Il y a beaucoup à dire,
écrire sur la Révolution française, il existe surtout une littérature
abondante. Chacun peut y puiser et se nourrir de nombreuses lectures, le
sujet est tout bonnement passionnant, mais l’on ne revient pas
totalement indemne. Encore, je n’ai abordé que l’écume, la surface des
choses, le contenu historiographique est tel qu’une vie ne peut y suffire. Tenter de plus l’aventure
en solitaire relève d’une navigation en plein brouillard, s’engager si
tardivement vers ce totem de l’histoire n’en reste pas moins un doux
poison à transmettre.
Oui, un poison parce qu’il nourrit depuis plus de 200 ans les plus
étranges passions et ne permet pas de comprendre ce qu’il en a été.
C’est un peu présomptueux de l’écrire ainsi, mais là, où l’on pourrait
s’attendre à ce qu’il existe une grande communion des idées sur un
héritage essentiel, les luttes politiques de tous ordres trouvent
encore échos et nuisent à une transmission objective des faits. Le
terme communion est une pointe d’humour, parce que le plus étrange de
cette révolution, c’est qu’elle ne commence pas le 14 juillet 1789,
mais le 10 août 1792.
Henri Guillemin censuré en son temps par le pouvoir gaulliste parle de
« fausse révolution », de la conquête du pouvoir par une nouvelle
classe dominante, la bourgeoisie possédante? Le constat économique
ajouté aux réalités sociales dressaient un état de la France
catastrophique. Le pays depuis Louis XV vivait à coup d’emprunts, l'après
guerre en terres américaines renvoyer au spectre de la banqueroute,
qui pesa de 1783 à 1788. Si le dix-huitième siècle a brillé par ses
Lumières philosophiques, pour la population dans sa grande majorité,
elle vivotait en pleine obscurité religieuse et politique.
Certes, l’on discourait à la Cour des ouvrages interdits circulant sous
le manteau, mais cet usage de la culture était limité, surtout à ceux
qui
pouvaient lire et s’acheter des livres. Le « vulgum pecus » (c'est une
altération du langage signifiant "le commun des mortels", issu de
vulgum
: foule, ou de pecus : les personnes), que l’on proclama citoyen et
appartenant à une Nation imprécise, l'individu lambda n’avait même
pas de quoi
se nourrir convenablement et devait se sentir chanceux s’il disposait
d’un toit.
Si l’on peut décrire en peu de mots l’ancien régime, il faut
parler d’un système de castes, mendiants et vagabonds étaient le
dernier maillon d’une longue chaîne de servitude. Vauban qui entreprit
en son
temps quelques recherches sur la pauvreté (extrême), l’estima à 10% de la
population, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui vivaient des expédients de la vie et sans
domicile fixe autre que des refuges improvisés. L’hiver de 1788 à 1789
se traduisit à Lyon par 25.000 morts sur une
population de 150.000 habitants. A Paris, cette saison amena son lot de
procession et d’enterrements, la ville se vit parsemer de grands
convois mortuaires au fil des jours, Jules MIchelet en décrit bien les
aspects sordides.
Ce qu’il faut surtout remarquer
par ce qui est entendu comme la datation de la Révolution française
allant de 1789 à 1799, c'est de prendre en compte des régimes très
différents dans leur nature et leurs intentions. Il y a fort à penser
qu’après juillet 1794, cette
révolution est en partie morte ou trahie? Le retour du vote censitaire
étant une marque, le système politique basculait dès avant le
Directoire en régime d'exception, c'est-à-dire en un exercice
autoritaire ou limité du pouvoir.
Le coup d'Etat du 19 brumaire 1999 de
Bonaparte venait clore, quatre ou cinq séquences n'ayant d'autres liens
que le temps mais difficilement comparables. Et les plus grandes
figures de la
révolution ont presque toutes péri sur l’échafaud ou dans diverses
conditions dont le suicide. Je parle des Hébertistes, Dantonistes,
Robespierristes et ce que l’on nomme d’un ensemble abusif les « Girondins ».
Cet ensemble politique d’au moins quatre familles est ce qui allait porter
la nouvelle république et grâce au sein de l’assemblée aux voix du
centre ou ce que l’on nommait le « marais ».
Cela
ressembla ni plus ni moins au suicide d’une génération, d’essence
bourgeoise, fait d’idéalistes et de pragmatiques, de rares idéologues
(possiblement Brissot, Saint-Just et Marat sa synthèse). L’idéal
poussait à la
sublimation et au sacrifice, le pragmatisme nécessitait de savoir
s’adapter. L’esprit canaille pouvait tenir lieu de raison, mais aussi
conduire à la mort. Je n’entrerai pas dans de longs portraits des uns
ou des autres, leur drame fut un trop plein d’amour ou de haine et en
matière d’histoire une très mauvaise conseillère à suivre. Que l’on
puisse avoir de l’empathie pour tel ou tel personnage est somme toute
normal. Découvrir par des textes, ce qu’ils et elles ont pu dire ou
penser, ou faire, leurs donnent vie, pour autant il n’en va pas de
restituer des sentiments, des appréciations personnelles et pourtant
combien d’histoires de la révolution ont pu y échapper? assez peu au
final.
Les
mots de la révolution sont parfois trompeurs et les termes comme
girondin ou jacobin sont réducteurs. Si l’on ne fait pas vraiment état
d’un
"girondisme", l’on traîne pour boulet le jacobinisme renvoyant à l’état
central. Alors qu’il se confond avec le colbertisme étant le système
centralisateur par excellence et qui n'a jamais été remis en cause sur le fond,
voire rénové par Napoléon 1er.
Cette synthèse entre la bourgeoisie et l’aristocratie data d’avant
l’événement révolutionnaire, et le jacobinisme servit de fétu de paille
ou de chiffon rouge, alors que la plupart des administrations du pays
avaient vu le jour sous Louis XIV. Simplement pour signifier
que
les rouages administratifs et la mécanique centralisatrice en France
n’est pas une invention jacobine. Le mouvement est bien plus lointain
et profond ou comment le temporel a fini par s'imposer sur
l’intemporel.
Pourquoi écrire sur un tel sujet ?
Il m’est arrivé, ce qui a pu arriver à d’autres, vouloir comprendre la
Révolution française. Après plusieurs mois de lectures, de prises de
note, d’aller et retour sur les premières années pour combler certains
manques ou méconnaissances dans la chronologie de faits essentiels, il s’est posé pour question de
comment transmettre une histoire si complexe. Quand par ailleurs la
somme de ce savoir a été maintes fois l’objet d’interprétations à forte
teneur idéologique.
Comment écrire sur un sujet qui pourrait passer pour une tarte à la
crème, voire être usé jusqu’à la corde, ce qui est loin d’être le cas. Pour
cela il faut aimer la lecture, sachant que malgré cet apport
substantiel, il sera difficile de tout lire, ou ce qui est déjà
existant sur les autoroutes de l’information. Donc comme dans toute recherche,
tout ne pouvant être observé ou lu, il vaut mieux se contenter pour
faciliter toute approche, se concentrer sur des séquences courtes ou sur
une ou des personnalités spécifiques.
C’est ainsi que l’on découvre la richesse documentaire de cette époque
qualifiée de « révolutionnaire », pour s’interroger sur tout ce qui a
fait lien depuis avec ce vocable ou la charge que l’on a voulu lui
faire porter. Si l’on doit retenir le terme de révolution et pour idée
à retenir de cette notion, il semble que les parentés n’aident en rien
à sa compréhension, qu’il faille en retenir l’idée d’un commencement.
Un avant, puis un après, et allait venir bousculer un édifice politique et
religieux quasi millénaire. (Hugues Capet a été couronné en 987)
La France d’avant était un grand puzzle ou des assemblages de populations
et cultures, seul le roi faisait office d’élément unitaire et divin à
la fois dans ce royaume très éclaté. Je puis comprendre certaines
réticences à l’unité et l’indivisibilité de la République française,
toutefois c’est oublier que si le servage a été abandonné en parti, bien
avant les Bourbons et Valois, il n’en demeure pas moins que les droits féodaux,
par exemple en Bretagne, étaient toujours bien vivaces, à l’exemple de la
corvée. Cette dernière restaient encore une pratique non éteinte sur tout
le territoire.
L’histoire du droit ou de comment fonctionnèrent les juridictions de
l’ancien régime, c’est entrer dans un ensemble vaste, mais sans cohérence
autre, que le pouvoir royal et ce que l’on nomma le Colbertisme. Cette
volonté centralisatrice n’a pas pour autant fait l’unité du royaume sur
le plan juridique et institutionnel. Nous sommes encore à l’usage des coutumes et aux
volontés des nobliaux locaux, avec une charpente étatique extrêmement
rigide. De plus, les métiers ou professions du droit étaient soumises à
l’achat d’un titre (juges, substituts, etc…) et des limitations à leur
barreau. Un avocat d’Arras ne pouvait exercer à Paris sans avoir "une
charge" dans les deux villes, à ce titre Versailles le palais royal et
dépendances appartenaient à une juridiction propre.
De plus on héritait de cette charge de père en fils, et pour finir d’en
dresser un rapide portrait, près d’un tiers de cette corporation
composa la nouvelle assemblée. Ce qui fut et ce qui va devenir,
montre là un enjeu central de la révolution : les lois ! Elles
permirent de fédérer le pays, créer de toutes pièces un corpus commun
et une géographie politique particulière : le département. Celui-ci
faisait interface entre l’état et les communes, l’unité de base. Ni
plus ni moins, il s’agissait d’une refonte de l’outil étatique et de
l’exercice et du rôle d’un droit s’appliquant à tous sans distinction
d’origine.
L’exemple le plus significatif a été la question de la peine de mort et
des sentences appliquées selon que l’on soit noble ou du tiers.
Guillotin qui connut quelques mélancolies à voir son nom associé à la
grande faucheuse défendit devant l’Assemblée nationale une mesure d’égalité.
Qui de plus allait surseoir toute exécution pendant près d’une année, le
temps de la rédaction d’un décret d’application. Aussi incroyable ou
absurde que cela puisse sembler dans un pays et un continent
abolitionniste, devant la mort, il a fallu même en changer les rapports
inégalitaires.
Donc sans un corpus commun, une volonté de faire loi pour tous, ceci
représenta à coup sûr une révolution et par conséquent la fin de
l’usage du droit ancien. Sur le fond, cela ne changea pas
grand-chose sur l’ordre social de la société, mais avoir un rôle
fondamental
dans l’émancipation de chacun. Ce que l’on nomme la citoyenneté.
Fallait-t-il remplir quelques conditions, la question économique
se borna à l’émergence d’un capitalisme tout puissant.
Si la R.F. ou Rév. fr. (acronymes de Révolution française dans les textes) a fait tant peur, c’est qu’elle fut violente. On ne change
l’ordre de marche d’une société sans l’établissement de rapports de
force politiques ou sociaux. Et face à un ordre répressif ou violent,
seuls des déploiements de masse ont permis de faire plier un pouvoir
donnant d’une main, ce qu’il tentait de reprendre d’une autre. A ce jeu
de dupe, la fureur populaire a connu des accents terribles.
Le sentiment de trahison a fini par se transformer en une réalité
concrète, le couple royal au lieu d’accompagner « ses peuples » a
dévoilé les plans de ses gouvernements à l’Europe entière, où il était
prôner un retour à l’ordre ancien. Le « cochon » comme on l’appela a
cru comme
dans une sorte de nuage d’éther que tout finirait par revenir à
son pouvoir passé et qui de plus arrosa et corrompit nombre de
révolutionnaires en goguette.
Si l’on peut trouver quelques grandeurs chez le roi « soleil », sa
progéniture grandissait dans un monde clos ou protégé. Le bon bougre de
Louis Capet en garda des larmes aux yeux, quand il sortit hors de ses
terres, ou de ses terrains de chasse dans
une rencontre avec ses sujets en Normandie à Cherbourg. Ce voyage provoqua en
contrecoup
des inquiétudes outre-Manche sur un doigt tendu vers l’Angleterre.
Cette dernière sortait à peine de la guerre avec la France et voyait en
Louis XVI un ennemi potentiel. C'était sa première grande sortie depuis depuis
Metz en 1775, son parent Louis XV lui évitait la capitale de peur de
provoquer une émeute.
A Louis le seizième « Un triomphe lui fut arrangé. Il trôna un moment (sur ces énormes
cônes que l'on coulait pour y asseoir la digue), comme un Roi de la
mer, entre la foule en barques et la flotte tonnante. Très-imprudent
triomphe qui aida fort à Londre nos ennemis dans leurs déclamations,
irrita, effraya. Dans les fougueux discours de Burke, l'Angleterre
croyait voir la France avancer (comme un crabe) deux pinces vers
Plymouth et Portsmouth. Gigantesque menace qui couvrait l'impuissance.
Élevé par l'effort des emprunts usuraires, le prodige éphémère que la
mer emporta, n'exprimait que trop bien notre grandeur croulante, la
ruine que Calonne avoue au Roi à son retour. Ce triomphal voyage, un
calcul du ministre, n'avait été qu'illusion. Le roi, le peuple,
s'étaient trompés l'un l'autre. Leur attendrissement mutuel leur cacha
la situation. »
Jules Michelet, Histoire de France, tome 17, page 334
C’est sur les conseils d'un ministre que cette sortie fut
organisée du château de Versailles en juin 1786. Un peu à la manière de nos
communicants
d’aujourd’hui, la question de l’image, non point comme procédé
photographique, mais de montrer une proximité avec ses sujets. Le terme
"sensibilité" sera employé pour atténuer la maladresse, un élément
compliqué,
parce que Louis Capet était persuadé de sa légitimité inviolable ou
éternelle. S’il a pu dire qu’il aurait aimé être « le roi de Metz », il
ne pouvait s’envisager autrement que roi d'essence divine, et sur ce plan,
il était bien dans l’orthodoxie des Bourbons de France : au-dessus des
lois humaines. Quand la loi échappe aux communs des mortels, que
s’arrogent
de telles exigences et pouvoirs sur une masse sans nom ou indistincte,
- que fallait-il en attendre en retour?
La Révolution n'est pas un bloc !
Aujourd'hui, s'il reste loisible de célébrer la Révolution, il
n'est pas interdit d'en apprécier le pour et le contre, à la faveur
de documents nouveaux et de calculs rétrospectifs. Elle n'apparaît
plus nécessairement comme « un bloc », dont il faille tout accepter.
Les légendes se dissipent. Les réalités se précisent. Impossible de
tout absoudre, comme de tout rejeter. La Révolution garde ses grandes
pages, comme ses grands acteurs. Elle a aussi ses zones d'ombre.
Réné Sédilot - Le coût de la Révolution française
1789 a représenté un bouleversement profond, pour la chronologisation la moins
problématique, nous entrons
de plein fouet dans le monde contemporain. Néanmoins, au risque
d’écorner le mythe
national, la fameuse phrase de Georges Clemenceau la « Révolution est
un bloc » (1891)? Oui, aux vues d’un homme politique, et l’Histoire
n’est
pas que l’histoire des vainqueurs ou des grands de ce monde. Il existe
comme un difficile travail de remise
en ordre des esprits, ou chaque mot doit être pesé, pensé. S'il s'agit
d'enfiler des perles et de toujours mettre en avant le récit classique
ou illustratif des erreurs et légendes, le premier à avoir fait écrire
et imprimer une Histoire de France à sa gloire fut Louis XI.
« L’idée du « bloc » fait d’abord partie de la pensée
contre-révolutionnaire avant être objet une réappropriation
républicaine, après Thermidor. Pourtant elle est très tôt décomposée,
dès Thermidor, aussi par une autre évidence : celle de la pluralité de
l’héritage révolutionnaire. Dès 1796 Constant cherche à terminer la
Révolution sur les acquis de 1789, Babeuf veut la reprendre sur
l’exemple de 1793. Si bien que historiographie révolutionnaire doit
rendre compte de deux réalités difficiles à concilier l’unité et
l’hétérogénéité du phénomène révolutionnaire français. La deuxième ne
cesse de sous-tendre tous les récits du déroulement de l’événement,
pour trouver sa forme classique dans opposition libérale entre 1789 et
1793 ou dans idée des deux révolutions une modérée censitaire, «
bourgeoise » en un mot, l’autre plus avancée plus sociale et «
populaire ». Mais elle n’oblitère pas pour autant la référence à
l’unité, que celle-ci soit pensée à travers la condamnation de la
démocratie moderne comme chez les contre-révolutionnaires, ou sous le
concept de révolution « bourgeoise » comme chez les marxistes ou encore
pour défendre en tant que bloc un événement historique dans toutes ses
modalités, y compris les plus arbitraires comme dans la gauche
jacobine. »
Ran Halévi et François Furet, "l'année 1989" (source Persée.fr - 1998)
L’histoire comme enseignement a
beaucoup
évolué, et des premiers écrits sur la Révolution à
aujourd’hui, le traitement n’est plus totalement le même, du moins si
la
chronologie est un fondement à poser, l'intérêt est de s'interroger sur
la matière humaine, les correspondances pas seulement écrites, mais ce
qui fait encore lien entre eux et nous. Ou comment parler d’hommes et
de femmes assez semblables à ce que
nous sommes, et que l’on a un peu tendance à trop interpréter ou
idéologiser sous le mot « Peuple », sans savoir - de qui - il est fait état.
En raison de la
convocation des notables en 1787 qui s'avéra un échec, l’année suivante
la tenue
des Etats Généraux était repoussée, ou tenait lieu de promesse à cinq ans
par le monarque. La situation financière ne fit qu'empirer et pour
l'hiver seul les appels à la charité purent soulager un peu les
misères. Les caisses étaient vides et sans cette instance, que l'on n'avait
pas convoqué depuis 175 ans (en 1614), il n'était pas possible de lever de nouveaux
impôts sans l'aval des Parlements comme à Paris. Ce fut la seule et véritable ambition du roi.
Puis se tint la convocation des élus des trois entités
sociales de l'ancien régime. Cette réunion se déroula en mai 1789 à Versailles. Le
petites gens du peuple étaient déjà en mouvement et les révoltes grondaient
de toute part. Le mouvement
devint général du 17 juillet à la fin août, nommée la Grande Peur. Elle prit fin en octobre par la proclamation d’une loi martiale, une justice
d’exception. Cette dernière peu connue allait avoir à son actif quelques
massacres, des sanglantes répressions au nom de la nouvelle autorité,
qui toutefois n’était pas républicaine. Et sur qui il valut mieux faire peser
la « Terreur » comme d'une épée de Damoclès?
La plupart des déclarations du roi se faisaient à ses peuples, en
raison de l’absence d’une unité organique ou légale de la France, autre
que la monarchie et son absolutisme, qui coiffait une myriade de
justices locales et nationales, avec des leviers de pouvoirs usés
jusqu’à la corde. Toutes les tentatives de remise à flot de
l’économie depuis 1774 et plus encore après 1783 s'avérèrent des
fiascos et
les preuves d’une impuissance totale du pouvoir royal. De Turgot à
Necker, pour aller au plus rapide, le système économique était irréformable.
Le
futur Charles X ou comte d’Artois, frère de Louis XVI entraîna dans
son sillage une partie de la Cour, pour ne surtout ne rien transformer
sur la nature des privilèges et des coupes à opérer dans les caisses
servant à une caste privilégiée. Le trésor royal a frôlé plusieurs fois
la banqueroute, il a eu un rôle prépondérant après l’année 1789. Il
allait servir à acheter et financer les manigances du monarque et de
son
épouse. Et quand le stratagème fut découvert son discrédit devint
unanime.
Si les privilèges la nuit du 4 août étaient abolis, ce furent
principalement en paroles, en
actes, rien n’était très clair. Il fallut plusieurs mois de
tractactions
et la marche des femmes en octobre sur Versailles, pour en rappeler
l'objet et le traduire en loi et décrets sous la pression populaire. Ce
sera loin d’être une réalité acquise.
L’obstruction, de celui qu’on nomma « Monsieur Véto » pesa fortement.
Le rôle du général Lafayette, avec tout le poids qu’il mit aux
Etats-Unis pour la nouvelle République indépendante, il le fit en
France au service du roi et de la nouvelle constitution royaliste. Une
contradiction qui se solda par sa fuite
en 1792 auprès des ultras qui émigrèrent en Allemagne. Il finira un
temps en prison, auprès de ceux qui depuis le 15 juillet 1789 avaient
fui
les « brigands », et ils furent plusieurs à se mettre à rêver de porter
la couronne de France. Les villes de Coblence et Mayence s'instituèrent
comme les
premières
têtes de pont de la contre-révolution, une sorte de cour non pas des
miracles, mais d’un Versailles en exil avec l’objectif de revenir à
l’ordre ancien.
Pour ce qui a été la place du peuple, l’on vit se dessiner une
nouvelle architecture sociale, et ce qui a été et resta une victoire
de la « bourgeoisie » ou plus encore de la propriété privée. Il
s’agissait d’une bourgeoisie composite, qui
n’était pas faite d’un seul tenant, mettant loin en arrière plan, la
majorité de la population qui jeûnait plusieurs fois par
semaine. Il allait s’en jouer une lutte à mort au sein de cette même
classe pas encore définie, et le pouvoir être un moyen de s’enrichir.
Car si les petits n'ont pas été les premiers gagnants, la convoitise et
les circonstances favorisa l’appât du gain, sous de fausses gloires.
Pareillement
on peut s’interroger sur la vente des biens de l’église, et ce qui
servait de dépôt aux saisies des biens des aristocrates en fuite? Ce
qui reste en l’état des zones d’ombres et qui ne permit pas d’enrayer
la misère du royaume et de sa ville capitale.
Les qualificatifs pour désigner les plus humbles atteignirent des
sommets, et comme une très grande part des habitants de ce pays ne
savaient ni lire, ni écrire, il a été très facile de faire dire ce que l’on
voulait à la partie muette du pays. Les récits d’une histoire sur les
masses devient alors problématique, et les classifications sociales
néanmoins utiles pour comprendre ce qui se passe. Mais si le terme
prolétaire commençait à faire son apparition, il ne correspondait en rien à
nos critères actuels et même du vingtième siècle. Il exista bel et bien
un monde ouvrier, quoi que très minoritaire face au monde agricole. La
« bourgeoisie » n’était pas née au moment de la Révolution, ils sont
mêmes pour les plus riches et depuis Louis XIV, un moyen pour nombres
de familles aristocratiques de renflouer les finances de certains vieux
blasons. Mais il importe de distinguer les petits-bourgeois composés d'artisans et
commerçants, et toute une cohorte de petites gens à leur service : apprentis et ouvriers.
Si
une minorité, une oligarchie économique, une haute bourgeoisie s’en
dégagea, cette classe de possédants en fut le grand vainqueur. En
particulier,
ceux qui avaient misés sur les manufactures, entre commandes d’état et
intérêts privés, la marge fut plus que floue. Dans une certaine limite
l’analyse de ce corps social dit bourgeois mériterait à lui seul une
histoire, sans en chercher les preuves d’un matérialisme historique
hypothétique. Il est indéniable que le combat social se joua à ce
niveau entre hauts bourgeois et aristocrates de la cour, le reste, la
majorité des
sans voix a servi de prétexte utile à l’édification d’un nouvel ordre
de société et en toute cohérence avec la montée du capitalisme ou
libéralisme économique.
Celui-ci allait sortir de sa période pré-accumulative et s’engageait
dans la
mondialisation des échanges à l’échelle planétaire. Et l’Empire
dominant allait devenir la Grande-Bretagne, qui un siècle auparavant a
connu elle aussi
des changements légaux importants, opérant bien avant les Français ce
geste dit déicide. Qui fut utile à culpabiliser une nation entière pour
un fait, aux allures « d’un courant d’air frais » aurait pu dire
Monsieur Guillotin.
Monsieur Guillotin n’a pas été pas le créateur de sa machine, mais son
initiateur et celui qui a défendu devant la Législative cette
invention, sans que la guillotine n'ait été jamais mentionnée dans un
texte de loi. La grande faucheuse a été le résultat des recherches du
docteur Louis, à qui l’on devait cette lame en biseau et elle fut
utilisée la première fois, le 25 avril 1792 sur un condamné pour des
raisons criminelles. Il s’agissait aussi d’en finir avec les «
spectacles » de torture, ou les exécutés mettaient plusieurs heures et
sous le regard de la foule. Pauvre Monsieur Guillotin qui n’avait pas
souhaité voir son nom associé avec cette machine à couper en deux. Il
souhaitait en finir avec cette inégalité avec la mort, ou les
suppliciés selon qu’ils soient nobles ou du peuple n’avaient pas droit au
même traitement. L’on sait qu’environ 3.000 personnes connurent le
sort de la décapitation à Paris de 1792 à 1795.
La question n’a jamais été de savoir, s’il fallait couper la tête de
Louis Capet et de Madame déficit.
Les faits sont ainsi, on peut en
contester la nature, les procédés. Mais l’opinion dominante était que
la
famille royale avait trahi. C’était au moins acquis après le retour de
Varennes en juin 1791 à Paris au Louvre, ou ce qui constituait le
Palais royal (à ne pas confondre avec les jardins du même nom). Tout le
processus est connu, les jours, les heures, les minutes avant la mort.
Cela a servi à nourrir une légende noire, et voulue en tant que telle
dès 1789. Il était déjà fait référence au régicide ou déicide dans la
presse royaliste. La légende d’un pauvre roi sous le coup d’horribles «
brigands, assassins, ou tueurs », voire persécuteurs et de « basse
classe
ou extraction », ne laisse pas de doutes sur une certaine
condescendance sociale. Ce qui a été trop souvent été traité au titre
de la caricature, comme des périodes « anarchiques » ou du fait «
d’anarchistes », quand survenait un mouvement populaire d’ampleur.
Faire le lien avec le Peuple devient dans ce cas un travail d’un autre
ordre, et demande possiblement à revoir non pas la nature latine de ce
mot, mais qu’entend-on par cette totalité qui ne recouvre rien?
Comment faire lien entre une monarchie qui se refusait à l’exercice
constitutionnel et un Empereur, certes des Français, mais qui codifia
pour bonne part une organisation des lois tout aussi rigide ou
autoritaire, soit un prolongement du colbertisme. Ce qui est une grille
de lecture du
jacobinisme assez fallacieuse, alors que la dynamique centraliste est
le fait du roi dit «Soleil». Une volonté de concentrer les pouvoirs
dans
les mains d’un seul homme, n'était en rien nouvelle et fit lien avec le
Bonapartisme. Le jeune officier corse et jacobin allait devenir un
administrateur de génie et un criminel de
guerre et contre l'humanité (rétablissement de l'esclavage), que
l’Europe entière a eu du mal à oublier. Dès ses premières
heures jacobines, il a su se distinguer dans les opérations de
rétablissement de l’ordre, cela se traduisit par quelques répressions
violentes à son
actif.
La Révolution quand prend-elle fin? Pour
certains avec la restauration monarchique, pour d’autres jusqu’à la fin
du directoire et le coup d’état du 18 brumaire 1799. 25 ans, 10 ans, il
semblerait beaucoup moins, si l’on examine les faits de plus près, car la question
est de savoir ce que l’on entend aussi par révolution? Avec 1789, ce
qui allait suivre a été une succession de petites révolutions plus ou moins
vertueuses, dont deux périodes décisives de mobilisations populaires (juillet et octobre 89). De quoi se demander mais
pourquoi occulte-t-on le 10 août 1792? Pourquoi dans les chronologies,
une si grande misère sur des faits si notoires? Ce qui n’échappe pas aux
historiens lucides est la nature des invraisemblances, et de la
difficulté à rétablir un minimum de sens ou de cohérence historique.
Un enjeu scientifique ne pouvant faire que du mal aux passions, aux
légendes et aux mythes dont est truffée la Révolution française. Plus
exactement, cette page de l’histoire de l’Humanité demeure un outil de
propagande. Non pas colportée par des voix étrangères sur une réalité
très chaotique, mais née de cet étrange affrontement par livres et
journaux interposés et ceci dès son origine. Ce qui a été une lutte
idéologique, non pas seulement entre deux ordres de la société :
monarchisme et républicanisme, mais entre des fractions divergentes de
la bourgeoisie française, aristos inclus. A se demander si la narration
d’un thriller, d’un crime de lèse majesté pourrait être plus utile pour
lever le voile des non-dits et surtout comment transmettre à sa juste
valeur un héritage, dont les héritiers n’en mesurent pas toujours la
dimension et les profondeurs?
Toute la question est de savoir si hors d’une analyse politique de plus,
il ne serait pas mieux de retracer et donner à lire les ouvrages qui
ont marqué, ou bien servent toujours de référence, et pouvoir ainsi dicerner les
propagandes ou les contre-propagandes. La liberté de la presse ou de
l’édition, jusqu’alors des modes d’expressions soumis à la censure. Le
média papier a connu son premier grand essor. Les plumes critiques
éditaient sous le manteau ou le marché noir via des imprimeries en sol
étranger, ou de manière clandestine. Au point, que si l’on voulait que
tel pamphlet suive son cheminement jusqu’à la personne incriminée, on
pouvait lui faire suivre par des moyens détournés et à domicile..., et les premiers
lecteurs se trouvaient souvent à Versailles.
Les salons servirent de sas de circulation des idées libérales, comme
libertines et jusqu’aux thèses austères des jansénistes, qui ont été
les premiers à goûter des geôles royales et des prisons politiques. La
Pompadour a adoré Voltaire, mais elle a participé sans rechigner aux
milliers de lettres de cachets sous Louis XV et agissait pour caser tous ses proches
dans des fonctions de police, de justice, et d’autres détails, comme le
rôle du contrôleur des postes ou gouverneur de la Bastille. De nombreux récompensés ont ainsi manoeuvré pour cette
dernière. Son souvenir, plus celle que l’on nomma "l’Autrichienne",
fille de Marie-Thérèse, n'a pas laissé l’empreinte d’une grande
intelligence politique, et si le reine a suivi son mari dans la mort, il lui
incombe de l’avoir fortement aidé.
1789, une Révolution économique ?
Comme peut-on avancer dans un tunnel sans lumière? La Révolution
française est de cet ordre et avant de trouver l’interrupteur ou la
petite lumière, le choix des ouvrages est considérable et il n’est pas
simple de s’y retrouver. Une consultation sur internet vous engage à de
nombreuses découvertes et il faut souligner que beaucoup de documents
afférant à la période de 1789 à 1799 sont disponibles. De quoi se
mettre à rêver d’un site permettant d’accéder à cet ensemble littéraire
et retraçant les grandes lignes d’un mouvement politique, social et
économique, qualifié de révolutionnaire.
L’idée ou le terme de révolutionnaire vient marquer une rupture avec le
passé, son emploi est très subjectif et peut marquer de même une
nouveauté, des progrès de diverses natures et la Révolution dispose de tous ces
ingrédients, faisant des premières années une période féconde et assez
peu commune dans l’histoire de l’Humanité. Pour une chronologie
respectueuse des grands cycles historiques, il faut retenir le passage
au monde contemporain et la fin de ce qui est nommé l’époque dite Moderne.
D’entrée de jeu et après réflexions sur le sujet, il faut apporter un
bémol.
L’année 1789 et la convocation des Etats Généraux, les suites ne
mettaient pas fin à l’ancien régime. Ils posèrent en parti un point
final à l’édifice
absolutiste avec l'établissement d'un état de droit en construction.
Jusqu’en 1792 et sa destitution, le monarque régnait et
pensa même avoir rétabli son autorité en 1791. Du moins, il a cru en la
fin de
l’agitation générale à un retour à la normalité des choses ou à son
entendu. Si l’idée générale
était à l’esprit démocratique, son trône n’était point menacé. Les
« François » de 1789 n’avait nulle intention de faire comme les « Anglois »
un siècle et demi avant avec Charles 1er, mais ils ont gardé depuis le
titre de « Peuple déicide » et Cromwell que l’on qualifia de
dictateur se cacher sous le masque d’un certain député du Nord, nommé
Maximilien de
Robespierre, en raison de sa charge d'avocat (il n'a jamais été
anobli, ni a été franc-maçon).
La thèse d’un roi faible semble à réfuter, si Louis XVI n’a pas eu la
poigne de son auguste parent le roi « soleil », il a su en plein d'aspects
tenter l’inconciliable. Du moins, il a tout fait pour conserver son
pouvoir et a fortement contribué pour retrouver ses anciennes prérogatives.
S’il convoqua les Etats Généraux (E.G.), ce n’était pas pour le bien de « mes peuples ».
Comme il aimait à dire. Il en allait de trouver des recettes fiscales
nouvelles, les caisses au plus bas. Le spectre de la banqueroute
provoqua l’affolement des spéculateurs à la fin juin 1789, ils étaient
60.000 agioteurs dans la seule capitale, tout comme les prostituées... Il est difficile de vraiment
comprendre sans faire un examen de la situation social et économique du
pays.
Si 1789 a bien été une révolution, elle fut avant tout économique et surtout juridique, il a existé
quelques timides avancés démocratiques avec l’éclosion d’une presse
pluraliste, qui allait concentrer un rôle important pour la circulation des
idées. Mais il fut question sur le plan économique du transfert des biens de
l’église à l’état (10% des richesses nationales) et de la vente des
domaines des émigrés qui permirent la naissance de la petite
propriété paysanne et du papier-monnaie, plus exactement de «
l’assignat ». Dont la naissance s'avéra tumultueuse et surtout très mal
acceptée. Parce que soumise à la fluctuation et à un taux très
capricieux et surtout à la baisse.
Cette dépréciation de la monnaie
devint la raison de l’entrée en guerre du pays pendant plus de vingt ans
ans sous un ministère composé de Feuillants et Girondins en avril 1792,
jusqu’à la chute de l’empereur Napoléon 1er en 1815. La question
économique est centrale car il s’agissait d’un transfert d’au moins 5
milliards de livres françaises et d’une part non négligeable de la
richesse mobilière, qui fut acquise par des petits paysans. La
France héritait avec 1789 d’une oligarchie financière, et la propriété
devenait le sacro-saint de la nouvelle foi « bourgeoise ». L’avènement
d’une classe sociale n’est pas une surprise, mais nous sommes
encore loin de critères sociologiques précis, quoi que se dessinaient et
s’écrivaient aussi les premières approches de cette nouvelle organisation
de la société.
De leur côté, les auteurs de la Révolution française offrent toute
l’étendue des critiques qui ont été portées sur cette période
chaotique, parce que le commencement de quelque chose, du moins dans un
cadre très idéologique, et correspondant aux évolutions intervenues
depuis 1789 à nos jours. Il existe depuis l’événement, marqué par le 14
juillet, date dont le symbole est un peu frelaté, un fossé dans la
transmission et des désaccords de fond, qui ne sont pas prêts de se
résoudre.
Faut-il parler de révisionnisme? A ne voir que la poutre dans l’œil du
voisin, le plus prudent des citoyens et amateur d’histoire, peut avoir
de grosse difficulté à comprendre. Surtout s’il ne met pas le turbo de
la critique en marche et fasse, ce que beaucoup ont fait pour revenir
sur
ce fait majeur de notre Histoire en connaissance de cause. Il ne s’agit
pas d’une histoire se limitant à la France, mais d’une
révolution centrale dans un ensemble de processus qui prirent
forme en Europe et sur le continent américain. A la croisée d'une
période étendue sur plusieurs siècles, un temps long et planétaire.
Pour ce qui se passa en France, il est indubitable, que la
monarchie sous forme constitutionnelle a été une première étape
démocratique et trouva sa place sous une double influence dans les mouvements
révolutionnaires, avec ce qui se produisit, soit un siècle plus tôt en
Angleterre, et la révolution indépendantiste étasunienne de 1776-1783. Cette
double influence est patente, mais avec un grand bémol sur la
sociologie de ceux qui ont puisé dans les idées de leur siècle. Nous
parlons de gens lettrés et d’une bourgeoisie petite et grande, du moins
en formation et qui allait s’emparer d’un pouvoir, mais s’écroulant de
lui-même : la marque d'une révolution accomplie.
Le terme de pouvoir est important, parce qu’il est question de la fin
de
l’absolutisme, et que Louis XVI a plus subi que devancer les réformes.
Le monarque a surtout en janvier 1789, une économie en lambeau et si
le 14
juillet a été un indicateur économique clef, le prix du blé fut à son
plus haut niveau. Selon les années, la qualité et quantité des grains
était plus que relative, et
dans un premier temps la fureur populaire se tourna vers les
boulangers et les portes d’octrois qui ceinturaient comme un
périphérique payant ouvrant sur un cinquantaine d'entrées ou portes de la capitale.
Les Parisiens et pas seulement ont eu faim, cet aspect historique a été
récurrent tout au long du XVIIe et du XVIIIe siècle, disettes et famines furent
régulières depuis la fin du règne d'Henri IV jusqu’à Louis Capet et
son épouse. Outre les somptueuses dépenses de la Cour, les guerres
américaines avec la Grande-Bretagne alourdirent le poids déjà très pesant de la dette sur les
finances des deux pays. L’endettement était à son comble, de chaque côté
de la Manche, mais surtout ce qui allait être un problème nodal en France,
qu'en serait-il de cette masse de sans travail et sans domicile? Comment
se composait la population, à quoi ressemblait une sociologie (qui n’a
pas d’existence) et assez peu d’éléments chiffrés, telle sera notre
première interrogation?
France : 83 départements - décret du
15 janvier 1790
Quelques éléments chiffrés ou sociologiques
La
France un peu avant la Révolution a entre vingt-cinq et vingt-sept
millions d’habitants, la capitale se compose d'environ 650.000 âmes, dont plus
de 15% sont des très pauvres ou exclus, sans abri ou travail
(Indigents). La Noblesse représentait 400.000 personnes, dont la Cour
4.000
nobles et le Clergé 120.000 dont 139 évêchés, soit 2% de la population
totale, qui est composée à 78% de paysans et employés de la terre. Les élus du tiers-état
appartenaient exclusivement à la « bourgeoisie » imposable, celle-ci était
disparate et peu représentative de la population. Elle se composait de
nombreux juristes ou officiers de justices, dont beaucoup d’avocats
(400), d’élus locaux, de négociants ou commerçants, de cultivateurs ou
propriétaires terriens, des prêtres du bas clergé, et même des nobles
comme le comte de Mirabeau, pour la Sénéchaussée d’Aix.
Si le monde ouvrier émergeait dans les centres urbains, il dépendait selon
les métiers aux règles très strictes des corporations et à des usages
pouvant remonter au Moyen Âge. Il faut distinguer le maître artisan, de
l’ouvrier et de l’apprenti. L’artisan recevait des commandes et se trouvait
lui-même sous l’autorité des maîtres vendeurs organisant les appels
d’offre. Il manquait surtout du travail, même si apparurent des
manufactures au cours du siècle, sans parler de leur nature spécifique,
elles ne pouvaient satisfaire les besoins les plus courants et pour
partie elles étaient vouées à l’exportation comme l’industrie du luxe.
Le manque d’emplois pour la population urbaine a été une réalité
prégnante. Il est impossible de faire un parallèle sociologique avec
aujourd’hui, c’est aussi un des particularités du mouvement social qui
s’engageait, les classes sociales se structurèrent, mais pas avant
le XIXe siècle, ou seulement à l’aune d’une préfiguration. Le terme
bourgeois renvoie à l’origine aux habitants composant le bourg (à
l’origine le village fortifié : "le fors de bourg"), faisant lien avec
l’activité commerciale ou artisanale.
Au sein de la bourgeoisie comme
au sein de l’aristocratie, les disparités de richesse étaient grandes.
Il
est toutefois possible d’utiliser les termes de petite, moyenne et
grande
bourgeoisie. De son côté la noblesse possédait de 20% des terres du
royaume, pour autant il existait de très fortes disparités économiques
entre la petite noblesse de province (dite de robe) et le petit monde de la cour à
Versailles, puis le roi comme point ultime de la verticalité des
pouvoirs et dispensateur de cette manne.
En 1789, il n’existait aucune unité linguistique, patois et les langues
régionales dominaient. Le nombre de personnes en mesure d’écrire et de
lire avoisinait 10% de la population, mais dont la moitié n'étaient pas en
mesure de tout comprendre ou d’écrire, selon des travaux de l’abbé et
député Grégoire (cf. publiés en 1794). Pour la région parisienne la
population pouvant lire ou écrire représentait environ 30%. Les disparités
d’une région à une autre, entre les centres urbains et les campagnes
sont aussi à prendre en considération. Au quotidien, 80% des "François"
parlaient une autre langue, qui peut-être d’origine allemande, flamande,
italienne, espagnole ou catalane, etc., pour les patois ils pouvaient varier sur
peu de distance, ils s’organisèrent selon la séparation entre la langue
d’Oil et d’Oc (l’Occitanie).
Pour Paris, il est question d’argots, des traditions populaires liées à
des métiers, à l’exemple des bouchers. Il exista même un argot des
prisons ou chez les malfaiteurs. Comme le langage populaire pouvait varier
en raison de la diversité ou des « communautés », il se transformait selon les
époques. Dans la capitale, les quartiers populaires retrouvaient
l’assemblage des provinces d’origine, les migrations étaient internes et
la ville Lumière attirait une population qui rêvait plus Paris, qu’elle ne
l’envisageait.
Plus que de monter beaucoup échouaient ou retournaient vers la province
d’origine. Quand ils n’étaient pas promulgué un arrêté d’expulsion, suite à un
temps d’incarcération. Il fallait être en règle et disposer d’un «
passe-port ». La circulation était non seulement difficile, mais en plus
elle était l’objet d’une surveillance étroite sous la coupe de la Lieutenance Générale de Police de Paris.
Il fallait en moyenne en calèche
compter sur 20 à 30 kilomètres par jour de distance parcourue, un
exemple pour aller à Orléans prenait 3 à 4 jours. Les voyages étaient
longs et honéreux, pour autant les plus aisés ont su profiter des transports
et dans toute l’Europe, car disposant de temps et d’argent. Cette
occupation fut très prisée et source d’échanges avec les pays
riverains.
Au titre des observations importantes, si le XIXe siècle littéraire et
intellectuel a puisé beaucoup dans l’univers du Moyen Âge, le XVIIIe siècle,
ses références furent antiques ou gréco-latines. On peut ne pas
comprendre certaines envolées lyriques ou interventions des tribuns,
sans y voir une empreinte latine ou de l’antique république de Sparte
et un héritage philosophique qui représentait en ces temps, le premier
des savoirs, l’emportant sur les premiers balbutiements des sciences
encore très incertaines.
Ce qui donne à la Révolution française les aspects d’une grande
tragédie humaine, de quoi construire ou enflammer les esprits. Elle
n’a pas démérité de ses références passées. Ce fut un grand pugilat
générationnel, sous couvert de coups de force. La grande marotte était
de dénoncer les conspirateurs, les complots se tramaient ou les ennemis
de la Nation agissaient en coulisse, ce qui permettait d'alimenter les peurs, les rumeurs, et servir les pires
agissements. Le complot en fut une récurrence dans un monde trouble
et servait à masquer les intentions profondes ou réelles, le théâtre
d’ombre des rivalités et des haines politiques et humaines.
Lionel Mesnard - 18 décembre 2015
|