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Sommaire de la page,

1 - Introduction à une histoire critique :
    - Pourquoi écrire sur un tel sujet ?
    - La Révolution n'est pas un bloc !
    - 1789, une révolution économique ?
    - Quelques éléments chiffrés


2 - Révolution française : Un voyage en terre inconnue !
    - Violence civile et violence d'Etat ?
    - Qui et quoi lire ?





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Introduction à une histoire critique
de la Révolution de 1789 à 1792


Maillard - La Bastille - 14 kuillett 1789

Stanislas-Marie Maillard sur la planche - La Bastille, le 14 Juillet 1789

Il y a beaucoup à dire, écrire sur la Révolution française, il existe surtout une littérature abondante. Chacun peut y puiser et se nourrir de nombreuses lectures, le sujet est tout bonnement passionnant, mais l’on ne revient pas totalement indemne. Encore, je n’ai abordé que l’écume, la surface des choses, le contenu historiographique est tel qu’une vie ne peut y suffire. Tenter de plus l’aventure en solitaire relève d’une navigation en plein brouillard, s’engager si tardivement vers ce totem de l’histoire n’en reste pas moins un doux poison à transmettre.

Oui, un poison parce qu’il nourrit depuis plus de 200 ans les plus étranges passions et ne permet pas de comprendre ce qu’il en a été. C’est un peu présomptueux de l’écrire ainsi, mais là, où l’on pourrait s’attendre à ce qu’il existe une grande communion des idées sur un héritage essentiel, les luttes politiques de tous ordres trouvent encore échos et nuisent à une transmission objective des faits. Le terme communion est une pointe d’humour, parce que le plus étrange de cette révolution, c’est qu’elle ne commence pas le 14 juillet 1789, mais le 10 août 1792.

Henri Guillemin censuré en son temps par le pouvoir gaulliste parle de « fausse révolution », de la conquête du pouvoir par une nouvelle classe dominante, la bourgeoisie possédante? Le constat économique ajouté aux réalités sociales dressaient un état de la France catastrophique. Le pays depuis Louis XV vivait à coup d’emprunts, l'après guerre en terres américaines renvoyer au spectre de la banqueroute, qui pesa de 1783 à 1788. Si le dix-huitième siècle a brillé par ses Lumières philosophiques, pour la population dans sa grande majorité, elle vivotait en pleine obscurité religieuse et politique.

Certes, l’on discourait à la Cour des ouvrages interdits circulant sous le manteau, mais cet usage de la culture était limité, surtout à ceux qui pouvaient lire et s’acheter des livres. Le « vulgum pecus » (c'est une altération du langage signifiant "le commun des mortels", issu de vulgum : foule, ou de pecus : les personnes), que l’on proclama citoyen et appartenant à une Nation imprécise, l'individu lambda n’avait même pas de quoi se nourrir convenablement et devait se sentir chanceux s’il disposait d’un toit.

Si l’on peut décrire en peu de mots l’ancien régime, il faut parler d’un système de castes, mendiants et vagabonds étaient le dernier maillon d’une longue chaîne de servitude. Vauban qui entreprit en son temps quelques recherches sur la pauvreté (extrême), l’estima à 10% de la population, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui vivaient des expédients de la vie et sans domicile fixe autre que des refuges improvisés. L’hiver de 1788 à 1789 se traduisit à Lyon par 25.000 morts sur une population de 150.000 habitants. A Paris, cette saison amena son lot de procession et d’enterrements, la ville se vit parsemer de grands convois mortuaires au fil des jours, Jules MIchelet en décrit bien les aspects sordides.

Ce qu’il faut surtout remarquer par ce qui est entendu comme la datation de la Révolution française allant de 1789 à 1799, c'est de prendre en compte des régimes très différents dans leur nature et leurs intentions. Il y a fort à penser qu’après juillet 1794, cette révolution est en partie morte ou trahie? Le retour du vote censitaire étant une marque, le système politique basculait dès avant le Directoire en régime d'exception, c'est-à-dire en un exercice autoritaire ou limité du pouvoir.

Le coup d'Etat du 19 brumaire 1999 de Bonaparte venait clore, quatre ou cinq séquences n'ayant d'autres liens que le temps mais difficilement comparables. Et les plus grandes figures de la révolution ont presque toutes péri sur l’échafaud ou dans diverses conditions dont le suicide. Je parle des Hébertistes, Dantonistes, Robespierristes et ce que l’on nomme d’un ensemble abusif les « Girondins ». Cet ensemble politique d’au moins quatre familles est ce qui allait porter la nouvelle république et grâce au sein de l’assemblée aux voix du centre ou ce que l’on nommait le « marais ».

Cela ressembla ni plus ni moins au suicide d’une génération, d’essence bourgeoise, fait d’idéalistes et de pragmatiques, de rares idéologues (possiblement Brissot, Saint-Just et Marat sa synthèse). L’idéal poussait à la sublimation et au sacrifice, le pragmatisme nécessitait de savoir s’adapter. L’esprit canaille pouvait tenir lieu de raison, mais aussi conduire à la mort. Je n’entrerai pas dans de longs portraits des uns ou des autres, leur drame fut un trop plein d’amour ou de haine et en matière d’histoire une très mauvaise conseillère à suivre. Que l’on puisse avoir de l’empathie pour tel ou tel personnage est somme toute normal. Découvrir par des textes, ce qu’ils et elles ont pu dire ou penser, ou faire, leurs donnent vie, pour autant il n’en va pas de restituer des sentiments, des appréciations personnelles et pourtant combien d’histoires de la révolution ont pu y échapper? assez peu au final.

Les mots de la révolution sont parfois trompeurs et les termes comme girondin ou jacobin sont réducteurs. Si l’on ne fait pas vraiment état d’un "girondisme", l’on traîne pour boulet le jacobinisme renvoyant à l’état central. Alors qu’il se confond avec le colbertisme étant le système centralisateur par excellence et qui n'a jamais été remis en cause sur le fond, voire rénové par Napoléon 1er.

Cette synthèse entre la bourgeoisie et l’aristocratie data d’avant l’événement révolutionnaire, et le jacobinisme servit de fétu de paille ou de chiffon rouge, alors que la plupart des administrations du pays avaient vu le jour sous Louis XIV. Simplement pour signifier que les rouages administratifs et la mécanique centralisatrice en France n’est pas une invention jacobine. Le mouvement est bien plus lointain et profond ou comment le temporel a fini par s'imposer sur l’intemporel.

Pourquoi écrire sur un tel sujet ?


Il m’est arrivé, ce qui a pu arriver à d’autres, vouloir comprendre la Révolution française. Après plusieurs mois de lectures, de prises de note, d’aller et retour sur les premières années pour combler certains manques ou méconnaissances dans la chronologie de faits essentiels, il s’est posé pour question de comment transmettre une histoire si complexe. Quand par ailleurs la somme de ce savoir a été maintes fois l’objet d’interprétations à forte teneur idéologique.

Comment écrire sur un sujet qui pourrait passer pour une tarte à la crème, voire être usé jusqu’à la corde, ce qui est loin d’être le cas. Pour cela il faut aimer la lecture, sachant que malgré cet apport substantiel, il sera difficile de tout lire, ou ce qui est déjà existant sur les autoroutes de l’information. Donc comme dans toute recherche, tout ne pouvant être observé ou lu, il vaut mieux se contenter pour faciliter toute approche, se concentrer sur des séquences courtes ou sur une ou des personnalités spécifiques.

C’est ainsi que l’on découvre la richesse documentaire de cette époque qualifiée de « révolutionnaire », pour s’interroger sur tout ce qui a fait lien depuis avec ce vocable ou la charge que l’on a voulu lui faire porter. Si l’on doit retenir le terme de révolution et pour idée à retenir de cette notion, il semble que les parentés n’aident en rien à sa compréhension, qu’il faille en retenir l’idée d’un commencement. Un avant, puis un après, et allait venir bousculer un édifice politique et religieux quasi millénaire. (Hugues Capet a été couronné en 987)

La France d’avant était un grand puzzle ou des assemblages de populations et cultures, seul le roi faisait office d’élément unitaire et divin à la fois dans ce royaume très éclaté. Je puis comprendre certaines réticences à l’unité et l’indivisibilité de la République française, toutefois c’est oublier que si le servage a été abandonné en parti, bien avant les Bourbons et Valois, il n’en demeure pas moins que les droits féodaux, par exemple en Bretagne, étaient toujours bien vivaces, à l’exemple de la corvée. Cette dernière restaient encore une pratique non éteinte sur tout le territoire.

L’histoire du droit ou de comment fonctionnèrent les juridictions de l’ancien régime, c’est entrer dans un ensemble vaste, mais sans cohérence autre, que le pouvoir royal et ce que l’on nomma le Colbertisme. Cette volonté centralisatrice n’a pas pour autant fait l’unité du royaume sur le plan juridique et institutionnel. Nous sommes encore à l’usage des coutumes et aux volontés des nobliaux locaux, avec une charpente étatique extrêmement rigide. De plus, les métiers ou professions du droit étaient soumises à l’achat d’un titre (juges, substituts, etc…) et des limitations à leur barreau. Un avocat d’Arras ne pouvait exercer à Paris sans avoir "une charge" dans les deux villes, à ce titre Versailles le palais royal et dépendances appartenaient à une juridiction propre.

De plus on héritait de cette charge de père en fils, et pour finir d’en dresser un rapide portrait, près d’un tiers de cette corporation composa la nouvelle assemblée. Ce qui fut et ce qui va devenir, montre là un enjeu central de la révolution : les lois ! Elles permirent de fédérer le pays, créer de toutes pièces un corpus commun et une géographie politique particulière : le département. Celui-ci faisait interface entre l’état et les communes, l’unité de base. Ni plus ni moins, il s’agissait d’une refonte de l’outil étatique et de l’exercice et du rôle d’un droit s’appliquant à tous sans distinction d’origine.

L’exemple le plus significatif a été la question de la peine de mort et des sentences appliquées selon que l’on soit noble ou du tiers. Guillotin qui connut quelques mélancolies à voir son nom associé à la grande faucheuse défendit devant l’Assemblée nationale une mesure d’égalité. Qui de plus allait surseoir toute exécution pendant près d’une année, le temps de la rédaction d’un décret d’application. Aussi incroyable ou absurde que cela puisse sembler dans un pays et un continent abolitionniste, devant la mort, il a fallu même en changer les rapports inégalitaires.

Donc sans un corpus commun, une volonté de faire loi pour tous, ceci représenta à coup sûr une révolution et par conséquent la fin de l’usage du droit ancien. Sur le fond, cela ne  changea
pas grand-chose sur l’ordre social de la société, mais avoir un rôle fondamental dans l’émancipation de chacun. Ce que l’on nomme la citoyenneté. Fallait-t-il remplir quelques conditions, la question économique se borna à l’émergence d’un capitalisme tout puissant.

Si la R.F. ou Rév. fr. (acronymes de Révolution française dans les textes) a fait tant peur, c’est qu’elle fut violente. On ne change l’ordre de marche d’une société sans l’établissement de rapports de force politiques ou sociaux. Et face à un ordre répressif ou violent, seuls des déploiements de masse ont permis de faire plier un pouvoir donnant d’une main, ce qu’il tentait de reprendre d’une autre. A ce jeu de dupe, la fureur populaire a connu des accents terribles.

Le sentiment de trahison a fini par se transformer en une réalité concrète, le couple royal au lieu d’accompagner « ses peuples » a dévoilé les plans de ses gouvernements à l’Europe entière, où il était prôner un retour à l’ordre ancien. Le « cochon » comme on l’appela a cru comme dans une sorte de  nuage d’éther que tout finirait par revenir à son pouvoir passé et qui de plus arrosa et corrompit nombre de révolutionnaires en goguette.

Si l’on peut trouver quelques grandeurs chez le roi « soleil », sa progéniture grandissait dans un monde clos ou protégé. Le bon bougre de Louis Capet en garda des larmes aux yeux, quand il sortit hors de ses terres, ou de ses terrains de chasse dans une rencontre avec ses sujets en Normandie à Cherbourg. Ce voyage provoqua en contrecoup des inquiétudes outre-Manche sur un doigt tendu vers l’Angleterre. Cette dernière sortait à peine de la guerre avec la France et voyait en Louis XVI un ennemi potentiel. C'était sa première grande sortie depuis depuis Metz en 1775, son parent Louis XV lui évitait la capitale de peur de provoquer une émeute.


A Louis le seizième « Un triomphe lui fut arrangé. Il trôna un moment (sur ces énormes cônes que l'on coulait pour y asseoir la digue), comme un Roi de la mer, entre la foule en barques et la flotte tonnante. Très-imprudent triomphe qui aida fort à Londre nos ennemis dans leurs déclamations, irrita, effraya. Dans les fougueux discours de Burke, l'Angleterre croyait voir la France avancer (comme un crabe) deux pinces vers Plymouth et Portsmouth. Gigantesque menace qui couvrait l'impuissance. Élevé par l'effort des emprunts usuraires, le prodige éphémère que la mer emporta, n'exprimait que trop bien notre grandeur croulante, la ruine que Calonne avoue au Roi à son retour. Ce triomphal voyage, un calcul du ministre, n'avait été qu'illusion. Le roi, le peuple, s'étaient trompés l'un l'autre. Leur attendrissement mutuel leur cacha la situation. »

Jules Michelet,
Histoire de France, tome 17, page 334
C’est sur les conseils d'un ministre que cette sortie fut organisée du château de Versailles en juin 1786. Un peu à la manière de nos communicants d’aujourd’hui, la question de l’image, non point comme procédé photographique, mais de montrer une proximité avec ses sujets. Le terme "sensibilité" sera employé pour atténuer la maladresse, un élément compliqué, parce que Louis Capet était persuadé de sa légitimité inviolable ou éternelle. S’il a pu dire qu’il aurait aimé être « le roi de Metz », il ne pouvait s’envisager autrement que roi d'essence divine, et sur ce plan, il était bien dans l’orthodoxie des Bourbons de France : au-dessus des lois humaines. Quand la loi échappe aux communs des mortels, que s’arrogent de telles exigences et pouvoirs sur une masse sans nom ou indistincte, - que fallait-il en attendre en retour?



La Révolution n'est pas un bloc !

Aujourd'hui, s'il reste loisible de célébrer la Révolution, il n'est pas interdit d'en apprécier le pour et le contre, à la faveur de documents nouveaux et de calculs rétrospectifs. Elle n'apparaît plus nécessairement comme « un bloc », dont il faille tout accepter. Les légendes se dissipent. Les réalités se précisent. Impossible de tout absoudre, comme de tout rejeter. La Révolution garde ses grandes pages, comme ses grands acteurs. Elle a aussi ses zones d'ombre.

Réné Sédilot - Le coût de la Révolution française
1789 a représenté un bouleversement profond, pour la chronologisation la moins problématique, nous entrons de plein fouet dans le monde contemporain. Néanmoins, au risque d’écorner le mythe national, la fameuse phrase de Georges Clemenceau la « Révolution est un bloc » (1891)? Oui, aux vues d’un homme politique, et l’Histoire n’est pas que l’histoire des vainqueurs ou des grands de ce monde. Il existe comme un difficile travail de remise en ordre des esprits, ou chaque mot doit être pesé, pensé. S'il s'agit d'enfiler des perles et de toujours mettre en avant le récit classique ou illustratif des erreurs et légendes, le premier à avoir fait écrire et imprimer une Histoire de France à sa gloire fut Louis XI.

« L’idée du « bloc » fait d’abord partie de la pensée contre-révolutionnaire avant être objet une réappropriation républicaine, après Thermidor. Pourtant elle est très tôt décomposée, dès Thermidor, aussi par une autre évidence : celle de la pluralité de l’héritage révolutionnaire. Dès 1796 Constant cherche à terminer la Révolution sur les acquis de 1789, Babeuf veut la reprendre sur l’exemple de 1793. Si bien que historiographie révolutionnaire doit rendre compte de deux réalités difficiles à concilier l’unité et l’hétérogénéité du phénomène révolutionnaire français. La deuxième ne cesse de sous-tendre tous les récits du déroulement de l’événement, pour trouver sa forme classique dans opposition libérale entre 1789 et 1793 ou dans idée des deux révolutions une modérée censitaire, « bourgeoise » en un mot, l’autre plus avancée plus sociale et « populaire ». Mais elle n’oblitère pas pour autant la référence à l’unité, que celle-ci soit pensée à travers la condamnation de la démocratie moderne comme chez les contre-révolutionnaires, ou sous le concept de révolution « bourgeoise » comme chez les marxistes ou encore pour défendre en tant que bloc un événement historique dans toutes ses modalités, y compris les plus arbitraires comme dans la gauche jacobine. »
Ran Halévi et François Furet, "l'année 1989" (source Persée.fr - 1998)
L’histoire comme enseignement a beaucoup évolué, et des premiers écrits sur la Révolution à aujourd’hui, le traitement n’est plus totalement le même, du moins si la chronologie est un fondement à poser, l'intérêt est de s'interroger sur la matière humaine, les correspondances pas seulement écrites, mais ce qui fait encore lien entre eux et nous. Ou comment parler d’hommes et de femmes assez semblables à ce que nous sommes, et que l’on a un peu tendance à trop interpréter ou idéologiser sous le mot « Peuple », sans savoir - de qui - il est fait état.

En raison de la convocation des notables en 1787 qui s'avéra un échec, l’année suivante la tenue des Etats Généraux était repoussée, ou tenait lieu de promesse à cinq ans par le monarque. La situation financière ne fit qu'empirer et pour l'hiver seul les appels à la charité purent soulager un peu les misères. Les caisses étaient vides et sans cette instance, que l'on n'avait pas convoqué depuis 175 ans (en 1614), il n'était pas possible de lever de nouveaux impôts sans l'aval des Parlements comme à Paris. Ce fut la seule et véritable ambition du roi.

Puis se tint la convocation des élus des trois entités sociales de l'ancien régime. Cette réunion se déroula en mai 1789 à Versailles. Le petites gens du peuple étaient déjà en mouvement et les révoltes grondaient de toute part. Le mouvement devint général du 17 juillet à la fin août, nommée la Grande Peur. Elle prit fin en octobre par la proclamation d’une loi martiale, une justice d’exception. Cette dernière peu connue allait avoir à son actif quelques massacres, des sanglantes répressions au nom de la nouvelle autorité, qui toutefois n’était pas républicaine. Et sur qui il valut mieux faire peser la « Terreur » comme d'une épée de Damoclès?

La plupart des déclarations du roi se faisaient à ses peuples, en raison de l’absence d’une unité organique ou légale de la France, autre que la monarchie et son absolutisme, qui coiffait une myriade de justices locales et nationales, avec des leviers de pouvoirs usés jusqu’à la corde. Toutes les tentatives de remise à flot de l’économie depuis 1774 et plus encore après 1783 s'avérèrent des fiascos et les preuves d’une impuissance totale du pouvoir royal. De Turgot à Necker, pour aller au plus rapide, le système économique était irréformable.

Le futur Charles X ou comte d’Artois, frère de Louis XVI entraîna dans son sillage une partie de la Cour, pour ne surtout ne rien transformer sur la nature des privilèges et des coupes à opérer dans les caisses servant à une caste privilégiée. Le trésor royal a frôlé plusieurs fois la banqueroute, il a eu un rôle prépondérant après l’année 1789. Il allait servir à acheter et financer les manigances du monarque et de son épouse. Et quand le stratagème fut découvert son discrédit devint unanime.

Si les privilèges la nuit du 4 août étaient abolis, ce furent principalement en paroles, en actes, rien n’était très clair. Il fallut plusieurs mois de tractactions et la marche des femmes en octobre sur Versailles, pour en rappeler l'objet et le traduire en loi et décrets sous la pression populaire. Ce sera loin d’être une réalité acquise. L’obstruction, de celui qu’on nomma « Monsieur Véto » pesa fortement. Le rôle du général Lafayette, avec tout le poids qu’il mit aux Etats-Unis pour la nouvelle République indépendante, il le fit en France au service du roi et de la nouvelle constitution royaliste. Une contradiction qui se solda par sa fuite en 1792 auprès des ultras qui émigrèrent en Allemagne. Il finira un temps en prison, auprès de ceux qui depuis le 15 juillet 1789 avaient fui les « brigands », et ils furent plusieurs à se mettre à rêver de porter la couronne de France. Les villes de Coblence et Mayence s'instituèrent comme les premières têtes de pont de la contre-révolution, une sorte de cour non pas des miracles, mais d’un Versailles en exil avec l’objectif de revenir à l’
ordre ancien.

Pour ce qui a été la place du peuple, l’on vit se dessiner une nouvelle architecture sociale, et ce qui a été et resta une victoire de la « bourgeoisie » ou plus encore de la propriété privée. Il s’agissait d’une bourgeoisie composite, qui n’était pas faite d’un seul tenant, mettant loin en arrière plan, la majorité de la population qui jeûnait plusieurs fois par semaine. Il allait s’en jouer une lutte à mort au sein de cette même classe pas encore définie, et le pouvoir être un moyen de s’enrichir. Car si les petits n'ont pas été les premiers gagnants, la convoitise et les circonstances favorisa l’appât du gain, sous de fausses gloires. Pareillement on peut s’interroger sur la vente des biens de l’église, et ce qui servait de dépôt aux saisies des biens des aristocrates en fuite? Ce qui reste en l’état des zones d’ombres et qui ne permit pas d’enrayer la misère du royaume et de sa ville capitale.

Les qualificatifs pour désigner les plus humbles atteignirent des sommets, et comme une très grande part des habitants de ce pays ne savaient ni lire, ni écrire, il a été très facile de faire dire ce que l’on voulait à la partie muette du pays. Les récits d’une histoire sur les masses devient alors problématique, et les classifications sociales néanmoins utiles pour comprendre ce qui se passe. Mais si le terme prolétaire commençait à faire son apparition, il ne correspondait en rien à nos critères actuels et même du vingtième siècle. Il exista bel et bien un monde ouvrier, quoi que très minoritaire face au monde agricole. La « bourgeoisie » n’était pas née au moment de la Révolution, ils sont mêmes pour les plus riches et depuis Louis XIV, un moyen pour nombres de familles aristocratiques de renflouer les finances de certains vieux blasons. Mais il importe de distinguer les petits-bourgeois composés d'artisans et commerçants, et toute une cohorte de petites gens à leur service : apprentis et ouvriers.

Si une minorité, une oligarchie économique, une haute bourgeoisie s’en dégagea, cette classe de possédants en fut le grand vainqueur. En particulier, ceux qui avaient misés sur les manufactures, entre commandes d’état et intérêts privés, la marge fut plus que floue. Dans une certaine limite l’analyse de ce corps social dit bourgeois mériterait à lui seul une histoire, sans en chercher les preuves d’un matérialisme historique hypothétique. Il est indéniable que le combat social se joua à ce niveau entre hauts bourgeois et aristocrates de la cour, le reste, la majorité des sans voix a servi de prétexte utile à l’édification d’un nouvel ordre de société et en toute cohérence avec la montée du capitalisme ou libéralisme économique. Celui-ci allait sortir de sa période pré-accumulative et s’engageait dans la mondialisation des échanges à l’échelle planétaire. Et l’Empire dominant allait devenir la Grande-Bretagne, qui un siècle auparavant a connu elle aussi des changements légaux importants, opérant bien avant les Français ce geste dit déicide. Qui fut utile à culpabiliser une nation entière pour un fait, aux allures « d’un courant d’air frais » aurait pu dire Monsieur Guillotin.

Monsieur Guillotin n’a pas été pas le créateur de sa machine, mais son initiateur et celui qui a défendu devant la Législative cette invention, sans que la guillotine n'ait été jamais mentionnée dans un texte de loi. La grande faucheuse a été le résultat des recherches du docteur Louis, à qui l’on devait cette lame en biseau et elle fut utilisée la première fois, le 25 avril 1792 sur un condamné pour des raisons criminelles. Il s’agissait aussi d’en finir avec les « spectacles » de torture, ou les exécutés mettaient plusieurs heures et sous le regard de la foule. Pauvre Monsieur Guillotin qui n’avait pas souhaité voir son nom associé avec cette machine à couper en deux. Il souhaitait en finir avec cette inégalité avec la mort, ou les suppliciés selon qu’ils soient nobles ou du peuple n’avaient pas droit au même traitement. L’on sait qu’environ 3.000 personnes connurent le sort de la décapitation à Paris de 1792 à 1795.

La question n’a jamais été de savoir, s’il fallait couper la tête de Louis Capet et de Madame
déficit. Les faits sont ainsi, on peut en contester la nature, les procédés. Mais l’opinion dominante était que la famille royale avait trahi. C’était au moins acquis après le retour de Varennes en juin 1791 à Paris au Louvre, ou ce qui constituait le Palais royal (à ne pas confondre avec les jardins du même nom). Tout le processus est connu, les jours, les heures, les minutes avant la mort. Cela a servi à nourrir une légende noire, et voulue en tant que telle dès 1789. Il était déjà fait référence au régicide ou déicide dans la presse royaliste. La légende d’un pauvre roi sous le coup d’horribles « brigands, assassins, ou tueurs », voire persécuteurs et de « basse classe ou extraction », ne laisse pas de doutes sur une certaine condescendance sociale. Ce qui a été trop souvent été traité au titre de la caricature, comme des périodes « anarchiques » ou du fait « d’anarchistes », quand survenait un mouvement populaire d’ampleur. Faire le lien avec le Peuple devient dans ce cas un travail d’un autre ordre, et demande possiblement à revoir non pas la nature latine de ce mot, mais qu’entend-on par cette totalité qui ne recouvre rien?

Comment faire lien entre une monarchie qui se refusait à l’exercice constitutionnel et un Empereur, certes des Français, mais qui codifia pour bonne part une organisation des lois tout aussi rigide ou autoritaire, soit un prolongement du colbertisme. Ce qui est une grille de lecture du jacobinisme assez fallacieuse, alors que la dynamique centraliste est le fait du roi dit «Soleil». Une volonté de concentrer les pouvoirs dans les mains d’un seul homme, n'était en rien nouvelle et fit lien avec le Bonapartisme. Le jeune officier corse et jacobin allait devenir un administrateur de génie et un criminel de guerre et contre l'humanité (rétablissement de l'esclavage), que l’Europe entière a eu du mal à oublier. Dès ses premières heures jacobines, il a su se distinguer dans les opérations de rétablissement de l’ordre, cela se traduisit par quelques répressions violentes à son actif.

La Révolution quand prend-elle fin? Pour certains avec la restauration monarchique, pour d’autres jusqu’à la fin du directoire et le coup d’état du 18 brumaire 1799. 25 ans, 10 ans, il semblerait beaucoup moins, si l’on examine les faits de plus près, car la question est de savoir ce que l’on entend aussi par révolution? Avec 1789, ce qui allait suivre a été une succession de petites révolutions plus ou moins vertueuses, dont deux périodes décisives de mobilisations populaires (juillet et octobre 89). De quoi se demander mais pourquoi occulte-t-on le 10 août 1792? Pourquoi dans les chronologies, une si grande misère sur des faits si notoires? Ce qui n’échappe pas aux historiens lucides est la nature des invraisemblances, et de la difficulté à rétablir un minimum de sens ou de cohérence historique.

Un enjeu scientifique ne pouvant faire que du mal aux passions, aux légendes et aux mythes dont est truffée la Révolution française. Plus exactement, cette page de l’histoire de l’Humanité demeure un outil de propagande. Non pas colportée par des voix étrangères sur une réalité très chaotique, mais née de cet étrange affrontement par livres et journaux interposés et ceci dès son origine. Ce qui a été une lutte idéologique, non pas seulement entre deux ordres de la société : monarchisme et républicanisme, mais entre des fractions divergentes de la bourgeoisie française, aristos inclus. A se demander si la narration d’un thriller, d’un crime de lèse majesté pourrait être plus utile pour lever le voile des non-dits et surtout comment transmettre à sa juste valeur un héritage, dont les héritiers n’en mesurent pas toujours la dimension et les profondeurs?

Toute la question est de savoir si hors d’une analyse politique de plus, il ne serait pas mieux de retracer et donner à lire les ouvrages qui ont marqué, ou bien servent toujours de référence, et  pouvoir ainsi dicerner les propagandes ou les contre-propagandes. La liberté de la presse ou de l’édition, jusqu’alors des modes d’expressions soumis à la censure. Le média papier a connu  son premier grand essor. Les plumes critiques éditaient sous le manteau ou le marché noir via des imprimeries en sol étranger, ou de manière clandestine. Au point, que si l’on voulait que tel pamphlet suive son cheminement jusqu’à la personne incriminée, on pouvait lui faire suivre par des moyens détournés et à domicile..., et les premiers lecteurs se trouvaient souvent à Versailles.

Les salons servirent de sas de circulation des idées libérales, comme libertines et jusqu’aux thèses austères des jansénistes, qui ont été les premiers à goûter des geôles royales et des prisons politiques. La Pompadour a adoré Voltaire, mais elle a participé sans rechigner aux milliers de lettres de cachets sous Louis XV et agissait pour caser tous ses proches dans des fonctions de police, de justice, et d’autres détails, comme le rôle du contrôleur des postes ou gouverneur de la Bastille. De nombreux récompensés ont ainsi manoeuvré pour cette dernière. Son souvenir, plus celle que l’on nomma "l’Autrichienne", fille de Marie-Thérèse, n'a pas laissé l’empreinte d’une grande intelligence politique, et si le reine a suivi son mari dans la mort, il lui incombe de l’avoir fortement aidé.

1789, une Révolution économique ?


Comme peut-on avancer dans un tunnel sans lumière? La Révolution française est de cet ordre et avant de trouver l’interrupteur ou la petite lumière, le choix des ouvrages est considérable et il n’est pas simple de s’y retrouver. Une consultation sur internet vous engage à de nombreuses découvertes et il faut souligner que beaucoup de documents afférant à la période de 1789 à 1799 sont disponibles. De quoi se mettre à rêver d’un site permettant d’accéder à cet ensemble littéraire et retraçant les grandes lignes d’un mouvement politique, social et économique, qualifié de révolutionnaire.

L’idée ou le terme de révolutionnaire vient marquer une rupture avec le passé, son emploi est très subjectif et peut marquer de même une nouveauté, des progrès de diverses natures et la Révolution dispose de tous ces ingrédients, faisant des premières années une période féconde et assez peu commune dans l’histoire de l’Humanité. Pour une chronologie respectueuse des grands cycles historiques, il faut retenir le passage au monde contemporain et la fin de ce qui est nommé l’époque dite Moderne. D’entrée de jeu et après réflexions sur le sujet, il faut apporter un bémol.

L’année 1789 et la convocation des Etats Généraux, les suites ne mettaient pas fin à l’ancien régime. Ils posèrent en parti un point final à l’édifice absolutiste avec l'établissement d'un état de droit en construction. Jusqu’en 1792 et sa destitution, le monarque régnait et pensa même avoir rétabli son autorité en 1791. Du moins, il a cru en la fin de l’agitation générale à un retour à la normalité des choses ou à son entendu. Si l’idée générale était à l’esprit démocratique, son trône n’était point menacé. Les « François » de 1789 n’avait nulle intention de faire comme les « Anglois » un siècle et demi avant avec Charles 1er, mais ils ont gardé depuis le titre de « Peuple déicide » et Cromwell que l’on qualifia de dictateur se cacher sous le masque d’un certain député du Nord, nommé Maximilien de Robespierre, en raison de sa charge d'avocat (il n'a jamais été anobli, ni a été franc-maçon).

La thèse d’un roi faible semble à réfuter, si Louis XVI n’a pas eu la poigne de son auguste parent le roi « soleil », il a su en plein d'aspects tenter l’inconciliable. Du moins, il a tout fait pour conserver son pouvoir et a fortement contribué pour retrouver ses anciennes prérogatives. S’il convoqua les Etats Généraux (E.G.), ce n’était pas pour le bien de « mes peuples ». Comme il aimait à dire. Il en allait de trouver des recettes fiscales nouvelles, les caisses au plus bas. Le spectre de la banqueroute provoqua l’affolement des spéculateurs à la fin juin 1789, ils étaient 60.000 agioteurs dans la seule capitale, tout comme les prostituées... Il est difficile de vraiment comprendre sans faire un examen de la situation social et économique du pays.

Si 1789 a bien été une révolution, elle fut avant tout économique et
surtout juridique, il a existé quelques timides avancés démocratiques avec l’éclosion d’une presse pluraliste, qui allait concentrer un rôle important pour la circulation des idées. Mais il fut question sur le plan économique du transfert des biens de l’église à l’état (10% des richesses nationales) et de la vente des domaines des émigrés qui permirent la naissance de la petite propriété paysanne et du papier-monnaie, plus exactement de « l’assignat ». Dont la naissance s'avéra tumultueuse et surtout très mal acceptée. Parce que soumise à la fluctuation et à un taux très capricieux et surtout à la baisse.

Cette dépréciation de la monnaie devint la raison de l’entrée en guerre du pays pendant plus de vingt ans ans sous un ministère composé de Feuillants et Girondins en avril 1792, jusqu’à la chute de l’empereur Napoléon 1er en 1815. La question économique est centrale car il s’agissait d’un transfert d’au moins 5 milliards de livres françaises et d’une part non négligeable de la richesse mobilière, qui fut acquise par des petits paysans. La France héritait avec 1789 d’une oligarchie financière, et la propriété devenait le sacro-saint de la nouvelle foi « bourgeoise ». L’avènement d’une classe sociale n’est pas une surprise, mais nous sommes encore loin de critères sociologiques précis, quoi que se dessinaient et s’écrivaient aussi les premières approches de cette nouvelle organisation de la société.

De leur côté, les auteurs de la Révolution française offrent toute l’étendue des critiques qui ont été portées sur cette période chaotique, parce que le commencement de quelque chose, du moins dans un cadre très idéologique, et correspondant aux évolutions intervenues depuis 1789 à nos jours. Il existe depuis l’événement, marqué par le 14 juillet, date dont le symbole est un peu frelaté, un fossé dans la transmission et des désaccords de fond, qui ne sont pas prêts de se résoudre.

Faut-il parler de révisionnisme? A ne voir que la poutre dans l’œil du voisin, le plus prudent des citoyens et amateur d’histoire, peut avoir de grosse difficulté à comprendre. Surtout s’il ne met pas le turbo de la critique en marche et fasse, ce que beaucoup ont fait pour revenir sur ce fait majeur de notre Histoire en connaissance de cause. Il ne s’agit pas d’une histoire se limitant à la France, mais d’une révolution centrale dans un ensemble de processus qui prirent forme en Europe et sur le continent américain. A la croisée d'une période étendue sur plusieurs siècles, un temps long et planétaire.

Pour ce qui se passa en France, il est indubitable, que la monarchie sous forme constitutionnelle a été une première étape démocratique et trouva sa place sous une double influence dans les mouvements révolutionnaires, avec ce qui se produisit, soit un siècle plus tôt en Angleterre, et la révolution indépendantiste étasunienne de 1776-1783. Cette double influence est patente, mais avec un grand bémol sur la sociologie de ceux qui ont puisé dans les idées de leur siècle. Nous parlons de gens lettrés et d’une bourgeoisie petite et grande, du moins en formation et qui allait s’emparer d’un pouvoir, mais s’écroulant de lui-même : la marque d'une révolution accomplie.

Le terme de pouvoir est important, parce qu’il est question de la fin de l’absolutisme, et que Louis XVI a plus subi que devancer les réformes. Le monarque a surtout en janvier 1789, une économie en lambeau et si le 14 juillet a été un indicateur économique clef, le prix du blé fut à son plus haut niveau. Selon les années, la qualité et quantité des grains était plus que relative, et dans un premier temps la fureur populaire se tourna vers les boulangers et les portes d’octrois qui ceinturaient comme un périphérique payant ouvrant sur un cinquantaine d'entrées ou portes
de la capitale.

Les Parisiens et pas seulement ont eu faim, cet aspect historique a été récurrent tout au long du XVIIe et du XVIIIe siècle, disettes et famines furent régulières depuis la fin du règne d'Henri IV jusqu’à Louis Capet et son épouse. Outre les somptueuses dépenses de la Cour, les guerres américaines avec la Grande-Bretagne alourdirent le poids déjà très pesant de la dette sur les finances des deux pays. L’endettement était à son comble, de chaque côté de la Manche, mais surtout ce qui allait être un problème nodal en France, qu'en serait-il  de cette masse de sans travail et sans domicile? Comment se composait la population, à quoi ressemblait une sociologie (qui n’a pas d’existence) et assez peu d’éléments chiffrés, telle sera notre première interrogation?



France : 83 départements - décret du 15 janvier 1790

Quelques éléments chiffrés ou sociologiques


La France un peu avant la Révolution a entre vingt-cinq et vingt-sept millions d’habitants, la capitale se compose d'environ 650.000 âmes, dont plus de 15% sont des très pauvres ou exclus, sans abri ou travail (Indigents). La Noblesse représentait 400.000 personnes, dont la Cour 4.000 nobles et le Clergé 120.000 dont 139 évêchés, soit 2% de la population totale, qui est composée à 78% de paysans et employés de la terre. Les élus du tiers-état appartenaient exclusivement à la « bourgeoisie » imposable, celle-ci était disparate et peu représentative de la population. Elle se composait de nombreux juristes ou officiers de justices, dont beaucoup d’avocats (400), d’élus locaux, de négociants ou commerçants, de cultivateurs ou propriétaires terriens, des prêtres du bas clergé, et même des nobles comme le comte de Mirabeau, pour la Sénéchaussée d’Aix.

Si le monde ouvrier émergeait dans les centres urbains, il dépendait selon les métiers aux règles très strictes des corporations et à des usages pouvant remonter au Moyen Âge. Il faut distinguer le maître artisan, de l’ouvrier et de l’apprenti. L’artisan recevait des commandes et se trouvait lui-même sous l’autorité des maîtres vendeurs organisant les appels d’offre. Il manquait surtout du travail, même si apparurent des manufactures au cours du siècle, sans parler de leur nature spécifique, elles ne pouvaient satisfaire les besoins les plus courants et pour partie elles étaient vouées à l’exportation comme l’industrie du luxe.

Le manque d’emplois pour la population urbaine a été une réalité prégnante. Il est impossible de faire un parallèle sociologique avec aujourd’hui, c’est aussi un des particularités du mouvement social qui s’engageait, les classes sociales se structurèrent, mais pas avant le XIXe siècle, ou seulement à l’aune d’une préfiguration. Le terme bourgeois renvoie à l’origine aux habitants composant le bourg (à l’origine le village fortifié : "le fors de bourg"), faisant lien avec l’activité commerciale ou artisanale.

Au sein de la bourgeoisie comme au sein de l’aristocratie, les disparités de richesse étaient grandes. Il est toutefois possible d’utiliser les termes de petite, moyenne et grande bourgeoisie. De son côté la noblesse possédait de 20% des terres du royaume, pour autant il existait de très fortes disparités économiques entre la petite noblesse de province (dite de robe) et le petit monde de la cour à Versailles, puis le roi comme point ultime de la verticalité des pouvoirs et dispensateur de cette manne.

En 1789, il n’existait aucune unité linguistique, patois et les langues régionales dominaient. Le nombre de personnes en mesure d’écrire et de lire avoisinait 10% de la population, mais dont la moitié n'étaient pas en mesure de tout comprendre ou d’écrire, selon des travaux de l’abbé et député Grégoire (cf. publiés en 1794). Pour la région parisienne la population pouvant lire ou écrire représentait environ 30%. Les disparités d’une région à une autre, entre les centres urbains et les campagnes sont aussi à prendre en considération. Au quotidien, 80% des "François" parlaient une autre langue, qui peut-être d’origine allemande, flamande, italienne, espagnole ou catalane, etc., pour les patois ils pouvaient varier sur peu de distance, ils s’organisèrent selon la séparation entre la langue d’Oil et d’Oc (l’Occitanie).

Pour Paris, il est question d’argots, des traditions populaires liées à des métiers, à l’exemple des bouchers. Il exista même un argot des prisons ou chez les malfaiteurs. Comme le langage populaire pouvait varier en raison de la diversité ou des « communautés », il se transformait selon les époques. Dans la capitale, les quartiers populaires retrouvaient l’assemblage des provinces d’origine, les migrations étaient internes et la ville Lumière attirait une population qui rêvait plus Paris, qu’elle ne l’envisageait.

Plus que de monter beaucoup échouaient ou retournaient vers la province d’origine. Quand ils n’étaient pas promulgué un arrêté d’expulsion, suite à un temps d’incarcération. Il fallait être en règle et disposer d’un « passe-port ». La circulation était non seulement difficile, mais en plus elle était l’objet d’une surveillance étroite sous la coupe de la Lieutenance Générale de Police de Paris.

Il fallait en moyenne en calèche compter sur 20 à 30 kilomètres par jour de distance parcourue, un exemple pour aller à Orléans prenait 3 à 4 jours. Les voyages étaient longs et honéreux, pour autant les plus aisés ont su profiter des transports et dans toute l’Europe, car disposant de temps et d’argent. Cette occupation fut très prisée et source d’échanges avec les pays riverains.

Au titre des observations importantes, si le XIXe siècle littéraire et intellectuel a puisé beaucoup dans l’univers du Moyen Âge, le XVIIIe siècle, ses références furent antiques ou gréco-latines. On peut ne pas comprendre certaines envolées lyriques ou interventions des tribuns, sans y voir une empreinte latine ou de l’antique république de Sparte et un héritage philosophique qui représentait en ces temps, le premier des savoirs, l’emportant sur les premiers balbutiements des sciences encore très incertaines.

Ce qui donne à la Révolution française les aspects d’une grande tragédie humaine, de quoi construire ou enflammer les esprits. Elle n’a pas démérité de ses références passées. Ce fut un grand pugilat générationnel, sous couvert de coups de force. La grande marotte était de dénoncer les conspirateurs, les complots se tramaient ou les ennemis de la Nation agissaient en coulisse, ce qui permettait d'alimenter les peurs, les rumeurs, et servir les pires agissements. Le complot en fut une récurrence dans un monde trouble et servait à masquer les intentions profondes ou réelles, le théâtre d’ombre des rivalités et des haines politiques et humaines.

Lionel Mesnard - 18 décembre 2015


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La Révolution française :

Un voyage en terre inconnue !


Jules Michelet (1798-1874)

La Révolution française ne fut pas synonyme d’une large prise de conscience, si sociale elle a été, elle s’en trouva limitée à un phénomène où quelques individualités eurent un ascendant sur le cours des événements. L’absence de réflexion sur la chronologie officielle ou exposée comme un bloc allant de 1789 à 1799, pose une sérieuse question, si révolution il y a bien eu, quand a-t-elle commencée et quand a-t-elle pris fin? Les dates proposées et peu amovibles soient-elles ne sont pas toujours cohérentes? En premier lieu en quoi la République se trouve incluse dans la première partie du 14 juillet 1789 au 10 août 1792?

Au mieux l’année 1789, marquait le passage à l’époque contemporaine. Quand il en vient à dresser un ordre chronologique avec ses différentes tranches, étapes ou séquences, la question est de savoir ce qu’on entend par « révolutionnaire »? Surtout quand les premiers vrombissements datent de mai 1788 dans le Dauphiné, les premières révoltes de 1789, dès la fin janvier en Bretagne.

A ce stade, personne n’avait en tête de contester le roi et surtout ses pouvoirs. Louis au contraire a eu besoin de lever des impôts, sa véritable préoccupation face à ses carences financières. Cinquante pour cent du budget passait au remboursement de la dette et l’hiver avant la réunion des Etats Généraux s’avéra particulièrement meurtrier (possiblement plus de 100.000 morts pour tout le pays). La faim et le froid, plus l’augmentation des prix du blé ont favorisé un printemps agité, il était déjà fait part des bandes de « brigands » qui pillaient cultures et richesses. Cette peur en devint « Grande », quand l’été favorisa l’organisation des milices bourgeoises en réaction.

Nous avons tous une idée très générale de cette période allant de 1789 à 1799, parfois des avis tranchés, quand ce n’est pas une perception erronée. Dans mon cas, j’éviterai de répéter certaines erreurs et j’ai tenté de comprendre ou d’appréhender la fin de règne de Louis Capet et les premières années révolutionnaires jusqu’à la mort de Maximilien Robespierre. Après des semaines, plusieurs mois de lectures à ce sujet, ma perception des événements a fortement évolué, tout en s’accompagnant de diverses réflexions et interrogations, notamment concernant la transmission.

Par ailleurs, j’ai été amené auparavant à travailler sur le XVIIe et le XVIIIe siècle et ses univers médicaux et légaux, et si je retiens des noms de philosophes qui ont exercé une influence certaine, quant à leur analyse des systèmes politiques, il me vient à l’esprit – des lois - Montesquieu le premier, puis Montaigne et Rousseau, ce dernier ayant eut au cours de mes apprentissages et considérations une influence certaine. Sa relecture récente de sa Politique du Contrat Social (ou Principes politiques) et sur les inégalités, a été un vrai plaisir et source du même étonnement, voire à se retrouver « le cul dans le ruisseau », on peut même y lire un apologiste du communisme.

Prudence toutefois, si Rousseau a été réellement populaire et présent en esprit dans les agissements de quelques acteurs de la Révolution française (acronyme RF), chacun a pu s’en imprégner ou être l’objet de conversations contradictoires. A se demander si les oppositions véritables et persistantes sont plus entre Voltairiens et Rousseauistes que tout autre chose? Ces deux hommes embrassaient des philosophies pas toujours ajustables sur le plan politique, et sur le plan humain. Deux natures différentes et représentant tous les deux avec Montesquieu l'ossature de la "première" et de la "seconde" révolution (89 et 92).

J’avais entrepris une histoire urbaine de Paris et ses légendes, il y a une décade, et je m’étais arrêté au seuil du dix-septième siècle devant la masse documentaire. En dehors de rajouts ou corrections, seule une biographie de Francisco Miranda m’avait permis d’aborder la période, mais de manière résumée et biographique. Toutefois, ce regard à la fois extérieur en raison de ses origines sud-américaines, et celui qui fut un des généraux de la nouvelle République valut à Miranda quelques appréciations grinçantes et peu flatteuses sur le haut niveau de corruption de la société française.

Je n’en conclurai pas qu’il a eu raison en tout point, il ne fut pas neutre, mais difficile de ne pas lui donner tort. En particulier après avoir goûté au plaisir de la prison par deux fois, l’exil à Londres en 1797 s’imposa, Bonaparte ordonna son arrestation. Il était venu au printemps 1792 à Paris pour appuyer le mouvement révolutionnaire. Miranda s’était fait engagé par le ministres de la guerre dans les premières troupes luttant contre l’invasion autrichienne et prussienne. Cela lui vaudra plus tard avec ses soldats, la victoire et la prise d’Anvers en Belgique. Je n'ai pas cité en premier la bataille de Valmy, même si l'on a conservé de lui un buste sur place en commémoration de cette "victoire" insolite, la première de l’ère républicaine. Cette offensive que l'on croit glorieuse, cette bataille mérite des réserves, et il faut exprimer qu’elle fut très artificielle.

Probablement une de ces tragi-comédies montées en épingle, plus au registre de la légende et du mythe national, que de l’histoire réelle. Du moins, ce qui se joua en coulisse et dans les travées diplomatiques, et négociations secrètes en montrent un visage décapant et loin du fait héroïque des militaires présents. Et une bataille peu représentative des grandes boucheries à venir. Si le face à face dura quelques jours avec les troupes du maréchal de Brunswick, les morts aux combats et le temps des affrontements représentèrent une banalité pour l’époque (moins de 1.000 morts et une très grosse épidémie de dysenterie chez l'ennemi...).

L’histoire est une matière complexe et la RF l’est d’autant plus que chaque élément et détail méritent éclaircissement. En l’état, sans avoir les bonnes sources, il est périlleux d’analyser une période toujours sous les feux de la controverse doublée par des interprétations ayant un caractère idéologique, ou l’expression des divisions politiques, parfois délibérément propagandistes en démontre l'outrance ou la malveillance.

Particulièrement quand certains « historiens » sont en drague avec un certain révisionnisme de bon aloi reprenant à tue tête l’expression des premières heures : « Vive le roi ! », de manière consciente ou inconsciente. Figure du martyricide par excellence, le monarque plutôt maladroit et tout à la fois retord, la noblesse de Cour plus que déconsidérée, cette grande rébellion populaire n’est pas née d’une raison plus qu’une autre, mais d’un ensemble socio-économique et légal où 400.000 personnes étaient exemptés de travail et d’impôts (aristocratie et clergé).

A l’autre bout de la chaîne, 3 millions de très pauvres réduit à l’errance sur 26 millions d’habitants dans l’hexagone, et surtout un manque croissant d’emplois et marqué au siècle des Lumières par un début d’exode rural. Si les conditions de vie s'étaient un peu améliorées par rapport au « Grand Siècle » (le XVIIe s.), de même l’étau de l’état policier fut moins lourd sous Louis XVI que sous ses aïeux. Toutefois, cela reste très relatif dans un temps où les manufactures servirent de nouvelles sources d’enrichissement et de nouveaux lieux d’exploitation des masses à vil prix.

Les gens de peu ou toute cette masse ouvrière et paysanne est depuis toujours la partie immergée de l’iceberg. Je m’explique, si le pauvre est assimilé à un moins que rien, le peuple (populus signifiant en latin nation) est une donnée plutôt absente et une piste finalement encore pas assez explorée. Si opposition sociale et de pouvoir sont une réalité indiscutable entre la bourgeoisie et la noblesse et une des causes de l’effondrement de l’absolutisme ; se limiter à cette seule interaction ne permet pas de comprendre les mentalités et la place de tous ces invisibles et néanmoins citoyens de base, les dits passifs dans le processus révolutionnaire. 

La question comment faire lien avec le point de vue de la minorité aisée ou lettrée, qui rédigeait les textes et tous ceux, l’immense majorité sans réels moyens d’expression autre que la colère. Trop souvent paysans et ouvriers furent les grands absents, limitant la galerie à quelques personnages historiques, certes de premier plan sur le plan politique. Mais qui conduisent à faire des chapelets d’analogies, infondées le plus souvent. Pour comprendre cette Révolution, ce n’est pas dans le futur qu’il faut se projeter et faire des parallèles fallacieux sur les totalitarismes du vingtième siècle, une connaissance des années et décennies antérieures à 1789 en facilite grandement la compréhension et ils évitent la production d’anachronismes.

S’il y a à se pencher sur les crimes de l’ancien régime, comme ils doivent se poser pour le mouvement révolutionnaire, il serait possible de faire lien avec des pratiques que mirent en pratique les régimes totalitaires du siècle passé. Sans avoir à faire de lien, si ce n’est revenir aux origines, les codes esclavagistes, la mise au travail forcé des plus pauvres au nom de la lutte contre «l’oisiveté» et l’enfermement pour les récalcitrants avec des peines s’accompagnant d’actes de torture n'ont pas été le fait du futur arsenal judiciaire républicain.

Tout comme les fameuses lettres de cachet qui sous Louis XV furent estimées entre 50.000 et 150.000 procédures sans jugements et son équivalent de prisonniers ou récalcitrants à mettre au silence ou à remettre dans le droit chemin. Ce fut surtout un moyen de régulation sociale. S'il faut convenir que la lettre de cachet a été l'objet de beaucoup de  fantasmes, ce n'était pas ce qu'il y avait de pire comme mesure. A choisir entre la Bastille, Vincennes et les prisons ordinaires comme celle du Châtelet vous n'auriez pas hésité, ou du moins survécu à votre incacérartion. La réalité sanitaire fut un vrai bouillon de culture, à caractère viral...

On peut aussi parler de traite humaine et ne se limitant pas à remplir les navires d’esclaves africains, mais aussi à rafler au sein de la population les petites gens et de les envoyer dans les colonies. Au sein de ce que l’on nomma les hôpitaux généraux de Paris et sous le règne de Louis XVI, on n’hésita pas à faire des expérimentations médicales sur ce que nous nommons aujourd’hui des patients. Sans réel encadrement et sans capacité autre que de compter les morts tombant comme des mouches après les "fumigations mercuriennes"...

Si, il existe un comparatif à faire, il en va de comparer les pratiques d’un régime à l’autre, mais pour cela il vaut mieux établir des parallèles entre deux temps historiques communs, qui ont un lien direct et de la même entité géographique. Si, Louis IX a imposé la ruelle ou l’équivalent de l’étoile portée par les juifs dans l’Europe nazifiée des années 1940, comme signe distinctif, il n’est pas pour autant le précurseur des chambres à gaz. Si les historiens ont pour but de faire prendre conscience des horreurs qui ont pu être commises et sans charger le baudet inconsidérément, l’analogie est de toute façon critiquable. Sauf à chercher chez les Bourbons un héritage et une continuation.

Si la chose semble évidente, c’est au prix d’une recherche historiographique périlleuse, mais si riche en découverte. Je vais tenter d’en narrer certaines séquences et prolonger ainsi mes travaux sur internet. La Révolution m’est tombée dessus, j’ai pris conscience de mes failles et je n’ai pas voulu aborder le sujet sans mettre à jour mes propres connaissances. J’ai préféré mener l'enquête et soulever ainsi son lot de questions. Beaucoup de mes préconçus ont volé en éclats. Me trouvant un peu plus riche de ce savoir, seul l’écrit pouvait mettre en place une analyse critique.

A mi voix entre l’académisme et ce qui fait la patte du vivant, l’approche stricto-historique ne peut suffire ou répondre à tout. Il faut pouvoir trouver d’autres matériaux d’analyses et donner une place plus significative à une approche humaine plus élargie ou anthropologique. Mais pas seulement, c’est toute la chaîne des sciences humaines et sociales qu’il faudrait pouvoir interroger, et surtout la prise en compte des souffrances et douleurs du petit peuple parisien et ses "vies minuscules", et par ailleurs de toute classe confondue.

Pareillement, la question du genre vient aussi soulever des questions importantes sur entre autres la place des femmes dans les événements révolutionnaires. Sans leurs impulsions et combativités ce serait oublier la moitié d’entre-nous, du moins remettre de l’humain au centre des débats dans cette tourmente ouverte à tant de lectures ou interprétations. Et si l’on se concentre sur l’objet historique remettre en perspective l’héritage émotionnelle ne peut qu’aider à sa compréhension et rendre bien plus riche son contenu, un peu trop sous le hachoir des jugements austères et des repères idéologiques des siècles précédents. Tous fait de chaire et d’esprit, un ensemble de contradictions ingérables, mais qui a pour communauté un passé et un destin. Alors pourquoi tant d’acharnement à rejeter l’émotionnel, alors qu’il est présent de toute part?

Si l’on connaît le haut niveau d’émeute et insurrectionnel du petit peuple de Paris sous les monarchies, il n’est pas étrange de découvrir que l’on nommait ces faits comme des « émotions populaires ». Et le problème était loin d'être du seul fait des Parisiens, les émotions populaires ont été très nombreuses. Un sujet limite tabou pour un historien, comment parler du sensible, du ressenti et donner la parole à des hommes et des femmes sans instruction et pris pour somme négligeable? Qui plus est dans cette capitale qui a été une de fois de plus au centre de la tourmente et tenue pour responsable de toutes les dérives, l’expression populaire paysanne et ouvrière reste en partie une énigme.

La manière dont certains auteurs vont dépeindre les plus humbles et miséreux a tout le caractère d’un mépris de classe, dans la logique de deux mondes se côtoyant et objectant chez les dominants à la majorité d’avoir une conscience et au final une existence. De la manière la plus caricaturale, la présentation de l’histoire comme reflet des chambres à coucher des Princes fait encore place aux représentations éculées du libertinage. Ceci n’étant que tromperie et abus de mise en scène et très limité pour en saisir tous les enjeux sociaux et économiques. Les êtres du dix-huitième siècle et des siècles antérieurs nous ressemblent pour beaucoup, même si les repères sociaux, familiaux, moraux et conditions et modes de vie ont changé au fil du temps, ils sont nos semblables.

Avec leurs faces sombres et lumineuses, leurs émotions, ces humains de tous les genres ont pu exprimer un malaise, pour ne pas dire un trop plein d’oppression et pas seulement en son sens premier. Il y a quelque chose de physique, tout autant que l’influx psychique à se libérer de ses chaînes. Ce qui diffère ou bien peut différer, c’est qu’il n’existe pas au sein de cette société de place pour l’intimité dans les milieux populaires, c’était une lutte de survie qui s’engageait dès la naissance. L’enfant est à ce titre très peu évoqué.

Il faut sortir du discours de surface, le mot peuple permet de tout dire et son contraire, il est trop global de nos jours pour exprimer un tout qui n’a jamais pu être exprimé dans sa profondeur. Cependant redonner âme et vie par le biais de l’histoire aux citoyens de ces temps révolus est un nouveau champ, s’ouvrant à tous. De quoi venir un peu bousculer cet ordre des choses ou tant échappe au regard profane.

Violence civile et d’Etat ?


Il y a quelque chose de l’ordre d’une tragédie. Elle a été à double niveau, l’une humaine avec tous les accents mélodramatiques de personnages semblant émerger des mondes antiques, et sur le champ de la connaissance proprement dite de la RF au vingt-et-unième siècle. Ou comme l’explique l'historien Michel Biard, les historiens se trouvent dans une situation « d’archéologues », c’est-à-dire, obligés de retirer toutes les couches successives de vernis des légendes noires et dorées.

L’objet n’est pas d’aimer ou de détester cette période historique, mais de pouvoir faire, ressortir les enjeux et de transmettre au final une histoire libérée de ses gonds idéologiques divers et variés, qui ne font qu’obscurcir la compréhension des événements. Il faudrait dépassionner le débat et restituer les événements dans leurs contextes particuliers, et dans une certaine mesure sortir de ce débat très franco-français faisant de la R.F. une grande bouillie idéologique. En clair, redonner la parole aux historiens, chercheurs et universitaires et s’éloigner des querelles d’hier, qui ne permettent en rien de regarder cette époque avec un regard serein, loin des caricatures et parallèles douteux.

Pendant près d’un siècle, les histoires rédigées ont été le fruit des divisions politiques du pays dont les origines remontaient à la même période, chaque camp à sa manière exprima une orientation, le terme le plus proche étant une projection des événements ; c’est-à-dire une mise en scène politisée et pas vraiment des travaux historiques à proprement parler. Les premiers travaux que l’on peut qualifier de scientifiques furent le fait d’érudits, pour l’un deux, son engagement a été manifeste, et assez peu commun pour ne pas pouvoir le limiter à un courant ou un carcan idéologique. Là aussi très réductionniste en le qualifiant de « marxiste » surtout quand il n’y pas un mouvement faisant un tout, mais des marxismes et des individus plus ou moins critiques face à l’orthodoxie du siècle dernier. Néanmoins pour comprendre la R.F. sous nombres de coutures, si conseil avisé, il est de lire Albert Mathiez et ses héritiers. Nombre de ses textes ou écrits se trouvent sur internet, et si vous cherchez un travail synthétique et précis, il vous aidera probablement à mieux saisir les raisons sociales, économiques et politiques de cette révolution.

Face à ce qui a été une offensive de basse propagande et qui est venu ranimer de vieux débats depuis 2006, fini par démontrer la volonté de groupuscules réactionnaires ou à caractère révisionnistes de continuer l’oeuvre de légende et ce qui est du ressort d’une propagande royaliste née sous et dès le début de la révolution. Rien de très nouveau, si ce n’est une entreprise de démolition toujours à l’œuvre, elle oblige en des temps marqués par des poussés passéistes de s’en prémunir. Une fois que vous avez dépassé de vaines polémiques cherchant à faire des analogies incongrues et porter la croix des martyrs de la foi chrétienne, le retour aux réalités est bien plus conséquent.

L’inquiétude que l’on peut porter est la question de la transmission, elle passe aussi par une déconstruction des mythes, c'est-à-dire de décryptage. L’histoire n’est pas une école des préjugés moraux et encore moins juge des faits ou des vertus de chacun. Dans l’étude de tel ou tel personnage, il peut se dégager plus ou moins de l’empathie, mais l’objet n’est pas hagiographique mais de comprendre le rôle d’untel dans des circonstances données, dans un cadre d’interrelations humaines, sociales économiques et politiques. Faire de la R.F. un sujet d’histoire, c’est aussi vouloir répondre à des interrogations actuelles, car négliger de la sorte notre mémoire collective, c’est aussi nous condamner à une certaine errance et reproduire des erreurs en d'autres termes.

La question n’est pas d’ignorer la violence, mais de la prendre en compte comme un facteur non négligeable, mais pas à la lorgnette ou dans une tentative visant à l’absoudre. Là est le fondement de ma critique. La R.F. a été une page brutale et la masse des crimes n’est pas seulement imputable à un camp. Prenons un exemple, le général Lafayette, il aurait de nos jours à répondre de quelques crimes de guerre, les massacres de Nancy et du Champ de Mars lui sont imputables et pourtant, il n’est pas l’objet d’une légende noire. Mais ce qui est affligeant c'est qu'en réalité Gilbert Motier de La Fayette est finalement trop peu étudié, la densité du personnage mériterait mieux.

Il reste l’image d’une sorte de « chevalier blanc » de la révolution, auréolé de ses succès lors la guerre d’indépendance de la jeune nation étasunienne. Si je cite en particulier Lafayette, l’objet n’est pas d’en faire un monstre sanguinaire, il est un des acteurs clefs de la « première révolution » finalement peu connu. Mais il n’est pas le seul, car toute la difficulté viendrait à en conclure que tout n’a été que bain de sang. Et chaque catégorie sociale (encore imprécise) portant son lot d’actions sanguinaires, comment alors analyser cette violence civile et d’état?

Comment en finir avec ce « voile pudique » sans pour autant nourrir une martyrologie, tout en reconnaissant l’entendu des crimes commis et les atrocités qui ont pu se produire. Mais comme les chiffres pour diverses raisons n’ont pas donné lieu à un travail statistique délimitant les responsabilités des divers camps en présence. La raison semble assez simple, chiffres aléatoires, parfois grossis ou minorés nécessiterait de recenser tout ce qui a été l’effet d’une mort violente en déterminant les différentes causes : actes répressifs, guerres internes et externes.

Premier constat, les guerres externes ont compté plus d’un million de victimes sur plus de vingt ans, les guerres civiles et notamment celles de Vendée et de Bretagne firent aux alentours de 250.000 morts au total pour les deux camps républicains et royalistes. Ce sont les deux causes qui provoquèrent le plus de décès non-naturels. Conséquence au siècle suivant la France qui était le pays le plus peuplé d’Europe, allait voir sa population stagnée, quand d’autres pays connurent le fait inverse. Le sujet est connu des démographes, les guerres de l’Empire ont eu des effets négatifs sur les naissances et la démographie, et la nature des crimes laissés dans les pays limitrophes, notamment l’Espagne porta les marques d’un état criminel.

Si elles sont les deux premières sources des morts non naturelles, dans l’imaginaire collectif, on a tendance à associer la RF à la seule guillotine et aux piques ensanglantés qui ont pu être les emblèmes et le reflet de la violence de ces temps. Les piques en acier ou en bois qui trimbalèrent quelques têtes de la noblesse apparaissent comme marginales, quand on découvre la méthode  la plus courante : la noyade (20.000 morts). Mais attention, il n’existe en ce domaine aucune législation liée aux crimes de guerres et génocidaires ou de lèse humanité, et faire lien avec le présent revient à politiser à l'excès une histoire où la question ne se posait pas en ces termes. La noyade qui a été un procédé d’abord populaire, il allait connaître son pendant guerrier, d’où la distinction à faire entre violence civile et d’état. L'objet n'est pas de nier les crimes ou ce qui peut s'apparenter à un génocide politique, mais d'éviter des caricatures poussant à ethniciser les Vendéens.

La Révolution pose de très nombreuses questions, la première pourrait être : qui et quoi lire ?


A partir de ce moment, l’on présume l’ampleur du sujet à étudier. Certes il existe des histoires de la R.F., mais ce qui est constitutif de ces ouvrages représente des monceaux de documents : les archives. Elles sont composées des textes de loi et débats parlementaires, de la presse, des mémoires, des comptes-rendus et registres administratifs de l’époque concernée. Les archives sont la première matière des historiens, comme il en va de la préservation et de l’indexation de tout ce matériel. Il ne faut jamais oublier en préalable l’importance du travail des archivistes et bibliothécaires. Sans eux, sans ce recensement et cette mise à disposition, il serait difficile de donner vie à un récit, et la numérisation des documents, bien qu’encore partielle offre de quoi satisfaire la curiosité et nourrir les faims du plus grand nombre.

Néanmoins il n’est pas sûr que l’outil informatique soit utilisé dans toute son étendue. D’abord pour en connaître toute sa richesse et sa diversité entre la Bibliothèque nationale et son site Gallica et les diverses bibliothèques virtuelles du monde, il n’existe rien pour connaître tout l’existant et les origines. Il n’y a rien d’étrange, sauf à remarquer la nature très éclatée des sources et de la présence de beaucoup d’ouvrages rédigés en français aux Etats-Unis et afférant à la R.F., de même en Grande-Bretagne, en Russie, etc...

Pour des raisons de droits d’auteurs, l’accès à certaines données livresques notamment doit attendre un siècle pour tomber dans le domaine public. Donc les livres parus après la première guerre mondiale sont dans l’ensemble soumis à cette règle. Cependant comme dans toutes choses, il y a des exceptions et deux auteurs comme Alphonse Aulard et Albert Mathiez décédés en 1928 et 1932 sont déjà accessibles pour bonne part.

A noter qu'il existe pas mal de vidéos traitant du sujet, certaines seront retenues dans ce travail (ou sur ma page Youtube, le lien est en bas de page). S'il est difficile d’échapper à ce qu’a pu faire Henri Guillemin, il faut le dire avec un léger bémol : son enthousiasme communicateur est celui d’un homme engagé, ce qui n'est pas un problème, mais à l'examen de ses propos et de sa manière de citer, sa fiabilité pose de grosses difficultés, surtout quand il affirme des propos qui n'ont jamais existé, donc l'extrait de Silence aux pauvres que j'avais retenu a été retiré. Il fait dire au ministre de Narbonne en décembre 1791, des paroles qui n'ont n'a pas jamais été prononcée ou exprimée de la sorte.

Albert Mathiez à bien des égards semble le grand oublié, le passé à la trappe, à qui l’on doit toutefois d’avoir révolutionner l’approche historique, en son temps, et dépasser en qualité son vieux maître Aulard. Ce que font en général les nouvelles générations. Il a donné naissance au courant « marxiste » dans son analyse politique de la révolution. Il créa en 1907 les études Robespierriste et fonda une école critique de la R.F., redonnant à Robespierre une part de son honneur perdu. Il est clair, il est précis, ses trois tomes de la R.F. d'environ 300 pages représentent une somme de savoir synthétique, son approche économique et sociale met en relief ce que devrait comprendre tout lecteur avant de s’engager dans un sujet si controversé.

Que comprendre d’une situation sociale et politique, si vous ne la mettez pas en relation la réalité économique, vous risquez de rater l’essentiel. Si ce n’est d’ignorer une conjoncture, qui en toute époque permet de saisir les difficultés du moment, et, pourquoi l’ancien régime allait s’effondrer en deux temps et des pressions populaires qui allaient agir comme des piqûres de rappel.

Albert Mathiez, je l’ai découvert en bout de course ou ce qui mettra un petit point, non point final à des recherches engagées il y a plusieurs mois. Probablement de la faute de Jean-Jacques Rousseau, la relecture de ses œuvres philosophiques et politiques a contribué à mieux comprendre les aspirations révolutionnaires et ses limites.

Je n’entrerai pas dans une analyse rapide des fondements rousseauistes, il faudrait partir d’autres théoriciens comme Montaigne ou Montesquieu pour remonter à ce qui a pu être à l’origine sur le plan des idées la matrice des desseins révolutionnaires. De la loi comme l’expression des Hommes, la question de l’organisation des sociétés est un débat plus que centenaire. Ce qui fonde à minima est peut être notre ressenti, dans l’exercice commun de la citoyenneté. Un ensemble de références latines ou grecques donnant à cette époque son côté romanesque ou romantique, mais qu’il faut éviter de reproduire ou singer, pour ne pas tomber dans une théâtralisation de l’histoire.

Il est impossible d’échapper aux fondamentaux et dans l’historiographie de la R.F., le style écrit a pu atteindre des sommets littéraires. Je crois que l’historien se doit être plus sobre et jouer un rôle de passeur de mémoire, et s’éloigner au mieux des certitudes ou croyances en cours. Du lyrisme dans une époque si lyrique, comment ne pas crier au sublime, mais pas toujours, si l’information la plus large et le contenu propre à restituer les faits se limite aux antichambres, quand ce n’est pas sur le plan historique absolument erroné.

Se contenter d’une simple chronologie ne peut permettre de mettre en relief certains événements, il faut pouvoir entrer dans le détail du journalier, connaître au mieux l’ensemble des protagonistes et leurs intentions. Faire la lecture des événements de l’avant 1789 au regard de Michelet ou par Mathiez, nous sommes dans deux mondes et deux approches à lire. L’une très classique n’est pas à négliger, mais dans le contenu les considérations de style sont moins présentes chez Mathiez et laissent juge et arbitre son lecteur, du moins cela semble avoir été le souhait de l’auteur. Un détail de précision d’éléments chiffrés et vérifiés, fait par un érudit.
« Nous voulons une patrie qui procure du travail à tous les citoyens, ou les moyens de vivre à ceux qui sont hors d’état de travailler. Nous voulons une cité, où les transactions seront la circulation de la richesse et non pas les moyens de l’opulence de quelques-uns fondés sur  la détresse des autres. Nous voulons une organisation humaine ou les mauvaises passions seront enchaînées : l’égoïsme, la cupidité, la méchanceté. Nous voulons substituer la droiture aux bienséances, substituer le mépris du vice au dédain du malheur, substituer les bonnes gens à la bonne compagnie. Nous voulons une demeure des Hommes où toutes les âmes s’agrandiront. Nous voulons accomplir les destins de l’humanité. » 

Maximilien Robespierre
Lionel Mesnard - 19 décembre 2015

Suite sur la Révolution française...
L'année 1789, de janvier au 18 juillet

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