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1 -  Venezuela : Action judiciaire contre Globovisión, Gonzalo Gómez
2 -  Colombie : La guerre n'est pas la seule priorité, Juanita Leon
3 -  Venezuela :  Les mousquetaires de l'Amérique
4 -  Venezuela : Passage des Andes
5 -  Venezuela : Au coeur du processus bolivarien, Pierre Beaudet
6 - Colombie : a) La propagande des médias, b) L'échec du processus démocratique, Garry Leech
7 - Colombie : Nous naviguons dans un océan d'incertitude...


Amérique Latine

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des articles 2006

Sommaire : 2ème partie 






Avancée de l'action judiciaire
contre Globovisión

Par Gonzalo Gómez
( ANMCLA - 01/02/06)
 

À la mi janvier 2006, la Cours Constitutionnelle du Tribunal Suprême de Justice a notifié au Procureur Général de la République et à la Défense Publique une décision suite au recours déposé le13 juillet 2005, autorisant l'action engagée par un groupe d'avocats et d'associations à caractère social (ou citoyen), menée par Julio Latan du Front National des Avocats Bolivariens, contre les propriétaires de Globovisión.

Il a été aussi notifié aux directeurs de l'entreprise et aux sociétés marchandes de présenter les états de leur capital. Conformément (aux règles attribuées par le TSJ), elles disposent d'un délai de 96 heures pour fixer l'audition, devant laquelle elles devront comparaître. En conséquence, nous sommes au devant d'un jugement, où des organisations civiles à caractère populaire feront face aux propriétaires de cette chaîne. Télévision clairement identifiée pour son inclination et son soutien contre-révolutionnaire et impérialiste aux golpistes, conduisant l'opposition de la finance à agir contre le gouvernement du président Chávez, et contre le processus révolutionnaire qui le soutient.

Les parties civiles et des adhérents de base ont commencé une campagne nationale et internationale, qui rassemble diverses organisations sociales et politiques au Venezuela. Ils disposent aussi de l'adhésion symbolique et de l'activisme solidaire d'organisations d'autres pays, à l'échelle internationale. Ceci est une initiative autonome, qui devient nécessaire face au chantage constant des télévisions privées. Elles empêchent les organismes d'états et gouvernementaux l'adoption de mesures et de sanctions pour mettre un frein aux amalgames médiatiques. Ce qui conduit à accepter l'impunité, avec pour souci d'éviter les scandales que produiraient les médias internationaux de l'impérialisme, comme la SIP (l'union continentale des grands propriétaires de la presse) et quelques paravents "des Droits Humains" contrôlés par le principal violeur de ces droits : l'impérialisme étatsunien. Face à des activités à visée globale, cette demande est la récolte d'un grand nombre de signatures et d'adhésions d'organisations civiles et de citoyens, ainsi que les rassemblements ou mobilisations et activités révélatrices issues de débats pour la formation d'une conscience critique du pouvoir populaire, face au pouvoir médiatique. Dans le cadre de cette discussion, le sens est de définir les bases de ce que sont, ou doivent être les moyens de communication dans la transition vers le Socialisme du 21éme siècle.

Au sujet des parties civiles et des organisations adhérentes, elles exigent de la CONATEL (organisme de régulation des fréquences radios et télévisions) - du MINFRA (Ministère des infrastructures) et du Ministère de la Communication (MINCI), qu'ils informent clairement sur l'état des concessions de l'espace radioélectrique appartenant à la nation et sur les autorisations accordées par l'État, dont profitent encore les télévisions golpistes et attentatoires aux droits. Elles abusent d'une hyper tolérance, cela est mal vécu au sein d'un peuple victime des agressions médiatiques. La situation des concessions paraît être un secret très bien gardé, se glissant à contre sens de la démocratie participative et protagoniste. Il se propage des rumeurs, elles inquiètent les acteurs sociaux concernant la possible reconduction de ces concessions imméritées, ce qui pourrait se faire ou et y compris avoir déjà été consommé dans le dos de la souveraineté. Pour Globovisión, il se dit aussi qu'elle ne disposerait pas de concession légale en règle. Plus troublant, un de ses propriétaires est assigné en justice comme commanditaire présumé du meurtre du procureur Danilo Anderson, qui effectuait des recherches sur le coup d'état d'avril 2002.

Tout cela supposerait l'acceptation de l'impunité (consciente ou non), avec la bénédiction et le sacrifice de la justice, de la loi "Resorte" (loi sur les responsabilités audiovisuelles et sociales - décembre 2004) et de la Constitution. Ceci se faisant aux dépens de stratégies et de tactiques politiques au rabais : des mécanismes ou le déni administratif de quelques fonctionnaires. Lesquels refusent de toucher aux moyens privés, sortis indemnes du coup d'État (du 11 au 13 avril 2002), avec l'appui de la grève générale patronale et du sabotage pétrolier (années 2002 et 2003). Le résultat : impunité, soumission aux pressions de l'oligarchie et de l'impérialisme, préjudices pour le peuple, survivance d'une des principales armes de l'Empire, frein au processus de changements : le risque le plus majeur pour la révolution.

Aujourd'hui, pour tout ce qui a pu se passer antérieurement, il y a pour souhait que le gouvernement soutienne et ouvre le pas aux organisations sociales pour que soit rendue la justice, et faire avancer la révolution sur le plan de la communication avec toutes ses implications au sein du processus, organisations qui appellent tout le mouvement populaire à assumer cette cause. Dans le cadre de la campagne autonome en vue de traduire en justice les propriétaires de Globovisión (connue pour son surnom de "Globoterreur" dans les milieux populaires), sont venus se rajouter des "charlas", des forums et programmes de radio et télévision (moyens alternatifs et étatiques). Le programme d'extrême droite « Grado 33 » (émis par Globovisión) a déjà donné une première réponse, en essayant de décrédibiliser l'action intentée, en l'attribuant à Chávez. Ainsi a argumenté l'opposant Asdrúbal Aguiar contre la règle sur laquelle se fonde le recours. Les organisations engagées préparent toutes les réponses nécessaires.

Fait curieux : une des parties civiles, l'avocat Julio Latan a subi, il y a quelques mois plusieurs impacts de balles, après avoir introduit la demande et la mise en place d'une enquête.


Source : www.aporrea.org/dameverbo.php?docid=72576
traduction libre de Samuel Viscardo (15/03/2006)

 
 



La guerre n'est pas 

la seule priorité des colombiens

Par Juanita Leon, Bogotà, Colombie, 20 février 2006

Éditorialiste à la Semana.com
 


Une enquête effectuée par l'Université Andine Indepaz révèle que la pauvreté, l'injustice et la corruption sont considérées comme des problèmes plus graves que la guerre.

Pour la majorité des colombiens, le conflit armé n'est pas le problème le plus important du pays. Avant tout, il est question de solutions à la pauvreté, à l'injustice et à la corruption. Ainsi, le démontre "une analyse des perceptions du conflit qui prend en compte le quotidien", un travail effectué par l'Université Andine Indepaz et l'Institut d'Études pour le Développement et La Paix, publiée la semaine du 20 février 2006.

L'objectif de cette étude, pour laquelle a été effectué 2000 enquêtes à domicile, dans 21 communes, incluant les grandes capitales régionales, les villes intermédiaires, les communes rurales moyennes et petites, a été d'analysé la perception des colombiens sur comment la violence, et le conflit armé fonctionne au quotidien. Les résultats sont surprenants. Première chose, le discours du président Alvaro Uribe sur l'existence d'une menace terroriste à la démocratie n'a pas percé dans la population. 80 pour cent des colombiens considère qu'il existe un conflit armé, et 60 % croient qu'il existe, soit la guerre ou bien une violence généralisée. Ces réponses ne doivent pas surprendre, parce que presque la moitié des enquêtés disent avoir été victime d'une certaine forme de violence en rapport direct avec le conflit.

L'impact des crimes est dramatique dans les zones rurales, où 45% affirment qu'un proche parent ou voisin a été assassiné. Dans les villes intermédiaires, 40 % des personnes ont rendu compte d'un meurtre dans leur environnement en raison de la violence, et l'on descend à 20 % dans les grandes villes. Dans les villes intermédiaires et les grandes agglomération, la menace des Farc est les plus fréquente, et dans les villes intermédiaires ce sont les paramilitaires. Indépendamment à ce qu'ils vivent à la campagne ou à la ville, 61 pour cent des enquêtés conviennent que le conflit a négativement influencé leur quotidien, basculant leur vie dans plus d'incertain, en limitant les possibilités de déplacement, affectant les salaires ou des opportunités d'emploi.

Cependant, les mesures que les colombiens - aussi bien les urbains que les ruraux - considèrent comme prioritaires pour atteindre la paix, ne sont pas évidentes : ils ne pensent pas que les outils principaux passent par l'action militaire, ni dans les négociations de paix. Au contraire, ils considèrent comme priorités d'augmenter le nombre d'emploi et de réduire la pauvreté, combattre la corruption et donner une espérance aux jeunes. En ce domaine, on souligne la nécessité de plus soutenir les déplacés (ou réfugiés du conflit). Négocier avec la guérilla se trouve à la 10éme place parmi 15 options.

Cette réponse est cohérente avec les suivantes : bien que plus de la moitié des enquêtés considèrent que dialoguer avec le Farc puisse être "utile" ou "très utile" pour obtenir la paix. 60 % considèrent qu'entamer maintenant une négociation est "peu possible", voire "impossible". L'enquête n'approfondit pas les raisons de tant scepticisme, mais il n'est pas difficile de les deviner. Notamment, quand on décèle comment ils perçoivent les groupes armés : plus de la moitié estime qu'aussi bien les guérillas, que les paramilitaires cherchent avant tout à enrichir leurs chefs et eux-mêmes ; pour 30 % et 28 % des réponses, ils s'attaquent à la population civile, protègent et/ou prennent part aux narcotrafics et s'accaparent les ressources locales et les biens publics. Seulement 2,25 % pour cent croient dans le discours de la guérilla à vouloir un meilleur pays, et ce pourcentage se réduit à un peu moins de la moitié de bonnes intentions pour les paramilitaires.

L'enquête révèle une autre donnée curieuse en ce qui concerne le gouvernement : sauf en ce qui concerne les politiques de sécurité, une avancée vers la paix et le combat contre le narcotrafic, où sa gestion est approuvée par 30 à 32 % des opinions. Dans les autres domaines Uribe se fissure. Dans la lutte contre la pauvreté et le chômage les opinons sont négatives, seulement 25,7 % approuvent, et y compris concernant l'application de la Constitution Politique, qui n'arrive qu'à 29,7%. Ceci, clairement, n'empêche pas que presque 60 pour cent des enquêtés d'affirmer qu'ils voteront pour sa réélection. Une donnée curieuse : ceux qui sont considérés comme victimes des Farc attribuent à Uribe cinq des points de plus que ceux qui sont considérés victimes des armées d'autodéfenses (AUC, paramilitaires, extrême droite).

Que cela signifie t'il ?

Les chercheurs qui ont effectué l'étude arrivent à plusieurs conclusions. Mais les réponses les plus importantes sont celles qui ont un lien direct avec le débat électoral, dans la perspective des présidentielles. La première est que l'électorat souhaite que les futurs dirigeants donnent la priorité à la lutte contre la pauvreté et à la lutte contre la corruption. Vu d'ici, dans la présente campagne électorale, tous alignés les groupes électoraux sont en accord avec l'intervention par voie militaire, négocier la paix et le lieu est probablement équivoque, a déclaré Carlos Nasi, directeur du département de science politique de l'Université de Andines Indepaz. Les candidats doivent se montrer plus ouverts à négocier avec les guérillas que l'actuel gouvernement, mais à la fois être très prudent. De fait, selon lui, l'information révélée par le site www.votebien.com, la majorité des candidats semble en phase avec les demandes de l'opinion publique. À l'exception d'Alvaro de Leyva, qui considère que le problème numéro un de la Colombie reste la guerre, et Rodrigo Crique, qui croit que c'est un raccourci de notre vision des problèmes, comme ceux qui considèrent la pauvreté et l'inégalité comme des priorités.

Aussi, il existe d'autres conclusions complémentaires. Camilo Gonzalez Posso, président d'Indepaz, conclut à une similitude des perceptions, au sujet des alternatives comme des solution au conflit armé au sein de la population rurale et urbaine, ils aident à réviser les analyses et les programmes politiques dans la recherche de la paix, ils s'adressent unilatéralement à ce domaine et prioritairement aux aspects militaires ou pour de possibles négociations avec la guérilla ou les paramilitaires. Il ajoute que l'impact du conflit dans les villes requiert des réponses simultanées, qui vont de la sécurité individuelle à la création d'emploi, aux investissements sociaux, à une saine gestion, par une réforme rurale et agricole, jusqu'à la dimension de la"tranquillité citoyenne", qui elle est placée comme la première obstruction vécue en raison du conflit.

Angelika Rettberg, directrice du programme d'investissements pour la construction de la paix au sein du département de science politique de l'Université Andines Indepaz, remarque l'importance pour 80 pour cent des colombiens, quand ils déclarent que la participation citoyenne est une clef pour obtenir la paix ; et 80 % affirmant être disposés à recevoir dans son voisinage ou dans son entreprise un déplacé, et de même qu'en moindre proportion un démobilisé d'un groupe armé. Cependant, il y a à prendre en compte les urgences et respecter les difficultés que peut poser le fait que les colombiens ne considèrent pas le conflit armé comme la priorité numéro une du pays. Ils ont développé un modus vivendi pour s'adapter aux conditions de la violence. Ce modus vivendi, en même temps qu'un outil nécessaire de survie, est en soit une des principales barrières qui se dresse, qui questionne et se trouve en rupture pour avancer vers une paix établie, nous a t'elle déclarée. Débattre des résultats de cette enquête est déjà un bon premier pas.

Sources : http://www.semana.com/wf_InfoArticuloNormal.aspx?IdArt=92838
Traduction libre :
Samuel Viscardo (le 8 mars 2006)


 
 


Simon Bolivar, Francisco de Miranda,
Simon Rodriguez, ...

Les mousquetaires de l'Amérique

Lionel Mesnard
, le 9 mars 2006
Latine..

ci-contre : Francisco de Miranda

 

J'avoue que je me suis moqué un peu de la présence répandue du nom de Simon Bolivar au Venezuela. Cette sanctuarisation était d'autant plus compréhensive, que la capitale (Santiago de Leon de Caracas) fut le lieu ou grandit le jeune Simon Bolivar et d'autres illustrissimes vénézuéliens. Sans vraiment m'en rendre compte, je parcourus régulièrement la route qu'empruntait chaque jour sa mère pour se rendre à la messe, de la maison paternelle à la cathédrale, non loin de l'ancienne prison militaire de San Carlos.

Les différentes représentations de Simon Bolivar m'agaçait, il apparaissait souvent en uniforme avec des airs de Bonaparte sur le pont d'Arcole. Un souvenir d'une peinture d'écolier le représentant tel quel, rien de plus et de très révélateur. Je dois aujourd'hui reconnaître que je faisais là une impasse qui confinait à l'absurde. Surtout, je passais à côté de l'essentiel, et ce qui unit nos deux peuples depuis la bataille de Valmy (1792), dans la bravoure de Francisco de Miranda. Qui est devenu en raison de son courage sur ce champ de bataille, général de brigade au service de la 1ère République française et des armées du Rhin jusqu'en 1793. Il conserve son nom gravé sur l'Arc de Triomphe de Paris, suite à une décision de Louis Philippe en 1836 (fin de l'achèvement des travaux du monument). On peut y voir pied de nez aux Bourbons de la part d'un Orléans (du fils du dit Philippe Égalité qui vota la mort de Louis XVI). Pour Napoléon Bonaparte, Miranda ne fut pas tendre au sujet du tyran français. Il n'est pas l'unique étranger immortalisant la participation de non-nationaux à la révolution et à la Convention de 1792. Miranda et Bolivar sont indissociables, du moins complémentaires. L'un est le précurseur, le second le libérateur de 300 ans de domination de la couronne d'Espagne en Amérique Latine. .

L'un et l'autre en fin de leurs études secondaires partent de Caracas en direction de l'Europe. Débarquement à Cadix. Leurs premiers séjour commencent à Madrid. Miranda vers 1770 s'incorporera dans un régiment comme capitaine, le second viendra suivre des études de mathématiques, un peu de formation militaire et rencontrera son épouse Thérèse en 1799. Ils ont pour point commun une carrière militaire, pour exemple Simon Bolivar à 15 ans est déjà sous-lieutenant, et se fera remarquer pour ses prouesses équestres et sa très grande résistance physique. Miranda prouvera rapidement à l'aune de sa longue carrière d'arme, des capacités importantes sur les champs de bataille, une première illustration en Afrique du Nord, qui lui vaudront aussi ses premiers déboires. Il ne sera pas reconnu à sa juste valeur et cela provoquera chez le jeune capitaine un agacement certain, puis ce qui lui vaudra une rupture progressive avec l'Espagne. Il deviendra au fil du temps un agent de renseignement auprès du futur premier ministre anglais William Pitt. Une anglophilie que partagerons nos deux caraquéens.

La distance du pays natal fait prendre conscience à nos deux jeunes hommes, le rôle et l'importance du savoir, de la lecture et aussi des écrits. Ils apprendront ainsi à maîtriser l'anglais et le français. Si la prise de conscience politique de Bolivar est relativement précoce à l'âge de 22 ans, Miranda est plus tardif, c'est vers 30 ans qu'il suivra sa destiné si particulière, qui le mènera à traverser de part en part l'Europe, et l'Amérique du Nord au service d'un esprit nouveau. C'est à dire révolutionnaire et démocratique. Contrairement à Simon Bolivar, il ne reviendra pas au Venezuela avant la cinquantaine bien sonnée, il attendra quarante ans avant de remettre les pieds sur sa terre natale.

À partir de 1799, le jeune Simon séjourna principalement en Espagne. Il se mariera et retournera à Caracas à la fin de 1802, il fera deux séjours courts en France (en 1801 avec sa future épouse et en 1802 dans le sud de la France, pour des raisons militaires, au sein d'une garnison espagnole). Le déclic libérateur n'est pas encore né, et il semble vouloir reprendre les traces de son père au sein de l'aristocratie créole vénézuélienne, ancien colonel des troupes de Caracas. Mais il perd en 1803, sa jeune femme Thérèse, elle décède suite à une maladie. Un déchirement intérieur qui le pousse à ne pas abdiquer devant le malheur et la peine. Il part à nouveau pour l'Europe, plus exactement il sera à Paris en mai 1804. Il prend une suite au sein de l'Hôtel des Voyageurs (rue Viviène, Paris 2ème arrondissement) et pendant quelques mois, il va se changer les idées. Il mènera un train de vie dispendieux et rencontrera les arcanes d'un Paris festif et salonnard.

Puis intervient la rencontre clef vers septembre 1804, Bolivar se promène dans les rues et ruelles parisiennes grouillantes de vie, et qui devine t'il au loin, un compatriote et pas n'importe lequel : Simon Rodriguez. Ce dernier se demande, mais quel est donc ce dandy qui m'interpelle, avant de reconnaître son ancien élève. Simon Rodriguez, alias Samuel Robinson fut son précepteur un très court temps (environ 2 mois), quand Bolivar n'avait que 14 ans et se trouvait à Caracas. Ils vécurent quelques temps sous le même toit, en raison des réactions très impulsives de l'adolescent face à l'autorité de son tuteur légal. Il est probable qu'il a trouvé une écoute bienveillante et a profité dans ce cours laps de temps de l'esprit libre de son maître à vivre et à penser. Une rencontre utile à Simon Bolivar pour trouver après des années de souffrances intérieurs et de révoltes à l'égard des adultes, un chemin moins chaotique. Notamment un désamour qu'il manifestait presque à tous, sauf pour sa nounou Josefina. Qu'il considéra comme son « seul père » (disparu à ses 3 ans et sa mère à 9 ans) et pour sa grande soeur Maria-Antonia, qui ne pourra pas avoir la garde de son petit frère, en raison de l'intransigeance de son tuteur. Le jeune précepteur, Simon Rodriguez au sein des établissements scolaires souhaita modifié certaines règles d'éducation et se heurta à un refus de son administration, qui lui répondra un an après sa demande. Il démissionnera et sera amené très rapidement à prendre l'exil pour l'Europe, en raison de son implication dans un soulèvement contre la tutelle espagnole. Ils se retrouveront huit ans plus tard et loin de leur patrie commune « Caracas ».

Simon Bolivar éprouva une certaine lassitude et ne pouvait vraiment se satisfaire de cette vie parisienne et mondaine. Face à un certain ennui, vint le besoin de trouver un absolu. Rapidement, il tourna le dos aux fanfreluches et s'en alla co-habiter avec Samuel Robinson rue de Lancry (Paris, 10ème arrondissement). On devine un peu les conversations et la différence d'âge d'une dizaine d'année, faisant des 2 hommes de quasi frères. De longs débats agités et aussi des lectures commentés par nos deux compères. Il y aussi une figure paternelle qui manque au plus jeune, et un besoin de protection maternelle. Il y a la matière à penser et une sorte de cocon qui va permettre de constituer la chrysalide. Le papillon Bolivar s'envolera à Rome en 1805 (serment de Bolivar pour la libération des Amériques espagnoles). Après des semaines d'études sans relâche, Simon Rodriguez pensa qu'un peu de repos était plus que nécessaire. Ils partirent d'abord sur les traces de Rousseau, puis se rendirent dans la ville la plus chargée d'histoire en Europe, Rome. On parle souvent de l'exaltation de Simon Bolivar, de son côté enflammé, certes, possiblement, mais il fut probablement plus dans une approche propre de son destin et de ses racines, qui en France en fit un sujet au goût d'exotisme.

Impossible de résumer en deux lignes les différences fondamentales de ces américains latins ou se mélange l'imaginaire des amérindiens et de la négritude. Le terme qui soit le plus à même de définir l'espace culturel vénézuélien est la créolité. Les mondes créoles ont pour espace les caraïbes et renvoient à différents modes de colonisation (français, anglais, hollandais, suédois, portugais et espagnols). Au 18ème siècle au Venezuela, se distingue deux types de créoles (les mantuanos et les péninsulaires), d'ou proviendront Bolivar et Miranda. Justement, il y a les 2 mondes qui se font concurrence et faisait que les vieilles familles aristocratiques de Caracas (les mantilles ou mantuanos) dominaient, notamment les vagues successives de migrations, que l'on nomma « péninsulaire », et concernent entre autre les originaires des Iles Canaries. C'est le cas et l'origine natale de Sébastien Miranda, père de Francisco, c'est un commerçant qui s'installera dans les caraïbes et épousera une caraquéenne vers 1740. Il deviendra rapidement à l'aise dans son négoce du drap. Il sera mis au ban de la bonne société de Caracas, quand il sera nommé capitaine selon la légende. Dans la même trâme, ce qui marqua Francisco et lui donnera l'envie de partir courir le monde. Les antagonismes forts, l'on n'aimaient pas trop ces canariens ambitieux.

Depuis le 16ème siècle et la fondation de Santiago de Leon de Caracas (1567), c'est un tout petit monde qui investit sous la conduite de la couronne espagnole la conquête de la Petite Venise (étymologie du mot Venezuela) environ 5000 personnes d'origine européenne, puis suivront 10.000 esclaves noirs, pour 350.000 amérindiens. Le royaume d'Espagne est sous l'emprise de l'Inquisition, et les bonnes familles ne doivent avoir aucune origine juive ou maure. Sinon, ils ne peuvent prétendre à un grade d'officier ou avoir des responsabilités dans l'administration castillane, et mieux vaut avoir une ascendance noble ou une bourse bien fournie pour réviser les arbres généalogiques. Simon Bolivar est un pur produit de cette petite aristocratie hispanique. Son aïeul, Simon 1er de Bolivar fait parti des fondateurs de la capitale vénézuélienne. Son arbre est très révélateur d'une mélange d'origines assez diverses et pas seulement espagnoles. Il y aurait eu toutefois un peu de sang se mélangeant, donnant un teint plutôt mat, un regard noir et des cheveux bruns et crépus à Simon, héritier d'une longue lignée de propriétaires terriens et miniers.

La concentration du pouvoir en Espagne est un fait, et la couronne se préoccupait à la fois du spirituel (la sainte inquisition), du politique et de l'économique. C'est certainement la cours la plus rigide ou figée que l'on trouve en Europe, il faut attendre Charles III (vers 1750) pour s'ouvrir un peu aux Lumières du temps. Et encore trop tardivement, comme a pu le pré-sentir le ministre Grimaldi au moment de la signature du Traité de Paris en 1763. Le Venezuela dénombre en cette moitié du 18ème siècle environ 800.000 habitants, et entre 20.000 et 45.000 résident à Caracas. La petite colonie a grandi, et déjà plus de la moitié du pays est un mélange des trois « races » (indiennes, noires et blanches).

Les idées et livres de l'époque trouvent plus de place de l'autre côté de l'atlantique que les chez les Bourbons d'Espagne. Même le père de Simon Bolivar dispose de livres et d'une bibliothèque d'auteurs pas obligatoirement en odeur de sainteté pour l'Inquisition. Il faut dire qu'à huit mille kilomètres et sous un climat tropical, la vie est au demeurant plus douce. Chez les créoles d'alors l'idée d'autonomie gagne peu à peu du terrain. En soit l'Histoire n'a pas d'exemple de répétitions propres, mais on ne peut pas comprendre pourquoi à partir de 1810 sur le tout le continent vont apparaître toute une série de nations nouvelles sur les ruines de l'Empire espagnol. Une insoumission qui du Chili au Venezuela va sonner comme un clairon.

Pourquoi quelques précurseurs et l'on ne peut se limiter à Miranda pour en comprendre les racines, vont semer un vent de liberté ? Hasard des temps, il n'en est pas, le système et ce que représente l'Espagne s'écroule comme un château de cartes. Il lui était impossible de maintenir l'unité d'un territoire si large avec une telle rigidité et férocité. Pour exemple, l'existence du mot Caudillo, qui était le plus souvent un militaire exerçant sur un territoire une autorité du même ordre et pour son propre bien et celui de la couronne. La cassure s'engagera avec l'extradition des jésuite d'Amérique du Sud (vers 1760). Leur prospérité et leur bonne entente avec les populations autochtones ne plaisaient pas aux autorités légales et aux mantuanos. Guzman-Viscardo, jésuite exilé en Italie rédige en 1792 une lettre qui pose les termes d'une libération de l'oppression. Miranda reprendra à son compte cette «lettre aux américains espagnols», en faisant édité en 1798 un texte qui engage les fondations de ce mouvement de libération de la tutelle castillane.

La vie de nos compères est un roman, et même il y a de quoi en faire une épopée. Miranda est le plus surprenant, un certain attrait pour les masques ou les identités diverses, jusqu'à se costumer et se fit un peu trop remarquer lors d'un passage entre la France et l'Angleterre. Il va s'avérer être une diplomate et un courtisan hors pair, c'est ainsi qu'il commencera auprès de Catherine de Russie. N'importe quel auteur qui a pu travailler sur Miranda, ne peut que clamer son intelligence et sa capacité à convaincre ses auditoires. Prouesse, qui lui permettra d'échapper à l'échafaud. Le Géneral Dumouriez, qui fut son chef et responsable des armées du Nord, lui tendit en Belgique en 1793 quelques traquenards. Qui mirent Miranda dans l'obligation d'abandonner certaines positions au profit de l'ennemi. Il fut suspecté à Paris de coalition avec l'ennemi. Avec pour avocat celui de Marie Antoinette dit « Madame Capet », il a semble t'il senti le couperet passé pas loin. Il avait prévu suite à son arrestation une fiole de poison, au cas ou on le condamnerait. Surprise en pleine période de la terreur, notre échappe homme à la mort et il est acquitté. Il démonta point par point la machination que lui avait tendu Dumouriez. 

Miranda le doit certainement à des talents d'orateurs, surtout pour une personne dont la langue maternelle n'est pas le français. Il le doit aussi à une droiture d'esprit, on a voulu un peu en montrer le côté libertin ou scandaleux de la personne. Si on lit la correspondance entre Brissot et Miranda, on comprend que la France républicaine a raté de peu de chose l'éveil des nations latino-américaines. Et le général Dumouriez a saisi que la personne de Miranda lui faisait de l'ombre à ses manoeuvres. Il fit en sorte de traîner face aux demandes de Brissot de constituer un corps expéditionnaire aux Antilles, dont Miranda aurait pu être le chef militaire et politiique. Au moment ou se lance la Convention en 1792, l'Assemblée disposait d'un fort point d'ancrage avec la Gironde, qu'elle perdit rapidement en 1793. Miranda appartenait à cet esprit girondin et républicain et a connu de l'intérieur les prisons parisiennes de la Terreur. Par ailleurs, il fut aussi franc-maçon comme beaucoup d'autres. Il a été surtout le créateur d'une loge Américaine où l'on retrouva tous les protagonistes des révolutions sud américaines, Simon Bolivar inclus.

Miranda a eu maille à faire avec beaucoup de résistances et il a cherché auprès des anglais, des étasuniens, des français un appui à son combat. En fait, il le trouvera à Haïti, tout comme son compatriote Bolivar. Ils connaîtront le soutien d'Alexandre Piéton, et ce qui fut la première République noire du monde, en 1804. La même année où Simon foulait à nouveau le sol de l'Europe, Haïti devenait indépendante, et en 1815, Pétion président est à nouveau là pour soutenir cette idée d'une Grande Colombie. De prime abord on imagine pas le rôle de cette île de nos jours coupée en deux, avec d'un côté la république dominicaine et de l'autre la république haïtienne. D'une part, Saint Domingue est un axe, une route maritime obligatoire depuis Christophe Colomb entre les deux continents. D'autre part comme ancienne colonie française, ce fut un pays fleurissant et c'est au sein de la société métisse et noire, que s'affirma là aussi une volonté révolutionnaire, trop méconnue. Haïti l'indépendante est la terre d'où est partie la bannière bleu, rouge et or du Venezuela et de la Colombie, le 12 mars 1806. Les différentes incidences révolutionnaires qui interviennent à la fin du 18ème siècle, la guerre d'indépendance qu'engageront les Etats Unis face à la puissance britannique, puis la révolution française, sera suivie par l'indépendance Haïtienne, qui elle ouvrira la route au Venezuela libre.

Et nos trois vénézuéliens reflètent bien les trois sociétés, un bourgeois aux airs très aristocrates que fut Miranda, le «errant solitaire» que fut Rodriguez, et le noble Bolivar qui donna corps et âme à la libération du Pérou, de la Bolivie, de l'Equateur, et à ce qui fut jusqu'en 1830 la Colombie (ou 10 fois l'équivalent de la France en taille). Miranda a passé sa vie à se déjouer des pièges que l'on a pu lui tendre, il a fini par se retrouver au cachot pour finir de difficiles vieux jours. Le Quichotte « sin locura » (sans folie) que fut Miranda n'a pas d'équivalent. Le danger est de savoir avant les autres et de sentir les changements à venir. Il reste encore de nos jours un personnage sans réel équivalent. Et plus modestement de même pour Simon Rodriguez, qui est par deux fois la conscience éclairée du jeune Bolivar. Il faut souligner que nos trois personnages vénézuéliens sont une peu comme les trois mousquetaires, il en existe un quatrième. Andres Bello, père de la pensée humaniste latino américaine, lui aussi natif de Caracas, il fut aussi le professeur de Simon Bolivar.

On peut se demander, mais pourquoi une si petite ville va porter autant de génies universaux en si peu de temps? Pourquoi ce pays a été le centre d'une attention particulière sur les deux continents pendant de longues années, et comme par enchantement le Venezuela est redevenue terre inconnue ou trop lointaine? La perte d'influence de la France aux Amériques fut marquée par la perte du Canada en 1763, puis par la cession de la Louisiane en 1803, et l'indépendance d'Haïti en 1804, Ce qui ne permit plus à notre pays l'exercice d'un rôle prépondérant dans cette région du monde. De plus, il ne laissera pas un bon souvenir ni à Miranda, qui gardera une médiocre opinion d'un pays qui se livre au pouvoir d'un seul homme (Napoléon Bonaparte). Pour Bolivar, il fit comme son aîné et alla voir en 1806 si les anglais n'étaient pas mieux disposés à l'écouter, avant de traverser l'atlantique et se rendre aux États Unis en 1807 pendant 3 mois, puis pour revenir au pays et engager le combat au côté de Miranda peu d'années après.


 




Passage des Andes,

vous avez dit chef d'oeuvre cinématographique?



Lionel Mesnard
, le 16 février 2006
 

Passage des Andes, est un film collectif de l'École de Cinéma Populaire Latino-Américaine, il a été réalisé sous la direction de Thierry Deronne, (Vice-président de Vive Télévision, sise au Venezuela). Oui, il faut parler d'une oeuvre, si pour le moment j'ai du me satisfaire de découvrir ce film en DVD. Sa place est dans les salles de cinéma, c'est-à-dire sur un grand écran, et soit connu du plus grand nombre.

Il est important de souligner que je m'engage rarement dans la critique d'un film. Pour évidence est la raison d'un rapport peu évident face à une oeuvre d'auteur accomplie, chacun peut y puiser sa part de rêve, et en l'état éveillée et en toute lucidité. Je n'avais pas eu ce genre de plaisir depuis longtemps et je dois avouer que j'ai ces dernières années un peu déserté les cinoches. Pour autant, il ne s'agit pas de s'appesantir sur le déclin du cinéma, parce que justement Passage des Andes est un retour du 7ème art. Certes ce film n'est pas simple au premier abord, il peut faire fuir ceux qui chercheront un énième standard hollywoodien. Si Thierry Derrone est d'origine belge, il est en soit un « mutant » ou l'écho de la majestueuse cordillère des Andes. Il est un auteur engagé, mais il ne tombe pas dans le misérabilisme de la propagande. Cet homme a depuis longtemps épousé cette terre du nouveau monde et son imaginaire. Et, il très difficile de restituer un flot d'émotions, d'âmes et se sentir partir dans les nuages tout à la fois. Je pense depuis pas mal de temps que la réalité est souvent plus belle que la fiction, et pourtant là les deux se mélangent et c'est tout bonnement sublime.

Passage des Andes est un documentaire de fiction (67 minutes), qui vous porte au croisement de deux routes, et de deux révolutions. Plus exactement, nous plongeons dans les deux grands réveils de l'Amérique Latine. Celle du temps de Simon Bolivar au 19ème siècle et celle d'aujourd'hui. Voilà, ce que je puis apporter comme indices à votre curiosité. Je n'ai pas l'intention de commenter un travail qui mériterait une connaissance quasi encyclopédique du cinéma, et je préfère vous renvoyer à l'entrevue mené par Maxime Vivas auprès du réalisateur de ce film (1). A noter, que Thierry Deronne a aussi réalisé (en 2004) au sein de Vive télévision une série de leçon sur le cinéma (une dizaine), et que ce travail reste pour le moment inédit en Europe. Néanmoins, vous pouvez sur le site de Zalea Tv visionner une vidéo de cet auteur talentueux, et à découvrir absolument (2).

Si révolution, il y a, elle se mesure principalement à la place que l'on accorde à la culture et à sa transmission. Et il importe de viser des objectifs de très grande qualité, promouvoir une culture populaire qui ne se confond pas avec du folklore. Thierry Deronne nous transmet toute cette fraîcheur, il pose très haut cette exigence, et ouvre tout simplement la voie à d'autres auteurs sur un regard universel des choses. On a trop longtemps méprisé ces gens un peu hors des conventions, ces révolutionnaires latins que l'on croyait d'un autre âge. Pourtant ce mouvement historique et populaire né à la fin du dix-huitième siècle n'a jamais vraiment quitté l'esprit de tous les américains. Et au final, je finis par m'interroger sur le vol ou le détournement opéré par la révolution bourgeoise de 1789, du côté de la Bastille ?

Karl Marx, lui même n'a pas vraiment compris qui étaient ces hommes d'outre atlantique, il décrira Simon Bolivar (1783-1830) sous les traits d'un nouveau Napoléon Bonaparte (lettre à F. Engels, 1858). Certes Francisco de Miranda (1750-1816) et Bolivar ont livrés de nombreuses batailles, mais ce fut pour la liberté des peuples à disposer d'eux mêmes et en ces temps la révolution ne se vivait pas en spasme nationaliste, productiviste ou religieux, il était au service d'un seul et même universel et sur des bases authentiquement républicaines et sociales. Le rêve de la grande Colombie de Simon Bolivar était un objectif d'émancipation allant de la Paz au Panama, sur les décombres de l'héritage colonial hispanique. Ce qui peut étonner, c'est que cette même unité d'esprit refasse jour de nos jours, soit pour tout internationaliste bienveillant une nouvelle étape à franchir qui passe par l'intégration latino américaine. Et la route que nous ont ouverte les vénézuéliens, les brésiliens, les argentins, les boliviens et demain d'autres nations latino-américaines, nous rappelle un chant bien de chez de nous « (...) debout les forçats de la faim, la raison tonne en son cratère (...)».

Notes :

(1) A lire sur le site RISAL www.risal.collectifs.net/

(2) TELETAMBORES : Proposition pour une télé libre, de Thierry Deronne (2002)



 
 

À la rencontre du mouvement populaire du Venezuela :

Le développement social au coeur
 du processus bolivarien

                            

                                       Pierre BEAUDET, le 9 février 2006                                                                       

  photo : http://www.abn.info.ve
 




Pour la plupart des Québécois et des Québécoises, le Venezuela était jusqu'à récemment associé à l'image touristique de l'île Margarita ! Mais à Québec en avril 2001, nous avions observé qu'Hugo Chavez était le seul chef d'état à s'opposer à la ZLÉA. Puis, des militants et des militantes de chez nous sont allés sur place et des companeros et des companeras nous ont également visité. Peu à peu s'est développée parmi nous une conscience qu'il « se passait » quelque chose là-bas. Aussi dans le cadre du FSM « polycentrique » de 2006 à Caracas, plusieurs d'entre nous ont pensé que c'était une excellente occasion d'en savoir plus. Des rencontres ont été organisées pour faciliter les liens avec des organisations du Venezuela. Et à travers ces dialogues, nous avons appris des militants syndicaux, des féministes, des animateurs du mouvement urbain, des enseignants et des enseignantes, des intellectuels et bien d'autres acteurs qui contribuent à construire le mouvement populaire dans le contexte de grands bouleversements. Certes en quelques jours, nous avons à peine effleuré la dynamique complexe qui traverse ce pays d'Amérique du Sud. Mais avec ce qu'on nous a présenté comme perspectives intéressantes, lucides, critiques, constructives, nous avons conclu qu'il y avait des pistes où développer des relations de coopération et de solidarité à long terme. Pour continuer cette exploration, j'ai donc écrit cinq petits reportages pour couvrir quelques aspects du processus en cours :

 - Les enjeux du développement social
 - Le Venezuela dans la tempête, introduction sur le contexte politique
 - L'évolution récente du mouvement syndical vénézuélien
 - Le Venezuela au moment où le vent de changement pousse fort dans l'hémisphère
 - Le Venezuela et le FSM dans le contexte du FSM « polycentrique » à Caracas en janvier dernier.

Pour ce faire, j'ai été alimenté tout au long par beaucoup de personnes avant, pendant et depuis Caracas. J'assume quand même le texte et toutes les erreurs et omissions qui vont avec !

Voici donc le premier reportage.

La pauvreté dans un pays riche

Les turbulences qui traversent le Venezuela aujourd'hui ne datent pas d'hier. Des confrontations ont eu lieu et dans les années 1980, tout a déboulé. En 1989, de graves émeutes avaient lieu à Caracas et certaines villes de provinces. En gros, les pauvres disaient « basta » à un régime qui les volait tant par la corruption des élites que par l'imposition des politiques néolibérales. Fait à noter, le Venezuela qui est un pays très riche est habité par des pauvres. 48% de la population vit avec moins de deux dollars par jour. Selon la Banque mondiale, les 20% plus riches reçoivent 53% de tous les revenus pendant que les 20% plus pauvres doivent se contenter de 3% des revenus. Or ces pauvres sont largement « invisibles » dans la grille de l'économie ou du pouvoir. Ils sont dans le secteur dit « informel ». Ils n'ont pas accès aux services sociaux, à la santé, à l'éducation, contrairement aux classes dites moyennes qui étaient, du moins jusqu'au début des années 1990, assez confortables.

Changer de cap ?

Ce sont évidemment ces couches populaires qui se sont mobilisées avec et pour Chavez et son projet bolivarien. Aujourd'hui, le gouvernement proclame être engagé dans une « lutte à mort » contre la pauvreté et l'exclusion. Une quantité énorme de nouveaux programmes ont été mis en place, ce qui témoigne du volontarisme de l'État et aussi des initiatives de la base. Et selon le gouvernement, le pourcentage de la population pauvre est en déclin. Décidément, le pays est en train de changer, mais bien des questions se posent sur l'ampleur et la pérennité du processus. Pour le moment grâce aux prix élevés du pétrole, les indicateurs macro-économiques sont positifs, mais cette situation pourrait changer. En tout cas, le gouvernement Chavez a choisi de redistribuer cette richesse vers les gens. Ainsi de 1999 à 2004, les dépenses du gouvernement sont passées de 19% à 31% du PIB. En conséquence, les indicateurs sociaux s'améliorent. Le taux de chômage officiel (qui n'indique pas toute la réalité parce qu'il ignore le secteur informel) est passé de 20 à 14% en quatre ans.

Réforme agraire

Les initiatives du gouvernement affectent tous les secteurs. Dans le monde rural, le projet de réforme agraire en cours a commencé à redistribuer les terres du domaine public et pourrait s'étendre aux terres privées. À date, 2,8 millions d'hectares ont été distribués à environ 130 000 familles. Selon le gouvernement, l'agriculture pourrait être un secteur prioritaire, car à date seulement 25% des terres cultivables sont effectivement exploitées et 70% des aliments sont importés, essentiellement des Etats-Unis et du Canada ! 5% des exploitants agricoles détiennent 80% des terres cultivables. Les petits paysans se partagent 6% des terres par ailleurs.

Une ville pour tout le monde

Dans les zones urbaines où vivent plus de 80% des 26 millions de Vénézuéliens, la majorité de la population habite les bidonvilles, les barrios où les infrastructures sont diminuées et où le statut des habitants n'est pas légalisé la plupart du temps. Aussi, une des priorités du gouvernement est de formaliser l'occupation, ce qui permettra aux habitants de sécuriser leur maison et aussi de capitaliser. De manière générale, le gouvernement encourage la mise en place de « Comités de tierras urbanas » (CTU -comités de terres urbaines), qui doivent en principe gérer ce transfert de propriété par groupe de 100 ou de 200 familles. À date, plus de 500 000 personnes ont ainsi régularisé leur situation légale en devenant formellement propriétaires de leurs maisons. Entre-temps, le gouvernement investit dans les infrastructures urbaines et le logement, mais les besoins sont immenses. Il manque au moins 150 000 logements à prix modiques pour abriter la population qui ne cesse d'affluer vers les villes. Lors d'une visite dans le barrio « La Vega » sur les hauteurs de Caracas, les habitants du bidonville qui compte 32 000 habitants nous ont montré les nouvelles installations médicales et éducatives, les projets d'agriculture urbaine et d'autres réalisations concrètes. Mais beaucoup reste à faire. Selon une des responsables du CTU, le gouvernement tarde à remplir ses promesses d'assainir le quartier et de construire des installations d'égout adéquates. Entre-temps, les quelque 5000 CUT présents dans le pays pourraient devenir un mouvement social structurant. Le mouvement est en marche et s'est beaucoup renforcé depuis la « grève patronale » de l'hiver 2003 lorsque la population a été appelée à confronter les pénuries de toutes sortes.

L'éducation, un droit humain

L'éducation est une des grandes priorités pour le gouvernement Chavez et les améliorations sont visibles et reconnues par tous, même l'opposition. En ligne avec la constitution dont l'article 10e reconnaît l'éducation comme un « droit humain fondamental », le gouvernement depuis 2001 a augmenté le budget de l'éducation de 2,1% du PIB à plus de 4,3%. Des milliers de nouvelles écoles ont été construites, mais selon le ministère de l'éducation, le programme en cours vise plus que le béton. De la garderie à l'université, on veut favoriser l'accès aux couches populaires, en visant particulièrement 1,5 million d'enfants des quartiers et des régions défavorisées. C'est là qu'entrent en jeu les « missions » qui sont en fait des programmes spéciaux et parallèles et qui visent à briser le train-train bureaucratique en concentrant des ressources vers les pauvres. Ainsi la Mission Robinson se consacre à l'éducation primaire et lutte contre l'analphabétisme en visant 1,3 million de personnes de tout âge. La Mission Ribas pour sa part aide 700 000 jeunes à compléter leur cycle secondaire à l'aide de bourses, d'enseignement à distance et de stages en milieu de travail (70% des jeunes ne terminent pas leur secondaire). Dans l'enseignement supérieur, la Mission Sucre cible 350 000 jeunes par des bourses. Hugo Chavez promet de mettre la totalité des enfants à l'école d'ici 2010.

Avancées dans la santé

Dans la santé, les progrès sont également impressionnants. Dans les barrios, des cliniques servies par des médecins et des paramédicaux cubains (ils seraient plus de 10 000 dans le pays !), rejoints depuis quelque temps par quelques professionnels vénézuéliens qui au départ boycottaient ces initiatives. Mais la santé, c'est aussi la nutrition. Avec la Mission Mercal, 6000 « casas populares » ont été mises en place pour desservir 1,5 millions d'habitants des bidonvilles. Les aliments y sont vendus à des prix de 30% inférieur à ce qu'on trouve sur le marché « ordinaire ». La mission Barrio Adentro par ailleurs aide à la réfection des infrastructures, exclusivement dans les bidonvilles. Selon le ministre de la santé, le docteur Roger Capella, « le domaine social est considéré comme une dépense alors qu'en réalité, c'est un investissement. Mais cela n'est pas vue comme cela par les économistes traditionnels ».

Les femmes au coeur de l'économie sociale

Selon Janie Vicunem qui est une des responsables de la BANMUJER (Banque des femmes), au Venezuela le développement de l'économie sociale est vue comme une économie alternative où doivent dominer les pratiques démocratiques et autogérées. La BANMUJER bénéficie d'un important appui du gouvernement vénézuélien qui désire développer de nouvelles pratiques économiques incluant le micro-crédit et la mise en place de petites et de très petites entreprises familiales ou coopératives. Celles-ci se développent à un rythme spectaculaire : de 800 à 30 000 en cinq ans ! Depuis sa fondation le 8 mars 2001, la BANMUJER a appuyé 40 000 projets (des crédits en moyenne $300 dollars canadiens sont consentis aux femmes), ce qui a généré 75 000 emplois. Selon Vickunen, la Banque offre plus que des crédits en s'investissant aussi dans les projets et la formation. De plus et pour rester proche du monde ordinaire, la BANMUJER n'a pas de succursales au sens traditionnel, mais opère à travers 149 centres communautaires.

« Le pouvoir aux pauvres »

Les programmes de BANMUJER incluent des activités de formation sur les droits des femmes, sur la discrimination, sur les droits reproductifs, qui reste un sujet tabou dans un pays où la tradition catholique prédomine. Tout le terrain de l'économie sociale est donc en expansion, mais faute d'expérience et dans un environnement économique qui reste capitaliste, beaucoup de projets échouent ou restent dépendants de l'aide de l'État. Le « pouvoir aux pauvres », qui est l'un des slogans préférés de Chavez, reste encore une utopie lointaine, ce qui n'empêche pas les gens des bidonvilles d'avoir le sentiment que le gouvernement est derrière eux lorsqu'ils s'auto-organisent. « C'est une bataille de longue haleine, selon Janie : « nous tentons de créer une économie au service des gens et non des gens au service de l'économie. Nous ne construisons pas une banque, nous construisons un autre mode de vie ».

source : http://www.alternatives.ca/article2359.html








Colombie :

1) La propagande des médias
concernant la guerre à la drogue
 

2)
L'échec du processus
démocratique colombien


Par Garry Leech

janvier et février 2006
 

La propagande des médias concernant la guerre à la drogue

La semaine passée les correspondants des médias dominants basés en Colombie ont servi la propagande de la soi-disant guerre à la drogue menée par Washington dans ce pays sud-américain. Après la mort le mois dernier de 29 militaires tués par les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), le président Alvaro Uribe était décidé à montrer aux Colombiens et au monde que son gouvernement est en train de l'emporter dans le guerre civile et dans la guerre à la drogue. Cependant, pour que son message soit diffusé de façon efficace, Uribe avait besoin de la collaboration des médias internationaux. Pas de problème. Tout ce qu'il avait à faire c'était de planifier une offensive anti-narcotiques et de demander aux militaires un tour pour la presse [junket] pour transporter les correspondants étrangers de Bogotá à la zone d'opération. Inévitablement les journalistes dorlotés allaient citer les officiers de l'armée chargés de l'opération et allaient présenter de façon favorable un aspect du problème. Le 19 janvier l'armée colombienne a arrangé un tour pour la presse pour les journalistes de Reuters et de Associated Press pour aller couvrir l'éradication manuelle des plants de coca dans le Parc National de La Macarena, dans le sud-est de la Colombie. Les deux journalistes ont informé du lancement de l'opération de façon complaisante bien qu'ils ne fussent apparemment pas d'accord sur le nombre de troupes impliquées (c'était 3000 soldats selon AP, et 1500 soldats et policiers selon la version de Reuters). Les deux articles ne reportaient que le point de vue de l'armée colombienne sur cette opération d,éradication de la plante de coca. 

Le lendemain, plus de 50 publications dans le monde, y compris de nombreux quotidiens états-uniens, ont rendu compte de ces deux dépêches des agences. Le titre impartial de Reuters était le suivant : « La Colombie commence à nettoyer la coca le Parc National ». Le titre de la version AP cependant ressemblait à un communiqué du gouvernement colombien ou de l'ambassade états-unienne : « La Colombie se réapproprie une région infestée par la coca ». A aucun moment dans ces deux articles aucun des militaires qui a organisé le tour pour la presse [junket] explique ce que le gouvernement fait, s,il fait quelque chose, pour les quelque 5000 agriculteurs dont les moyens de subsistance sont détruits. A aucun moment dans ces deux articles il n,y a la moindre citation de propos émis par les paysans qui sèment la coca. Cela pourrait aider le lecteur à comprendre dans quelle mesure l,opération affecte les paysans et leurs familles et ce que ces derniers pensent de l,opération militaire. Et à aucun moment dans les articles il n,y a la moindre citation des FARC, expliquant leur point de vue sur l,opération militaire, supposée viser les sources de financement de cette organisation insurgée.

Les tours pour la presse [junkets] officiels, régulièrement organisés par le gouvernement colombien et par l,ambassade états-unienne sont un moyen pratique pour les correspondants basés à Bogotá pour visiter les lointaines régions rurales affectées par le conflit interne. Le problème, cependant, c'est que les journalistes sont transportés pour passer quelques heures avec des officiels qui leur offrent un article pré-emballé. Inévitablement la ligne officielle s'impose dans le compte-rendu. De leur côté, le gouvernement colombien et l'ambassade des Etats-Unis sont parfaitement conscients de la situation de dépendance totale des médias dominants quant aux sources officielles. Ils tiennent donc régulièrement des conférences de presse officielles et des officiers sont utilisés pour les actes publics, comme par exemple pour l'ouverture d'une nouvelle usine, ou à l'occasion d'une nouvelle opération militaire. Les officiels du gouvernement savent parfaitement que les médias couvriront ces actes de façon disciplinée parce qu,ils permettent de produire des articles convenables ; mais il y a peu de chances pour qu'un officiel dise quelque chose qui ait la valeur d'une nouvelle. Tous les correspondants étrangers basé en Colombie se présentent souvent à ces actes pour ne pas être le seul à ne pas rendre compte de la « nouvelle », ce qui signifie que paraîtront le lendemain des versions presque identiques du même reportage. Les officiels du gouvernement savent que s'ils occupent quotidiennement avec des nouvelles pré-emballées qui montrent le gouvernement sous un jour positif, les journalistes seront trop occupés pour pouvoir mener un véritable journalisme d'investigation qui pourrait soulever de véritables questions sur des thèmes importantes. 

La couverture du conflit colombien, comme pour d'autres sujets importants, ne doit pas se réaliser de cette façon. Les correspondants devraient travailler plus indépendamment et ne pas accepter passivement de se laisser orienter par les officiels du gouvernement. Deux, trois, quatre ou même cinq correspondants étrangers couvrant une conférence de presse de l'ambassadeur états-unien, par exemple, ne peut mener qu,à la publication de cinq articles presque identiques. Par contre un journaliste pourrait couvrir un événement comme une conférence de presse (et zéro si le gouvernement ne peut pas convaincre les médias qu,il va aborder un sujet important), cependant que les autres correspondants seraient libres de mener des investigations sur d'autres affaires. Le résultat pour le public serait une couverture beaucoup plus rationnelle de la Colombie. L,excessive dépendance des médias dominants vis-à-vis des sources officielles, voici l,une des raisons qui font que les journalistes indépendants et alternatifs suivent plus particulièrement les nouvelles et les points de vue généralement ignorés par leurs collègues des grandes entreprises médiatiques.

D
ans le cas des articles de Reuters et AP la semaine passée, les journalistes n'auraient pas dû baser la totalité de leurs articles sur le tour pour la presse officiel. Ils auraient dû voyager de façon indépendante vers la région, et mener une enquête plus profonde et plus étudiée de l'opération au lieu de simplement jouer le rôle de service de propagande des gouvernements colombien et états-unien. Une telle stratégie leur aurait permis de parler à des paysans cocaleros affectés par l,opération, d,interroger des membres des FARC (si ces derniers l'avaient bien voulu) et de sentir la situation sur le terrain au-delà des confins de leur garde militaire officielle.

Si les tours pour la presse [junkets] offrent un accès rapide, aisé et sûr à une nouvelle, ils affaiblissent la responsabilité journalistique qui est d'enquêter en profondeur sur un thème et d'éviter de dépendre d'une source unique. Bien que travailler de façon indépendante puisse parfois être dangereux dans un pays frappé par un conflit comme la Colombie, la réalité c,est que les journalistes basés dans ce pays d,Amérique du sud sont des correspondants de guerre et qu'ils ont la responsabilité de couvrir le conflit de façon rationnelle. Un article basé presque exclusivement sur quelques heures de présentation officielle mâchée ne peut pas être considéré comme relevant du journalisme.

En fait, ce n'est rien de plus que de la propagande officielle.

Colombie Elections sans démocratie

L'échec du processus démocratique colombien

Le boycott des dernières élections de la part de l'opposition vénézuélienne, laquelle n'avait guère de chances de remporter plus de 20% des sièges de l'Assemblée Nationale, a permis de susciter des interrogations quant à la légitimité du processus électoral vénézuélien. Cependant au bout du compte il était évident que le boycott de l'opposition n'était rien de plus que la tentative de créer la déficience démocratique à laquelle elle prétend s'opposer. Cependant dans la Colombie voisine, la légitimité démocratique est une nouvelle fois sérieusement malmenée. La campagne électorale est marquée par les habituels assassinats de candidats. Les candidats qui s'opposent au président Alvaro Uribe, tout particulièrement, sont les cibles des paramilitaires d'extrême droite supposés respecter un cessez-le-feu.

Lors des dernières élections au Congrès, en 2002, en raison des menaces et des assassinats, plusieurs dizaines de candidats uribistes s'étaient présentés sans opposition dans les régions paramilitarisées. Les paramilitaires garantissaient ainsi la victoire aux candidats de leur choix. Cela avait pris une telle dimension que Salvatore Mancuso, dirigeant des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC), avait déclaré après les élections que les paramilitaires contrôlaient 30% du Congrès. Les paramilitaires appliquent exactement la même stratégie pour les élections de mars 2006. D'après les Nations Unies, le mois dernier trois candidats municipaux dans le sud de la Colombie ont été assassinés par les paramilitaires.

Le commencement de la campagne en ce début d'année rappelle également les élections municipales de 2003 lorsque les groupes armés illégaux avaient tué 26 candidats. Bien que 20 000 combattants des AUC aient prétendument été démobilisés durant ces deux dernières années, selon le Centre des Ressources pour l'Analyse du Conflit (CERAC, http://www.cerac.org.co), le nombre de personnes tuées par les paramilitaires en 2005 était plus de deux fois supérieur au nombre de personnes tuées en 2004.

Selon Adam Isacson, du Center for International Policy ­dont le siège est à Washington­, « les organisations paramilitaires colombiennes en fait renforcent leur pouvoir, y compris lorsqu'elles se ''démobilisent''.
Le processus électoral a été l'un des moyens principaux ayant permis l'augmentation de leur pouvoir. Avec quelques dessous de tables et avec beaucoup de menaces, les chefs des AUC assurent que les candidats qui leur sont alliés remportent les gouvernorats, les mairies et les sièges au Congrès ». Il est difficile de considérer le processus électoral colombien comme légitime, quand nombre de candidats opposés au président sont contraints de se retirer parce qu'ils risquent d'être assassinés. Ainsi, les irrégularités du processus électoral colombien menace beaucoup plus gravement la démocratie que les problèmes rencontrés par l'opposition vénézuélienne.

L'ambassadeur états-unien William Wood a dénoncé l'implication des paramilitaires démobilisés dans le processus politique colombien, ce qui avait conduit le président Uribe à porter des accusations d'intromission. Une sénatrice a accusé Wood de l'avoir fait retirer de la liste des candidats de son parti en raison de ses liens avec le paramilitarisme. Mais étant donné que les élections au Venezuela, en Bolivie, en Iran, en Egypte et au Liban, ont été remportées par des régimes critiques des Etats-Unis, il est improbable que le gouvernement Bush remette sérieusement en question la légitimité du processus démocratique colombien qui devrait se conclure par la ré-élection d'un très proche allié.

Sources : Colombiajournal : http://www.colombiajournal.org/colombia225.htm
et
http://www.colombiajournal.org/colombia227.htm


 
 
 



Colombie :

Nous naviguons dans un océan d'incertitudeavec à l'horizon de temps à autre des îlots de certitudes...

Lionel Mesnard, Paris le 23-12-2005
 

Aborder la complexité d'un pays à travers un article sur des bases critiques, nous avons là toute la limite et le danger de la chose. Un site, « Média Ratings France » nous propose de décrypter l'actualité de la presse nationale (1) et au final, l'on devine un travail de propagande assez déroutant. Du moins, pour un observateur relativement attentif de comment en France est traitée la question colombienne ? S'il fallait faire un florilège des inepties écrites, des contre-vérités sur l'Amérique Latine, il faudrait créer quelques emplois à temps plein... Entre les à peu près, l'absence de références historiques, les insultes, les mensonges, et l'ignorance des journalistes et de ceux qui commentent les commentaires de la presse, je me demande ce que peut comprendre l'opinion publique d'une telle mélasse ?

Si vous croyez encore dans l'objectivité et que vous prenez pour bon enfant les propos de certains, la guerre civile qui se déroule depuis plus de 40 ans en Colombie n'est pas prêt de finir. Ce jeu est dangereux, pour ne pas dire pervers. Mieux vaut éviter de juger et répéter sans relâche, que la seule voie possible passe par une issue politique et une paix civile, qui ne soit pas artificielle. En arriver à faire les louanges du président Alvaro Uribe, c'est proprement incroyable. Mettre toutes les responsabilité de ce conflit sur les FARC, c'est désigner un bouc émissaire un peu trop facilement, mais on oublie au passage le rôle de l'ELN, et surtout les Armées des Unions Combattantes à qui sont imputées plus de 70% des atteintes aux droits de l'Homme pour l'année 2004 sur l'ensemble du territoire colombien (2). C'est aussi ignoré les problèmes frontaliers avec les voisins (Brésil, Équateur, Pérou, et le Venezuela), qui subissent eux aussi des exactions liées aux débordements des forces en présence. En bref, on pourrait en faire un poème à la Prévert, mais la question est trop paradoxale pour la prendre à la légère.

Concernant Ingrid Betancourt, rien n'oblige à partager toutes ses idées. Il importe d'être conscient que les colombiens y attachent relativement peu d'attention tant les difficultés quotidiennes sont prégnantes. Une réalité que récemment Mélanie Delloye-Betancourt rappelait, tant les médias sont concentrés, plus exactement aux mains d'un seul homme et ami du président ultra-conservateur en place. Mais de là, à ce que la famille Betancourt soit l'objet de dénigrement, cela marque à tout égard une absence d'empathie, le peu de noblesse de la cause « critique ». Mettre en avant l'action de la maman d'Ingrid Betancourt auprès des enfants défavorisés d'un quartier de Bogotà, non c'est impossible, sauf à rappeler pourquoi cette famille lutte corps et âme, c'est-à-dire pour la paix et le progrès social pour tous en Colombie. Quand certains prennent tribunes bien à l'abri et sous des airs de « démocrates », on se demande au service de quelle idéologie rétrograde ?

Comme le Ruanda, la Birmanie, la Colombie mériterait que les instances pénales onusiennes ré-ouvre le dossier sur la question des nombreux crimes perpétrés contre l'humanité, et crimes de guerre, dont un des principaux responsables de l'enlisement depuis les années 1990 n'est autre que le président Alvaro Uribe. Ce dossier est resté clos et avec la bienveillance de la France en 2002. Si depuis quelques mois, la diplomatie française oeuvre plutôt dans le bon sens, et cherche à libérer les 3 otages franco-colombiens (3), elle l'a fait aussi avec l'Espagne, l'Italie et la Suède (en janvier 2005). En clair ce n'est pas une intervention disjonctée de Dominique de Villepin sur la question, mais bel et bien une action commune de 4 pays membres de l'Union Européenne à prendre avec considération et pondération. La Norvège y participe, ainsi que la Suisse dans les actuelles négociations concernant les FARC ; et l'on doit souligner le rôle de deux médiateurs (Cuba et le Venezuela) dans les pourparlers entre Alavro Uribe et l'ELN (l'Armée de libération nationale) en décembre 2005 à la Havane, et la présence de Gabriel Garcia Marquez (Prix Nobel de littérature, colombien).

Il serait judicieux de parler du « syndrome de Bogotà » sous un autre angle, celui du rôle des transnationales, du financement étasunien du Plan Colombie, qui au lieu d'éradiquer la corruption, soutien et favorise la terreur des paramilitaires contre les populations civiles avec l'appui de l'armée régulière, et protégeant principalement les entreprises étrangères qui pillent les richesses de ce pays. Et ce malgré une pseudo démilitarisation des troupes d'extrêmes droites (AUC), un véritable miroir aux alouettes, dans les faits les pressions et les crimes continuent chaque jour. En 2005, près de 70% des syndicalistes assassinés ou persécutés dans le monde l'ont été en Colombie : plus de 145 meurtres et environ 700 agressions physiques. Cette flamboyante démocratie que l'on nous dépeint est un mensonge. Et s'il faut ajouter à la liste entre 20.000 et 40.000 morts par an depuis la fin des années 1980 en raison de la guerre civile toujours active, plus environ 200.000 réfugiés supplémentaires par an, sans omettre les 300.000 actuels exilés, et les 2 millions de migrants économiques au Venezuela. L'addition est un peu lourde pour faire l'éloge d'un régime en réalité corrompu jusqu'à la tête du pouvoir.

Écrire, que Alvaro Uribe dispose du soutien de plus de 70% des colombiens (et depuis 3 ans, selon le jounal Le Monde paru le 5-11-2005) ), on en rigole dans un pays ou à peine un habitant sur deux se rend aux urnes. Ah, le bouquet est tellement sinistre que nous avons encore droit « au méchant populo-castriste Chavez ». Celui que l'on s'ingénue à dépeindre en « dictateur », a néanmoins permis des évolutions sociales et économiques significatives au Venezuela, quand en Colombie la lutte contre la pauvreté consiste à fermer des hôpitaux publics (4). La sagesse de Hugo Chavez Friàs a été récemment d'apporter son soutien à la libération des otages, il a proposé de se mettre aux services de la libération d'Ingrid Betancourt aux côtés de la France (Paris, octobre 2005), et il n'est pas comme on le prétend un soutien affirmé aux guérillas. Il y a des contradictions qui échappent à certains, je leur accorde le droit d'être des propagandistes, mais certainement pas des observateurs critiques. C'est affligeant quand on fait le décompte, et que l'on constate que L'ELN n'est pas considérée comme une « organisation terroriste » (elle aussi), est-ce un oubli dans la circulaire européenne de 2003, qui montre là aussi une faille ou une incohérence de plus ? (5)

Pour revenir sur les « dangereux terroristes » des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie et patentés « narcotrafiquants », il y aurait de quoi voir sur place ce qu'il en est exactement ?
Surtout quand on sait le rôle moteur dans l'économie colombienne de l'argent de la cocaïne, et la proximité, là encore troublante des cartels, notamment de Medellin dans l'ombre du président. J'en oublierai presque comment on asperge régulièrement les terres et les paysans de produits toxiques, provocant chez les enfants comme chez les adultes des pathologies lourdes et handicapantes. Pour éliminer des plans de coca, on fait de même avec le genre humain, au nom de la lutte contre les stupéfiants. Celui qui tente de mettre son nez dans la question colombienne, a plutôt intérêt à s'informer largement. Je regrette à ce titre que l'évocation de la Colombie se limite à la libération d'Ingrid Betancourt et que l'on ne puisse pas prendre en compte toutes les réalités pesantes. Il faudrait évoquer la mémoire de Camilo Torres, de pourquoi des libéraux (au sens local c'est la gauche modérée), des hommes d'églises ont du conserver les armes et lutter contre l'infamie en place à Bogotà et depuis des lustres. Pour autant, cela n'absout pas les FARC et L'ELN d'erreurs et de crimes, je ne connais pas de « guerres propres », à part celles d'un certain Bush Junior et l'administration de l'État étasunien, qui maintiennent une tutelle oppressante sur l'Amérique Centrale et du Sud. La dernière trouvaille des amis parlementaires de Bush Junior est de construire un mur de 1000 kilomètres de long entre le Mexique et les USA (selon un sondage récent 58%des étasuniens désapprouvent) et les mexicains se sentent insultés, et se demandent ce qu'il va advenir aux plusieurs millions de migrants sans papiers résidant aux Etats-Unis ? 

La chasse aux « marxistes » ou aux « rouges » marche à plein depuis plus de 40 ans en Amérique Latine, ainsi on objecte une réalité qui a poussé certains à choisir une forme ultime de résistance à l'oppression. Dans le cas des militants d'origines des FARC, en 1964 c'était ça ou disparaître (au sens physique du terme), et pour tous ceux qui avaient choisis la révolution armée comme dernier recours face à l'intolérable. Une part du territoire colombien est morcelée, sa géographie particulière fait qu'une partie sont des zones sous influences « révolutionnaires » en son nord comme en son sud. Il existe aussi des expériences originales menées par des groupes religieux et civils pour créer des espaces de Paix. Là aussi, on dénombre l'assassinat régulier de militants d'associations des droits de l'Homme , qui justement favorisent et soutiennent des expériences collectives pacifiques et ses membres sont menacés quotidiennement par les paramilitaires. Tout cela encore n'est que le haut de l'iceberg de la question colombienne. L'objet est-il de savoir qui sont les bons et les méchants ? Pas vraiment, la marche indispensable vers une résolution plus que nécessaire du conflit n'est pas que l'affaire des seuls colombiens. C'est pour eux que nous devons amener un peu plus de précisions, moins d'à peu près et l'espoir de pouvoir un jour ne plus vivre dans la fureur des armes. Il est temps non seulement d'abattre le mur du silence, mais aussi de mettre fin à une désinformation permanente sur les souffrances des populations sud américaines.

A côté, la « dictature » cubaine est presque un paradis terrestre et ce malgré les privations du blocus économique, qui lui aussi a plus de 40 ans d'âge. Et il y a trente ans de cela, Bush Senior dirigeait la CIA, et la lutte contre les « communistes » a été surtout l'élimination de nord en sud des Amériques des élites militantes et progressistes. On ne naît pas révolutionnaire, on le devient quand la somme devient inacceptable, que l'on conserve en soit une capacité à s'indigner mais aussi à réfléchir et que l'on ne reste pas assis à attendre que le monde change, quand 80 à 90 % de la population n'a pas de quoi vivre dignement. Le propos peut sembler moral, oui mais au bon sens du terme, de l'honnêteté intellectuelle. À ne pas prendre sous un angle, mais sous plusieurs, sinon c'est faire un travail qui ressemble, soit à une problématique systématique, donc folle, soit à dénigrer des hommes et des femmes de progrès ; et finir par ressembler à la même soupe, qui vue ou lue de Bogotà ou de Paris ressemble à une hyper concentration des moyens d'informations à destination des citoyens. Si les outils de la critique sont eux mêmes tronqués, ne chercher pas à croire, faîtes vous votre propre opinion, et à partir d'analyses plus sérieuses. Qui cherche trouve, et, pour reprendre une idée d'Edgar Morin sur la complexité, nous naviguons dans un océan d'incertitude avec à l'horizon de temps à autre des îlots de certitudes...

Notes :

(1) 2 articles de media-ratings.com en 2005 sur la Colombie : - http://www.m-r.fr/actualite.php?id=1092
- http://www.m-r.fr/actualite.php?id=1216

(2) Un article sur le documentaire de Nicolas Joxe « ils ont tué un homme, ils ne feront pas taire un peuple (de juin 2005) sur la page Amérique Latine du site.
 
(3) à noter que Ingrid Betancourt n'est pas la seule franco-colombienne retenue contre son gré, un jeune homme, Marc Beltra et Madame Duvaltier (71 ans) ont disparu depuis de long mois, et sans véritables nouvelles d'eux depuis.

(4)
Il existe un reportage très instructif produit au sein du « Journal International des Quartiers », son site jiq-nib.org. C'est un document de Jungando de Locales (un regroupement de télévisions alternatives colombiennes) et le sujet traite de la fermeture (2004) d'un espace hospitalier dans un quartier populaire de Bogotà.
 
(5) DÉCISION DU CONSEIL du CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE du 22 décembre 2003, mettant en uvre l'article 2, paragraphe 3,du règlement (CE)n° 2580/2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et abrogeant la décision 2003/646/CE. Référence du texte : 2003/902/CE.


 
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