception, sont
décidés au vote de tous les
guérilleros. Autrement dit, il n’y a pas de
nomination par décret. C’est au travers du vote
populaire, au travers du vote des membres des FARC-EP, que se vit la
démocratie et que se règlent les questions de
hiérarchie à l’intérieur du
mouvement guérillero, en collaboration avec les
communautés.
Le cas le plus
significatif a été celui de San Vicente del
Caguán, dans le centre-sud du pays, pendant la
période du désengagement et du dialogue, entre
1999 et 2002. Là, nous nous sommes installés
pendant trois ans, et nous avons oeuvré avec les
communautés dans le cadre d’actions civiles et
militaires. Ensemble, la population civile et le groupe de
guérilleros, nous avons construit, en travaillant en commun,
des ponts, des routes, des écoles, des hôpitaux,
des chemins vicinaux, et plusieurs fleuves, rivières et
ruisseaux fortement pollués ont pu être
réhabilités. D’autre part, les FARC-EP
ont émis des règlements en matière
écologique (chasse, pêche, élagage et
exploitation du bois, protection des arbres indigènes), et
tout ceci s’est fait avec la participation de la
communauté. Par exemple, pour la construction
d’une route, 100 à 200 collectifs
d’action communale de toute la région se sont
réunis, et là, par votation populaire, ils ont
déterminé qui allait travailler, comment, et avec
quel appui économique et logistique. On faisait ensuite les
comptes et on les présentait aux masses pour
qu’elles analysent la finalité de chaque
investissement. Ça, c’est la démocratie
participative et ouverte, une vraie démocratie de masse
comme n’en a jamais connu le pays. C’est
l’expérience que nous avons faite.
L’autoritarisme
ne fait pas partie des principes des FARC-EP. Certes, nous
défendons des principes, et sur ces principes nous ne
cédons pas. Nous avons notre propre vision de ce que doit
être la démocratie. La démocratie doit
être ouverte et la plus directe possible.
C’est-à-dire une démocratie de masse
comme forme permettant de définir et de débattre
des grands problèmes. C’est très simple
: si dans une communauté, il y a 100 personnes, pourquoi 10
devraient-elles décider ? Pour nous, ce sont ces 100
personnes qui ont le pouvoir de prendre la décision. On
parle d’une démocratie représentative
en Colombie, parce qu’il y a des élections, mais,
en réalité, ces scélérats
qui vont au Sénat ou à la Chambre des
représentants ne sont en aucune manière des
représentants authentiques des communautés. Ce
sont des gens qui arrivent là du fait de leur richesse, par
le clientélisme et les escroqueries auxquelles ils
soumettent notre peuple. Par conséquent, comme vous le
voyez, il est important de clarifier le type de démocratie
dont on parle, ce que nous entendons, nous FARC-EP, par
démocratie, et ce que vous entendez vous, en Europe, par ce
terme. Je considère que les FARC-EP sont une organisation
démocratique qui exerce la démocratie dans les
domaines dans lesquels elle travaille. Nous sommes en faveur de la
démocratie directe la plus large et la plus participative
possible. Une démocratie exercée pour et par les
majorités et non une démocratie de
façade, une démocratie pour un groupe restreint
de privilégiés. Ce type de «
démocratie » ne nous plait pas et nous
n’allons pas la pratiquer. Je vous ai dit que dans les
FARC-EP nous préférions organiser les masses dans
toutes sortes de collectifs qui leur permettent de défendre
leurs intérêts. Ceci est le secret de la survie
des FARC-EP au coeur d’un conflit aussi complexe que celui de
la Colombie.
— Les FARC sont
fréquemment critiquées, y compris par des forces
de gauche, pour l’usage de méthodes «
expéditives » en leur sein : c’est le
cas des exécutions de déserteurs, de
l’envoi de militant-e-s «
démoralisé-e-s » pour accomplir des
missions suicides, de l’obligation faite aux combattantes
enceintes d’avorter, etc. Il n’y a pas de doutes
que les FARC sont engagées dans une lutte armée
très dure, mais de telles méthodes ou pratiques
ne mettent-elles pas en question les droits individuels des combattants
ou la liberté de discussion au sein de la
guérilla, révélant ainsi une forme
d’organisation politique très verticale dans la
tradition stalinienne ?
Votre question montre que
l’on sait très peu de choses sur les FARC-EP et
qu’on se fait ainsi l’écho,
peut-être inconsciemment, de la propagande du
régime (le régime oligarchique colombien et son
allié les Etats-Unis). C’est l’ennemi
qui affirme que nous sommes organisés de manière
verticale, que nous résolvons tous les problèmes
d’une façon expéditive, comme vous
l’évoquez dans votre question.
Nous utilisons des
méthodes politiques pour résoudre tous les
problèmes qui apparaissent à
l’intérieur des FARC-EP. Initialement, les
nouveaux combattant-e-s suivent une école de formation de
six mois, où les documents qui sont
étudiés sont essentiellement nos statuts, les
normes de commandement et le régime de discipline. Si
l’aspirant-e se rend compte qu’il ne peut pas, pour
des raisons physiques ou morales, mettre en œuvre ces normes,
il peut retourner chez lui sans problème, parce que
jusqu’à ce moment, il ne connaît rien ni
personne de plus que les gens qui, comme lui, ont assisté
clandestinement au cours de formation initiale. Une fois
passé ce niveau, la personne contracte un engagement, et
lorsqu’on intègre les FARC-EP, c’est
pour la vie, c’est-à-dire jusqu’au
triomphe de la révolution et à la construction
d’une nouvelle société.
Nous ne disposons pas
d’un service militaire obligatoire, ni d’ailleurs
volontaire. L’intégration aux FARC-EP suppose
l’implication complète dans la formation politique
et militaire sur la base d’une adhésion
consciente. N’oublions pas que l’on trouve des gens
pour manipuler des armes partout, mais des gens pour comprendre la
politique, la lutte des classes et les changements sociaux, dans une
société comme la nôtre, c’est
bien plus difficile. Cet ensemble de capacités, dont le
développement est dans notre intérêt,
nécessite et exige une formation permanente et à
long terme.
Il n’est pas
vrai, par conséquent, que nous utilisions le peloton
d’exécution ou que nous nous livrions à
des exécutions extrajudiciaires. Nous n’avons pas
à le faire, parce qu’il y a dans nos statuts bien
des manières de sanctionner les ruptures de la discipline de
notre organisation. L’exécution n’est
envisagée que pour les traîtres et les
infiltrés qui travaillent consciemment pour
l’ennemi. C’est la mesure la plus grave qui
s’applique dans les FARC-EP. Pour le reste, toute situation
se résout par la critique et l’autocritique sur la
base des principes du marxisme-léninisme qui sont partie
intégrante de notre conception de la révolution.
Le reste, au
même titre que ce qui est contenu dans votre question,
relève d’une campagne diffamatoire qui cherche
à transformer les FARC en un mouvement sans discipline, sans
hiérarchie, sans mandats de commandement reconnus. Et, dans
ces conditions, une organisation militaire ne peut pas subsister. Il y
a un adage qui dit : « Soit la discipline est mise en
œuvre, soit la milice disparaît ».
En ce sens, il serait
absurde de penser que nous pourrions envoyer des personnes
démoralisées, avec des problèmes
psychiques, ou sans qualifications politico-militaires suffisantes,
accomplir des missions. Il s’agit d’une guerre !
Qui pourrait commettre une telle erreur ? Bien au contraire,
à l’intérieur des FARC-EP, la
participation à des missions constitue une forme de
reconnaissance du bon travail ; elle est un encouragement et un honneur
pour les combattant-es. Dans les FARC-EP, on préconise une
participation consciente et, pour cela, la valeur des combattant-e-s en
mesure de participer à chacune des actions de guerre, ou aux
missions spéciales que les FARC-EP décident, est
étudiée à l’avance par les
commandant-e-s.
Pour ce qui est des
femmes dans la guérilla, elles sont libres. Pour la
première fois, une organisation de gauche et un mouvement
révolutionnaire envisagent la femme comme une personne
absolument libre et égale à l’homme,
qui assume les mêmes responsabilités, les
mêmes tâches et a les mêmes droits.
Depuis sans doute l’époque du matriarcat, la
guérilla est aujourd’hui le lieu où la
femme commence à tenir le rôle
qu’historiquement elle a perdu, ce qui fut la
défaite la plus grande qu’ait subi le genre
féminin dans l’histoire de
l’humanité. A propos du problème de la
grossesse dans les FARC-EP, les guérilleras savent
d’avance que dans le contexte de guerre qu’elles
vivent, elles ne peuvent tomber enceinte. A
l’intérieur de notre organisation, nous avons mis
en œuvre un travail éducatif de diffusion de
l’information et de prévention pour que les femmes
connaissent bien les mécanismes de la
procréation, ainsi que les manières
d’éviter la grossesse et/ou les maladies
sexuellement transmissibles.
Parfois, par erreur ou
accident, se produisent des cas involontaires de grossesse, mais compte
tenu des normes et des conditions objectives de la vie dans un
environnement combattant, la grossesse est interrompue, en
général à la demande de la combattante
elle-même. Dans ces cas, l’interruption
s’effectue dans des conditions hygiéniques
d’asepsie, avec des médecins qualifiés,
et en prenant les mesures pour éviter tout risque pour leurs
vies. Dans beaucoup de pays, l’interruption de la grossesse
est légalisée et fait partie de certaines
constitutions du monde, mais on nous a toujours reproché
notre arbitraire supposé sur ce thème et on nous
a diabolisés. N’y a-t-il pas ici une double morale
? Sachez que pour les FARC-EP, les valeurs familiales (très
importantes pour la société colombienne)
constituent un fondement de la conception de la nouvelle
société que nous voulons construire. Mais nous
vivons une étape qui ne facilite pas le
développement de cette partie importante de la vie.
Il est
révélateur que, malgré toute cette
propagande contre notre organisation, la présence
féminine dans les rangs des FARC-EP soit actuellement de
l’ordre de 43%. Les guérilleras des FARC sont de
vraies amazones dans la guerre, ou comme dirait Simon Bolivar en se
référant à ces valeureuses
guerrières romaines, elles sont de véritables
« lumières ». Hors de la guerre, nos
camarades femmes ont un comportement très
féminin. Au combat, elles sont aussi aguerries que les
hommes. Elles nous donnent des leçons
d’honnêteté,
d’abnégation, de sacrifice, de
fraternité et
d’héroïsme… Comment
pourrions-nous maltraiter ces camarades, qui prennent une part
fondamentale à la lutte pour le triomphe de la
révolution…
— Qui est
responsable de la mort des onze députés
colombiens détenus par les FARC ? Comment est-il possible
que ces onze otages se soient trouvés ensemble au
même endroit ? Pensez-vous qu’il s’agisse
d’une opération
délibérée de l’Etat
colombien pour lancer une vaste campagne politique contre la
guérilla des FARC ?
Cela fait un certain
temps que les FARC-EP avertissaient l’opinion publique
nationale et internationale du fait que les opérations de
sauvetage de prisonniers par l’armée
étaient exagérément
risquées pour la vie des otages qu’elles
détenaient. C’est pour cela que les FARC-EP ont
indiqué que la responsabilité de la mort des onze
députés du Valle del Cauca, le 18 juin 2007,
incombait essentiellement à ceux qui ont donné
l’ordre et tenté de les libérer par la
force. Le premier responsable est Monsieur Uribe.
Vous expliquer pourquoi
ils étaient ensemble serait me livrer à des
spéculations, parce que je me souviens
qu’à cette date, je venais tout juste de quitter
la prison de La Dorada. Concernant la mort des onze
députés, il faut dire
qu’indiscutablement, il s’agit d’un plan
minutieusement préparé tant politiquement que
militairement et sur le plan de la propagande. Le gouvernement de Uribe
a démarré son plan en parlant de la
possibilité de faire sortir de prison un certain nombre de
prisonniers des FARC-EP, sur lesquels personne n’avait rien
demandé. Nous avons toujours cherché à
obtenir un échange humanitaire de prisonniers
bilatéral FARC-EP/gouvernement. C’est alors que
Uribe a relâché, de façon totalement
unilatérale, certains combattants des FARC-EP. Cette action,
à mon sens, était liée à la
préparation en secret d’une action de plus grande
envergure dans les montagnes colombiennes. Il s’agissait
précisément du sauvetage des douze
députés par un groupe de spécialistes
composé d’agents de la CIA, de mercenaires anglais
et israéliens et de commandos de
l’armée colombienne.
Le projet
était sans doute celui-ci : pendant que ce groupe
apparaissait comme libérant avec succès les douze
députés, Uribe remettrait en prison les
prisonniers relâchés et commencerait un travail
politique à l’intérieur et à
l’extérieur du pays visant à
démontrer que les interventions directes seraient
dorénavant le moyen le plus indiqué pour obtenir
la libération des personnes contrôlées
par les FARC-EP, fermant ainsi tout espoir
d’échange humanitaire et toute
possibilité de dialogue. Le résultat de cette
opération et d’autres opérations
analogues nous conduit à penser que les tentatives de
libération du type « Ambassade de Lima »
[1996-1997] ou « Opération Entebbe »
[1976] ne peuvent être menées à bien
dans les forêts colombiennes. Ce qui s’impose
inexorablement en Colombie, c’est
l’échange humanitaire entre le gouvernement et les
FARC-EP, comme préambule à une
possibilité de dialogue ouvrant la voie à la paix
et la justice sociale. Espérons que nombre de vos lecteurs,
la communauté internationale, les Etats, les gouvernements,
les partis, les organisations sociales, religieuses, humanistes et de
gauche pourront contribuer à cette quête afin de
permettre un échange humanitaire, et que cela sera utile
pour établir une forme de dialogue en vue d’une
issue au conflit social et armé que nous vivons en Colombie.
Questions
posées par Jean Batou. Entretien mené par un
envoyé spécial de la rédaction.
Dossier RISAL
Guérillas
et lutte armée en Colombie : Cliquez
ici !
NOTES :
[1] [Risal]
Dialogues et processus de paix dans la zone
démilitarisée de El Caguan.
[2] [Risal]
Consultez à ce propos le dossier « parapolitique
et paramilitarisme » sur le site du RISAL.
[3] [Risal]
En plus des opérations de lutte contre la drogue du Plan
Colombie, les militaires colombiens ont aussi mis en oeuvre le Plan
Patriota soutenu par les Etats-Unis, une opération de grande
envergure de contre- insurrection qui a pour but de prendre le
contrôle des régions
contrôlées par les FARC dans le Sud et
l’Est de la Colombie.
Sources
: Traduction
revue
solidaritéS, (http://www.solidarites.ch/),
Genève, août 2007. RISAL
(http://risal.collectifs.net/)
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