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Amérique Latine        
         Sommaire : Archives des articles 2006 - 3ème partie 
1 - Colombie : Alvaro Uribe à six semaines du scrutin, Benito Perez

2 - Venezuela : Il y a 4 ans, réveil dans une dictature

3 - Venezuela : Réformes et révolutions, s'il vous plait !

4 - Colombie : Entretien avec Hector Mondragon, Silvia Torralba

5 - Venezuela : L'essor du mouvement des radios, Sujatha Fernandes


Alvaro Uribe affronte sa pire crise à six semaines du scrutin

et
Qui a assassiné le Procureur Danilo Anderson?


Benito Perez,
jeudi 13 avril 2006

Elections truquées, Etat infiltré par les paramilitaires et les « narcos », assassinats de militants, plan pour renverser Chávez... les accusations d'un ancien des services secrets mettent le président en difficulté.

« Le plus grave scandale vécu par la Colombie depuis l'affaire Samper [1]. » Depuis presque deux semaines, l'hebdomadaire colombien Semana suivi de ses confrères font souffler un vent de tempête sur le gouvernement d'Alvaro Uribe. Alors que le président pensait voguer vers une tranquille réélection le 28 mai prochain, un ancien cadre des services secrets s'est mis à table, dépeignant un Etat infiltré par les paramilitaires et la mafia. Nerveux, le président a nié en bloc, s'attaquant durement à une presse « frivole » et « irresponsable ».

Rafael García, qui fut jusqu'en 2004 directeur informatique du Département administratif de sécurité (DAS), affirme notamment que Jorge Noguera, chef de ce service de renseignement directement rattaché à la présidence, a rencontré d'importants leaders paramilitaires et des opposants vénézuéliens, afin de concocter un « plan de déstabilisation » du gouvernement d'Hugo Chávez. Selon M. García, six ministres d'Uribe étaient au courant de cette manoeuvre qui pourrait être à l'origine de l'assassinat du juge vénézuélien Danilo Anderson en 2004 (lire ci-dessous).

300 000 voix détournées

Plus grave encore, M. García aurait eu connaissance d'une liste de syndicalistes et d'intellectuels livrée par le DAS aux milices d'extrême droite. Certaines des personnes citées sur ce document ont été assassinées depuis ou ont dû s'exiler. Dans un cas au moins - celui de l'universitaire pacifiste Andrea Correa de Andreis - le DAS aurait lui même exécuté la cible.

Et ce n'est pas tout ! Depuis sa cellule - il est détenu pour avoir effacé des mafieux des listes du DAS - M. García raconte comment les services secrets ont appuyé, en 2002, des fraudes électorales massives. Ingénieux, le système de triche aurait été utilisé pour les législatives puis pour la présidentielle. Selon M. García, il consistait en l'achat frauduleux de listes électorales - en principe secrètes - qui étaient ensuite insérées dans un programme informatique permettant de repérer les abstentionnistes de chaque local de vote. En fin de scrutin, avec la complicité de jurés, les bulletins non utilisés étaient versés aux favoris des paramilitaires. Charge aux miliciens d'intimider un maximum de Colombiens pour qu'ils renoncent à se rendre aux urnes et grossir ainsi les rangs des faux électeurs.

A en croire M. García, pas moins de trois cent mille voix auraient été détournées lors du scrutin présidentiel en faveur d'Alvaro Uribe. L'ancien fonctionnaire affirme en outre que son élection doit beaucoup au soutien financier et pratique de « nombreuses personnes liées au trafic de drogue ». Il cite notamment Nestor Caro, un actif supporter du président soupçonné d'appartenir au cartel de Casanare.

Services secrets pour amis

Enfin, M. García affirme que son supérieur et ancien ami Noguera entretenait des liens constants avec « Jorge 40 », alias Rodrigo Tovar, un narco-paramilitaire recherché par Washington. Le chef des services secrets lui aurait notamment livré des renseignements sensibles, ainsi qu'à un second groupe armé et au « narco » Diego Montoya... Une proximité d'autant plus troublante que « Jorge 40 » a pu retourner librement à la vie civile grâce au « plan de paix » et de démobilisation impulsé par le président et ratifié par le Congrès... « Jorge Noguera était le Montesinos d'Alvaro Uribe », résume Rafael García, en référence à l'éminence grise de l'ex-président péruvien Fujimori [2]. Une sentence en forme de menace à peine voilée. Car l'ex-cadre du DAS assure n'avoir pas tout dit, exigeant une protection policière pour ses proches avant d'ouvrir (ou de refermer ?) les vannes...

La presse confirme

On le devine, ces accusations ont fait l'effet d'une bombe en pleine campagne électorale. D'autant que la presse colombienne, pas toujours très curieuse, a pris cette fois l'affaire au sérieux. Semana affirme ainsi avoir pu vérifier sur le terrain nombre d'accusations portées par l'ex-fonctionnaire.

Les révélations de la presse font d'autant plus mal qu'en octobre 2005, des accusations de vente d'informations secrètes à des paramilitaires avaient déjà ébranlé le DAS. Alvaro Uribe s'était alors contenté de retirer la direction des services à Jorge Noguera sans pour autant désavouer son lieutenant qui se voyait offrir le consulat de Milan ! Dès les premières déclarations de M. García, la même ligne de défense a été reconduite. Montant aux barricades, le président a disqualifié les propos d'« un détenu qui cherche à obtenir des bénéfices juridiques ». Sentant la pression monter, il rappelait toutefois d'urgence Jorge Noguera d'Italie pour qu'il vienne « s'expliquer ». Mardi, il contre-attaquait encore, s'en prenant cette fois aux journalistes « qui passent leur temps à pester (despotricar, ndlr) contre tout » et mènent campagne « conre les institutions démocratiques ».

Une tirade à la Berlusconi qui démontre l'embarras croissant d'Alvaro Uribe, jouant sa réélection sur son image d'homme de fer capable de résister aux groupes armés illégaux... Ses adversaires n'ont d'ailleurs pas hésité longtemps à s'engouffrer dans la faille. Parlant d'un« Etat délinquant », le leader du Mouvement pour la réconciliation Alvaro Leyva a même réclamé la démission de M. Uribe. Plus prudent, le libéral Horacio Serpa, principal adversaire du président, a noté qu'il était « difficile de croire » que les sombres manoeuvres du DAS n'aient été que des « initiatives personnelles ».

Etat criminel ou pommes pourries ?

Toutefois, au vu du peu d'empressement de la justice à enquêter, l'impact réel du scandale demeure incertain. Mais si d'autres acteurs devenaient aussi bavards, le coup porté à la crédibilité de la démocratie colombienne - souvent décriée par le mouvement social - serait massif. « Dans cette affaire, il ne s'agit plus de quelques fonctionnaires qui nagent en eaux sales ou de simples pommes pourries. Ce sont d'abondants indices que le plus important service d'intelligence du pays a été capturé par des criminels », relève l'éditorialiste de Semana. Avant de s'interroger sur « qui assumera la responsabilité politique du pire scandale de l'histoire du DAS ? » .


Qui a assassiné le Procureur Danilo Anderson ?

Mai 2004 : La police vénézuélienne pénètre dans un ranch de la périphérie de Caracas appartenant à un riche opposant et arrête plus d'une centaine de Colombiens (3). Selon les enquêteurs, ces hommes devaient attaquer une garnison dans le cadre plus vaste d'une offensive visant à renverser Hugo Chávez.Cinq mois plus tard, le procureur vénézuélien Danilo Anderson, chargé de l'enquête sur le putsch manqué de 2002, meurt dans l'explosion de sa voiture.

Le point commun entre ces deux affaires? L'implication supposée des groupes armés colombiens d'extrême droite. Selon le témoignage de Giovanni Vázquez, un ancien agent du DAS infiltré au sein des paramilitaires et actuellement détenu en Colombie, les paramilitaires auraient préparé l'assassinat de M. Anderson, en collaboration avec un groupe d'antichavistes. On comprend dès lors pourquoi le procureur Isaías Rodríguez, chargé de l'affaire, tente activement de rapatrier Giovanni Vázquez vers le Venezuela.

Ainsi, désormais, que Rafael García. Car si l'ancien responsable informatique du DAS assure n'avoir pas eu vent du projet d'assassinat de M. Anderson, il affirme que les services colombiens ont participé à l'élaboration d'un plan de meurtres de personnalités vénézuéliennes, dont le propre président Chávez. Mieux, selon García, six ministres colombiens étaient au courant du projet !

Quant à ses maîtres d'oeuvre, ils n'étaient autres que l'inévitable Jorge Noguera et son compère paramilitaire « Jorge 40 », dont la milice contrôle justement la zone frontalière. Une complicité qui permet de mieux saisir comment une centaine d'hommes armés ont pu franchir sans coup férir l'une des frontières les mieux contrôlées du continent.

Depuis l'éclatement de l'affaire - et contrairement à ses habitudes -, Hugo Chávez est resté très discret, ménageant son important voisin. Mardi, le vice-président José Vicente Rangel a toutefois réclamé des «éclaircissements» à Bogotá. De son côté, le Parlement vénézuélien a annoncé l'envoi d'une commission d'enquête en Colombie.

Notes :

1 - En 1995, le président Ernesto Samper fut accusé d'avoir été élu grâce à des fonds du trafic de cocaïne. Il fut blanchi par une commission parlementaire.

2 - Ex-responsable des services secrets péruviens, Vladimiro Montesinos est incarcéré pour corruption.

3 - Vingt-sept d'entre eux ont été condamnés en octobre 2005 pour tentative d'assassinat de M. Chávez.
 
Source URL : http://www.lecourrier.ch/modules.php?op=modload&name=NewsPaper&file=article&sid=41315

 
 

Il y a 4 ans, les Vénézuéliens se réveillaient
dans une dictature fasciste !

Lionel Mesnard, le 10 avril 2006

photo : conférence sur le Venezuela d'aujourd'hui (Maison de L'Amérique Latine - 27 avril 2006) avec Roberto Hernandez Montoya, Alain Joxe et Luis Britto Garcia (de gauche à droite)

Du 11 au 13 avril 2002, dans l'indifférence totale des médias français se déroula un coup d'état. En France, nous étions à quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle, et rien ou presque ne nous informa de ce qui se passa de l'autre côté de l'atlantique. Pendant 48 heures, les putschistes vont d'abord s'emparer de la rue et des médias et faire silence sur ce qui advenait du président Chavez séquestré.

Il y a quatre ans au petit matin comme à son habitude, Liliane Blaser s'en va filmer les manifestations du jour. Vers midi le 11 avril 2002, elle devine que cela prend une tournure inquiétante, malgré les appels aux calmes du responsable de la Police Métropolitaine de Caracas. Elle se déplace en moto dans la ville, et entend des coups de feux dans le centre de la capitale. Pendant deux heures, elle va filmer ce qui va devenir un coup d'état. La fin de la manifestation de l'opposition partie le matin d'Altamira (Est de la ville) dégénère et le climat est plus que tendu. Sur le pont Llaguno, elle constatera que des balles ont atteints des personnes à la tête et gît le corps d'un photographe vénézuélien présent au moment des échanges des coups de feux (Jorge Tortoza). Son travail va permettre de mettre en lumière la détermination et la violence des manifestants putschistes, quand l'opposition tentera de mettre sur le dos les débordements aux soutiens de Hugo Chavez.

Jusqu'à la fin 2004, rien ne voulait présumer d'un coup d'état mené de l'extérieur du pays. Pourtant si l'on prend en compte les déclarations du ministre des affaires étrangère du gouvernement Zapatero en novembre 2004 (socialiste), la manœuvre est à mettre au profit de l'ancien premier ministre Juan Aznar (parti populaire). Le tout ayant trouvé l'assentiment du département d'État étasunien. Le pavé est lâché, mais certains médias, ONG faux-nez continueront à émettre un doute la légitimité démocratique de Hugo Chavez. Ce ne fut pas sans compter sur une mobilisation populaire qui marquera les esprits. Entre le 11 et le 13 avril 2002, les quartiers ouest de Caracas se mobilisent et tout le pays de même. Sur les récepteurs des canaux des grands médias télévisées on diffuse entre autre Tom et Jerry, puis commencera le balais des hypocrites dans la lucarne. Ceux notamment qui seront amenés à fuir pour quelques uns d'entre eux en Floride, deux jours à peine après une tentative de main mise sur tous les pouvoirs. Ce fut la chute d'un régime délibérément fasciste, ne prenant pas en compte l'assise populaire de Chavez.

Aujourd'hui, 11 avril 2006, la menace d'une nouvelle intervention n'est pas impossible. Nous devons rester en alerte à quelques mois des élections présidentielles de décembre 2006 au Venezuela. À Paris, se déroulera en avril des manifestations pour rappeler et soutenir le processus démocratique en cours depuis 1999 (nouvelles institutions républicaines). La résistance des vénézuéliens au système global et capitaliste est une voie à saisir. Des transformations sont possibles et la participation du plus grand nombre une nouvelle étape vers le socialisme et la liberté. Un socialisme nouveau, pour notre siècle, s'additionne comme la force du mouvement social vénézuélien, plus celle de l'action d'un gouvernement audacieux, qui agit en faveur d'une transformation progressive et radicale de la société. Attention toutefois à ne pas s'endormir, depuis plus de 40 ans les USA exercent sur cette partie du monde une déstabilisation permanente des régimes non conformes, en général libres et démocratiques (souvenez-vous un 11 septembre 1973 à Santiago du Chili). La liste des interventions militaires, les participations à des coups d'états, les associations avec les régimes dictatoriaux les plus sanguinaires et corrompus de l'Amérique Latine sont tristes et trop nombreux d'un pays à l'autre.

 
 




Réformes et révolutions,
s'il vous plait !
                                     
        Lionel Mesnard, le 25 mars 2006  
                                            
                                                                                                
 photo : apporea.org
 

Il existe un mouvement social qui fait quasiment l'unité à gauche et en France, et plus largement dans le camp républicain. Ce qui souvent ressemble à un terrain miné, propice aux divisions, trouve hors de nos frontières un soutien large et une solidarité de plus en plus manifeste chez les progressistes de nombreuses obédiences. Avec le Venezuela ressurgit la question de la révolution et de la réforme, ceci pourrait apparaître comme archaïque au 21ème siècle, mais dans l'espace caraïbo-andin rien n'est fortuit. L'exigence démocratique est indissociable de l'élan révolutionnaire.

Le plus surprenant c'est que nos amis vénézuéliens ne tombent pas tête baissée en direction du premier dogme venu. Il n'y a pas au Venezuela comme ailleurs de solutions miracles, mais des perspectives nouvelles au sein de la société civile. Cette société enlisée depuis des décennies dans les détournements de l'argent public par la main mise d'un petit nombre sur les richesses du pays (notamment pétrolières). Il a été créé les conditions d'une émancipation à la fois collective et individuelle. Comment un pays qui connaît encore certains mécanismes féodaux, plus encore « coloniaux » a pu se redresser de la sorte ?

C'est un peu toute l'énigme. Il est à noter que 85 % de la population est urbaine, que les écarts sociaux nous renvoient à des rapports antagonistes, qui se sont en Europe occidentale un peu dissout dans le vague des classes moyennes. Il existe un salariat soumis à des conditions d'existences plus que précaires, et cependant c'est au sein des classes populaires que l'on est entrain de repenser ou réactiver la démocratie. Une première historique, mais surtout le signe que la majorité des individus dans le monde sont encore face à des mécanismes d'exploitations digne du 19ème siècle, mais avec des problèmes contemporains comparables aux nôtres.

Les vénézuéliens et plus largement les américains latins viennent bousculer les repères, leurs propres tabous. Un vent de liberté qui n'avait plus eu cours depuis au moins 2 siècles, et sur des fondements nouveaux. C'est en parti pour cela que l'estime et la reconnaissance grandit devant cette particularité ou cette sensibilité latine et amérindienne (à la fois linguistique, culturelle, politique, ...), c'est à dire la part intellectuelle de ce mouvement, qui se fonde sur des actions aussi bien sociales, qu'économiques d'un genre nouveau. De comment, il est encore possible de transformer nos sociétés, peut-on s'interroger ?

L'idée d'un débat « pour un socialisme du 21ème siècle » n'est pas une idée saugrenue, et c'est même essentiel : un bilan et aussi des perspectives. Ce type de problématique n'a rien de très nouveau, mais permet enfin de relancer un débat quasi absent au sein de la gauche française. Trouble ou jamais abouti, si l'on fait un bilan des gauches européennes, et de ce qui fut avant 1989 et par après. Il est bien question de réviser ou revisiter le socialisme cette espérance universelle. Mais en quel terme et en quoi le Venezuela a ouvert des nouvelles perspectives ? D'abord, elles furent constitutionnelles, et sur ce sujet qui réfute encore l'idée d'une nouvelle République, une Sixième à gauche et en France ?

Les vénézuéliens ont appris à se saisir de leurs droits et devoirs, et il a fallu poser les termes d'une constituante et l'approbation d'une large majorité. En 1999, le Venezuela s'est doté d'une constitution, donnant de larges moyens aux populations de s'organiser et agir au quotidien. Son application est concrète et touche de nombreux domaines, l'objectif est de construire un État social de Droit. Qui pose irrémédiablement l'enjeu de la justice sociale dans l'organisation des lois, au sein d'un État ou la loi publique est au centre du concordat. En soit, le retour d'aspirations authentiquement républicaines et sociales. Une soif d'égalité et de liberté pour tous quand ici nous sombrons dans la personnalisation d'un système, à bien des égards de droit divin. Un monde ubuesque ou les riches expliquent aux pauvres le sens de l'économie.

Au titre de la décroissance, faut il demander aux gamins des « barrios » de s'arracher un bras, ou concernant les africains de se suicider au plus vite ? Le parallèle est provocateur, mais je ne sais plus de quoi parle t'on réellement, à quoi il est fait référence, si l'on traite de la déprime du monde occidental et de ses solutions rocambolesques. Ce qui est probablement salvateur avec le Venezuela c'est que la complexité s'analyse à travers un quotidien et des réponses concrètes aux urgences. Elles sont nombreuses à l'échelle d'un pays qui a souffert trop longtemps sur des déséquilibres de répartition de la richesse nationale.

Le pétrole n'est pas son seul avenir. Justement, il sert une dynamique économique et sociale. Il a permis de développer d'autres moyens, notamment scolaires et sanitaires. Mais cette contrée ne manque pas de ressources propres, simplement il lui manque parfois des outils et des apports extérieurs. Lors de récente sa visite à Paris, Freddy Bernal, maire de l'arrondissement de Caracas El Libertador a appuyé l'idée d'investissements européens dans l'économie vénézuélienne (mars 2006). Depuis plus de 2 ans, la croissance est forte et soutenue, la démocratie pleine et entière, et notre pays est le deuxième investisseur étranger. Aux multinationales de comprendre qu'il existe une loi au Venezuela et qu'elle s'applique à tous. Des arriérés d'impôts que Total et d'autres compagnies traînent à payer et qui en plus se cumulent avec des pénalités (plus de 100 millions de dollars de passif pour Total Oil).

Les besoins de ce pays sont nombreux, mais la question agricole et écologique est certainement au centre d'échanges multiples à construire. Le rôle entre autre des coopératives dans le monde paysan français est à souligner. Il y a encore quelques années qui avait entendu parler de cette nation, chez nous, pas grand monde. On ne se doute pas à quel point la mémoire peut défaillir. Et ce n'est pas la première fois dans l'histoire, que de Paris à Caracas se construit un réseau d'amitié et d'échange, mais cette fois-ci on pourrait présumer que c'est l'inverse qui se produit. La révolution des idées est de l'autre côté de l'atlantique, et cela questionne ici. Cela pousse en plus à une certaine humilité, un mouvement du temps qui échapperait à nos regards clairvoyants, que diantre ou que faire?

En l'état, il n'y a pas de transposition entre deux économies et deux sociétés, mais à se demander si l'Amérique Latine et Andine ne va pas progressivement vers l'apparition d'une troisième entité mondiale innovante. D'un part pour des questions linguistiques relativement homogènes, de plus en raison du potentiel considérable des ressources naturelles, en particulier avec les plus grandes réserves d'eau de la planète. Une biodiversité encore sous estimée ou connue. D'autre part, il est impossible de dissocier les mouvements sociaux de la prise du pouvoir de Hugo Chavez, seule condition pour transformer toutes les structures de pouvoirs, qu'elles soient sanitaires, éducatives ou autres. Le mouvement a commencé au Venezuela, il pourrait suivre en Bolivie, même à Cuba. La victoire en 2005 sur l'accord libre commerce étasunien (ALCA), et les reculs de l'OMC à Hong-Kong sont à l'actif de la politique du gouvernement de Hugo Chavez.

La leçon des vénézuélien est que tout ce qui est démocratique, c'est à dire accepter et assumer collectivement est meilleur que la contrainte. C'est un peuple pacifique, courageux en raison des changements à entreprendre. Ici comme là-bas, nous n'échappons pas à un certain poids ou dérives de la bureaucratie, mais tout cela avance. Petit à petit et non tout de suite, c'est ainsi que les choses d'une certaine raison commune progressent à leur rythme. Un élan populaire, qui a de quoi réveiller nos consciences. Il nous manque possiblement l'esprit de fronde et de volonté de ne pas nous soumettre à un monde unipolaire, à changer les règles du jeu social et républicain. La démocratie, l'État c'est nous!

Il n'y a pas de programme à vendre ou de solutions pré-mâchées. Il est question d'une énergie commune, aux nations qui refusent toute forme de diktat globalisateur, pour autant dans une acceptation universelle des choses. La liberté est une règle fondamentale de l'expression, et chaque expression ne doit pas être réduite au silence pour combler la vacuité de l'autre. Elles doivent pouvoir trouver des convergences et des applications. Élite chez nous, oligarchie chez eux, c'est la même face du système bourgeois et capitaliste. Ce système menace les équilibres de la vie, le vivant est en fait la préoccupation première de notre devenir et de notre survie.

Les propos de Hugo Chavez Frias ne sont pas des effets de manche, il est bien question de savoir si nous choisissons la mort ou le socialisme ? Le capital et sa logique d'accumulation nous conduit à notre disparition. La civilisation mercantile à l'échelle du globe nous mène tout droit à la disparition de l'humanité. Sommes-nous encore en mesure de proposer aux générations actuelles, - aussi bien une espérance, que les conditions suffisantes pour assurer les conditions d'un renouvellement naturel des générations futures? Rien n'est moins sur, et rien ne conduit à l'optimisme le plus béat.

Toutefois, quand survient de la révolution bolivarienne un élan soutenu en faveur de multiples changements. On comprend vite que réformes et révolutions ne sont en rien contradictoires, mais complémentaires. Marx, lui même avait analysé qu'il fallait des conditions nécessaires, en particulier un prolétariat puissant, mais dans un contexte de rapport des forces vieux de plus d'un siècle. Possiblement, il épouserait le contrat républicain et se mettrait à découvrir la grande âme de nos amis latins et serait plus clément à l'égard de Simon Bolivar. La question est justement de ne pas se détourner de notre histoire politique. Lui apporter un contenu avec des perspectives et la prise en compte des erreurs du passé. C'est ainsi que l'on peut envisager que le socialisme dispose encore de beaux jours devant lui. Ressourcement et mise en perspective pour dire non à une humanité menacée, en premier par les guerres et la malnutrition. Les solutions à ébaucher sont avant tout solidaires.

Il est question d'une nouvelle étape, avec simplement une appréhension, n'est il pas déjà trop tard ? Une conscience planétaire des enjeux est-il possible ? Se fait-elle dans la tête du patron de l'OMC, Monsieur Lamy ou se passe t-elle dans un espace ou la plus value essentielle est l'imaginaire ? Une capacité économique, qui n'est plus à un niveau thermodynamique, mais dans l'échange d'informations. La révolution de nos modes de vie, qui elle agit sans que personne n'en parle vraiment, se situe dans des mécanismes, qui n'ont plus rien à voir avec la révolution industrielle, survenue au 17ème siècle en Angleterre. Le progrès n'est plus en soit une question qui se perpétuerait par la mécanisation, la commercialisation de l'objet, mais par la circulation des idées, et de la nécessité de transmettre un savoir pluridisciplinaire.

En bref, la société de consommation, c'est déjà hier et il nous faut tout re-dynamiser, socialement, économiquement et dans l'observance d'un monde qui n'a pas une seule et une seule base culturelle, et encore moins politique. Il s'agit de protéger notre diversité et ne pas nier nos ressemblances, surtout de tourner le dos à une société qui se nourrit de ses propres malaises. Épiphénomènes médiatiques, quand il est question de parler de l'Amérique du Sud. Chez nous en France, on vous colle facilement un bonnet de laine sur la tête, pour faire couleur locale. J'aimerais tant que mes contemporains puissent aller au delà du cliché, de l'effet de mode, ou dernier palais d'Hiver à prendre. Les changements sont profonds, ici comme là-bas, mais avec du sens et un devenir qui n'est en rien mortifère ou un « revival » des années 1960.

Si l'histoire n'est vue qu'à travers un embrigadement ou une propagande, elle ne sert pas à comprendre ce qui fut l'échec des stalinismes, ou plus exactement de tout ce qui se proclame de l'avant garde. Si l'on ne comprend pas le totalitaire du raisonnement, on se trompe assurément de combat. Le socialisme n'est pas l'affaire d'une minorité, et la socialisation des humains est un processus qui évolue depuis le premier âge des temps. L'Histoire de notre monde, elle s'écriera bien plus tard et certains pourront examiner et se demander mais pourquoi un nouveau monde est devenu ainsi une piste, un cheminement vers un autre monde au début du vingt-et-unième siècle ?


 
 



Entretien avec
Hector Mondragon

Silvia Torralba, le 7 février 2006

Photo (Indymedia Colombia) : Manif à Bogota suite au décés d'OSCAR SALAS (étudiant ) lors d'une attaque de la police au sein d'une faculté en mars 2006.

Ce même mois, 2 journalistes colombiens ont été assassiné.
 

Hector Mondragon : « La violence a conduit les mouvements sociaux à créer de nouvelles formes de résistance »

En Colombie, appartenir à un mouvement social c'est non seulement exiger des droits, mais aussi risquer sa vie. Héctor Mondragón en sait quelque chose, lui qui est confronté à cette réalité et qui est victime de menaces et de persécutions.

Depuis plus de vingt ans, Héctor Mondragón conseille des organisations paysannes et indigènes et des mouvements sociaux urbains en Colombie. Son travail lui permet de connaître de près les problèmes quotidiens de ces groupes et de leurs dirigeants, de savoir comment ils s'organisent et de dénoncer les attaques dont ils sont victimes.

Il y a quelques jours, Mondragón est passé par Barcelone pour présenter son livre «Movimientos sociales, una alternativa al conflicto colombiano» («Mouvements sociaux, une alternative au conflit colombien») publié avec le soutien du collectif Maloka [1]. Pendant son séjour, le militant colombien a dialogué avec Canal Solidario sur la grande violence qui existe dans son pays contre les mouvements sociaux, les stratégies de survie que développent ceux-ci, les menaces et les assassinats de leaders qui ont lieu en toute impunité, et les pressions dont il est lui-même l'objet.

Quelle est la réalité des mouvements sociaux en Colombie ?

Les mouvements sociaux colombiens partagent les luttes fondamentales du mouvement social international, mais avec quelques différences. La principale est qu'ils ont été terriblement touchés par la violence, et que des milliers de personnes, paysans, "indigènes", membres des syndicats y ont perdu la vie. La liste des dirigeants assassinés est interminable.

Qui sont les auteurs de ces assassinats et de ces menaces ? Les groupes armés ?

La majorité des leaders ont été assassinés par des secteurs puissants afin de mettre un terme à leurs actions sociales. Des tueurs à gage sont payés et parfois des groupes armés sont utilisés, comme les paramilitaires, mais en réalité nous ferions fausse route si nous croyions que la majorité de ces morts est due au conflit armé.

Il s'agit d'intérêts économiques et d'une pratique qui réussit à éliminer les droits humains et du travail en Colombie. Par exemple, en l'espace d'un peu plus de 20 ans, les grands propriétaires terriens qui détenaient 32% de la terre en possèdent aujourd'hui 61%, chiffre qui reflète cette liquidation des leaders sociaux. Dans ce contexte, certains mouvements sociaux ont réussi à préserver leurs droits, comme le mouvement indigène, mais au prix de toujours plus d'assassinats.

Tout cela ne veut pas dire que le mouvement social a été définitivement mis en échec, au contraire, il y a une persistance qui d'une certaine manière tient du miracle. Si dans un pays comme l'Espagne le mouvement syndical avait perdu au cours des 20 dernières années 4 000 militants, croyez-vous qu'il continuerait d'exister et de fonctionner ? Toute cette violence a poussé les mouvements sociaux à acquérir des mécanismes de défense qui leur ont permis de résister.

La justice colombienne protège-t-elle les mouvements sociaux de toute cette violence ?

Le système juridique colombien est encore assez démocratique, mais cela ne se traduit pas dans la réalité de la société. Jusqu'il y a peu, toutes les possibilités existaient pour que les victimes portent plainte, mais le gouvernement actuel adapte les règles à la réalité, alors que cette réalité n'est pas démocratique. Prenez par exemple la « loi de prescription sur la propriété » (« Ley de Prescripción de la Propiedad »), qui a réduit de 20 à 10 ans le délai pendant lequel le titulaire d'un acte de propriété peut réclamer sa terre, et qui donne seulement 5 ans aux paysans pour réclamer la leur, dans un pays où il y a tant de déplacés !

Avec les lois précédentes, il était très difficile de porter plainte, mais on a connu quelques victoires. Le problème à l'époque est qu'une victoire en justice pouvait provoquer une punition terrible sur la personne qui avait osé exiger ses droits devant la justice. Tout cela limite le mouvement social, mais il continue à lutter. On le voit bien en ce moment avec les mouvements indigènes et paysans qui jouent un rôle déterminant. Ce sont les indigènes qui, après avoir attendu pendant 14 ans que le gouvernement tienne ses promesses et leur rende une hacienda, ont pris la décision de l'occuper, ont mobilisé beaucoup de gens et ont réussi à obliger les autorités à négocier.

On assiste à des mobilisations de ce type dans les communautés afro-colombiennes et dans des régions comme le Chocó, où malgré la répression et les assassinats, la mobilisation continue contre la guerre, contre le Traité de libre-échange et les réformes constitutionnelles proposées par le gouvernement d'Álvaro Uribe.

Les mouvements indigènes et paysans sont-ils un exemple à suivre pour les autres mouvements sociaux ?

Surtout le mouvement indigène qui, malgré toutes les difficultés, continue à se mobiliser. En 1996, par exemple, après avoir occupé la conférence épiscopale, avoir pris des routes et des bureaux d'organismes publics dans tout le pays, le gouvernement a négocié avec les indigènes et a accepté la création de trois instances permanentes de dialogue.

Il s'agit d'une Commission des droits humains, d'investigation et de réparation pour les communautés victimes de violences, une Table de concertation pour consulter les indigènes sur les mesures législatives et administratives nationales qui peuvent les concerner, et une Commission des territoires indigènes qui contrôle la propriété des terres. Ces instances ont fonctionné pendant deux ans mais le gouvernement actuel les a boycottées.

Cependant, le mouvement social voit actuellement dans les groupes indigènes un modèle à suivre, très bien organisé, centré sur la question de la terre mais aussi sur d'autres thèmes comme le traité de libre-échange.

De quelle manière s'inspirent-t-ils du mouvement indigène ?

Un cas très évident est celui du mouvement étudiant, qui a été fort influencé par les luttes indigènes et a adopté beaucoup de ses modes opératoires. Les étudiants protestent contre une réforme qui veut réduire les études à quatre ans dans les universités publiques, ce qui leur donnerait des diplômes moins qualifiés que ceux des universités privées, où le cycle de cinq ans sera maintenu.

C'est pour cela qu'ils se manifestent et répondent avec imagination à la répression féroce qui s'exerce contre eux et qui a coûté la vie à plusieurs jeunes. Au lieu de choisir la lutte directe, ils remplissent de fleurs les véhicules de police, peignent des slogans, organisent des bals dans la rue.Toutes ces raisons nous permettent d'espérer que le mouvement social n'est pas prêt de disparaître, car si les jeunes participent massivement, nous avons devant nous de longues années de lutte sociale.

Est-ce que cela veut dire également que le mouvement se renouvelle dans les milieux académiques ?

Oui. Beaucoup de jeunes paysans font leurs études à l'université publique, ils sont impliqués dans les luttes étudiantes et paysannes, ils maîtrisent l'informatique et l'anglais, et ont une immense capacité de communication. Il est impressionnant de voir, par exemple, dans les communautés indigènes, tout ce que les gens savent sur le traité de libre-échange. Dans beaucoup d'universités, il est difficile de rencontrer des gens qui en parlent aussi facilement que dans les communautés indigènes.

Quel rôle jouent les femmes dans ce contexte ?

Un rôle très important. Ces dernières années, l'assassinat de leaders du mouvement paysan a porté de nombreuses femmes à des postes de direction, et elles ont été si bien à la hauteur qu'aujourd'hui elles sont autant persécutées que les hommes. Beaucoup d'entre elles vivent aujourd'hui en exil en Espagne ou dans d'autres pays européens. La présidente de l'Association des femmes indigènes et noires, une association qui a été en butte aux plus terribles attaques depuis 2003, s'est réfugiée en Espagne. Pendant cette campagne de terreur, on a séquestré des enfants, commis des viols pour terroriser les femmes appartenant aux mouvements sociaux. Beaucoup ont été assassinées.

Comme conseiller de ces mouvements, es-tu sujet aux menaces et pressions ?

J'ai surtout collaboré avec des organisations paysannes et indigènes. Je suis conseiller de la Convergencia Campesina Negra e Indígena, une organisation qui rassemble de nombreux mouvements de paysans, indigènes et noirs. Je collabore aussi avec l'Organisation nationale indigène (ONIC), avec des groupes affiliés à la Via Campesina et avec des camarades du département du Cauca, de l'Amazonie, ... mais aussi avec des organisations urbaines et avec des syndicats comme celui du pétrole. Pour avoir aidé le mouvement paysan, j'ai été arrêté et torturé, j'en porte encore les séquelles.

Comment cela t'a t-il atteint dans ta vie personnelle et familiale ?

J'ai dû quitter le pays pendant un temps avec mes enfants, car ils étaient encore petits. Maintenant qu'ils sont grands nous vivons tous en Colombie. Je n'ai pas utilisé de téléphone pendant cinq ans et c'est grâce à ça que je suis encore en vie. Je n'ai pas de bureau et pas de routine. Je n'accepte pas d'avoir des habitudes parce que quand on analyse les cas des milliers d'amis assassinés, on constate que le facteur principal qui joue dans l'assassinat d'une personne, ce sont ses habitudes.

Des camarades du syndicat de la mine ont demandé la permission de s'installer pour vivre dans la mine pour être plus en sécurité, car ils craignaient d'être assassinés entre le travail et chez eux. L'entreprise a refusé et maintenant ils sont tous morts. La plupart des leaders sont tués sur le chemin du travail, les autres sur leur lieu de travail, ou chez eux...on ne peut pas avoir de routine. Pour un militant social en Colombie, avoir des habitudes, c'est se laisser tuer.

As-tu déjà pensé à l'exil ?

Non. J'ai séjourné à l'étranger pour la sécurité de mes enfants, j'ai donné des cours aux Etats-Unis, dans le cadre d'un programme pour défenseurs des droits humains en danger. Mais je n'ai jamais eu l'intention de partir parce que j'espère que notre lutte servira à quelque chose. Les choses commencent à changer en Amérique latine. Bien entendu, la Colombie sera le dernier pays où elles changeront parce que c'est celui où il y a le plus de violence contre le mouvement social. Mais nous continuerons à travailler pour que la situation s'améliore.

NOTES :

[1] Voir : http://www.colectivomaloka.org/.

Sources : Canal Solidario-One World (http://www.canalsolidario.org/), 7 février 2006, traduction : Annie Esponda Diaz, pour RISAL (http://www.risal.collectifs.net/). 






L'essor du mouvement
des radios
communautaires au Venezuela

Sujatha Fernandes
Traduction : Sophie Recordon pour RISAL 
 

Quatre jeunes filles sont assises autour d'une grande table, écrivant frénétiquement au beau milieu de piles de notes, de cannettes de soda et de papiers entassés. A priori, on pourrait les prendre pour des gamines en train de faire leurs devoirs scolaires ou d'étudier en vue des prochains examens. Mais, en réalité, ces jeunes filles des quartiers populaires, âgées de 17 à 22 ans, sont en pleine préparation de l'émission de radio qu'elles animent et intitulée « Pouvoir populaire ». D'une durée d'une heure, le programme est sur le point de débuter dans dix minutes sur la station de radio communautaire « Radio Perola 92.3 FM », dans la municipalité de Caricuao à Caracas.

Caricuao est l'une des paroisses [1] les plus reculées de l'ouest de Caracas. Alors que le métro en provenance du centre de Caracas s'approche de la paroisse, nous passons devant des ranchos aux allures précaires, à savoir de « maisons » peu solides faites de fer blanc et de planches nichées sur les flancs des collines qui se dessinent devant nos yeux. Nous passons également devant des lotissements dont les bâtiments arborent des barreaux en travers des fenêtres. Radio Perola est située au rez-de-chaussée de l'un de ces lotissements ou immeubles populaires, connu sous le nom de Canagua. Le studio d'enregistrement n'est autre qu'une petite pièce peinte d'un jaune éclatant et couverte de posters de mouvements sociaux et des radios communautaires. Sur l'une des grandes tables d'angle se trouve une table de mixage, un micro ainsi qu'un ordinateur et sur la table ronde entourée de chaises au milieu de la pièce se trouvent plusieurs micros.

Comme c'est le cas pour d'autres stations de radios communautaires au Venezuela, Radio Perola a vu le jour en tant que chaîne radio clandestine voilà presque neuf ans ; des militants se sont battus pour que son activité soit légalement autorisée par l'Etat. Avec un slogan inspiré du mouvement hip-hop « Respect maximum », les journalistes communautaires de Radio Perola cherchent à créer des espaces pour donner la parole à de nouvelles voix, et notamment celles de nos jeunes femmes.

Les jeunes femmes ont scindé leur émission « Pouvoir populaire » en différentes parties. Le programme comprend l'intervention d'un invité sur un sujet qui intéresse et concerne la communauté ; une partie consacrée aux informations ; une table-ronde sur un sujet d'actualité spécifique et enfin une partie appelée « Réalités communautaires ». Tout au long de cette dernière partie qui vient clore le programme, les femmes débattent entre elles mais également avec les auditeurs qui téléphonent ou qui envoient des messages depuis leur téléphone portable. Aujourd'hui, les jeunes femmes traitent du thème « Vivre dans le barrio ».

« Le barrio, ça n'est pas juste des collines truffées d'escaliers, le barrio c'est la communauté », déclare Lilibeth Marcano, une membre du collectif âgée de 20 ans et qui ouvre la discussion dans cette partie du programme. « Je vis dans le barrio de Santa Cruz de las Adjuntas. Ce n'est pas comme ils nous l'ont toujours dit, que si tu vis dans un barrio tu n'as pas d'avenir, que si tu vis dans un barrio tu n'es personne. Ce n'est pas comme ça. »

Les jeunes, spécialement ceux issus des barrios, réalisent et ont pris conscience qu'ils ont un avenir et qu'ils peuvent jouer un rôle important au sein de leur communauté respective. Chacune des quatre jeunes femmes du collectif « Pouvoir populaire » affirme que c'est la prise en otage de l'information par les médias privés durant le coup d'Etat perpétré par la droite à l'encontre du président de gauche, Hugo Chavez, en avril 2002 [2] qui les a inspirées à devenir journalistes communautaires.

Une des membres du collectif, Gladys Romero, avait 14 ans à l'époque du coup d'Etat. Elle se souvient : « Il y avait beaucoup de désinformation. Ils ont coupé les transmissions des médias alternatifs et en tant que jeune étudiante, j'ai ressenti le besoin de promouvoir une information objective afin d'informer la communauté sur ce qu'il se passait réellement dans le pays.  »

Les médias privés ont accumulé un important pouvoir depuis la fin des années 70 du fait de la dérégulation et de la privatisation des médias au Venezuela. En 1979, le gouvernement vénézuélien a vendu le Canal 5 au secteur privé alors qu'il s'agissait d'une chaîne publique à l'origine. Tout au long des années 80 et 90, les gouvernements successifs ont continué à octroyer des concessions aux compagnies privées de médias, conduisant à la concentration économique des médias en un petit nombre de conglomérats. La télévision privée à l'échelle nationale a été monopolisée par les groupes Cisneros (Venevisión) et 1BC de Phelps-Granier (Radio Caracas Televisión - RCTV). Sur 44 réseaux de télévision régionale, presque tous ont été en partie rachetés par des réseaux privés tels que Venevisión, Radio Caracas Televisión, Televen et Globovisión. Ce petit groupe de compagnies liées économiquement les unes aux autres contrôlent également des espaces radiophoniques ainsi que la presse nationale.

Depuis que Chávez a été élu président en 1998, et plus particulièrement depuis la période tendue de grèves dans le secteur pétrolier orchestrées par les milieux d'affaires en décembre 2002 ainsi que durant les événements qui ont conduit au coup d'Etat en avril 2002, les médias privés tout puissants ont mené une féroce campagne à l'encontre de Chávez en vue de le discréditer. Quelques heures après que ce dernier fut chassé de son poste le 11 avril 2002, le journaliste d'opposition Napoleón Bravo intervint sur les ondes radio et déclara à tort que Chávez avait démissionné de son poste de président. Alors que l'opposition prenait le contrôle du palais présidentiel et cherchait à dissoudre les institutions démocratiques, les médias privés continuaient à diffuser leurs programmes habituels mêlant émissions culinaires, feuilletons télévisés et dessins animés. Comme les chaînes publiques de télévision, telles que le Canal 8 [3], et bien d'autres stations de radio ou chaînes de télévisions communautaires se trouvaient empêchées de diffuser leurs programmes, les membres de la communauté se voyaient ainsi privés de l'accès à l'information.

Durant ces moments, ce sont principalement les médias alternatifs sur papier qui ont permis de diffuser le message aux gens sur ce qu'il se passait véritablement. Selon Roberto, un ouvrier de l'Imprimerie municipale de Caracas, les militants se sont rendus à l'imprimerie et ont uvré en vue de produire 100.000 copies d'un bulletin visant à informer la population sur ce qui se passait dans le pays. Après être parvenue à nouveau à diffuser son programme, la Radio Fe y Alegria put ainsi annoncer le coup d'Etat à la population. Grâce aux bulletins, aux chaînes de radio alternatives et à l'échange de messages via téléphone portable, la population put faire circuler l'information concernant le coup d'Etat et sortit alors dans la rue pour manifester massivement. Ce sont ces manifestations qui ont permis à Chavez de revenir au pouvoir.

A l'époque du coup d'Etat, les médias communautaires et alternatifs rompirent le silence et mirent un terme à la désinformation diffusée par les médias privés. Le bouche-à-oreille fit renaître Radio Bemba, une ancienne tradition de commérage et de communication dans les pays caribéens, qui a évolué à travers l'utilisation de la technologie telle que la radio afin de démultiplier les messages.

Dès que Chávez réintégra la présidence le 13 avril 2002, deux jours après le coup d'Etat, le nombre de stations de radio communautaires s'est fortement accru. Les militants ont cherché à travers tout le pays à établir un contrôle local sur l'information atteignant leur communauté. Alors qu'en 2002 il existait 13 stations de radio communautaires agréées, elles étaient au nombre de 170 en juin 2005. En plus de ces 170 stations radio reconnues et fondées légalement, plus de 300 stations de radio communautaires clandestines ont émergé sur les ondes. Celles-ci ont été créées et fonctionnent grâce à tout un éventail de groupes locaux, comprenant également des peuples indigènes d'Amazonie situés au sud du Venezuela, des paysans des régions andines, des afro-vénézuéliens de la région côtière au nord du pays ainsi que des résidents des barrios entourant les principaux centres urbains.

Le progrès technique a rendu la diffusion radio plus accessible. La station de radio communautaire Un Nuevo Día, située dans un quartier très pauvre sur les collines au-dessus de l'ancienne autoroute pour sortir de Caracas est un exemple de radio qui fit ses débuts dans la chambre à coucher de l'une des résidentes. Les journalistes communautaires y installèrent une table de mixage, un lecteur CD et un micro sur la commode de la jeune femme. Ils transmettaient leur programme grâce à une petite antenne et les intervenants invités se voyaient contraints de s'asseoir sur le lit de la jeune femme. Cette technologie rudimentaire et accessible a permis à des gens issus des quartiers populaires et à des communautés défavorisées à travers tout le pays d'avoir la possibilité de s'exprimer via des stations radios de petite ampleur.

Toutefois, les activistes des radios communautaires ont dû mener une bataille ardue contre le gouvernement pour voir leurs radios autorisées. Une fois Chavez élu en 1998, les activistes des médias communautaires ont cherché à soulever la problématique du droit à la communication. Cela conduisit à l'adoption d'une nouvelle loi en 2000, intitulée « Régulation des radios et télévisions communautaires ». Cette loi donnait le droit aux communautés de créer leur propre chaîne ou station, cependant afin d'obtenir l'habilitation, la Commission nationale des télécommunications (CONATEL) proposa que ces stations répondent à des exigences dans quatre domaines : social, juridique, technique et économique.

Carlos Carles, un journaliste de Radio Perola, fut impliqué dans le processus d'élaboration des procédures d'habilitation. Avec sa casquette portant la signature d'un joueur de base-ball [4], ses vêtements larges et son sourire béat, il passerait pour un chamo, pour un des gamins de Radio Perola. Toutefois, lors des nombreuses réunions avec des bureaucrates, Carles apparaît comme un des leaders clés du mouvement des médias communautaires.

Contrairement aux bureaucrates, il met en avant une vision forte basée sur la communauté pour déterminer le caractère alternatif d'une radio. : « Pour démontrer leurs propos, ils proposent des techniques qui passent par les données statistiques. A cela, nous préférons une définition passant par les connaissances locales, les récits oraux, la mémoire collective et le travail quotidien de la communauté  », déclare Carles. « En raison de cette divergence, nous sommes entrés dans un grand débat et nous avons totalement rejeté la composante juridique de la proposition faite par le gouvernement Chavez ».

Les activistes des médias communautaires ont vu leurs idées intégrer le processus de légalisation. Toutefois, le processus désavantage lourdement les stations de radio des communautés défavorisées disposant de peu de ressources. Durant ma visite aux bureaux de la CONATEL, dans les spacieux faubourgs des classes moyennes Las Mercedes, on me remit un guide d'instructions de 70 pages. Celui-ci était destiné à être complété par des stations de radio communautaires souhaitant obtenir une habilitation.

Etant donné les difficultés pour se conformer aux règles de la CONATEL, les activistes des médias communautaires ont décidé de créer l'Association nationale des médias communautaires et alternatifs (ANMCLA). Selon Carlos Lugo, un des fondateurs de l'ANMCLA et journaliste communautaire pour la station de radio Radio Negro Primero à Pinto Salinas, l'organisation est fondée sur le principe du droit à la communication. « Toute communauté a le droit d'autoriser elle-même l'existence d'une station. Une telle station de radio devient légale dès lors qu'elle est reconnue comme telle par la communauté. Les chaînes avérées illicites doivent donc être considérées comme un non-sens - tout le monde devrait jouir du droit à la communication ».

Paradoxalement, les médias privés accusent les stations de radio communautaires d'êtres les vecteurs de propagande du gouvernement. Un article publié le 26 juin 2005 dans le quotidien privé El Universal se réfère à ces radios communautaires comme étant les « médias radiodiffusés de l'Etat utilisés à des fins de propagande et de prosélytisme politiques ». L'auteur de l'article déplore ce qu'il considère comme étant un manque de qualité et d'homogénéité culturelle propre aux radios communautaires ainsi qu'un parti pris envers le gouvernement Chavez.

Cependant, les radios communautaires ont cherché à conserver leur autonomie vis-à-vis de l'Etat, ce qui est manifeste non seulement à la lumière de leur lutte contre les bureaucrates de l'Etat afin d'assurer leur légalisation mais également dans leur volonté de rester critique sur des questions importantes face au gouvernement Chavez. En mars 2005, les activistes de l'ANMCLA se sont unis avec des organismes sociaux et des peuples indigènes afin de protester contre le plan du gouvernement qui consistait à intensifier l'extraction du charbon dans la riche province pétrolifère de Zulia.

Les protestataires ont signalé l'aggravation des problèmes de pollution de l'eau et des risques sanitaires que le plan pourrait engendrer pour la grande majorité de la population indigène de la région qui dépend des ressources en eau déjà peu abondantes. Ils ont argumenté que la proposition violait le protocole de Kyoto ainsi que d'autres articles de la constitution bolivarienne qui garantit un environnement sain et la protection des ressources indigènes. Bien que l'issue demeure incertaine, les activistes des radios communautaires ont démontré leur volonté de critiquer le gouvernement lorsque des intérêts d'une communauté sont en jeu.

Le financement est l'un des fondements essentiels de l'autonomie de ces stations de radio qui reçoivent un montant limité de fonds provenant de l'Etat. Les chaînes autorisées par la CONATEL ou d'autres institutions publiques telles que le ministère de l'Information (MINCI) peuvent se voir attribuer des fonds pour l'achat d'équipement et d'infrastructures. Sur les ondes des radios communautaires, il arrive que de la publicité d'Etat soit diffusée en échange de quoi ces stations reçoivent une petite somme d'argent versée par l'institution concernée.

Toutefois, ce sont essentiellement les contributions versées par les petits commerces du quartier qui permettent aux radios communautaires de pouvoir continuer leurs activités. Certes, il arrive que l'Etat alloue, une fois, une contribution substantielle de 1 million de bolivares (près de 400 euros) mais ce sont les versements réguliers du garage automobile local de 100.000 bolivares (40 euros) ou ceux de 150.000 bolivares (60euros) provenant de la boulangerie du coin qui permettront le maintien des activités de ces stations sur le long terme. En ce sens, les radios communautaires sont devenues une composante importante de l'économie informelle de ces barrios qui existent en marge de l'économie formelle.

« L'idée n'est pas que nous devrions constituer des médias communautaires soutenus par l'Etat mais plutôt que nous avons la capacité d'être autonomes financièrement », déclare Carles « car s'ils te donnent de l'argent et qu'ils te donnent ton pain quotidien, ils commenceront à te demander : pourquoi tu fais ceci ou cela ? Dans ce que nous faisons, nous préférons l'autonomie  ».

Les médias communautaires donnent la parole à tout un éventail de groupes et de membres d'une communauté. Ils diffusent des talk-shows, des émissions éducatives, culturelles, sportives, sur le thème de l'histoire locale, des programmes destinés aux enfants, des émissions culinaires ainsi qu'une grande variété de programmes musicaux comprenant salsa, bolero, hip-hop, rock, llanero ou autre musique folklorique. Ils diffusent également des émissions politiques ou sociales qui cherchent à rendre plus visibles certaines questions peu traitées telles que celle de l'appartenance ethnique. Le journaliste-radio Madera anime une émission sur Radio Negra Primero qui se dit être destinée « aux hommes et femmes de peau noire  ». Ce genre d'émissions n'a pas sa place au sein de programmes diffusés par les médias publics et encore moins au sein de ceux diffusés par les médias privés.

Les programmes des médias communautaires sont en total décalage avec la réalité des émissions, feuilletons et autres jeux télévisuels que bombardent les médias privés. Les émissions diffusées par ces derniers entretiennent une culture du consumérisme qui s'est répandue conjointement avec la globalisation. Dans les allées du prestigieux centre commercial Sambil situé dans la zone est de Chacao [5], les jeunes issus de la classe moyenne passent leur temps à comparer leurs montres de luxe et leurs chaussures de sport dernier cri. Les familles aisées quant à elles font appel aux services de compagnies privées pour fournir leurs enfants en jeux vidéo afin d'occuper les bambins lors des fêtes organisées pour ces derniers. Pendant ce temps, un nombre toujours plus important de jeunes des barrios de la zone ouest de Caracas créent leurs propres formes de loisir reflétant de bien plus près le nouvel activisme communautaire qui est devenu une part importante de leur quotidien.

Arborant un sourire timide, Gladys, la jeune étudiante de Radio Perola, déclare que dans le contexte politique actuel les jeunes ne devraient pas être aussi « pitiyanqui  », un argotisme péjoratif utilisé pour décrire celles et ceux qui imitent les Nord-Américains.

« Grâce à cette révolution, nous les jeunes d'aujourd'hui, nous commençons à mûrir et à voir le monde d'un autre point de vue », affirme Gladys. « Je pense que nous sommes des gens responsables, nous savons ce que nous faisons et que l'avenir est entre nos mains ». Sur cette déclaration, Gladys range ses livres dans son sac et s'en va en pouffant de rire, bras dessus, bras dessous avec sa camarade de classe.

NOTES : RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine

[1] [NDLR] La ville de Caracas est formée de cinq municipalités composées chacune d'entre elles de plusieurs paroisses.

[2] [NDLR] Consultez le dossier « Coup d'État au Venezuela » sur RISAL.

[3] [NDLR] La première chaîne publique Venezolana de Televisión.

[4] [NDLR] Le base-ball, au Venezuela comme à Cuba, est le sport « national ».

[5] [NDLR] Chacao est une des cinq municipalités de Caracas. Les quatre autres sont Sucre, Baruta, El Hatillo et Libertador.

Sources d'origines : http://risal.collectifs.net/ -
et Venezuelanalysis (http://www.venezuelanalysis.com/), 26 décembre 2005 ;
Znet (http://www.zmag.org/), 24 décembre 2005.



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