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 Informations sur l'Amérique Latine 

Sommaire année 2010, page 6

1 - Colombie : la Sénatrice et l'Inquisiteur, Olga L. Gonzalez
2 - Mines et changement climatique en A.L.,« un cocktail explosif » !, Alter Echos
3 - Amérique Latine - Chine : Les dangers d’une relation nouvelle, Daniela Estreda
4 - Cuba : Amnesty International demande le réexamen de l'affaire des « Cuban Five »
&   « Défendre les 5, c’est défendre une cause » entretien de Sébastien Madau
5 - Chili, une bataille de gagnée n’est pas la fin de la lutte de la Nation Mapuche
&  un dossier complet sur les raisons de la grève de la faim des Mapuche

6 - Venezuela : (In)sécurité, Luis Britto-Garcia
7 - Équateur : retour sur une tentative de putsch, entretien avec Marc Saint-Upéry




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Colombie : la Sénatrice et l'Inquisiteur




Olga L. Gonzalez (*), le.23 Novembre 2010


La récente destitution juridico-politique de la sénatrice Piedad Cordoba est symptomatique du très grave recul de la démocratie après huit ans de présidence d'Alvaro Uribe. C'est aussi une nouvelle illustration du fait que les élites colombiennes ont toujours préféré la violence et la guerre à la négociation et la paix. Rappelons les faits: Piedad Cordoba est une sénatrice du Parti libéral qui s'est fortement impliquée dans la recherche de négociations de paix avec les guérillas, en particulier dans la libération des otages retenus par les FARC. A la fin de l'année 2007, elle a été nommée «médiatrice» par le gouvernement et a obtenu la libération des derniers civils et de plusieurs prisonniers militaires retenus par la guérilla. C'est dans ce contexte qu'elle a créé le réseau international Colombiens pour la paix. Par ailleurs, au sein du Congrès, elle présidait la commission des droits de l'homme et celle de la paix.

La sanction prise en septembre dernier à son encontre par le Procurador – procureur général de la République – à savoir l'interdiction d'intervenir en politique pendant dix-huit ans, sous le prétexte de coopération avec les FARC, est parfaitement arbitraire (1) mais très intéressante à analyser. En effet, elle se situe à la convergence de deux facteurs: la mainmise des forces les plus réactionnaires sur plusieurs institutions, et le refus catégorique des couches dirigeantes d'envisager des négociations de paix.

Depuis quelques années, les Colombiens se sont habitués à ce que le pouvoir politique soit de plus en plus dominé par les «forces émergentes», c'est-à-dire des politiciens liés aux mafias et aux paramilitaires d'extrême droite. Dans le cadre des procès contre la «parapolitique», plus de quatre-vingt parlementaires sont inculpés ou soumis à des enquêtes.

A cette dérive s'ajoute la transformation insidieuse que subissent le pouvoir judiciaire et les organismes de contrôle. Ainsi, depuis un an et demi, la fonction de Fiscal (le chef de la police judiciaire colombienne) est assurée par un fonctionnaire par intérim. La Cour suprême de justice, qui doit choisir son remplaçant, a voté vingt-cinq fois sans réussir à trouver un successeur dans les brochettes de sombres personnages qui lui ont été systématiquement proposés par l'exécutif. Au niveau local, il s'est avéré que plusieurs fiscales travaillaient, en fait, pour les narcotrafiquants, le plus célèbre d'entre eux étant le frère d'un ancien ministre de l'Intérieur.

Un autre contrepouvoir important en Colombie était le Procurador (sorte d'Ombudsman ou de médiateur de la République). D'après la Constitution, celui-ci doit «veiller au respect» de la Charte suprême, «protéger les droits humains», «défendre les intérêts de la société». Mais comment Alejandro Ordoñez, membre important d'un groupe monarchiste ultra-réactionnaire espagnol (2), pourrait-il défendre les intérêts des Colombiens du XXIe siècle ou la Constitution d'un Etat laïc? Ses actions, en tout cas, ne prêtent pas à sourire. Dans le passé, il a organisé un autodafé de livres qu'il avait fait retirer de la bibliothèque publique de la ville de Bucaramanga. Depuis qu'il est Procurador, il s'est distingué par des résolutions telles que la condamnation de l'homosexualité en tant qu'«acte dénaturé», le retour à la pénalisation de toute forme d'avortement, l'interdiction de l'éducation sexuelle. Aujourd'hui, dans l'organisme qu'il dirige, tous les emblèmes républicains ont été remplacés par des crucifix, des cierges et des vierges.

Or, c'est bien celui qui est appelé par la presse «l'Inquisiteur» qui a décidé du sort politique de Piedad Cordoba, en lui infligeant une sanction disciplinaire de dix-huit ans d'interdiction d'exercice, ce qui équivaut à une mort politique.

L'acharnement du Procurador contre Piedad Cordoba est probablement lié au franc-parler de la sénatrice et à ses positions progressistes, ainsi qu'à sa trajectoire personnelle. Le réalisateur Lisandro Duque rappelle ainsi qu'une femme divorcée, féministe et noire – et s'étant battue politiquement sur tous ces fronts – incarne les antipodes des valeurs moralistes du Procurador et de ce qu'il entend être les devoirs d'une femme noire.

Pourtant, une décision de ce type n'aurait probablement pas été prise sans un climat social et politique propice, et c'est là le deuxième facteur, symptôme inquiétant de l'état actuel du pays. Le lynchage médiatique qu'a subi Piedad Cordoba au cours de ces dernières années est directement lié à son rôle dans la recherche de la paix. Rappelons qu'elle a été espionnée illégalement par les services secrets, ainsi que par les gardes du corps qui lui ont été assignés d'office – sabotant, de fait, son intervention dans la libération des otages. Elle a été stigmatisée publiquement par le pouvoir «uribiste» et par les médias, qui ont donné libre cours à leur haine raciste et sexiste. Dernièrement, elle a été la victime d'un étrange accident d'automobile, et elle craint toujours pour sa sécurité. La décision du Procurador s'inscrit donc dans cette ligne: celle du sabotage historique de tous les efforts menés dans une perspective de paix avec la guérilla des FARC.

En effet, les initiatives de paix – sous la forme de pourparlers, dialogues, manifestations, mouvements sociaux – ont été nombreuses dans l'histoire récente de ce pays. Elles ont été impulsées par des d'ONG pacifistes, des organisations liées aux églises, des associations de la société civile, des hommes et femmes politiques et aussi par des gouvernements comme celui du président Andres Pastrana à la fin des années 1990.

Mais tous ces efforts ont été vains. Déjà en 1986, lors des premières tentatives de pourparlers effectuées par le gouvernement, Gabriel García Márquez expliquait que les différents actes de sabotage contre la paix étaient l'expression d'«ennemis de la paix, tapis à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement». Pour sa part, l'historien Medofilo Medina considère que les résistances sont telles qu'aucun dialogue de paix avec la guérilla ne sera possible tant que les gouvernements n'auront pas préalablement reçu l'accord des militaires, des entrepreneurs, et des différents secteurs politiques ? dont aucun ne semble désirer réellement le dialogue, ni la paix.

Cette constante explique pourquoi les personnes qui jouent les intermédiaires avec les guérillas ou qui s'aventurent dans les processus de paix risquent d'y laisser leur peau: rappelons que le grand humoriste Jaime Garzon fut assassiné par les paramilitaires en 1999, au sommet de sa popularité, parce qu'il intercédait dans la libération d'otages économiques retenus par les FARC. Cette même année, et dans le contexte du processus de paix, fut également assassiné l'ancien doyen de la Faculté d'économie de l'Université nationale et spécialiste des processus de paix, Jesus A. Bejarano. Au niveau régional, les élus locaux ayant établi des accords avec les FARC pour limiter les violences ont également subi des pressions et des menaces et certains ont payé ces actes de leur vie. Enfin, lors de la récente crise des otages, des intermédiaires étrangers (comme le Suisse Jean-Pierre Gontard) ont été accusés par les autorités colombiennes d'être non pas des «intermédiaires» mais des «auxiliaires» de la guérilla.

La plupart des hommes et des femmes politiques ont compris la leçon. De ce fait, ils ne s'aventurent pas dans les eaux périlleuses de la recherche de la paix et de l'intermédiation avec les guérillas. C'est même le cas du parti de gauche, le Polo Democratico Alternativo.

C'est précisément dans cet échiquier que Piedad Cordoba est intervenue de tout son poids comme sénatrice, multipliant les efforts afin de ramener des otages auprès des leurs et, surtout, afin, selon ses propres propos, «d'apporter l'espoir de la fin de ce sempiternel conflit armé». Alors que la guerre continue avec ses conséquences désastreuses, que la situation des paysans et des trois millions de déplacés atteint des niveaux catastrophiques, que les institutions sont envahies par l'obscurantisme et que le nouveau gouvernement Santos paraît bien décidé à continuer le même scénario guerrier, cette femme courageuse fait face.

Le 2 novembre dernier, le Sénat a cautionné la décision arbitraire du Procurador et Piedad Cordoba a perdu son siège. Parallèlement, la Cour suprême a commencé à enquêter sur les agissements de celui-ci. Il est impossible, au stade actuel, de savoir s'il sera déclaré incompétent et déchu de son poste, ou si une interprétation de la loi l'exonérera de ses fautes. Quel que soit le dénuement juridique, il serait souhaitable que le sort politique de Piedad Cordoba dépende moins des soubresauts de la justice colombienne et davantage de l'intérêt qu'a toute une société à faire avancer les négociations de paix. Ce qui serait un premier espoir pour que la Colombie, sans nier qu'une guerre la déchire, fasse un pas en avant pour en sortir dignement. I

Notes :

(*) Docteure en sociologie de l'Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, présidente du Groupe Actualités Colombie (GAC) à la Fondation Maison des Sciences de l'Homme de Paris.

1 - Légalement, la Cour suprême de justice est l'instance chargée d'enquêter sur les délits des députés. Or son président expliquait récemment n'avoir reçu aucune preuve contre la sénatrice.

2 -Orden de la Legitimidad Proscrita, qui a notamment eu parmi ses membre le dictateur de l'Uruguay Juan María Bordaberry.

Source : Le Courrier   http://lecourrier.ch/index.php?name=NewsPaper&file=article&sid=447480




Mines et changement climatique
en Amérique Latine,
« un cocktail explosif » !


 par Alter-Echos, le 23 novembre 2010

Du 18 au 20 novembre, Lima a été le théâtre d’un Forum des peuples indigènes sur la thématique Mines, Changement climatique et Buen-Vivir. Organisée par la CAOI (Coordination Andine des Organisations Indigènes) en partenariat avec différentes organisations d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, cette rencontre a réuni près de 400 personnes venues de 17 pays. En Amérique Latine, on dénombre près de cinquante millions de personnes autochtones appartenant à 671 peuples différents. Près de 90 % se concentre dans 5 pays : Guatemala, Mexique, Pérou, Bolivie et Equateur. Ces pays sont également ceux qui connaissent une expansion rapide des activités minières, bien que déjà très présentes pour certains d’entre eux. Miguel Palacin de la CAOI, explique qu’en « travaillant sur le buen-vivir, on est à la fois confronté au réchauffement climatique avec la fonte des glaciers andins qui réduisent la quantité d’eau disponible, et aux activités minières qui ne cessent de s’étendre sur nos territoires ». Joignant ces thématiques, ce forum avait pour objectif d’établir une position dans l’optique du sommet sur le changement climatique de Cancun (29 nov – 10 déc) et plus largement, en réunissant des communautés affectées de l’ensemble du continent, de travailler sur un agenda commun d’initiatives pour l’année à venir.

Les activités minières, principale source de conflit au Pérou

Dès l’ouverture, après une cérémonie traditionnelle, le ton est donné. Pour Magdiel Carrion Pintado de la CONACAMI (Confédération nationale péruvienne des communautés victimes des mines), « les mines, ce sont de nombreux conflits, des dommages sociaux et environnementaux importants, au profit de quelques-uns ». Il poursuit : « On exploite nos terres, on cause des dommages à notre environnement, à nos biens naturels et lorsque nous résistons, nous sommes poursuivis et criminalisés par le gouvernement néolibéral de Alvaro Garcia ». La situation au Pérou est en effet assez préoccupante. Les concessions pour prospections minières occupent près de 19,6 millions d’hectares, soit plus de 16 % du territoire du pays et, selon Julia Cuadros Falla de l’organisation CooperAccion, « cette expansion territoriale est une cause fondamentale de conflits » . Selon les chiffres officiels, alors que le nombre de conflits sociaux s’accroît au Pérou, la moitié d’entre eux sont des conflits sociaux-environnementaux dont 70 % sont dus à des activités extractives minières. Présentées et explicitées par de nombreux intervenants, les conséquences des activités minières sont résumées par Miguel Palacin : « Les activités minières détruisent et dépouillent nos territoires, nous polluent, nous intoxiquent, nous divisent, nous déplacent », le tout bien souvent « avec des violences et la complicité des Etats » pour le « seul bénéfice des multinationales minières étrangères et des pays dits développés ».

Résister : l’exemple de Cocachacra

Tout au long des trois jours, les cas présentés sont éloquents. Citons le projet d’exploitation de cuivre à ciel ouvert de Tia Maria, situé dans la vallée de la rivière Tambo, près d’Arequipa, la région péruvienne où les concessions sont les plus nombreuses. Ce n’est encore qu’un projet mais celui-ci est rejeté par les communautés et, fait plus surprenant, par le maire local de Cocachacra, Juan Alberto Guillew Lopez. En organisant une votation citoyenne rassemblant plus de 6400 votants et plus de 90 % de NON au projet, ils ont réussi à repousser l’ouverture de la mine, le temps de revoir l’étude d’impact environnemental. « Avec notre équipe technique, nous avons plus de 5100 remarques sur cette étude qui n’est pas très sérieuse et qui comprend de nombreuses erreurs » indique-t-il. Sur cette base, il entend user de tous les recours possibles pour annuler ce projet de l’entreprise Southern Peru, à capitaux mexicains, en démontrant que le projet est « non-viable et remet en cause le développement actuel de la vallée ». Faisant vivre plus de 15 000 familles, l’agriculture, dont le « meilleur riz du Pérou », sera victime des rejets polluants de la mine dans les cours d’eau de la région. Travaillant sur l’amélioration de la qualité et la durabilité de l’activité agricole et sur des projets de tourisme soutenable, Alberto Guillew Lopez veut « défendre la santé et la vie, en pensant le développement à long-terme, et pas seulement à des bénéfices de court-terme ». Selon lui, « il n’est pas possible d’imaginer la cohabitation dans notre région d’une mine à ciel ouvert avec les activités agricoles d’aujourd’hui». «Où va aller la population si elle ne peut plus vivre de l’agriculture, demande-t-il ? Grossir les bidonvilles de Lima ? »

Fonte des glaciers et tensions sur l’usage de l’eau

Dans une région qui compte plus de 90 % des glaciers tropicaux de la planète – dont 60 % pour le seul Pérou – lier la thématique minière au changement climatique se pose comme une évidence. Ces glaciers servent de régulateur hydrique et leur fonte régulière liée au réchauffement climatique réduit la quantité d’eau disponible. Au Pérou, deux glaciers ont déjà complètement disparu, dont celui de Quilca à la frontière bolivienne en 2009. La situation est préoccupante, au point que des villes comme Lima envisagent aujourd’hui de dessaler l’eau du Pacifique, solution technique des plus onéreuses. « Quelle est l’alternative si nous n’avons plus d’eau et de glaciers au Pérou ? » demande Rosa Guillen de la Marche Mondiale des femmes. L’eau se faisant plus rare, les activités minières à la fois grande consommatrice d’eau et générant de multiples pollutions des cours d’eau ne sont donc pas les bienvenues. Par ailleurs, des entreprises minières lorgnent sur certaines zones glaciaires ou péri-glaciaires de la région. La loi des glaciers votée en Argentine est une première étape pour stopper ces velléités dévastatrices.

Les activités minières, « sources de transformations climatiques locales »

Il existe une « autre une relation vicieuse entre mines et changement climatique qui est moins connue » selon Julia Cuadros Falla, s’appuyant sur des études réalisées en coopération avec l’Universidad Nacional de Ingenieria. Selon, elle, « si les activités minières comptent finalement assez peu dans le réchauffement climatique global, elles sont par contre à la source de profondes transformations climatiques locales ». Par leur immense emprise au sol, les mines à ciel ouvert, souvent situées sur les hauteurs des montagnes, modifient profondément le régime des pluies et des vents de lieux déjà très vulnérables, en plus de dégager des grandes quantités de gaz à effets de serre du simple fait de remuer des quantités incroyables de roches et de terre. « On peut se retrouver avec par exemple des sécheresses d’un côté de la montagne où se situe la mine, et des inondations de l’autre, là où il y avait avant un équilibre ». Par ailleurs, nécessitant bien souvent des grandes quantités d’eau, les mines s’accompagnent généralement de grands barrages qui modifient considérablement le climat le long des cours d’eau. « Si l’on rajoute le fait que le Pérou est le troisième pays le plus vulnérable au changement climatique de la planète, on va obtenir un cocktail mortel entre mines et changement climatique » et cette combinaison « peut avoir des conséquences considérables sur l’ensemble de la population péruvienne », selon Julia Carlos Falla.

Libérer les pays des mines à ciel ouvert

Selon MarioValencia, du Réseau Colombien Face aux Grands Projets Miniers qui regroupe une soixantaine d’organisations nationales, il n’y a aucun doute à avoir, il est « impossible de regarder les problèmes miniers indépendamment du modèle économique et du modèle de société à l’oeuvre sur la planète ». Selon lui, « les pays du Nord désirent contrôler physiquement les sols et le sous-sol de nos pays pour poursuivre leur modèle insoutenable ».

Là où certains, notamment en Amérique du Nord cherchent à négocier avec les multinationales minières pour obtenir une part des bénéfices et réduire l’impact environnemental, ici, en Amérique du Sud, on prend plutôt exemple sur le Costa-Rica, qui après une longue période de luttes, vient de se déclarer « pays libre de mines à ciel ouvert ». Pour Miguel Palacin, « c’est le chemin à suivre, tout comme la loi des glaciers en Argentine ». « Prochainement, nous, les peuples indigènes allons déclarer nos territoires libres d’activités minières pour essayer d’enrayer cet énorme pouvoir politique et économique qui cherche à étendre ses activités minières pour faire perdurer son modèle ». Pour lui, « il n’y a pas d’autre alternative si nous voulons construire le buen-vivir dans nos territoires », car « des activités minières sans conséquences néfastes sur nos territoires ou nos communautés, il n’en existe pas ».

Construire le buen-vivir…sans les mines !

« Récupérer les formes traditionnelles d’échange, développer des technologies appropriées, valoriser les modes de culture agroécologique, assurer la sécurité alimentaire et l’intégrité de nos territoires, créer des centres autonomes pour nos semences, etc… » sont quelques-unes des idées concrètes qui ont été regroupées pour avancer vers le buen-vivir. Cet ensemble de propositions vont dès à présent circuler et être retravaillées d’ici la prochaine rencontre dans un an en Bolivie. Elles vont aussi être portées à Cancun lors de la prochaine conférence internationale sur le climat (29 nov – 10 déc), et au-delà, lors d’une journée de mobilisations continentale contre les activités minières le 21 juin 2011. S’appuyant sur la Convention n°169 de l’OIT sur les peuples indigènes et la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones, les participants se sont engagés à faire respecter totalement le droit des populations à exercer un consentement préalable, libre et éclairé sur toute initiative ayant des répercussions sur leurs territoires. A ce titre, il a été répété à de nombreuses reprises que les projets actuels autour des négociations REDD (Réduction des Emissions dues à la Déforestation et la Dégradation des Forêts) étaient totalement inacceptables et qu’il convenait de refuser ces dispositifs à Cancun, selon Juan Carlos Jintiah de la COICA (Coordination des Organisations Indigènes du Bassin Amazonien). Plus généralement, il ressort de ce forum la nécessité de stopper la marchandisation des biens naturels (terme préféré à celui de « ressources naturelles » trop ancré dans une perception utilitariste et prédatrice de la nature) et s’assurer que « nos minerais, nos forêts arrêtent de traverser nos pays sur nos routes et nos trains pour atteindre nos ports et quitter les pays en laissant pauvreté et dommages environnementaux irrémédiables derrière eux ».

Source : Alter-Echos




Amérique Latine - Chine :
Les dangers d’une relation nouvelle


Daniela Estrada, le 2 novembre 2010,


Cet texte de Daniela Estrada, publié le 2 septembre 2010 par IPS, propose une synthèse rapide des conclusions de quelques études récentes sur les relations commerciales en plein essor entre l’Asie – et notamment la Chine – et l’Amérique latine. Il en souligne les enjeux et les risques.

Le taux des exportations de l’Amérique latine et des Caraïbes va de nouveau augmenter cette année et, ceci, grâce, en particulier, à la demande chinoise. Mais l’actuel modèle « primaire » des envois peut dériver vers un schéma de dépendance vis-à-vis de ce géant et de la zone asiatique en général, selon le cri d’alarme lancé par la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL).

« Il est clair que la relation commerciale entre notre région et la Chine peut évoluer vers un schéma centre – périphérie. Nous sommes fournisseurs de matières premières, sans valeur ajoutée, et ils nous renvoient des produits manufacturés. » a dit à IPS Claudia Casal, chercheuse au Centre d’études nationales de développement alternatif (CENDA – non gouvernemental) du Chili [1].

Claudia Casal a participé à l’étude Relations économiques et géopolitique entre la Chine et l’Amérique latine : alliance stratégique ou interdépendance asymétrique ? publiée en 2009 par le Réseau latino-américain de recherches sur les compagnies multinationales, qui regroupe des institutions de recherche sur le travail et des syndicats de sept pays de la région.

Ce thème est, précisément, mis en évidence dans le dernier rapport de la CEPAL à propos de l’insertion internationale de la région, qui a été présenté jeudi dernier à son siège de Santiago.

« La relation commerciale entre la région et l’Asie offre autant d’opportunités que de défis », indique ce document de 216 pages.

Il précise que, parmi les défis, « il est particulièrement important d’éviter que le commerce croissant entre les deux régions ne reproduise ni ne renforce un modèle de commerce de type centre – périphérie dans lequel l’Asie (et la Chine en particulier) apparaîtrait comme un nouveau centre et les pays de la région comme la nouvelle périphérie. »

Le Panorama de l’insertion internationale de l’Amérique latine et des Caraïbes 2009- 2010, réalisé par la CEPAL, prévoit que les exportations de la région augmenteront de 21,4% cette année, sous l’impulsion, principalement, de la vente de matières premières en provenance d’Amérique du Sud.

L’augmentation des envois, qui inverse la tendance de 2009, marquée par une chute de 22,6% par rapport à l’année antérieure, s’explique par la demande de l’Asie et en particulier de la Chine, indique l’étude annuelle de cette agence spécialisée qui fait partie de l’Organisation des Nations unies.

Le taux d’évolution des exportations de la région vers la Chine est passé d’un recul de 2,2% dans les premiers mois de 2009, par rapport à la même période pendant l’année précédente, à un taux de croissance de 44,8% cette année.

Selon la CEPAL, la Chine pourrait reléguer l’Union européenne au deuxième rang des échanges commerciaux de la région au milieu de la décennie.

Le géant asiatique est déjà le premier destinataire des exportations du Brésil et du Chili, le second de l’Argentine, du Costa Rica, de Cuba et du Pérou, et le troisième du Venezuela.

Cependant, en établissant un bilan de la composition des exportations latino-américaines pendant la dernière décennie, la CEPAL a conclu que la tendance est à un retour à une dominante des matières premières dans les envois.

Par exemple : tandis qu’en 1999 les matières premières constituaient 26,7% du total des ventes ; en 2009 elles ont constitué 38,8% de ce total.

Du fait des prix élevés au niveau international, l’Amérique du Sud a doublé le montant de ses ventes à l’étranger, en ressources naturelles majoritairement. En revanche au Mexique et en Amérique centrale elles ont baissé de plus de 50%.

La participation du Mexique aux exportations totales de la région est tombée de 40% en 2000 à 30% en 2009, tandis que le Brésil augmentait sa participation en passant de 13 à plus de 20% pendant la même période.

« Un premier bilan de l’activité d’export pendant la décennie démontre que notre région n’a pas obtenu d’avancée significative quant à la qualité de son insertion commerciale internationale » indique le rapport de la CEPAL.

Il note que « le développement des secteurs associés aux ressources naturelles, principalement motivé par la demande asiatique, n’a pas contribué suffisamment à la création de nouvelles compétences technologiques pour la région ».

La secrétaire exécutive de la CEPAL, la mexicaine Alicia Bárcena, a renchéri en ajoutant que la triade que la région a besoin de renforcer est « productivité, innovation et convergence stratégique ».

L’étude du Réseau latino-américain de recherche sur les compagnies multinationales à laquelle a participé Claudia Casal, fait remarquer, elle aussi, qu’aujourd’hui « la relation Chine – Amérique latine se présente de façon asymétrique, marquée par les besoins chinois et renforcée par la composition limitée des exportations des pays » de la région.

« Une inégalité dans la relation économique se constitue – bien qu’elle s’exprime de différentes façons selon les pays – et elle peut mener à un rétrécissement de la marge de manœuvre des pays latino-américains ». C’est ce que dont témoigne la recherche réalisée à partir d’informations en provenance d’Argentine, du Brésil, du Chili, de Colombie, du Mexique, du Pérou et d’Uruguay.

Selon la CEPAL, les gouvernements latino-américains devraient encourager la compétitivité des petites et moyennes entreprises, former de la main d’œuvre, développer « des maillons » qui relient les secteurs de l’exportation au reste de l’économie et profiter des avancées dans des secteurs comme la biotechnologie, entre autres.

Cette agence a également appelé à rechercher des rapprochements en parallèle à ceux réalisés avec la Chine et la région Asie-Pacifique. Elle met en avant, par exemple, l’initiative de l’Arc du Pacifique latino-américain qui inclut la Colombie, le Costa Rica, le Chili, l’Équateur, El Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua, Panamá et le Pérou.

Selon les estimations de la CEPAL, les exportations du Marché commun du Sud (Mercosur), qui comprend l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, devraient augmenter cette année de 23,4%, par rapport à 2009, et celles des pays andins de 29,5%. Pendant ce temps celles du Marché commun centroaméricain n’augmenteraient que de 10,8%.


Note :

[1] Claudia Casal est aussi l’éditrice en charge de la section en espagnol d’AlterInfos – note DIAL.

Source : Traduction d’Annie Damidot - Diffusin Information Amérique Latine (DIAL)




Amnesty International demande
le réexamen de l'affaire des « Cuban Five »



par Amnesty International, le 13 octobre 2010



Dans un rapport envoyé au gouvernement des États-Unis et rendu public ce mercredi 13 octobre, Amnesty International expose ses préoccupations au sujet de l'équité du procès de cinq hommes déclarés coupables en 2001 d'avoir, entre autres, agi comme agents de renseignement pour le compte du gouvernement cubain. Ces hommes purgent des peines allant de 15 ans d'emprisonnement à la réclusion à perpétuité dans des prisons fédérales américaines.

Les cinq hommes – les Cubains Fernando González, Gerardo Hernández et Ramón Labañino, et les Américains Antonio Guerrero et René González – ont été jugés à Miami et déclarés coupables de plusieurs chefs, notamment d'avoir agi et conspiré en vue de mener des activités en tant qu'agents non enregistrés de la République de Cuba, de fraude et utilisation abusive de documents d'identité et, pour trois des accusés, de conspiration en vue de fournir des informations relatives à la défense nationale. Gerardo Hernández a en outre été déclaré coupable de collusion en vue de commettre des meurtres en raison de son rôle présumé dans la destruction par Cuba, en 1996, de deux avions opérés par l'organisation américaine anticastriste Brothers to the Rescue, attaque qui avait causé la mort de quatre personnes.

Dans une lettre qu'elle a envoyée le 4 octobre au ministre de la Justice des États-Unis, Eric Holder, en y joignant son rapport The Case of the ‘Cuban Five' (index AI : AMR 51/093/2010), Amnesty International indique que si elle ne prend pas position au sujet de l'innocence ou de la culpabilité des cinq hommes elle estime toutefois que l'équité et l'impartialité du procès sont douteuses et que ces doutes n'ont pas pu être levés en appel.

L'un des principaux motifs de préoccupation est lié à la question de savoir s'il était équitable de tenir ce procès à Miami compte tenu de l'hostilité généralisée à l'égard du gouvernement cubain dans cette région et dans les médias, et des événements qui se sont produits avant et pendant le procès. Comme l'explique le rapport d'Amnesty International, certains éléments incitent à penser qu'il était impossible dans ces circonstances de garantir la totale impartialité du jury.

Parmi les autres motifs de préoccupation figurent les incertitudes quant à la valeur des preuves présentées à l'appui des accusations de collusion en vue de commettre des meurtres dans le cas de Gerardo Hernández, et les conditions dans lesquelles s'est déroulée la détention provisoire des cinq hommes, durant laquelle ils n'ont eu qu'un accès restreint à leurs avocats et aux documents utiles, ce qui a peut-être porté atteinte à leur droit à une défense efficace.

Amnesty International a appelé le gouvernement à réexaminer cette affaire et à modérer toute éventuelle injustice par le biais de la procédure de grâce ou par tout autre moyen au cas où les autres recours seraient inefficaces.

Amnesty International a également rappelé qu'elle était préoccupée par le fait que le gouvernement des États-Unis a refusé à plusieurs reprises de délivrer aux épouses cubaines de deux des détenus, René González et Gerardo Hernández, des visas temporaires leur permettant de rendre visite à ces derniers. L'organisation s'inquiète de ce que cette interdiction permanente des visites des épouses représente une sanction supplémentaire et est contraire aux dispositions des normes internationales relatives au respect de la dignité humaine des détenus et à l'obligation qu'ont les États de protéger la vie de famille. Amnesty International continue d'exhorter le gouvernement à accorder aux épouses des visas temporaires pour des raisons humanitaires.

Informations complémentaires

Les cinq détenus ont été arrêtés à Miami en 1998. Ils n'ont pas nié agir en tant qu'agents du gouvernement cubain, mais ont nié les accusations les plus graves portées contre eux et affirment que leur rôle était centré sur les groupes d'exilés cubains à Miami responsables d'actes hostiles à l'égard de Cuba et ne consistait pas à porter atteinte à la sécurité nationale de États-Unis. Aucun élément de preuve n'a été produit lors du procès montrant que les accusés avaient effectivement traité ou transmis des informations secrètes.

En mai 2005, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a rendu un avis sur cette affaire ; il a estimé que le gouvernement des États-Unis n'avait pas garanti un procès équitable pour les cinq Cubains aux termes de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cet organe a fondé son avis sur un certain nombre d'éléments, notamment sur les conséquences préjudiciables de la tenue d'un procès à Miami. Il a également estimé que les conditions de la détention préventive des accusés et la décision initiale de classer « secrets » tous les documents liés à cette affaire ont réduit les possibilités d'une défense efficace et compromis l'équilibre des forces entre l'accusation et la défense.

En août 2005, un collège de trois juges de la cour d'appel fédérale du onzième circuit a infirmé à l'unanimité les déclarations de culpabilité rendues contre les cinq hommes, au motif que les préjugés contre le gouvernement castriste très répandus au sein de la population à Miami avaient, associés à d'autres facteurs, porté atteinte à leur droit à un procès équitable. Le gouvernement américain a formé un recours contre cette décision qui a par la suite été à son tour infirmée par la cour d'appel réunie en session plénière, avec une majorité de 10 voix contre deux. Les déclarations de culpabilité ont été confirmées par la cour d'appel en juin 2008, mais les peines de réclusion à perpétuité prononcées contre deux des accusés ont été ultérieurement annulées puis remplacées par des peines moins lourdes. Gerardo Hernández est le seul parmi les cinq hommes à être toujours sous le coup d'une peine de réclusion à perpétuité (il a été condamné à deux peines de réclusion à perpétuité). En juin 2009 la Cour suprême des États-Unis a rejeté sans aucune explication la demande de révision du procès des cinq hommes.

En juin 2010, un nouveau recours a été formé devant le tribunal de district fondé, en partie, sur de nouveaux éléments de preuve indiquant que des journalistes qui avaient écrit à l'époque du procès des articles préjudiciables au sujet de cette affaire travaillaient pour des organes de presse anticastristes, sur le territoire américain, où ils étaient employés et payés par le gouvernement des États-Unis. L'audience d'examen de ce recours n'a pas encore eu lieu.

Pour de plus amples informations, à consulter en anglais : http://www.amnesty.org/fr/library/info/AMR51/093/2010/en

Source : Amnesty International
http://www.amnesty.org/fr

« Défendre les 5, c’est défendre une cause »
Entretien avec Olga Salanueva et Adriana Perez


Entretien de Sébastien Madau



Olga Salanueva et Adriana Perez sont les épouses de deux des cinq antiterroristes cubains emprisonnés depuis 12 ans dans les prisons américaines pour avoir voulu empêcher le terrorisme de frapper Cuba.

Olga Salanueva est l’épouse de René Gonzalez; Adriana Perez celle de Gerardo Hernandez, tous deux emprisonnés aux Etats-Unis, avec trois de leurs compatriotes, après avoir infiltré des organisations cubano-américaines d’extrême-droite à Miami qui avaient commandité des attentats sur des installations touristiques de l’île. En octobre dernier, elles étaient de passage à Paris pour sensibiliser l’opinion sur « l’Affaire des 5 ».

Quel est le principal message que vous souhaiteriez passer aux personnes avec lesquelles vous parlez du cas de vos époux ?

-Olga Salanueva : L’arrestation et l’emprisonnement de nos époux sont une injustice qui dure depuis trop longtemps. Ils ont été mis en prison avec des condamnés, comme des es- pions. On les a punis alors qu’il n’y a aucun fait. Ils sont restés 17 mois sans avocat. Ils n’ont pas pu se défendre, surtout quand on sait que 80% du dossier n’est pas déclassifié.

- Leur cas n’a pas bénéficié d’une grande couverture médiatique aux Etats-Unis, si ce n’est de la part de la presse de Miami qui les a « condamnés » avant la fin du procès.

- Olga Salanueva : On a parfois l’impression que leur sort n’intéresse personne. Contre eux, les Etats-Unis mènent une véritable bataille médiatique en manipulant l’information. On sait de- puis que des journalistes ont été payés durant le procès pour écrire des articles contre eux. Dans ce cas où est la justice, où est la liberté de la presse ? Le mouvement de solidarité avec les 5 a dû payer 50.000 dollars pour obtenir une page dans le New York Time.

- Adriana Perez : Nous sommes victimes d’une histoire qui nous a aussi punis en tant que famille. Malheureusement, nous n’avons pas la chance de voir cette affaire beaucoup médiatisée. Pas beaucoup de monde s’est demandé pourquoi ils étaient allés aux Etats-Unis. Depuis 12 ans, nous ne voyons pas nos maris. Nous voyageons dans beaucoup de pays pour parler de leur cas. Nous invitons les médias, mais les journalistes ne viennent pas souvent.

- Ils ont été condamnés alors qu’ils luttaient contre le terrorisme dont a été victime le peuple cubain et des touristes étrangers, dont Fabio Di Celmo, un ressortissant italien tué dans une explosion. N’est-ce pas contradictoire ?

- Adriana Perez : Tout à fait. Aujourd’hui, on commence à connaître un peu mieux l’histoire. Les preuves sont à disposition de tous. De tous ceux qui veulent les trouver. Mais les Etats-Unis ne veulent pas car on prouverait leurs liens avec les milieux d’extrême-droite de Miami.

On accuse les 5 d’avoir infiltré des organisations. Mais depuis quelques temps, plusieurs états occidentaux (Etats-Unis, France, Allemagne, Grande-Bretagne...) ont aussi annoncé des menaces terroristes envers leurs pays. Qui leur a donné ces informations ? S’ils ont été prévenus de risques terroristes à leur en- contre, c’est bien qu’ils ont des informateurs ? Pour nos époux c’est la même chose : ils ont informé notre pays pour empêcher des bombes d’exploser. Sauf qu’eux ont été arrêtés !

- Malgré cette injustice, les 5 lancent constamment des messages de paix.

- Olga Salanueva : Ils se battent contre la violence qui a frappé notre pays. Nous étions attaqués par des terroristes. Ils sont en prison pour avoir infiltré des organisations qui nous ont remplis de douleurs et de deuils. J’ai vu ces personnes à Miami : elles ne veulent pas le bien-être du peuple cubain, elles veulent tuer. Dès 2000, les 5 ont publié une lettre ouverte au peuple des Etats-Unis dans laquelle ils disaient que le terrorisme était l’ennemi de tous. Ils ont tout de suite subi des représailles de la part de l’administration.

- Juridique- ment, tous les recours légaux ont été épuisés. L’espoir persiste-t-il de les voir rapide- ment libres ?

- Adriana Perez : C’est vrai, tous les recours légaux sont finis. Par conséquent, aujourd’hui, nous misons sur une solution politique. Cer- tes, ce sont des hommes, mais c’est aussi une cause. Les dé- fendre, c’est défendre une cause.

- Vous parlez de « cause ». Pensez-vous que si vos époux avaient trahi cette « cause », ils seraient libres aujourd’hui ?

- Olga Salanueva : Bien sûr que oui ! D’autres ont été arrêtés avec eux. Mais ils sont aujourd’hui libres parce qu’on les a incité à trahir leur frères. Nos époux ne l’ont pas fait. Ils préfèrent continuer à défendre leur cause, notre cause.

- Adriana Perez : On va continuer à défendre nos époux, nos camarades.





Chili, une bataille de gagnée n’est pas
la fin de la lutte de la Nation Mapuche




Lionel Mesnard, le 13 octobre 2010


En date du 9 octobre 2010, tous les prisonniers politiques mapuches ont cessé leur grève de la faim. C’est fini, et on ne peut que se réjouir de ce qui s’est produit au Chili, finalement grâce aux voies du dialogue. Si l’on a abondamment traité le sujet des mineurs, il y avait de quoi s’inquiéter pour la santé prisonniers politiques mapuches, qui pour certains montraient de grands signes d’amaigrissement. A un certain stade les séquelles peuvent être irréversibles, et le risque mortel à plus de 80 jours se posait pour 32 des grévistes sur les 34 jeûneurs (1). Des accords ont été signés et vont ouvrir à des amendements aux lois antiterroristes en vigueur, en particulier de ne plus considérer des incendies criminels comme des actes de terrorisme.

Le traitement de l’information aura été long à se mettre en route, mais l’on peut souligner qu’en France, en Belgique, en Allemagne, en Autriche et en Espagne, et dans beaucoup d’autres pays Sud Américain, de nombreuses actions de solidarité et manifestations auront eu lieu. A Paris, se sera tenu pendant plus de 3 semaines un piquet face à l’ambassade du Chili, et des rassemblements dans l’hexagone se sont tenus. Il faut noter le rôle dynamique du Collectif de soutien au peuple Mapuche en France (2), et il est à souligner le travail fait par l’association Terre et Liberté pour l’Arauco depuis plusieurs années concernant la cause de la Nation Mapuche.

Pourquoi s’intéresser aux prisonniers politiques mapuches pourrait résumer l’interrogation de beaucoup en France ? Qui sont-ils, d’où viennent-ils, qu’ont-ils fait ? Entre 89 et 94 jours, une trentaine de détenus au Chili ont voulu aux yeux du monde montrer leur détermination, pour que cesse à leur encontre les lois de l’ancienne dictature de Pinochet. Ils étaient tous issus des populations mapuches du Chili. De nos jours, ils représentent dans le pays de 800.000 à 1,5 million de personnes, si l’on prend en compte ou non le métissage. Si l’on se réfère à l’histoire de la nation Mapuche, ils sont les seuls amérindiens à avoir résister non seulement à la colonisation des Incas, mais aussi à la colonisation espagnole. Avec l’avènement de la République du Chili au dix-neuvième siècle leurs territoires vont être peu à peu conquis, notamment par les migrants venant d’Europe, et avec l’appui de l’état chilien. Comme de nombreuses populations amérindiennes et ce depuis l’indépendance, elles ont été marginalisées, et il n’y a pas d’autres termes pour dire qu’elles ont connu un ordre raciste, où «l’indien» est plus ressenti comme un paria, qu’un être à part entière.

La question n’est pas de vanter la résistance du peuple Mapuche, depuis 200 ans, ils sont à l’égal de ce qu’ont pu vivre les populations américaines originaires de la Gaspésie à la Terre de Feu. Si l’on doit prêter attention à la cause des amérindiens de nord en sud, c’est parce que leurs problèmes sont des plus contemporains, et que leurs luttes sont souvent très signifiantes. A quoi résistent avant tout les mapuches ? A ce monde absurde, où l’on veut imposer une marche du progrès sans prendre en compte l’altérité de tout à chacun et le respect du vivant. Nous vivons dans une économie folle, et comme tous les citoyens de ce monde, ils pâtissent de choix dictés sans leur consentement. Peu importe si cela se décide à Santiago où ailleurs, c’est un peu le même rouleau compresseur qui agit en tout lieu du globe et pille à tour de bras les richesses naturelles, et nous n'en mesurons pas vraiment les impacts à long terme.

Depuis le 12 juillet, ils étaient un peu plus d’une trentaine à vouloir que se termine cette double peine pesant sur les épaules d’un peu plus de 150 personnes en cette année 2010. Un premier accord la semaine passée avec une vingtaine de prisonniers était intervenu. Il restait 14 grévistes de la faim ayant franchi le cap des 90 jours d’abstinence. Il semble que leurs revendications ont été prises en compte, et clos partiellement un chapitre des violences politiques au Chili. Toutefois, il faut souligner que toutes les demandes n'ont pas été prises en compte et qu'à tout moment d'autres conflits de la même nature peuvent ressurgir. Les prisonniers politiques dans leur ensemble ne sont pas pleinement satisfait. Et ceux qui étaient incarcérés à la prison d'Angol ont arrêtés au 89ème jour pour des raisons humanitaires. Par ailleurs, ils ne voulaient pas mettre davantage en danger la vie des 14 autres "comuneros" en grève de la faim.

Concernant le traitement de l’information, cette lutte a fini par retenir l’attention des médias, et c’est en soit une bonne nouvelle. De plus, la pression internationale a tenu un rôle important, et le fort mouvement de mobilisation au Chili aura permis l’ouverture de négociations et un début de reconnaissance des populations mapuches et de leurs spécificités. Et espérons-le permettra de mettre un terme à la violence qui s’est abattue sur une minorité opprimée depuis au moins le coup d’état des généraux putschistes, il y a 37 ans de ça, et ainsi régulera mieux le dialogue entre les autorités civiles et de l'Etat.

Longtemps méprisée au sein de la société chilienne, la question Mapuche a franchi une étape historique. Ces « Indiens » qui n’en sont pas, les originaires ou natifs veulent surtout protéger certains de leurs fondamentaux et en une idée très respectable : le respect du vivant. Les mapuches que l’on trouve principalement au Chili et en Argentine ont les mêmes particularités que tous leurs frères de lutte peuplant le continent de nord en sud. Ils forment dans leur très large majorité des nations, c’est-à-dire bien plus que des constituants ethniques ou tribaux au regard de ce que l’on peut de temps à autre lire à ce sujet. Nous sommes au-delà d’une affaire tribale, mais face à des injustices qui au regard du droit international fait appel à une compréhension universaliste de ce type de situation.

Et c’est un peu là tout le problème, et en quoi le Chili même en ayant signé la Convention 169 de l’OIT (3) a traîné des pieds concernant l’application des textes internationaux. Ces dernières années, le gouvernement de Madame Bachelet a mené une politique brutale en assimilant des militants indépendantistes ou autonomistes à des terroristes, et en s’appuyant sur un arsenal de lois datant des restes de l’ancien dictateur Pinochet. Si les militants de la cause Mapuche n’ont assassiné personne. Du pouvoir chilien, il restera un bilan assez sombre, une répression injustifiable morts à l’appui, notamment de jeunes activistes.

Il en va de comprendre, non pas un épiphénomène culturel, mais une réalité très prégnante des populations originaires. Le terme «indien» pose un problème majeur, c’est un héritage linguistique espagnol datant de Christophe Colomb désignant de la  sorte les hommes et femmes vivant depuis toujours outre-atlantique, portant une confusion certaine et ayant aidé surtout à noyer dans la masse les problématiques amérindiennes. La question n’est pas obligatoirement de partager une cosmogonie commune, de vouloir singer les peuples originaires, mais de prendre en compte leurs aspirations et ouvrir un peu plus grandes nos oreilles sur cette communauté de destin qui s’ouvre à nous dans un monde ouvert. Internet offre la possibilité d’une meilleure circulation de l’information et cela change pour beaucoup certains repères.

Dans le cas des mapuches et plus largement des populations natives de l’ensemble continental, nous touchons là à une part de notre universel. Il en va de quel lien il est possible d’entretenir avec des cultures qui n’ont rien à nous envier, notamment en ce qu’elles peuvent nous apprendre sur notre monde dans la relation que nous entretenons avec les éléments naturels. Lévi-Strauss soulignait sur la question des savoirs, que les « sauvages » avaient pour connaissance, la maîtrise de plusieurs centaines de végétaux. Ce que le quidam moyen vivant en Europe ne possède pas vraiment sur les richesses naturelles, ou ses propres niches environnementales. Un savoir capital quand on sait les menaces pesant sur les écosystèmes un peu partout sur cette planète, et de l’importance de ces savoirs ancestraux qui tendent à disparaître du globe à une vitesse foudroyante.

Le combat des mapuches est à la fois exemplaire, et significatif parce que les habitants de l’Aurauco ont été tout simplement spoliés de leurs terres. Si, les mapuches semblent rejoindre les luttes écologiques contemporaines, en réalité ils disposent en ce domaine de quelques longueurs d’avance. Les nations amérindiennes amènent un autre éclairage sur le vivant et le nier serait une absurdité. Ce patrimoine universel, culturel et écologique peut donner sens et aussi poser quelques paradoxes à nos pensées cartésiennes. L’objet n’est pas de légitimer un ordre des différences, mais de comprendre ce qui pousser tout à chacun à comprendre des ensembles complexes et partager des savoirs essentiels à la survie du genre humain. Protéger les forêts, les cours d’eau, les réserves minérales ne sont pas des abstractions. Ce sont des biens vitaux. Et rendre sa dignité à des peuples meurtris ne relève pas d’un combat passéiste. 

Une bataille de gagnée n’est pas la fin de la lutte de la Nation Mapuche, il en va d’appliquer au mieux la Convention 169 de l’OIT (4) et l’on pourrait conseiller aux autorités chiliennes de se référer à ce qu’a pu faire en ce domaine le Canada avec les Inuits. Quand on aborde la question des peuples originaires du continent américain, on doit avant tout comprendre que l’on ne parle pas d’hommes et femmes d’un autre monde, leurs revendications en apparence lointaines n’ont que peu de différence avec les nôtres. Toutefois, il y en a une majeure pour la nation Mapuche, c’est un peuple que l’on a dépouillé de sa terre. Sa demande est de pouvoir en maîtriser ses ressources et selon des critères propres au respect de la vie, sous toutes ses formes. Cette demande est légitime, pour autant tout reste à faire. Nous devons ici et ailleurs rester attentif à ce qui se passe en Argentine et au Chili concernant les mapuches. Plus largement nous devons accompagner les peuples amérindiens à s’émanciper et à faire reconnaître leurs droits. 

Notes :

(1) Vidéos « liberté pour les prisonniers politiques mapuches » (Pantuana TV) :
http://www.dailymotion.com/video/xeuhj2_liberte-pour-les-prisonniers-politi_news

(2) Le collectif de soutien au peuple Mapuche en France est composé des associations suivantes : Fondation France Libertés, l’AFAENAC, le Collectif des Droits de l’Homme au Chili, MRAP, Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques - Nitassinan , l’association Terre et Liberté pour Arauco, et l'association Bizikleta.

(3) Texte de la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail
http://www.ilo.org/ilolex/cgi-lex/convdf.pl?C169

(4) Application de la Convention 169 par l’OIT :
http://www.ilo.org/indigenous/Conventions/no169/lang--fr/index.htm

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Vénézuéla : (In)sécurité



par Luis Britto Garcia, 8 oct. 2010

1.

La sécurité, comme le disait Montesquieu, est le premier de tous les bien, car sans elle les autres n’existent pas, et elle présente 2 aspects: elle-même, et la perception que les citoyens en ont. En exacerbant la perception d’insécurité, les mécanismes de panique et d’agression de l’esprit saurien sont déclenchés. C’est ainsi que l’on crée les fascismes. Pour se sauver il est nécessaire de désactiver cette perception

2

La presse publie des chiffres non-officiels selon lesquels le nombre d’homicides par an serait passé de 5 968 en 1999 à 13 978 en 2009. En mai 2009 wikipedia nous donnait un taux de 48 homicides pour 100 000 habitants par an ; ce qui nous plaçait en sixième position mondiale. Que veulent dire ces chiffres ? Les morts violentes dans des accidents de circulation y sont-elles inclues ? Les chiffres sont-ils pondérés par l’augmentation de la population de presque un tiers, passant de 22 millions d’habitants en 1999 à 28 835 849 en 2010 ? De toute façon, ces chiffres sont les indices d’un problème réel que nous devons analyser et auquel nous devons remédier, au lieu de le renier.

3

Les enfants nés et ayant été formés pendant le gouvernement bolivarien vont bientôt avoir 10 ans. Leurs crimes ne peuvent pas être plus importants que de voler le gouter de leurs compagnons de classe. Les statistiques des délits se basent sur des personnes nées et formées pendant la Quatrième République. Les défenseurs de la Quatrième République crachent contre le vent, puisqu’ils accusent les actes d’une génération qui a été formée pendant qu’eux même étaient au pouvoir.

4

Les difficultés de contrôler une frontière de plus de 2 000 kilomètres ont permis la pénétration de paramilitaires que nous dénonçons depuis un certain temps. Il y a 2 ans, le Président a reconnu que l’invasion était parvenue jusqu'à Caracas. Les infiltrés montent des cabales, supplantent la pègre, assassinent des dirigeants agraires et syndicaux, réduisent les communautés a la panique par d’horribles crimes et blanchissent leurs capitaux a travers des bingos, casinos, salles de jeux et maisons closes parrainés par les autorités les plus corrompues, immorales et nauséabondes. Selon le rapport 1998-2000 de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, la Colombie avait à cette époque un taux de 61,7847 homicides pour 100 000 habitants, le plus haut taux du monde et deux fois plus élevé que celui du Venezuela qui était de 31,6138 pour 100 000 habitants. Un ordinateur magique a par la suite réduit le taux de la Colombie a 37 et élevé le notre a 48. Ce sont des chiffres qui font réfléchir, vérifier, rectifier et agir.

5

Mais il ne s’agit pas d’un problème purement quantitatif. La présence d’organisations délictueuses avec une formation, une discipline et un financement militaire facilite une criminalité qualitativement différente. Les données que nous apportons au Seniat (Service National des Impôts au Venezuela) sur notre situation économique sont vendues le jour suivant par des colporteurs garce à ce qui n’est finalement qu’une base de données pour la sélection de victimes. Des délinquants avec de fausses cartes de l’administration tributaire inspectent les comptes d’un entrepreneur dont les enfants ont été enlevés ; des criminels en uniformes de policiers interceptent la voiture des malheureux. La téléphonie mobile et les distributeurs automatiques sont les instruments de nouvelles fraudes et de stratégies comme l’enlèvement express. Le vol de véhicules est entretenu par des réseaux de ferrailleries connus de tout le monde où la marchandise est recyclée et vendue en pièces détachées, et par des mafias de fonctionnaires qui falsifient leurs titres de propriété. Le Venezuela ne produit pas de drogue, mais des organisations supranationales tentent d’utiliser notre territoire comme voie de trafic. Les journaux colombiens obtiennent les confessions du trafiquant Hernando Gómez Bustamante (connu sous le pseudo de Rasguño, l’égratignure), détenu à Cuba et envoyé en Colombie, et dont l’ordinateur « pourrait contenir des preuves qui lient certains anciens chefs de l’AUC (Autodéfenses Unies de Colombie) détenus dans la prison d’Itagüí, à des activités de trafic de drogues postérieures au cessez-le-feu (El Colombiano, 23-3-2007, 8ª). «Rasguño» affirme dans ce journal que “Le Venezuela est le temple du trafic de drogue. Il y a une association de vénézuéliens, colombiens, brésiliens. Il est très facile de faire du trafic parce que la bas ils n’attrapent a personne. » Il s’agit d’une guerre formelle, contre un ennemi militaire ou militarisé. Avant de commencer cette guerre, il faut faire le ménage dans la maison.

6

Pendant ce temps, selon l’Organisation Panaméricaine de la Santé, à Cuba le taux d’homicides est de 0,0057 pour 1 000 habitants (641 personnes par an). Cela explique tout. On a recours à la violence pour obtenir ou conserver un bien quand les autres procédés ont échoué. Dans des sociétés ou une infime minorité accaparent les biens indispensables, la majorité dépossédée opte pour la violence ou l’inanition. Si le système de communication les convainc 24 heures par jour que seul celui qui possède vaut, la violence se convertira en valeur.

7

Face a la violence, dans des sociétés pleines d’inégalités, il faut faire attention aux remèdes qui sont pire que la maladie. Il faut éviter les opérations qui impliquent la détention massive de tout un quartier pour le seul délit d’être pauvre. Il faut recommander l’abandon des armes, mais que les neofascistes et les paramilitaires donnent l’exemple. Il faut accélérer l’intégration de la Police Nationale, qui convertit en un seul organisme coordonné la myriade de milices féodales aux ordres exclusifs des caudillos locaux. Le remède contre la délinquance est simple, mais amère pour tous ceux qui s’en plaignent. C’est exactement ce que l’opposition déteste : réparer l’extrême inégalité sociale.


Source : Luis Britto Garcia en Francés




Équateur : retour sur une tentative de putsch



Propos recueillis par Sophie Chapelle et Maxime Combes, le 6 octobre 2010

Que s’est-il passé lors de la tentative de coup d’État en Équateur, qui a fait vaciller l’un des gouvernements de cette « gauche latino » aussi diverse que variée ? Existe-t-il des similitudes avec les tentatives de renverser la présidence d’Hugo Chavez au Venezuela huit ans plus tôt ? Ou s’agit-il d’une simple contestation corporatiste qui a dégénéré ? Éléments de réponse avec Marc Saint-Upéry, journaliste et spécialiste de l’Amérique latine qui vit à Quito.

Que s’est-il passé ce jeudi 30 septembre en Équateur ?

Marc Saint-Upéry [1] : Le 29 septembre, le Parlement approuve une loi d’homogénéisation des salaires du secteur public impliquant la suppression de plusieurs primes accordées aux policiers et aux militaires. Des courriers électroniques et des tracts anonymes circulaient, semble-t-il, dans les casernes. Ils dénonçaient ce que les membres des forces de l’ordre considèrent comme une atteinte inadmissible à leurs avantages acquis. Alerté sur l’agitation régnant au sein d’un régiment de policiers de la capitale, le président de la République décide de se rendre en petit comité à la caserne en question. Il tente de convaincre les policiers des bienfaits de sa politique salariale et leur rappelle les augmentations considérables qu’il leur a accordées. Les policiers rebelles continuent à huer le chef de l’État. Certains mentionnent que le seul qui a vraiment fait quelque chose pour eux est l’ancien président Lucio Gutiérrez, un colonel élu en 2003 et déposé en avril 2005 par une rébellion civique à laquelle a participé Correa. Dans le style typiquement provocateur qui est le sien, le chef de l’Etat défie les insurgés : « Si vous voulez tuer ce président, faites le ! ». Les choses tournent au vinaigre et, au moment d’évacuer la caserne, le chef de l’État, qui souffre d’un problème au genou lui ayant valu plusieurs interventions chirurgicales, est violemment agressé, notamment par des policiers masqués. Il se réfugie dans la clinique adjacente du personnel de police, où il est soigné.

Quelle est la situation dans le reste du pays ?

Près de 40.000 policiers et quelques rares unités militaires se mettent en grève, bloquant routes et aéroports. Flairant l’impunité totale, la délinquance se déchaîne. La situation est particulièrement grave dans le port de Guayaquil, la ville la plus peuplée du pays. Des scènes de pillage, des dizaines d’agressions et des braquages s’y déroulent. Rafael Correa est ensuite « séquestré » pendant une demi douzaine d’heures dans la clinique de la police. Il y est en fait protégé à l’intérieur par une unité d’élite tandis que les policiers insurgés l’empêchent de sortir. Des négociations s’amorcent dans une ambiance de chaos. Pendant ce temps, le gouvernement impose un programme officiel unique à toutes les chaînes de télévision. Quelques petits milliers de manifestants descendent dans la rue pour défendre le Président. Le ministre de la Défense déclenche alors une intervention militaire qui se conclut par un combat très violent et la libération du chef de l’État dans la soirée. Le bilan des victimes est d’au moins huit morts et une centaine blessés.

S’agit-il d’une tentative de coup d’État à l’image de celui contre Hugo Chavez en 2002, ou de simples manifestations de mécontentement qui ont dégénéré?

Le coup d’État contre Chavez en 2002 s’est déroulé dans une ambiance de polarisation sociale et politique hystérique. Avec d’énormes manifestations des deux camps à Caracas, le soutien actif de presque tous les partis et personnalités d’opposition, des chambres de commerce, de secteurs importants de l’armée et de son état-major, de la majorité des médias privés, de la hiérarchie ecclésiastique et du Département d’État américain. En Équateur, aucun de ces acteurs ne s’est prononcé en faveur de la rupture de l’ordre constitutionnel. Malgré quelques mécontentements corporatifs latents, l’hostilité de l’opposition de droite et de certains groupes d’extrême-gauche, ainsi que la critique presque systématique mais pas vraiment séditieuse des médias, la situation dans le pays est beaucoup moins tendue. L’ Équateur de 2010 n’est pas le Venezuela de 2002. Reste que l’opposant de droite Lucio Gutiérrez a dénoncé depuis Brasilia – où il était présent en tant qu’observateur électoral – la « tyrannie » de Rafael Correa. Il est patent que des hommes de Gutiérrez et des individus infiltrés parmi les policiers ont joué un rôle dans cette affaire, mais il est difficile de définir lequel.

Quelles sont les hypothèses sur l’organisation du putsch ?

Selon l’une des hypothèses avancées dans les cercles officiels, les organisateurs de la déstabilisation comptaient sur un effet domino qui, en quelques jours, aurait mobilisé des unités importantes de l’armée, des secteurs de la fonction publique mécontents de la nouvelle loi et une partie du mouvement indigène, aujourd’hui en conflit ouvert avec le pouvoir. La majorité de l’opposition et des élites économiques aurait alors fini par se rallier ouvertement au mouvement. L’intervention impromptue de Correa aurait donc bouleversé leur plan et, paradoxalement, étouffé le complot dans l’œuf. Ce n’est pas dénué de sens. C’est bien là le modus operandi de certains mouvements de rébellion précédents. Je doute cependant que les conspirateurs aient pu parvenir à leur fin. Malgré certains mécontentements, le gouvernement jouit encore d’une forte légitimité. La cote de popularité de Correa tourne autour de 65%.

Certains évoquent une tentative d’assassinat…

D’autres disent qu’il s’agissait dès le départ de tuer le président, notamment à l’occasion d’un prétendu « feu croisé », pour créer le chaos et décapiter son mouvement, Alianza País. Ensuite, une alternative de gouvernement aurait pu s’élaborer via des mécanismes institutionnels ou des élections. Il est presque certain que Correa a été la cible de menaces de mort. Mais celles-ci sont surtout proférées à partir du moment où les policiers constatent que le président ne céderait pas à leurs revendications et que l’armée allait intervenir. Comment les conspirateurs pouvaient-ils savoir à l’avance que le chef de l’État allait venir les défier dans leur propre fief ? S’il n’y était pas allé, comment auraient-ils pu l’assassiner ?

Cette tentative de coup d’État a surpris à la fois les observateurs et le gouvernement. Que révèle-t-il sur la situation politique en Équateur ?

Le gouvernement prétend mener une « révolution » pacifique et construire une forme de « socialisme » assez peu défini. À mon sens, c’est plutôt une espèce de gouvernement « technocratique et jacobin » engagé dans une entreprise de modernisation capitaliste plus ou moins post-néolibérale, avec de forts éléments de redistribution sociale et de relance du rôle de l’État, mais aussi une forte dépendance du pétrole et d’autres produits d’exportation primaires. Le gouvernement Correa incarne à la fois une forme de rupture avec les gouvernements précédents - davantage de transparence, présence de jeunes technocrates progressistes et de personnalités liées aux mouvements sociaux... - tout en maintenant certains facteurs de continuité, avec le personnel politique des régimes antérieurs ou la subsistance de vieilles pratiques d’accumulation de pouvoir, voire de gestion de négoces et de prébendes. Le tout sous la direction d’un président jeune, intelligent, dynamique et charismatique, mais non dépourvu d’arrogance messianique. Le style agressif et provocateur de Correa agace non seulement ses opposants, mais aussi une partie de ceux qui l’ont soutenu. L’opposition politique est dispersée et sur la défensive. Les grandes lois régulatrices susceptibles d’affecter les intérêts de certaines élites économiques n’ont pas encore été votées. L’accumulation, dans certains secteurs, de ressentiments et de frustrations est bien réelle, mais trop limitée et dispersée pour mettre en danger l’hégémonie de la « révolution citoyenne ». Cela n’a toutefois pas empêché un secteur passablement aventurier de l’opposition de droite de tenter de capitaliser certains mécontentements dans une sorte de « lumpen-putsch » étrangement mal organisé.

Comment ont réagi la population et la société civile ? Qu’en est-il du mouvement indigène, qui a par le passé joué un rôle clef dans le départ d’anciens présidents?

À l’exception de certains députés de droite, proche de Lucio Gutiérrez, de certains secteurs syndicaux contrôlés par un parti d’origine maoïste en rupture radicale avec le gouvernement et, semble-t-il, d’une fraction régionale du mouvement indigène, tous les secteurs organisés, des mouvements populaires aux organisations patronales en passant par le maire de droite de Guayaquil et l’état-major de l’armée, ont manifesté leur refus de la rupture de l’ordre constitutionnel. La question de savoir qui est plus ou moins sincère n’est guère pertinente, ce soutien formel est un fait politique majeur en soi. Le parti Pachakutik, bras parlementaire du mouvement indigène a demandé de façon virulente la démission du président et la constitution d’un front national contre son « autoritarisme » et son « attitude dictatoriale ». Mais la puissante Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE), au terme d’un débat long et houleux, a réaffirmé son opposition politique au gouvernement tout en dénonçant fermement ce qu’elle considère comme une tentative de coup d’État de la droite. Dans la rue, les mutins n’ont pratiquement pas réussi à mobiliser au-delà de familles de policiers et de quelques groupes étudiants liés aux maoïstes. Du côté du gouvernement, les manifestations sont loin d’avoir été très massives, mais elles ont suffi à remplir la place du palais présidentiel et les rues adjacentes à la clinique de la police. Donc à étayer le sentiment de légitimité du pouvoir.

À quels défis sont confrontés Rafael Correa et son gouvernement après ces événements ? Correa affirme que ce qui s’est passé ne sera « ni oublié, ni pardonné ». Qu’est-ce que cela signifie?

Le président va probablement essayer de capitaliser sur ces évènements pour revendiquer encore plus fortement sa légitimité, défier l’opposition et resserrer les rangs au sein de ses propres troupes. On y constate parfois certains flottements, en particulier au niveau du Parlement. Il n’est pas dit qu’il y parvienne totalement. Sur le plan juridique, la chose est assez délicate. Qui peut-on considérer comme les auteurs intellectuels ou matériels d’un soulèvement policier assez généralisé mais aux objectifs hétérogènes ? Pour l’instant, trois colonels ont été arrêtés puis remis en liberté surveillée. Le gouvernement vient d’annoncer une augmentation substantielle des soldes. Certains proches du pouvoir signalent la présence parmi les insurgés de personnages obscurs et mal identifiés, peut-être liés au monde du renseignement policier et militaire et du narco-trafic, peut-être avec des accointances colombiennes. Or dans un pays comme l’Équateur, purger la police est à la fois justifiable et nécessaire, mais c’est aussi prendre le risque de fournir des recrues à des formes particulièrement redoutables de criminalité paramilitaire.


Note :

[1] Auteur de Le rêve de Bolivar. Le défi des gauches sud-américaines, La Découverte, 2007.




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