Pour rompre le cercle
vicieux de la violence
Pablo Picasso, la mère et l'enfant mort
Quelques jalons d'histoire sur les punitions corporelles
Chercher
à remonter l'histoire des punitions corporelles au fil des
temps, c'est découvrir qu'il est très difficile
d'établir la façon dont elles ont été
réellement utilisées à l'intérieur des
groupes familiaux. Les historiens nous offrent pourtant
quantités de documents sur la vie familiale à travers les
âges et les contrées, qu'il s'agisse de mettre en
lumière les usages culinaires, vestimentaires,
décoratifs, hygiéniques, érotiques ou autres
pratiqués dans les familles. Les informations sont alors riches
et les détails nombreux. Mais en ce qui concerne les
châtiments corporels, les textes sont rares et d'une
étonnante pauvreté. Il est beaucoup plus facile de
trouver des précisions sur les châtiments physiques
infligés à titre pénal par les institutions
judiciaires, ou dans le cadre de divers types de scolarités, que
d'obtenir des renseignements précis concernant ce qui se passait
dans l'intimité des foyers.
Quelques
auteurs, cependant, dont il faut souligner les mérites, ont
réussi à recueillir ici ou là certains faits qui
permettent, au-delà d'un tabou qui semble depuis toujours
régner sur ce sujet, de repérer quelques données
historiques ayant trait aux punitions corporelles (1 à 5).
Les
vertus éducatives des coups semblent avoir été
appréciées de façons très diverses suivant
les pays et les époques concernées. Et si, dans les pays
développés, on voit cette violence de l'éducation
diminuer indiscutablement au cours des siècles, cela ne se fait
que de façon lente et irrégulière avec,
périodiquement, des retours en arrière.
Mais
il est surtout intéressant de noter que, dans les
contrées pour lesquelles il a été possible de
recueillir suffisamment d'informations sur le sujet, la dureté
des punitions données dans la famille, à l'école,
et par les instances judiciaires, semble toujours évoluer de
façon parallèle :
plus les sociétés sont despotiques et se maintiennent par
la violence et plus les punitions corporelles sont fortes et
utilisées à tous les niveaux (2).
À RomeLe
droit de vie et de mort sur ses fils était accordé au
paterfamilias romain. Le dressage se faisait à l'aide de
châtiments corporels dès que l'enfant était «
en âge de comprendre » les réprimandes et les coups.
À l'école, le maître utilisait couramment la
férule. Parallèlement, les peines prononcées par
les juges étaient corporelles et des plus agressives puisqu'on y
trouvait la pendaison, la crucifixion, la noyade, la
précipitation de la roche tarpéienne, le bûcher,
l'emmurement, la jetée aux lions. Mais la mort pénale
était subordonnée à la reconnaissance d'une faute
répertoriée. Pour le fils, rien de tel depuis le pouvoir
accordé par Romulus au paterfamilias de tuer son enfant,
à vie, sans jugement et sans aucun chef d'accusation (outre la
prison, les verges, les travaux forcés et la vente). Alors qu'il
n'est pas fait mention d'un droit de mort sur l'esclave et sur la
femme, non plus que sur les filles, il est intéressant de noter
que seules les relations père/fils sont évoquées
lorsqu'il s'agit de châtiments corporels, aussi bien dans les
textes historiques que bibliques.
Ces règles prévalurent pendant plus de sept cents ans, jusqu'à ce qu'Auguste vînt les assouplir.
À ByzanceLa
période byzantine nous montre un père de famille
maître de sa femme, de ses enfants et de ses employés. Il
punissait ou pardonnait les fautes selon son bon vouloir et pouvait
vendre en esclavage épouse et enfants, ou bien louer leurs
services. Il fouettait le fils désobéissant, ou
l'immobilisait dans une entrave en cuivre. Mais il ne semble pas avoir
exercé sur lui de droit de mort, et si des mutilations
corporelles pouvaient sanctionner une faute (main coupée pour un
vol, verge coupée pour la pédérastie, nez
coupé pour viol ou adultère, pied coupé pour
l'esclave en fuite, langue coupée pour le politique
défaillant…), elles étaient en
général le fait de la justice d'état.
En FranceChez
les Francs de la période carolingienne, le père n'est
autorisé qu'à faire emprisonner ses enfants fautifs, et
doit, à la maison, utiliser « des corrections pas
furieuses mais fréquentes ».
L'adoucissement
des mœurs se poursuit au cours du Moyen Âge, une certaine
mansuétude se fait jour, l'enfant est présenté
comme un être précieux… mais encore sans esprit !
L'éducation idéale doit utiliser avant tout la parole et
l'exemple. Les parents peuvent avoir recours aux châtiments
corporels, mais tous les traités d'éducation recommandent
de n'y recourir qu'en dernière extrémité et
plaident pour une grande modération des coups.
Puis,
en un brusque retour en arrière, à partir du XVe
siècle, une vie disciplinaire de plus en plus rigoureuse va se
développer dans les collèges, pendant que dans la
société, les peines corporelles vont remplacer peu
à peu les amendes. Au XVIe siècle, en droit pénal,
on utilise le fouet pour punir une grande majorité des
délits, à tous les âges. Parallèlement,
à la maison, la punition corporelle se généralise,
et au XVIIe siècle, on inflige le fouet ou la prison aux enfants
comme aux condamnés. En même temps que les
châtiments corporels se développent, l'utilisation des
armes se répand « au XVIIe siècle, les
écoliers étaient armés … dès cinq
ans on pouvait porter l'épée » (2). Ce
parallélisme noté entre la fréquence de
l'utilisation des armes, l'importance des châtiments corporels
utilisés (dans les familles, les écoles et le droit
pénal) vient de faire l'objet de plusieurs travaux scientifiques
aux USA, nous y reviendrons.
Le
désir d'humilier et d'asservir l'enfant va s'atténuer au
cours du XVIIIe siècle, mais rien ne vient sanctionner les abus
de pouvoir des parents, quel que soit le degré de la
maltraitance prodiguée. En France, il faudra attendre 1889 pour
que soit votée la première loi rendant possible la
déchéance paternelle en cas de trop mauvais traitements.
En AngleterreBattre
son enfant serait recommandé par la Bible. La reine Victoria,
qui le croyait fermement, fit en son temps très largement
diffuser la sentence « spare the rod and spoil the child »
qu'elle attribuait à Salomon, alors qu'elle était en fait
de Bernard Shaw, et qu'elle reste toujours très largement en
usage en Angleterre et toujours attribuée à Salomon.
C'est dans cette période victorienne que la Grande Bretagne a vu
se développer une véritable « flagellomanie »
qui persistera longtemps après (6).
La
femme d'un clergyman faisait profession de fesser les filles
difficiles, elle prenait deux guinées par séance et
vendait ses fouets spéciaux par correspondance (en 1973, les
fouets s'acheminaient toujours par la poste, ils étaient encore
fréquemment demandés par les familles et les
écoles, mais dans les classes élevées de la
bourgeoisie, on demandait qu'ils soient livrés dans le secret).
Churchill
fut retiré de la « Saint George's preparation school
» lorsqu'il apparut évident qu'il y recevait des coups
brutaux : « combien je hais cette école et quelle vie
d'anxiété j'y ai vécue pendant plus de deux
années » dira-t-il beaucoup plus tard.
Le
« Times » fit à plusieurs reprises des campagnes
contre les châtiments abusifs utilisés dans les
écoles. En 1854, un enfant ayant nécessité des
soins médicaux après 31 coups de fouet, la
polémique fut vive et le plus ardent défenseur de ces
sévices fut un médecin. En 1877, après le suicide
par pendaison d'un garçon de 12 ans qui venait d'être
sévèrement battu, nouvelle polémique. En 1911, on
débat aux Communes sur les punitions qui marquent de traces
indélébiles les jeunes gens auxquelles elles sont
appliquées (6).
En
1977, le Directeur de la prestigieuse école d'Eton affirme que
les aînés n'ont plus le droit de battre les plus jeunes,
mais que le Directeur, le Sous-Directeur et la Maîtresse de
Maison utilisent toujours le fouet « mais sans dénuder les
garçons » (6). N'y aurait-il pas lieu de faire quelque
rapprochement entre le hooliganisme anglais et la brutalité de
l'éducation reçue par un grand nombre de jeunes sujets de
sa Majesté ?
Les
punitions corporelles ne sont interdites en Angleterre dans les
écoles publiques que depuis 1986. Elles viennent de l'être
en 1999 dans les écoles privées, où la
résistance reste grande.
La BibleAu
fait, que peut-on lire dans la Bible, à laquelle font souvent
référence ceux qui veulent prôner une
éducation basée sur la violence physique ? Si l'on scrute
les dires de la large cinquantaine d'auteurs qui ont, tout au long du
dernier millénaire avant notre ère, laissé des
écrits répertoriés dans cette immense fresque, on
peut constater que le phénomène des punitions corporelles
données aux enfants n'est qu'assez rarement évoqué
(7). De quelle façon ?
Dans
l' « Ecclésiastique » écrit vers 180 av.J.C.,
on peut noter cette suite de sentences au chapitre XXX appelé
« éducation » :
«
celui qui aime son fils lui donne souvent le fouet afin de pouvoir
trouver sa joie en lui » - « cajole un enfant, il te
causera des surprises; joue avec lui, il te contristera » -
« ne ris pas avec lui pour n'avoir pas à souffrir avec
lui, tu finiras par t'en mordre les doigts » - « meurtris
ses reins tant qu'il est enfant, sinon, devenu rétif, il ne
t'obéira plus ».
En
quelques lignes, ces propos nous font apparaître l'image d'un
père qui ne s'envisage pas comme éducateur, mais comme
seulement préoccupé de soumettre son fils à sa
propre volonté. La seule méthode étant alors de
briser ce fils. Est-ce là un précepte acceptable pour
l'an 2.000 que de proscrire la tendresse et le plaisir dans la relation
à son enfant ?
Dans
les « Proverbes » qui collectionnent des sentences
émises sur plusieurs générations et en maints
langages, et dont beaucoup se contredisent comme nos proverbes actuels,
on peut lire :
«qui épargne le bâton n'aime pas son fils, mais qui l'aime
se hâte de le châtier », mais guère plus loin
on note : « un reproche fait plus d'effet à un homme
intelligent que cent coups à un sot!».
Dans
le «Deutéronome», beaucoup plus ancien puisqu'on
le considère comme une sorte de testament spirituel de
Moïse, on va jusqu'à découvrir que : «lorsqu'un homme a un fils rebelle et révolté, qui
n'écoute ni son père ni sa mère s'ils lui font la
leçon, alors son père et sa mère s'empareront de
lui et l'amèneront aux anciens de la ville, à la porte de
sa localité... et tous les hommes de sa ville le lapideront et
il mourra».
On
voit donc que les prescriptions de la Bible sont assez contradictoires
: « mais ne t'emporte pas jusqu'à le faire mourir »
dans les Proverbes - tandis que «tous les hommes de sa ville le
lapideront et il mourra » dans le Deutéronome - alors
même que « si un homme frappe à mort un être
humain, quel qu'il soit, il sera mis à mort» dans le
Lévitique. Ces prescriptions correspondent à des
périodes historiques lointaines, étalées sur
plusieurs millénaires, et émanent de personnages
très divers, parlant à des époques où les
mœurs et les connaissances en matière de médecine,
de psychologie et de pédagogie étaient quasiment
insignifiantes. Il ne paraît donc guère possible
actuellement de se référer strictement à la Bible
pour y découvrir comment élever les futurs adultes du
troisième millénaire.
De nos joursOn
enregistre une évolution notable des mœurs, tant
familiales que scolaires ou judiciaires, vers un adoucissement
progressif, mais de façon irrégulière selon les
périodes et les pays. Certaines cultures manifestant, encore
maintenant, un attachement beaucoup plus fort que d'autres à des
normes éducatives violentes. Ces cultures sont celles qui
prônent l'asservissement de certains par d'autres, dans des
régimes totalitaires ou dictatoriaux qui ont en commun de
maintenir un pouvoir discrétionnaire sur les femmes, les enfants
et les employés (surtout s'ils sont femmes ou enfants).
En
France, il n'est sans doute pas étonnant de trouver en 1943,
dans la revue « Les dossiers de l'éducateur », un
« art de punir » ainsi libellé : «certaines
punitions physiques sont interdites par les règlements
scolaires, c'est à tort ... bourrades ou taloches ...
raclées ... nous ne voyons pas d'autres moyens de guérir
les enfants sensuels et vicieux » (8). Et dès 1941, le
« Manuel du Père de Famille », du vice-amiral de
Penfentanyo, préfacé par le Maréchal
Pétain, donnait les conseils suivants « si vous vous
laissez apitoyer... dès la première nuit, vous êtes
perdu... ne jamais céder au moindre caprice » et plus loin
« si tu dois donner le fouet à Louis, exige qu'il se
déculotte lui-même» (9).
Actuellement,
une enquête SOFRES faite en janvier 1999 pour «
Éduquer sans frapper », montre que seulement 12,5 % des
personnes interrogées ayant des enfants ne leur donnent jamais
de coups, alors que 33 % en donnent rarement, et que 54,5 % en donnent
plus souvent. Les plus âgés et les moins
diplômés des enquêtés ont été
les plus battus dans leur enfance. Ces moins diplômés
utilisent à leur tour plus fréquemment les
châtiments physiques que les autres parents puisque 45 % des
« sans diplôme » fessent leurs enfants « de
temps en temps ou souvent », contre 40 % des possesseurs du
certificat d'études, 28 % des CAP, BEP, BEPC, 24 % des BAC et 19
% des diplômés de l'enseignement supérieur. Les
femmes avouent battre leurs enfants « plus que rarement »
pour 35 % d'entre elles, contre 22 % des hommes.
Cependant,
si l'on parcourt les rayons consacrés à
l'éducation des enfants dans nos grandes librairies modernes, on
ne trouve pas un seul auteur pour vanter les avantages des punitions
corporelles, et pourtant, il semble que plus de 3 petits
français sur 4 les subissent.
Se
saisissant du problème, la Suède prenait sur tous les
autres pays une bonne longueur d'avance en votant, en 1979, une loi qui
interdisait les châtiments corporels (10) : cette position
n'était soutenue en 1965 que par 53 % des Suédois ; en
1995, 89 % y étaient favorables (96 % chez les moins de 35 ans).
Cette loi suédoise a depuis servi de modèle à
plusieurs pays qui l'ont fait voter chez eux (Autriche, Danemark,
Finlande, Norvège, Croatie, Chypre, Lettonie) ou sont en passe
de le faire (Allemagne, Canada, Irlande, Nouvelle-Zélande,
Pologne, Suisse, Belgique, Espagne).
Cette
loi s'énonce ainsi "Les enfants ont droit à protection,
sécurité et éducation. Les enfants doivent
être traités avec respect pour leur personne et leur
individualité et ne doivent pas être soumis à des
punitions corporelles ou à des traitements humiliants."
En
1979, en même temps que la loi était promulguée, le
Ministère de la Justice suédois finançait
très largement une campagne d'information à la
télévision et sur les autres médias. Une brochure
intitulée "Pouvez-vous élever vos enfants avec
succès sans gifle ni fessée ?" était largement
distribuée tandis que des affiches étaient
placardées un peu partout. Des cours gratuits de recyclage
étaient en même temps organisés pour les parents.
Un
travail effectué récemment par un sociologue canadien
montre que, contrairement à ce que les pessimistes promettaient,
des points fortement positifs ont été constatés
depuis la promulgation de la loi anti-fessée. En Suède,
aucun enfant n'est plus mort de suite de violence familiale, le nombre
de procès pour violence contre les enfants a diminué, de
même que le nombre d'enfants enlevés à leurs
parents suite à une intervention des services sociaux : entre
1982 et 1995, les « mesures obligatoires »
administrées chaque année ont diminué de 46 % et
les « placements en foyer » de 26 % (11).
Par
ailleurs, un criminologue qui étudie les tendances de la
délinquance juvénile en Europe depuis la guerre
déclare : « les études sur les rapports provenant
du Danemark et de la Suède indiquent que les jeunes
d'aujourd'hui sont plus disciplinés que les jeunes des
années 1970... le pourcentage de jeunes de 15 à 17 ans
condamnés pour vol a diminué de 21 % entre 1975 et
1996... le pourcentage de jeunes qui consomment de l'alcool ou qui ont
goûté à la drogue a également diminué
régulièrement depuis 1971... le pourcentage de suicides
chez les jeunes et celui des jeunes condamnés pour viol ont
aussi diminué entre 1970 et 1996 » (12).
Les
années 2.001-2010 ont été déclarées
par l'ONU « décennie pour une culture de la paix et de la
non-violence pour les enfants du monde » : il serait bon de
commencer par appliquer la consigne en famille et de promulguer en
France, en cette année 2.000, la loi qui montrerait la
manière française d'aborder le troisième
millénaire.
Car
nous venons de voir que la violence n'est pas la manifestation de
groupes humains génétiquement marqués, mais
qu'elle semble très souvent induite par les
sociétés elles-mêmes lorsque celles-ci donnent
l'exemple aux familles de l'autoritarisme, du despotisme, et fondent
leur pouvoir sur la violence. Le modèle suédois nous
montre que les positions inverses prises au plus haut niveau font
évoluer les mœurs de façon très
encourageante.
Arguments contre les punitions corporellesDe
nombreux travaux se sont échelonnés, surtout depuis 1975,
dans divers pays, pour évaluer les conséquences des
punitions corporelles. Émanant essentiellement de psychologues,
de sociologues et de médecins, les conclusions se rejoignent
pour montrer que ces punitions n'ont d'efficacité qu'à
court terme et sur des actions très ponctuelles, alors que leur
nocivité s'avère indiscutable.
Les punitions corporelles sont inefficacesLa
prestigieuse revue des médecins pédiatres
américains « Pédiatrics » faisait en 1998 le
point sur l'ensemble des travaux publiés sur l'utilisation des
punitions corporelles à l'école. Presque la moitié
des États ne les avait pas encore interdites. Elle confirmait
que les fessées sont inefficaces à l'école, et que
leur suppression n'augmente pas les mauvaises conduites (13).
Parallèlement,
les Drs Bauman et Friedman, après avoir fait une revue
générale de la littérature scientifique, disent
que les médecins doivent envisager avec les parents les
façons de punir leurs enfants et conseillent d'abandonner la
fessée « dangereuse, inefficace et abusive » (14).
Et
Robert Lazarlere, analysant 166 articles médicaux publiés
sur les punitions corporelles, conclut que les analyses prospectives ou
rétrospectives (donc rigoureuses) ne montrent aucun
résultat positif de leur utilisation. Seules des études
cliniques peu fiables montrent des résultats positifs, et
seulement à court terme (13).
Les punitions corporelles sont nocives
Ashley
Montagu, ethnologue, notait déjà il y a 50 ans que les
sociétés relativement non-violentes avaient en commun
l'éducation non-violente de leurs enfants, sans châtiments
corporels (15).
Depuis,
les travaux de recherche se sont multipliés sur ce sujet,
surtout dans les dernières années et dans des pays de
plus en plus divers. Ils font apparaître des relations
insoupçonnées auparavant entre l'utilisation des
punitions corporelles et l'exacerbation de la plupart des comportements
antisociaux : délinquance, accidents, agressivité,
mensonges, vols, dépressions, tentatives de suicide, abus
d'alcool, actes d'agression sexuelle envers les enfants, violence
conjugale, homicides...
En voici quelques preuves :
Relations entre punitions corporelles et délinquanceOn
entend couramment dire que la délinquance serait en rapport avec
l'éducation post-soixante-huitarde qui fait des enfants trop
« gâtés », le divorce des parents ou leurs
problèmes financiers. Or, Sakuta, au Japon, étudiant en
1994 des délinquants de 14 à 16 ans, découvre que
70 % d'entre eux vivaient avec leurs deux parents et 90 % dans des
familles financièrement stables. Mais 30,3 % étaient
considérés comme « élevés
sévèrement » et seulement 17,3 % comme «
gâtés » (16).
Un
grand nombre d'études différentes, utilisant des
méthodes différentes, mettent en évidence des
relations entre les comportements anti-sociaux des jeunes et les
punitions corporelles infligées par leurs parents (17). Plus
celles-ci sont utilisées et plus le risque de délinquance
des enfants augmente. Le pourcentage de crimes commis est doublé
chez les fils ayant reçu de fortes punitions corporelles de leur
père (13 ).
Relations entre punitions corporelles, accidents et maladiesEn
France, le Dr Jacqueline Cornet, effectuant en 1995 une recherche sur
300 jeunes accidentés de la route, a mis en évidence une
relation très forte entre la force, la fréquence et la
durée des coups reçus en famille à titre
éducatif et le nombre des accidents subis dans l'enfance et
l'adolescence. La différence est déjà notable
entre les enfants jamais battus et ceux qui n'ont reçu que des
coups « légers et rares ». La gravité des
accidents est aussi en relation avec l'importance des coups
reçus, et les plus souvent battus sont aussi les plus gravement
malades. De plus, les parents qui battent sont ceux qui ont
été battus dans leur enfance, et ils se retrouvent plus
nombreux lorsqu'ils ont été élevés dans des
pays gouvernés par des régimes despotiques : un
véritable cercle vicieux de la violence semble ainsi se mettre
en place (18).
Odile
Bourguignon avait déjà montré une violence
éducative multipliée par trois dans les familles
où un enfant avait été victime d'un accident
mortel (19).
Relations entre punitions corporelles et troubles du comportementToujours
en France, Suzanne Robert-Ouvray travaille sur les liens entre le corps
et le psychisme de l'enfant. Elle précise que le cervelet, qui
permet à l'enfant de récupérer très vite
ses coordinations psychomotrices après une violence, n'est
mature que vers 3 ans. Avant cette période, tout bouleverse
l'enfant, les cris, les coups, les bousculades. Ses idées, ses
débuts de logique, ses raisonnements sont alors secoués
comme dans un gobelet. L'enfant tétanisé dans son corps
est sidéré dans sa pensée. À l'âge
adulte, ce processus de sidération se réactivera à
la moindre violence. L'enfant battu devient un adulte qui a des
difficultés à mettre en cohérence ses
pensées et ses actions musculaires (20).
Et
le Dr Marie Choquet, chercheuse au CNRS, qui dirigeait en 1994 une
étude portant sur plus de 12.000 jeunes, note que « les
filles, mais surtout les garçons, qui ont été
victimes de violences sont eux-mêmes plus violents que ceux qui
n'ont pas subit ces atteintes... lorsqu'un jeune manifeste une grande
violence, il faut rechercher les antécédents de violence
subie... on a constaté une forte liaison entre toutes les formes
de violence (sur soi, sur autrui et subie) » (21).
Aux
États Unis, Eron, dès 1960, montrait déjà
que les enfants les plus sévèrement punis par leurs
parents étaient les plus agressifs à l'école (13).
Muller, en 1995, interrogeant 953 étudiants et leurs parents
(séparément), sur leurs comportements plus ou moins
agressifs, note que le rôle de l'éducation pour expliquer
les comportements agressifs des étudiants paraît beaucoup
plus en rapport avec les faits que le rôle de la
génétique (22).
Brenner
découvre de son côté que les adeptes des punitions
corporelles déplorent chez leurs enfants des problèmes de
comportement qui sont de 20 % plus élevés que chez les
parents qui ne les utilisent pas (23). Dans un groupe de 52
mères, interrogées sur leurs façons d'agir et
celles de leurs enfants, les problèmes de comportement des
enfants apparaissent significativement en relation avec les cris et les
coups utilisés comme méthode de discipline (24).
Murray
Straus va alors prouver, chez 933 mères d'enfants de 2 à
14 ans, que plus les punitions corporelles sont utilisées et
plus les enfants s'engagent dans des conduites et des actes impulsifs
(25). Chez 807 mères d'enfants de 6 à 9 ans, il note que
plus elles utilisent la fessée pour corriger des conduites
anti-sociales telles que mensonges, agressivité et vols, plus
ces conduites sont élevées. Quand les parents n'utilisent
plus les punitions corporelles et les remplacent par d'autres modes de
discipline, les conduites anti-sociales diminuent (26).
Les
punitions corporelles sont encore utilisées à
l'adolescence à l'encontre d'un jeune américain sur deux
: chez ces enfants longtemps battus, Murray Straus trouve à
l'âge adulte un risque accru de dépression, de tentative
de suicide, d'abus d'alcool, d'actes d'agression sexuelle et de
violence envers le conjoint (27).
Alors
qu'Edfeldt démontre en Suède comment avoir reçu
des fessées augmente la probabilité d'avoir une
dépression (28). Et que Mc Cord aux USA décèle que
plus les enfants reçoivent de punitions corporelles, plus ils
sont égoïstes et moins ils ont de considération pour
les autres (29).
En
Australie, en 1990, le National Comitee of Violence, faisant un rapport
sur les causes de la violence agie, note en premier lieu la violence
familiale. En Allemagne, Schurid et ses collaborateurs
démontrent que la prévention de la violence passe, entre
autre, par la prévention de la violence familiale. Et le
Comité de Los Angeles pour la prévention de la
délinquance arrive lui aussi à la même conclusion.
Cependant,
beaucoup de gens disent « j'ai été battu et je suis
O.K. ». Parce que lorsque les mauvais effets des punitions
corporelles se manifestent (dépression, violence,
délinquance ...), ils ne sont presque jamais rattachés
aux coups reçus dans l'enfance.
Le
Web présente par ailleurs des témoignages de personnes
accrochées à des pratiques sado-masochistes et qui
racontent comment elles les font remonter aux troubles engendrés
par certaines fessées « déculotté »
subies dans l'enfance...
Relations entre punitions corporelles et homicidesLes
punitions corporelles sont censées punir un comportement
déplaisant, mais l'homicide aussi dans les 2/3 des cas. Les
coups sont administrés, comme l'homicide, dans un contexte
d'impulsivité et de colère qui est donc donné
comme modèle à l'enfant que l'on punit ainsi. Or le
suédois Edfeldt vient d'établir, dans 10 pays
européens, un parallèle entre l'approbation de la
fessée par les parents (et les enseignants) et le taux
d'homicides et d'infanticides (13).
On
note aux USA trois fois plus d'homicides par 100.000 habitants qu'au
Canada et huit fois plus qu'en Europe. Mais seulement deux états
sur cinquante interdisaient les punitions corporelles à
l'école en 1976. Si vingt-six nouveaux états ont peu
à peu suivi la même voie, en 1996, vingt-trois
résistaient encore. Or on note des taux de violences et
d'homicides plus forts dans les états pérennisants les
châtiments corporels à l'école... qui sont
d'ailleurs les mêmes que ceux qui possèdent le plus grand
nombre d'armes individuelles ! (13). Ces données prêtent
fortement à réflexion sur les causes de la violence qui
s'exprime aux U.S.A.
La
relation entre violence dans l'éducation et recours à
l'homicide est par ailleurs démontrée, à une
beaucoup plus grande échelle, quand on examine la biographie des
despotes dont la paranoïa meurtrière a endeuillé le
XXe siècle : Hitler, Staline, Céaucescu, Mao Tse Toung.
Les ouvrages d'Alice Miller décrivent les violences dont ils
avaient été eux-mêmes victimes dans leur enfance de
la part de leurs parents et éducateurs. Ils montrent aussi
comment la violence faisait partie intégrante et quasiment
exclusive du système éducatif familial prôné
dans certaines dictatures (30). Les écrits du Dr Schreber
enseignaient en Allemagne au XIXe siècle comment, par des
punitions corporelles données « même à
l'âge le plus tendre », devenir « maître de
l'enfant pour toujours » (31). L'écrivain Thomas Bernhard
raconte à quel point, en Autriche, ce type d'éducation
était mis en pratique et combien il en avait souffert (32).
Les punitions corporelles sont de plus en plus contestées13
Professeurs de Pédiatrie américains ayant
travaillé sur les effets des punitions corporelles et
réunis en Congrès en 1996 étaient tous d'accord
pour affirmer que plus durement, plus fréquemment et plus
longtemps ces punitions sont utilisées et plus l'enfant
développera des conduites agressives et anti-sociales comme
adolescent ou adulte (13).
L'Académie
américaine de Pédiatrie prend position en 1998 pour
affirmer que les punitions corporelles sont d'efficacité
limitée et sont potentiellement délétères.
Elle recommande d'aider les parents à développer des
méthodes éducatives autres que la fessée (33).
La
Société canadienne de Pédiatrie, qui
représente 2.000 pédiatres canadiens, déconseille
le recours aux punitions corporelles et insiste sur le fait que «
les châtiments corporels aux nourrissons et aux adolescents sont
tout particulièrement néfastes » (34).
L'Eglise
anglicane d'Australie met en garde contre la validité du
proverbe « spare the rod and spoil the child », compte tenu
des effets négatifs des punitions corporelles sur la violence et
la délinquance des jeunes (35).
Les parents peuvent-ils évoluer ?Des
parents ayant bénéficié d'un programme
éducatif de 10 semaines réduisent notablement le recours
aux punitions corporelles (36). Chez 807 mères d'enfants de 6
à 9 ans, on a vu régresser les conduites antisociales des
enfants quand les parents ont remplacé les fessées par
d'autres modes de discipline (33).
Qui utilise les punitions corporelles et pourquoi ?Les
parents les plus irritables, déprimés, fatigués et
stressés sont apparus comme les plus grands utilisateurs de
punitions corporelles : l'enfant est donc puni en fonction de ce dont
souffre ses parents et non pas en fonction de ce qu'il fait ou ne fait
pas. L'utilisation des châtiments corporels est d'ailleurs en
relation avec un faible degré de chaleur parentale et
d'attachement parent-enfant (13).
Aux
USA, actuellement, 17 % des parents ne battent pas leurs enfants,
tandis que 50 % les battent encore à l'adolescence. Le manque de
respect de l'enfant envers le parent est donné comme un des
motifs principaux de punition corporelle. Est-ce qu'un enfant que l'on
bat est un enfant que l'on respecte, alors que l'on sait que 30 % des
coups sont donnés avec une réelle violence ? Cet enfant
peut-il alors respecter ses parents ? (13).
Dans
les cultures prônant le culte de l'honneur, on trouve beaucoup
plus de violence dans l'éducation, mais aussi des taux
d'homicides supérieurs, des taux de violences et injures sur
autrui plus élevés et des votes plus importants en faveur
du port d'armes (37).
La
liste de ce qui mérite la fessée, établie par
Dolias, est très variable d'un couple de parents à
l'autre, et même d'un parent à l'autre dans une même
famille. Ce qui prouverait que rien ne « mérite »
vraiment la fessée (38). D'autres travaux révèlent
que les punitions corporelles varient aussi suivant le sexe de
l'enfant... et du parent (18).
Quant
à Tiller, il dépeint des pères ayant une
très mauvaise estimation des possibilités de leur
bébé à 3 mois. Cependant, ces pères
proposent déjà des punitions corporelles pour modifier
des comportements dont on sait qu'ils ne peuvent l'être à
cet âge (39).
Les
parents qui battent expliquent souvent leur comportement par leur
attachement à leur culture, c'est-à-dire aux traditions
familiales ou locales dans lesquelles ils ont été
élevés... mais tous ont abandonné le lavage du
linge au vieux lavoir local ; aucun ne rechigne devant l'automobile, la
télévision ou les congés payés. Pourquoi
alors la fessée ne serait-elle pas aussi facilement
dépassée que le lavoir et la voiture à cheval ?
Les parents qui utilisent les fessées sont-ils satisfaits ?Mille
mères du Minesotta ayant utilisé des punitions
corporelles au cours des 6 mois précédents sont
interrogées rétrospectivement sur cette pratique : 54 %
reconnaissent que, dans la moitié des cas, la fessée
n'avait pas été la bonne chose à faire. Dans un
autre groupe de parents interviewés, 85 % de ceux qui
utilisaient la fessée étaient prêts à
l'abandonner si on leur apprenait de meilleures alternatives. Ils
reconnaissaient que les fessées n'avaient d'efficacité
qu'à très court terme et ne modifiait pas le comportement
de l'enfant à plus long terme (13).
L'enquête
réalisée en France par la SOFRES en janvier 1999 montrait
que 45 % des personnes interrogées pensaient que les
châtiments corporels avaient des conséquences
négatives « sur le développement de la force de
caractère, sur le sens des responsabilités, sur le
travail scolaire, et sur l'aptitude à entrer dans la
société ». Or nous avions vu
précédemment (page 5) que seulement 12,5 % des parents ne
battent pas leurs enfants. Il y a donc une proportion notable de
parents qui usent des punitions corporelles tout en pensant qu'elles ne
sont pas une bonne solution.
Les
conséquences négatives de la fessée étaient
majoritairement reconnues par les plus instruits des parents
interviewés par la SOFRES (65 % parmi ces derniers). Ce sont les
mêmes qui disaient avoir reçu le moins de punitions
corporelles de leurs parents et qui les utilisaient eux-mêmes le
moins souvent envers leurs enfants. Il se confirme donc bien que le
fait d'avoir été peu battu et d'avoir eu la
possibilité d'accéder largement à la connaissance
permette à l'adulte devenu parent d'éduquer sans frapper.
Comment expliquer la nocivité des punitions corporelles ?Elles
donnent le mauvais exemple de la violence puisqu'elles disent que
lorsqu'on est fâché, on doit frapper. Elles brisent aussi
les autres modes relationnels qui fonctionnent sur la reconnaissance et
l'estime de soi, le plaisir de faire plaisir, le plaisir de comprendre,
de pouvoir évoluer, de grandir.
Ce
type de châtiment élimine la possibilité pour un
enfant d'avouer des désirs irrationnels, que la punition ne
change pas mais ensevelit, et qui resurgiront plus tard. Colère
et frustration accumulées risquent d'exploser ensuite dans des
actes de délinquance. Le changement de comportement de l'amour
à la haine est souvent brutal, les parents pensent alors qu'ils
n'ont pas assez puni et refusent de prendre en compte la longue
détérioration de leur relation à l'enfant. «
Vider la banque d'amour crée les conditions des futures
difficultés » (40).
Au
plan physiologique, ces punitions, surtout si elles sont
répétées, cassent les mécanismes
automatiques naturels d'adaptation aux situations dangereuses que sont
la fuite ou la protection de soi, puisque devant les coups parentaux on
ne peut ni fuir ni se protéger. S'il a brutalement à
faire face à une situation dangereuse, l'enfant
conditionné à bloquer ses mécanismes de
défense se retrouvera automatiquement en état
d'inhibition, de sidération, qui le rendra incapable de se
protéger efficacement. Par ailleurs, le blocage des
réflexes innés de protection ou de fuite déclenche
une réaction hormonale (décharge de
catécholamines) dite « d'inhibition de l'action »,
préjudiciable à certains organes. Elle peut ainsi
favoriser le développement de maladies psycho-somatiques, qu'il
serait d'ailleurs plus judicieux d'appeler socio-somatiques (41).
De
plus, l'enfant dont les erreurs sont sanctionnées par des coups
vit dans la peur d'être frappé et n'ose entreprendre quoi
que ce soit de difficile de crainte de déclencher la punition ;
beaucoup d'apprentissages, qui ne peuvent s'effectuer sans erreurs, en
seront forcément limités.
Les
punitions corporelles données aux enfants signifient seulement
que la personne qui inflige la punition n'est pas contente et rien
d'autre,
ce
qui n'explique pas la vraie raison du mécontentement, parfois
difficile à discerner par le punisseur lui-même,
ce qui n'aide pas l'enfant à ne pas recommencer (aucun effet des punitions corporelles à long terme),
ce qui n'apprend pas, à celui qui a commis une erreur, qu'il doit la réparer et comment le faire.
Arguments des adeptes des punitions corporelles
Nous
avons vu qu'aucun travail scientifique sérieux n'est jamais venu
prouver que les punitions corporelles soient efficaces ou anodines,
bien au contraire. Malgré cela, les inconditionnels de ces
châtiments présentent en général deux
arguments pour défendre leurs positions : la
nécessité de mettre des « limites » aux
enfants, et le besoin que ceux-ci auraient de sentir le poids d'une
« autorité ». Voyons ce qu'il en est :
La nécessité de mettre des « limites »Il
est bien évident pour chacun que la vie en
société, familiale ou plus élargie, est faite de
toutes sortes de contraintes qui sont des limites que nous devons
mettre à nos désirs et à ceux de nos enfants.
Chaque famille va donc être confrontée à
l'obligation d'imposer des limites à ses enfants. Or dans la
société adulte, les coups sont interdits, y compris pour
faire respecter les limites que nous pensons devoir imposer à
ceux qui nous entourent. Pourquoi donc apprendre à un enfant un
mode de fonctionnement et de résolution de conflit qui lui sera
très vite interdit et que la société
réprime et sanctionne ?
Le
parent qui bat n'est-il pas justement celui qui ne sait pas s'imposer
de limites, celui qui a dépassé ses propres limites
à l'opposition de l'enfant ? On ne peut pas inculquer des
limites en enfreignant celles que la société a
fixées.
Cependant,
les parents entendent ici ou là qu'il faut « mettre des
limites » aux enfants le plus tôt possible : les laisser
pleurer pour qu'ils comprennent qu'on n'est pas à leur service,
les faire boire toutes les trois heures pour les régler... :
l'éducation organisée par des règles rigides est
sous-tendue par la peur que l'enfant prenne le pouvoir. Quand le parent
dit « il a besoin de limites » cela signifie « il
faut qu'il m'obéisse » : il ne s'agit pas du désir
d'en faire un être autonome, attentif, empathique et ouvert, mais
au contraire de l'asservir.
Les
limites que donnent les parents sont souvent leurs propres limites de
tolérance aux cris des enfants, à leur refus de manger,
à leur peur de s'endormir... Ces limites sont inscrites dans
l'histoire personnelle des parents. Quand le parent frappe l'enfant,
c'est parce qu'il est arrivé à un seuil de souffrance
personnelle, souvent inconsciente, qui se traduit le plus
fréquemment par de la colère et de la violence. Les
enfants n'ont pas besoin de telles limites, mais ils ont besoin d'un
accompagnement sécurisant face aux frustrations
inévitables.
Toutes
sortes de négociations non violentes peuvent être
engagées avec l'enfant pour l'amener à respecter nos
limites et celles que lui poseront forcément ses
congénères tout au long de sa vie. Autant
l'entraîner vite aux méthodes socialement acceptables et
respectueuses de lui-même et des autres.
Le besoin d'autorité de l'enfantLes
parents jouissent automatiquement et pendant un certain temps, de par
leur taille physique et psychologique, d'une autorité naturelle
sur leurs enfants. Point n'est besoin alors d'en rajouter : des ordres
précis et cohérents suffisent à édicter les
quelques règles indispensables.
Mais
l'enfant n'a-t-il pas besoin de repères plus que
d'autorité ? Montrer l'exemple à son enfant d'une
écoute ouverte, de notre respect envers lui et envers les
autres, de notre esprit de justice, de notre tolérance, de la
cohérence de nos exigences, lui permettra très vite de
nous reconnaître comme adulte fiable. C'est ainsi qu'il pourra
repérer et reproduire les attitudes socialement positives.
Manifester de la violence, c'est au contraire douter de son
autorité, et inculquer ce modèle à l'enfant. Ce
doute vient en général du rapport difficile que le parent
avait lui-même établi avec l'autorité parentale
dans son enfance.
L'enfant
n'a pas vraiment besoin d'autorité ; il a besoin d'avoir
confiance dans un adulte suffisamment juste et attentif. Comme l'adulte
d'ailleurs, il a besoin de reconnaître chez ceux qui le guident
des compétences et des valeurs morales.
Alternatives aux punitions corporellesLa
violence utilisée au prétexte de l'éducation est
toujours néfaste. Ceux qui l'utilisent devront donc être
informés qu'ils sont dans l'erreur, mais aussi aidés. En
effet, pour beaucoup de parents, les alternatives aux punitions
corporelles ne pourront se mettre en place que si un appui suffisant
peut leur être fourni. Il faudra donc successivement :
Aider les parents à résoudre leurs difficultés personnellesLes
erreurs de discipline parentale sont souvent liées à
d'autres types de problèmes : isolement social - discorde
conjugale - problèmes de santé physique ou mentale - abus
de drogues - extrême jeunesse - et surtout maltraitances subies
dans leur enfance.
Il
faut aider les parents à sentir leurs limites personnelles,
à parler de l'éducation qu'ils ont eux-mêmes
reçue, et à exprimer les difficultés qu'ils ont eu
à vivre au long de leur histoire personnelle. Il serait
évidemment idéal d'avoir pu prendre en compte et tenter
d'aplanir ces difficultés avant toute grossesse. Cela n'est pas
souvent le cas. Un suivi social, psychologique et éducatif
parental devrait donc être mis en place parallèlement au
suivi de toute grossesse et pourrait être prolongé tout au
long des trois premières années de la vie de chaque
enfant. Lorsqu'on sait quelle importance ces trois premières
années de la vie ont pour l'avenir de l'enfant, l'investissement
fait auprès des parents pour un bon déroulement de cette
toute première éducation apparaîtra très
vite extrêmement rentable.
Préparer les parents à jouer leur rôleIl
est vraiment curieux que l'on ait tant d'exigences lorsqu'il s'agit de
former une puéricultrice, que l'on multiplie les années
d'apprentissage pour des métiers auparavant appris sur le tas,
et que l'on considère que la fonction parentale, que tous ceux
qui l'ont exercée reconnaissent comme l'une des plus difficiles
qui soient, ne fasse pas systématiquement l'objet d'une
réflexion approfondie.
Beaucoup
de livres très bien faits donnent d'excellents conseils
éducatifs, mais trop peu de parents s'en inspirent. Il faudrait
absolument qu'une préparation à la parentalité,
destinée aux garçons comme aux filles, soit largement
proposée. Une telle initiation pourrait intervenir dès la
période scolaire en offrant aux adolescents des
possibilités de réfléchir sur la façon
d'établir des rapports avec les enfants.
Puis,
dès la première grossesse. on ferait découvrir aux
futurs parents les comportements qui facilitent et agrémentent
beaucoup la vie de famille et laissent s'épanouir des adultes
responsables et heureux de vivre en société. Parmi ces
comportements, citons seulement pour exemples :
Se renseigner sur les possibilités réelles de l'enfantEn
fonction de son étape de développement. En fonction des
problèmes particuliers que chaque enfant peut avoir à
surmonter. Faire confiance aux capacités d'organisation du
bébé
Le laisser se rythmer :
les enfants qui n'ont pu grandir dans leur rythme sont plus nerveux que
les autres. Essayer d'être un bon modèle de communication
interpersonnelle
L'enfant respecté et dont les parents se
respectent mutuellement saura respecter. L'enfant écouté
et dont les parents s'écoutent mutuellement saura
écouter. L'enfant compris dans ses besoins physiologiques et
affectifs saura comprendre les autres et donc vous-même. L'enfant
entouré d'affection saura prouver la sienne.
Apprendre à identifier les conflitsSi des divergences de vue posent problème entre vous et votre enfant,
ou bien le problème n'est en fait pas le vôtre mais le
sien et c'est à lui de le régler (la longueur de ses
cheveux, la couleur de son pull-over, l'instrument de musique dont il a
envie de jouer... ), ou bien
le problème est le vôtre (vous ne supportez pas la sono si
forte ou le retard à table), il y a donc conflit entre le
désir/besoin de votre enfant et le vôtre et une
négociation est alors à entreprendre.
Apprendre à gérer les conflitsEn
cherchant à comprendre les situations qui les
génèrent. En donnant la parole à l'enfant pour
qu'il s'exprime sur sa difficulté. En introduisant l'humour ou
le jeu chaque fois que possible. En laissant toujours une petite marge
d'autonomie, de manœuvre à l'enfant. En tenant compte du
tempérament particulier de chaque enfant.
En exigeant des « réparations » lorsqu'une
transgression a été commise, réparation qui doit
permettre à l'enfant d'être réintégré
et non pas exclu du cercle des règles.
En négociant : le parent et son enfant n'ont ni les mêmes
besoins, ni les mêmes désirs : ceux-ci entrent donc
forcément et souvent en contradiction. Personne n'a tort ni
raison d'avoir des besoins et des désirs. Il faut trouver les
solutions qui lèsent le moins possible les uns et les autres,
afin de ne pas engendrer de trop fortes frustrations, sources
d'agressivité ou de dépression.
Dans la négociation, ou bien chacun fait une concession, ou bien
on en fait une à tour de rôle, ou bien on demande à
une tierce personne neutre dans le conflit de proposer une solution...
chaque famille doit trouver sa façon de gérer les
conflits... mais autant que possible sans « perdant » et
sans « coupable ».
Mais surtout ne pas oublier la tendressela
meilleure des alternatives à la violence. Lorsqu'on doit imposer
à un enfant une frustration nécessaire, celle-ci sera
beaucoup plus facilement acceptée si le ton employé est
déjà porteur de tendresse, et plus encore si un geste
affectueux (embrasser, serrer dans ses bras... ) encourage l'enfant
à faire l'effort demandé. La tendresse est la dimension
émotionnelle qui permet de compenser les duretés de la
vie. Elle n'est pas antinomique d'organisation, de repères, de
fermeté : être tendre, c'est être ni dur ni mou
De
nombreux auteurs traitent fort intelligemment de ces questions. La plus
connue est sans conteste Françoise Dolto (La cause des enfants,
La cause des adolescents, Tout est langage... ), mais Thomas Gordon
(Parents efficaces, Etre parent ça s'apprend) et beaucoup
d'autres pourraient être cités : on les découvre
facilement en fouillant les rayons « éducation » des
bonnes libraires. Chaque parent peut trouver le texte dont la lecture
lui convient.
Légiférer contre les punitions corporelles...
Pourquoi une loi?
Alors
que les méfaits de l'utilisation de la violence dans
l'éducation paraissent indiscutables, peut-on laisser
s'installer une grave inégalité entre les enfants
contraints de subir cette violence et les autres ? Il est du devoir de
la République de veiller à ce qu'aucun de ses enfants ne
risque plus d'être perverti par un système éducatif
reconnu comme nocif.
D'après
diverses estimations, plus de 80 % des enfants reçoivent des
punitions corporelles, 25 à 30 % d'entre elles étant
d'une réelle violence. Or la plupart des parents
concernés assurent qu'en battant leurs enfants ils agissent pour
leur bien. Peut-on laisser une fraction si importante de nos enfants
courir les risques que nous venons d'évoquer au chapitre «
Les punitions corporelles sont nocives » ? Les parents qui
battent doivent être informés au plus vite et de
façon claire qu'ils sont dans l'erreur. Et les enfants doivent
apprendre tout aussi vite qu'il n'est pas bien de les battre.
Qu'en
serait-il de l'éradication dans nos pays
développés de la variole, de la poliomyélite, de
la tuberculose, du tétanos si la vaccination n'avait pas
été rendue obligatoire ? L'exemple de la loi
promulguée en Suède en 1979 nous montre que les positions
prises au plus haut niveau font évoluer les mœurs de
façon rapide et très encourageante.
Mais,
diront à juste titre les juristes, une loi existe qui interdit
de porter des coups à autrui. Elle existe même depuis que
Napoléon, dépassant à la fois le droit romain et
le droit coutumier, promulguait en 1804 (article 209 de son code),
l'interdiction de porter coups ou blessures à autrui. Avec
quelques modifications, cette loi est toujours en vigueur. Mais alors
qu'elle punissait au départ les coups portés par les
enfants sur leurs parents et non l'inverse, actuellement le législateur (loi du 22.07.96, art. 222-13): sépare
les violences légères (bousculer, secouer, cracher
à la figure, arracher les cheveux ...) punissables d'une
contravention, des coups proprement dits (qui n'ont pas besoin
d'occasionner de blessures pour être sanctionnés)
punissables d'amendes et peines de prison ;
majore les pénalités en fonction de circonstances
aggravantes : habitude, sur des personnes hors d'état de se
protéger (âge, infirmité), sur des victimes de
moins de 15 ans, par des personnes ayant qualité de père
ou mère ou d'ayant autorité ;décrète
que le délit de coups ou violences volontaires est
constitué dès qu'il existe un acte volontaire de
violence, quel que soit le mobile qui l'ait inspiré.
La
simple lecture du texte de loi ferait donc penser que les punitions
corporelles sont interdites en France et punies comme telles. Mais ce
n'est pas l'usage qui est fait de la loi. Pour que le juge intervienne
lorsque des coups sont portés sur des enfants par leurs parents,
il faut non seulement des coups, non seulement des blessures, mais
encore des blessures graves. Sinon (Litec du droit civil 1994) «
Les usages tolèrent encore au profit des parents, mais non des
enseignants, un droit raisonnable de correction corporelle -
au-delà de quoi commence le délit de coups et blessures
». Qu'est-ce qu'un droit raisonnable ? Qui peut dire où
passe la limite lorsque l'on voit que les accidents
répertoriés chez les jeunes sont déjà plus
nombreux et plus graves chez ceux qui ont reçu des coups «
légers et rares » que chez ceux qui n'ont jamais
été battus ? (18). Et que plus de 25 % des coups sont
donnés avec violence ?
Mais
il faut reconnaître que la loi sur les coups et blessures est
difficile à interpréter pour les juges. Ils sont en effet
peu enclins à envoyer un père de famille en prison pour
la « bonne fessée » qu'il a donnée à
son enfant « pour son bien », le juge étant
lui-même souvent persuadé du bien fondé de la
chose. Un enfant dont le père est en prison n'est d'ailleurs pas
forcément plus heureux qu'un enfant fessé.
Il
faut donc combler ce véritable vide juridique en promulguant une
loi spécifique concernant les relations entre les enfants et
leurs éducateurs. Il faut instituer un « délit de
punition corporelle » et préciser que tous les coups, mais
aussi les violences dites légères, sont interdits par qui
que ce soit sur les enfants et les adolescents. Parce que c'est
humiliant, nocif et non éducatif. Et qu'aucun adulte en charge
d'éduquer des enfants ne devra plus l'ignorer.
La
loi devra par ailleurs introduire la notion que tout adulte doit
respect à l'enfant comme à toute personne humaine, en
symétrie de l'article 371 du code civil qui note que «
l'enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses
père et mère ».
Quel contenu donner à la loi ?
On peut proposer le texte suivant :« Chaque adulte doit respect à l'enfant. »
«
L'article ..... du code pénal institue un « délit
de punition corporelle » défini comme suit : le fait par
qui que ce soit, y compris les parents et les personnes ayant
autorité, d'utiliser pour quelque motif que ce soit, envers des
enfants ou des adolescents, des punitions corporelles. »«
Toutes les punitions corporelles (telles que tapes, gifles, claques,
fessées, coups de pieds, de poing, de bâton, de martinet,
de fouet ou de quelque instrument, de même que griffures,
pincements, tirage de cheveux ou d'oreilles, secouades), tombent sous
le coup de la loi. »« Le délit de punition corporelle est puni :D'un suivi socio-judiciaire si les coups n'ont pas entraîné de blessures.
Le suivi socio-judiciaire peut être assorti d'une injonction de
soins si le coupable fait preuve d'un comportement habituel qui porte
préjudice à l'enfant.
En cas de récidive, ou si les punitions corporelles ont
entraîné des blessures, le coupable tombe sous le coup de
l'article 222-13 de la loi sur les coups et blessures volontaires.
La loi prévoit des circonstances aggravantes lorsque l'enfant a
moins de 3 ans, ou est physiquement ou psychiquement déficient.
»
Les mesures d'accompagnement de la loiÉmettre
de tels interdits envers une population qui, pour une part notable, use
encore des punitions corporelles, ne pourra se réaliser sans
mesures d'accompagnement.
Une
large information devra donc être diffusée par toutes
sortes de moyens : affiches, tracts, brochures, émissions
télévisuelles, etc... afin que nul n'ignore ni la loi, ni
les raisons de sa promulgation. Ces informations devront en effet
toucher toute la population, mais seront plus particulièrement
orientées vers tous ceux qui, par leur fonction, leur
activité professionnelle ou bénévole, se trouvent
en situation d'éducateurs : parents, mais aussi grands-parents,
fratrie, enseignants, éducateurs professionnels ou
bénévoles, permanents ou intermittents. Enfin, il sera
peut-être encore plus important que les enfants eux-mêmes
sachent bien qu'on doit les respecter et qu'il est interdit de les
battre.
Des
lieux de réflexion, sur l'éducation en
général et la parentalité en particulier, seront
proposés à tous ceux qui voudront évoluer dans la
prise en compte de leurs tâches éducatives.
Des
« Comités de Pilotage », ayant pour but de soutenir
les parents dans leur rôle d'éducateurs, viennent
d'être créés par le Ministère de l'Emploi et
de la Solidarité : circulaire du 9.03.99, n°99/153, chapitre
« aide à la fonction parentale ». Ils s'articulent
autour d'un certain nombre d'associations bénévoles. Il
faudrait les développer en prenant aussi comme points d'appui
les centres de PMI, les crèches, les halte-garderies et les
écoles où psychologues scolaires et
rééducateurs pourraient collaborer à cette mission.
Parallèlement,
une formation, pratiquée avec des personnels
spécialisés, serait proposée à tous les
futurs parents, hommes et femmes, dans les maternités et
cliniques d'accouchement tout au long des mois de grossesse. Des
entretiens avec les parents, pratiqués pendant la période
prénatale, permettraient de repérer les familles à
risques et de les aider tout particulièrement. Des brochures
simples et explicites, suggérant des solutions aux
problèmes essentiels qu'ils rencontreront dans les
premières années, seraient offertes et commentées
aux parents avant leur retour au foyer.
Les
possibilités de réflexions fournies dans les
Maternités seraient ensuite transférées vers
d'autres structures (PMI, Écoles des Parents, Maisons vertes ou
similaires, Associations diverses soumises à
évaluations). Les parents qui, malgré les
précautions prises, tomberaient sous le coup d'une injonction de
soins, seraient orientés vers des structures plus
spécialisées (42).
Pour conclure :
À
l'orée du troisième millénaire, accordons enfin
aux enfants le droit au respect de leur personne. Eduquons-les sans
violence ni humiliation, pour rompre enfin le cercle vicieux de la
violence, et pour nous donner les chances de voir un XXIe siècle
moins meurtrier que celui qui s'achève.