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VENEZUELA, une fin d'année difficile...

1 -  Chronique d’une défaite annoncée ou les ratés d’Hugo Chavez?

2 -  La démocratie vénézuélienne n'est pas en danger,
&    Penser l'après Chavez, Benito Perez
3 -  Le Venezuela à l’épreuve du socialisme ?
4 -  Bourbons d’Espagne et vérités difficiles à entendre
5 -  Petits calculs pétroliers, Jean-Luc Crucifix
6 - L’économie vénézuélienne sous Chavez, Luis Sandoval et  Mark Weisbrot

Amérique Latine

archives
des articles 2007

Sommaire :
4ème partie



Chronique d’une défaite
annoncée...
ou les ratés
d’Hugo Chavez ?


Lionel Mesnard, le 6 décembre 2007

L’ampleur de la désinformation est un élément inquiétant pour les démocraties. C’est une véritable lame de fond et elle emporte tout équilibre de la pensée. L’exemple vénézuélien est à ce titre à la fois rageant et révélateur. Rageant, parce que tout citoyen a droit à une information au plus fiable et qu’en ce domaine il y a formatage des esprits. Révélateur en raison des nouveaux équilibres politiques du monde et d’une presse vide de toute analyse. Toutefois des plumes tentent de mettre un peu de raison, elles ne sont pas nombreuses. Ce qui domine ce sont des attaques sans fondements. Elles partent généralement de l’opposition la plus radicale et atterrissent comme par enchantement dans les médias francophones, et plus exactement à l’échelle planétaire.

Le phénomène interroge fortement, même si il est à pondérer selon les pays, en France nous avons un problème épineux. C’est un cancer pour la démocratie dont on commence à mesurer les dangers. Car si je prends certains arguments concernant Hugo Chavez, je pourrais affirmer que nous vivons dans l’hexagone dans «une dictature» (concentration des pouvoirs économiques, médiatiques et politiques). Si nous faisions une comparaison des deux constitutions, la nôtre ne dispose pas de réels contre-pouvoirs et ne délègue pas grand-chose en matière de responsabilité citoyenne autre qu’un bulletin de vote. Le protagonisme est une donnée absente, et les embryons de pouvoirs citoyens comme les conseils ou comités de quartier sont entièrement contrôlés par les élus. De plus nous avons un ministère de l’immigration qui organise la chasse aux faciès et tente d’éthniciser le peuple français, normalement la République «est une et indivisible».

À regarder de près la cinquième République du Venezuela s’est empreint de certains mécanismes propres aux institutions françaises, à pas mal de ses références. Si l’on reprend certaines terminologies administratives, on peut y voir  des similitudes, mais le cœur du pacte entre la nation et son peuple ne sont certainement pas aussi monarchiques que les nôtres.  Chavez n’est pas bolivarien par hasard et préfère pour des raisons évidentes un système centralisé. L’histoire du Venezuela sait à quoi a abouti la régionalisation, c’est-à-dire construire des petits états concurrents avec des potentats à leur tête. Il a choisi par exemple de déléguer du pouvoir aux structures de base, pour faire en sorte que les financements arrivent où ils sont nécessaires et n’atterrissent pas dans les poches de quelques élus, oligarques ou fonctionnaires véreux.
 
Je ne vois pas vraiment pour Hugo Chavez une grande catastrophe avec l’échec du oui à la modification de la constitution, un raté tout au plus, comme fut sa tentative de présenter son pays au Conseil de Sécurité de l’ONU en 2006.  En réalité c’est une preuve de plus des forces vives et démocratiques, et de ce que chaque journaliste souhaiterait faire de ce pays. Dans 95% des articles soit tout est noir, soit tout est tout blanc, en réalité tout est gris. Dans le cas du scrutin référendaire du 2 décembre, Hugo Chavez a fait peur à son aile «sociale-démocrate» prise en tenaille entre les ultras des 2 camps. Si les arguments de l’organisation PODEMOS avaient pu être un peu moins méprisé et pris en compte, et ses représentants dénoncés comme des «traites», il n’aurait pas manqué au final entre 130.000 voix et 200.000 voix (pour un peu plus de 9 millions de votants).

Les défis à ne plus contourner


La quatrième République n’a jamais pu vraiment construire un état de droit, la nation vénézuélienne malgré cette évidence est restée engluée face aux questions de corruption, faute d’une justice efficace.  J’ai entendu sur place des inepties du genre, «il faut faire deux ou trois exemples». Car beaucoup savent qui vit grassement du détournement des richesses du pays, ou qui sont, les élus, les fonctionnaires et entrepreneurs ne respectant pas la légalité. Selon un bon vieux proverbe français, il n’y a pas de feu sans fumée. La justice doit pouvoir s’exercer face à tous les délits, sinon c’est comme un instrument au service d’une justice de classe, et ce sont les milieux populaires qui en paient la plus lourde charge. La loi est une colonne vertébrale et si elle s’affaisse le corps social dans son entier en est victime. À Cela, on peut y joindre la question douloureuse de la violence, qui se trouve également en rapport avec le deuxième défi de Chavez. Son premier défi est de s’attaquer aux fondements d’un état de droit social, la loi doit s’appliquer pour tous et sans exception.

Le deuxième défi, réside à savoir changer le monde urbain et en particulier le devenir de Caracas (cela va de concert pour d’autres métropoles du pays).  Sa croissance est de 200.000 habitants supplémentaires par an. À ce rythme, les caraquéens feront face à des déséquilibres sans cesse croissants, en raison notamment de la concentration des pouvoirs économiques et politiques, facteurs évidents d’un afflux de nouveaux habitants en quête de travail.  Paradoxalement elle est moins bien dotée ou soutenue que le monde rural, c’est une des capitales dans le monde disposant d'une des densités les plus faibles par habitant. Avec une augmentation de 20.000 voitures par an en 2006, elle est particulièrement anxiogène, polluée et consacrée plus à la circulation automobile, qu’au déplacement du piéton. La pollution sonore y atteint des records, les services publics de l’entretien sont trop souvent défaillants, et, en certains lieux, cela croule sous les déchets, et l’eau et le gaz font défaut, quand les terrains ne s’affaissent pas en période de grosses intempéries.

C’est au cœur du quotidien qu’il faut (ré)engager la révolution. Il importe de combattre toutes ces petites et grosses injustices qui au final pèsent lourd. La violence se conjugue  sous diverses formes et Caracas encore pour exemple détient un triste record celui d’être la troisième ville la plus en proie à la criminalité sur le sous-continent américain, après Sao Paolo et Rio au Brésil. Sachant que la criminalité sur le continent est sans nul rapport avec ce que nous connaissons en Europe (de l’ordre de un à seize si l’on établit une échelle de la violence d’un continent à l’autre).

Plus d’une centaine d’homicides, à Caracas, en fin de semaine n’a rien d’exceptionnel en période de fêtes. L’alcool et la circulation des armes sont des éléments importants, tout comme des systèmes mafieux agissants en particulier dans les régions. La réforme des polices est un sujet brûlant mais essentiel. Une fois de plus c’est un reste de l’ancien président Carlos Andres-Perez, qui a eu pour idée géniale de supprimer la police nationale, créant ainsi de multiples polices. Ces polices sont un des rouages les plus corrompus au Venezuela et il est temps d’y mettre une énergie certaine à réformer de fond en comble.

Socialisme un débat ouvert et à ne pas clore


Pour ce qui est du socialisme, le débat s’ouvre, et il doit vraiment tenir compte des erreurs commises au 20ème siècle mais aussi tenir compte des résistances actuelles. Ce qui n’empêche nullement de procéder à des réformes comme la réduction du temps de travail. Il manque là aussi une construction, qui procède à penser la réduction du temps de travail en rapport avec l’évolution de la productivité, et aussi de procéder à des aménagements selon les besoins de la production (lire André Gorz ou se référer au travail de Dominique Taddéi sur ces questions). La couverture sociale universelle est aussi à mettre en œuvre, cette réforme serait un grand pas vers un grand service public de sécurité sociale. Il y a de quoi largement rassurer les petites classes moyennes, les voix qui ont manqué le soir du 2 Décembre. 

Mais le socialisme demande une élaboration idéologique, et point primordial une réflexion sur le pouvoir. Oui certes, il y a Marx, mais pas seulement, le vingtième siècle a été façonné par quelques grandes intelligences. Freud, Einstein, Gandhi, Mandela comme figures universelles ont contribué à penser le monde en d’autres termes. À Chavez de savoir ce qu’il veut laisser à l’histoire de notre humanité présente et fuure. Il ne sera jamais le socialisme à lui tout seul et ne doit pas reproduire certains travers. Soit il évolue comme il a su faire à plusieurs fois, soit il recommencera les mêmes erreurs et dans ce cas en 2013, il ne restera que des larmes sur nombre d’illusions à ses partisans.

Le pouvoir n’est pas une fin en soit, et il temps de tenir compte des erreurs et se soucier un peu moins des apparences mais plus du fond. Chavez, tout comme Sarkozy, Uribe, Bush, Poutine abusent de la société du spectacle. Et ce système qui condamne l’intelligence critique à de quoi nous inquiéter. Moins de causerie s’impose, et le Venezuela aura toutes les chances de voir son «Phénix renaître de ses cendres». Il reste cinq années de plein exercice pour consolider les réformes et construire un appareil productif au niveau des nations occidentales. Et engager cela va de soit les perspectives d’une société alternative face au modèle économique dominant.

Il n’y a pas vraiment de quoi chômer, sauf à remettre de l’humain dans la machine sans le broyer. Hugo Chavez a su conquérir les plus déshérités parce que son travail a consisté à répondre au quotidien des gens. Aujourd’hui, il doit se soucier de leur émancipation. Il peut servir d’exemple et susciter à ce que tout le monde prenne part efficacement aux changements. Je sais que le terme n’est plus vraiment de vogue, mais le socialisme a laissé une belle idée. L’autogestion fait appel à la responsabilisation de tous, à ce que nous soyons plus dépendant uniquement des pouvoirs centraux ou bureaucratiques.  Cette direction est la seule crédible quitte à passer pour un gauchiste arriéré. C’est totalement à contre courant, mais à force de s’en remettre à un sauveur suprême on en connaît l’issue.

Même si je m’accroche à une perception peu optimiste, je garde un léger espoir. Il serait temps d’ouvrir les yeux et sortir un peu de nos nuages, ou de faire de la politique pas comme tout le monde. La politique est une chose trop sérieuse pour la laisser à nos seuls élus, le fonctionnement du politique est en cause. Je ne peux expliquer en quelques lignes une conception économique qui met l’Homme au centre des enjeux, car se profile des transformations écologiques plus que menaçantes et qui prendront effet plus rapidement que prévu. Nous devons inventer ou nouvel art de vivre ensemble et dépasser certaines impulsions. Ras le bol de ces théories comploteuses, nous sommes en présence de mécanismes d’une très grande complexité, «des systèmes observables» pour simplifier. Le simplisme n’est pas de mise, mais je ne vois toujours pas poindre un vrai débat entre le monde des sciences et le politique, autre que celui de favoriser les armées et armements de la planète, voire le marketing...

Le prisme culturel me questionne, il en dit beaucoup mais il ne répond à rien, il fragmente au lieu de rassembler l’Homme en une humanité pensante. Peut-être est-ce un nouvel humanisme que certains cherchent à penser?  Il n’y a pas d’homme nouveau à présumer et le terreau philosophique n’est pas d’une très grande fiabilité. Du marxisme en fait, il ne reste plus grand-chose, sauf une bouillie. Définir un nouveau socialisme passe néanmoins à travers une analyse historique, une critique du capital et des phénomènes religieux et la prise en compte des aspirations sociales à un mieux être.

Mais c’est insuffisant pour comprendre les blocages, en particulier les conséquences de l’inhibition de l’action. Oui nous aspirons tous aux bonheurs, mais oublions à quelle économie nous répondons. Finalement, peu importe  le lieu de la planète, c’est un défi de l’altérité au service de l’intelligence critique qui s’offre à nous. De nos erreurs essayons d’en faire une force et c’est ainsi que tous nous nous relevons de nos échecs.




Venezuela: penser l'après-Chávez

*

 La démocratie vénézuélienne n'est pas en danger

2 articles de Benito Perez, 4/12 et 30/11/ 2007


Venezuela: penser l'après-Chávez : Pari perdu pour Hugo Chávez. La réforme constitutionnelle voulue par le président vénézuélien a été rejetée dimanche de justesse par le peuple. Le choc est rude, après neuf années de faciles victoires électorales. A peine un an après sa réélection jusqu'en janvier 2013, Hugo Chávez avait choisi de rejouer son va-tout dans les urnes. Disposant d'une écrasante majorité au Parlement, le président aurait pu avancer gentiment – de loi en loi – vers son modèle de socialisme démocratique «du XXIe siècle». Mais s'attendre à une telle stratégie, c'était méconnaître le personnage, ses ambitions politiques et l'idée qu'il se fait d'une fonction présidentielle organiquement liée au peuple. 

Dans un vaste «paquet» constitutionnel, Hugo Chávez avait rassemblé une série de mesures qui visaient autant à institutionnaliser son bilan passé («Missions»[1], nationalisations, coopérativisme) qu'à mener de nouveaux projets ambitieux, tels que l'instauration d'une protection sociale universelle ou l'obligation pour l'Etat d'assurer la sécurité alimentaire. La réforme prévoyait en outre de diffuser le pouvoir à la base – les Conseils communaux participatifs – et, parallèlement, de renforcer les prérogatives de l'exécutif national. 

Habitués aux référendums, les Suisses savent à quel point l'élaboration de ce type de «paquet ficelé» est périlleuse. Additionnant les oppositions sectorielles à celles de la droite, la réforme proposée par Hugo Chávez a également suscité des doutes chez certains de ses électeurs habituels. La hausse de l'abstention (44%, contre 25% en 2006) témoignerait de ce scepticisme face aux nouveaux pouvoirs qui devaient être conférés au chef de l'Etat ainsi qu'à sa possible réélection jusqu'en 2020. De ce point de vue, l'échec de dimanche pourrait paradoxalement offrir une nouvelle dynamique au camp bolivarien. 

A moins qu'elle ne s'entête à instaurer la réélection illimitée, la gauche vénézuélienne est appelée à se réinventer hors de sa figure tutélaire. Les difficultés ne manqueront pas, dont le risque de voir les cinq dernières années du mandat d'Hugo Chávez tourner à la guerre de succession, mais l'enjeu en vaut la peine. L'autre crainte serait de voir un gouvernement, apeuré par l'échec, geler les projets les plus radicaux de sa réforme constitutionnelle. S'ils devaient être réactivés, le passage à la journée de travail de six heures ou l'expropriation des grandes propriétés terriennes, par exemple, se heurteront à une opposition requinquée et à la difficulté de «lire» la volonté populaire derrière le rejet du «paquet» constitutionnel... Mais, là aussi, la prise de risque est nécessaire: toute stagnation du processus bolivarien signifierait un recul de l'espoir populaire qui le porte. 

La mission n'est de loin pas impossible. Car si elle a remporté sa première victoire dans les urnes, l'opposition vénézuélienne en sort paradoxalement affaiblie. Son principal fonds de commerce est plus qu'entamé: qui pourra encore décemment croire qu'un président élu démocratiquement qui reconnaît une défaite électorale est un dictateur?

Note : 

[1] Affectation des revenus pétroliers à des projets sociaux, éducatifs et sanitaires.

Source : http://www.lecourrier.ch/index.php?name=NewsPaper&file=article&sid=438137


photo : Agence ABN



La démocratie vénézuélienne n'est pas en danger :
Peu avant la disparition de la IVe République française, qui allait déboucher sur un renforcement constitutionnel des pouvoirs présidentiels, Charles de Gaulle avait manié l'ironie pour apaiser les craintes d'un journaliste sceptique: «Croit-on qu'à 67ans je vais commencer une carrière de dictateur?» avait rabroué l'ancien militaire, avec son légendaire sens de la formule. Mais, en 1958, le général français était bien loin d'affronter la quasi-totalité de la médiacratie internationale, qui instruit aujourd'hui le procès d'Hugo Chávez et de sa réforme constitutionnelle.

Pour les adversaires du président vénézuélien, la Charte fondamentale proposée ce dimanche en référendum serait la «preuve» enfin révélée du caractère «dictatorial» qu'ils prêtent depuis des années à Hugo Chávez. Si la réforme était acceptée, assurent-ils, le chef de l'Etat vénézuélien concentrerait des pouvoirs semblables à ceux de son ami cubain Fidel Castro. «Un modèle d'Etat socialiste, marxiste-léniniste, étatiste est contraire à la nature de l'être humain parce qu'il établit la domination absolue de l'Etat, restreint la liberté personnelle et la liberté religieuse, et cause une très grave détérioration de l'économie, provoquant une pauvreté généralisée», avertit par exemple la Conférence épiscopale vénézuélienne.

On frémit. Pourtant, en épluchant les soixante-neuf nouveaux articles mis au suffrage, on ne trouve guère d'indices de la «dictature du prolétariat» annoncée. A contrario, le nouvel article115 définit et garantit expressément la propriété privée au même rang que trois autres types de possession (sociale, publique et collective)...

Le fonctionnement des institutions n'est pas davantage bouleversé. L'exécutif voit certaines de ses attributions renforcées, notamment en matière de gestion territoriale ou d'état d'urgence, dont l'application est élargie, afin de répondre à des tentatives de déstabilisation comme celles subies en 2002 et 2003. Mais on note aussi un processus de décentralisation du pouvoir, avec la création d'institutions communales participatives. Autre avancée démocratique: le retour de la Banque centrale dans le giron des pouvoirs publics.

Quant aux «libertés personnelles» invoquées par les évêques, elles semblent particulièrement choyées. La nouvelle Constitution prévoit ainsi de réduire la journée de travail de huit à six heures à l'horizon 2010 et d'instaurer une protection sociale au bénéfice des travailleurs indépendants, soit la majorité des actifs. Des dispositions attendues avec impatience par la population et qui expliquent certainement les difficultés des anti-Chávez à faire campagne sur le texte soumis au vote. A une exception: le très symbolique article230 qui allonge le mandat présidentiel à sept ans et ouvre la possibilité, pour un sortant, de se représenter devant les électeurs.

«Présidence à vie» déguisée, accuse l'opposition, relayée avec force par les médias internationaux. En particulier en Europe, quand bien même une dizaine de pays du Vieux-Continent connaissent la non-limitation du nombre de mandats –à l'instar de la France– sans pour autant disposer d'un référendum révocatoire comme au Venezuela...

Il est particulièrement pathétique de voir les commentateurs politiques d'outre-Jura «s'inquiéter» dans une belle unanimité qu'un président «autoritaire» et «populiste[1]» «conduise son pays avec le doigté habituel des dictateurs[2]», alors qu'il soumet un changement constitutionnel au référendum populaire. Des médias qui, en même temps, saluent la volonté de Nicolas Sarkozy de faire adopter par la seule Assemblée nationale une Constitution européenne rejetée il y a deux ans par le peuple français... 

Que le processus de transformations sociales mené au Venezuela provoque des réactions à la mesure des enjeux et de la personnalité impulsive d'Hugo Chávez n'a rien d'étonnant. Mais l'outrance de la critique disqualifie ceux qui la portent. Une remarque qui vaut également pour Hugo Chávez, dont les diatribes assénées à ses adversaires («traître», «diable», fasciste»...) contribuent aussi à figer le débat autour de positions caricaturales.

C'est d'autant plus regrettable que l'option prise par le leader socialiste de renforcer les pouvoirs présidentiels afin d'accélérer ou, au besoin, de défendre «sa» Révolution aurait mérité un vrai débat critique au sein du camp progressiste, au Venezuela comme à l'étranger. Pour notre part, cette concentration des pouvoirs ne nous paraît ni souhaitable ni nécessaire. Pas plus que de rendre le projet bolivarien d'émancipation populaire dépendant d'un seul homme, fût-il Hugo Chávez.

Notes : [1] Le Monde du 20 novembre.  [2] Le Figaro du 23 novembre

Source : http://www.lecourrier.ch/index.php?name=NewsPaper&file=article&sid=438116





Le Venezuela :
à l’épreuve du socialisme?



Lionel Mesnard, le 17 novembre 2007

Le 2 novembre 2007, l’Assemblée Nationale du Venezuela a approuvé les 69 articles modifiant la constitution de la République Bolivarienne. Il devrait suivre un referendum populaire sur l’approbation des articles en question le 2 décembre prochain. Un mot n’échappera à personne, cette constitution sera « socialiste » en plus de son appellation en référence à Simon Bolivar. Si bien sûr une majorité de vénézuéliens se prononcent en faveur d’un changement constitutionnel, cette nouveauté va provoquer un tollé politique et journalistique mondial. En l’état, rien n’est joué, mais les articles de la presse dominante ou cybernétique faisant part de ce choix commencent à donner le la de la «tentation totalitaire» (1). Il y aurait comme un aveuglement pour certains à soutenir un processus socialiste de transformation sociale, économique et politique au Venezuela?

Le socialisme renvoie à l’idéologie mise en pratique du temps du glacis soviétique avant 1989. À juste raison, il peut naître un sentiment de peur, mais nous nous éloignons de la raison. Nous ne pouvons analyser dans les mêmes faits, l’histoire de l’URSS, aujourd’hui disparue, et ce qui se déroule en Amérique Latine. Certes nous avons le cas cubain, mais il ne faut pas prendre cette exception continentale pour la règle commune. Les mouvements «marxistes» sur le continent américain n’ont jamais eu les mêmes capacités et le même devenir historique qu’en Europe. On peut chercher des comparaisons, des relations, mais dans l’ensemble il ne faisait pas bon de se réclamer d’une idéologie du progrès et du partage outre-atlantique. À ne pas étudier l’Amérique dans son entier politique et historique revient à ne pas comprendre grand chose des peuples qui y vivent, encore moins de ce que furent leurs luttes et ce qui fit abondamment coulé le sang de 1492 à nos jours.

Même si les disparités sont grandes entre un canadien et un argentin, il existe une communauté de devenir qui nous échappe en Europe. Nous avons trop tendance à regarder notre histoire en posant une grille d’analyse qui vaudrait à l’ensemble du genre humain, et sans tenir compte de toutes les mémoires historiques, et ce qui échappe à «l’histoire officielle». Appréhender véritablement l’Amérique, c’est lui reconnaître toutes ses facettes, ses paradoxes, c’est chercher à comprendre comment s’est constitué le continent de nord en sud.


L’anti-américanisme est un non-sens


Il y a avant tout à saisir, que l’«américain» ne se résume pas aux seuls étasuniens. C’est un peu comme si nous assimilions l’Europe entière au destin des seuls anglais, français ou allemands… Du moins l’image que nous en avons ne correspond pas aux visages des populations, le trait fort est un savant mélange de culture européenne, africaine et des premières Nations (peuples amérindiens). Nous sommes face à 900 millions d’habitants dont environ 385 millions d’hispanophones pour environ 325 millions d’anglophones (plus 175 millions de lusophones et 15 millions de francophones). La plupart des langues d’origine ont disparu ou sont très menacées, la Bolivie est un des rares pays ou subsiste 2 langues natives (le quechua et l’aymara) pour un peu plus de la moitié de la population.

Comment ignorer les volontés hégémoniques et militaires qui ont eu cours au 20ème siècle ? Qui peut nier l’impérialisme étasunien et le rôle de la doctrine de Monroe dans cette réalité panaméricaine de construire une seule voix pour  les Amériques? Il n’existe pas de nations latino-américaines n’ayant pas connu d’interventions directes dans ses affaires politiques ou économiques. Qui peut encore nier les soutiens pas si lointain à des régimes fascistes au nom de la lutte contre le communisme? De nos jours, il s’agit de lutter contre l’axe du mal, d’imposer de la même manière à l’échelle du monde une idéologie impérialiste.

Jamais les USA ne seraient devenus si puissants, si sa politique extérieure ne l’avait pas conduite à reprendre les jougs de la domination espagnole, et les leviers économiques mis en place par les britanniques.  Se sont sur les ruines des colonies du royaume d’Espagne et dans les pas des intérêts de la Grande-Bretagne, que se dessinera une politique de domination sans égal. Au vingtième siècle, de Théodore Roosevelt à Georges Bush, hormis la parenthèse du président Franklin Delano-Roosevelt, les conservateurs comme les démocrates  imposeront une doctrine de fer à l’ensemble des nations du sud. Toute tentative politique d’échapper au bloc continental se traduisait par l’élimination de l’opposant au pouvoir ou des oppositions nationalistes ou socialistes, pire révolutionnaire. Il ne fallait en aucun cas toucher à un système si juteux et inégal dans la répartition des richesses. Les plus values qu’ont pu enregistrer les groupes de négoces ou les multinationales US ont permis l’enrichissement et la domination d’une nation au détriment des autres. La superpuissance des Etats-Unis n’existerait pas si elle n’avait pas préservé sa chasse gardée, aujourd’hui une partie de ses ouailles cherchent à s’en libérer.

Le plus symbolique est la question linguistique, la langue dominante n’est plus l’anglo-américain, les hispanophones sont les plus nombreux et actuellement aux Usa, 40 millions, soit 10 à 15% de la population est d’origine latino-américaine. Je me suis souvent interrogé sur «l’anti-américanisme», et en quoi ce mot pouvait comporter comme erreurs dans la bouche d’un européen lambda. Je ne me suis jamais reconnu dans un système consistant à amalgamer une critique du système dominant et un peuple, étasunien soit-il. Il ne faut pas confondre les gestionnaires d’une mécanique, c’est-à-dire les gouvernants ou politiques et le reste de la population. Le premier constat à poser est que «l’Américain», sous-entendu sur le vieux continent, n’a plus vraiment le reflet du «cow-boy» mais celui du paysan andin ou du travailleur migrateur d’Amérique centrale. C’est beaucoup moins romantique…


Depuis le début des années 2000 un tournant s’est engagé

Personne ne pouvait vraiment envisagé qu’une nation de nouveau se déclarerait  «socialiste». Ce n’est pas une décision à la légère et mérite d’abord d’être resitué dans son contexte, mais aussi de s’interroger si cette idée est vraiment opportune? Si l’objet est une redistribution des pouvoirs, un meilleur contrôle des centres de pouvoirs, et la construction d’une économie solidaire. Si ce socialisme de plus s’exerce dans des règles démocratiques, pourquoi préfigurerait-il d’un nouveau totalitarisme? La reconduction de Chavez à la tête de l’État vénézuélien est un élément mineur de cette réforme, et le mode de révocation à mi-mandat n’est pas remis en cause. L’important est de résister aux pressions extérieures et engager une réforme de l’État, les missions deviendraient ainsi un outil étatique d’intervention, permettant de clarifier le rôle et les fonctions de ces organismes de soutien à caractère universel (elles sont nées lors du dernier mandat présidentiel). Les missions ne pouvaient échapper à une réorganisation, à une telle échelle d’implication, elles ont toutes leur place au sein des services publics.

Les pouvoirs grandissants du président Hugo Chavez posent toutefois un problème, et par ailleurs ce n’est pas en réduisant la semaine à 36H00 de travail que pour autant, l’on devient «socialiste». Le socialisme n’est pas l’enjeu d’un individu, personne en soit n’est propriétaire de cette idéologie. Certes, certaines mesures sont empreintes de la maison commune, mais j’ai peur que le socialisme ne soit vraiment à l’ordre du jour, même si on l’emmitoufle dans un vaporeux discours sur la transition. Le mode suivez-moi nous allons construire une autre société, ne marche pas vraiment au Venezuela, pas plus qu’ailleurs. Plus que les dangers, je me méfie de l’affichage et du culte de la personnalité du leader vénézuélien. On ne fait pas la refonte du socialisme en quelques années, du moins, l’on prouve que l’action collective est plus forte que l’individualisme en cours dans le camp chaviste. En ce domaine, je ne suis pas totalement myope et je crains des lendemains qui déchantent.

Si le socialisme est une évidence, il ne se proclame pas, il se construit. Et, l’on ne passera pas de l’économie libérale à une économie socialiste sans une meilleure prise de conscience des enjeux collectifs. À contrario, il n’y a pas un dogme interdisant de se penser et d’agir en tant que socialiste. Je crois surtout que l’on confond avec le républicanisme, cette empreinte particulière toujours aux limites du social sans en construire un contrat du même nom. À moins d’un mois du référendum sur les articles modifiant la constitution de la République Bolivarienne, je m’interroge sur la pertinence de cette réforme. Si j’étais vénézuélien que ferais-je?  Je ne le suis pas, toutefois j’ai un doute et j’ai l’impression que quelque chose ne suit pas. Je crains qu’Hugo Chavez n’aille un peu vite en besogne. Je partage sa perception à long terme, mais est-il conscient du fossé à résoudre?

Il fait état d’une transition vers le socialisme, mais il ne tient pas compte d’une société à mille lieu de l’enjeu. J’ai peur que ne vienne qu’un vernis de socialisme, les réformes de structures vont certes transformer la donne politique, mais il risque d’y avoir un grand absent, la redistribution des pouvoirs économiques et sociaux. Quoi qu’on dise sur le Venezuela, sa révolution a les atours d’une grande surface commerciale où chacun y fait son marché. On peut saluer les évolutions intervenues ces dernières années, mais en huit ans, on ne change pas une société ayant subit une dépendance extérieure forte depuis quasiment sa création.

Il existe trop de contradictions entre le discours et les réalités, le régime bolivarien est certes de gauche et progressiste, mais le pays est bel et bien capitaliste et vit à corps perdu dans l’illusoire de la consommation. Et pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, le socialisme, ça ne se décrète pas. À contre-exemple, Cuba est bien plus disposée à devenir une société socialiste que le Venezuela…  Je m’entends par le niveau scolaire et culturel des cubains, et non au fait d’un article de loi. Quand il existera des millions de «Chavez» en mesure de s’émanciper du système nous pourrons nous satisfaire d’une avancée vers le socialisme. Pour le moment, tout tourne autour d’une personne et va à contresens d’une émancipation future du pays et de ses citoyens.


Les défis du Venezuela


Difficile de savoir à l’avance ce qui peut advenir du Venezuela, ce qu’il importe de saisir c’est la nature des défis à entreprendre. Ils sont nombreux, colossaux, et ils se résoudront seulement si, - il y a une prise de conscience collective des enjeux (si j’insiste!). Redéfinir les bases du socialisme est une question vitale, et pas simplement pour les Vénézuéliens. Rendons un hommage clair à ce peuple en mouvement. Il a ouvert une nouvelle brèche, là où depuis l’écroulement du mur de Berlin nous contemplions les ruines d’un système totalitaire, et subissions en contrecoup un système inégalitaire. Toute réflexion idéologique semblait caduque, limitant nos champs à analyser le versant Rhénan ou anglo-saxon du capitalisme.

Le tout finissant par ne faire qu’un système global et devenant au fil des ans une machine à broyer toute forme d’intelligence, notamment critique. L’imaginaire social et économique était aux abonnés absents et nous devions accepter l’adaptation nécessaire à une mécanique implacable, l’humain ayant moins de liberté de circulation qu’une marchandise. Le « libéralisme » dans son sens propre de libertés ou libéralités ne procède qu’en faveur du bien matériel, l’exigence éthique ou morale n’a pas lieu d’être. Ce qui procède de l’humanité, c’est-à-dire nous, cet ensemble improbable mais indispensable à la bonne conduite du marché, n’a pas vraiment son mot à dire et pourtant ?

Le Venezuela est venu comme par enchantement mettre un frein à ce tout régnant global. Le socialisme aurait pu passer à la trappe et n’être plus qu’une vieille illusion. Il a repris langue justement là où on ne l’attendait pas. Qui aurait imaginé avant l’année 2000 une nation latino-américaine venir ébranler la citadelle? Par citadelle, il faut comprendre la nation étasunienne. Ce bloc que l’on qualifie à tort d’américain, parce que le continent du même nom ne recoupe pas seulement un état, mais un ensemble de nations dont on néglige depuis longtemps l’existence. L’Amérique aujourd’hui c’est un territoire dont les équilibres culturels et politiques sont en profonde mutation.

Il ne s’agit pas pour autant de nier la Nation qui en l’état dicte au monde sa conduite, mais à regarder ses bases et ses potentialités. Nous sommes à l’aube d’un changement, d’une prise de conscience continentale, et face au déclin ou à la décrépitude de l’empire. Si Ernesto Guevara souhaitait «deux ou trois guerres du Vietnam» dans les années 1960, de nos jours il y a «3 à 4, Venezuela bolivarien», de quoi s’interroger sur les changements à venir. Que signifie en moins d’une décade ce bouleversement de tendance, et a-t-il vraiment un impact dans l’équilibre continental? Pour nous béotiens de la chose latino-américaine, ou notre connaissance se résumait à Tintin chez les Picaros, nous voilà amener à réfléchir, à envisager les bases du socialisme sur un héritage méconnu jusqu’à peu. Une latitude où l’idée du marxisme se résumait à Cuba vient alimenter une approche démocratique d’un nouveau type. Pour cela il faut prendre en compte une histoire, non point comme une nouvelle approche dialectique, mais comme une histoire plus que mal traitée.

Voilà maintenant 3 années passées et actives à comprendre et rechercher dans les entrailles de cette nation. Des lectures, mais aussi un bon voyage de six mois à Caracas en deux séjours (2004 et 2006). Cette motivation est venue d’une envie forte d’aller bien plus loin qu’un simple voyage de tourisme. J’ai fait ce choix non en raison d’une adhésion militante. Un hasard est venu bousculer l’ordre de ma vie, et, en octobre 2004 un billet en poche, je me retrouve à Caracas dans le quartier de «Manicomio» (ce qui veut dire communément en langage populaire : hôpital psychiatrique). C’est un tout petit coin de mémoire, qui me poussa à rejoindre cette destination jusqu’à cette date inconnue. Une de mes préoccupations premières fut d’observer, par la suite d’engager des lectures et saisir certaines questions qui échappent à l’œil si l’on ne se plonge pas dans le quotidien et une histoire plus que mouvementée.

Entre 2004 et 2006 mon analyse a évolué, de plus j’ai de nouveau atterri en pleine campagne présidentielle lors du dernier séjour, et j’ai pu en tirer certains constats, aussi bien positifs, que négatifs. Sortons de ce manichéisme, qui fait du Venezuela un champs de bataille souvent médiatique et parfois littéraire. Écrivons, comme nous l’entendons, mais essayons de sortir de cette guérilla propre à la « rive gauche » parisienne. Certains articles sont des feux de paille concernant des questions plus conséquentes et pesantes au sein de la société vénézuélienne. Je ne suis pas aveugle au sujet de Chavez, il se trompe notamment sur ses vrais alliés et ils sont peu, et pas toujours au sein du PSUV. Ils sont surtout peu à pouvoir surmonter un défi colossal, c’est un pari de l’intelligence et de la capacité à sortir ce pays de très lourds déséquilibres. On ne peut changer la donne en un retour de veste. Certains problèmes sont endémiques. Les questions sociales face à des difficultés permanentes sont trop souvent traitées dans le cadre de l’urgence.

On ne peut pas regarder le Venezuela que sous l’aspect d’un homme politique, mais il n’y a pas à être dupe sur un traitement de l’information étatique, dont certains angles ne sont pas éloignés du culte de la personnalité. Tout se passe à Caracas et Caracas n’est pas le Venezuela, et fort heureusement pour le reste des Vénézuéliens.  Mais cela pèse, quand il suffit de constater la médiocrité aussi bien des classes moyennes, que de la bourgeoisie. On retrouve même entre Paris et Caracas, la faune « bobo » qui traîne son ennui. Oui, il existe un tourisme « politique », mais il n’est pas du fait du Venezuela, et il ne faut pas confondre un soutien aux amérindiens Karina et des voyages organisés au temps de l’Urss. La clef de compréhension est ailleurs. Il faut remonter à certaines racines dans la complexité même du Venezuela. À ce titre, s’il existe une histoire de la nation française, il en va aussi de la nation vénézuélienne. Deux républiques qui ont une communauté de destin, mais qui se boude. En très résumé, cela fait deux cent ans que nous nous trompons en France sur nos échanges avec ce pays et plus largement dans la région, ou plus exactement en quoi nous gagnerions à la soutenir à s’autonomiser de sa tutelle économique actuelle.

Rien que dans le domaine agronomique, de la diversité biologique, il existe des chantiers économiques considérables dans le cadre d’un développement durable, qui passent en partie par une meilleure dotation en infrastructure, notamment ferroviaire.  En huit ans, il est impossible de changer une société, et la France qui se cherche des poux et des ennemis imaginaires se trompe quand elle dénonce Chavez à tour de bras. Elle fait la même erreur concernant Cuba. Sinon, sauf à suivre servilement l’impérialisme étasunien et son martelage permanent. Ne participons pas de la curie et ne facilitons pas ainsi «la tentation totalitaire». Je pense que sur place la radicalité des débats débouche trop souvent sur la violence, faut-il remettre une couche supplémentaire à huit mille kilomètres de distance ? Je ne suis pas certain que cela participe «à écrire vrai». Pour certaines plumes, le principe de précaution est un peu exagéré, outrancier parfois.

Il importe et je le pense depuis le début de sortir des caricatures, je comprends que le terme «bolivarien» déconcerte. Pourquoi cette référence si présente à Simon Bolivar ? Il y a là un pan d’histoire que nul ne doit négliger sauf à être sur les enjeux hors des clous. Ce n’est pas un sujet tropical, mais une part oubliée de comment s’est construite l’Amérique Latine au début du monde contemporain. Ce qui n’est pas conforme devient un sujet à abattre, il est ainsi facile de juger. Comprendre est un exercice plus difficile, ce qui n’absout pas pour autant les échecs, les comportements verbaux un peu hors-cadre du président vénézuélien, mais souvent avec une part de vérité qui échappe à beaucoup de journalistes francophones. Le socialisme sans critique, c’est un peu l’eau mais sans la source… Ce qui est plus insupportable est cette coupure rigide entre pro et anti-Chavez, et dans cette histoire les deux camps sont souvent dans le faux et se ressemblent.

Le parcours politique de Théodore Petkoff  de l’extrême gauche à la droite est son problème, ancien ministre du gouvernement Caldera (chrétien-démocrate), il ressemble pour beaucoup à nos ministres «d’ouverture». Ils ont fait le grand écart sans craindre le claquement, sans qu’on nous explique vraiment la raison du reniement. Et, pourquoi une part importante de la deuxième internationale à abdiquer devant la critique du capital? Carlos Andres-Perez (dit CAP), «social-démocrate» et par 2 fois président de la République du Venezuela mériterait un examen de ses mandats. De comment s’est déroulé un détournement monstre des richesses, sans que cela fasse vraiment de vague à l’époque, sauf à vivre de grandes désillusions et meurtrissures au sein de la société vénézuélienne. Je ne crois pas que l’ancien guérillero Petkoff puisse faire état d’une pensée sibylline, quand il évoque un «totalitarisme light», peut-être pense-t-il, à son bilan comme ministre? Les vertueux ne sont pas toujours ceux que nous croyons, Petkoff est comme beaucoup au Venezuela à la fois un politique et un journaliste, une véritable confusion des genres. L’opportunisme au Venezuela comme ailleurs agit face à la question du pouvoir avec cynisme.

Pour conclure, le processus qui s’est engagé a peu de chance de tourner en régime totalitaire. Pour ou contre la nouvelle constitution, nous verrons en décembre les résultats. En attendant et comme en fait par Amnesty International appelons au calme et que le référendum puisse se dérouler au mieux. Pour ce qui est de Chavez, beaucoup d’attaques sont basses et peu reluisantes. Qu’il s’attaque à certains fondements de la propriété privée va lui valoir de gros soucis. Le pays va devoir faire face à de vieux mécanismes, parce que cette notion de propriété rend fou quasiment l’ensemble humain. Je n’entrerai pas dans une analyse psychosociologique de la chose, mais nous sommes face à des mécanismes de domination propre à l’économie de l’Homme. C’est pourquoi le socialisme, même transitoire soit-il, risque de buter sur cette question fondamentale du rapport des humains à leurs biens. Elle se trouve ici même la prise de conscience, et pour le moment je crains que l’Humanité n’y soit pas préparée. Ce qui ne veut pas dire ne pas l'envisager, cette étape de l'histoire humaine est la seule qui nous permettra de construire une autre société, et le chemin est encore lointain et très chaotique.

Note :

(1) Hugo Chávez ou la tentation totalitaire par Rudy Reichstadt
http://www.reichstadt.info/index.php?action=article&numero=32





Bourbons d’Espagne
et
vérités difficiles à entendre

Lionel Mesnard, le 16 novembre 2007

L’altercation entre Juan Carlos de Bourbon (1) et Hugo Chavez Frias si l’on en croit les médias dominants serait le seul fait du président vénézuélien. Les accusations portées par le président du Nicaragua et son homologue du Venezuela sont du coup un peu passées rapidement à la trappe. Que dire néanmoins sur une entreprise espagnole, ayant une dette de 50 millions de dollars US avec l’État nicaraguayen, et dénoncée comme un système mafieux (2) ? Pareillement sur une vérité difficile à saisir, Juan Maria Aznar est bel et bien un produit du fascisme du temps du général Franco, et il fut impliqué dans le coup d’état intervenu en avril 2002 à Caracas (3). Il n’y a vraiment rien d’étonnant à ce qu’en France nous aillons des difficultés à saisir la réaction furibarde du roi. Le malaise va au-delà du seul cas « Aznar », le fond politique touche tout ce que cette monarchie refuse à entendre ou à voir. Pour nous français, il y a une certaine méconnaissance qui dans certains cas s’avère du domaine du ridicule.

Si en France, Juan Carlos est quasi adulé, en Espagne la monarchie se trouve actuellement très critiquée et sans véritable légitimité. Le roi d’Espagne est lui-même un reste du franquisme, en soit le dernier vœu post-mortem du caudillo de ne pas voir renaître une République. En Effet de 1939 à 1975 les Espagnols ont subi une tyrannie, et bon nombre d’européens y passèrent leurs vacances sans se soucier du sort de ce peuple (comme ces dernières années en Birmanie). Bizarre cette république journalistique qui se vautre à reproduire «Point de vue (et anciennement) images du monde». Nous les enfants de la Révolution dont on connaît ce qui fut le sort de la famille Capet et Bourbon en 1793 « nous voilà » à défendre un avatar de la dynastie (à la fois autrichienne, espagnole et française). Si le sujet était drolatique. Nous pourrions en rire. Mais les Bourbons n’ont rien de comique et le sujet est hautement explosif.

D’un point de vue stricto local, la branche française s’est évanouie après 1830 dans les querelles entre les Orléanistes et la branche «dits des Bourbons d’Espagne», de l’autre côté des Pyrénées elle est toujours en activité. C’est une survivance dont on ne connaît pas vraiment du côté français les implications et le rôle de cette dynastie castillane. Pourtant, au début de l’époque contemporaine les relations entre la « Maison de France » et celle qui est en place à Madrid sont indissociables. À une différence prêt Louis XVI fut un monarque bien plus « libéral » que ses parents espagnols.  «Los Borbones» furent des cours d’Europe, la plus rétrograde et la plus conservatrice. Il n’y a pas à s’étonner à voir Franco après la chute de la monarchie en 1931 reprendre le flambeau, et dans le sillage de ce qui se passait en Italie et en Allemagne. Cette facette des fascismes en Europe  est resté en suspend. Aujourd’hui, il est temps d’ouvrir les yeux sur une histoire occultée. Car chaque fois que l’on cherche à tordre des mémoires historiques, le retour de flamme n’est jamais bien loin. Il existe suffisamment d’exemples avérés (l’Argentine sous Videla, le Chili sous Pinochet, etc…) pour savoir que ce qui est mis sous silence resurgit toujours. Le peuple espagnol plus que d’autres peuples en Europe a subi pendant 40 ans un joug sans que cela ne perturbe vraiment les grandes consciences du moment.

Certes Juan Carlos a rétabli la démocratie, mais pour autant a-t-il vraiment manifesté une condamnation du franquisme? Peut-on croire seulement trente années après que l’héritage doit être esquivé, que l’Espagne de Franco ne mérite pas plus que quelques raclements de gorge. Le Premier ministre Zapatero de son côté sera le premier à avoir ouvert le dossier de la répression et a avoir engagé l’indemnisation des victimes républicaines restantes de la guerre civile. De son côté, Rome a canonisé quelques cléricaux tués par les républicains pour faire face à sa propre participation à un ordre fasciste. Mais c’est trop tard, cette fois-ci les faits ne vont pas vraiment du côté du cloaque des anciens inquisiteurs. L’Espagne monarchique et ecclésiastique a quelques comptes à rendre avec sa propre histoire, et en particulier dans ses rapports avec l’Amérique Latine. Si Hugo Chavez a manifesté une opinion sobre sur Aznar lors du sommet des pays de langues ibériques, qu’est-il arrivé comme pet de plomb au roi pour exiger qu’il se taise ou la ferme ? Ce que disait en outre Zapatero était une réponse équilibrée, très diplomatique. Sur le fond Juan Carlos 1er est sur des braises, et ce qu’ajouta Daniel Ortega le poussa dans une colère très révélatrice. Le menant tout seul vers la sortie dans une sorte de «fuera Juan Carl».

Et oui, il y a de l’eau dans le gaz et certaines vérités ne sont pas bonnes à entendre. De plus qu’au sein de la nation la plus à cheval sur ces traditions républicaines, l’on vienne à absoudre les Bourbons castillans, c’est d’une insignifiance assez consternante. Tel fut le cas de ma surprise. Je me trouvais à l’écoute de la «matinale» de Canal Plus (du 14-11-07, entre 8h00 et 8h30). Exemple de ces commentateurs types, ils ne connaissent rien, mais ils ont un avis, jusqu’à présenter un «dictateur» et étonnamment  «élu», et se nommant bien évidemment Chavez. La colère néphrétique du roi les émoustillant n’a rien de surprenant quand on donne la parole à une spécialiste dénommée Daphné, très connue pour sa « géopolitique » des tendances de la mode (sa rubrique). Il ne manquait que l’assentiment de BHL, hélas absent, il aurait aimé de telles inepties, lui le dernier pourfendeur en date du mouvement bolivarien.

Un roi qui n’a jamais été élu et mis en place par le dernier potentat des fascismes européens, il vaut bien évidemment un pourfendeur de vérités comme Chavez, pourtant lui légitime et réélu trois fois. Concernant notre pauvre Aznar, il y a probablement un hasard au fait qu’il ait été ministre sous Franco et membre des phalanges. Cela fait au final pas mal d’anciens adeptes à un ordre, bien connu sous la notion idéologique «d’occident chrétien». Si l’on rajoute en plus la contribution de l’Opus Dei, cet ensemble politico historique nous donne un relief du vrai malaise. Bien plus conséquent que ce que l’on cherche à nous montrer.  Qui peut véritablement nier qu’une bonne part des dirigeants franquistes après la mort du caudillo a rejoint le Parti Populaire. Comment des fascistes ont pu faire peau neuve grâce à un parti prétendument de la droite classique. Juan Maria Aznar est un ancien militant et acteur d’extrême droite, il se peut que l’on ne puisse plus le qualifier en Europe comme tel. Toutefois, il a su conserver quelques réflexes musclés de ses jeunes années. Sa participation inconditionnelle aux côtés de G. Bush à la guerre en Irak n’est pas le témoignage d’une droite molle ou centriste.

Le débat n’est pas clos, il s’ouvre ! Car les accusations portées aussi bien par Daniel Ortega et Hugo Chavez sont importantes à comprendre. Le fait colonial ou impérialiste à laisser plus que des traces outre-atlantique. 300 ans de colonialisme du monde ibérique s’est traduit par la naissance de républiques et la tentative de Simon Bolivar d’émanciper les populations latino-américaines. Mais une fois, ces nations libérées du joug castillan les impérialismes de la Grande-Bretagne, puis des États-Unis sont venus piller les richesses et permettre aussi bien à l’Europe occidentale, qu’aux étasuniens d’instrumenter les marchés en leur faveur. Au final 500 ans d’histoire qui ne plaide pas vraiment par souci de générosité et l’attitude de Juan Carlos conforte l’idée d’une nouvelle République en Espagne ! Souhait que partage un grand nombre de citoyens du versant sud pyrénéen…

Notes  :

(1) Les Bourbons d’Espagne proviennent de la branche d’Anjou, ou d’Espagne. Elle est issue de Philippe de France, duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, proclamé en 1700 roi d’Espagne sous le nom de Philippe V. Cette branche a régné en Espagne de 1700 à 1808, de 1814 à 1868, de 1878 à 1931 et depuis 1975, avec Juan Carlos de Bourbon.

(2) SOMMET IBÉRO-AMÉRICAIN •  Ne condamnons pas Chávez trop vite par Mercedes López San Miguel (Página 12) "Le Nicaraguayen Daniel Ortega, dans l'allocution qui a suivi celle de Chávez au Sommet ibéroaméricain [il s'est tenu du 8 au 10 novembre à Santiago du Chili], est revenu sur un cas emblématique : la compagnie d'électricité Unión Fenosa, qui a une dette de 50 millions de dollars avec l'Etat du Nicaragua. Le leader sandiniste l'a décrite comme "une structure mafieuse (…) au sein de l'économie mondiale".  Source : AFP - Courrier International

(3) (Página12) "L'ambassadeur espagnol a reçu des instructions pour soutenir le coup d'Etat contre le Venezuela" -

Source : http://www.elcorreo.eu.org/article.php3?id_article=1963







Petits calculs
pétroliers



Jean-Luc Crucifix,
10 novembre 2007


Tiens, le prix du baril de pétrole vient de battre un nouveau record (on est habitué) : 98,62 US$… En même temps, à la pompe au Venezuela, nous continuons à bénéficier de l’essence la moins chère du monde : 70 bolivars le litre de normale (soit 0,032 US$ au taux de change officiel –ne parlons pas ici du dollar parallèle, ce serait franchement indécent) et 97 bolivars le litre de super (soit 0,044 US$). Arrondissons le tout à 0,04 US$ le litre. Non, vous ne rêvez pas : 25 litres pour un dollar, 35 litres pour un euro! Que les incrédules examinent la photo ci-dessus!

Or un baril de pétrole brut vaut 159 litres. Le litre de pétrole brut vaut donc : 98,62 US$ : 159 = 0,62 US$

Nous obtenons donc qu’au Venezuela, un litre d’essence à la pompe vaut 15,5 fois moins qu’un litre de pétrole brut sur le marché international! Vous me suivez?

Mais attention! D’un baril de pétrole on ne tire pas 159 litres d’essence, mais bien moins. Je n’entrerai pas dans les détails, mais cela dépend du cru et des traitements qui lui sont apportés. Soyons bon prince, et ne tenons pas compte de ces futilités techniques…

Ne tenons pas compte non plus :

- du coût du transport du brut jusqu’aux raffineries
- du coût du raffinage
- du coût du transport des raffineries aux stations-services
- des coûts d’exploitation d’une station-service

Sinon, on arriverait à la conclusion que l’essence vénézuélienne se vend à un prix 25 fois moindre que son coût de production.


Qui perd gagne

Qui gagne et qui perd à ce petit jeu distortionné? Le consommateur gagne, cela ne fait aucun doute. Il ne se préoccupe pas du tout du prix de l’essence lorsqu’il se trouve à la pompe (mais se préoccupe plutôt du prix du lait, 25 fois plus cher, qui a disparu du marché!).

On pourrait croire que l’État, grand propriétaire des ressources pétrolières, y perd. De fait, d’un point de vue strictement économique, il perd quelque chose comme un dollar US chaque fois qu’un litre d’essence est débité à la pompe. Cela fait beaucoup si l’on pense aux quelque 5 millions de voitures qui font en moyenne un plein de 30 litres par semaine! Un petit calcul nous indique que le manque à gagner serait d’environ 8 milliards de dollars par an!

Mais détrompez-vous : l’État ne perd pas, l’État ne perd jamais lorsqu’il fait des cadeaux… Il se gagne l’opinion publique, et cela n’a pas de prix! Idéologiquement, le concept qui se diffuse, c’est que le pétrole appartient aux Vénézuéliens, donc qu’il est juste qu’ils ne le paient pas, ou si peu. Ce fondement est sacré : tout gouvernement qui a tenté de changer de paradigme s’est allègrement cassé la pipe. Hugo Chávez, friand de peuple, est encore moins enclin à prendre un tel risque. Il a besoin de voix pour sa réforme constitutionnelle, et pour le reste!


Et le grand perdant est…

Par contre, il y a un grand perdant dans toute cette affaire, et non des moindres : l’environnement. Les statistiques indiquent que le Venezuela est de loin le plus gros producteur non seulement de pétrole, mais aussi de CO2, en Amérique Latine! Pour vous en assurer, voyez la carte sur le nouveau site des Nations-Unies qui monitorise les objectifs de développement du millénaire.




Émission de CO2 par habitant dans le monde en 2004 (tonnes) :
Le Venezuela (cercle rouge) se distingue en Amérique latine


Selon le Carbon Dioxide Information Analysis Center (CDIAC) du Département de l’Énergie des États-Unis (je sais, on va encore me dire que c’est une source tendancieuse), le Venezuela a en effet émis 6,57 tonnes de CO2 par habitant en 2004. Cela le situe certes bien en dessous des gros pollueurs que sont les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Russie. Il se trouve cependant dans la même tranche que la plupart des pays européens. La petite différence, c’est que ces derniers sont des pays hautement industrialisés dont le revenu par habitant est très élevé. Cela ne justifie pas, mais cela explique, le niveau relativement élevé d’émission de CO2 dans ces pays. Mais au Venezuela?

Avec quelques autres pays (la Lybie, l’Arabie Saoudite, Oman, l’Iran, les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale … –comme par hasard des producteurs de pétrole), le Venezuela se révèle être l’un des champions d’émissions de CO2 dans le dit Tiers-Monde. Triste record…

Je ne dis pas que le prix ridicule du carburant en est la cause unique, mais à n’en pas douter c’en est l’une des principales. Quand le prix de l’essence n’est une préoccupation pour personne, on obtient un parc automoteur éminemment pollueur : les vieilles américaines aux énormes moteurs mal réglés des plus pauvres côtoient les SUV dernier cri des plus riches. Un cocktail véritablement catastrophique pour l’environnement.


Source article et photos : venezueLATINA 
http://venezuelatina.com/2007/11/10/petits-calculs-petroliers/







L’économie vénézuélienne
sous Chavez

Luis Sandoval, Mark Weisbrot, 29 octobre 2007


L’économie du Venezuela a connu un rythme de croissance assez rapide - 10,3% en 2006 - après avoir touché le fond au cours de la récession de 2003. L’opinion la plus répandue sur cette expansion actuelle du pays se résume à évoquer la « manne pétrolière », stimulée comme par le passé par les prix élevés du baril, et à prédire une inévitable « banqueroute » résultant d’une chute à venir de ces prix ou d’une mauvaise gestion du gouvernement en matière de politique économique.

Il existe pourtant une grande quantité de données qui vont à l’encontre de ces prévisions. La croissance économique du Venezuela a connu un grave effondrement dans les années 80 et 90 après un pic du Produit Intérieur Brut (PIB) réel en 1977. Sa situation est similaire à celle de la région dans son ensemble, qui, depuis 1980, a réalisé les pires performances en matière de croissance économique depuis plus d’un siècle.

Hugo Chavez Frias a été élu président en 1998 et est entré en fonction en 1999. Les quatre premières années de son administration ont été marquées par une grande instabilité politique qui a eu un effet négatif sur l’économie du pays. Cette situation culmina avec le coup d’Etat qui chassa provisoirement le gouvernement constitutionnel en avril 2002 et avec la désastreuse « grève » pétrolière de décembre 2002 à février 2003. Celle-ci plongea le pays dans une grave récession économique au cours de laquelle le Venezuela vit son PIB chuter de 24%.

Mais cette situation politique a commencé à se stabiliser à partir du second semestre de 2003 jusqu’à aujourd’hui, favorisant une reprise puis une accélération de l’expansion économique. Le PIB réel (c’est à dire corrigé par les effets de l’inflation) a crû de 76% depuis son niveau le plus bas lors de la récession de 2003. Il est probable que les politiques fiscales et monétaires expansionnistes, ainsi que le contrôle des changes mis en oeuvre par le gouvernement, ont contribué à cet essor spectaculaire. Les dépenses du gouvernement ont augmenté de 21,4% du PIB en 1998 à 30% en 2006. Les taux réels d’intérêts à court terme ont été négatifs pendant pratiquement toute la période de récupération économique.

Au cours de cette période, les revenus du gouvernement ont augmenté encore plus vite que les dépenses, passant de 17,4% du PIB à 30%, ce qui lui a permis de boucler un budget en équilibre pour 2006. Le gouvernement a planifié ses dépenses sur base de prévisions prudentes par rapport au prix du pétrole. Pour 2007 par exemple, le plan budgétaire prévoyait un prix de 29 dollars le baril, soit un chiffre inférieur de 52% à la moyenne du prix de vente du baril vénézuélien au cours de l’année précédente. Autrement dit, le gouvernement a toujours maîtrisé ses dépenses vu que les prix pétroliers ont toujours été plus élevés que ce qui avait été prévu dans le budget. Mais, évidemment, si les prix du pétrole chutent, les dépensent publiques devront être revues à la baisse.

Toutefois, le Venezuela dispose de réserves monétaires confortables auxquelles il peut avoir recours en cas de chute des prix. Une baisse de 20% ou plus pourrait être absorbée par les réserves internationales officielles qui atteignent aujourd’hui quelque 25 milliards de dollars, une somme d’ailleurs amplement suffisante pour annuler toute la dette extérieure du pays. De plus, ce montant ne reprend pas d’autres comptes de l’Etat vénézuélien à l’étranger dont le total est estimé entre 14 et 19 milliards de dollars. Avec une dette extérieure relativement faible (14,6% du PIB), le gouvernement pourrait en outre accéder aux marchés de crédit internationaux en cas de chute des prix pétroliers.

D’autre part, il est peu probable que les prix pétroliers connaissent un effondrement dans un futur proche. Le pronostic à court terme publié le 10 juillet dernier par l’Agence d’information sur l’énergie des Etats-Unis (US Energy Information Agency) prévoit des prix pétroliers tournant autour de 65,56 dollars le baril pour 2007 et de 66,92 dollars pour 2008. Apparemment, le risque le plus réel est celui de changements brutaux et imprévus dans l’offre de pétrole – particulièrement au vu de la situation instable au Moyen Orient. Dans un tel scénario, une diminution de l’offre provoquerait une nouvelle flambée des prix et non leur chute.

Le gouvernement de Chavez a augmenté très significativement les dépenses sociales, tant dans le domaine de la santé que dans ceux de l’éducation ou de l’alimentation.
Le contraste le plus frappant avec le passé concerne la santé. En 1998, par exemple, il y avait 1 628 médecins prodiguant des soins de première ligne à 23,4 millions d’habitants. Aujourd’hui, ils sont 19 571 pour une population de 27 millions de personnes. De 1998 à aujourd’hui, le nombre de salles d’urgences est passé de 417 à 721, celui des centres de rééducation, de 74 à 445 et celui des centres d’attention médicale primaire, de 1 628 à 8 621, dont 6 500 sont situés dans les quartiers pauvres. Depuis 2004 jusqu’à aujourd’hui, 399 662 personnes ont été opérées des yeux et ont recouvré la vue. En 1999, 335 personnes infectées par le virus du sida bénéficiaient d’un traitement anti-rétroviral dans les services de santé publique. En 2006, ils étaient au nombre de 18 538.

Le gouvernement vénézuélien a également énormément élargi l’accès aux aliments subsidiés. En 2006, il y avait dans tout le pays 15 726 établissement commercialisant des aliments à prix subsidiés (permettant une économie moyenne de 27% et 39% en comparaison avec les prix du marché, respectivement, de 2005 et de 2006), bénéficiant ainsi à 67% de la population en 2005 et à 47% en 2006. En outre, les programmes spéciaux destinés aux personnes vivant dans une extrême pauvreté ont été étendus : les maisons d’alimentation et le programme de distribution gratuite par exemple. En 2006, 1,8 million d’enfants ont bénéficié du programme d’alimentation scolaire, contre 252 000 en 1999.

L’accès à l’éducation a également été considérablement augmenté. Par exemple, le nombre d’élèves dans les écoles bolivariennes de l’enseignement primaire est passé de 271 593 pendant l’année scolaire 1999/2000 à 1 098 489 en 2005/2006. En outre, plus d’un million de personnes ont participé aux programmes d’alphabétisation pour adultes.

Les dépenses sociales du gouvernement central ont connu une croissance exponentielle, passant de 8,2% du PIB à 13,6% en 2006. En termes réels (corrigés par l’inflation), les dépenses sociales par personne ont augmenté de 170% dans la période 1998-2006. Notons que celles réalisées par l’entreprise pétrolière nationale PDVSA ne sont pas prises en compte par ces chiffres. Or, ces dépenses se sont élevées à 7,3% du PIB en 2006. Si nous ajoutons cette donnée, les dépenses sociales totales ont représenté 20,9% du PIB en 2006, ce qui constitue une croissance d’au moins 314% par rapport à 1998 (en termes de dépenses sociales réelles par personne).

Le taux de pauvreté a rapidement diminué, passant de 55,1% en 2003, le chiffre le plus haut, à 30,4% en 2006 – comme on aurait pu le prévoir au vu de la forte croissance économique des trois dernières années-, soit une diminution de 31%. Cependant, ce taux ne prend pas en compte l’augmentation de l’accès à la santé et à l’éducation pour les plus pauvres. Les conditions de vie de la population pauvre se sont ainsi significativement améliorées, bien plus que ce que n’indique la réduction substantielle de la pauvreté dans les chiffres officiels qui ne mesurent que les revenus monétaires que les gens reçoivent en poche . Le taux de chômage a également connu une diminution substantielle, atteignant 8,3% en juin 2007, soit le niveau le plus bas de la décennie, à comparer avec le taux de 15% en juin 1999 et de 18,4% en juin 2003 (à la fin de la récession). Le taux d’emploi dans le secteur formel a connu quant à lui une hausse significative depuis 1998, passant de 44,5% à 49,4% de la population économiquement active.

Les défis principaux qu’affronte l’économie du pays concernent le taux de change et l’inflation. La monnaie vénézuélienne est assez surévaluée. Le gouvernement est réticent à la dévaluer, car cela augmenterait l’inflation – dont le niveau actuel est de 19,4%. Du fait du contrôle gouvernemental sur le taux de change et d’un excédent budgétaire important (8% du PIB), il n’y rien qui peut obliger le gouvernement à dévaluer dans un proche avenir. Mais cela représente tout de même un problème à moyen terme car malgré la stabilisation de l’inflation, cette dernière détermine le taux de change réel de la monnaie vénézuélienne (le « Bolivar »). De ce fait, les importations sont rendues artificiellement bon marché tandis que les exportations en produits non pétroliers sont beaucoup trop chères sur le marché mondial, affectant ainsi le secteur commercial et créant une situation intenable à terme. Cela rend en outre beaucoup plus difficile la diversification de l’économie et la possibilité de rompre la dépendance au pétrole.

L’inflation, qui atteint donc aujourd’hui 19,4%, est, en soi, un problème. Il faut toutefois signaler qu’une situation d’inflation à deux chiffres dans un pays en développement n’est pas comparable à un même phénomène dans un pays européen ou aux Etats-Unis. L’inflation au Venezuela était beaucoup plus élevée dans les années antérieures au gouvernement Chavez, atteignant un taux de 36% en 1998 et même 100% en 1996. Elle a connu une diminution continue au cours de la phase actuelle de récupération ; de 40% en février 2003, elle a diminué de 10,4% par an depuis lors avant de remonter au taux actuel et de se stabiliser.

Du fait de son excédent budgétaire important, de ses grandes réserves en monnaie étrangère et de sa relativement faible dette extérieure, le gouvernement dispose de différents instruments pour stabiliser et réduire l’inflation – ou pour éventuellement ajuster sa monnaie – sans devoir sacrifier la croissance de l’économie. Tout semble indiquer que le gouvernement est décidé à maintenir un taux de croissance élevé. Ainsi, aujourd’hui, il n’y a pas de signaux indiquant que l’expansion économique actuelle arrive à son terme dans un futur proche.

Pour terminer, notons que les mesures du gouvernement vénézuélien tendant à augmenter la participation de l’Etat dans l’économie n’ont pas donné lieu à des nationalisations à grande échelle, ni à des politiques publiques de planification et elles ont évité d’obliger l’État à assumer des fonctions administratives de l’économie qui dépassent ses capacités actuelles. Le gouvernement n’a même pas augmenté significativement la part du secteur public dans l’économie. Les dépenses gouvernementales tournent autour de 30% du PIB, ce qui reste très en deçà des pays capitalistes européens tel que la France (49%) ou la Suède (52%).

Ce texte est un résumé du rapport qui est téléchargeable dans son intégralité en espagnol.

Source : Center for Economic and Policy Research (www.cepr.net), juillet 2007. 
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