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Sommaire de la page,
1 - Le ministre de Brienne s'en va et Jacques Necker revient
2 - Le rappel de Mr Necker & le mois de décembre 1788, décrit
par Jules Michelet
3 - Les années 1787 et 1788 en quelques dates... et est incluse la Pétition des Citoyens domiciliés à Paris, du 8 décembre 1788
4- Deux Déclarations du Roi du 1er mai, sur les vacances et sur l'ordonnance criminelle
5 - Second ministère & le Conseil du Roi du 27 décembre 1788, Jacques Necker
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Le ministre de Brienne s'en va
- et Jacques Necker revient...

Gravure de Paris - île de la Cité - au fond à droite la statue équestre d'Henri IV
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Jacques
Necker redevenait le grand argentier du roi en septembre 1788 et le
resta jusqu'au 11 juillet 1789 avant d'être de nouveau remercié et
servir de prétexte à l'insurrection à une partie de la bourgeoisie
parisienne, et, déjà avec son petit monde spéculatif. Selon Jules
Michelet, l’on
apprend que ce Genevois protestant d’origine allemande fut
d’une très grande servilité à l’égard des puissants du royaume et en
particulier pour redevenir ministre. Le roi
avait un profond mépris pour ce riche bourgeois transalpin.
Pourtant
celui-ci allait lui permettre d’éviter une fois de plus la banqueroute
tout en
prélevant sa part
d’intérêts à un taux élevé. Il ètait aussi le père de Germaine
de Staël, grande défenderesse de la propriété privée, elle-même
d’origine Suisse. Ce pays frontalier n’a pas encore la nature que
nous lui connaissons comme Confédération, mais les cantons et la
Ville-état de Genève allaient avoir un rôle et une influence sur les
destinés de la France à prendre en compte. Dix ans auparavant
disparaissait Jean-Jacques Rousseau, lui-même protestant et le dit citoyen Genevois (mort en
réalité citoyen de Neufchâtel) et surtout le grand
inspirateur des années révolutionnaires et de la République.
Les « Gardes Suisses » ont eu un rôle particulier dans les
événements futurs, les troupes composées de soldats helvètes et
alémaniques étaient au service du royaume depuis le XVIIe siècle, ils
composaient avec d’autres régiments étrangers les armées royales et leurs
ordres étaient donnés en allemand. L’on peut parler de troupes mercenaires,
parce que non rattachées à leurs nationalités respectives, cependant cette
Garde se trouvait sous les ordres du comte d’Artois, frère cadet de Louis
XVI et futur Charles X. Environ un quart des militaires était au XVIIIe
siècle des étrangers, comme les régiments « Allemands et
Irlandais » ou l’équivalent de vingt régiments.
Dans son dernier tome de l’Histoire de France (tome XIX, édition de 1877), le plus
emblématique
des historiens français Jules Michelet dressait un portrait très acide sur la
fin de règne des époux Capet. Difficile en ce domaine de le contester,
sauf à préciser que l’auteur n’a été en rien neutre et que les sciences
historiques ont pour beaucoup évolué et appris depuis à équilbrer et nuancer les propos. Néanmoins, s’il
faut
rester prudent sur ses interprétations, il faut saluer une plume de haut
niveau et ses
emportements compréhensibles, il prend faits et cause sur le mode d’un
républicanisme tempéré. Ses résumés et ses portraits sont fidèles aux
faits, même, si l’on
devine ses sympathies et antipathies. Il peut écrire en une ligne des
éléments de jugements contrastés ou critiques, ses aspects incisifs
permettent aux lecteurs attentifs d’en comprendre les tenants et
aboutissants.
Michelet entre dans la catégorie des historiens « libéraux » de
la Révolution française avec Edgar Quinet et Lamartine. Trois analyses
ou histoires
de la Révolution à lire, les faits ou les descriptifs sont moins
présents - chez Quinet, le contenu est plus analytique - et ils peuvent
s’avérer partiellement faux ou
erronés chez Lamartine reprenant des parts de la légende. Michelet est
aussi l’auteur d’une histoire de la Révolution française (RF) en sept
volumes.
L’accès aux archives resta longtemps un usage très limité à
ses conservateurs, ou pour un public trié sur le volet. L'on désigne
aussi comme historien libéral, Adolphe Thiers, le terme libéral étant
devenu tellement élastique ou représentatif de la société
française et capitaliste, que faire le lien avec l'idée de liberté et
ce triste personnage relève du paradoxe. De plus, l'histoire de la
Révolution française narrée par Thiers est une construction historique
dont les faits sont peu fiables, voire reprenant la propagande la plus
grossière.
Dans une étude historiographique, celle de la Révolution première est aussi une histoire
des auteurs venant se greffer à l'ensemble. Il est normalement facile
de distinguer les opinions des rédacteurs, ensuite la qualité de
l'analyse souvent l'emporte en ne se limitant pas aux seuls faits
bornés ou répétés sans discernement. Puis, il est indéniable que le
style d'écriture participe lui aussi à mettre en scène des situations
que nuls n'a pu vivre et Michelet est en ce domaine, non pas un
exemple, mais avec Lamartine, nous avons deux monuments de la
littérature.
Les premiers éléments chronologiques sont
extraits des écrits de Michelet :
« Ce qui pouvait le plus y faire penser la reine, c'était le
rude
accueil qu'elle avait reçu dans Paris. Ayant hasardé de venir à
l'Opéra, elle y fut presque huée. Elle dut se sentir comme excommuniée
de la France. De tous côtés un cri lui déchira l'oreille, ce nom Madame Déficit. »
Louis XVI a succédé à son parent en 1774. L’année 1788 a été une année
clé ou de basculement et donne quelques apports sur un contexte social et économique au
bord du gouffre, à deux doigts de la banqueroute. L’antériorité ou ce
qui se passa avant, permet de comprendre, que depuis le constat du
ministre Turgot sur les finances du royaume et ses blocages, peu de
choses avait évolué, si ce n'est empiré sur le plan économique et de fait social. La valse des grands argentiers
ou
intendants aux
finances, allait voir défiler plusieurs ministres à commencer par
M. Necker,
son suivant. Ils partirent tous d’un même constat évident, la dépense
était supérieure aux recettes et la dette enflait, mais au moment de
passer
à l’acte, le roi renonça, la pression des grands du royaume s’imposa.
Concernant Necker, il vint avec sa fortune combler les trous, ce
dernier préleva au passage un pourcentage de 14% en remboursement de la
dette.
Des dépenses somptuaires allait ternir les dernières années, comme
l’affaire du collier (1785), ou l’attrait de Marie-Antoinette pour les
diamants, mais restant du domaine superficiel. Mais les bijoux
additionnés à des achats ou constructions de somptueuses demeures et
ses menus plaisirs (le jeu notamment), les termes utilisés par Michelet
de "Madame déficit", s'ils sont l'addition d'un tout et principalement
en raison des guerres se déroulant outre-atlantique, l'effet dévastateur de telles
paroles dans l'opinion indiquait un rejet manifeste de la jeune reine.
Face à un roi qui ne
savait pas dire non à la Cour et à ses ultras, elle participa au
creusement d'une créance, dont on a beaucoup mal à l'évaluer le
gouffre. Les
comptes étaient au rouge et l'organisation des dépenses et recettes
incertaines.
Louis
Auguste alias Louis XVI savait aussi s’acheter ses bonnes grâces, si ce n’était favoriser la corruption dans un
système
en bout de course. La dette tint pour une bonne part à l’ardoise de la
guerre
d’indépendance des États-Unis à l’origine du trou financier.
L’ensemble monarchique était rigide et irréformable, il restait au roi
la
convocation des trois ordres. Le monarque fit tout pour rejeter l’idée,
mais
en 1788, contraint et poursuivi par le spectre d’une faillite
généralisée, il
concéda et fit
appel et saisir les trois Parlements (Noblesse, Clergé et Tiers-état). C'était
le seul moyen de changer les lois et de faire voter de nouveaux impôts.
Il finira par s’y résoudre et tentera de manœuvrer dans l’application
de la tenue des Etats-généraux avec la réussite qu’on lui connaît. Un
des conseillers du duc d’Orléans lui avait conseillé dès 1777 de faire
lui-même la révolution, en faisant tomber la
Bastille…
«
En 1789, la dette royale atteint 4,8 milliards de livres. Cette dette
est divisible en trois sous-ensembles : 322,3 millions de livres de
dette à court terme (dette flottante, résultats du déficit de l’année
précédente), 3775,5 millions de livres pour la dette à long terme
(dettes consolidées en rentes, parfois inextinguibles), et 735,9
millions de dette au titre des offices (sommes versées par les
acquéreurs d’offices royaux, mis au passif de l’État quand les postes
disparaissent). Le service de la dette, soit les sommes devant être
payées annuellement, atteignait près de 60 % du budget gouvernemental
en 1789. »
Les femmes des villes, notamment celle de Grenoble au mois mai et juin
dans le Dauphiné ont tenu un rôle important face à une armée
divisée sur la nature de la répression et font écho à ce qui allait se
passer dans les mois à venir dans le pays. La France était un pays éclaté
sans réelle cohérence d’une province à une autre. De la Bretagne à la
Corse, au
Béarn ou au pays Basque les constructions légales étaient différentes,
voire opposées. Dans ce
cas, dans les Parlements provinciaux, où pour beaucoup le Tiers servait de
tapisserie, être l’occasion d’affrontements avec le pouvoir.
La machinerie
administrative était à bout de souffle et l’argent faisait défaut,
l’intendant de Brienne jonglait comme il pouvait et recevait en retour une
franche haine de ses contradicteurs au sein de l’entourage royal à
Versailles.
Finalement, le 8 août, le ministre d’État, Loménie de Brienne, convoquait
au nom du
roi les Etats-généraux (E.G) après l’échec l’année antérieure du
Parlement des Notables (1787), dont il était le président. Il fut démis
de ses fonctions avec Lamoignon son rival ou opposant favorable aux
proches du comte d’Artois, le 25 août. Peu de temps après, le 15 décembre à Nice il se vit
nommer : Cardinal, et il s'éclipsait pour deux années en Italie. Deux jours
après son départ commençait le deuxième ministère de Necker, ce dernier
entrait au Conseil du roi. Il allait ainsi empêcher la banqueroute en y
mettant sa fortune personnelle, selon Michelet.
En septembre, Michelet stipula un massacre à Paris en trois endroits de la
capitale. Au moins 25 morts autour du Pont Neuf. En début décembre,
une grande vague de froid s’abattait sur le pays, il était noté moins trente
degré à Paris, le pays s’immobilisa, les denrées se firent rares et ne
circulaient plus. Quand une ville comme Paris s’alimentait au jour le jour,
le nombre de décès augmenta et les enterrements furent nombreux,
l’on s’entassait comme l’on pouvait dans les masures pour se protéger du
froid. Jusqu’aux greniers précisa Jules Michelet. Des grands appels à
la
charité se firent et trouvèrent quelques échos, car la situation était épouvantable.
Le 28 décembre : Le roi décida le doublement du Tiers, faute de pouvoir
nourrir la population parisienne.
Texte de Lionel Mesnard
- Le rappel de Mr Necker, décrit par Jules Michelet
« La crédulité vaniteuse de Necker, sans doute
aussi l'amour du bien public, l'avaient trop pressé d'accepter.
Lamoignon faisait croire au roi qu'il pouvait éviter les États
généraux. Des parlementaires assuraient qu'en abandonnant la
malheureuse Cour plénière, rouvrant le Parlement, ou obtiendrait de lui
ce qu'on voudrait. Très coupable complot qui, dans une situation si
dangereuse, allait neutraliser le seul sauveur possible, détruire
l'espoir qui soutenait la France. Déjà le roi faisait imprimer les
nouveaux édits. Mais l'indigne manœuvre des deux côtés fut arrêtée. (…)
« C'était le 7
septembre, et l'on voyait déjà avec effroi que la
récolte avait manqué partout, en France et en Europe. Necker, ce jour
du 7, interdit la sortie des grains. Cela marquait la crise, et rendit
la reine sérieuse. Necker fit apparaître le fléau imminent, l'universel
chaos et le spectre de la famine. Les adieux du roi de la reine,
à
Brienne et à Lamoignon furent pathétiques, et ceux qu'ils auraient
faits à la royauté même. En effet, désormais, il fallait marcher droit
aux États généraux. Plus de fraude, plus d'échappatoire, la France
allait venir et demander des comptes.
Cette
vague terreur leur fit amèrement regretter ceux qui emportaient
le passé. On les combla, sans souci de l'opinion. On avait les larmes
aux yeux. La reine voulut embrasser Brienne, lui donna son portrait
enrichi de diamants. Elle garda sa nièce comme dame d'honneur. Il reçut
le chapeau. Un de ses neveux fut coadjuteur de son archevêché, et un
autre eut un régiment. Lamoignon, pour son fils, eut la pairie, une
ambassade, et pour lui 4.000.000 de livres (dans une telle pénurie !).
Rien n'exaspéra plus la reine que la vive joie de Paris. Et le signal
partit de la Bastille. Les Bretons prisonniers trouvèrent le moyen
d'illuminer la plateforme. Trois jours, trois nuits, c'est dans toutes
les rues une furie d'illuminations, pétards, fusées, etc., et l’on
casse les vitres des amis de la Cour qui n'illuminent point. Ce
désordre fut un prétexte pour l'irritation de Versailles. Le ministre
Villedeuil demanda et obtint du roi un ordre « de dissiper par la force
les attroupements. » C'était se hâter fort. Ces effervescences durent
peu. Les réprimer d'un coup, au moment de l'explosion, c'est ce qu'on
ne peut guère qu'au prix de bien du sang.
Ici, on le pouvait, ayant
en main, non pas, comme à Rennes, à Grenoble,
des troupes ordinaires et peu sûres, mais des corps privilégiés, à
haute paye, aimant peu le bourgeois, La Garde de Paris, en butte aux
railleries qui toujours poursuivaient le Guet, était fort disposée à
faire voir qu'elle est « vrai soldat. » Son chef, le chevalier Dubois,
fut ravi de sabrer, fit une charge à fond sur le Pont Neuf plein de
monde, galopant sur les trottoirs mêmes. Les spectateurs paisibles, des
gens de toute classe (Florian, le marquis de Nesle, etc.) furent ou
sabrés ou écrasés. Cela irrita fort. Le lendemain, on revint avec de
grosses cannes, et, devant Henri IV, on brûla un archevêque de
carton.
Plusieurs, irrités de la veille, disaient : « Brûlons les corps de
garde ». Dubois, dit-on, habilement avait embusqué des fusils. On tire.
Et voilà vingt-cinq morts. Mais il y eut, pour Lamoignon, bien plus de
sang encore, deux vrais massacres aux deux bouts de Paris.
Une
foule, en bonne partie de femmes, s'était portée aux trois hôtels
Dubois, Lamoignon et Brienne, et devant criait, aboyait. Du dernier
(Hôtel de la Guerre), on avertit Sombreuil, le gouverneur des
Invalides, qui les envoie, et les fusils chargés. D'autre part, les
Gardes françaises, sous M. de Biron, entrent par l'autre bout de la
rue. Opération habile et d'un succès terrible, qu'on veut attribuer au
hasard. La foule, serrée des deux côtés, fait une masse compacte, où
tout coup porte. Prise entre les deux feux, elle est poussée sur l'un,
sur l'autre; des deux côtés, la mort! C'est encore le hasard qui, par
la Garde de Paris, fit le carnage aux boulevards. De la porte du Temple
et de la porte Saint-Martin, on refoula les masses au traquenard de la
rue Meslay. Des deux bouts on chargea, on sabra pêle-mêle le peuple,
les promeneurs, l'habitant qui rentrait chez lui.
Le Parlement, rouvert le
24 septembre, manda et gronda fort Dubois, la
Garde de Paris. Qu'eût-il dit à Biron, à la Maison du roi, trop
excusés, garantis par leurs ordres? La Cour eut cette tache de sang. On
a dit, répété sottement que ce gouvernement ne périt que de sa
débonnaireté. Je ne vois point cela. Il périt de son abandon. S'il
avait trouvé dans l'armée le zèle qu'il trouva dans ces corps, il
eut
certes lutté. La petite cour militaire, qui menait alors Louis XVI, eût
pu avec sa signature livrer de vraies batailles, disputer la fortune.
Mais l'armée lui tourna le dos. Que ces choses cruelles se soient
passées sous Necker, le plus humain des hommes, cela nous éclaire fort
sur un point très obscur de la situation où l'histoire ne dit rien.
Était-il? n'était-il pas maître? Il avait l'apparence et la décoration
d'un vrai premier ministre. Protestant, il entre au Conseil ! insigne
grâce. Il a les embarras immenses des finances et des subsistances. Il
a la charge grave et infiniment compliquée de préparer les États
généraux. Il devrait être fort, tenant cette misérable Cour par ses
besoins et par sa peur, ayant trois prises, le pain, l'argent,
l'opinion. Il pouvait fort bien voir, par l'effort que le roi se fit de
quitter Lamoignon, combien il était nécessaire. Il n'en profita pas, ne
prit pas le haut ascendant. De là tant de fausses mesures, en désaccord
avec ses idées et sa probité, et pourtant signées de son nom.
(...)
Tel il resta en montant au plus haut, gardant toujours l'humble
respect de tous faquins titrés, heureux de leurs sourires. De là un
être ridicule, double, bâtard et faux, d'un côté flatteur du public,
amant de la gloriole, d'autre part tenant fort à gagner les
privilégiés, occupé de les apaiser, de se faire pardonner le bien. On
eût pu deviner tout cela dès 84 par son livre, Administration, Il y est
pitoyable, visiblement il pleure de n'être plus ministre. On sent
parfaitement la prise aisée qu'on a sur un homme si faible. Dans son
pathos sentimental de bon charlatan allemand, il fait fort bien
entendre qu'on aurait grand tort de le craindre. Il attend tout de la
vertu (grande tirade sur la vertu), celle des princes et des
privilégiés. Ils sont si généreux que tout s'arrangera. Qu'ils se
confient à Necker. Il est discret, prudent. Il n'en fera pas trop. Et
déjà il le prouve, en embrouillant, cachant ce que l'on veut cacher. De
quelle main délicate il touche le clergé, par exemple ! déguisant sa
richesse, cotant son revenu au chiffre ridicule d'à peu près cent
millions ».
Le mois de décembre 1788, hiver de
famine
« L'effroi entrave tout. Necker, aux abois,
de nuit, de jour, écrit lettres sur lettres et reçoit cent courriers.
D'heure en heure, de toute province, arrivent d'accablantes nouvelles :
ici, là, partout la famine. La situation de Paris était un sujet de
terreur. On l'alimentait jour par jour, et la vie de ce corps énorme
était suspendue à un fil. La mortalité fut immense. De toutes parts,
les pauvres gens périssaient de froid et de faim. On mourait dans les
greniers. On mourait dans les rues. Des processions infinies de convois
s'allongeaient vers les cimetières. Il y eut un grand mouvement de
charité, de bienfaisance, disons-le, de prudence aussi.
Que serait-il arrivé si le redoutable Paris, au dernier degré des
misères et sous l'aiguillon de la mort, eût forcé ces palais regorgeant
d'un luxe odieux, forcé, à la place Vendôme, les insolents hôtels des
Fermiers généraux? Les curés, les philosophes, l'archevêque de Paris,
tous donnèrent. Nul davantage que le duc d'Orléans. Sa prodigalité
royale fit l'inquiétude de Versailles. Celui qui si largement jetait sa
fortune privée n'avait-il pas un but plus haut? Dès ce temps, en toute
chose, imaginative et haineuse, la Cour voit la main d'Orléans. Les
clubs qui commencent à ouvrir, sont dirigés par Orléans. Deux mille
cinq cents brochures, parues en quatre mois, sont l'œuvre d'Orléans. Le
grand mouvement des campagnes en 1789, les vagabonds, les affamés, ceux
qu'on appelait les brigands, c'est Orléans qui les suscite.
Il devient une légende, un extraordinaire magicien qui, de ses occultes
puissances, remue le monde, opère les immenses phénomènes qu'offrira la
Révolution. C'est pourtant du Palais-Royal, d'un homme du duc d'Orléans
(Ducrest) qu'était venu, en 77, le meilleur de tous les conseils que
reçut jamais Louis XVI : Faire lui-même la Révolution, lui-même démolir
la Bastille, prendre l'initiative de toute grande mesure populaire. En
décembre 88, la terreur, la nécessité, rendirent le Roi moins sourd.
Au grand peuple affamé, dont la voix demandait : « Du pain ! » il donne
le Doublement du Tiers (27 décembre 1788). Le Tiers (de 25 millions
d'hommes) fournit autant de députés que le Clergé et la Noblesse réunis
(les deux cent mille privilégiés). Victoire de la justice, petite,
injuste encore. Et on ne l'eût pas obtenue si le roi et la reine
n'avaient pas été décidés dans le danger, la crainte, de plus par la
rancune. Ils en voulaient à la noblesse. Cette noblesse, appui du
trône, c'est elle qui le démolissait. De la cour, de Versailles bien
plus que de Paris, étaient sortis les chansons, les libelles contre la
reine. Qui avait précipité, désarmé son ministre Brienne? sinon les
nobles de province, ces officiers qui refusèrent de faire tirer.»
Source
: Jules Michelet, tome XVII de son Histoire de France, Gallica-Bnf - pages 390 à 394 et pages 399 à 400
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Eléments chronologiques :

Versailles, Assemblée des notables, février 1788 du graveur Claude Niquet
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Les années 1787 et 1788 en quelques dates...
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- En 1786 apparaissent des
nouveaux vœux de réformes sur les questions fiscales, économiques et
administratives, cet esprit est impulsé cette fois-ci par
les idées ou propositions du ministre Calonne. Les premières tentatives
ont déjà échoué sous les ministres Turgot et Necker…
- Les Parlements (archives de Paris 1254-1790) ont eu un rôle
notable dans les contestations préalables à la Révolution première, ces
différentes structures juridiques ont disparu en 1790,
dont le Parlement de Paris. Il couvrait une bonne moitié du territoire
et avait englobé ceux de Tours, Lyon ou de Trévoux, et un temps celui
de Poitiers, comme structures étatiques éphémères ou disparues.
- Les Parlements effectifs à la veille de la Révolution ont été créés ou institués :
1° Le Parlement de Paris, en 1254
2° Le Parlement de Toulouse, en 1420
3° Le Parlement de Grenoble, en 1453
4° Le Parlement de Bordeaux, en 1463
5° Le Parlement de Dijon, en 1477
6° Le Parlement d'Aix, en 1501
7° Le Parlement de Rouen, en 1519
8° Le Parlement de Rennes, en 1554
9° Le Parlement de Pau, en 1620
10° Le Parlement de Metz,en 1638
11° Le Parlement de Besançon, en 1676
12° Le Parlement de Douai, en 1713
13° Le Parlement de Nancy, en 1768
Il y avait en plus
3 Conseils souverains ou supérieurs : Colmar, Perpignan, Bastia et un
Conseil provincial à Arras en pays d'Artois.
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source : carte wikipedia
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- 1787 en quelques dates...
- «
Je vois un danger imminent dans la situation des affaires, (…) je vois
se former des orages qu’un jour toute la puissance royale ne pourra
calmer, et des fautes de négligence et de lenteur (…) qui répandront
l’amertume sur toute la vie du roi, et précipiteront son royaume dans
des troubles dont personne ne prévoit la fin. »
Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes
- 11 janvier : Il est signé un traité de commerce entre le royaume de France et l'empire de Russie.
- 22 février : Se réunit l'Assemblée des Notables : 144 membres dont 7
princes, 36 ducs et pairs ou maréchaux de France, 33 présidents ou
procureurs généraux du Parlement, 11 prélats, 24 conseillers ou députés
d’État, 25 prévôts (équivalent du maire) ou échevins (juges ou conseillers municipaux) de grandes
villes. Cette réunion se traduit par un échec et un refus des réformes
auprès de la majorité des notables. Cette assemblée ne s'était pas réunie depuis un siècle.
8 avril : Louis XVI évince d'abord le Garde des sceaux M. de Miromesnil
opposant à M. Charles Alexandre de Calonne, puis dans la journée,
c'est au tour du surintendant Calonne en place depuis la fin de l'année
1783. Le roi fera appel à M. Loménie de Brienne, archevêque de Sens,
pour le remplacer. Et depuis peu de temps (le 3 mars), l'on est au
courant des malversations ou transactions douteuses de M. Calonne par
l'intermédiaire du comte de Mirabeau... L'ancien intendant des finances
sera amené à prendre la fuite pour Londres et s'y établira pratiquement
jusqu'à la fin de ses jours.
- 8 mai : Un Lit de justice est convoqué, c'est-à-dire la tenue d'une séance du Parlement de Paris est engagée par le roi.
Fin mai et juin : Le monarque renvoie les notables qui proposent de
recourir aux États-généraux non convoqués depuis 1614. Le Parlement
de Paris se sentant menacé montre les mêmes réticences aux réformes. Un édit du
ministre Brienne double les effectifs du Tiers et institue le vote par
tête dans les assemblées provinciales.
- 27 juin : Le Roi fait une proclamation, qui permet le
conversion de la corvée en prestation en argent (permet au plus aisé
d'échapper au labeur forcé).
- 6 juillet : Le Parlement de Paris, avant
d'enregistrer les édits sur le timbre et la subvention territoriale,
demande les tableaux des recettes et des dépenses de l'État. Le roi
refuse cette communication.
- 16 juillet : Grande séance du Parlement, M. Charles-Louis de Sémonville, conseiller du Parlement de Paris, prononce un long
discours sur la nécessité des États-généraux, et demande qu'il soit
fait au roi des remontrances contre l'enregistrement des édits sur
l'impôt.
Août : Dans la suite du Lit de justice,
il est fait état d'un projet de création de l’équivalent d’une Cour
constitutionnelle : le Parlement de Paris refuse, puis se voit exilé à
Troyes (le 15), ainsi que celui de Bordeaux à Libourne. A la fin du mois
éclatent des émotions ou révoltes populaires dans la capitale en soutien au Parlement.
- 17 août : Les deux frères cadets du roi, Monsieur (ou
le comte de Provence) et M. le comte d'Artois viennent l'un à la
chambre des comptes, l'autre à la cour des aides. Le premier est
applaudi, et le second est hué.
18 août : La cour des aides proteste contre sur les édits enregistrés
la veille. S'enclenche une Guerre entre la Porte Ottomane et la Russie,
et les Turcs mettent en prison l'ambassadeur de Russie. Une semaine
après Joseph II s'engage aux côtés de la Russie contre les Turcs.
21 août : Il est pris un arrêté du Châtelet qui demande le rappel du Parlement de Paris.
- 19 septembre : Séance au Parlement de Paris, qui est de retour dans la capitale, le Roi déclare : « C’est
légal parce que je le veux ! ». Le duc d’Orléans est lui aussi exilé, ou renvoyé dans ses terres.
- 7 novembre : Louis XVI signe à Versailles un Édit de tolérance pour
les non catholiques, le catholicisme reste par ailleurs religion
d'État. Cette décision concerne à la fois les Réformés (calvinistes et
luthériens) et les Juifs, et doit son origine entre autres au ministre
Chrétien-Guillaume de Malhesherbes et au protestant Jean-Paul Rabaut
Saint-Étienne, etc. Le Parlement de Metz s'y opposera pour les Juifs,
l'un des treize Parlements du royaume. Cet édit sera cependant
enregistré le 28 janvier de l'année suivante dans les différentes
instances de justice ou chambres d'enregistrement des lois.
19 novembre : Le roi convoque un Lit de justice
à Paris, pour l'enregistrement d'un emprunt de 420 millions. Le duc
d'Orléans, M M .Duval d'Esprémenil, Robert de St.-Vincent, Sabathier et
Fréteau, s'y opposent et sont exilés. Le Parlement de Paris proteste.
Et dans le cours de l'année 1787,
M. de Saussure grimpe au sommet du Mont-Blanc, il parvient à̀ 1995
toises (soit environ 4.800 mètres et un peu plus...) au-dessus du
niveau de la mer. M. Sébastien Job est chargé par Louis XVI de
reprendre l'ouverture du canal de l'Ourcq. M. de Lavoisier donne sa
méthode de nomenclature chimique. M. de La Peyrouse, explorateur, passe
de Macao aux îles Philippines, longe les côtes jusqu'au nord du Japon,
et constate l'impossibilité de passer le détroit de Béring.
Honoré-Gabriel de Riquetti, comte de Mirabeau, fait publier cette même année depuis Londres un livre : Sur Moses Mendelssohn, sur la reforme politique des Juifs : Et en particulier sur la Révolution tentée en leur faveur en 1753 dans la Grande Bretagne.
Un ouvrage rédigé d'après les écrits en deux volumes et en allemand de
M. Christian-Wilhem von Dohm, fonctionnaire prussien sur le même sujet, précise l'auteur. (Source Gallica-Bnf)
1788 en quelques dates…
-
4
janvier : Le Parlement de Paris prend position contre les lettres de
cachet et se prononce pour le principe de liberté individuelle.
- 9 janvier : Le roi déclare les remontrances du Parlement de Paris comme indiscrètes.
- 26 janvier : M. de La Peyrouse arrive à Botany-Bay (Australie), après il ne donnera plus de nouvelles.
- 29 janvier : Il est promulgué un édit en faveur des Protestants. Leurs actes de mariage et de naissance sont reconnus valides.
19 février : La Société des Amis des Noirs
est créée, la séance inaugurale se tient au domicile de Jacques-Pierre
Brissot dans la capitale.
15 avril : Une alliance
défensive est conclue entre l'Angleterre, la Prusse et la Hollande. La Hollande
cesse d'être unie à la France.
- 1er mai : Déclarations du Roi sur les vacances des cours ou parlements et sur l'ordonnance criminelle (à lire après les éléments chronologiques).
- A Versailles, Louis XV signe la vacance du Parlement de Paris :
« Le désir de Simplifier l'administration de la justice, de
rapprocher les juges des justiciables, et de rendre moins onéreuse la
poursuite des procès, nous ayant déterminé à distraire de la
juridiction de nos cours un grand nombre de causes, et de les
distribuer, selon le degré de leur importance, à nos tribunaux
inférieurs, pour y être jugées définitivement, l'exécution de ce
nouveau plan exige que nous réglions maintenant l'étendue et les
limites de ces différents tribunaux dans toutes les provinces de notre
royaume. (…)
À ces causes et autres, à
ce nous mouvant, de l'avis de notre conseil, et de notre certaine
science, pleine puissance et autorité royale, avons dit, déclaré et
ordonné, et par ces présentes signées de notre main, disons, déclarons
et ordonnons, voulons et nous plaît, qu'à compter du jour de la
publication et enregistrement de notre présente déclaration, notre cour de parlement à Paris soit et demeure en vacance
jusqu'à ce qu'après l'établissement de nos grands bailliages et autres
sièges, et l'entière exécution du nouvel ordre que nous voulons établir
dans les tribunaux inférieurs de notre royaume, il en soit par nous
autrement ordonné. Défendons à la dite cour, et à chacun des membres qui
la composent, de s'assembler ni délibérer sur aucune affaire
particulière ou publique, sous peine de nullité desdites délibérations
et de désobéissance. Si nous donnons en mandement, etc. »
Source : Gallica-Bnf, Recueil général des anciennes lois françaises,
tome 28, pages 525 et 526. Déclaration sur les vacances (N°2460)
- 8 mai : Lit de Justice, discours du roi,
ci-dessous. Louis XVI entérine des réformes de force sans passer
par le Parlement. Ces édits suppriment le droit de remontrance des
Parlements de Paris et des Provinces et les remplacent par une Cour dont
les membres seraient nommés par le roi. Il veut mettre fin aux
privilèges de chaque région.
A l'ouverture du Lit de Justice,
tenu à Versailles
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« Il n’est point
d’écart auquel mon Parlement de Paris ne se soit livré depuis une
année. Non content d'élever l’opinion de chacun de ses Membres au
niveau de ma volonté, il a osé faire entendre, qu’un enregistrement
auquel il ne pouvait être forcé, était nécessaire pour confirmer ce que
j’aurais déterminé même sur la demande de la Nation.
Les Parlements de Province se sont permis les mêmes prétentions, les mêmes entreprises.
Il en résulte, que des Lois intéressantes désirées ne sont pas
généralement exécutées, que les meilleures opérations languissent, que
le crédit s’altère, que la justice est interrompue ou suspendue,
qu’enfin la tranquillité publique pourrait être ébranlée
Je dois à mes Peuples, je me dois à moi-même, je dois à mes
successeurs, d'arrêter de pareils écarts. J’aurais pu les réprimer,
j’aime mieux en prévenir les effets. J'ai été forcé de punir quelques
Magistrats, mais les actes de rigueur répugnent à ma bonté, lors même
qu’ils sont indispensables.
Je ne veux donc point détruire mes Parlements, mais les ramener à leur
devoir et à leur institution. Je veux convertir un moment de crise en
une époque salutaire pour mes Sujets. Commencer la réformation de
l’Ordre judiciaire par celle des Tribunaux qui en doit être la base.
Procurer aux justiciables une justice plus prompte et moins
dispendieuse. Confier de nouveau à la Nation l’exercice de ses droits
légitimes, qui doivent toujours se concilier avec les miens.
Je veux surtout mettre dans toutes les parties de la Monarchie, cette
unité de vues et cet ensemble , sans lesquels un grand Royaume est
affaibli par le nombre même et l’étendue de ses Provinces. L’Ordre que
je veux établir n’est pas nouveau ; le Parlement était unique, quand
Philippe-le-Bel le rendit sédentaire à Paris. Il faut à un grand État,
un seul Roi, une seule Loi, un seul Enregistrement.
Des Tribunaux d’un ressort peu étendu chargés de juger le plus grand
nombre des Procès. Des Parlements auxquels les plus importants seront
réservés. Une Cour unique dépositaire des Lois communes à tout le Royaume, et chargée de leur enregistrement.
Enfin, des États-Généraux assemblés non une fois, mais toutes les fois que les besoins de l'Etat l’exigeront.
Telle est la restauration que mon amour pour mes Sujets a préparée
consacre aujourd’hui pour leur bonheur. Mon unique but sera toujours de
les rendre heureux. Mon Garde des Sceaux va vous faire connaître plus en détail mes intentions. »
Louis XVI
Source : Archive.org - Discours du roi à l'ouverture du lit de justice,
à Versailles, le 8 mai 1788 (discours, édits et ordonnances, 80 pages).
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- 5
et 20 mai : Réforme de
Chrétien-François de
Lamoignon, garde des Sceaux, celui-ci propose la suppression de la
« question préalable » (torture), il cherche à simplifier la justice et
la rendre plus humaine avec l'apport d'un avocat pour la défense, il
propose de créer une cour de justice unique et il veut restreindre le
pouvoir des Parlements (suppression du droit de remontrance et
d’enregistrement).
Il se heurte aux juridictions provinciales, ce qui provoque une réunion
et une césure entre autres avec le Parlement de Grenoble (Dauphiné). Le
ministre de
la justice démissionnera le 23 septembre après s'être opposé aux
pouvoirs des Parlements sans grande réussite ou évolution notable.
23 mai : Gustave III, roi de Suède, allié des Turcs attaque la Russie par la Finlande.
- 7 juin : A Grenoble se déroule la
« Journée des Tuiles ». Cette journée peut être considérée comme la
première révolte populaire initiant le mouvement révolutionnaire de
1789. Ce fut par des jets de tuiles sur les troupes de l'armée du roi
et de son Lieutenant général dans le Dauphiné, le comte de
Clermont-Tonnerre, que les femmes de la ville se manifestèrent et qui a
donné lieu à cette appellation singulière de journée des tuiles en soutien du parlement local.
- 21 juin : En Allemagne, à
Mannheim, Francisco de Miranda de passage visite les lieux, il rédige à
cette date dans son journal personnel se trouvant face au National-theater de la ville : « J'entrais
prendre une glace, et l'hôte qui est français m'a entretenu
immédiatement d'une conversation politique, espérant qu'enfin le roi
accéderait et se mettrait sous la magistrature du Parlement pour le
bonheur de la France. »
12 et 13 juillet : « Cet
orage fut terrible par ses effets dans différentes provinces de France,
où, en moins d'un quart d'heure, il ôta tout espoir de récolte. Tous
les pays affectés de cet orage n'offraient plus que le spectacle de
pays totalement ruinés et détruits par la grêle. Tout fut enterré,
haché, abîmé, déraciné; les toits découverts, les vitres brisées, les
vaches et les moutons tués ou blessés ; le gibier, la volaille
périrent. Cet orage, avant d'arriver à Paris, avait ruiné le Poitou, la
Touraine, la Beauce, le pays Chartrain, avait continué sa route à
travers l'Isle de France, la Picardie et la Flandre. » (C. Messier, Mémoires de Mathématiques et de Physique de 1788, p. 554-557)
21 juillet : Les représentants du Dauphiné se réunissent à Vizille (ville hébergeant le musée de la Révolution française),
au sud de Grenoble. Ils réclament le rétablissement du Parlement et la
convocation d’États généraux du royaume avec une double représentation
du Tiers-état et le vote par tête.
8 août : M. l'archevêque et ministre Loménie de Brienne (en portrait ci-contre) convoque officiellement les États-généraux pour la fin du mois d'avril. Mais ne se réunira pas avant le 5 mai 1789 à Versailles.
Louis XVI pense que la décision sera repoussée, du moins, c’est son objectif.
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- 16 août : Les caisses sont vides et début de la banqueroute de l’État.
- 24 août : Renvoi de M. de Brienne et rappel de M. Necker.
25 août : La Société des Sciences et des Arts de Metz annonce les noms des trois lauréats de son concours : Est-il moyen de rendre les Juifs plus heureux et plus utiles en France? Ce
concours lancé en 1787 outrepassa les règles établies sur la religion,
il avait pour but de calmer les tensions existantes depuis une
vingtaine d'années contre les juifs de Lorraine, et plus largement de
l'Est du pays. Les auteurs récompensés sont : le curé d'Emberménil du
diocèse de Metz, connu sous le nom de l'abbé Grégoire pour son Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs ; Claude-Antoine Thièry, juriste protestant de Nancy est lui aussi retenu pour sa Dissertation sur cette question
(en collaboration probable avec Berr Isaac Berr, responsable de la
communauté alsacienne) ; et le troisième lauréat est un Polonais de
confession juive, Zalkind Hourwitz, dit le "juif rebelle" avec son ouvrage l'Apologie des Juifs avec un extrait ci-dessous (pages 6 et 7) :
« Heureusement toutes les
Académies ne méritent pas ce reproche celle de Metz entre autres, se
distingue par ses Programmes vraiment intéressants pour l'humanité ou
pour les lettres. Mais la question qui lui fait le plus d'honneur et
qui lui mérite le plus la reconnaissance des âmes sensibles est celle
qu'elle a proposée au sujet de ma nation car outre que plusieurs de ses
Membres n'ont pas lieu de se louer de mes confrères de Metz elle
n'ignorait point que sous projet tout charitable qu'il eu, sera
désapprouvé de plusieurs personnes très-respectables, qui, pour des
motifs inconnu, s'opposent hautement à l'amélioration du sort des Juifs
; l'Académie a donc sacrifié toute considération particulière à celle
de l'humanité et du patriotisme. Autant cette question me fit du
plaisir autant la résolution que j'ai prise d'y répondre me fit
souffrir les tourments de Tantale et me donna sujet de déplorer plus
que jamais la négligence absolue de mon éducation en me suggérant une
foule d'idées excellentes (du moins et ce qu'elles m'ont paru) pour la
défense de ma nation mais dont mon incapacité et mon impéritie dans
la langue Française ne m'ont permis de faire usage de sorte qu'il ne me
restait pour tout moyen de défense que le fidèle exposé des faits et
quelques réflexions simples tirées du temps commun ; armes
très-faibles contre la séduisante éloquence de Voltaire, et de tant
d'autres écrivains célèbres ennemis jurés de tous leurs semblables qui
prient l'Etre-Suprême en Hébreu. »
27 et 28
août : Dans la capitale, quelques jeunes gens du barreau suivis par une
foule importante font le procès de M. Loménie de Brienne, ils
prononcent sa condamnation et ils brûlent son effigie non-loin de la
statue d'Henri IV à l'extrémité ouest de l'île de la Cité. Le lendemain
se produit un nouveau rassemblement place Dauphine en rien menaçant,
mais un commandant du Guet, M. Dubois et sa troupe composée de 50 fantassins et 20
cavaliers chargent sans ménagement ou avertissements la foule, il en
sort des blessés et au moins un mort. Puis, en place de Grève des
nouveaux groupes se forment,
plus tardivement après le coucher du soleil la situation dégénère et
provoque au fil des heures des heurts importants, et un renversement du
rapport de force, où les soldats sont à leur tour attaqués et pour
certains tués et leurs dépouilles jetées à la Seine.
- 21 septembre : Le Parlement de Paris refuse le doublement du Tiers.
23 septembre : Le Garde des sceaux, F.C. de Lamoignon de Basville donne sa démission.
- Octobre-novembre : Premières apparitions des clubs ou sociétés, à ne pas confondre avec les salons.
- 6 novembre jusqu’en décembre : Convocation et réunion d’une Assemblée de notables.
5 décembre : L'astronome Me Nicole Lepaute, née Etable, décède à Paris.
8 décembre : A Paris est signé un pétition des citoyens domiciliés à
Paris (ci-dessous le texte diffusé par M. Guillotin, futur député à la
Constituante).
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PÉTITION DES CITOYENS DOMICILIÉS à PARIS
*
Du 8 Décembre 1788
Cette pétition a été diffusée
par M. Joseph Guillotin (ci-contre),
futur membre des Etats-généraux
et député de la capitale
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«
Le Roi assemble la Nation. Comme un bon Père, il s’entoure de sa
Famille. Il va chercher le bonheur où il peut uniquement le trouver,
dans le bonheur d’enfants chéris qui adorent leur Père. Il fait tout
pour eux ; ils feront tout pour lui.
Un abîme effrayant s’est ouvert aux yeux du Roi et de la Nation. Il
sera comblé par le Zèle, et fermé par la Sagesse, de manière à ne
jamais se rouvrir. Toutes les lumières, comme tous les vœux, vont se
concentrer dans cette Assemblée Nationale, la plus auguste, et la plus
puissante qui fut jamais, pour le bonheur de tous, qui seul peut faire
le bonheur de chacun.Grâces immortelles soient rendues au meilleur des
Rois, Auteur d’un si grand bienfait. Son nom chéri, comme celui de
Louis XII, le père du peuple, sera gravé à jamais, en caractères
ineffaçables, dans le cœur de tous les Français.
Mais, comment sera composée cette mémorable Assemblée? Quelle sera la
forme des Etats-Généraux? Le Roi le demande à son peuple. Ce Monarque
qui veut le bien, qui désire le mieux, qui craint de se tromper,
adresse à tous ses sujets, ces intéressantes questions, avec une
invitation paternelle à tous, et à chacun, de lui faire part de leurs
lumières ; en attendant qu’elles lui parviennent de toutes les parties
du Royaume, le Souverain réunit autour de lui un nombre de Citoyens
notables, pour avoir leur avis particulier sur cet important objet.
Quel Prince montra jamais à la fois plus de sagesse et plus de bonté?
Garder aujourd’hui un coupable silence, serait trahir à la fois la
confiance du Roi et de la Nation. Déjà la voix d’un grand nombre de
Citoyens s’est fait entendre. Les trois Ordres du Dauphiné réunis ont
donné l’exemple (1). Le Tiers-Etat de la Bretagne et de la Normandie
l'a suivi : Lyon, Bordeaux, se sont expliqués. Un grand nombre de
Citoyens, dont les ouvrages respirent le zèle le plus pur et le plus
éclairé, ont fait part de leurs connaissances et de leurs vues
patriotiques.
Les Notables n’ont pas encore donné leur avis ; mais un Prince, dont on
connaît le patriotisme et les lumières, Monsieur, et le Bureau de ce
Prince Auguste, ont déjà voté conformément à l'opinion publique,
consignée dans les excellents écrits dont nous venons de parler.
Dans ces circonstances, nous Citoyens de tous les Ordres, domiciliés à
Paris, jaloux de l’honneur de la Nation française, à laquelle nous nous
faisons gloire d’appartenir ; animés du désir de voir nos compatriotes
heureux ; pleins de respect pour les droits nationaux et individuels,
auxquels nous faisons solennellement profession, par les présentes,
d’être inviolablement attachés jusqu’au dernier soupir : pressés par
l’honneur, et par notre conscience, de répondre dignement à la
confiance du Monarque, qui a bien voulu nous demander le secours de nos
faibles lumières, avons adopté et signé la Pétition suivante, comme
étant l'exposé fidèle de nos principes, relativement à l’Ordre public,
dans la formation des Etats-Généraux, l’expression de nos sentiments et
de nos vœux patriotiques.
Les Lois, les usages, la raison ; voilà la règle des Etats, comme la
règle des Particuliers. Les Lois, quand elles sont bonnes, toujours
d’accord avec la raison, et bientôt avec l'usage, doivent gouverner
éternellement les Empires et les Hommes. Ce sont elles qui sont la base
constitutionnelle des Etats. Ce serait un crime à quiconque d’y
toucher.
Les Lois, quand elles sont mauvaises, contraires à la raison, lors même
qu’elles font d’accord avec l’usage, doivent être changées ; mais elles
doivent être respectées et observées jusqu’à ce qu'elles aient été
convenablement abrogées, remplacées par de meilleures Lois. Au défaut
de Lois, les usages peuvent gouverner les hommes.
Quand les usages sont raisonnables et constants, on peut les
conserver ; rien n’empêche cependant qu'on ne les change pour en
prendre de meilleurs. Dans l’un et l’autre cas, le mieux est de les
consacrer par de bonnes Lois, qui ne peuvent jamais être parfaitement
remplacées par les usages. Quand les usages sont mauvais, la raison
exige absolument qu on les change : les Suivre est une faiblesse ; mais
vouloir qu’ils Soient Sacrés, uniquement parce que ce sont des usages,
c’est véritablement un délire.
La raison seule est invariable : ses droits, aussi anciens que le
monde, sont imprescriptibles. Ce sont eux qui, suivant la pensée
sublime et féconde d'un Ministre, l’espoir des Français, n'ont ni date,
ni époque ni terme. C’est à la raison qu’il appartient de juger
souverainement les Lois et les usages ; de créer, de conserver, ou
de proscrire. Heureuse la Nation, chez qui la raison, d’accord avec les
Lois et les usages, gouvernerait également et le Chef et les Membres.
Appliquons ces principes.
La Loi, l’usage, la raison, devraient présider à la formation des
Etats-Généraux. Il n’y a aucune Loi connue, émanée du Roi, concernant
la formation des Etats-Généraux. On ne connaît aucune Loi délibérée,
consentie et sanctionnée par les Etats-Généraux, touchant leur
formation.
C’est un grand malheur sans doute, puisqu’il ne peut y avoir dans un
Etat de véritable constitution, sans Lois qui en fassent la base. Mais
il faut bien en convenir, puisque cela est vrai, nous ne connaissons
point en France de Lois sur la formation des Etats-Généraux. Dans le
silence absolu des Lois, l'usage nous en apprendrait-il davantage? Deux
points seulement nous paraissent avoir été constamment suivis dans la
formation des Etats-Généraux.
Le premier, qui est important, c'est que les Citoyens qui ont assisté
aux Etats-Généraux, ont été partagés en trois Ordres, sous le nom
d’Ordre du Clergé, d’Ordre de la Noblesse, et d’Ordre du Tiers-Etat. Le
second, très-indifférent en soi, mais qui devient important, à raison
des circonstances, c’est que les Lettres de Convocation ont été
adressées aux Baillis des Provinces, et que ces Lettres ont toujours
été les mêmes.
Sur tout le reste, l'usage se tait, car il y a eu presqu’autant de
variations que de tenues d’Etats-Généraux ; il n’y a rien eu de
confiant dans le nombre total des Membres des Etats-Généraux, dans le
nombre relatif d’Ordre à Ordre, dans les élections des Représentants,
dans les qualités des Electeurs ni des Eligibles, dans la manière de
prendre et de compter les voix. Tantôt, on a opiné par tête, même du
temps de Philippe-le-Bel, et plusieurs autres fois depuis ; tantôt, on
a opiné par Ordre : et on ne peut pas dire que ce qui a été fait dans
telle Assemblée, dans celle de 1614, par exemple, soit plus consacré
par l'usage que ce qui a été fait dans telle autre. Un seul fait ne
peut pas constituer un usage, surtout lorsqu'il est contredit par
plusieurs autres faits du même genre.
Lorsque les Lois manquent absolument, lorsque les usages ne disent
presque rien, reste la raison pour présider à la formation des
Etats-Généraux. Si les Lois et les Usages avaient parlé, encore la
raison pourrait-elle et devrait-elle se faire entendre? Mais nous
convenons que si les Lois, mêmes mauvaises, avaient été délibérées et
consenties par les Etats-Généraux, elles ne pourraient être changées
que par délibération et consentement d’une nouvelle assemblée des
Etats-Généraux.
Nous convenons également que des Coutumes consacrées par un usage
confiant et non interrompu pourraient avoir, en quelque forte, force de
loi, et besoin de l’intervention des Etats-Généraux pour être changées,
surtout si elles étaient importantes. Ainsi, nous pensons que les
Etats-Généraux seuls pourraient changer le nombre des trois Ordres qui
forment l’Assemblée Nationale, et en admettre quatre, par exemple comme
les Etats de Suède.
Mais où les Lois, où les usages sont muets, c’est à la raison seule à
prononcer, ce c’est précisément le cas des Etats-Généraux de France. Il
faut l’avouer, les Etats-Généraux sont une chose neuve, malgré leur
ancienneté ; c’est presque comme s’il était question de les assembler
pour la première fois, et d’en imaginer la meilleure forme possible.
Est-ce trop prétendre, que de demander qu'ils soient formés d’une
manière raisonnable? Or, que dit la raison sur la formation des
Etats-Généraux? Les Etats-Généraux sont la représentation de la Nation.
Pour que la formation des Etats-Généraux soit régulière, il est donc
nécessaire que la représentation y ait tous les caractères de la
régularité. Pour que la représentation soit régulière, il faut
premièrement qu’elle soit vraie, secondement qu’elle soit juste,
troisièmement qu’elle soit convenable.
1°. La représentation est vraie, lorsque le Représentant est choisi librement par le Représenté.
Dans les affaires les plus simples et les plus ordinaires de la
Société, un homme oserait-il se présenter pour un tiers, parler en son
nom, stipuler ses intérêts, prendre des engagements pour lui, disposer
de sa propriété, lorsque le tiers ne l’aurait chargé de rien, lorsqu’il
n’en serait pas connu, lors même qu’il aurait des intérêts opposés et
qu’il serait à présumer que les intérêts de l’un seraient sacrifiés aux
intérêts de l’autre? Comment, ce qui paraîtrait si ridicule de si
absurde dans le cours ordinaire des affaires, pourrait-il être
raisonnable dans la grande affaire de la représentation Nationale, où
il est question des plus grands intérêts publics et particuliers ;
de la liberté, de l’honneur de la propriété, etc.
Le choix libre est donc le caractère essentiel de la vraie
représentation. Il n’y a ni liberté, ni choix dans la naissance ; la
naissance ne peut donc pas donner le droit de représentation. Une
charge, une place, une dignité quelconque, achetées à prix d’argent, ou
conférées par qui que ce soit, ne pouvant donner aucuns titres sur la
propriété d’un tiers, ne peuvent par conséquent conférer le droit de le
représenter.
Ainsi, nul ne peut être vraiment représenté que par celui qu’il a
choisi librement, et nul ne peut être vraiment Représentant, et par
conséquent Membre des Etats Généraux, que celui qui a été librement
choisi par le Citoyen qu’il doit représenter.
2°. Il faut que la représentation soit juste.
Tout Français est libre, sous l’autorité sacrée des Lois, dans la
propriété de sa personne dans la propriété de ses biens ; et à la
rigueur tous les Français le sont également. Nulle Loi n'a jamais osé
prononcer le contraire. Tout Français a donc un droit égal à défendre
sa propriété, quelle qu'elle soit, par lui-même ou par son
Représentant. Tout Français qui n'assiste pas aux Etats-Généraux a donc
le droit d'y être représenté, et nul n’a plus de droit de l'être qu’un
autre.
Le grand nombre de Citoyens ne permettant pas, à chaque individu,
d’avoir son Représentant particulier aux Etats-Généraux, il est
nécessaire que plusieurs Citoyens réunis aient un seul et même
Représentant qui porte leur vœu à l'Assemblée Nationale.
D’où il suit nécessairement, qu’un Représentant doit représenter un
certain nombre déterminé de Citoyens, égal au nombre de Représentés par
un autre Représentant quelconque. Et que les voix doivent être comptées
par têtes de Représentants. Autrement certains individus influeraient
plus sur les délibérations que les autres ; ce qui serait contraire à
l'égalité reconnue des droits des Citoyens, et par conséquent contraire
à la Justice.
Ce n’est pas tout ; il ne suffit pas que la représentation soit vraie,
quelle soit juste, il faut encore qu'elle soit convenable. Il convient
que le Représentant ait le même intérêt que le Représenté, et qu'il
n'en ait pas un différent. Autrement, vu la faiblesse humaine, il
sacrifiera, à son intérêt particulier, l'intérêt de celui qu'il
représentera et celui de tout son Ordre. De-là, il suit nécessairement
que le Représentant doit être exclusivement pris dans l'Ordre du
Représenté, et être absolument indépendant de qui que ce soit d'un
autre Ordre.
Ainsi un Ecclésiastique ne peut être représenté que par un
Ecclésiastique, un Noble que par un Noble, un Homme du Tiers-Etat que
par un Homme du Tiers-Etat, qui ne soit dans la dépendance d'aucun des
deux autres Ordres.
Par le même principe de liberté nécessaire, et d'indépendance de toute
influence étrangère, il convient d'exclure, de la formation des
Etats-Généraux, les hommes non-domiciliés, ou qui ne sont pas d'une
condition absolument libre, et que leur état met dans une dépendance
servile d'autrui. (à noter : Il est question d'un million de serfs
à la veille de la Révolution dans le royaume français...)
Tels sont les principes rigoureux, certains et incontestables, d’une
représentation vraie, juste, convenable, et par conséquent régulière,
d'après lesquels devraient être formés les Etats-Généraux. Ainsi le
veut la raison.
On ne pourrait faire, contre cette formation, que des objections plus
ou moins frivoles, auxquelles il serait par conséquent au moins
superflu de répondre, ou même de s'arrêter.
D'après ces principes, un nombre déterminé de Citoyens de tous les
Ordres, et chacun dans son Ordre, ayant droit de voter, cinq mille, par
exemple, éliraient un Représentant aux Etats-Généraux, ce qui, à raison
de trois millions de Votants (2), donnerait six cents Membres des
Etats-Généraux.
Dans ce nombre de six cents Membres des Etats-Généraux, seraient
compris douze Représentants du Clergé, élus par environ soixante mille
Ecclésiastiques, composant cet Ordres de douze Représentants de la
Noblesse, élus par environ soixante mille Nobles, âgés de vingt-cinq
ans, ayant droit de voter, ce qui donnerait le nombre de cinq cents
soixante et seize pour les Membres du Tiers-Etat, dans une
représentation strictement régulière. Ainsi, à ne consulter que le
droit naturel de chaque Citoyen, dans une Assemblée d’Etats-Généraux,
composée de six cents Membres, et qui serait vraiment représentative de
la Nation, douze seraient du Clergé, douze de la Noblesse, et cinq
cents soixante et seize du Tiers-Etat.
Telle serait la Justice. Mais serait-ce la convenance? Nous ne le
croyons pas. Cette Justice paraîtrait bien rigoureuse, surtout aux deux
Ordres privilégiés.
Le Tiers-Etat ne la réclame pas. Ouvrons les pétitions qui se
multiplient dans les Provinces, et arrivent de toutes parts aux pieds
du Trône. On y voit partout des Citoyens, aujourd’hui très-éclairés,
qui connaissent leurs droits, qui sentent leurs forces, mais qui ne
cherchent point à s’en prévaloir. Non-seulement ils n’élèvent point de
prétentions injustes ou ridicules contre leurs Concitoyens des Ordres
du Clergé et de la Noblesse ; mais, au contraire, ils leur donnent
l’exemple de la modération et des égards.
Clergé de France, disent-ils, Prêtres d’un Dieu juste, amis d’une
liberté sage, dont le devoir est de former les Peuples à la vertu, par
vos leçons et vos exemples : et vous Noblesse illustre, dont nous
sommes accoutumés, dès le berceau, à respecter les Membres, comme les
défenseurs de la Patrie, vous jouissez, à ce titre, de tous les
honneurs, de toutes les dignités, de toutes les prérogatives honorables
et utiles, dans l’Eglise et dans l’Etat ; dans le service de Terre et
de Mer, dans la Magistrature, à la Cour, à la Ville, et dans les
Campagnes qui sont couvertes de vos Châteaux. Ces distinctions qui vous
sont réservées uniquement et exclusivement, ne sont-elles donc pas
assez grandes et assez belles pour payer vos services et ceux de vos
aïeux? Eh bien! jouissez-en paisiblement, nous n’aspirons pas à les
partager.
Mais nous désirons sortir de l’état d’oppression et d’avilissement,
dans lequel, nous avons gémi trop longtemps. Renfermant, dans notre
sein, un grand nombre de Professions, aussi honorables qu’utiles, l'âme
et le soutien de l’Etat renfermant une foule de Citoyens distingués par
leurs talents, leurs lumières et leurs vertus, nous ne pouvons plus
être humiliés par des distinctions avilissantes.
Nous demandons à ne pas supporter seuls, ou presque seuls, le fardeau
des charges publiques, comme le Tiers-Etat de la Bretagne l’a démontré
pour sa Province. Puisque les richesses sont partagées, nous demandons
que les charges soient partagées aussi. Puisque la protection de l’Etat
est pour tous, n’est-il pas juste que tous payent pour cette protection
? Puisqu’elle est égale pour tous ; ne faut-il pas que tous la
payent également ?
Nous savons bien, qu’anciennement les Fiefs Nobles ne payaient rien à
l’Etat ; mais nous n’avons pas oublié pourquoi ils étaient exempts de
payer. Ces Fiefs étaient des Bénéfices Militaires donnés gratuitement,
à des Citoyens, à condition de faire aussi gratuitement le service
Militaire, et de mener à leurs dépens, à la fuite de leur Souverain,
quand ils en seraient requis, un certain nombre de leurs Vassaux armés
pour la défense de la Patrie.
Alors, l’entretien des Armées ne coûtait rien à l’Etat. Il était à la
charge de la Noblesse ; il était bien juste que la Noblesse en fût
dédommagée, et elle l'était particulièrement par l’exemption des
Impôts.
Mais les choses font bien changées : depuis l'établissement des Troupes
réglées et des Armées permanentes, la Noblesse est absolument déchargée
de leur entretien, l'Etat seul en fait les frais ; et par une
progression successive effrayante, depuis vingt-ans, la somme des
dépenses Militaires de Terre et de Mer, s'est élevée cette année,
suivant le dernier Compte Rendu, à la somme énorme de 148.690.000.
livres. (3) Cependant, la paye du Soldat et du Matelot n'est presque
pas augmentée ; la Noblesse seule a profité de ce prodigieux
accroissement de dépense, et cette année est une année de paix. On ne
peut même songer, sans frémir, à ce que coûte une année de guerre.
Dans ce calcul encore ne sont pas compris quinze millions de pensions,
annuellement accordés à la Noblesse, à titre de grâces. Ainsi, l'Etat
paye les Chefs des forces de Terre et de Mer, les Nobles, comme les
subalternes, Soldats et Matelots ou Plébéiens, avec cette seule
différence, qu'il paye peut-être trop les premiers et pas assez les
seconds.
Ainsi, non-seulement les Nobles ne payent pas l'Armée, mais ils sont
payés dans l'Armée. Au lieu de dépenser, ils reçoivent. Les Fiefs ou
Bénéfices Militaires, sont donc-aujourd'hui sans objet. Ce n'est plus
qu’une affaire, tout-à-la fois honorable utile pour les Nobles. L'Etat
n'en retire rien pour sa destination primitive. Cela est-il juste?
Puisque les Nobles sont payés aujourd'hui par l'Etat comme les
Plébéiens, ne faut-il pas que leurs biens payent comme ceux des
Plébéiens? Les Nobles devraient-ils recevoir et ne point payer, tandis
qu'au contraire, le Plébéien payerait toujours, et partout y sans être
presque jamais payé par personne?
Voila le grand abus ; voilà le grand objet des réclamations des
Provinces ôz de la Bretagne en particulier, dont les calculs avérés et
avoués font véritablement frissonner.
Nous demandons, disent les Membres du Tiers-Etat, que les Subsides
soient également supportés par toutes les Terres, à raison de leur
valeur, quels qu’en soient les Possesseurs : et afin de n’être plus
lésés sur un objet aussi important, afin de pouvoir défendre nos
intérêts dans l’Assemblée Nationale, nous demandons, que les deux
Ordres privilégiés, ne soient pas en nombre capable d'étouffer nos
justes réclamations.
Nous demandons, que nos Représentant aux Etat-Généraux, soient en
nombre, au moins égal, à celui des deux autres Ordres privilégiés, pris
ensemble ; nous ne voulons plus être avilis, ni écrasés.
Ainsi parle le Tiers.
Ce langage est certainement celui de la raison, et nous ne pouvons nous
empêcher d’adopter les principes qui en font la base, nous en sentons
la justice, et nous n'y apercevons aucun danger. Nous y voyons les
prérogatives de la Noblesse intactes, et seulement une répartition
d’impôts plus équitable.
Nous pensons donc que n’y ayant que deux grands intérêts dans l’Etat
essentiellement opposés, celui des privilégiés de quelque Ordre qu’ils
soient, et celui des non-privilégiés, il est convenable que les
Etats-Généraux soient composés de manière que chacune de ces deux
Classes soit également représentée dans l’Assemblée Nationale, afin
qu’après s’être occupée avec le Patriotisme, qui leur est commun à
tous, du grand objet de l’intérêt National, chacune des deux Classes
des privilégiés et des non-privilégiés, puisse veiller à ses intérêts
particuliers et les défendre, s'il était nécessaire, contre les
entreprises de l’autre, ce qui pourra se faire avec équité et
impartialité, si le nombre des vrais Représentant, pris dans les Ordres
respectifs, est égal de part et d’autre.
Ainsi le nombre des Représentant du Tiers-Etat, à raison d’un
Représentant par cinq mille Citoyens, s’élevant à six cents, le nombre
des Représentant du Clergé et de la Noblesse réunis sera aussi de six
cents ; savoir, deux cents du Clergé, et quatre cents de la Noblesse.
Tel fut, à ce qu’il paraît, l’esprit de l’établissement des
Etats-Généraux, et: c’est, ce semble, à cette époque, que l’on doit
naturellement fe reporter pour bien connaître l’esprit de cette
institution mémorable, qui a été si altérée depuis, et par là rendue
presque toujours inutile.
Il s’agissait alors d’affranchir le peuple de la tyrannie sous laquelle
il gémissait, et de donner aux Membres de cette Classe, sous le nom de
Tiers-Etat, le droit de Citoyens, afin de mettre plus d’égalité entre
les Sujets, et de rétablir la subordination entre le Chef et les
Membres de l’Etat. C’est ce que fit Philippe-le-Bel ; et afin que le
Tiers-Etat eût une force suffisante, pour défendre ses droits contre
les Ordres privilégiés intéressés, suivant l’esprit du temps, à
empiéter sur les siens, Philippe-le-Bel voulut, que le nombre des
Représentant du Tiers Etat fût en nombre au moins égal ou même
supérieur au nombre des Représentant des deux autres Ordres réunis.
Par les Lettres de Convocation adressées par le Roi aux Baillis,
lesquelles ont toujours été suivies depuis, le Tiers-Etat était le
maître de nommer tel nombre de Représentant qu'il jugeait à propos.
Quelquefois le Tiers-Etat a usé de son droit en quelques Provinces, et
a nommé des Représentant en nombre égal et même supérieur à celui des
deux autres Ordres réunis. Et (ce qui est essentiel) cette nomination a
toujours été reconnue de la Nation et sanctionnée par l'admission aux
Etats-Généraux des Représentés du Tiers ainsi élus, sans aucune
opposition, ni réclamation des deux autres Ordres ; d'où il est arrivé
que le nombre des Représentant du Tiers, a presque toujours été
supérieur au nombre de chacun des deux autres Ordres pris séparément,
et que même aux Etats tenus en 1356, le nombre des Représentant du
Tiers fut exactement égal au nombre des Représentant des deux autres
Ordres réunis. Les Etats étaient composés de huit cents Membres, dont
quatre cents du Tiers.
L’ambition des uns, l’insouciance des autres, l’intrigue, les
circonstances ont fait évanouir l'esprit de l'institution, et presque
toujours les intérêts du Tiers ont été sacrifiés ; mais ses droits
sont restés intacts, non-seulement ses droits naturels, ils sont
imprescriptibles et inaltérables, mais encore ses droits acquis ;
car, comme nous l’avons déjà remarqué, suivant les Lettres de
Convocation adressées aux Baillis par le Roi, Lettres qui n'ont jamais
varié, même en 1614, le Tiers-Etat, s’il n'en a pas toujours usé, a
toujours joui du droit et de la faculté de se choisir tel nombre de
Représentants qu'il jugeait à propos.
Mais, pour éviter toute discussion, nous pensons que l’on doit établir
une règle fixe, et déterminer le nombre des Représentants de chaque
Ordre aux Etats-Généraux dans la proportion suivante, un du Clergé,
deux de la Noblesse, et trois du Tiers-Etat. Telle est la formation qui
paraît aujourd’hui la plus conforme, à l’équité, à la convenance, et à
l’esprit de l'institution.
Telle est la composition donnée aux Assemblées Provinciales,
disposition déjà adoptée par les trois Ordres des Etats particuliers du
Dauphiné, sollicitée par plusieurs Provinces pour leurs Etats
particuliers, demandée par toutes les Assemblées du Tiers-Etat qui ont
pu avoir lieu, en Bretagne, en Normandie, à Lyon, à Bordeaux, etc. Ou
pour mieux dire, telle est la formation indiquée par la voix publique
non par un esprit d’intrigue et de cabale, mais par le cri général de
la justice et de la raison.
C’est à ce sentiment universel que nous nous joignons pour demander :
1°.
Que le nombre des Représentants du Tiers-Etat aux Etats-Généraux soit
au moins égal au nombre total des Représentants des deux autres Ordres
ensemble.
2°. Que dans
toutes les Assemblées particulières. Bureaux, Commissions
intermédiaires, ou autres, on observe pour chaque Ordre la même
composition que dans les Assemblées générales,
3°. Que
toutes les fois qu’il fera question de voter dans toutes les
Assemblées, tant générales, que particulières, les voix se comptent par
tête, comme cela s’est déjà fait plusieurs fois aux Etats-Généraux, et
comme cela se pratique, avec l'approbation universelle, dans toutes les
Assemblées Provinciales.
4°. Que les
Députés du Tiers-Etat ne puissent être choisis que dans cet Ordre, et
jamais parmi les Ecclésiastiques, les Nobles, ou ceux qui jouissent
actuellement des privilèges de la Noblesse, à moins que, renonçant à
leurs privilèges, ils ne rentrent volontairement dans la Classe utile
des Plébéiens leurs Pères, et qu’ils ne le fassent inscrire dans
l’Ordre du Tiers.
5°. Afin que
toutes ces précautions ne deviennent pas illusoires, nous demandons que
les Représentants du Tiers-Etat soient en proportion du nombre des
Représentés ; qu'il y ait, par exemple, un Député par cinq mille
Citoyens, un Elu sur cinq mille Electeurs ; qu’il ne soit rien donné à
l’arbitraire dans les Elections, et que tout s’y passe régulièrement.
Égalité de vraie représentation dans l’Assemblée Nationale entre
l’Ordre des non privilégiés, le Tiers-Etat, d'une part, et les deux
Ordres privilégiés, le Clergé et la Noblesse réunis, de l'autre part,
afin que Justice soit faite à tous : Tel est l’objet de la demande que
nous portons respectueusement aux pieds du Trône.
Français, divisés par Ordres, mais unis par un patriotisme égal,
montrons à l’Europe, dont les regards sont aujourd’hui fixés sur nous,
le grand et intéressant spectacle de la Nation la plus puissante,
réunie à son auguste Chef, le plus grand des Monarques, pour
travailler, de concert, à la régénération publique. Offrons à ce Prince
bienfaisant un spectacle digne de son cœur, celui d’une grande Famille
réunie sous les yeux du meilleur des Pères.
Parmi ces enfants, que les uns, pour récompense de leurs travaux
utiles, le contentent de l'estime publique : que les autres, à l’estime
publique, dont tous doivent, être également jaloux, joignent encore, à
titre de droit d'aînesse, les honneurs et les prérogatives attachés à
leur naissance et à leur état ; mais que tous ensemble partageant le
poids des charges publiques, travaillent à l’envi au bonheur de tous,
et que tous ainsi, sans cesse occupés de la félicité générale, se
rendent mutuellement ce qu’ils se doivent, en se souvenant qu’ils sont
frères.
Tels font les vœux que nous faisons pour la gloire et pour la prospérité de l'Etat, du Roi, et de tous les Citoyens. »
Notes du texte :
(1) Rendons hommage à la vérité : Rendons gloire à qui elle appartient.
Les trois Ordres du Dauphiné dans tout ce qu ils ont fait, dans tout ce
qu’ils ont dit, dans tout ce qu’ils ont écrit, ont donné les plus
grandes preuves de sagesse, de lumières, de patriotisme et d’énergie
qu’un Peuple puisse donner. Dans la formation de leurs Etats
particuliers, ils ont tout-à- la-fois donné la leçon, fourni le modèle,
et imprimé en France un mouvement salutaire à tous les esprits et à
tous les cœurs. Chaque Province n’a plus qu’à les bénir et à les
imiter. Cell avec un sentiment de plaisir bien vif, de joie bien pure,
de reconnaissance sans bornes, que nous faillirons cette occasion de
payer un juste tribut de louanges à nos dignes Compatriotes du
Dauphiné. Puissions-nous mériter à notre tour d’être ainsi loués par
eux.
(2) On suppose, dans le Royaume, vingt-quatre millions d'Habitants,
dont à-peu-près douze millions d'hommes. De ces douze millions
d'hommes, on en suppose six millions de majeurs, de vingt-cinq ans,
ayant, à raison de leur âge, droit de voter. Mais de ces six millions,
on en retranche encore la moitié, trois millions, comme appartenant à
la Classe des hommes d'une condition non libre, non votants, et, à plus
forte raison, non éligibles. Reste trois millions. Ce calcul n'est
qu'un aperçu, un à-peu-près, et il suffit. Pour le moment, une
exactitude rigoureuse serait inutile, parce qu'un peu plus, un peu
moins de trois millions de votants, pourrait donner un peu plus ou un
peu moins de six cents Membres aux Etats-Généraux, ce qui est
absolument indifférent, pourvu que la proportion relative, entre les
Représentants et les Représentés, et entre les Représentants des
différents Ordres, entre-eux, soit exactement suivie, ce qui aura
nécessairement lieu, si l'on observe partout de nommer un Représentant
pour cinq mille Citoyens, ou pour tout autre nombre déterminé et
convenu.
(3) Département de la Guerre. 101.410.000 livres. Département de la Marine. 47.280.000 livres.
A PARIS, chez Clousier, Imprimeur du ROI, et des Six-Corps, rue de Sorbonne, 1788
Source : Archive.org, 20 feuillets
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9 décembre : Aux supplications du Parlement de Paris, Le roi répond
qu'il n'a rien à dire à ses parlements, et que c'est avec la Nation
qu'il concertera les dispositions propres à consolider la prospérité de
l'état.
12 décembre : Deuxième et dernière séance de l'Assemblée des notables.
13 décembre : Extrait du rapport de l’Avocat général au Parlement de Paris, M. Antoine-Louis Séguier : « La
première cause est le peu de produit de la récolte faite cette année.
Elle a été si mauvaise que dans quelques cantons on n’a pas recueilli
la moitié d’une année ordinaire en gerbes et en grains ; dans d’autres,
on n’en a recueilli que très peu ou point du tout. Deuxième cause : les
pluies et les inondations de
1787 ; la grêle et la sécheresse de 1788. Les pluies en 1787 ont
empêché d’ensemencer une partie des terres ; la sécheresse de 1788 n’a
pas permis la pleine croissance des blés ».
15 décembre : Loménie de Brienne devient cardinal et part en Italie pour 2 ans.
27 décembre : Réunion et Conseil du Roi
et avis favorable pour le doublement des élus du tiers. 1.200 seront
élus, dont un 1/3 ou 400 représentants pour la Noblesse, le Clergé et
le Peuple.
29 décembre : A Rennes, les États de Bretagne sont convoqués par le roi. En Europe, les grands froids s'étendent.
- Fin décembre : Premières disputes entre « Patriotes » et « Aristocrates ».
Les chronologies sont constituées à partir de sources diverses, et à suivre...
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Déclarations du Roi du 1er mai 1788
sur les vacances et sur l'ordonnance criminelle
Monnaie frappée en 1788 avec une face représentant Louis XVI
1/ DÉCLARATION sur les vacances
*
Versailles, 1er mai 1788.
Règlements au parlement de Paris, le roi tenant
son lit de justice,
le 8 mai ; d'Alsace le 9. (R. S.)
LOUIS
, etc. Le désir de simplifier l'administration de la justice, de rapprocher les
juges des justiciables, et de rendre moins onéreuse la poursuite des procès,
nous ayant déterminé à distraire de la juridiction de nos cours un grand nombre
des causes, et de les distribuer, selon le degré de leur importance, à nos
tribunaux inférieurs, pour y être jugées définitivement, l'exécution de ce
nouveau plan exige que nous réglions maintenant l'étendue et les limites de ces
différents tribunaux dans toutes les provinces de notre royaume. Nous allons
procéder sans aucun délai à cette distribution, et nous avons lieu d'espérer
qu'elle sera incessamment arrêtée dans nos conseils. Mais nos cours se trouvant
actuellement saisies d'un grand nombre d'affaires qui, en vertu de notre
nouvelle ordonnance, doivent être renvoyées aux tribunaux du second ordre, nous
avons jugé nécessaire de suspendre l'activité de nos cours pour éviter toute
confusion dans la division des districts et le partage des procès.
Cette
interruption momentanée de leurs fonctions sera d'autant moins nuisible à
l'ordre public, que nos cours souveraines n'étant plus chargées désormais que
des grandes causes, conformément à l'esprit de leur ancienne institution, la célérité
avec laquelle ces affaires majeures pourront y être expédiées dédommagera
pleinement les parties intéressées du court délai qu'elles auront souffert. A
ces causes et autres, à ce nous mouvant, de l'avis de notre conseil, et de
notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, avons dit, déclaré
et ordonné, et par ces présentes signées de notre main, disons, déclarons et
ordonnons, voulons et nous plaît,
qu'à compter du jour de la publication et enregistrement de notre présente déclaration,
notre cour de parlement à Paris soit et demeure en vacance jusqu'à ce qu'après
l'établissement de nos grands bailliages et autres sièges, et l'entière exécution
du nouvel ordre que nous voulons établir dans les tribunaux inférieurs de notre
royaume, il en soit par nous autrement ordonné. Défendons à ladite cour, et à
chacun des membres qui la composent, de s'assembler ni délibérer sur aucune
affaire particulière ou publique, sous peine de nullité desdites délibérations
et de désobéissance. Si donnons en mandement, etc.
2/ DÉCLARATION relative à l'ordonnance criminelle
*
Versailles, 1er mai 1788.
Règlement au parlement de Paris, le roi tenant son
lit de justice,
le 8 ; d'Alsace le 9. (R. S. C. )
LOUIS,
etc. Les grands objets d'administration dont nous sommes occupé ne nous font
pas perdre de vue les autres genres de bien que peut opérer notre amour pour
nos peuples. La législation de notre royaume sollicite particulièrement notre
vigilance. Nos lois criminelles surtout, cette portion si importante de l'ordre
public, méritent d'autant plus de fixer notre attention, qu'elles intéressent à
la fois notre humanité et notre justice. Lorsque Louis XIV, de glorieuse mémoire,
voulut donner à ses tribunaux le code qui règle encore aujourd'hui leurs
jugements en matière criminelle, il fit précéder cet acte mémorable de sa
sagesse par des conférences solennelles, et après s'être éclairé par les
conseils des magistrats les plus recommandables de la nation, il publia son
ordonnance de 1670.
Malgré des précautions
si dignes de concilier à cette loi le suffrage universel, nous ne saurions nous
dissimuler qu'en conservant le plus grand nombre de ses dispositions, nous
pouvons en changer avantageusement plusieurs articles principaux, et la réformer
sans l'abolir. Nous avons donc considéré que ces commissaires eux-mêmes n'ont
pu tout prévoir en débrouillant le chaos de la jurisprudence criminelle, les
procès-verbaux de leurs conférences attestent qu'ils furent souvent divisés sur
des points importants, et que la décision ne parut pas confirmer toujours les
avis les plus sages ; que depuis la rédaction de cette ordonnance, le seul
progrès des lumières suffirait pour nous inviter à en revoir attentivement les
dispositions, et à les rapprocher de cette raison publique, au niveau de
laquelle nous voulons mettre nos lois ; enfin, que le temps lui-même a pu
introduire ou dévoiler dans l'exécution de l'ordonnance criminelle des abus
essentiels à réformer ; et à l'exemple des législateurs de l'antiquité, dont la
sagesse bornait l'autorité de leur code à un période de cent années, afin
qu'après cette épreuve la nation pût juger les lois, nous avons observé que ce
terme étant maintenant expiré, nous devions soumettre à une révision générale
cette même ordonnance criminelle qui a subi le jugement d'un siècle révolu.
Pour procéder à ce grand ouvrage avec l'ordre et la sagesse qu'il exige, nous
nous proposons de nous environner de toutes les lumières que nous pourrons réunir
autour du trône où la divine Providence nous a placé.
Tous nos sujets auront la faculté de concourir à l'exécution
du projet qui nous occupe, en adressant à notre garde des sceaux ses
observations et mémoires qu'ils jugeront propres à nous éclairer. Nous élèverons
ainsi au rang des lois les résultats de l'opinion publique, après qu'ils auront
été soumis à l'épreuve d'un mûr et profond examen, et nous chercherons tous les
moyens d'adoucir la sévérité des peines sans compromettre le bon ordre et la sûreté
générale. L'esprit systématique n'excitera jamais que notre défiance. Nous
voulons éviter tout excès dans la réforme de nos lois criminelles, celui même
de la clémence, auquel il serait si doux de se livrer, s'il n'enhardissait au
crime par l'espoir de l'impunité. Notre objet invariable, dans la révision de
nos lois criminelles, est de prévenir les délits par la certitude et l'exemple
des supplices ; de rassurer l'innocence en la protégeant par les formes les plus
propres à la manifester ; de rendre les châtiments inévitables, en écartant de
la peine un excès de rigueur qui porterait à tolérer le crime plutôt qu'à le dénoncer
à nos tribunaux, et de punir les malfaiteurs avec toute la modération que
l'humanité réclame, et que l'intérêt de la société peut permettre à la loi.
Mais en attendant que notre sagesse ait opéré une si utile révolution, dont
nous espérons que nos sujets éprouveront incessamment les heureux effets, nous
voulons, en annonçant nos intentions à nos peuples, abroger dès à présent
plusieurs abus auxquels il nous a paru instant de remédier.
Le principal abus qui rendrait en ce genre tous les
autres irrémédiables jusqu'à la parfaite réforme de nos lois criminelles, a
pour principe la disposition de l'article 21 du titre XXV de l'ordonnance de 1670,
qui, en ordonnant que les jugements seront exécutés le même jour qu'ils auront été
prononcés aux condamnés, laisse aux juges la faculté de les mettre à exécution
aussitôt qu'ils sont rendus. Cette promptitude peut être utile dans des cas
particuliers où il importe de rétablir le bon ordre par la terreur d'un exemple
qui ne souffre point de délai ; et nous l'avons autorisée dans ces
circonstances. Mais dans la punition des autres délits, une pareille forme rend
illusoire l'espoir de recourir à notre clémence ou d'éclairer notre justice.
Notre humanité n'est point effrayée de mettre un intervalle entre la
signification des arrêts de mort et leur exécution. Nous avons reconnu que les
condamnés étaient presque toujours instruits d'avance de leurs jugements dans
les prisons, et que cette notification était d'autant plus nécessaire, qu’elle
ne serait encore qu'insuffisamment suppléée par le conseil que nous nous
proposons de leur donner pour les diriger dans leurs défenses. Un autre abus
que nous pouvons supprimer dès à présent, c'est l'interrogatoire sur la
sellette.
Cette formalité flétrissante
n'entra jamais dans la classe des peines imposées par nos lois, elle blesse
d'ailleurs ouvertement le premier de tous les principes en matière criminelle,
qui veut qu'un accusé, fût-il condamné à mort en première instance, soit toujours
réputé innocent aux yeux de la loi jusqu'à ce que sa sentence soit confirmée en
dernier ressort. Il n'est donc pas juste que le supplice de l'ignominie précède
cet arrêt définitif, qui peut seul constater irrévocablement son crime, et
l'expose à perdre la tranquillité d'esprit dont il a besoin pour se défendre
devant ses juges. Attentif à nous défendre de toute précipitation dans l'amour
même du bien, nous avions déjà porté nos regards sur ce genre de peines que la
loi avait autorisé dans l'enceinte des tribunaux. Nous avions pensé que la
question, toujours injuste pour compléter la preuve des délits, pouvait être nécessaire
pour obtenir la révélation des complices; et en conséquence, par notre déclaration
du 24 août 1780, nous avions proscrit la question préparatoire sans abolir
encore la question préalable.
De nouvelles réflexions nous ont convaincu de
l'illusion et des inconvénients de ce genre d'épreuve, qui ne conduit jamais sûrement
à la connaissance de la vérité, prolonge ordinairement sans fruit le supplice
des condamnés, et peut le plus souvent égarer nos juges que les éclairer. Cette
épreuve devient presque toujours équivoque par les aveux absurdes, les
contradictions et les rétractations des criminels. Elle est embarrassante pour
les juges, qui ne peuvent plus démêler la vérité au milieu des cris de la
douleur. Enfin elle est dangereuse pour l'innocence, en ce que la torture
pousse les patients à des déclarations fausses, qu'ils n'osent plus rétracter,
de peur de voir renouveler leurs tourments. Ces considérations nous ont déterminé
à tenter un moyen plus doux, sans être moins sûr, pour forcer les malfaiteurs
de nommer leurs complices. Nous avons pensé que la loi ayant confié à la
religion du serment les plus grands intérêts de la société, puisqu'elle en fait
dépendre la vie des hommes, elle pouvait l'adopter aussi pour garant de la sûreté
publique dans les dernières déclarations des coupables.
Nous nous sommes donc décidé
à essayer, du moins provisoirement, de ce moyen, nous réservant, quoique à
regret, de rétablir la question
préalable (note : la torture), si, d'après quelques années
d'expérience, les rapports de nos juges nous apprenaient qu'elle fût d'une
indispensable nécessité. La sage institution de faire imprimer et afficher les
arrêts en matière criminelle nous a paru d'autant plus précieuse au maintien de
l'ordre public, qu'elle multiplie en quelque sorte l’exemple des supplices,
qu'elle contribue à prévenir les crimes par la crainte des châtiments, qu'elle
reproduit sans cesse sous les yeux des peuples l'action des lois qui les protègent,
et qu'elle sert à exciter la vigilance des juge par la seule publicité de leurs
jugements. Mais plusieurs de nos cours ont restreint l'influence d'un usage si
salutaire, en adoptant dans leurs arrêts une formule vague, qui, sans articuler
expressément le crime, ne motive les jugements portant peine de mort que sur
les seuls cas résultants du procès.
D'où, il suit que nos peuples peuvent quelquefois ignorer les causes de ces
condamnations solennelles, qui, en mettant la peine à la suite du délit,
doivent toujours montrer le délit à côté de la peine. Cette formule, si évidemment
contraire à l'objet et à l’esprit des lois pénales, nous exposant d'ailleurs
nous-même tous les jours à demander des éclaircissements sur les arrêts qui
nous sont déférés. Nous avons cru devoir enjoindre à nos cours, soit qu'elles
prononcent en première ou en dernière instance, d'indiquer à l'avenir, en
termes exprès et formels, dans leurs jugements, les crimes pour lesquels elles
infligeront des peines afflictives ou infamantes.
Enfin nous avons considéré
que les précautions qu'exige la sûreté publique obligeaient quelquefois nos
tribunaux de suivre, dans la recherche des crimes, des indices trompeurs, et
les exposaient à confondre d'abord les innocents avec les coupables. Cependant
après que, sur de fausses apparences, nos sujets ainsi traduits en justice ont
subi toutes les rigueurs d'une poursuite criminelle, s'il n'y a point de partie
civile au procès, sur laquelle tombent les dépens, nos cours les déchargent il
est vrai de toute accusation et les renvoient absous, mais elles ne font point
imprimer et afficher, au nom de la loi, ces arrêts d'absolution qui doivent les
réintégrer dans l'opinion publique. Nous désirons et nous espérons de pouvoir leur
procurer dans la suite les dédommagements auxquels ils ont alors droit de prétendre,
et nous nous réduisons avec peine aujourd'hui à n'accorder pour indemnité à
leur innocence que la certitude d'être solennellement reconnue et manifestée ;
mais du moins, en attendant que nous puissions compenser pleinement les
dommages qu'elle aura soufferts, nous voulons lui assurer dès ce moment, dans
toute son intégrité, cette réparation qui laisse encore à notre justice de si légitimes
regrets. L'honneur de tous nos sujets étant sous notre protection spéciale,
comme la plus précieuse de leurs propriétés, c'est à nous à fournir aux frais
de l'impression et de l'affiche de ces jugements d'absolution, et nous ne balançons
pas d'en imposer la charge à notre domaine, comme une portion essentielle de la
justice que nous devons à nos peuples. A ces causes , etc.
1.
Abolissons l'usage de la sellette ; seront les accusés, ainsi que les impétrants
nos lettres d'abolition, rémission et autres en matière criminelle, interrogés
lors du jugement, derrière le barreau, encore qu'il y ait contre eux des
condamnations ou conclusions à des peines afflictives ou infamantes ; ordonnons
à cet effet qu'il sera placé dans nos cours et juridictions, derrière le barreau,
un siège ou banc de bois, assez élevé pour que les accusés puissent être vus
de tous leurs juges ; laissons au
choix desdits accusés de rester debout ou assis, ce dont les présidents de nos
cours et les juges qui présideront au jugement dans les juridictions seront
tenus de les avertir.
2.
Défendons de dépouiller les accusés des vêtements distinctifs de leur état, même
des marques extérieures de leurs dignités, s'ils en sont revêtus ; pourront néanmoins
être obligés de quitter leurs armes.
3.
Ne pourront nos juges, même nos cours, prononcer en matière criminelle, pour
les cas résultants du procès ;
voulons que tout arrêt ou jugement énonce et qualifie expressément les crimes
et délits dont l'accusé aura été convaincu, et pour lesquels il sera condamné ;
exceptons les arrêts purement confirmatifs de sentence des premiers juges, dans
lesquelles lesdits crimes et délits seraient expressément énoncés ; à la charge
par nos cours de faire transcrire, dans le vu de leurs arrêts, lesdites
sentences des premiers juges, le tout à peine de nullité.
4.
La disposition de nos ordonnances par laquelle il suffit, pour que les arrêts
en matière criminelle passent à l'avis le plus sévère, que cet avis prévaille
de deux voix, n'aura lieu qu'à l'égard de toutes autres peines qu'à celles de
mort ; voulons qu'aucune condamnation à la peine de mort ne puisse être prononcée
en dernier ressort, si l'avis ne prévaut de trois voix.
5.
Aucun jugement portant peine de mort naturelle, ne pourra être exécuté qu'un
mois après qu'il aura été prononcé au condamné : ordonnons à nos procureurs généraux,
ainsi qu'à nos procureurs ès grands bailliages, d'instruire notre chancelier ou
garde des sceaux, par le premier courrier qui suivra la date desdits jugements,
de la nature des délits sur lesquels ils seront intervenus, de la date du jour
où ils auront été rendus, et de celle du procès-verbal de leur prononciation au
condamné ; leur défendons de faire en aucun cas procéder à l'exécution avant
l'expiration dudit délai, si ce n'est qu'il en soit par nous autrement ordonné.
6.
Exceptons de la disposition de l'article précédent les jugements rendus pour
des cas de sédition ou émotion populaire ; seront les dits jugements exécutés le jour qu'ils auront été
prononcés aux condamnés.
7.
Nos cours et juges ordonneront que tout arrêt ou jugement d'absolution, rendu
en dernier ressort, ou dont il n'y aura appel, sera imprimé et affiché aux
frais de la partie civile ; s'il y en a, sinon aux frais de notre domaine ;
les autorisons à décerner, pour lesdits frais, exécutoire sur notre domaine, en
la forme ordinaire, jusqu'à concurrence de deux cents exemplaires en notre cour
de parlement et cour des aides de Paris, cent cinquante exemplaires en nos
autres cours supérieures, et cent exemplaires en nos grands bailliages ; sauf
aux accusés renvoyés absous, d'en faire imprimer et afficher un plus grand
nombre à leurs frais.
8.
Notre déclaration du 24 août 1780 sera exécutée, et y ajoutant, abrogeons la
question préalable (la torture).
9.
Voulons néanmoins que le jour de l'exécution, il soit procédé par le
juge-commissaire , en la forme prescrite par nos ordonnances, à
l'interrogatoire des condamnés à mort ; et seront lesdits condamnés, interrogés,
encore qu'ils aient constamment dénié dans le cours de l'instruction, et qu'il
paroisse, par la nature du crime et par la qualité des preuves, qu'il n'y a
lieu à révélation d'aucuns complices.
10.
Voulons aussi qu'encore que lesdits condamnés aient persisté à dénier dans leur
dit interrogatoire, ils soient récolés sur icelui, et qu'il ne soit procédé au
récolement qu'au moment de l'exécution ; à l'effet de quoi sera tout condamné
préalablement conduit à la salle destinée au juge ou au commissaire.
11.
Dans le cas où le condamné aurait chargé des complices, il sera procédé à la
confrontation en la forme ordinaire, de la seule ordonnance du commissaire.
12.
Laissons néanmoins à la prudence dudit commissaire d'ordonner qu'il sera procédé
sur-le-champ au récolement, dans les cas où il y aurait nécessité urgente
constatée par le rapport de médecins ou gens à ce connaissant, lequel rapport
sera joint au procès; et sera tout ce qui est prescrit par le présent article
et par les deux articles précédents, observé, à peine de nullité de l'interrogatoire
et récolement, qui ne pourront faire charge et ne serviront que de simple mémoire.
Si donnons en mandement, etc.
Source : Google –
libre de droits. Recueil général des anciennes
lois françaises,
du 1er janvier 1785 au 5 mai 1789 - Belin-Leprieur, Libraire-éditeur
au n°55 quai des Augustins ;
Imprimerie Fournier, n°14
quai de Seine (Paris, août 1827).
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Second ministère
Jacques Necker
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- Louis XVI visitant les pauvres en décembre 1788
&
Résultat du Conseil du Roi du 27 décembre 1788
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Il n’y a pas à
apporter à ce premier texte une annotation particulière, il est très
parlant, il peut faire rire, ou désoler, mais il pose bien le contexte
de l’année 1788, quelques mois avant la convocation des États-généraux
et il rassemble des problèmes non négligeables sur les relations entre
les Parlements de Paris et des Provinces, la noblesse, le tiers
et le monarque. Ce document mis en français "moderne" ou actuel
est extrait
d’un livre intitulé De la révolution française, en deux tomes, rédigé par
l’ancien ministre de Louis XVI, Jacques Necker. Attention cet ouvrage a
été publié en 1795, il faut y voir un texte rétrospectif, mais pas
vraiment écrit sous le coup de la spontanéité.
Note de Lionel Mesnard
Le
deuxième Ministère de Monsieur Necker
« M. de Brienne découragé lui-même à l’aspect des difficultés
qu'il avait à vaincre, parut se retirer volontairement le 25 Août 1788.
On m'avait sondé peu de temps auparavant, de la part du Roi pour savoir
si je voudrais prendre l'administration des Finances à côté de M.
l'archevêque de Sens, avec l'entrée au Conseil. Je refusai. On
revint à moi après sa retraite, et j'obéis à l'appel et au choix de Sa
Majesté. Je fus à Versailles. Le Roi voulut me voir dans le cabinet de
la Reine et en sa présence. Il éprouvait dans sa grande bonté, une
sorte d'embarras, parce qu'il n’avait exilé l'année précédente (1).
Je ne lui parlai que de mon dévouement et de mon respect ; et dès ce
moment, je me replaçai près du Prince, ainsi que j'avais été dans un
autre temps.
Second Ministère
Ici commencent et mon second Ministère et mon association aux mesures
politiques du Conseil du Roi. Je me sers du mot d'association comme le
plus exact et le plus conforme à la vérité; mais ce n'est point, je le
déclare, pour chercher un partage et pour affaiblir ainsi la
responsabilité qu'on m'impose. Il est singulier peut-être qu'on veuille
compter avec moi seul des décisions prises par le Monarque au milieu de
ses Ministres; mais je ne réclame point contre cette jurisprudence
arbitraire, et je veux bien me présenter, sans alliés et sans
compagnons, au Tribunal de l'Europe et de la Postérité. Je voudrais
seulement qu'il me fût permis de refuser pour Juges deux sottes de
censeurs également exagérés dans leurs opinions.
Les uns ne voient dans le Ministre d'un Roi qu'un aveugle serviteur de
l'Autorité, et ils lui demandent le sacrifice de toute espèce d'idée
libérale. Les autres ne voient dans ce même Ministre qu'un simple
particulier, l'Agent momentané de la Nation, et ils lui demandent une
obéissance servile à toutes les idées populaires. C'est entre ces deux
extrêmes que le de- voir d'un Ministre est placé. Il ne délaissera
jamais, auprès du Prince, les principes d'honneur et les sentiments de
générosité qui seuls rendent dignes d'une grande place, et il
n'oubliera jamais non plus les devoirs que lui impose la confiance de
son Maître.
J'ai parlé sans cesse à Louis XVI des malheurs et des besoins du Peuple
; j'ai parlé sans cesse au peuple des venus et des intentions
bienfaisantes de son Roi et j'ai défendu de tous mes coeurs la
Monarchie sans dissimuler au Monarque l’utilité d'une balance dans la
Constitution d'un Gouvernement. J'ai mérité, peut-être, d'avoir
quelques amis parmi les hommes sages et modérés, et leur protection
fait ma confiance dans un moment où, essayant de tracer la marche
progressive d'une grande Révolution, je ne puis empêcher que les
premiers signaux me rappelant la mémoire de mon Administration.
Je trouvai les Finances et le crédit dans un état déplorable, et
j'aperçus les avant-coureurs d'une disette dont les symptômes devinrent
terribles en peu de temps. Je soutins les paiements, pendant un an sans
aucun secours de la part des Parlements et des Etats Généraux et avec
des précautions inouïes je sauvai Paris et la France des horreurs de la
famine. Je crois avoir fait davantage encore pour garantir la France
des malheurs politiques dont elle était menacée ; mais je n'ai pu
obtenir en ce point une justice universelle. Trop, de gens ont eu
besoin de se servir de moi pour voiler leurs fautes; et la foule des
spectateurs, en me regardant de la plaine a dû me voir sans cesse
autour d'un char qui descendait, roulait avec vitesse du haut d'un mont
élevé, et elle a pu croire que je le poussais, que j'accélérai du moins
son mouvement, tandis qu'au contraire, je retenais les roues de toutes
mes forces, et j'appelais continuellement au secours. Que l'on retienne
cette comparaison, et l'on jugera par les développements consécutifs
que je donnerai, si elle n'est pas exacte et conforme à la vérité.
Les Etats-généraux étaient promis, ils l'étaient de la manière la plus
solennelle, et les Parlements devenus les gardiens d'un engagement que
le Monarque leur avait adressé, ne pouvaient se dispenser de veiller à
son exécution. Deux circonstances d'ailleurs le rendaient presque
indestructible. L'une, cette nouvelle profession de foi des Cours
Souveraines, sur le long abus de leur autorité et sur l'impuissance où
elles étaient et voulaient être de concourir, dorénavant à aucune
imposition. L'autre cette Déclaration du Roi parfaitement analogue au
même système et par laquelle il reconnaissait, l'illégalité des
contributions ordonnées sans l'acquiescement des Représentants de la
Nation. Enfin les voeux et, les voeux prononcés de tous les ordres de
l'Etat environnaient, pour ainsi dire un engagement que l’on
considérait comme un rappel aux anciennes maximes de la Monarchie, et
comme un présage de la félicité publique.
Concevra-t-on facilement que des hommes, aveuglés par leurs passions et
revenant sur les temps passés, me reprochent aujourd'hui de n'avoir pas
détourné le Monarque de la convocation des Etats-généraux? Il ne les
avait promis dit-on, que dans l'embarras de ses Finances, et puisque
vous aviez plus de moyens qu'un autre pour l'en affranchir, puisque
vous avez entretenu pendant un an l'action du Trésor Royal sans aucun
secours, ni des Parlements, ni des Etats-généraux, ce temps aurait
suffi pour refroidir les esprits et pour faire oublier la promesse du
Roi, et pour donner aux Parlements le loisir d'apercevoir, qu'en
invoquant une assemblée de la Nation, ils allaient directement contre
leurs propres intérêts.
Fort bien; mais d'abord on demande ici, à un Ministre appelé par
l'opinion publique, à un Ministre assisté de cette opinion dans la
conduite des Finances, on lui demande en même temps le caractère le
plus propre à repousser les sentiments de confiance qui composaient ses
moyens et sa principale force. On veut qu'il soit lui pour obtenir
l'estime de la Nation et Mazarin, pour s'en rire et pour en abuser. Cet
amalgame est impossible. Et parmi les signes multipliés de
l'attachement du Monarque à la parole qu'il avait donnée, c'en était un
peut-être de m'avoir rapproché de sa Personne.
Je le déclare d'ailleurs, à l'honneur de ce Prince et en hommage à la
vérité, jamais ni dans son Conseil, ni dans aucun des entretiens
particuliers que j'ai eus avec lui, il ne mit en question s'il devait
ou non garder la foi qu'il avait donnée, et cependant il apercevait
bien qu'une assemblée d'Etats-généraux au milieu de l'agitation des
esprits était un grand événement. De quel opprobre ne se seraient pas
couverts ses Ministres s'ils avaient essayé de combattre un sentiment
si moral, et s'ils s'étaient permis de fouiller dans les pensées
secrètes du Monarque, pour découvrir par quelles séductions, on
parviendrait à le détourner d'une inclination généreuse?
Il est tant de hasards attachés aux changements politiques, et l'on
peut si difficilement en déterminer le cercle, en régler la
progression, que si les Etats Généraux n'avaient pas été promis,
j'aurais borné mes soins à tirer un grand parti des Assemblées
Provinciales, et je me serais servi de leur assistance pour améliorer
les diverses branches de l'Administration, et pour lier plus
étroitement ensemble le Prince et ses sujets.
Enfin, j'aurais cherché, pour la seconde fois faire le bien de la
France sans rumeur & sans convulsion, et en employant néanmoins
avec acuité tous les moyens qui sont dans la dépendance d'une
Administration éclairée, Mais lorsque l'engagement du Prince était
donné lorsqu'il avait été reçu, lorsqu'il avait été enregistré dans la
forme la plus solennelle, et lorsque la Nation attachait à son
accomplissement tous les genres d'espérances, quel homme eût osé
présenter, en échange de ces trésors d'imagination, les fruits encore
incertains d'une apparition Ministérielle, et dont une autorité
passagère aurait été l'unique sauvegarde Aucune illusion aucun prestige
n'auraient ébloui l'opinion publique, et promptement elle eût fait
justice de celui qui par une imprudente ambition aurait voulu
substituer sa science et ses seules forces aux lumières d'un Peuple
entier et à sa toute-puissance.
ENFIN, et pourquoi le dissimulerais-je? je m'associais de tous mes
voeux aux espérances de la Nation, et je ne les croyais point vaincus.
Hélas peut-on songer aujourd'hui à l'attente de tous les bons Français,
de tous les amis de l'humanité, Le peut-on sans verser des larmes? Il
faut, pour être juste et pour devancer l'opinion de la postérité, se
transporter à ces commencements si loin de nous en apparence et si près
cependant à la seule mesure du temps. Alors les uns se disaient, enfin
le Trésor de l’Etat ne sera plus à la merci d'un ministre des Finances,
il ne sera plus épuisé par ses prodigalités ou par ses lâches
complaisances, il ne sera plus dans la dépendance de ses vices ou de
ses combinaisons personnelles.
Une Assemblée composée d'hommes élus par
la Nation fixera les dépenses publiques, et en les proportionnant d'une
main ferme à l’étendue des revenus, aucun écart ne sera possible, et le
Monarque lui-même sera mis à couvert de ses erreurs et de ses regrets.
Que de richesses d'opinion seront alors créées car, la confiance une
fois rétablie les créanciers de l'Etat ne seront plus exposés à
tous
les genres d'inquiétude, et chacun pourra croire a la stabilité de sa
fortune.
Les amis du Peuple répétaient en même temps.
Eau
forte des rues de Paris - 1788
Enfin, il ne sera plus
oublié, il aura des défenseurs, il aura des protecteurs éclairés dans
une Assemblée de ses Représentants, et les égards dus à sa situation,
la justice qu'il a droit d'attendre ne seront plus des principes
incertains, chancelants, et dont l'application dépendra des qualités du
Prince et de la moralité de ses Ministres. Les amis aussi d'une liberté
sage célébraient à l'avance la proscription absolue des Lettres de
cachet, des emprisonnements arbitraires, et ils se croyaient déjà plus
à l'aise en pensant que bientôt la surveillance exercée par les
Magistrats au nom de la loi, serait la seule Autorité redoutable.
On apercevait encore le vice des anciens systèmes d'administration, on
entendait les plaintes et les murmures qu'excitaient continuellement le
régime et la distribution des impôts, les rigueurs et les bizarreries
de la Législation Fiscale, et l'on était instruit des obstacles qu'une
complication formidable de privilèges et d'autorités opposait aux idées
de réforme et d'amélioration. Ainsi, lorsqu'on avait éprouvé pendant si
longtemps la faiblesse et l'inconstance du Gouvernement dans toutes les
entreprises étrangères à l'autorité Royale, il était naturel que l'on
désirât de voir enfin réunies, dans un même centre, la connaissance des
abus, la volonté de les détruire ou de les corriger, et la puissance
nécessaire pour y parvenir.
Les voeux de la Nation ne se dirigeaient donc pas sans motifs vers une
convocation d'Etats Généraux, et lorsque cette convocation fut promise
lorsqu'on se permit alors de raisonner plus ouvertement sur
l’organisation du Gouvernement Français, on en discuta les abus, on en
désigna les défauts et bientôt on vit naître une opinion inquiète; dont
les progrès s'étendirent avec une accélération singulière. Les
circonstances qui servent à dissimuler les vices d'une ancienne
Constitution politique ou qui forcent l'attention à s'en distraire, ces
diverses circonstances n'existaient plus. Le voile était déchiré, et la
confiance dans la sagesse de l'administration, le respect pour
l'autorité dominante, la force des préjugés, le sommeil enfin de la
prospérité, tout était disparu; aucune attente, aucune espérance, aucun
songe flatteur, ne favorisaient plus les idées d'habitude; et l’œil
pénétrant de la censure avait repris toute son activité.
Alors on se demanda ce que signifiait un ordre social, où les
conditions du Pouvoir législatif n'étaient point fixées, où le Monarque
et les siens croyaient que ce Pouvoir appartenait en définitif, à la
volonté du Prince exprimée dans un Lit de justice; tandis que les
Parlements et les disciples de leur doctrine considéraient comme
incomplètes, toutes les lois qui n'étaient pas enregistrées avec
liberté par les différentes cours Souveraines.
Le premier système, en réunissant sous la même autorité le Pouvoir
exécutif et le Pouvoir législatif, présentait l'idée du despotisme. Le
second en soumettant toutes les dispositions d'un ordre général à
l’assentiment de treize Parlements délibérants chacun à part pour
l’étendue de leurs ressorts, offrait un modèle de confusion. Le combat
entre ces deux systèmes et leur supériorité alternative selon que
l'opinion favorisait l'un ou l’autre, y étaient et devaient être une
source continuelle de troubles et de divisions. Et lorsque la querelle,
entre l'Autorité Royale et l'Autorité Parlementaire éclatait en
hostilités, la Cour exilait, emprisonnait, et les Magistrats cessaient
de rendre la justice (2). Les Parlements discréditaient le Conseil du
Roi; le Conseil cherchait à avilir les Parlements; et durant le cours
de ces débats et de ces offenses mutuelles, la considération de toutes
les Autorités s'affaiblissait. Enfin le Pouvoir législatif lui-même, au
milieu de tant de déchirements, ne paraissait ¡dus aux y yeux des
Peuples avec l'éclat qui lui sied, avec la splendeur qui lui
appartient, et souvent alors le respect paraissait chancelant et
l'obéissance languissante.
Les Parlements encore, lorsqu'on examinait leur composition ne
paraissaient pas assortis ou proportionnés au rang qu'ils voulaient
tenir dans la Constitution de l'Etat. Le besoin seul d'un
intermédiaire, entre le Roi et la Nation, prêtait à ces Compagnies de
Magistrats le secours de l'opinion publique, mais comment n'aurait-on
pas vu, lorsqu'on était appelé à y penser, comment n'aurait-on pas vu
que des particuliers, élevés en autorité par l'acquisition vénale d'un
office, n'étaient pas les organes naturels du vécu de la Nation,
n'étaient pas des hommes désignés, au nom de la raison, pour être, et
pour rester toujours les seuls dépositaires d'une aussi magnifique
prérogative, que le droit d'accepter ou de refuser les lois, les lois
régulatrices de tous les intérêts de l'État? Comment encore n’aurait-on
pas aperçu que des hommes, dont toutes les études et les occupations
étaient concentrées dans le cercle de la jurisprudence civile ou
criminelle et dans la science des formes n'étaient pas préparés, par
leurs habitudes et par leurs naissances à cette immense diversité de
questions dont l'ordre public se compose?
Qu’il soit permis encore à un homme si longtemps l'ami du Peuple, de ce
Peuple alors délaissé, qu'il lui soit permis de rappeler, entre toutes
les bizarreries du Gouvernement Français, celle dont il a toujours été
péniblement affecté pendant le course de son Administration. Le bien du
Royaume, les principes d'une saine morale, la protection due à la
classe ignorante de la société, tous les motifs enfin qui peuvent
déterminer un Ministre honnête m'auraient fait désirer , un grand
changement, un changement presque absolu, dans le système des
contributions publiques. L'impôt sur les terres n'était soumis à aucun
principe régulier de répartition, et des privilèges injustes en
eux-mêmes, mais suspendus encore à d'anciennes idées, en rejetaient le
principal fardeau sur la partie de la Nation qui, par son état et sa
fortune aurait exigé le plus de ménagement.
Les droits sur les consommations offraient à tous les regards des
disparités d'un autre genre; on les avait diversifiés à l'infini, on
les avait élevés graduellement au plus haute période, et tandis que
plusieurs Provinces étaient surchargées, d'autres excitaient leur envie
en se glorifiant des franchises, dont elles étaient en possession. La
Gabelle et les Aides, et d'autres droits également connus rappellent
encore aujourd'hui par leurs noms seuls, tout ce que je viens de dire;
cependant cette bigarrure, et ces oppositions frappantes excitaient
l’appât du gain, un esprit de fraude, et la guerre était ouverte, la
guerre était continuelle entre aventuriers de la contrebande et la
milice du fisc.
Tant de confusion tant de désordre dans le système et la distribution
des impôts, invoquaient sans doute un amendement et peut-être une
régénération complète ; mais pour y parvenir, au milieu d'un si grand
nombre d'intérêts en rivalité, il eût fallu réunir à une même opinion,
les Parlements, les Pays d'États, et peut-être encore les Chambres des
Comptes et les Cours des Aides; car pour suspendre et empêcher, il
n'était aucune autorité qui n'eût sa puissance, et peu de semaines
avant l'Assemblée des Etats Généraux, j'ai de simples tracasseries de
la part de la Cour des Aides de Normandie arrêter dans une Province la
collecte et la répartition de la taille et ces tracasseries n'avaient
cependant pour motif, qu'un petit sentiment d’humeur ou de dépit contre
les Administrations Provinciales nouvellement établies. On n'a pu
connaître que par expérience la contexture embarrassée et
l'enchevêtrement, s'il est permis de s'exprimer ainsi, du Gouvernement
Français dans ses rapports avec l'administration intérieure du Royaume.
On s'entendait, on cheminait à l'aide de l'habitude et en suivant les
routes frayées, mais il fallait livrer mille petits combats pour faire
réussir l'innovation la plus raisonnable.
On dira sans doute et l'on sera cru des hommes qu'une simple
vraisemblance séduit ou persuade, on dira que l'Autorité Royale; si
l'on avait su l'employer, aurait détruite les abus les plus enracinés,
aurait vaincue tous les genres de résistance. Mais on ne réfléchit pas
que la puissance pour être active et soutenue, doit tenir à une voie et
y tenir encore ostensiblement ; or une telle volonté dans un Monarque,
ne s'unira jamais à une idée aussi abstraite et aussi compliquée que la
rénovation d'un système Fiscal, d'un système d'Administration, d'un
système de Jurisprudence. Richelieu fut soutenu par un Prince faible
dans une entreprise hardie, mais cette entreprise était en rapport
continuel avec un terme simple et toujours entendu, toujours chéri
des
Rois, l'accroissement de l'autorité. Et, je n'en doute point, le
même
Ministre qui subjugua les Grands, qui rabaissa l'Autriche au nom de
Louis XIII aurait impatienté son Maître s'il lui avait demandé de la
tenue et de l’obstination, seulement pour rendre le prix du sel
uniforme dans le Royaume. C'était donc uniquement à des Etats Généraux
que pouvait être attachée l’espérance d'une réforme salutaire dans
l'administration intérieure de la France. On était sûr qu'appelés à
s'occuper de la destruction des abus, leur volonté serait en harmonie
avec leurs moyens et c'est d'une telle harmonie, que dépendent, chez
tous les Peuples, le triomphe des obstacles et réussite des grandes
choses.
CEPENDANT n'est-il pas un langage qu’on pourrait tenir sans trahir la
vérité? La France dirait-on, la France était l'objet continuel de la
jalousie de l'Europe. Que lui fallait-il de plus? Souvenez-vous de la
diversité de ses manufactures, de la perfection de ses arts, de
l'activité de son industrie, de l'étendue de son commerce et
l'immensité de son numéraire. Voyez encore les vestiges de son ancienne
magnificence, ses chemins, ses canaux, ses pompeux monuments, ses
fondations utiles. Que de preuves réunies, que de signes apparents et
la sagesse de son administration. Hélas qui a fait valoir plus que moi
ses richesses et les prospérités de ce beau royaume? et qui les a
jamais racontées avec tant d'amour et d'ostentation?
Mais soyons toujours justes, l'éclat d'un pays et fortune même ne
suffisent pas, pour attester l'excellence d'une Constitution politique
; car avant d'évaluer le produit des bienfaits d'un Gouvernement, il
faut, dans les calculs de la reconnaissance, adjuger à la simple nature
la part qu'elle a droit d'exiger, et cette part est incommensurable
dans une contrée que la Ciel a favorisé de tant de manières. Un air
pur, un climat tempéré un sol fécond en productions diverses des
rivières qui le fertilisent et qui multiplient en même temps toutes les
communications intérieures ; une situation entre deux mers, et des
rapports faciles avec l'Europe et le reste du Monde ; enfin le caractère
animé des habitants, leur imagination, leur aptitude à tout entendre.
Combien de circonstances heureuses devaient servir la France et porter
au plus haut période la gloire de cet Empire! Elles pouvaient, de
telles circonstances résister à toutes les imperfections politiques, à
toutes les méprises du Législateur, à toutes les erreurs du
Gouvernement ; elles le pouvaient et le pourront encore, tant la nature
des choses est plus dominante qu'aucune autre influence et qu'aucune
autre force. Et si l'on voulait s'attacher davantage aux vérités que je
viens de présenter, il faudrait, par supposition, transporter dans
quelque autre partie du Monde et dans un pays même qui ne serait pas
des derniers en fortune, il faudrait y transporter par la pensée les
treize Parlements de France, là disputant chacun à part de pouvoir et
d'autorité avec les ministres, avec le Conseil du Monarque, et ne
sachant, ni les uns ni les autres, le commencement de leurs droits et
le terme de leurs puissances. Je n'en doute point après s'être fait un
pareil tableau et après l'avoir étudié on se persuaderait aisément que
nulle part une Constitution si vague, un ordre social si bizarre,
n'auraient pu se maintenir, n'auraient pu conserver un siècle de vie.
Mais au milieu d'une grande masse de richesses, au milieu de tous les
moyens naturels de prospérité, la nature du gouvernement devient
souvent une idée accessoire, et dont on ne s'occupe que par intervalles.
Il n'en est plus de même, et la distraction cesse, lorsque, d'un pas
égal, l'Administration se détériore et les esprits s'éclairent ;
lorsque les Finances publiques, au centre de tant d'intérêts tombent en
confusion, et multiplient les inquiétudes, lorsque les plaintes des
gens aisés rappellent à la multitude qu'elle est plus malheureuse
encore, et lorsque les premiers perdants cherchent à ennoblir leurs
censures, en parlant continuellement au nom du peuple. Grande leçon
pour les hommes qui sont à la tête des affaires dans un pays où la
Constitution politique est défectueuse ; ils ne doivent jamais oublier,
que, pour détourner l'attention des vices fondamentaux d'un
Gouvernement, pour écarter les examens critiques, et repris de
révolution qui vient à la suite, il faut apporter dans l'Administration
une grande sagesse, une constante circonspection.
J'ai retracé les motifs qui animaient, qui rendaient raisonnables les
voeux de la Nation pour une réforme salutaire dans les abus ou les
vices du Gouvernement ; mais en rappelant ces voeux, avant-coureurs des
États Généraux, je fais souvenir, une seconde fois qu'à l'époque de mon
retour au Ministère, il n'était plus temps d'examiner si les soins
d'une bonne Administration pouvaient encore à eux seuls, rétablir la
confiance. L'appel des Représentants de la Nation était déterminé, le
Monarque en avait pris l'engagement, et l'opinion publique était debout
pour lui faire tenir sa promesse.
ÉCARTONS-NOUS maintenant de ces réflexions préalables, et toujours avec
le dessein de jeter une première clarté sur des commencements, que tant
d'événements inouïs rendront si mémorables, parcourons, examinons les
délibérations importantes qui durent occuper l'attention du Conseil du
Roi. Jamais, dans un si court intervalle y on n'eut à traiter des
sujets d'une telle gravité; et comme ils étaient absolument nouveaux
pour tous les hommes du temps, pour les Ministres aussi, s'ils
s'étaient trompés, s'ils avaient commis quelques fautes pourraient avec
justice faire valoir leurs droits à une équitable indulgence. Il n'est
de juges inexorables que parmi cette classe d'hommes dont la prescience
s'organise après les événements, et qui sans aucune distinction,
prennent tous les antécédents pour des causes.
Les États-généraux étaient promis, mais on n'avait point annoncé de
quelle manière ils seraient composés, il eût fallu peut-être soumettre
les deux décisions à des examens parallèles, car il était évident que
le même esprit public, dont le mouvement unanime arrachait au Roi la
promesse d'une convocation prochaine d'États Généraux, influerait aussi
sur la formation de ces États. Le Gouvernement parut lui-même avoir le
pressentiment de cette vérité; mais au lieu de l'approfondir à temps et
d'en mesurer les conséquences, il se borna à requérir, avec une sorte
de solennité, des renseignements et des instructions qu'on ne lui donna
point.
Ce fut un arrêt du Conseil, rendu sous M. de Brienne, que les
Municipalités, et les Administrations Provinciales, et même les
Académies de Savants et de gens de lettres furent invitées à adresser
des Mémoires aux Ministres ; et si la Nation eût pu rester incertaine
sur l'autorité de son opinion, elle aurait été rassurée en voyant les
doutes du Gouvernement et l'imperfection de ses connaissances.
Ainsi lorsque je rentrai dans le ministère au mois d'août 1788, je
trouvai le Prince et son Conseil engagés et par leurs promesses et par
les espérances qu'ils avaient données. Je vis en même temps la Nation
disposée à toutes les prétentions qui naissent du sentiment de ses
forces; et quoique la nouveauté des circonstances et l'inexpérience
générale tinssent encore dans le vague toutes les pensées politiques,
on s'accordait universellement à désirer, à vouloir que les États
Généraux ne fussent pas une vaine parade. L'on demandait avec décision
qu'ils eussent, par quelque moyen, l'unité d'action nécessaire, et pour
extirper cette foule d'abus dont les racines paraissaient si profondes,
et pour entreprendre, avec succès, une régénération dont on avait
l'impatience et dont on éprouvait le besoin.
Etats
Généraux de 1614
Les derniers États avaient été
rassemblés en 1614, au moment de
la majorité de Louis XIII et sous l'autorité toujours subsistante de
Marie de Médicis. Ils furent convoqués à la hâte et dissous de la même
manière. On y vit les efforts du Clergé pour faire reconnaître en
France l'autorité temporelle du Pape et le Concile de Trente, mais
aucune autre discussion importante n'occupa les États. Les trois Ordres
assemblés séparément se rendaient des visites par Commissaires,
s'envoyaient réciproquement des Orateurs. On observait scrupuleusement
toutes les étiquettes, on comptait le nombre des pas que l'on faisait
dans une des trois Chambres, pour accompagner les Délégués des deux
autres ou pour aller au-devant d'eux. Il y avait de ces pas, un tel
nombre pour le Tiers Etat, un tel nombre pour la Noblesse, un tel autre
pour le Clergé et l'on en tenait registre. On inscrivait également les
harangues, et ces harangues ressemblaient des déclamations théâtrales
plutôt qu'à des controverses sérieuses.
Enfin, au milieu des compliments les plus fastidieux, il s’élevait des
phrases inconsidérées, et il fallut entre autres beaucoup de
négociations et d'entrevues pour apaiser la fermentation occasionnée
par une comparaison impertinente d'un Orateur du Tiers, qui, en parlant
au Roi, avait désigné les Nobles comme des adorateurs de la Déesse
Pécune (Ndr Pecunia : richesse bien, propriété). On composa cependant
des doléances et l'on espérait recevoir quelque satisfaction avant la
séparation des États, mais cette séparation fut ordonnée au moment même
de la réception des cahiers. Les Députés du Tiers Etat parurent
humiliés et désolés d'être contraints à s'en retourner dans leurs
Bailliages sans avoir rien obtenu pour la chose publique; et voici
comment s’explique un Député de cet Ordre, le rédacteur des Procès
verbaux.
« Quoi disions nous quelle honte quelle confusion à toute la France
de voir ceux qui la représentent, en si peu d'estime et si
ravilis… L'un publie le malheur qui talonne l'État, l'autre
déchire de paroles M. le Chancelier et ses adhérents et cabalistes.
L'un frappe sa poitrine, accusant sa lâcheté, et voudrait chèrement
racheter un voyage si infructueux, si pernicieux à l'État, et
dommageable au Royaume d'un jeune Prince, duquel il craint la censure,
quand l’âge lui aura donné une parfaite connaissance des désordres que
les Etats n'ont pas seulement retranchés, y mais accrus fomentés et
approuvés. L'autre, minute son retour, abhorre le séjour de Paris,
désire sa maison, voir sa femme et ses amis, pour noyer dans la douceur
de si tendres gages la mémoire de la douleur que la liberté mourante
lui cause. »
Les Etats de 1614 durèrent à peine quatre mois, et en déduisant de cet
intervalle tout le temps consumé par des cérémonies ou par d'autres
distractions inutiles, il ne resterait pas six semaines de travail
assidu. Certainement des Etats Généraux dont le rassemblement n'avait
servi qu'à signaler la puissance de la Cour et la faiblesse des
Représentants de la Nation, de tels Etats dont l'histoire avait eu
peine à perpétuer le souvenir, ne pouvaient pas accréditer les idées
qui avaient réglé leur forme et déterminé leur composition. D'ailleurs
tout était changé depuis cent soixante et quinze ans, les moeurs, la
disposition des esprits, les sentiments de crainte ou de respect envers
la Puissance Royale, la mesure des connaissances, la nature et
l'étendue des richesses; et par dessus tout, il s'était élevé une
Autorité qui n'existait pas il y a deux siècles, et avec laquelle il
fallait nécessairement traiter, l'Autorité de l'opinion publique. Aussi
le, mécontentement du Royaume fut universel au moment où le Parlement
de Paris rappela les formes de 1614 en enregistrant la Déclaration
destinée à fixer l'époque du rassemblement des Etats-généraux.
Il n'accompagna cet enregistrement d'aucune représentation et le
silence qu'il garda en voyant les Notables changer dans tous les points
les formes de 1614, le silence qu'il garda au moment où les droits
d'élection furent publiquement débattus et fixés, au moment ou l'on
adopta de nouvelles proportions pour déterminer le nombre des Députés
de chaque Bailliage, enfin au moment des Lettres de convocation et
pendant le cours de toutes les discussions préalables, ce silence fit
assez connaître que le Parlement ne tenait à la clause formulaire de
son enregistrement, ni par aucun examen approfondi, ni par aucune
connaissance éclairée. Et, en effet, eût-on absolument négligé
d'apprécier les grandes altérations apportées par le temps à toutes les
circonstances morales, il aurait encore été manifeste que le modèle de
1614 ne pouvait être littéralement suivi dans un pays, accru de
plusieurs Provinces postérieurement à cette époque, et dont la
population, par d'autres causes, s'était élevée à une période jusques
alors inconnu.
Ce modèle, avant que l'Assemblée des Notables en eût fait connaître
tous les défauts, était devenu l'objet de la critique universelle, et
chacun citait quelques particularités des Etats de 1614, réellement
incompatibles avec l'ordre existant en 1788. Enfin, on se demandait, si
pour s'asservir à d'anciennes circonvallations de Bailliages, il était
possible en un siècle de lumières d'attribuer le même nombre de
Députés, le même droit représentatif des Districts dont la population
était tellement différente, qu'elle variait jusques dans une proportion
d'un à trente. Je ne m'arrêterai pas sur des détails qui manqueraient
aujourd'hui d'intérêt. Il était aisé de faire ressortir les défauts
d'une organisation politique tenue hors d'usage pendant deux siècles,
et qui, par cette raison, n'avoir pu être modifiée avec les
circonstances. Mais en examinant de quelle manière on pouvait l'adapter
à notre temps et à notre âge ; de quelle manière on pouvait concilier
le vieux avec le nouveau, l'ancien avec le moderne, on apercevait de
grandes difficultés.
II ne suffisait pas en effet de convoquer des Etats-généraux, il
fallait encore qu'ils tinssent de l'opinion la sanction nécessaire à
leur autorité, et ce qu'on redoutait le plus alors, c'était de se voir
plongé dans le chaos des chaos, si, dans le même temps que les
Parlements refusaient leur assistance au gouvernement, des
contestations sur les formes eussent embarrassé, eussent retardé la
réunion des Représentants de la Nation. Le Conseil du Roi cependant ne
pouvait avec sagesse prendre à lui seul la décision d'une infinité de
questions, toutes importantes ou par leurs rapports avec la régularité
des élections, ou par leur influence sur l'ordre et la tranquillité des
rassemblements qui devaient s'exécuter, à la fois, dans les différentes
parties du royaume.
Le gouvernement, toujours appelé à être partie dans les grandes
opérations politiques, aurait été facilement accusé d'un esprit de
partialité, et l'on aurait cherché cet esprit jusques dans les détails
auxquels il n'était pas applicable. Le Conseil du Roi devait d'autant
moins se confier à ses seules lumières, que le Parlement de Paris ayant
inscrit dans ses Registres une réserve en faveur des formes de 1614,
cette Cour pouvait s'y reprendre selon les circonstances et selon le
degré d'assistance que lui donnerait l'opinion publique. Mais où
trouver un Corps dans l'Etat et une réunion d'hommes qui présentassent
à tous les regards un front de considération suffisant pour en imposer
par leur sentiment? Et si les ministres eussent voulu composer
arbitrairement une Assemblée consultative, ils auraient rendu leurs
vues suspectes, ils auraient inspiré de l'ombrage, et tout au moins on
se serait pressé de chercher un rapport entre leurs nominations et le
genre d'opinion qu'ils avaient dessein d'accréditer. »
Notes du texte de Jacques Necker :
(1) J'avais rendu publique une réponse de moi à une attaque
injurieuse de M. de Calonne, nonobstant une improbation indirecte de la
part du Roi. C'était en tout; mais entraîné par un vif sentiment
d'honneur, je courus librement les hasards d'une sorte de
désobéissance.
(2) Le Parlement de Paris cessa toutes ses fonctions, et les Avocats, à
son imitation refusèrent de plaider dans aucun Tribunal, parce que
Louis XV avait défendu aux Cours Souveraines de se mêler des affaires
relatives à la Bulle Unigenitus.
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Résultat du Conseil
(du Roi)
du 27 décembre 1788
Jacques Necker (Ci-contre)
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« Ce
fut le 27 Décembre 1788 et par une Proclamation sous le titre de
Résultat du Conseil que le Roi fixa publiquement nombre général des
Députés aux Etats généraux, et le nombre respectif des Représentants de
chaque Ordre. Ce résultat eut dans le temps une grande célébrité, et
quoiqu'on y ait constamment uni mon nom, quoiqu'il m'ait valu
successivement et beaucoup de louanges et beaucoup d'inimitiés, il ne
m'appartient pas exclusivement. La rédaction, l'ordonnance et le style
ne composent un titre de propriété que pour les ouvrages académiques ;
il n'en fut jamais de même pour les Arrêts d'un Conseil politique et
pour les préambules qui en exposent les motifs. Le Résultat du Conseil
du 27 décembre, lorsqu'il put rendu public, était précédé d'un Rapport
fait en mon nom comme Ministre d'Etat; mais personne alors, personne du
moins à la suite des affaires, ne put ignorer que ce Rapport n'avoir
entraîné, ni préparé la décision du Roi et de son Conseil. Il ne fut
rédigé qu'après cette décision, et pour tenir lieu de l'usage ordinaire
des Préambules, sortes de discours où le Monarque exposait lui-même les
motifs de ses lois ou de ses déterminations.
On crut qu'il fallait; dans cette occasion un développement dont
l'étendue se concilierait difficilement avec le langage noble et précis
qui appartenait à la Majesté Royale; et ce fut par cette raison, que
l'on adopta la forme d'un Rapport fait au Roi par l'un de ses
Ministres, et suivi d'une délibération du Conseil d'Etat. Aussi ce
Rapport, essentiellement destiné à éclairer l'opinion publique, fut-il
examiné minutieusement dans plusieurs Comités de Ministres, ensuite
sous les yeux du Roi et la Reine fut présente à la dernière conférence.
Enfin, au moment de cette discussion finale si l'on excepte
l'opposition d'un Ministre dirigée sur un seul point y toutes les
volontés, tous les avis se réunirent en faveur du Rapport et du
Résultat, tels qu'ils ont été rendes publics.
Qu'on ne se méprenne point sur les motifs qui m'engagent à rappeler ces
particularités. Ce n'est pas dans un moment où les délibérations du
Conseil antérieures aux Etats Généraux, sont attaquées au nom des
événements subséquents ; ce n'est pas dans un tel moment, que je
voudrais disputer sur ma part à ces mêmes délibérations. Je l'accepte
encore en son entier, je l'accepte sans réduction, ainsi que je l'ai
fait dans les jours d'espérance. J'oserais même dire que je la
revendique cette part, cette part justement honorable car le mérite des
pensées honnêtes et des conseils prudents ne peut être altéré par les
fausses interprétations des hommes et par l'adresse avec laquelle
plusieurs d'entre eux rassemblent tous les regards sur une circonstance
éclatante, afin de détourner l'attention des malheureuses suites de
leurs fautes ou de leurs erreurs.
Cependant il importe à la réputation du Conseil d'Etat, et peut-être à
la mémoire du Roi, que l'on n'abuse pas de la forme donnée à la
Proclamation du 27 décembre 1788. On le fait néanmoins, et sans aucun
scrupule, lorsqu'on reçoit, lorsqu'on présente mon Rapport au Monarque
comme un tableau complet de toutes les raisons qui déterminèrent la
décision du Gouvernement. Le mot de nécessité ne s'y trouve pas, et
cette seule remarque doit faire présumer que le Rapport ne disait pas
tout, et qu'il avait été précédé d'une discussion plus étendue. Nous
développerons bientôt cette réflexion. Le Roi, par le Résultat de son
Conseil du 27 Décembre 1788, fit connaître manifestement qu'il
n'entendait rien changer à l'ancienne institution des trois Ordres
appelés à délibérer séparément, et, en même temps, il décida que les
Députés du Tiers Etat seraient égaux en nombre aux Députés des deux
premiers Ordres réunis.
Aurait-on pu soutenir, à un Tribunal d'équité, que les intérêts des
quatre-vingt-dix-huit centièmes de la Nation n'exigeaient pas un aussi
grand nombre de Représentants, d'Enquêteurs et d'Interprètes que les
intérêts des deux autres centièmes? Et je crois que je parlerais plus
exactement, en comparant quatre-vingt-dix-neuf centièmes à un centième ;
et dans cette dernière fraction, il y avait encore beaucoup d'individus
qui parlaient éloquemment en faveur d'une parité de représentation. Les
règles de la prudence en ne consultant qu'elles, eussent-elles permis
au Roi de rejeter à la fois et un voeu raisonnable et un voeu, présenté
soutenu d'une manière si imposante.
La critique s'éleva bien faiblement contre la détermination du Roi on
l'entendit à peine au milieu des applaudissements universels. Elle ne
l'appuyait alors que sur les intérêts et les droits des deux premiers
Ordres; c'est par degrés, c'est avec les événements qu'on a voulu
donner à de premiers discours l'importance et l'étendue qu'ils
n'avoient pas eues dans les commencements et de cette manière on s'est
attribué un instinct prophétique, sans autre titre que des plaintes
excitées par des considérations personnelles. Mais rien n'est si commun
que ces opérations de l'amour propre et de la vanité un mot qu'on a par
hasard dans un tel temps et sans y avoir attaché aucun sentiment,
aucune pensée profonde un mot peut-être encore ont on est seul à se
souvenir, ce mot suffit quelquefois pour y suspendre longtemps après,
une chaîne de prédictions et tout autant de trophées à la gloire de son
esprit.
Considérons cependant les objections dirigées contre le Résultat du
Conseil du 27 Décembre, et considérons-les, n'importe leur date,
n'importe le degré de persuasion avec lequel on les répète, et sans
nous arrêter à faire ressortir l'esprit d'imitation ou de crédulité qui
en a favorisé le bruit et multiplié les effets.»
Source : Gallica-Bnf, De
la révolution française
Jacques Necker – publié par
Maret à Paris en 1797 (tome 1, pages ou feuillets 30 à 57 & 61 à 65)
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