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Sommaire de la page,

1 - La fin de la Bastille et prisons de Paris :
   
    I - La chute d'un symbole, mais encore?
    II - Les prisons de l'ancien régime

2 - Chronologie des journées du 12, 13 et 14 juillet 1789

3 - La journée d'un héros de la Bastille, raconté par lui-même, J.B. Humbert

4 - La Bastille : mémoires pour servir à l'histoire,  Pierre-Joseph  Dufey (1833)




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La fin de la Bastille et prisons de Paris



Forteresse de la Bastille - le plan de la citadelle est en bas de la page

I - La chute d’un symbole, mais encore...?

La motion de Mirabeau, le comte Honoré Riquetti (à ne pas confondre avec son frère vicomte, dit le jeune), ci-après dans l'encadré, du 9 juillet fut votée à l'unanimité moins quatre voix, à l'exception du dernier paragraphe que les électeurs de Paris allaient se charger de mettre en application, lors de la journée du 13 juillet, en s’emparant de l’Hôtel-de-Ville. Peu de temps avant Louis XVI proféra des menaces, les armées stationnaient autour de la capitale sous la conduite du Maréchal de Broglie. C’était à ces ultimatums que répondit Mirabeau. Celui-ci allait s’éclipser quelque temps de Versailles, il dut régler des questions d’héritage, son père décéda dans ce laps de temps, lui-même député éphémère et partisan de la noblesse, dit l'aîné.

Le grand commencement, car il faut bien un départ, débuta le 12 juillet 1789 en deux endroits, l'un des deux se trouvait dans les jardins du Palais Royal avec l’harangue de Camille Desmoulins aux foules présentes :
« Ce soir tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger. Il ne nous reste qu'une ressource, c'est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaître. » Sinon, c’est à partir d’un détail, d’un événement qui se déroula bien ce jour du 14, et non le 13 juillet, comme l’affirme Albert Mathiez dans au moins deux de ses ouvrages. Que se tisse une journée dont le fil conducteur des révoltes s’enclencha le 12 au soir et toute la nuit, les émeutiers vinrent principalement des faubourgs populeux.

Cette nuit du 12 au 13 juillet, les foules disparates s’en prenaient aux portes d’entrées de la capitale (dit le mur des Fermiers généraux). La situation s’apaisa un peu le lendemain et reprit de vigueur le 14 juillet à partir de l’Hôtel-de-Ville de Paris dans les premières heures du jour, vers 8 heures du matin par une belle journée ensoleillée. Ce lieu citoyen par excellence allait être l’épicentre des colères populaires pendant deux jours. M. Mathiez mentionne dans son histoire de la Révolution, l’attaque des Invalides le 13 au soir. Alors que l’événement débute dans la matinée du 14. Cela ne bouleverse pas pour autant pas quoi ce soit de son analyse éclairante et les autres faits cités, mais donne une idée assez confuse de ce qui a bien pu se dérouler pendant ces trois journées qui changèrent la face du monde, du moins de la société française dans un premier temps.

Une fois que vous avez dit le 14 juillet, la première référence et souvent la seule est la "chute" de la Bastille. Et si l’on reprend certaines allégories picturales, le petit peuple parisien d’un seul tenant marcha sur l’emblème du despotisme, nous sommes très loin des réalité du moment. C’est d’autant plus regrettable, car si l’on ne se contentait pas que de fêter, il y aurait de quoi narrer la colère des Parisiens et ne pas se limiter à un lieu. Ce qui fut en bout de course, le symbole de la rupture, la fin d’un état passé.

Ce que voulue signifier la seconde révolution, mais n'a pu véritablement l’appliquer pour des raisons de temps, lorsque des élus d’une des commissions de la Législative (de l’instruction civique) qui sous la Convention fusionna avec celle de l’Education nationale. Ces membres, dont Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, s’occupèrent de mettre œuvre des écoles publiques et républicaines. Certains textes ou propos avaient stipulé que l’enseignement de l’histoire de la Révolution française devait être transmis aux enfants scolarisés.

Faut-il y entendre ses fondements ou préceptes moraux? Cette réalité du temps présent prenant corps étrange avec le passé a été à l’image d’une conscience politique affirmée. Ce qui ne fait pas œuvre d’histoire, mais permet de voir comment ces hommes et femmes ont pu faire corps commun et à son service. Ce fut un peu la particularité de ce mouvement révolutionnaire, un peuple jusqu’alors méprisé allait devenir le moteur de l’histoire nouvelle, la faire au sens plein, en être l’acteur principal. Cependant toute cette profusion textuel n’en permet pas toujours d’établir les faits avec précisions. Les mémoires sont faillibles et ceux qui peuvent être conduit à écrire son récit, parfois se tromper.
« Les spectacles étaient fermés depuis plusieurs jours, la Bourse était déserte, et des journaux imprimés exprès pour la cour, annonçaient des représentations théâtrales de chaque soir, et un cours des effets publics dont on haussait progressivement la cotte (le fait d'arme), depuis le départ de Necker ; et le soir de cette journée du 14 juillet, si féconde en évènements, le roi s'était endormi avec la même sécurité que la veille. »
La Bastille, PJ Dufey, page 256
Vivre dans un mouvement un peu fou, à la limite du chaotique, ou demain tout était encore possible, était-ce nécessairement une vue partagée? Il est difficile de l'envisager qu’en dehors de localités très isolées. Le pays précipité dans un mouvement confus et général, rares furent celles et ceux ayant pu échapper aux circonstances, et de toute condition. Certes les informations étaient longues à parvenir, mais elles arrivaient.

Si Paris se trouva au centre de l’incendie, cela était presque insignifiant, tant l’onde de choc toucha les bourgs ou villages reculés. Depuis le mois de mai, il circulait la rumeur de bandes, de «brigands» s’en prenant aux habitations, aux cultures et aux populations? Celle-ci dura quelques mois et elles furent à l’origine de la constitution des milices bourgeoises, qui se transformèrent en garde Nationale. Le rôle des milices a été de répondre à cette incertitude, mais pas seulement à Paris, la bourgeoisie allait agir en armant la « populace » un temps, puis la désarmer dans un deuxième en finançant la pression, qui visa à faire plier le monarque.

Quand Louis XVI le jour du 14, nota qu’il ne s’était rien passé, il y a certes le décalage de temps des nouvelles. Mais tout Versailles était au courant en fin de journée, mais lui ne l'était pas encore et alla se coucher. Il y a de quoi s’interroger sur la passivité, à la limite anodine, s’il ne lui avait pas été précisé dans la nuit du 14 au 15, c’est-à-dire par François-Alexandre de La Rouchefoucauld Liancourt, que c’était bel et bien une révolution et pas un spasme de plus ou une habituelle émeute.

On peut même s’étonner de la réponse du duc de Liancourt, qu'a-t-il voulu lui signifier? Pas seulement que cela tournait mal, mais de prendre en compte le changement qui se dessinait : la donne nouvelle. On en devine les conciliabules avant de prévenir le premier intéressé. Le rang de Secrétaire d'état et son statut de dignitaire
permirent à Liancourt cette visite nocturne impromptue. Et contrairement à d’autres, il resta en France et ne rejoignit le flot des émigrés que plus tardivement en 1792.
« Le duc de Larochefoucauld Liancourt, membre de l'assemblée nationale, a résolu de mettre un terme à tant de déceptions. Sa charge dé grand maître de la garde-robe, lui donnait le privilège d'entrer à toute heure dans l'appartement du roi, il s'y rend au milieu de la nuit, et prend sur lui de le faire éveiller; il lui révèle la vérité entière. Paris n'a plus d'intendant, ni de prévôt des marchands; le lieutenant général de police a donné sa démission, toute l'autorité a passé entre les mains des électeurs. Cent mille citoyens sont armés, la Bastille est prise et l'élite des troupes royales a été vaincue. Le roi, étonné, garde le silence; il le rompt enfin en s'écriant : C'est une révolte! Sire, c'est une révolution, répond Larochefoucauld Liancourt. »

La Bastille, PJ Dufey, 1833
Aussi mythifié qu’il a été, le 14 juillet fut une révolte contre la vie chère. Ce fut au cri de « vive la nation », un peu au cri de « vive le tiers état ! », mais aussi, au nom du monarque, avec des « vive le roi ! », mais aussi à l'adresse du duc d'Orléans que les foules ont manifesté ces jours là la volonté de rompre. Personne n’avait encore l’idée de renverser ce potentat, ce n’était pas la résonance générale. Si les aristos, quelques éminences du clergé se trouvèrent brocardés, vilipendés, bousculés et plus, le roi n’était pas visé directement. Et à ce stade qui pouvait l’envisager?

Le roi a pu même servir d’alibi politique à la prise de la Bastille. D’abord parce que l’activité de cette prison était très limitée et que cette vieille forteresse en cas d’attaque d’une armée ennemie aurait été une faiblesse dans le système de protection. D’une manière ou d’une autre ce vieux symbole serait tombé et en matière de défense, de nouvelles architectures avaient supplanté depuis longtemps ce vieil édifice. La forteresse devait néanmoins en imposer à la porte de la ville, celle-ci débouchant sur le faubourg Saint-Antoine. La Bastille lors de sa démolition donna du travail, là où les besoins étaient cruciaux, mais jamais résorbés.

Du monument, ici ou là sur la place des traces non perceptibles existent toujours, car des restants de fondation se retrouvent plutôt en sous-sol comme à la station de métro, ou certaines caves des alentours. La démolition fut l’objet d’une décision de destruction et très rapidement se dessina une des plus grandes places de Paris. En juillet 1790, le 14 l’on fêta en grande pompe le premier anniversaire de la Fédération au Champ-de-Mars, et sur l'espace libéré de l'ancienne geôle il fut organisé un bal à l'initiative de M. Pierre-François Palloy, maître sculpteur, chargé de la destruction. Ceci se fit bien avant les thèses sur le développement durable et ses actions visant à recycler. L’existant, les murs ou pierres de cette sinistre demeure allait se voir réutiliser, entre autres pour construire le pont de la Concorde. Celui-ci se situe face au Palais Bourbon en rive gauche (l’actuelle Assemblée nationale).

Et la place de la Concorde, à l’époque, la place Louis XV, elle fut rebaptisée place de la Révolution. Connue comme un des hauts lieu d’exécution, elle n'a pas été la seule place ou l’on guillotina, les autres lieux, dans une moindre mesure ce furent les places du Carroussel, de la Bastille et le deuxième point important la place de Grève (ou de l’Hôtel-de-Ville aujourd'hui), et la place de la Nation. Quelques exécution eurent lieu en cette place de la Bastille, mais rien de très significatif dans la masse des 3.000 guillotinés, soit un peu moins de 90 morts en tout.

Note de Lionel Mesnard, le 12 janvier 2016



"Prise" de la Bastille - une des représantations de l'attaque


« La journée du 14 juillet 1789 », Jules Flammermont

« Sur tout ce qui se passa à l'Hôtel de Ville dans cette fameuse journée, le meilleur instrument de vérification est le Procès-Verbal des Electeurs. On sait que pour les élections des députés du Tiers Etat, Paris avait été divisé en soixante districts; les citoyens domiciliés dans chacune de ces circonscriptions, eurent à choisir un certain nombre de délégués nommés électeurs, parce qu'ils devaient élire les vingt députés de Paris et rédiger le cahier de doléances. Quand cela fut fait, ces électeurs, qui étaient au nombre de plus de 300, auraient dû se séparer, puisque leur mandat était limité à ces opérations. Cependant ils convinrent de se réunir en cas de nécessité pour correspondre avec les députés aux Etats généraux.

(…) « Le 25 juin ils s'étaient rassemblés au musée de la rue Dauphine. Le 27 ils parvinrent à obtenir un local à l'Hôtel de Ville, où dès lors ils tinrent séance presque chaque jour. Le 11 juillet ils s'étaient ajournés au lundi 13 ; mais le dimanche, à la nouvelle du renvoi de Necker et de l'agitation soulevée dans Paris par cet événement, ils se réunirent spontanément pour aviser aux mesures à prendre. Le 13 ils s'emparèrent de l'autorité que personne, depuis là veille, n'exerçait plus dans Paris. Ils s'efforcèrent de rétablir l'ordre et de pourvoir aux besoins du moment. C'est dans cette vue qu'ils organisèrent la milice bourgeoise, nommée plus tard garde nationale. Ils formèrent un comité permanent qui, jour et nuit, demeura à l'Hôtel de Ville pour donner les ordres nécessaires pendant cette crise.

Le 14 juillet, ils envoyèrent d'abord aux Invalides le procureur de la ville, Ethis de Corny, qui assista, impuissant, à l'invasion de l'hôtel par la foule et à l'enlèvement des trente-deux mille fusils qui y étaient conservés ; sur les dix heures il en vint rendre compte à l'assemblée. Pendant l'après-midi, les électeurs ne cessèrent d'être aux prises avec une multitude furieuse qui leur demandait des armes et les moyens de s'emparer de la Bastille. Ils envoyèrent successivement plusieurs députations parlementaires auprès du gouverneur, pour l'engager à cesser le feu ; mais elles ne purent remplir leur mission et elles durent se borner à faire à leur retour des rapports sur ce qu'elles avaient vu et entendu. Ainsi les électeurs ne s'occupèrent pas directement du siège et ils furent fort mal informés de ses péripéties; par exemple ils ne surent rien ou presque rien des faits qui amenèrent la reddition de la place; mais ils furent témoins du délire de la foule ; elle réclamait impérieusement la mort des invalides et des suisses de la garnison, que, dans le but de les sauver, les vainqueurs avaient amenés jusque dans la grande salle, où étaient alors la plupart des électeurs.

En un mot, les autorités provisoires, qui s'étaient constituées d'elles-mêmes à l'Hôtel de Ville pendant cette révolution, n'exercèrent qu'une très faible action sur les événements qui se passèrent au dehors et elles n'en eurent qu'une connaissance indirecte et insuffisante. »
Jules Flammermont archiviste spécialisé dans l’étude des manuscrits, historien et professeur formé à l’Ecole des Chartes, publia en 1891 La journée du 14 juillet 1789. Après une longue introduction, dont sont extraits ci-dessus des propos. Il appliqua comme dans ses autres travaux une méthode très descriptive et prenant en compte des mémoires, ou ce qui a pu être écrit et imprimé sur le sujet. Si à la même époque, il exista une chaire à la Sorbonne avec Alphonse Aulard depuis 1885, cette école nationale n'était en fonction que depuis 1821. Elle a donné des spécialistes notoires, dont son confrère Etienne Charavay, et Frantz Funck-Brentano, le moins austère est aussi le moins fiable des trois. Chavaray se consacra à l’étude des manuscrits des Parlements ou assemblées parisiennes, le siècle suivant. Pierre Caron apporta à la Révolution des sommes non négligeables, notamment sur les massacres de septembre 1792.

Nos écrivains de l'école des Chartes ont été au XIXe siècle les plus rigoureux et plus portés sur les temps courts. Mais attention si le travail est magistral, les écrits sont loin d’être toujours synthétiques, s’ils ne sont pas publiés dans des revues limitant un tant soit peu ses plumes actives. Les ouvrages d’histoire de cette école peuvent être volumineux, hautement détaillés et précis. Rien qu’avec ce livre, il existe environ 360 pages sur les détails de la prise de la Bastille.

Les mémoires manuscrites de Louis Guillaume Pitra (*) tiennent sur une cinquantaine de pages, une brève préface le reste est introductif (290 pages) et fini par une longue table des matières. Cependant cette méticulosité a plus que des charmes, chaque chose est pensée et soupesée, et l’on détermine bien comment s’insère ce document manuscrit et permet de faire lien avec les Etats Généraux et les membres élus (300) qui désigneront 20 députés. Pitra, citoyen du tiers était de ces 300 électeurs, qui allaient le 13 tenter de pallier au vide du pouvoir en investissant l’Hôtel de Ville.

Dans sa conclusion Jules Flammermont remet l’événement à sa place et un collègue archiviste de la Bibliothèque de l’Arsenal et auteur de qualité, mais instructif sur la manière de gommer ce qui ne l’arrangeait pas, et intéressant sur les altérations que l’engagement politique produit ou provoque. Funck-Brentano, grand collecteur des archives de la Bastille reste un historien à manier avec précaution et un peu trop attiré par le sensationnel. Il fut désireux d’être lu par un large public, sous couvert d’amitiés politiques plutôt conservatrices au sein des républicains. 
« Pour diminuer, autant que possible, la grandeur historique de cette journée du 14 juillet 1789, qui a le privilège d'exciter la colère et les rancunes des adversaires de la Révolution, M. Taine est allé jusqu'à tirer du journal de Marat cette citation : « Lorsqu'un concours inouï de circonstances eut fait tomber les murs mal défendus de la Bastille, les Parisiens se présentèrent devant la forteresse ; la curiosité seule les y amena. » (F.Funck-Brentano, La Bastille oubliée)
M. Frantz Funck-Brentano a reproduit avec empressement cette grossière boutade contre le peuple de Paris et il n'a pas craint de dire :
« Ce n'est que plus tard et de loin que l'on s'aperçut de l'importance que la prise de la Bastille aurait dû avoir. Rien de plus éloigné de la vérité. » (…) « Ainsi s'explique la haine que cette victoire de Paris inspira tout de suite à tous ceux qui vivaient des abus de l'ancien régime, aux aristocrates et à leurs défenseurs, aux Rivarol et aux Restif de la Bretonne (surnommé l’anti Sade était un fétichiste). Cette haine est encore aujourd'hui soigneusement entretenue par les monarchistes et plus de cent ans après le 14 juillet 1789, la prise de la Bastille n'a pas cessé d'être la pierre de touche des opinions politiques. On peut, sans crainte de se tromper, ranger tous ceux qui en médisent parmi les adversaires de l'ordre de choses que la Révolution a substitué à l'ancien régime ».
Nous sommes plus de 220 ans après et le problème réside, il suffit de consulter internet pour découvrir, comment les règlements de compte - ou des contes - sont toujours entretenus.

(*) Louis Guillaume Pitra, a été le Président du Comité provisoire de Police jusqu’en 1791. Il était négociant, auteur dramatique et librettiste. En tant que représentant de la Commune, il intervint devant l’Assemblée constituante en décembre (le 18) sur la Caisse d’Escompte (Source Gallica-Bnf)


II - Les prisons de l’ancien régime


Sur la chute du symbole, s’il ne fait nul doute, il est à noter les timides tentatives de réforme à partir de 1780. Necker puis sous le baron de Breteuil, ils eurent la charge de faire fermer certaines prisons et au titre des geôles de l’Etat, l’on ferma Vincennes et celle de For-l’Evêque (1783). Elles étaient quatre en tout : Vincennes ne valait pas mieux que la Bastille, parce qu’elle entrait dans l’usage des lettres de cachet. Elles virent des hôtes célèbres et avaient pour fonction d’éloigner ceux qui pouvaient faire ombre aux pouvoirs constitués. En clair, ce furent notamment des prisonniers politiques, selon leurs rangs ou origines sociales, qui se voyaient enfermés sur des périodes limitées, voire très brèves pour les gens de la noblesse, l’objet était de rappeler à l’ordre les inconvenants. Toutefois, certains y restèrent de très longues années, les plus récalcitrants ou indésirables, s'ils ne mourraient pas oubliés, ou l'objet d'une corruption interne, de rares individus survécurent plus de trente à quarante années consécutives.

Sur le thème, « on n’enferme pas Voltaire » maxime que l’on doit à plusieurs personnalités politiques, celui-ci connaîtra la Bastille sous la Régence de Philippe d’Orléans, et deux fois la prison avant de fuir à Londres. Mais il n'a été nullement inquiété sous Louis XV du temps de la Pompadour, et il
fut plutôt accommodant avec le Lieutenant Général de Police, Nicolas-René Berryer qui lui rendait visite sur certaines affaires publiques ayant pu faire scandale et le concernant. Puis, il navigua comme d'autres en des terres moins hostiles où il échappa aux lois du royaume. Au sujet de Louis Le Tonnelier de Breteuil, il faut mentionner, que c’est lui, qui a été appelé en remplacement de M. Necker renvoyé le 11 juillet, il fut à la source de la levée de bouclier de la bourgeoisie. Ce ministre pour sa part a été de la première vague d’émigré s’enfuyant à partir du 15 juillet dans les traces du comte d’Artois, le futur Charles X.

Le philosophe Diderot a connu Vincennes (mais pas Voltaire) tout comme Sade et Mirabeau qui fit un séjour à For-l’Evêque destiné aux endettés et aux comédiens, il y passa près de trois ans. Ce dernier y développa ses facultés d’écriture. Cependant, nous sommes loin du statut de criminel courant, plus encore du sort réservé à certaines catégories de prisonniers politiques comme les jansénistes. Pouvaient aussi se retrouver des sorciers, des empoisonneurs ou guérisseurs, les priorités d’une époque pouvant changer, sauf à l’égard de l’homosexualité, qui finissait après un temps d’emprisonnement par un bannissement, un exil de la région ou un retour au pays d’origine le plus souvent (et après la mort la pire des peines).

S’il exista un personnage, maintes fois emprisonnés avant de finir à l’hospice d’aliéné de Charenton fut le Marquis de Sade. Ce dernier allait connaître la Bastille, y écrire quelques mémoires sans rapport avec ses frasques, et qui plus est, pas uniquement sexuelles. Il aurait pu être libéré le 14 juillet 1789 de la Bastille, cependant il allait connaître son premier transfert chez les « insensés » dans le Val-de-Marne une dizaine de jours avant. Il se retrouva à l'époque dans le département de la Seine-et-Oise à la maison de santé de Charenton. Et il a vécu un petit temps de liberté sous la première révolution, avant d’être à nouveau pris dans les maillons de la justice. Dans un premier temps il fut plutôt proche du mouvement populaire, puis garda ses distances et condamna la République, le marquis était proche des convictions des royalistes constitutionnalistes.

Sur les prisons de l’ancien régime, même le très réactionnaire Maxime Du Camp dans la Revue des deux Mondes en 1889 en fit un portrait abominable. Il ne cacha pas l’aspect repoussant et écrivit au sujet de For-l’Evêque, reprenant
son descriptif à un manuscrit, rédigé par un magistrat au XVIIIe siècle :
« La cour ou préau n’a que trente pieds de long sur dix-huit de large, et c’est dans cet espace qu’on enferme quelquefois quatre et cinq cents prisonniers… Les cellules qui sont sous les marches de l’escalier ont six pieds carrés ; on y place cinq prisonniers… Les cachots sont au niveau de la rivière, la seule épaisseur des murs les garantit de l’inondation, et toute l’année l’eau filtre à travers les murs. Là sont pratiqués des réceptacles de cinq pieds de large sur six pieds de long dans lesquels on ne peut entrer qu’en rampant, et où l’on enferme jusqu’à cinq détenus. Même en été, l’air n’y pénètre que par une petite ouverture de trois pouces, percée au-dessus de l’entrée, et lorsqu’on passe en face, on est frappé comme d’un coup de feu. Ces cachots, n’ayant de sortie que sur les étroites galeries qui les environnent, ne reçoivent pas plus de jour que ces souterrains, où l’on n’aperçoit aucun soupirail. Le Grand et le Petit-Châtelet sont encore plus horribles et plus malsains. »
A part quelques réclusions en « chambre d’hôte », un voire deux prisonniers par cellule et souvent un valet ou un domestique, ce sort était limité à une petite caste de privilégié. Sinon la description entre dans la moyenne, il existait pire comme il a été précisé et pas seulement aux prisons du Châtelet. L’état général des geôles était plus que vétuste et le terme inhumain le reflet global des lieux d’enfermement ou de réclusion.

Oui, la Bastille et Vincennes ont représenté des emblèmes de l’absolutisme, d’autant plus qu’elles relevaient de l’Etat, tout comme la prison de Bicêtre à Gentilly, dîtes celle des « voleurs ». Où atterrissaient, aux vues de l’époque la pire des canailles, surtout le menu fretin, et en son sein une maison de correction pour les mineurs. Néanmoins sous Louis XVI on chercha à faire oublier les deux régimes précédents. Les pouvoirs ministériels cherchèrent à être plus souple à la tête de l’état, mais à la base, si les potences du gibet de Montfaucon disparurent vers 1750, il existait encore en l’année 1789 quelques lieux dans la ville ou l’on condamnait les criminels avec la même sévérité. Le plus souvent menant à la mort ou à la torture, l’exécution de la sentence était déjà à l’exposition du public, comme un spectacle, d’une violence extrême et banalisée. Seule considération à porter, la mort était une réalité prégnante du quotidien.

Concernant les autres établissements carcéraux, l’administration des choses varia peu. Les vagues tentatives d’amélioration de la vie des prisonniers se firent sous les apparences de l'esprit "philanthropique". Mais tout cela était encore très moralisant et permettait de faire des rapports très policé. Tout s’achetait, ou se payait et en particulier le séjour sous clef, et sans le sou ou la pension, c’était le trou de basse-fosse, ou une pièce bondée à plusieurs, des rations de misère, plus un environnement insalubre. Plus une bonne chance, de mourir, aux prises de la « fièvre des prisons » faisait le rude quotidien des geôles. Cela évolua lentement quand l’administration pénitentiaire se structura à partir du
Consul Bonaparte, ainsi que sa nature carcérale et de peines. C’est au dix-neuvième qu'ont été bâties de nouvelles prisons à Paris - que s’ouvrirent certains lieux mémorables : la Santé, La Roquette et le petit Bicêtre pour les jeunes délinquants, … Et aussi sous la révolution que Saint-Lazare dans le faubourg St-Denis s'institua en prison d'état. Pour ce qui fut de l’emprisonnement, on ne chôma pas et même atteindre des records (200 à 300.000 prisonniers), et ouvrir de nouveaux lieux de détentions.

La plupart de ces souricières, à l’exemple de la prison du Châtelet, de la grande et petite Force, etc. ne sont plus, mais donne une idée des conditions d’incarcérations sous les anciens régimes et pendant le processus révolutionnaire. C’est probablement le grand oubli de cette révolution, mais la morale commune ou plutôt des élites, pour se moquer est un peu à l’image du bloc, il n’existait pas fondamentalement de grandes différences entre la pensée des nobles et des classes bourgeoises à ce sujet. L’on peut penser qu’un crime est un crime, sans aller à s’interroger sur toutes les composantes sociales d’une société et leurs maux. L’histoire de la Bastille sous Louis XVI n’était plus vraiment un sujet brûlant et son activité était plus que réduite. Cependant il n'existait pas au sein des geôles de souplesses démesurées, ni ne s'y engagea de véritables aménagements ou améliorations des conditions de vie des prisonniers.

Dire que rien n’avait été fait est un peu exagéré. Il y a à distinguer le quotidien, le vécu de la loi, et saisir qu'après les ombres, un peu de lumière faisait jour. Dans le domaine pénal durant la Révolution française, il y a eu de vraies avancées, comme l’abolition de la torture et l’apparition de la guillotine, les jurys populaires, la fin des charges payantes et héréditaires etc. L’ensemble entrant aussi dans ce processus d’égalité et de respect de l’humaine dignité. On peut en contester les débordements, les fureurs révolutionnaires, mais sur le plan légal, ce fut un changement radical (à la racine des maux). Avant que la loi ne puisse entrer dans les mentalités, ou dans les faits, il existe souvent un décalage du temps. En ce domaine, les premières réflexions étaient antérieures à la Révolution de 89 et furent l’objet des attentions dans toute l’Europe sur les populations vagabondes et miséreuses. Un des grandes sources des criminalités pour les pouvoirs royaux, et les approches ont été assez similaires. L’on combattait plus les miséreux, pour la situation de vagabondage comme objet de désordre, que le crime ou le délit que cela représentait pour les autorités.

Il s’agissait à l’échelle européenne d’un ordre coercitif, il visait avec plus ou moins de violence à inculquer une morale et mettre au travail forcé si besoin était. Pour exemple, des travaux d’un anglais se nommant, John Howard, et des français comme Tenon en 1787, puis Honoré-Gabriel de Mirabeau, qui en 1788 fit publié clandestinement, sous le titre d’un voyageur anglais ses impressions sur ce qu’il avait pu découvrir de l’intérieur ou visiter. L’on retrouve, de même les récits du journaliste Mercier et ses promenades parisiennes, mais se limitant plus à des escapades qu’à des travaux pouvant donner un état des lieux. Quand il n'écrivait pas sur le seul produit de son imagination. Ce qui ne fut pas le cas de MM. Howard et Tenon. Mirabeau copia Howard pour la France et fit des comparaisons approximatives avec l’Angleterre. Son travail est plutôt contestable, même s’il livre des détails importants sur les conditions de vie.

John Howard s’agissant des années pour sa rédaction de 1777 à 1784, il nous donne un aperçu plus général et global des prisons Européennes, du bien plus concret. Il accompagne son tableau pays par pays et par villes visitées, des solutions qui visaient à améliorer le sort des prisonniers Anglais. Tout a commencé par la visite de la prison de son district ou comté. Il trouva aux Hollandais, une attitude certes répressive, mais plus à même de réinsérer le déviant. A côté la France était déjà très en retard, l’idée de réparation de la faute plus intégrée dans ce petit pays protestant et vue par un calviniste, esquisse une différence majeure d’appréciation. Sans pour cela bousculer les fondamentaux moraux, une logique plus inclusive, moins emprunte de souffrances, ce qui n’était pas le cas de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne et d’autres contrées. Ces États ont eu un système assez similaire et variant peu sur la forme ou le fond. Il faut
pour cela se tourner vers le travail de Michel Foucault, qui à ce sujet représente une des plus grandes sommes de connaissances et savoirs sur la question asilaire et carcérale.
« Des abus inhumains m'ont fait écrire cet ouvrage ; c'est à la pitié que m'inspiraient les prisonniers qu'on le doit. Elu shérif du comté de Bedfort, j'ai vu ces abus de près, et ils m'ont inspiré le désir d'y remédier. J'ai vu des hommes reconnus innocents par la décision des jurés, d'autres contre lesquels on n'avait pas trouvé assez de présomptions pour les soumettre à un jugement, ou dont les accusateurs avaient abandonné la poursuite, traînés de nouveau dans les prisons, et y être renfermés jusqu'à ce qu'ils eussent payé divers frais au geôlier, au greffier, etc., je n’ai pu les voir sans les secourir. » 
Il s'agit des débuts de l’Introduction de John Howard, dans le tome 1 sur l’Etat des prisons et des Maisons de Force, traduit de l’Anglois. (disponible sur le site Gallica de la Bnf) Cet ouvrage a été publié en 1788 à Paris, par la librairie Lagrange située vis-à-vis du Palais Royal, rue Saint Honoré, précise la jaquette de ce livre volumineux. 

Court extrait de "Mendiants et vagabonds"

Louis Rivière (Introduction, 1902)

« De cette présomption que tout mendiant est un vagabond, et tout vagabond un individu suspect, provient ce bizarre enchevêtrement de mesures d'assistance et de police que présente dans notre ancien droit la législation des pauvres, véritable type de la matière mixte. On en trouve le complet développement au seizième siècle dans l'institution du Grand-Bureau des pauvres, qui est à la fois un organe administratif charitable et un instrument de police ; cette juridiction passe en 1656 à l'Hôpital Général, qui obtint ainsi une véritable mainmise sur les pauvres, soustraits à la justice ordinaire, et auxquels on infligeait des peines sans forme ne figure de procès. Dans les provinces, la police des vagabonds et malfaiteurs était confiée aussi à une juridiction d'exception, les tribunaux de maréchaussée.

La Révolution française a proclamé la liberté personnelle, la liberté du travail, la liberté de circulation et d'établissement. Mais, en démolissant les vieilles barrières, elle enleva du même coup à l'ouvrier les appuis séculaires qui soutenaient sa faiblesse ou son isolement. En outre, cette réforme capitale a été bientôt suivie par l'invention des machines, qui amena un excès momentané de population ouvrière parce que le développement corrélatif de la consommation ne se produisit pas immédiatement. De là provinrent des crises périodiques de chômage et de misère, la nécessité pour le travailleur d'aller chercher ailleurs l'occupation qui lui manquait sur place, la constitution enfin d'une catégorie d'ouvriers secondaires, moins habiles, moins laborieux, moins assidus, qui ne travaillent que quand la besogne presse et sont les premiers congédiés dès que les commandes se ralentissent. C'est cette sorte d'armée de réserve de l'industrie qui fournit les éléments d'un vagabondage fonctionnel spécial d'ouvriers en quête de travail, venant compliquer l'ancienne notion du vagabond qui ne travaille pas parce que la bonne volonté lui fait défaut. » 

Chronologie des journées



du 12, 13 et 14 juillet 1789


Fin de matinée du dimanche 12 juillet

L’information dans tout Paris circule sur le renvoi de Necker intervenu hier. À Midi, aux jardins du Palais-Royal, l’avocat et journaliste Camille Desmoulins, grimpe sur une table du café de Foy et harangue la foule des promeneurs et appel à porter dans un premier une cocarde verte (qui sera celle du comte d’Artois). Voilà ce qu’a pu dire en substance  Camille Desmoulins : 
« Je venais de sonder le peuple. Ma colère contre les despotes était tournée en désespoir. Je ne voyais pas les groupes, quoique vivement émus et consternés, assez disposés au soulèvement. Je fus plutôt porté sur la table que je n'y montai. A peine y étais-je, que je me vis entouré d'une foule immense. Voici ma courte harangue que je n'oublierai jamais « Citoyens ! Il n'y a pas un moment à perdre. J'arrive de Versailles ; M. Necker est renvoyé ce renvoi est le tocsin d'une Saint-Barthélemy de patriotes, ce soir tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ de Mars pour nous égorger. Il ne nous reste qu'une ressource, c'est de courir aux armes! ».
L’après-midi :

Le régiment de cavalerie, le Royal-allemand charge la foule des Tuileries. En début de soirée, le baron de Bézenval à la tête de ses troupes donne ordre d’intervenir aux soldats Suisses stationnés sur le Champ de Mars. Le prince de Lambesc envahit le jardin des Tuileries. En soirée, les manifestations envahissent les rues, la Lieutenance Générale de Police est une des premières cibles et certaines prisons, d’où en sortent quelques prisonniers. A noter que l’on cherche aussi où se trouvent des vivres et si les murs des fermiers généraux vont être l’objet des révoltes populaires, les boulangers sont de même l’objet de pilage et de règlements de compte.
 
Lundi 13 juillet


La nuit :

 
À une heure du matin, quarante-huit des cinquante barrières d’octroi qui permettent l’entrée dans Paris sont incendiées et tombent aux mains des émeutiers. Il s’ensuit une nuit d’allégresse, et des débordements. Où l’on mange, chante, danse, et l’on boit beaucoup dans les cafés ou sur le pavé. Les réveils seront parfois brutaux, du moins les agapes dans certains lieux ont pu dégénérer et effrayer les « bourgeois ». Et servir à dénoncer les couches populaires, comme a pu le faire l’historien et archiviste des registres, notes manuscrites et documents de la Bastille, Frantz Funck-Brentano.

La matin jusque dans l’après-midi :


A six heures du matin est sonné le tocsin, à la même heure le domaine de Saint-Lazare est attaqué, et pillé. A huit heures se tient une réunion des « électeurs » à l’Hôtel-de-Ville, ils investissent les lieux où converges des foules, De Flesselles qui en prend la tête est plus ou moins présent dans la matinée. Il est décidé d’un «comité permanent» et de la création d’un «milice bourgeoise» de 12 puis de 48 000 hommes, soit 1000 environ par district intra-muros. Tous auront une cocarde rouge et bleue. Ils organisent et mettent à sac le Garde-Meuble pour récupérer des armes. Jacques de Flesselles ordonnera dans la journée la fabrication de 50 000 piques en fer forgées. Il cherchera à en être l’initiateur et jouera le meneur tout en étant l’informateur du pouvoir, ce double jeu découvert, lui coûtera la vie et de se retrouver sur un pique le lendemain soir.  
 
Fin d’après-midi :

À 17 heures, une délégation de l’Hôtel-de-Ville se rend aux Invalides pour réclamer les stocks d’armements s’y trouvant. Le gouverneur de Sombreuil refuse et éconduit son petit monde, tout cela en lien avec de Broglie. De son côté Mr de Flesselles s’amuse… il sait et trimbale celles et ceux réclamant des armes et va continuer son manège, il est l’homme de la situation.

Mardi 14 juillet 1789, par un temps ensoleillé

 
Le matin :


Vers huit heures re-belote et dix de ders, les foules en colère ou cherchant à s’informer convergent de nouveau à l’hôtel de ville, nouveau spectacle du Prévost, de plus la Bastille fait parler d’elle et des habitants du faubourg Saint-Antoine essaient de parlementer ou de se faire ouvrir les portes, où commencent à s’agglutiner des passants et curieux. On y trouve Jean-Paul Marat avec la comédienne du Théâtre Français Me Contat et le citoyen Barras (futur Vice-consul). Ils sont présents comme spectateurs célèbres. Pendant que deux agités  cherchent à avoir des armes auprès de l’Arsenal à quelques centaines de mètres. Ils trouvent  un canon qui leur explose à la face et échouent dans leur tentative. Pendant des heures, il ne va rien se passer, les gens parlent et assistent impuissants devant le colosse de pierre et ses fossés. 

Vers 10 heures : après avoir pris connaissance du refus du gouverneur des Invalides, une foule de 10 à 50.000 personnes se masse devant, puis envahit les Invalides. Les armées en place pas très loin sur le champ de Mars ne bouge pas, de tous les côtés des appels à la fraternisation se font entendre. C’est un des grands évènements de la journée. Finalement, la foule escalade les fossés, rompent les grilles, s’engagent  dans les caves et prennent 28 à 38.000 fusils, plus 12 pièces de canons et plus. Sauf qu’il manque l’essentiel : les poudres et les munitions, et dans la confusion totale, c’est un soldat des Gardes Françaises (M. Harné), qui pense à soutenir les assiégeants de la Bastille et les rallier avec son régiment.

A partir de 10 heures 30, du côté de l’Hôtel-de-Ville : poussés par les contestations populaires, les électeurs de la ville de Paris siégeant à l’Hôtel-de-Ville envoient une délégation au gouverneur M. de Launay, pour pourvoir à la distribution des poudres et balles pour les besoins de la « milice bourgeoise ». Cette délégation est reçue et repars sans suite.

Vers 11 heures 30 : Une deuxième délégation, conduite par Jacques Alexis Thuriot de la Rozière et Louis Ethis de Corny. La députation n’obtient rien après avoir déjeuner sur place. La foule s’impatiente, mais tient bon.
 
L’après-midi :

A 13 heures 30 : Les invalides de la Bastille et les 32 gardes suisses obéissent gouverneur de Launay et ouvrent le feu.

14 heures : La troisième délégation, parmi cette nouvelle « députation », l’abbé Claude Fauchet, futur cofondateur et esprit du club des Cordeliers (Société des amis des droits de l'homme et du citoyen).

15 heures : une quatrième délégation, mais elle n’obtient toujours rien. Les soldats de la garnison de la Bastille et les assiégeants  se tirent dessus et ne prend fin qu’au bout d’une heure trente.



La Prise de la Bastille, Charles Thévenin, 1793, Musée Carnavalet

Vers 15 heures 30 : 61 Gardes Françaises arrivent devant la Bastille avec cinq ou dix canons  A sa tête, Pierre-Augustin Hulin, ancien sergent aux Gardes-Suisses, il va avec son régiment au-devant avec les 5 ou 10 pièces d’armes des Invalides. Les canons sont rangés en batterie contre les portes et le pont-levis du château.

A 17 heures : Capitulation de Launay et "chute", ou plus exactement, il s'agit de la reddition de la Bastille au profit des assiégeants. 8 prisonniers sortent de leurs cellules, dont un noble présent depuis 1759.

Vers18 heures : Il est donné ordre aux troupes d’évacuer Paris.

Le mercredi 15 juillet,
« au matin, Louis XVI se rendit à l'Assemblée nationale, déclara qu'il avait donné l'ordre aux troupes de s'éloigner de Paris et de Versailles. Le lendemain, sur une nouvelle démarche de l'Assemblée, il rappelait Necker et les ministres renvoyés, et le même jour il se rendait à Paris, sanctionnant par sa présence, le fait accompli. Les contemporains attribuèrent la volte-face royale à une intervention du duc de Liancourt ». Le même jour Lafayette est nommé par Louis XVI commandant en chef des gardes parisiennes, puis le 17, le roi se rendra à l’Hôtel-de-Ville et ce n’est qu’un début… de l'histoire de la Révolution.

Notes de Lionel Mesnard le 14 janvier 2016

LES VAINQUEURS DE LA BASTILLE
« L'assemblée des représentants de la commune de Paris, dans le but de récompenser les vainqueurs, chargea une commission spéciale d'en dresser la liste après une enquête. La commission siégea du 22 mars au 16 juin 1790 et retint 954 noms. La plupart des vainqueurs habitaient le faubourg Saint-Antoine que Baudot surnommait le père nourricier de la Révolution. Les Parisiens de Paris y figurent avec un très grand nombre de provinciaux.

La majorité se compose d'ouvriers, mais toutes les catégories sociales comptent des représentants : 51 menuisiers, 45 ébénistes, 28 cordonniers, 28 gagne-deniers, 27 sculpteurs, 25 ouvriers en  gaze, 14 marchands de vin, 11 ciseleurs, 9 bijoutiers, autant de chapeliers, de cloutiers, de marbriers, de tabletiers, de tailleurs et de teinturiers, et des quantités moindres des autres corps d'état. En particulier, mentionnons des hommes de lettres, des étudiants, des militaires et des abbés. L'horlogerie se trouve représentée par plusieurs grands rôles : Hébert, J.-B. Humbert, les futurs généraux Rossignol et Hulin.
»
          M. Jaurès a commenté avec éloquence ces constatations :
« En cette héroïque journée de la Révolution bourgeoise, le sang ouvrier coula pour la liberté. Sur les cent combattants qui furent tués devant la Bastille, il en était de si pauvres, de si obscurs, de si humbles que,plusieurs semaines après on n'en avait pas retrouvé les noms et Loustalot dans les Révolutions de Paris gémit de cette obscurité qui couvre tant de dévouement sublime : plus de trente laissaient leur femme et leurs enfants dans un tel état de détresse que des secours immédiats furent nécessaires. On ne relève pas dans la liste des combattants les rentiers, les capitalistes pour lesquels en partie la Révolution était faite. Il n'y eut pas sous le feu meurtrier de la forteresse distinction de citoyens actifs et de citoyens passifs ».
Source : Les Grandes Journées de la Constituante
Albert Mathiez - Les  Editions de la passion


La journée
d'un héros de la Bastille, raconté par lui-même


De JEAN-BAPTISTE HUMBERT, HORLOGER



Il est glorieux de s’arracher à un lâche repos, de s’exposer aux dangers, de ne fuir ni la douleur ni la mort, de chercher les nobles aventures, de purger la terre des monstres qui la désolent, & de la rougir de leur sang.


Wieland


A Paris, le 12 août 1789,

Chez Volland,  quai des Augustins,
n°25 - De l’Imprimerie de Grange, rue de la Parcheminerie.


Avertissement

     Français, mes Compatriotes,

    Je suis natif de Langres, j’ai appris l’horlogerie en Suisse, et notamment à Genève où j'étais  Compagnon, quand cette République perdit sa liberté. Je dormais tranquillement sur un lit de camp dans un corps-de-garde, lorsque les troupes Françaises s’emparèrent de la Ville, dont plusieurs traîtres leur avaient ouvert les portes.

Je fus témoin de la consternation des Bourgeois, & confident des imprécations qu’ils firent contre un Ministre de France, qui , disaient-ils, avait trompé mon Roi ; j’entendis si souvent des soupirs, des plaintes et des regrets, que je gardai longtemps dans mon cœur, pour ce Ministre, une partie des. mêmes  sentiments qu’avaient pour lui les malheureux Genevois (1). Je revins à Paris en 1787 ; là je m’habituai, sans le sentir, à porter le joug qui paraissait si lourd à beaucoup de mes compatriotes, les braves Parisiens.

Comme eux, le 12 Juillet, à la nouvelle, que la populace armée attaquait les Bourgeois au lieu de les défendre, je me transportai à St-André-des-Arcs pour y offrir mes services, me croyant de ce District : l’attaque aux Tuileries, par le Prince de Lambesc, et plusieurs autres circonstances connues de tout le monde, ayant augmenté les alarmes des Bourgeois, et les ayant décidés à prendre les armes, je me soumis aux  Commandants qu’ils nommèrent.

Dans tous mes travaux, je croyais si fort n’avoir fait que mon devoir, que je ne voulais tirer ni gloire ni avantage, content dans mon état de gagner six francs par jour, jusqu’à que je m’établisse ; mais plus content encore d’avoir aidé la France à recouvrer sa liberté, et d’avoir causé quelques plaisirs à mes parents au récit de mes actions.

Ces parents informés, par une affiche, que MM. de la Ville demandaient à connaître les Citoyens qui se sont signalés à la prise de la Bastille, ces parents, dis-je, m’obligent d’aller détailler ma conduite à MM. les Commissaires examinateurs à l'Hôtel-de-Ville. Je préfère donner ces détails au Public je m’oppose à ce que la ville de Langres ajoute aucune foi, à ce que mes parents y ont mandé, jusqu'à que j'aie les certificats de tous ceux que je cite dans ma déclaration ; j’invite chacun à me démentir, ou à me donner son approbation. J’ai l’honneur de prier. Messieurs du Bureau de l’Hôtel-de-VilIe, de faire faire les recherches que j’indique, avant d’enregistrer aucun des faits qui me concernent, ni de me donner aucune des récompenses dont ils veulent honorer ceux qui ont servi la Patrie.

Déjà quelques Citoyens combattants pour la liberté, m’ont reconnu à l’Hôtel-de-Ville avec mon habit et ma giberne, ils m’ont fair l’honneur de  vouloir signer ma, déclaration, dont je leur ai fait lecture. J'y ai consenti mais cela ne suffit pas. Tout ce que j’avance a eu des témoins, ainsi il me faut la signature de tous ces témoins.

*

Journée de Jean-Baptiste Humbert, horloger,
qui, le premier, a monté sur les tours de la Bastille


Je me nomme J.B. Humbert, natif de Langres, travaillant et demeurant à Paris chez M. Belliard  Horloger du Roi, rue du Hurepoix (la rue n'existe plus, elle fut intégrée au quai des Augustins, proche de la Seine, dans l'actuel 6ème arrondissement).

Me croyant du District de Saint-André-des-Arcs, je me rendis à cette paroisse, ce lundi matin, ainsi que tous les Citoyens, avec lesquels je fis patrouille le jour et la nuit du lundi au mardi, mais avec des épées, le District n'ayant point de fusils, ou n'en ayant que quelques-uns.

Accablé de sommeil, de fatigue, et de besoin de nourriture, je quittai le District à six heures du matin. J'appris dans la matinée qu'on délivrait aux Invalides des armes pour les District ; je retournai aussitôt en avertir les Bourgeois de Sainte André, qui étaient assemblés vers les midi & demi. M, Poirier Commandant, sentit la conséquence de cette nouvelle, et se disposait à y conduire des Citoyens ; mais, retenu par les demandes des uns et des autres sur différentes choses, il ne pouvait partir ; ne voyant, dans ces différentes affaires, que peu d'importances auprès de l'avantage de procurer des armes aux Bourgeois, je me saisis du sieur Poirier et l’emmenai, comme de force, avec cinq ou six Bourgeois.

Nous arrivâmes aux Invalides environ à deux heures, et nous y trouvâmes une grande foule, qui nous obligea de nous séparer. Je ne sais ce que devint le Commandant, ni sa troupe. Je suivis la foule pour parvenir au caveau où étaient les armes.

Sur l'escalier du caveau, ayant trouvé un homme muni de deux fusils, je lui en pris un, et remontai, mais au haut de l'escalier, la foule était si grande, que tous ceux, qui remontaient, furent forcés de se laisser tomber jusqu'au fond du caveau. Ne me sentant que froissé et non blessé par cette chute, je ramassai un fusil qui était à mes pieds, et je le donnai à i’instant à une personne qui n’en avait point.

Malgré cette horrible culbute, la foule s’obstinait à descendre, comme personne ne pouvait remonter, on se pressa tant dans le caveau, que chacun poussa les cris affreux de gens qu’on étouffe. Beaucoup de personnes étaient déjà sans connaissance alors tous ceux, dans le caveau, qui étaient armés, profitèrent d'un avis donné de forcer la foule non armée, de faire volte-face en lui présentant la baïonnette dans l'estomac. L’avis réussit, alors nous profitâmes d’un moment de terreur et de reculée pour nous mettre en ligne, et forcer la foule de remonter.

La foule remonta, et l'on parvint à transporter les personnes étouffées sur un gazon près du dôme et du fossé. Après avoir aidé et protéger le transport de ces personnes, voyant l'inutilité de ma présence, armé de mon fusil, je cherchai, mais vainement, mon Commandant ; alors je pris le chemin de mon District.

J'appris en chemin qu'on délivrait de la poudre à l'Hôtel-de-Ville. J’y portai mes pas, on m'en donna en effet environ un « quarteron », sans me donner de balles, n'y « en ayant point », disait-on. En sortant de l'Hôtel-de-Ville, j'entends dire qu’on assiège la Bastille. Le regret de n'avoir point de balles me suggéra une idée que j'accomplis aussitôt, c’était d’acheter des petits clous, ce que je fis chez l'Epicier du coin du Roi, à la Grève. Là j'arrangeai, & graissai mon fusil.

En sortant de chez l'Epicier, comme j’allais charger mon fusil, je fus à côté d’un Citoyen qui m’annonça qu’on délivrait des balles à l’Hôtel-de Ville, alors j’y courus et reçus en effet « six petites balles appelées chevrotines ». Je partis aussitôt pour la Bastille, et chargeai mon fusil en chemin. Arrivé par, les quais dans la seconde cour de l'Arsenal je me joignis à quelques personnes disposées à aller au siège.

Nous trouvâmes quatre soldats du Guet-à-pied armés de leurs fusils, je les engageais à venir au siège ; sur leurs réponses qu'il n'avaient ni poudre ni poudre ni plomb, on se cotisa pour leur en donner à chacun deux coups. Alors ils suivirent de bonne volonté.

Au moment que nous passions devant l'Hôtel de la Régie, on venait de briser  deux caisses de balles, qu'on donnait à discrétion j'emplis mes poches de mon habit, afin d’en donner à ceux qui qui en manqueraient. J'en ai encore plus de trois livres à présenter.

A quelques pas de là, j'entendis crier au secours par une femme, j'allai aussitôt à elle, & elle m’apprit qu'on « mettait le feu au magasin des salpêtres ». Elle ajouta, « que c'était une injustice, puisque ce magasin avait été ouvert et livré aux Bourgeois aussitôt qu'ils l'avaient désiré ». Je me fis conduire seul par cette femme au magasin, et j'y trouvai un Perruquier, « muni dans chaque main de deux tisons allumés », avec lesquels il mettait le feu en effet. Je courus sur ce Perruquier, je lui donnât un grand coup de la crosse de mon fusil sur l'estomac, qui le renversa. Alors ayant vu qu’un tonneau de salpêtre était enflammé, je le renversai sans dessus dessous pour l'étouffer, ce qui réussit.

Pendant cette action, deux domestiques de la maison vinrent me supplier de venir les aider à chasser gens mal-intentionnés qui étaient entrés malgré eux, et avaient forcé la salle des archives, je les suivis, je chassai des  appartements plusieurs particuliers qui avaient déjà brisé des armoires, sous le prétexte de chercher de la poudre.

Je sortis de la maison, comblé de bénédictions ; ayant retrouvé les soldats du Guet à qui j'avais donné de la poudre et du plomb, j’obtins de l'un d’eux qu’il se plaçât en faction devant la porte. Je dirigeai aussitôt mes pas vers la Bastille, par la cour l’Arsenal, il était trois heures et demie environ, le premier pont était baissé : les chaînes coupées, mais la herse barrait le passage. On s'occupait à faire entrer du canon à bras les ayant démontés d'avance, je passai par Ie petit pont, et j'aidai en dedans à faire entrer les deux pièces de canon.

Lorsqu'ils furent remontés sur leur affut, d'un plein et commun accord, on se mit en rang de cinq ou six, et je me trouvai au premier rang. Ainsi rangés, on marcha jusqu’au pont-levis du château ; là, je vis deux soldats tués , étendus à chacun des côtés ; à gauche où j’étais, l'uniforme du soldat étendu, était de Vintimille ; je ne pus distinguer l'uniforme du soldat étendu à la droite.

On braqua les canons ; celui de bronze, en face du grand pont-levis & un petit de fer, damasquine en argent, en face du petit pont. Ce canon m'obligea de quitter mon rang et comme on désirait, à cet instant, savoir si, sur le donjon, on ne donnait pas quelques nouveaux signes de paix, je me chargeai de parcourir la terrasse.

Pendant cette mission, on se décida à commencer l'attaque, à coups de fusil : je me hâtai de revenir à mon poste, mais mon chemin se trouvant barré par une foule de monde malgré le péril, pour le reprendre |e revins par le parapet, et repris mon poste ; je fus même obligé de mettre le pied sur le cadavre du soldat de Vintimille.

Nous tirâmes, chacun, environ six coups. Alors il parut un papier, par un trou ovale, la largeur de quelques pouces ; on cessa de tirer : un de nous se détacha, et fut à la cuisine chercher une planche, pour aller prendre le papier, on mit la planche sur le parapet ; beaucoup de personnes montèrent dessus pour faire contrepoids : un homme s’avança sur la planche ; mais au moment où il allait saisir le papier, il fut tué d’un coup de fusil et tomba dans le fossé.

Une autre personne (note : Stanislas Maillard), aussitôt, qui portait un drapeau, quitta son drapeau, et fut prendre le papier dont on fit la lecture à haute et intelligible voix. Le contenu de ce papier n’ayant pas satisfait par la demande qu’il faisait d’une capitulation, on opina de tirer le canon ; chacun se rangea pour passer le boulet,

A l’instant qu’on allait mettre le feu, le peut pont-levis se baissa : à peine était-il baissé qu’il fut rempli ; je n’y fus environ que le dixième. Nous trouvâmes fermée la porte de derrière le pont-levis ; après environ deux minutes, un invalide vint l’ouvrir, et demanda ce qu’on voulait : « Qu'on rendit la Bastille », lui répondis-je, ainsi que tout le monde : alors il laissa entrer. Mon premier soin aussitôt fut de crier qu’on baissât le pont ; ce qui fut fait.

Alors j'entrai dans la grande cour (environ le huit ou le dixième). Les Invalides étaient rangés à droite ; et à gauche des Suisses : nous criâmes bas les armes ; ce qu'ils firent, hors un Officier Suisse. J'allai à lui, et lui présentai la baïonnette, pour l'y forcer, en lui disant encore, bas les armes. » Il s’adressa à l'assemblée, en disant : « Messieurs soyez persuadés que je n'ai pas tiré ».

Je lui dis aussitôt : « Comment oses-tu dire que tu n'as pas tiré, ta bouché est encore toute noircie d'avoir mordu ta cartouche? » En lui disant ces mots, je sautai sur son sabre ; au même instant, un autre particulier en fit autant : comme nous disposions moi et le particulier à qui aurait le sabre, ma vue se tourne du coté d'un escalier à gauche, et j'y vois trois Bourgeois qui avaient monté cinq ou six marches, et qui les redescendaient avec précipitation ; je quittai aussitôt le sabre,, et muni de mon fusil, que je n'avais pas quitté, je me portai vivement sur l'escalier, pour donner du secours aux bourgeois, que je croyais qu'on venait de faire rebrousser chemin : je montai rapidement jusqu'au donjon, sans m'apercevoir que je n’étais suivi de personne ; j’arrivai au haut de l'escalier sans avoir rencontré personne non plus.

Au donjon, je trouvai un soldat Suisse accroupi, me tournant le dos ; je le couchai en joue, en lui criant, bas les armes ; il se retourna surpris, et posa à terre ses armes, en me disant : « Camarade, ne me tuez pas, je suis du Tiers Etat, et je vous défendrai jusqu'a la dernière goutte de mon sang : vous savez que que je suis obligé de faire mon service  ; mais je n'ai pas tiré. » Pendant ce discours je ramassai son fusil, alors je lui commandai, la baïonnette sur l'estomac, de me donner sa giberne et de me passer au col, ce qu’il fit.

Aussitôt après, je fus au canon qui était perpendiculaire au-dessus du pont-levis, à dessein de la démontrer de dessus son affut, pour l'empêcher de servir. Mais comme j'avais l'épaule droite à cet effet sous la gueule du canon, je reçus un coup de fusil partant des environs, dont la balle m'atteignit au col en me perçant mon habit et mon gilet ; je tombai étendu sans connaissance ; le Suisse à qui j'avais donné la vie, me traina sur l'escalier, sans que pour cela j'aie abandonné le fusil, que je trainai avec moi, « à ce qu'il me dit » ; mais j'avais lâché le fusil pris aux Invalides.

Revenu de mon évanouissement, je me trouvai assis sur l'escalier ; le Suisse m'avait secoué pour me faire revenir et pour arrêter le sang qui sortait en abondance de ma plaie, il avait coupé un morceau de sa chemise, qu'il avait mis dessus.

Me trouvant abattu, je me décidai à descendre, en priant le Suisse de me soutenir, ce qu'il fit de bonne grâce. Vers le milieu de l'escalier nous rencontrâmes des Bourgeois cuirassés et non cuirassés qui montaient ; me voyant couvert de sang, ils crurent que c'était le Suisse qui m'avait blessé, ils voulaient le tuer, je m'y opposai en les désabusant. Heureusement ils me crurent à ma parole continuai soutenu par lui, à descendre.

Arrivés ensemble dans la cour, on ne voulut pas laisser sortir le Suisse ; je fus donc obligé de m’en aller seul ; on me fit un passage, en voyant mon sang et ma blessure. Vers la cuisine de la Bastille, je rencontrai un Chirurgien-Major, qui me sollicita de lui montrer ma blessure ; après l’avoir tâtée, il m'assura que j’avais, dans le corps, une balle, qu’il ne pouvait seul retirer , et il me décida à aller dans un Hôpital, me faire panser.

En chemin, je rencontrai un particulier, qui sortait des Minimes, où il venait de se faire panser d’une foulure au poignet. Il me conduisit aux Minimes où l’on voulut bien me panser. On n’y trouva point de balle. Pressé d’une violence soif, on me donna pleine une écuelle d’étain de vin et d’eau, : ce qui me rendit mes forces. Alors je, me levai joyeux dans l'intention de recourir à la Bastille.

Je me rhabillai aussitôt, je repris mon fusil et ma giberne, mais je fus prié instamment de changer de résolution, par les Minimes, qui m’avaient pansé. Ils m’assurèrent : que le mouvement pouvait rendre ma blessure très-dangereuse et ils me firent donner ma parole de retourner dans ma chambre, pour y prendre du repos, qu’ils croyaient absolument indispensable. Ils voulurent me conduire, mais je les remerciai.

En chemin, le souvenir de quelques amis, demeurant rue de la Ferronnerie, me vint à la mémoire ; je les avais quittés le matin et ils avaient paru inquiets sur les dangers que leur faisait pressentir mon ardeur ; je fus chez eux et quatre Bourgeois armés me conduisirent rue du Hurepoix. Je reçus partout des éloges en passant ; mais, arrivé sur le Quai des Augustins, la foule nous suivit, en me croyant un malfaiteur ; et deux fois elle proposa de me mettre à mort ; ne pouvant répondre à tout le monde, j'allais être saisi quand que je fus reconnu par un Libraire du Quai ; il me força d’entrer chez lui, et me sauva des mains de la foule ; je couchai chez lui et y reçus tous les secours dont j'eus besoin.

Je me reposai jusque vers les minuit, que je fus réveillé par les cris répétés, « aux armes! aux armes! » alors je ne pus résister à l’envie d’être encore utile ; je me levai, je m’armai et me rendis au Corps-de-Garde, ou je retrouvai M. Poirier Commandant, sous les ordres duquel je demeurai jusqu’au lendemain matin.

Nous soussignés que les détails faits dans le récit contenant 16 pages, sont exacts en ce qui concerne la prise de la Bastille :

Par MM. Ducastel, canonnier ; Maillard, Richard ; Dupin ; Georget.

Note :

(1) « En février 1781, une nouvelle révolte éclate. Bourgeois et natifs s'emparent du pouvoir et promulguent une loi octroyant l'égalité civile à tous les Genevois. Le roi Louis XVI, que l'aristocratie genevoise a appelé à son secours, s'inquiète de cette révolution qui pourrait donner de mauvaises idées à son propre peuple. À son instigation, une coalition de trois armées composée de troupes françaises, sardes et bernoises assiège Genève, qui capitule le 2 juillet 1782. »
  Source : Archives de la République et canton de Genève
(https://ge.ch/archives/7-troubles-politiques-geneve-au-xviiie-siecle)

 

Légende de l'image :


A gauche : Portrait d'après nature du sieur Harné, natif de Dôle en Franche Comté, grenadier aux Gardes  Francaises qui à monté le premier à l'assaut et a arrêté le gouverneur de la Bastille (...).
A droite : Portrait d'après nature du sieur Humbert, horloger natif de Langres qui a monté le deuxième à l'assaut à la prise de la Bastille le mardi 14 juillet 1789.

Sources : Gallica-Bnf, Journée de Jean-Baptiste Humbert,
 raconté par lui-même et images du musée Carnavalet


La Bastille :
Mémoires
pour servir à l'histoire secrète
du gouvernement français
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Au centre : Le gouverneur De Launay sortant de la Bastille en fin de journée

« Les deux révolutions de 1789 et de 1830 offrent, dans les principales circonstances qui les ont précédées, accompagnées et suivies, une identité frappante ». Notre auteur, Pierre Joseph Dufey, avocat, publie cet ouvrage en 1833. Il avait à peine 19 ans en 1789, il allait connaître les émeutes parisiennes de 1830 et la révolution de 1848. Historien à la fin de ses jours, il a retracé sur une vingtaine de pages dans un chapitre, les événements vues principalement depuis la Bastille, des journées du 12, 13 et 14 juillet.

Avec des apports très précieux et précis, il n’est pas si facile de trouver un récit qui ne soit pas l’objet de considérations à l’égard des foules parisiennes méprisantes, ou bien échappant à des préjugés sociaux. Ce texte non seulement ne se trompe guère, et fait un état de la journée connue heure par heure, allant d’environ huit heures du matin à cinq heures trente de l’après-midi, quand le gouverneur de la place décide de se rendre. Le reste correspond au mieux au déroulement et certaines indications n’apparaissant pas toujours dans d’autres textes.

La question est de savoir avec notamment des chiffres contradictoires sur le nombre de participants, comment l’on passe selon les auteurs du simple au double, voire au triple, l’estimation la plus haute étant de 50.000 personnes. Cela semble très difficile à apprécier, un individu peut à lui seul être parent et disposer d’une grande famille, et si un seul membre y prenait part, n’était-il pas aussi le porte-voix ou le délégué de son foyer? De plus comment comptabiliser, combien d’endroits disséminés dans la capitale ont été l’objet de rassemblements?

A ce sujet, ils furent plusieurs. La foule fut compacte en se rendant aux Invalides, les quartiers populaires, c’est-à-dire les faubourgs étaient en très grosse effervescence, les jardins du Palais Royal, l’Hôtel de Ville et la place de Grève furent des sites actifs. Ils ont été les points chauds de ces journées. Les armées présentes autour de la capitale étaient surtout concentrées à l’ouest, sur les champs Elysées et aux champs de Mars, duquel de Broglie eut le sentiment de faire face à 300.000 personnes.

Ce comptage des forces peut tourner à une bagarre de chiffre, et dans ce cas, on peut présumer que cette masse incalculable fut l’objet d’une peur manifeste, ou d’une réalité pas loin de la multitude. Plus que l’idée d’y voir que de petits foyers d’agitation, ce fut au moins la moitié de la ville qui était en agitation. Si le verrou des barrières sauta, le 12 au soir et dans la nuit, pendant plusieurs jours cela grouilla de partout, sans considération d’âge de sexe ou de condition, et l’estimation haute probablement en dessous des faits.

La question serait de savoir comment cela a pu converger? Surtout en l’absence de tête (ou leader) des foules, comment se sont organisés les faubourgs ou les quartiers (paroisses), notamment là où la population était la moins aisée dans la ville, sans parler des traînes misères qui peuplaient les rues et les campagnes avoisinantes? Pour les témoignages, si l’on a pu en conserver quelques-uns de parisiens, fallait-il être présent au bon moment, ou au bon endroit, que la mémoire ne fasse pas défaut! Normalement c’est irracontable, ou il faut citer un ou tous les témoignages et vérifier plein de détails et les confondre, alors comment faire parler une masse d’anonyme, si de plus on dispose à son sujet de beaucoup trop de jugements de valeur?

Croire comme le pense Michelet, au fil d’un récit allégorique dans son histoire de la Révolution, que tout cela a été fait sous l’égide de grandes valeurs, c’est un peu grossier et tiré par les cheveux. Si le symbole de la Bastille est à prendre en considération comme la chute d’une justice arbitraire, et, en tant que symbole, plus que dans les faits, c’est la poudre qui conduisit à la Bastille la population. Le matin, les Parisiens s’étaient emparés des armes entreposées aux Invalides. Sur un mode moins cocardier et plus social, les émeutes contre le mur des Fermiers généraux et les boulangers furent en lien avec l’appel des ventres, plus qu’en l’édification de principes nouveaux ou fondateurs.

Ensuite, il faut prendre en compte - que ce qui allait être central et mettre tout le monde en mouvement avec la question des armes. Sur lesquelles la bourgeoisie et ses milices - qui deviendra la future Garde nationale - allaient avoir le dessus et le monopole de la distribution. Et récupéreront après l’insurrection celles-ci en les rachetant auprès des ouvriers. S’il existe une responsabilité ou une direction se dessinant, il faut y voir les électeurs des États-généraux et relais dans chaque district de la nouvelle Assemblée nationale devenue Constituante.

L’objet du camp royaliste était de trouver un prétexte pour faire tomber le Parlement du Tiers et ses amis. S’il n’y avait pas d’ordre apparent, toutefois ce fut mener de main de maître, sans qu’on puisse distinguer pour quel intérêt spécifique, sauf à savoir que la bourgeoisie en sortie gagnante et que les bustes portées de Lafayette ou de Necker par certains ne représentaient pas tout le petit peuple, les gens du commun, c’est-à-dire la masse ouvrière ou des "bras nus".

La Bastille faisait affiche de fantasmagorie, cette prison très présente dans les mémoires parisiennes n’a pu que remuer son lot de bruits (rumeurs), sans qu’elle soit vraiment connue pour ses activités internes. De plus, les prisonniers étaient tenus par le secret de leur séjour, ils signaient à cette fin un engagement, s’il se voyaient libérés. Face à un système opaque et voulu en tant que tel, un homme en particulier  allait construire la légende presque de A à Z et nourrir les histoires à dormir debout de la Bastille et aussi de Vincennes.

Un personnage insolite qui connut un succès mondain, il fut enfermé sous Louis XV et libéré une année avant la révolution. Il a connu un succès littéraire important avec ses mémoires et assura ses vieux jours. On le vit apparaître à Paris pendant la Révolution de 89 avec son échelle légendaire qui lui permit de s’évader de la forteresse et qui doit subsister au Musée Carnavalet. Cet individu, nommé « Latude » était un pseudonyme et il en eut plusieurs, ce que l’on appelait en langage des prisons des blazes. Un grand mystificateur allant devenir un héros de légende, le dénommé Latude a beaucoup participé à faire de la Bastille un emblème de la chute de l’ancien régime. Il existe du coup quelques raisons de vouloir en expliquer quelques faisceaux de vérité. Mais de là à en rétablir toute la vérité, revenez au début du texte et aux interrogations posées!

Note de Lionel Mesnard, le 14/01/2016

"La Bastille : mémoires"


Insurrection parisienne. Prise de la Bastille.
Siège de Paris

Pierre-Joseph Dufey
(Chapitre XIV)

« Des mouvements partiels et bornés à certaines localités annonçaient, avant et depuis, la convocation des états-généraux, la tendance générale des esprits vers un meilleur ordre de choses ; mais cette opposition manquait d'ensemble et de force ; il fallait un point d'appui, un centre commun de direction. Les provinces soumises à des régimes différents, plus ou moins favorables au développement des facultés intellectuelles, à la connaissance, à l'appréciation de leurs droits politiques. Les pays d'états étaient plus avancés en civilisation ; ils donnèrent le premier signal d'une résistance combinée. La Bretagne, le Dauphiné, le Béarn se confédérèrent ; mais, séparées par de grandes distances, ces provinces ne pouvaient agir ensemble. La cour leur opposa la force brutale, et partout elle fut vaincue. Tout changea après la fameuse séance du jeu de Paume (20 juin 1789). Le plan de la cour était habilement combiné : isoler les trois ordres, en leur assignant pour délibérer des villes différentes, les faire voter par ordre et non par tête ; et si l'assemblée nationale s'opposait à cette combinaison, la dissoudre et gouverner par ordonnances.

Pour l'exécution de ce plan, une armée nombreuse, et composée de tous les régiments suisses et allemands à la solde de France, avait été réunie autour de Versailles et de Paris. On croyait s'être assuré de la capitale en augmentant la garnison de la Bastille, en triplant l'armement de la place en artillerie, en munitions. Cet appareil menaçant ne fit qu'irriter ; l'assemblée avait derrière elle la nation qu'elle représentait. Les députés du tiers, ne pouvant s'assembler dans la salle de leurs délibérations, se réunirent au jeu de Paume : déjà ils avaient prouvé qu'ils comprenaient toute l'importance de leur mandat, toute l'étendue de leur pouvoir et la dignité de leur mission. Jusqu'alors les orateurs du tiers n'avaient parlé au roi qu'à genoux : la première députation envoyée au roi, s'affranchit de cette humiliation. Les députés des ordres privilégiés ne s'attendaient pas à tant d'audace; cette députation revenait du château : « Comment le roi vous a-t-il reçu? disent les nobles et le haut clergé? Nous étions debout, répondit Bailly, et le roi n'était pas assis. » Cette réponse a retenti dans toute la France : des adresses d'adhésion, votées dans toutes les localités, annoncèrent à l'assemblée que la nation entière se ralliait à ses représentants. Les distinctions d'ordre, de provinces disparurent; il n'y eut plus de députés du tiers-état, mais des représentants des communes de France.

L'assemblée fut forte de toute la puissance de la nation. Le serment du jeu de paume est le grand évènement du siècle. La délibération de l'Assemblée nationale était ainsi conçue, « considérant qu'appelée à fixer la constitution du royaume, après la régénération de l'ordre public, et à maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut l'empêcher qu'elle ne continue ses délibérations et ne consomme l’oeuvre importante pour laquelle elle est réunie, dans quelque lieu qu'elle soit forcée de s'établir, et qu'enfin partout où ses membres se réunissent, là est l'assemblée nationale a arrêté :
« Que tous les membres de cette assemblée prêteront à l'instant serment de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l'exigeront, que la constitution et la régénération publique ne soit établie et affermie, et que ledit serment étant prêté, tous les membres, et chacun d'eux en particulier, confirmeront cette résolution inébranlable par leur serment. »  Fait en assemblée nationale, à Versailles, au jeu de paume, 20 juin 1789.


Serment du jeu de Paume

Le serment fut immédiatement prêté à l'unanimité; toute l'assemblée se leva comme un seul homme. L'occasion de prouver qu'elle y serait fidèle au jour du danger ne se fit pas attendre. La fameuse séance royale, annoncée depuis quelques jours, eut lieu le 25 juin; l'autorité royale s'y montra dans le plus menaçant appareil. Les derniers mots du roi furent un ordre de se séparer; les membres du haut clergé et de la noblesse s'empressèrent d'obéir, et les députés des communes restèrent sur leurs bans, et l'on connaît l'énergique réponse de Mirabeau au maître des cérémonies Brezé. « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple, et que nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes ». Tous les députés des communes s'écrièrent d'une voix unanime : « Tel est le voeu de l'assemblée ».

Brezé se retira, et sur la proposition de Mirabeau, l'assemblée, à la majorité de quatre cent quatre-vingt treize voix contre vingt-quatre, rendit le décret suivant : « à L'assemblée déclare que la personne de chacun des députés est inviolable ; que tous individus, toutes corporations, tribunal ou commissions qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député, pour raison d'aucunes propositions, avis, opinions ou discours par lui faits aux états-généraux, de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucun desdits attentats, de quelque part qu'ils soient ordonnés, sont infâmes et traîtres envers la nation, et coupables de crime capital. L'assemblée nationale arrête que, dans les cas susdits, elle prendra toutes les mesures nécessaires pour faire rechercher , poursuivre et punir ceux qui en seront les auteurs, instigateurs ou exécuteurs. » L'assemblée poursuivit, avec la plus courageuse persévérance, le cours de ses travaux. La cour s'environna de toutes les troupes étrangères à la solde de France: son but était de s'emparer par force de l'assemblée et de la capitale.

Le maréchal de Broglie fut chargé de présenter le plan de campagne, et de l'exécuter; le Suisse Bezenval, commandant de l'Ile-de-France, c'est-à-dire de la capitale et des environs, fit renforcer la garnison de la Bastille et l'artillerie du château. Des régiments furent échelonnés autour de Paris; l'École Militaire ; le Champ de Mars, Courbevoie, Neuilly, Vincennes se remplirent de troupes. La capitale fut bloquée.Paris n'avait pour magistrats que des créatures de la cour; la faction révolutionnaire comptait sur une victoire infaillible et décisive. Insensés qui voyaient toute la France dans la capitale, et qui n'apercevaient pas toutes les provinces prêtes à marcher à son secours ! La guerre civile était imminente. La cour n'avait point suspendu ses relations avec l’Assemblée nationale ; elle ne voulait que gagner du temps, elle n'attendait que la réunion de toutes les troupes qu'elle faisait venir des distances les plus éloignées. Toutes ses mesures étaient prêtes, le signal allait être donné : le moment de l'attaque était fixé. La cour avait employé plus d'un mois à combiner son plan et ses moyens d'exécution. Quelques heures ont suffi au peuple parisien pour improviser une armée.

Le prince Lambesc, à la tête d'un régiment allemand, avait osé, le 12 juillet, envahir les Tuileries et charger les groupes paisibles des promeneurs, il fut forcé bientôt de se retirer devant une foule indignée. Des gardes françaises s'étaient réunis aux citoyens : tout devient arme pour ces premiers soldats de la liberté : le sang avait coulé, le besoin de la commune défense, l'imminence du danger ne permettaient pas de délibérer. La couleur verte fut le premier signe de ralliement , il disparut bientôt, c'était la couleur d'Artois; cette couleur fut immédiatement remplacée par celle de la ville, rouge et bleue. Le blanc ne fut ajouté que le 17 juillet, lorsque Louis XVI fut à l'Hôtel-de-Ville.

La charge du prince Lambesc aux Tuileries, le dimanche 12 juillet, rendait plus vive, plus générale l'irritation causée par le renvoi de Necker et le renouvellement du ministère. Ce coup d'état était l'ouvrage du conciliabule de Trianon. Le gouverneur de la Bastille, Delaunay, qui avait mis le château en état de défense, depuis l'insurrection du faubourg Saint-Antoine, venait de recevoir de nouveaux renforts. Il y avait sur les tours quinze pièces de canon, dont onze de huit livres et quatre de quatre livres de balles, trois autres pièces de ce dernier calibre, avaient été placées dans la grande cour, en face de la porte d'entrée; ces trois pièces avaient été tirées de l'arsenal. Il avait également fait entrer dans la place douze fusils de rempart portant une livre et demie de balles.

Les munitions se composaient de quatre cents biscaïens, quatorze coffrets de boulets sabotés, quinze mille cartouches, des boulets de calibre, deux cent cinquante barils de poudre, du poids de cent-vingt-cinq livres chacun. Ces barils ont été transportés de l'arsenal à la Bastille, dans la nuit du 12 au 13 juillet, par les Suisses du régiment Salis-Samade ; ils furent en grande partie déposés dans le cachot de la tour la Liberté, le reste fut déposé dans la Sainte Barbe, sur la plateforme. Plusieurs jours auparavant, le gouverneur avait fait porter sur les tours six voitures de pavés, de vieux ferrements, des boulets; il avait fait élargir les embrasures de canon pour faciliter le service des pièces placées en face de l'hôtel du gouvernement. Le prisonnier Tavernier avait été transféré de la première chambre de la tour Bastille, dans la troisième de la tour Comté. On avait pratiqué, dans la chambre qu'il avait occupé, des meurtrières d'où l'on avait tirer sur le pont. Le logement du gouverneur était défendu par un retranchement de madriers de chêne, assemblés à rainures et languettes, et de nombreuses ouvertures avaient été pratiquées dans l'épaisseur de ces madriers, pour y placer les canons des fusils. Les ponts-levis avaient été réparés et les gardes fous enlevés.

Les provisions de bouche n'étaient pas augmentées dans les mêmes proportions, elles se bornaient à deux sacs de farines et un peu de riz. Le 12, au matin, des soldats avaient été chercher des vivres. La garnison se composait de trente-deux Suisses, commandés par M. de Flue, quatre-vingt-deux soldats invalides, dont deux canonniers. La journée du 12 avait été très agitée ; dès sept heures du soir, des groupes nombreux circulaient dans la ville, la nuit le tocsin avait retentit dans tous les quartiers, les armes avaient été enlevées dans toutes les boutiques d'armuriers, toutes les barrières, et le couvent des Lazaristes étaient en feu. Les électeurs se réunirent spontanément à l'Hôtel-de-Ville, et les citoyens dans leurs districts respectifs. Des armes avaient été demandées par les nouveaux magistrats au gouverneur des Invalides et refusées, sous prétexte qu'on avait pas écrit en cour pour y être autorisés. Mais le peuple envahit l'hôtel ; de nombreux dépôts d'armes sont découverts. Trente mille fusils et six pièces de canon sont au pouvoir des insurgés. (de 28.000 à 38.000 fusils selon les auteurs et jusqu’à plus de trente pièces d’artillerie, sans poudre et munitions suffisantes).

La milice bourgeoise s'organise par distri; l'assemblée des électeurs défère le commandement au duc d'Aumont et au marquis de la Salle. M. de Caussidière fut nommé major général. La milice bourgeoise se composait de seize légions, de trois mille hommes chacune. Une seule marque distinctive fut permise. La cocarde bleu et rouge : il n'était, permis qu'aux citoyens de la milice bourgeoise de la porter. Les Gardes-Françaises s'étaient réunies aux citoyens, dirigeaient les patrouilles et les détachements. Quatre barils de poudre et quatre-vingts autres, saisis à bord d'un bateau sur le port Saint-Nicolas avaient été portés à l'Hôtel-de-Ville, et furent distribués immédiatement aux citoyens armés.

Le même jour, 13 juillet, à deux heures du matin, M. Delaunay avait fait prendre les armes à toute sa garnison, et fermer les portes des casernes; deux soldats furent seuls détachés et postés en dehors pour surveiller l'ouverture et la fermeture des portes, donnant sur l'Arsenal et la rue Saint-Antoine. Ils furent enlevés par le peuple, et conduits à l'Hôtel-de-Ville, interrogés et mis immédiatement en liberté. La garnison resta consignée dans l'intérieur du château, et sous les armes pendant toute la journée. Des factionnaires furent placés sur tous les points qui pouvaient être menacés, et douze soldats sur les tours pour observer les approches du château. Entre onze heures et minuit, plusieurs coups de fusil furent tirés sur ces soldats. Ils crièrent aux armes. Le gouverneur, accompagné de plusieurs sous-officiers, se hâta de monter sur les tours , et y resta une demi-heure, sans rien entendre, et se retira.

Le 14, à dix heures du matin , trois citoyens, Belon, officier de l'arquebuse, et deux sergents aux Gardes Françaises, se présentèrent en députation. Leur démarche n'eut aucun résultat; ils se reliraient, quand une députation plus nombreuse, ayant à la tête M. de la Rosière, avocat au parlement, obtint l’entrée. Il pénétra avec quelques-uns des citoyens qui l'accompagnaient.
« Je viens, dit-il au gouverneur au nom de la nation et de la patrie vous représenter que les canons que l'on voit braqués sur les tours de la Bastille, causent beaucoup d'inquiétude et répandent l'alarme dans tout Paris. Je vous supplie Monsieur de les faire descendre ;  et j'espère que vous voudrez bien acquiescer à la demande que je suis chargé de vous en faire». – « Je ne puis les faire descendre qu'en vertu d'un ordre du roi », a répondu. M. de Launay. Cependant il permit à M. de la Rosière d'entrer a dans la cour intérieure. M. de la Rosière somma « les soldats y au nom de la nation et 4e l'honneur, de changer la direction des canons et de se rendre. »
Les officiers et les soldats déclarèrent qu'ils ne se serviraient de leurs armes que dans le cas qu'ils seraient attaqués. M. de la Rosière monta sur les tours, et, avant d'en descendre, il déclara au gouverneur que le peuple se retirerait, si l'on consentait à recevoir dans la place une garde de la milice parisienne? qui partagerait le service avec les soldats de la garnison.

Cependant la foule qui se pressait autour du château demandait, à grands cris, les députés M. de la Rosière et ses collègues se hâtèrent de sortir. Ils avaient a peine franchi la porte extérieure, que la foule se rapprocha dès murs, en criant : Nous voulons la Bastille, en bas la troupe ! Louis Tournay, ancien soldat au régiment Dauphin, infanterie, et un autre citoyen, montèrent sur la boutique de Riquet, parfumeur, adossée au mur extérieur. Tournay passa de ce mur sur le corps de garde, et de là dans la cour du gouvernement. A sa demande on lui jeta une hache, avec laquelle il brisa les verrous et les serrures ; un autre brave fixant une baïonnette entre les pierres des murs d'appui, s'efforçait de briser les chaînes du grand pont-levis. D'autres se joignent à eux, s'élancent sur le grand pont et le petit pont de l'avancée ; une foule se précipite sur leurs pas, et fait une décharge sur la garnison, qui riposte par un feu bien nourri, pour empêcher l'attaque du second pont. Plusieurs citoyens tombent sous cette première décharge; les autres se replient et vont se poster sous les voûtes de la porte de Bois, dans la cour de l'Orme, et sous la voûte de la grille. Ils s'arrêtent et recommencent le feu contre la troupe qui défendait le second pont.

Le bruit de la mousqueterie est bientôt couvert par les roulements des tambours et les cris d'une foule immense et armée, que précède une députation de l'assemblée des électeurs, et le drapeau de la ville. Cette colonne s'avance du côté de l'Arsenal. Les hostilités sont suspendues. Cette députation, de la nouvelle magistrature municipale, se composait de M. de Corny, procureur du roi ; de MM. la Fleurie et de Milly, électeurs du district des Filles-Saint-Thomas ; Boucheron, du district Saint-Louis ; Courans, commissaire de police ; Six, architecte de la ville ; M. Johannon portait le drapeau.

Arrivés par la rue de la Cérisaye, dans la cour de l'Orme, ils s'arrêtèrent en face de la plate forme de la Bastille, le porte-drapeau et le tambour se dirigèrent vers le pont-levis, malgré les cris de la foule : « Gardez-vous d'avancer, on tirera sur vous comme on vient de le faire sur lés autres parlementaires. » Mais M. de Corn y avait vu arborer un pavillon blanc sur la plate-forme; les soldats portaient leurs armes renversées, et élevaient leurs chapeaux en l'air. C'était un signe évident de réception amicale. M. de Corny et ses collègues engagèrent la foule à se retirer. Cette retraite commençait à s'exécuter lorsqu'une pièce de canon fut pointée sur la cour de l'Orme : au même instant une décharge de mousqueterie, couvrit d'une grêle de balles la députation et ceux qui l'environnaient. Trois citoyens tombèrent morts aux pieds des commissaires.  Ils se retirèrent pour faire leur rapport à l'Hôtel-de-Ville.

La foule reprit sa position, et couvrit bientôt les trois cours de l'Orme, du Passage et du Gouvernement. Une nouvelle députation, composée de MM. Delavigne, l'abbé Fauchet, Chinard, électeur; Bottidout, député suppléant de la Bretagne, se présenta ; et, pour qu'on ne puisse révoquer en doute la légalité de sa mission, elle devait remettre au gouverneur l'arrêté du comité permanent, ainsi conçu :

« Le comité permanent de la milice parisienne, considérant qu'il ne doit y avoir aucune force militaire, qui ne soit sous la main de la ville, charge les députés qu'il adresse à M. le marquis de Launay, commandant de la Bastille, de lui demander s'il est disposé à recevoir dans cette place les troupes de la milice parisienne, qui la garderont, de concert avec les troupes qui s'y trouvent actuellement, et qui seront aux ordres de la ville. »

Fait à l'Hôtel-de-Ville, ce 14 juillet 1789, Defleselles, prévôt des marchands et président du comité ; Delavigne, président des électeurs.

Les commissaires virent tomber autour d'eux plusieurs citoyens sous les halles des assiégés, et ne purent parvenir jusqu'au gouverneur. Une autre députation du district de Saint-Paul, qui s'était avancée jusque sous le feu de la place, fut contrainte de se retirer. L'assemblée des électeurs avait cru devoir épuiser tous les moyens de conciliation pour prévenir l'effusion de sang ; mais les Bourbons, parvenus au trône sous la protection des baïonnettes étrangères, n'ont jamais reculé devant le plus grand des crimes politiques, la guerre civile. Henri IV avait pour auxiliaires les troupes anglaises et les Suisses ; Louis XVI n'obéissait qu'aux furibondes inspirations du comité de Trianon, l'assemblée des électeurs de Paris ne voyait partout que des Français, et ne soupçonnait pas même que le gouverneur de la Bastille avait pu recevoir des ordres secrets. Mais ces ordres devaient lui être révélés le jour même.

Tandis qu'on délibérait à l'Hôtel-de-Ville, le peuple agissait, il enfonçait, à coups de hache, les portes des casernes intérieures, et s'en rendit bientôt maître. Trois voitures de paille sont traînées dans les cours, et bientôt un vaste incendie dévore le corps de garde avancée, les cuisines, et l'hôtel du Gouvernement, sous une grêle de mitraille. Le combat durait depuis cinq heures, quand une nouvelle colonne, composée de gardes françaises et de citoyens armés, s'avança dans la cour de l'Orme, et mit en position deux pièces de quatre, un canon plaqué en argent, enlevé au garde-meuble, et un mortier.

A quatre heures du soir, le gouverneur, désespérant de soutenir plus longtemps le siège de la place, prit la résolution désespérée de s'ensevelir sous ses ruines, il se saisit d'une mèche pour mettre Le feu aux poudres déposées dans la tour de la Liberté. Deux sous-officiers, Bequard et Ferraud, lui présentèrent la baïonnette et le forcèrent de se retirer ; il proposa de monter sur les tours, et de continuer à se battre et à se faire sauter plutôt que de se rendre. La garnison insista pour arborer le drapeau de détresse et demander à capituler. Un tambour, accompagné d'un soldat, portant un drapeau blanc, firent trois fois le tour de la plate-forme. Mais le peuple ne faisait attention ni au drapeau, ni au rappel du tambour, et continuait de tirer sur le château. Le tambour était descendu depuis un quart d'heure, quand on s'aperçut que le feu de la place avait cessé.



Bernard-René de Launay
 
Les assiégeants s'avancèrent jusqu'au pont intérieur, en criant : « Abaissez le Pont ». L'officier, Suisse demanda au nom de la garnison qu'il leur fut permis de sortir avec les honneurs de la guerre. Mille voix répondirent : « Non , abaissez votre pont, il ne vous arrivera rien ». Le même officier écrivit un projet de capitulation ainsi conçu : « Nous avons vingt milliers de poudre, nous ferons sauter le fort et tout le quartier, si vous n'acceptez. » Il fallait aller chercher cet écrit qu'on voyait poindre à travers un créneau auprès du pont-levis ; une grande planche fut placée sur le fossé ; un combattant, Réole, s'avança sur ce frêle appui, el reçut cette capitulation : il la remit à Elie, qui, après l'avoir lue, cria à haute voix au commandant suisse : « Foi d'officier, nous l'acceptons, baissez vos ponts ». Au même instant, un autre citoyen s'avança sur la planche, et tâcha d'agrandir, à l'aide d'une pique, le trou par lequel on avait glissé la capitulation : il perdit l'équilibre, tomba dans les fossés et se blessa grièvement dans sa chute.

Le petit pont fut enfin baissé, les assiégeants s'y précipitèrent en foule. Bientôt après la porte fut ouverte, et le grand pont n'était plus levé. Les Invalides furent désarmés, et les Suisses, qui jusqu'alors n'avaient cessé de faire feu à travers les créneaux et les meurtrières, avaient quitté leurs armes ; ils portaient des capotes de toile grise. On les prit pour des détenus : un seul fut tué, dans la cour du passage, en fuyant, dès qu'il s'était aperçu que le pont-levis était baissé : « c'était lui qui, avec un fusil de rempart, avait fait le plus de mal aux assiégeants ». Les autres furent conduits à l'Hôtel-de-Ville, où les Gardes Françaises sollicitèrent et obtinrent leur grâce. Deux invalides furent pendus. Tous les autres furent sauvés, et durent la vie aux mêmes Gardes Françaises, qui les accompagnèrent jusqu'à la caserne de la Nouvelle-France, où ils leur prodiguèrent tous les soins de la plus généreuse hospitalité.

Le Passage fut le dernier point vivement disputé; enfin, les assiégeants l'ont emporté. Un grenadier, Garde Française, Arné, s'est élancé le premier sur les tours; il élève son bonnet au bout de son fusil. A ce signal de victoire, le feu a cessé partout ; le drapeau parisien est salué par les acclamations d'un peuple immense. Le gouverneur est arrêté ; deux Gardes Françaises le saisissent : un jeune littérateur, La Reynie, dresse les articles de la capitulation. Eperdu, tremblant au milieu de la foule des vainqueurs, Delaunay s'est jeté dans les bras d'un jeune citoyen, Templement, qui brave tous les dangers pour sauver le prisonnier qui s'est remis à sa foi ; mais, parvenu.à la Grève, Delaunay est arraché à son libérateur, séparé de sa faible escorte, tombe percé de coups : sa tête est placée au bout d'une pique.

Un paquet adressé à M. du Puget, major de la Bastille , avait été saisi et porté au comité permanent par M. Boucheron, du district Saint Gervais : il contenait les deux billets suivants ; l'un, adressé au major du Puget ; l'autre , au gouverneur : « Je vous envoie , mon cher du Puget, l'ordre que vous croyez nécessaire ; vous le remettrez. Paris, ce 14 juillet. BEZENVAL ». « M. Delaunay tiendra jusqu'à la dernière extrémité. Je lui ai envoyé des forces suffisantes.
» Paris, ce 14 juillet 1789. Le baron de BEZENVAL. Ce paquet était parvenu au comité avant l'attaque de la Bastille, et décida le mouvement.

La conduite du prévôt des marchands, de Flesselles, avait paru plus qu'équivoque ; il affectait le plus grand zèle, le plus grand dévouement pour la caisse nationale ; et agissait réellement en sens contraire. Toute la population demandait des armes ; et M. de Flesselles avait envoyé les citoyens, qui les demandaient, non aux Invalides, mais, aux Chartreux et à Saint-Lazare ; ses ordres étaient de véritables mystifications. Des mémoires du temps affirment qu'il avait trouvé à la Bastille, parmi les papiers du gouverneur, un billet de M. de Flesselles, ainsi conçu: « J’amuse les Parisiens avec des cocardes et des promesses ; tenez jusqu'au soir, vous aurez du renfort ». M. de Flesselles était sans doute dans le secret de la cour ; il savait que, dans la nuit du 14 au 15, l'armée commandée par le maréchal de Broglie devait attaquer Paris. Déjà on criait à la trahison, on signalait le prévôt des marchands, et même tous les membres du comité permanent. Les innocents et, les coupables allaient périr ; un incident imprévu changea la scène.

Elie officier du régiment de la reine, (H)Arné, Hullin et d'autres Gardes Françaises et citoyens, sont portés en triomphe dans la salle des électeurs, et salués du nom de vainqueurs de la Bastille. Des groupes se succèdent ; MM. de la Reynie et Guinaut déposent sur le bureau l'argenterie de l'hôtel du gouverneur, et de la chapelle de la Bastille, le drapeau de ce château-fort, et M. de la Salle, à qui Elie avait remis les clefs, les dépose aussi sur le bureau. Un jeune citoyen porte au bout de son fusil le grand registre traversé par la baïonnette. Bientôt on apprend la mort du gouverneur, tué au bas du perron de l'Hôtel-de-Ville ; du major de Losme-Salbray, tué sur la place de Grève, vis-à-vis l'arcade Saint-Jean ; Miray, aide major de Person, lieutenant des Invalides ; le premier avait péri rue des Tournelles, le second sur le port au blé.

Un murmure accusateur se renouvelle contre le prévôt des marchands, les cris augmentent, et M. de Flesselles effrayé se lève et dit: « Je suis suspect à mes concitoyens, il est indispensable que je me retire. » Il fait un mouvement pour descendre de l'estrade et s'arrête : et Vous serez, leur dit M. Delapoise, électeur, « responsable des malheurs qui vont arriver ; vous n'avez pas encore remis les clefs du magasin de la ville, où sont ses armes et surtout ses canons. »  M. de Flesselles, sans proférer un seul mot, a tiré des clefs de sa poche, et les a présentées à M. Delapoise, qui les a remises à un autre électeur.

Les interpellations au prévôt des marchands se succédèrent plus vives et plus menaçantes. Là, on parle de le garder comme otage ; ici, de le conduire à la prison du Châtelet ; un autre, au Palais Royal. Mille voix appuient cette dernière proposition. M. de Flesselles répond ; Eh bien! messieurs, allons au Palais Royal. Il descend de l'estrade, traverse la salle. Les flots de la multitude se pressent autour de lui. Il pénètre avec peine à l'extrémité de la place de Grève, et tombe au coin du quai Pelletier, mortellement blessé d'un coup de pistolet, tiré par une main inconnue.

Tandis que ces scènes sanglantes se passaient à l'Hôtel-de-Ville et sur la place de la Grève, le peuple enfonçait les cachots de la Bastille, et délivrait les prisonniers. Il n'en restait qu'un très petit nombre : les autres avaient été, quelques jours auparavant, transférés dans une autre prison d'état. Il fut impossible de trouver les clefs des cachots ; il fallut en briser les serrures et les verrous à coups de hache et de marteaux, et huit malheureux destinés à périr dans les fers, sont rendus à la vie, à la liberté et au bonheur. Le vieux comte de l'Orge voit tomber à ses pieds les chaînes qu'il portait depuis vingt-deux ans ; Tavernier n'est plus qu'un squelette animé ; il n'a plus aucun souvenir du monde ; il avait été dix ans enfermé aux îles Sainte Marguerite, et transféré à la Bastille, où il a végété dans les cachots depuis le 4 août 1759. Il était fils naturel du fameux financier Paris Duverny. La cause ou plutôt le prétexte de cette captivité de plus de quarante années était le soupçon d'un attentat contre le roi. Six autres prisonniers furent délivrés : Pujade, Laroche, le comte de Solages, de Wyte, le Gaurege, Bechade.

Le public ne s'enquérait que des deux vieillards, d'autres noms occupaient l'attention publique, ceux des vainqueurs de la Bastille, qui s'étaient le plus distingués dans cette grande journée. Partout on répétait, avec l'accent de la reconnaissance, les noms d’Elie, Hullin, Humbert, Templement, Laiser, Maillard, Canivet, Turpin, de Laurière, Guinaut, Cholat, Rosière, Marqué, et tant d'autres. On a vu une jeune Parisienne, sous des habits d'homme, combattre à côté de son amant, dont elle ne voulut jamais se séparer ; d'autres femmes, des enfants , se sont associés aux dangers, à la gloire de tant de braves. L'assemblée des électeurs avait envoyé des commissaires à l'Assemblée nationale, à Versailles, rendre compte des évènements de la capitale. Une adresse énergique au roi, fut à l'instant votée et rédigée. L'assemblée réclamait l'éloignement des troupes qui cernaient Paris et Versailles. La députation, chargée de porter au roi cette adresse, allait sortir de la salle quand Mirabeau suspendit un instant sa marche par cette éloquente improvisation sur ce qu'elle devait dire au roi.
« Dites lui que des hordes étrangères (*), dont nous sommes investis, ont reçu hier la visite des princes , des princesses, des favoris, des favorites, et leurs caresses, et leurs exhortations, et leurs présents ; dites lui que ces satellites étrangers, gorgés d'or et de vin, ont prédit dans leurs chants impies, l'asservissement de la France, et que leurs voeux brutaux invoquaient la destruction de l'assemblée nationale ; dites lui que dans son palais même, les courtisans ont mêlé leurs danses au son de cette musique barbare, et que telle fut l’avant-scène de la Saint-Barthélemy ; dites-lui que ses conseillers féroces font rebrousser les farines, que le commerce apporte dans Paris, fidèle et affamé. »
Ces mots résument toute la position de la cour et de la capitale.

(*) Toutes les troupes qui menaçaient Paris se composaient de régiments étrangers à la solde de la France ; tous les soldats étaient Allemands, Suisses, Piémontais , etc.




Notes en compléments :


Note 1 :
quand il est fait part du « Trianon », il s’agit de la reine, de Polignac, de Broglie et Bézenval se concertant.

Note 2 :
Cependant, les deux billets saisis sur le gouverneur de la Bastille, les dépêches ministérielles interceptées confirmaient le bruit d'une prochaine attaque contre la capitale. Les troupes campées autour de Paris avaient fait un mouvement » (P.J. Dufey, page 256)

Source Gallica-Bnf : La Bastille : mémoires pour servir à l'histoire secrète du gouvernement français
depuis le 14ème siècle jusqu'en 1789
- CHAPITRE XIV - 13, 14, 15 juillet 1789. Première insurrection parisienne - Prise de la Bastille - Siège de Paris.


Suite sur la Révolution française...
L'année 1789, du 15 juillet à décembre

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