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Sommaire
de la page,
Histoire des Juifs à
Paris au
Moyen
Âge,
(seconde
partie du VIe au XIVe siècle)
- Présentation et note
de lecture
- Chilpéric Ier, roi de Paris et le Juif Priscus, Par Augustin Thierry
- Les Antiquités de la ville de Paris, Par Henri Sauval
En trois étapes : Haut Moyen Âge, Bas Moyen Âge
& Généralités sur les Juifs dans la capitale
Retour
à la première partie, depuis l'Antiquité avec une bibliographie :
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Persécutions
des Etats chrétiens
et présences
juives à Paris du VIe au XIVe siècle :
royaumes
des
Francs, puis royaume de France un peu avant l'an 1000
-

Enluminure
représentant un Juif armé avec un bouclier au pied
Ci-après, vous trouverez le texte d’Henri Sauval (vers 1620-1676),
avocat au Parlement de Paris, né et mort dans la capitale. Ceci est le
fruit d’une
recherche répondant au hasard des lectures. Si je connaissais
l’importance de l’auteur, je ne me doutais pas de la nature de ses
recherches, et son approche quasi méthodologique. Mais pouvant
illustrer une page sur l’histoire des Juifs dans la ville loin de ses
Lumières, du roi
Childebert du VIe au XIVe siècle, sous Charles VI. Et venant compléter
ce qui a pu être déjà écrit sur ce site (en forme de blog) sur les
persécutions en Gaule puis en France et en Europe depuis l’Antiquité au
XVe siècle et de la présence juive en Gaule jusqu’à la fin du Moyen Âge
(estimée à 40 à 100.000 personnes à certaines périodes et en des
communautés éclatées et non permanentes).
Avant qu’il ne soit procédé à une ultime expulsion entre 1395 et 1397
du royaume
de France (à Paris, suite à un édit de Charles VI dit le Fol, le 17
septembre 1394), et engagé le dernier bannissement effectif, cette
mesure engagea la quasi disparition des populations juives dans le
royaume. Cette septième expulsion provoqua et participa à la longue à
une dispersion des dernières communautés à l'echelle continentale,
notamment en Italie. Si Sauval n'est pas à
proprement parler un historien, sa méthode n’est pas si
lointaine. Il s'agit surtout d'un témoignage de l’état des
connaissances sur les
populations de confession juive au XVIIe siècle, très révélateur de
comment
a pu s’éparpiller une mémoire historique et du poids du
christianisme à dominante romaine ou catholique sur l’ordre des
choses (chrétiens d'orient et d'occident, Byzance et Rome).
Sans
affirmer que Sauval avait de la sympathie pour le judaïsme, il a
cependant cherché à rétablir quelques faisceaux de vérité, et il rapporte
de nombreux éléments sur le fonctionnement et les
relations
difficiles entre communautés religieuses, et le pouvoir d’Etat. Et
pousse même à un équilibre, du moins à comprendre, que s’il y a bien eu
des
persécutions, selon les têtes couronnées l’approche, ou le comportement
a pu prendre des tournures autres.
Ce qu’il nomme rétablissement ou les
allers et retours des Juifs en France a été surtout pour des raisons
économiques, et permis à quelques-uns d’avoir une influence ponctuelle
sur les affaires et se trouver conseillers ou médecins
auprès de la
Cour, dont un régicide. L'auteur des Antiquités de la Ville de Paris,
note aussi l'érudition des rabbins
Parisiens, il ne s'est pas contenté des seules sources catholiques.
L'on trouve même des sources protestantes plus tardives ou en rapport
avec le judaïsme, il cite aussi les pouvoirs Mahométans (ou musulmans
avec
les Turcs et le roi de Tunis ou de Grenade) dans
sa déconstruction des fables (réfutées).
Nous commençons avec un texte sur Priscus du temps de Chilpéric 1er
d’Augustin Thierry, et le récit incontournable de l’Histoire des
Francs
de Grégoire de Tours (587), dont Sauval a fait la synthèse (dans le
texte suivant), lui-même s’appuyant sur cette source notoire pour
décrire les liens entre un commerçant juif et son suzerain du moment.
De comment, il fait succomber sous les attaques d'un juif converti et
familier du roi, le sieur Phatir, notre dénommé Priscus.
Il s’agit d’extraits de deux textes, s’y rajoute ainsi des éléments sur
Priscus dont on sait peu de chose, un commerçant parisien de confession
juive des premières
heures et qui fut considéré comme un conseiller du roi, Chilpéric, rien
de très explicite. Des
larges extraits, ou reprenant deux textes à travers la traduction de la
chronique de Grégoire de Tours de 587, son Histoire des Francs
qui a
connu plusieurs traductions, dont celle d’Augustin Thierry archiviste
et historien «libéral» du XIXe siècle mise en ligne pour complément
sur la période du Haut Moyen Âge. Plus simplement, une histoire
débutant sous le règne des Mérovingiens de la lignée de Clovis, roi des
Francs et père fondateur de Paris en capitale de son royaume.
Si
le texte d'Augustin Thierry se limite au VIe siècle, nous concernant,
avec l’écrit de Sauval nous survolons plusieurs siècles à travers un
auteur du Grand Siècle (XVIIe siècle), et édité seulement
cinquante ans
après sa disparition. Un ouvrage ayant connu de
possibles altérations par ses éditeurs. Son texte ci-après a été
modifié dans une langue
française plus contemporaine avec des notes incluses pour précisions
(certaines dates et mots disparus du langage courant), avec des légères
modifications orthographiques sur les noms, ainsi que sur la
ponctuation. C’est une petite mine d’information et le travail, ou de
ce «temps-là» pour reprendre une
de ses formulations.
Ce texte est à la fois d’une grande fraîcheur, mais donne une idée de
la difficulté à trouver des informations qui n’ont pas été détruites ou
minorées sur les persécutions ou spoliations, ou exagérées par d’autres
par l’ampleur
des morts. Et aux vues de ses travaux, c’est une jolie performance,
même s’il y a à rester prudent sur la véracité. Mais Sauval utilise
fréquemment l’idée que beaucoup des chroniques ou documents des
«Chronologues» sont peu précis sans les réfuter (aujourd’hui les
chronologistes), et doute du sérieux des historiens d’autrefois et de
leur
fiabilité. Ce en quoi il est difficile de lui donner tort...
Il existe une grande lucidité sous cette plume et de quoi comprendre
pourquoi ses écrits
ont mis tant de temps à paraître. Sauval réfute les fables christiques
et fait
ainsi œuvre respectable, voire éclairante sur l’organisation des choses
: l'usure ou le prêt d'argent, les marques comme la rouelle, les
"juiveries" ou quartier juifs, les synagogues et cimetières par exemple
et en dernière partie. Permettant ainsi de
savoir dans Paris où se trouvait le ou les quartiers juifs de la
capitale, se
déplaçant au gré des interdictions (sur les deux rives), et fait aussi
des pillages répétés
des biens de la communauté hébraïque parisienne.
Il n’existe pas sous sa plume d’hostilité à l’égard des juifs, il n’a
négligé aucune piste ou source, et situe bien leur place dans
l’économie
du royaume, les raisons des allers et retours des populations
bannies. Chez Sauval, sur le fait religieux, il paraît un peu en avance
sur son époque, il existe
de sa part plutôt une méfiance sur les mythes des deux
côtés, aussi bien chez les Juifs que les Chrétiens. Nous offrant un
équilibre historique d'une grande qualité.
Cet extrait de texte en apparence emprunt du respect pour l’ordre des
choses a de
quoi laisser septique sur ses biens fondés, si justement Sauval n’en
écartait pas les raisons du ciel… Le vieux mythe des puits ou sources
d’eaux empoissonnés par les Juifs via les lépreux n’a pour lui aucun
crédit. Il remarque de même, quel souverain ou prévôt de Paris a
été plus influencé? A l'exemple de Hugues Aubriot, prévôt de Paris. Et
l’on découvre aussi certains faits plutôt
méconnus comme l’assassinat de Charles le Chauve par son médecin juif,
Sédécias du temps des incursions des pirates Vikings
du IXe siècle.
Un écrit pouvant passer pour critique ou hors des conventions, qui fut
publié principalement de 1730 à 1750,
le texte nous concernant datant de 1724, un an après la fin de la
régence du jeune Louis XV. Un travail de chercheur sur pièces ou livres
et d’historien dans son mode comparaison. Une plume bien connue des
connaisseurs de l’histoire sociale et urbaine de Paris. Loin des écrits
passant leur temps à répéter les erreurs des autres (le psittacisme),
il est une source (vive) aussi reconnue et appréciée que Louis
Sébastien Mercier, mais ce dernier en plus fantaisiste.
Bonnes lectures,
Notes de Lionel Mesnard, du 14
décembre 2017
Index des sujets abordés par Henri Sauval :
- Histoire de Priscus
- Persécution sous
Dagobert
- Juifs persécutés par
toute l'Europe
- Rétablissement des
Juifs
- Persécutions sous
Philippe Auguste
- Juifs rappelés
- Persécution sous
Saint Louis
- Persécution sous
Philippe le Bel
- Rétablissement sous
Luis le Hutin
- Fable réfutée
(rumeurs d'empoisennement des puits)
- Etat tranquille sous
Hugues Aubriot (prévôt de Paris)
- Bannissement sous
Charles VI
- Faits remarquables
touchant les Juifs
- Les sortes de
marques que l'on faisait porter (la Rouelle)
- Persécution touchant
l'usage de la religion juive
- La Conversion des
Juifs
- Emplois honorables
de quelques Juifs
- Usure des Juifs
- Le méris que l'on
faisait des Juifs
- Juiveries de Paris
- Synagogues de Paris
- Cimetières de Paris
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Nouvelles
Lettres sur l'histoire de France,
scènes du sixième siècle (580-583) |
Chilpéric Ier, roi de
Paris et le Juif Priscus
Enluminure de Chilpéric et
les évêques
Augustin Thierry, archiviste
(1795-1856)
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Cette querelle sanguinaire entre Priscus et Phatir (juif converti) a
été mise en
histoire en 587, et en latin par Grégoire de Tours (vers
538-594), acteur et observateur des faits.
(…) « Le conseiller et l’agent de Hilperik (Chilpéric I vers 530 – 584)
dans ses projets de luxe royal et dans ses achats d’objets précieux était
un juif de Paris, nommé Priscus. Cet homme, que le roi aimait
beaucoup, qu’il mandait souvent auprès de lui et avec qui même il
descendait jusqu’à une sorte de familiarité, se trouvait alors à
Nogent. Après avoir donné quelque temps à la surveillance des travaux,
et au recensement des produits agricoles dans son grand domaine sur la
Marne, Hilperik eut la fantaisie d’aller s’établir à Paris, soit dans
l’ancien palais impérial, dont les débris subsistent encore, soit dans
un autre palais moins vaste, bâti au-dedans des murs de la Cité, à la
pointe occidentale de l’île.
Le jour du départ, au moment où le roi donnait l’ordre d’atteler les
chariots de bagage dont il devait suivre la file à cheval avec ses
leudes, l’évêque Grégoire vint prendre congé de lui, et pendant que
l’évêque faisait ses adieux, le juif Priscus arriva pour faire aussi
les siens. Hilperik, qui ce jour-là était en veine de bonhomie, prit en
badinant le juif par les cheveux, et le tirant doucement pour lui faire
incliner la tête, il dit à Grégoire : « Viens, prêtre de Dieu, et
impose-lui les mains. »
Comme Priscus se défendait et reculait avec effroi devant une
bénédiction qui, selon sa croyance, l’eût rendu coupable de sacrilège,
le roi lui dit :
« Oh ! esprit dur, race toujours incrédule qui ne comprend pas le
fils
de Dieu que lui a promis la voix de ses prophètes, qui ne comprend
pas
les mystères de l’église figurés dans ses sacrifices ! » En
proférant cette exclamation, Hilperik lâcha les cheveux du juif et
le laissa libre ; aussitôt celui-ci, revenu de sa frayeur, et rendant
attaque pour attaque, répondit :
« Dieu ne se marie pas, il n’en a aucun besoin, il ne lui naît
point de
progéniture, et il ne souffre point de compagnon de sa puissance, lui
qui a dit par la bouche de Moïse: Voyez, voyez, je suis le Seigneur,
et il n’y a pas d’autre Dieu que moi ! C’est moi qui fais mourir et qui
fais vivre, moi qui frappe et qui guéris. »
Loin
de se sentir indigné d’une telle hardiesse de paroles, le roi
Hilperik fut charmé que ce qui d’abord n’avait été qu’un jeu lui
fournît l’occasion de faire briller dans une controverse en règle, sa
science théologique, pure, cette fois, de tout reproche d’hérésie.
Prenant l’air grave et le ton reposé d’un docteur ecclésiastique
instruisant des catéchumènes, il répliqua :
« Dieu a engendré spirituellement de toute éternité un fils qui n’est
pas plus jeune d’âge que lui, ni moindre en puissance, et dont lui-même
a dit : « Je vous ai engendré de mon sein avant l’étoile du jour. Ce
fils né avant tous les siècles, il l’a envoyé dans les siècles derniers
au monde, pour le guérir selon ce que dit ton prophète : Il envoya son
verbe et il les guérit.
Et quand tu prétends qu’il n’engendre pas,
écoute ce que dit ton prophète parlant au nom du Seigneur : Moi qui
fais enfanter les autres, est-ce que je n’enfanterai pas aussi
? Or, il entend cela du peuple qui devait renaître en lui par la foi. »
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Le juif, de plus en plus enhardi par la discussion, repartit : «
Est-il
possible que Dieu ait été fait homme, qu’il soit né d’une femme, qu’il
ait subi la peine des verges et qu’il ait été condamné à mort ? »
Cette objection, qui s’adressait à ce que le raisonnement humain a de
plus élémentaire, et pour ainsi dire de plus grossier, toucha l’esprit
du roi par l’un de ses côtés faibles ; il parut étonné, et ne trouvant
rien à répondre, il demeura silencieux.
C’était pour l’évêque de Tours le moment d’intervenir : « Si le fils de
Dieu, dit-il à Priscus, si Dieu lui-même s’est fait homme, c’est à
cause de nous, et nullement par une nécessité qui lui fût propre ; car
il ne pouvait racheter l’homme des chaînes du péché et de la servitude
du diable, qu’en se revêtant de l’humanité. Je ne prendrai pas mes
témoignages des évangiles et des apôtres auxquels tu ne crois pas, mais
de tes livres mêmes, afin de te percer de ta propre épée, comme on dit
qu’autrefois David tua Goliath.
Apprends donc d’un de tes prophètes que Dieu devait se faire homme,
Dieu est homme, dit-il, et qui ne le connaît pas? et ailleurs :
« - C’est lui qui est notre Dieu, et il n’y en a pas d’autre que
lui ;
c’est lui qui a trouvé toutes les voies de la science, et qui l’a
donnée à Jacob son serviteur et à Israël son bien-aimé ;
après cela il
a été vu sur la terre et il a vécu avec les hommes. Sur ce qu’il est né
d’une vierge, écoute pareillement ton prophète lorsqu’il dit : Voici
qu’une vierge concevra et qu’elle enfantera un fils à qui l’on
donnera le nom d’Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous. Et sur ce qu’il
devait être battu de verges, percé de clous et soumis à d’autres peines
ignominieuses, un autre prophète a dit : Ils ont percé mes mains et mes
pieds, et ils se sont partagé mes vêtements. Et encore : Ils m’ont
donné du fiel pour ma nourriture, et dans ma soif ils m’ont abreuvé de
vinaigre. »
« - Mais, répliqua le juif, qu’est-ce qui
obligeait Dieu à souffrir de pareilles choses?»
L’évêque put voir à cette demande qu’il avait été peu compris, et
peut-être mal écouté ; cependant il reprit, sans témoigner aucune
impatience :
« Je te l’ai déjà dit ; Dieu créa l’homme innocent, mais, circonvenu
par les ruses du serpent, l’homme prévariqua contre l’ordre de Dieu, et
pour cette faute, expulsé du séjour du paradis, il fut assujetti aux
labeurs de ce monde. C’est par la mort du Christ, fils unique de Dieu,
qu’il a été réconcilié avec le père.
- Mais, répliqua encore le juif, est-ce que Dieu ne pouvait pas envoyer
des prophètes ou des apôtres pour ramener l’homme dans la voie du
salut, sans que lui-même s’humiliât jusqu’à être fait chair ? »
L’évêque, toujours calme et grave, répondit :
« Le genre humain n’a cessé de pécher dès le commencement : ni
l’inondation du déluge, ni l’incendie de Sodome, ni les plaies de
l’Égypte, ni le miracle qui a ouvert les eaux de la mer Rouge et celles
du Jourdain, rien de tout cela n’a pu l’effrayer. Il a toujours résisté
à la loi de Dieu, il n’a point cru les prophètes, et non seulement il
n’a point cru, mais il a mis à mort ceux qui venaient lui prêcher la
pénitence.
Ainsi donc, si Dieu lui-même n’était descendu pour le racheter, nul
autre n’eût pu accomplir l’œuvre de cette rédemption. Nous avons été
régénérés par sa naissance, lavés par son baptême, guéris par ses
blessures, relevés par sa résurrection, glorifiés par son ascension, et
pour nous faire entendre qu’il devait venir apportant le remède à nos
maux, un de tes prophètes a dit :
Nous sommes redevenus sains par ses meurtrissures. Et ailleurs : Il
portera nos péchés, et il priera pour les violateurs de la loi. Et
encore :Il sera mené à la mort comme une brebis qu’on va égorger ; il
demeurera en silence sans ouvrir la bouche, comme l’agneau est muet
devant celui qui le tond ; il est mort dans les douleurs, condamné par
jugement. Qui racontera sa génération ?
Son nom est le Seigneur des armées. Jacob lui-même, de qui tu te vantes
d’être issu, bénissant son fils Juda, lui dit comme s’il eût parlé au
Christ, fils de Dieu : Les enfans de votre père vous adoreront. Juda
est un jeune lion ; vous vous êtes levé, mon fils, pour aller à la
proie, et vous vous êtes couché pour dormir comme un lion ; qui osera
le réveiller ?»
Ces discours, logiquement peu suivis, mais empreints, dans leur
désordre, d’un certain caractère de grandeur, ne produisirent aucun
effet sur l’esprit du juif Priscus. Il cessa de soutenir la dispute,
mais sans se montrer aucunement ébranlé dans sa croyance. Quand le roi
vit qu’il se taisait de l’air d’un homme qui ne veut rien céder, il se
tourna vers l’évêque de Tours et dit :
« Saint prêtre, que ce malheureux se passe de ta bénédiction, moi je te
dirai ce que Jacob disait à l’ange avec lequel il s’entretenait : Je ne
vous laisserai point aller que vous ne m’ayez béni. »
Après
ces paroles, qui ne manquaient ni de grâce ni de dignité,
Hilperik demanda de l’eau pour que l’évêque et lui se lavassent les
mains ; et lorsque tous deux se furent lavés, Grégoire, posant sa main
droite sur la tête du roi, prononça la bénédiction au nom du Père, du
Fils et du Saint Esprit.
Il y avait là, sur une table, du pain, du vin, et probablement aussi
différents mets destinés à être offerts aux personnes de marque qui
venaient faire au roi leurs salutations de départ. Suivant les règles
de la politesse franque, Hilperik invita l’évêque de Tours à ne pas se
séparer de lui sans avoir pris quelque chose à sa table. L’évêque prit
un morceau de pain, fit dessus le signe de la croix, puis, l’ayant
rompu en deux parts, il en garda une, et présenta l’autre au roi, qui
mangea debout avec lui. Ensuite, tous les deux s’étant versé un peu de
vin, ils burent ensemble, en se disant adieu.
L’évêque se disposa à reprendre la route de son diocèse ; le roi monta
à cheval au milieu de ses leudes (la haute aristocratie du temps des
Mérovingiens) et de ses gens de service, escortant, avec eux, le
chariot couvert qui portait la reine et sa fille Rigonthe (ou Rigonde
vers 569-589) . C’était à ces deux personnes que se trouvait alors
réduite la famille royale de Neustrie, naguère si nombreuse. Les trois
fils de Hilperik et de Frédégonde étaient morts l’année précédente,
emportés par une épidémie. Le dernier des fils d’Audowere (ou Audovère
vers 530-580) avait péri presque en même temps par une catastrophe
sanglante, dont les sombres détails feront le sujet du prochain récit.
Cette scène de controverse religieuse, si bizarrement provoquée
par un
trait de badinage, avait, à ce qu’il semble, laissé une forte
impression dans l’esprit du roi Hilperik. Durant son séjour à Paris, il
ne put s’empêcher de réfléchir profondément à l’impossibilité de
convaincre les juifs et de les attirer dans le sein de l’Église en
raisonnant avec eux.
Ces réflexions continuèrent même de le préoccuper au milieu de grands
embarras politiques, et des soins de la guerre de conquête qu’il
poursuivait sur sa frontière du midi. Elles eurent pour résultat, en
l’année 582, une préception (conduite à tenir) royale qu’ordonnait que
tous les juifs domiciliés à Paris fussent baptisés. Ce décret, adressé
; dans le style ordinaire, au comte ou au juge de la ville, se
terminait par une formule de l’invention du roi, formule vraiment
barbare, qu’il avait coutume d’employer, tantôt comme une sorte
d’épouvantail, tantôt avec l’intention sérieuse de s’y conformer à la
lettre :
« Si quelqu’un méprise notre ordonnance, qu’on le
châtie en lui crevant les yeux. »
Frappés de terreur, les juifs obéirent et allèrent à l’église recevoir
l’instruction chrétienne. Le roi se fit une gloire puérile d’assister,
en grande pompe, aux cérémonies de leur baptême, et même de tenir sur
les fonts plusieurs de ces convertis par force.
Un homme, pourtant, osa lui résister et refuser de faire
abjuration ;
ce fut ce même Priscus, dont la défense logique avait été si opiniâtre.
Hilperik se montra patient; il tenta de nouveau sur l’esprit du
raisonneur qui lui avait tenu tête les moyens de persuasion; mais,
après une conférence inutile, irrité de voir, pour la seconde fois, son
éloquence en défaut, il s’écria :
« S’il ne veut pas croire de bon gré, je le ferai bien croire malgré
lui. »
Le juif Priscus, jeté alors en prison, ne perdit pas courage. Profitant
avec adresse de l’intime connaissance qu’il avait du caractère du roi,
il le prit par son faible, et lui fit offrir de riches présents, à
condition d’obtenir en échange un peu de répit.
Son fils, disait-il, devait prochainement épouser une juive de
Marseille, il ne lui fallait que le temps de conclure ce mariage, après
quoi il se soumettrait comme les autres, et changerait de religion. Que
le prétexte fût vrai et la promesse sincère, Hilperik s’en inquiéta
peu, et l’appât de l’or calmant tout à coup sa manie de prosélytisme,
il fit mettre son marchand juif en liberté.
Ainsi Priscus demeura seul pur d’apostasie et calme de conscience parmi
ses co-religionnaires, qui, agités en sens divers par le remords et par
la crainte, s’assemblaient secrètement pour célébrer le jour du sabbat,
et, le lendemain, assistaient comme chrétiens aux offices de l’église.
Parmi ceux des nouveaux convertis que le roi Hilperik avait honorés de
la faveur de sa paternité spirituelle, se trouvait un certain Phatir,
originaire du royaume des Burgondes (actuelle Bourgogne), et récemment
établi à Paris. Cet
homme, d’un caractère sombre, n’eut pas plutôt abjuré la foi de ses
ancêtres, qu’il en conçut un profond regret ; le sentiment de
l’opprobre où il se voyait tombé lui devint bientôt insupportable.
L’amertume de ses pensées se tourna en jalousie violente contre
Priscus, qui, plus heureux que lui, pouvait marcher la tête haute,
exempte de la honte et du tourment qui rongent le cœur d’un apostat.
Cette haine, nourrie sourdement, s’accrut jusqu’à la frénésie, et
Phatir résolut d’assassiner celui dont il enviait le bonheur.
Chaque jour de sabbat, Priscus allait
accomplir en secret les rites du
culte judaïque, dans une maison écartée au sud de la ville, sur l’une
des deux voies romaines qui partaient du même point, à peu de distance
du Petit-pont. Phatir forma le projet
de l’attendre au passage, et, menant avec lui ses esclaves armés de
poignards et d’épées, il se posta en embuscade sur une place qui était
le parvis de la basilique de Saint-Julien (Plan-ci dessus). (Cinquième
arrondissement,
anciennement rue Saint-Julien du Pauvre à l’emplacement du jardin qui
était alors un chemin)
Le malheureux Priscus, ne se doutant de rien, suivit sa route ordinaire
; selon l’usage des juifs qui se rendaient au temple, il n’avait sur
lui aucune espèce d’armes, et portait noué autour de son corps, en
guise de ceinture, le voile dont il devait se couvrir la tête durant la
prière et le chant des psaumes.
Quelques-uns de ses amis l’accompagnaient, mais ils étaient, comme lui,
sans moyens de défense. Dès que Phatir les vit à sa portée, il tomba
sur eux, l’épée à la main, suivi de ses esclaves, qui, animés de la
fureur de leur maître, frappèrent sans distinction de personnes, et
firent un même carnage du juif Priscus et de ses amis. Les meurtriers,
gagnant aussitôt l’asile le plus sûr et le plus proche, se réfugièrent
ensemble dans la basilique de Saint-Julien.
Soit que Priscus jouît parmi les habitants de
Paris d’une grande
considération, soit que la vue des cadavres gisant sur le pavé eût
suffi pour soulever l’indignation publique, le peuple s’ameuta sur le
lieu où ces meurtres venaient d’être commis, et une foule considérable,
poussant des cris de mort contre les assassins, cerna de tous côtés la
basilique.
L’alarme fut telle parmi les clercs, gardiens de l’église, qu’ils
envoyèrent en grande hâte au palais du roi, demander protection et des
ordres sur ce qu’ils devaient faire. Hilperik fit répondre qu’il
voulait que son filleul Phatir eut la vie sauve, mais que les esclaves
devaient tous être mis hors de l’asile et punis de mort. Ceux-ci,
fidèles jusqu’au bout au maître qu’ils avaient servi dans le mal comme
dans le bien, le virent, sans murmurer, s’évader seul par le secours
des clercs, et ils se préparèrent à mourir.
Pour échapper aux souffrances dont les menaçait la colère du peuple, et
à la torture qui, judiciairement, devait précéder leur supplice, ils
résolurent, d’un accord unanime, que l’un d’entre eux tuerait les
autres, puis se tuerait lui-même de son épée, et ils nommèrent par
acclamation celui qui devait faire l’office de bourreau. L’esclave
exécuteur de la volonté commune frappa ses compagnons l’un après
l’autre, mais, quand il se vit seul debout, il hésita à tourner le fer
contre sa poitrine.
Un vague espoir d’évasion, ou la pensée de vendre au moins chèrement sa
vie, le poussa à s’élancer hors de la basilique, au milieu du peuple
ameuté. Brandissant son épée d’où le sang dégoûtait, il tenta de se
faire jour à travers la foule; mais, après quelques moments de lutte,
il fut écrasé par le nombre, et périt cruellement mutilé.
Phatir sollicita du roi, pour sa propre sûreté, la permission de
retourner dans le pays d’où il était venu; il partit pour le royaume de
Gonthramn (Gontran roi de Bourgogne, vers 532-592), mais les parents de
Priscus se mirent en route sur ses traces, l’atteignirent, et, par sa
mort, vengèrent celle de leur parent. (...)
Ps
: Le successeur de Chilpéric I, Childebert II est né vers 570, il
sera roi de Paris de 592 à 596, année de sa disparition.
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Les Juifs à Paris au Moyen Âge |
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Enluminure d'un Juif frappant un Chrétien |
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Première partie :
Le haut Moyen Âge au royaume de Paris
Henri Sauval (vers 1620-1676), historien de Paris
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Sommaire :
Histoire de Priscus - Persécution sous Dagobert - Juifs persécutés par
toute l'Europe
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Durant les six premiers siècles de l'Eglise, les Chrétiens tant hommes
que femmes ne faisaient aucune difficulté de s'allier aux Juifs et de
contracter mariage avec eux. En ce temps-là, les juifs étaient si
grands maîtres, que les trois derniers jours de la semaine Sainte aussi
bien que le jour de Pâques ; ils se moquaient publiquement de la
tristesse et de la joie que les Chrétiens témoignent alors dans leurs
cérémonies. Mais cette licence fut réprimée en 533, 535, 538 et
581,
par le roi Childebert, par les conciles d'Auvergne et de Mâcon, et par
le deux et troisième d'Orléans.
Childebert fit défenses aux juifs de paraître ces jours-là ; ni dans
les places ni dans les rues aussi bien à Paris que partout son royaume.
Au troisième concile d'Orléans et au concile de Mâcon, cette
déclaration du roi fut approuvée.
En 533, le second Concile d'Orléans excommunia tous les Chrétiens qui
feraient alliance avec eux : et quoiqu'en confirmant ces canons le
concile d'Auvergne et le troisième d'Orléans y apportassent quelque
modification, depuis néanmoins ils furent observés à la rigueur,
surtout à Paris. Car nous lisons dans Joannes Galli (avocat général au
Parlement de Paris) que le Bailli (représentant légal) de l'évêque de
Paris condamna en 1397 Jean Hardi à être brûlé, à cause qu'il avait eu
d'une juive des enfants qui faisaient profession de la Religion de leur
mère.
Depuis ces Canons et jusqu'au neuvième Siècle, il ne s'est presque
point tenu de concile dans le royaume, où il ne soit fait mention des
Juifs. Je laisse là ce qui est rapporté contre eux dans ceux d'Agde, de
Beaune, de Mâcon, de Narbonne, de Reims et de Metz, comme regardant
tous les Juifs en général, et que je ne veux parler que de ceux de
Paris.
I -
HISTOIRE DE PRISCUS
GREGOIRE de Tours Livre six, rapporte que Chilpéric, moitié par
force,
moitié par douceur, obligea une bonne partie des Juifs de Paris à se
faire baptiser. Les uns épouvantés par ses menaces, les autres attirés
par l'honneur qu’il leur faisait de les tenir sur les fonts. Quoi qu'il
fit néanmoins, jamais il ne put venir à bout d'un certain Priscus qui
s'était insinué dans ses bonnes grâces, et même rendu familier avec
lui, à cause des riches meubles et autres curiosités qu'il lui vendait.
Son opiniâtreté fut si grande qu'il ne se rendit ni aux raisons de
Grégoire de Tours, ni aux caresses de ce prince, qui même l'embrassa,
afin de lui amollir le cœur ; ce qui le piqua à un point, que de dépit
il le fit mettre en prison.
Tout ce grand zèle de Chilpéric néanmoins fut de peu de durée, et ne
mit guère à se refroidir ; car bientôt après, il souffrit que ceux
qu'il avait contraints à se faire baptiser abjuraient la religion
chrétienne ; mais bien pis, il fut assez lâche de permettre à Priscus
pour de l'argent de différer sa conversion jusqu'à ce que son fils eut
épousé une certaine juive de Marseille.
Durant ceci, un certain Phatir juif nouvellement converti et
filleul du
roi, qui en voulait à Priscus prend son temps comme il allait au
Sabbat
("Jour de repos hebdomadaire dans des religions qui reconnaissent
l'Ancien Testament"), et assisté de ses domestiques, l'assassine.
Aussitôt lui et ses complices s'étant réfugiés dans saint
Julien-le-Pauvre (une basilique depuis disparue), quoi qu'alors les
églises servissent d'asile à toutes sortes de criminels, le roi
cependant commanda qu'ils fussent tirés de là par force et qu'on leur
fit leur procès.
Phatir là-dessus trouve moyen de se sauver ; les autres ne voulant pas
mourir de la main d'un bourreau, prièrent un de leurs compagnons de les
tuer tous, les uns après les autres. Ce qu'ayant fait, en même temps il
sort de l'église tout furieux, l'épée à la main, et vient fondre
déterminément sur une foule de monde qui s'était saisie des avenues, et
frappant de tous côtés, aussitôt il fut assommé et mis en pièces.
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II -
PERSéCUTION DES JUIFS SOUS DAGOBERT
FREDEGAIRE (*), l'auteur des Gestes de Dagobert (chronique du
VIIe
siècle), et Aimoyn, rapportent que l'empereur Héraclius prince consommé
dans l'astrologie judiciaire ("Jugement de Dieu annoncé par les
astres"), ayant
découvert que l'Empire était menacé de sa ruine par des circoncis, et
qu’ils s'en rendraient les maîtres, au lieu de songer à
exterminer les Mahométans qui alors commençaient à faire parler d'eux.
Il s'acharna de force sur les Juifs, que non content de les chasser de
ses terres, il pria Dagobert et les autres Princes Chrétiens d'en faire
autant chez eux et de les en bannir. Si bien que Dagobert à sa prière
s’étant mis à les persécuter, une partie se fit baptiser, le reste
abandonna le royaume.
Cette histoire cependant ne se lit pas dans un auteur grec
contemporain, ni même dans tous les autres qui ont parlé des empereurs
de Constantinople : et quant à ceux qui ont fait mention des Juifs de
ce temps-là, ils disent simplement, qu’Héraclius les fit sortir de
Jérusalem, avec défenses d'y rentrer, ni d'en approcher plus près de
trois lieues (environ 9 kilomètres).
Pour ce qui regarde la prédiction de cet empereur, les auteurs à la
vérité qui racontent l'invasion des Mahométans assurent qu'Etienne
célébré mathématicien d’Alexandrie, la prédit du temps d'Héraclius ;
mais pas un ne dit que ce prince se connût aux astres, ni qu'il se fût
étudié à l'Astrologie judiciaire.
Tellement qu'il y a grande apparence
que des trois auteurs Français que j'ai nommé qui rapportent cette
fable, les deux derniers l'ont tiré de Frédégaire, qui la inventée pour
donner quelque couleur à la cruauté de Dagobert (592-639) en
persécutant les Juifs. Depuis ce prince, je ne vois rien des Juifs dans
notre histoire qu'en 848, 877, 1009 et 1096.
En 877, les marchands Juifs payaient pour les droits du roi le dixième
denier et les Chrétiens l'onzième. Cette année-là même, Charles le
Chauve (deuxième du nom, 823-897) avait pour médecin un juif nommé
Sédécias qui l'empoisonna.
En 1009 les Juifs d'Orléans furent accusés d'avoir porté le prince de
Babylone à brûler le Temple de Jérusalem, afin que les Chrétiens
n'allassent plus faire la guerre dans la Terre Sainte.
Enluminure, expulsion d'Angleterre
III - JUIFS PERSECUTéS PAR TOUTE L'EUROPE
EN 1096, comme si toute l'Europe eût conspiré la ruine des juifs, ils
furent persécutés si cruellement en France, en Espagne, en Angleterre,
en Italie, en Bohème, en Hongrie, et par généralement toute
l’Allemagne, que Joseph Cohen prétend que plusieurs millions de ces
malheureux furent taillés en pièces, ou se firent mourir et qu'enfin
pas un ne put se garantir de la fureur des Chrétiens que par la mort.
(*) Fredegarius (en latin) ou Frégédaire le scolastique (consacré à
l’étude) : « Nom sous lequel on désignait l'auteur d'une
chronique des
royaumes mérovingiens pour la période 584-642. Il apparaît pour la
première fois dans les Antiquités gauloises et françaises de Claude
Fauchet en 1579 » (data BNF).
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Les Juifs à Paris au Moyen Âge
- Enluminure, roi et conseillers
juifs à la Cour

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Deuxième
partie :
Le
bas Moyen Âge à Paris et en France
Henri Sauval (vers 1620-1676), historien de Paris
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Sommaire
: Rétablissement des Juifs - Persécutions sous Philippe Auguste -
Juifs
rappelés - Persécution sous Saint Louis - Persécution sous Philippe le
Bel - Rétablissement sous Luis le Hutin - Fable réfutée (rumeurs
d'empoisennement des puits) - Etat tranquille sous Hugues Aubriot
(prévôt de Paris) - Bannissement sous Charles VI
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IV - RéTABLISSEMENT DES JUIFS
Une
si cruelle persécution que la précédente semblait obliger les Juifs
à ne remettre jamais les pieds dans l'Europe. Cependant cela ne les
empêcha pas, peu de temps après de songer à leur rétablissement,
surtout en France, et à Paris. A la vérité avant que d'y venir, ils
prirent un peu mieux leurs précautions qu'auparavant ; car quelques-uns
obtinrent de nos rois des lieux de franchises, où ils vécurent à l'abri
de toutes sortes de violences ; et même d'autres eurent permission de
se donner aux ducs, aux comtes et aux autres grands seigneurs du
royaume ; et tous enfin, eurent des privilèges, une justice, des juges
à
part, qui s'appelaient les Conservateurs des Juifs.
Ces sûretés les soutinrent véritablement sous Louis le Gros
(sixième du nom, 1081-1137) et Louis le Jeune (septième du nom,
1120-1180) du consentement des papes, et malgré les remontrances de
Pierre le Vénérable ; car nous apprenons d'une lettre de cet abbé de
Cluny, qu'il fit son possible, afin que Louis le Jeune s'emparât de
leurs biens pour secourir son armée de la Terre Sainte; mais qu'il ne
put obtenir de lui autre chose, sinon que ceux qui voudraient se
croiser, demeureraient déchargés de tout ce qu'ils devaient aux Juifs.
Nous lisons dans Génébrard (Théologien 1535-1597), que lorsque Innocent
II vint à Paris (entre 1130 et 1143), les Juifs lui firent présent d'un
ancien Testament couvert de la plus riche étoffe qu'ils purent
recouvrer, et qu'il leur dit : Je prie dieu qu'il lève de dessus vos
coeurs le voile dont ils sont couverts.
Avec tant de sûreté néanmoins et toute leur prévoyance, ils ne purent
se garantir des rigueurs de Philippe Auguste, de Louis VIII, de saint
Louis (Louis IX), de Philippe le Hardi, de Philippe le Bel, de Philippe
le Long, de Charles le Bel, de Philippe de Valois, du Roi Jean et de
Charles VI. La plupart de ces princes les pillèrent et les chassèrent.
Que s'ils les rappelaient, c’était pour de l'argent ; et lorsque les
ayant fait revenir, ils les chassaient tout de nouveau peu de temps
après, le prétexte était qu'il fallait purger le Royaume de ces
sangsues et maintenir la pureté de la religion chrétienne.
Mais en effet, c’était toujours pour partager avec les courtisans la
meilleure partie de leur lien : et quand peu de temps après les avoir
exilés, ils les rappelaient, ou bien en apparence, c’était pour payer
leur rançon, ou pour entretenir la guerre Sainte ; mais toujours à
dessein de les accabler d'impositions et d'achever de les piller.
V - PERSéCUTION DES JUIFS
SOUS PHILIPPE AUGUSTE
& de plus chassés
De tous les Princes qui ont persécuté les Juifs, il n'y en a point qui
les ait plus tourmentés que Philippe Auguste. Il ne fut pas plutôt
sacré, qu’il se saisit de leur or, de leur argent et de tous leurs
meubles. Après il les fit mettre en prison, et n'en sortirent point,
qu'ils ne lui eussent donné quinze mille marcs d'argent. Ensuite il les
chassa de France, confisqua leurs terres et leurs maisons, et dispensa
à tous ses sujets de leur payer les sommes immenses dont ils leur
étaient redevables, pourvu qu'ils lui en donnassent la cinquième
partie.
Chacun en fut si joyeux, qu'on appela cette année-là, l’année du Jubilé
; à l'imitation des Israélites, qui appelaient ainsi la dernière année
de chaque demi-siècle, parce qu'alors ils devenaient quittes de toutes
leurs dettes, et que les terres aliénées aussi bien que les maisons,
retournaient à leurs premiers maîtres.
Pour couvrir ces rapines, on les accusa, outre
la ruine du peuple,
d'avoir envahi par leurs usures une infinité de fermes, de métairies,
de terres, près de la moitié des maisons de Paris, les vases sacrés et
les trésors des églises, de boire impudemment dans les calices, d'y
faire de la soupe au vin. Et enfin de s'en servir à des usages si
infâmes, que d'y penser seulement cela fait dresser les cheveux ; de
crucifier tous les ans un chrétien, le jour du vendredi saint, de faire
esclave les pauvres chrétiens qu'ils avaient ruinés, en achetant leur
liberté.
On ne voulut point se souvenir que Philippe Auguste lui-même, aussi
bien que les autres rois ses prédécesseurs leur avaient permis de
donner à usure, et de faire des acquisitions. Et moins encore
considérer, que le trafic des vases saints était devenu si commun en
France, que tout le monde en achetait : sans bien d'autres choses que
les lois permettaient en dépit des conciles d'Orléans, de Mâcon, de
Reims, des Capitulaires de Charlemagne et de Pierre le Vénérable abbé
de Cluny.
Je m'étonne de ce qu'on ne les accusa pas aussi de faire des
imprécations contre les Chrétiens sur la viande qu'ils leur vendaient,
de la salir de l'ordure de leurs enfants, de leurs filles et de leurs
femmes ; de faire faire de leur marc de vendange des galettes en
forme
d'hosties pour les donner après à manger à leurs chiens en haine du
Saint Sacrement. En un mot d'user de nos hosties pour se guérir
quand
ils étaient malades, à l'exemple des premiers Chrétiens : car ce sont
les crimes dont on chargeait les Juifs alors, et auxquels l'évêque
Eudes remédia dans un synode tenu à Paris sous le Règne de Philippe
Auguste.
L’histoire de Rigord (Moine de Saint-Denis,
1145-1209) et les
chroniques de saint Denys sont pleines des supplices qu'on leur fit
souffrir à cause de ces crimes, et pour quelques autres qu'on leur
imputait. Si ces chroniques en sont crues aussi bien que Rigord, c’était
justement qu'on les condamnait au feu.
Le Rabbin Abarbanel
cependant, ni Joseph Cohen n'en demeurent pas d'accord, ils les
regardent comme autant d'innocents et de martyrs qu'on immolait à
l'avarice et à la fureur de la populace ; et qu'enfin ce fut une
injustice que dieu vengea bientôt après, par des dérèglements de
nature, qui désolèrent le royaume et par les victoires que les Anglais
et les Sarrasins remportèrent sur les Français.
Voilà tous les forfaits qui rendaient les Juifs si odieux, dont on les
chargeait. Vrais ou faux, je m'en rapporte ; mais les plus clairvoyants
en cette matière prétendent qu'ils n'auraient point été coupables, si
Philippe Auguste jeune prince, âgé pour lors de vingt sept ans
seulement ne se fut laissé aller aux mauvais conseils qu'on lui donna,
lui faisant à croire qu'outre l'honneur qui lui en reviendrait, à son
avènement à la couronne, de purger son royaume des sangsues du peuple
et de l'église Gallicane.
C’était le vrai moyen de s'enrichir : ce qui
l'anima si bien contre eux, que jamais ils ne purent le fléchir, de
sorte que par un édit, il les bannit de France. Et quoi qu'alors ils
fissent toutes choses pour en empêcher l'exécution ; que même à force
d'argent et de promesses, ils eussent gagné les princes, avec la
plupart des évêques et des grands seigneurs, il fallut s'en aller. Pour
toute grâce on leur laissa leurs meubles, et encore à la charge de les
vendre dans un certain temps.
Rigord, qui vit tout ceci, dit, qu'ils furent
chassés en 1182. Joseph
Cohen, David Gantz, Sethus, Calvisius et Génébrard, tous quatre
Chronologues modernes (ou chronologistes) ne s'accordent ni entre eux
touchant l'année, ni avec Rigord.
VI - JUIFS RAPPELLéS
DEPUIS, Philippe Auguste rappela les Juifs en 1198. Trois ans
auparavant leur retour, le ciel, à ce qu'assure Rigord, se fondit en
pluies, pour ainsi dire, ensuite la terre devint stérile, et ils ne
furent pas plutôt à Paris que le Roi d'Angleterre à la tête d'une
puissante armée, se jeta dans le Vexin, et fit du pis qu'il pût près de
Gisors : ce qui fut cause que Philippe se repentit de les avoir
rappelés.
De sorte que pour contenter le peuple qui en murmurait, à ce
que disent Cohen et David Gantz, il les chassa pour la seconde
fois; ce
qui pourtant ne se trouve point ni dans Rigord, ni dans tous les autres
historiens quoique Rigord soit moins l'historien de Philippe Auguste,
que son panégyriste : car enfin il n'aurait eu garde de l'oublier.
Tellement qu'il faut ou que ceux-ci ayant menti, ou que les ordonnances
de ce Prince faites un peu devant sa mort soient supposées la plupart,
aussi bien quant au sceau, qu'à l'égard de l'usure des Juifs. Cependant
les savants les admettent, et tous les registres de ce temps-là d'où je
les ai tirés.
Au reste, on ne sait point de quelle façon les Juifs en 1198 rentrèrent
dans les bonnes grâces du roi, et comme c’était l'avarice qui les avait
fait chasser, si ce ne fut point encore elle gagnée pour lors par
l'argent, qui les fit rappeler.
Il n'y a que nos historiens modernes qui touchent ce point. Génébrard
l'avoue franchement, Paul Emile pallie l'affaire, et veut que Philippe
résolu alors de retourner dans la Terre Sainte, et manquant d'argent
fut contraint d'en venir-là. Depuis cela, jusqu'aux temps de saint
Louis, ils vécurent assez paisiblement.
VII - PERSéCUTION DES
JUIFS SOUS SAINT-LOUIS (Louis IX)
EN 1252, lorsque saint Louis était en Orient, apprenant que les
Sarrasins se raillaient des Français , et leur reprochaient qu'ils
vivaient avec les bourreaux de Jésus-Christ, et étaient de leurs bons
amis. Ce reproche lui fut si sensible, qu'aussitôt il envoya en France
une déclaration, afin qu'on les chassât, à l'exception des marchands et
des artisans. Mathieu Paris qui raconte ceci ne dit point ce qui en
arriva.
On croit néanmoins que ce commandement ne leur fit pas grand mal, comme
n'ayant point supprimé par la déclaration, ni les usures, ni les
usuriers ; puisque enfin les Caoursins (ou Cahorsins équivalent de
banquier ou d’usurier) furent substitués aux juifs, avec permission
d'en user comme ces exilés. Que si dans une charte de l'année 1315, il
est remarqué, que ce prince fit par un motif de piété ce que Philippe
Auguste n'avait fait que par ambition et par avarice ; néanmoins, il se
repentit d'avoir chassé les juifs, et comme lui le rappela, et même
bientôt après selon toutes les apparences ; car l'histoire de ce
temps-là ne fait aucune mention de leur bannissement.
Quoi qu'il en soit, on peut dire, que saint Louis fut leur plus cruel
ennemi ; car il leur défendit les usures, fit brûler leur Talmud, les
obligea à porter une marque, afin qu'on les pût reconnaître. En un mot,
il fit tout ce qu'il put pour les affliger.
Mais si d'un côté ce prince prenait plaisir à les tourmenter, d'autre
côté, il faisait son possible pour les convertir, n'épargnant point
l'argent, afin d'en venir à bout ; si bien que ses libéralités en
gagnèrent plusieurs et même des familles entières. Outre une infinité
de leurs enfants orphelins qu'il nourrissait, ceux qui se
convertissaient, il les faisait baptiser, les tenait lui-même sur les
fonts. Leur assignait sur son domaine des rentes ; d'un, de deux, et
même de trois deniers par jour, qui était beaucoup en ce temps-là, dont
ils pouvaient disposer pendant leur vie, et dont leurs veuves, leurs
enfants et leurs héritiers jouissaient après leur mort de la même façon.
Bien que ces convertis coûtassent à ce bon prince des sommes
excessives, la plupart des rois néanmoins qui vinrent après lui, et qui
souffrirent les Juifs, plus imitateurs de son grand zèle, que rebutés
par la dépense, augmentèrent ces rentes, à mesure que le prix de tout
ce qui se vend croissait de plus. Les assignèrent sur un si bon fonds
qu'il n'y avait rien de mieux payé.
Ce qu'il est aisé de voir dans les
comptes du domaine de ce temps-là, sous les noms de Baptisati pour
les
orphelins, et de Conversi à l'égard des autres. C'est
dans les titres
de la Chambre des Comptes que l'illustre Antoine de Vyon, auditeur de
la même Chambre, m'a communiqué, que j'ai appris, et telles
particularités, et cette prodigalité si pieuse de saint Louis.
VIII - PERSéCUTION DES
JUIFS SOUS PHILIPPE LE BEL
LES Juifs sous Philippe le Hardi (Philippe III, 1245-1285) vécurent à
Paris et ailleurs de la même sorte qu'ils avaient fait sous son père,
et si alors on proposa de les chasser, ce fut un coup en l'air.
Mais à
l'égard de Philippe le Bel (ci-contre en enluminure, 1268-1314),
il s'éleva de nouvelles
tempêtes : car alors en 1390, au Parlement de la Chandeleur, il fut
ordonné, le roi présent, et par son commandement même, que tous les
Juifs absolument tant d'Angleterre, que de la grogne qui s'étaient
venus établir en France, sortiraient dans la mi-carême.
Génébrard
là-dessus dit qu'en 1295 qui est cinq ans après ce prince les chassa et
pilla les autres, et que les Juifs pour cela ont donné à cet exil le
nom de qui veut dire parce qu'il arriva cinquante-cinq ans après le
cinquième millénaire de la création du Monde.
Cependant ni l'auteur de Sehebeth Jehuda, ni Levi Ben Gerson, ni
Abraham Zachut, ni Joseph Cohen, ni David Gantz, chronologues et tous
Rabbins ne parlent non plus de ce bannissement rapporté par Génébrard,
que de l'observation qu'il fait, ou s'ils en touchent quelque chose,
c'est seulement en 1306, qu'il est impossible d'accorder avec ce qu'il
avance.
Le Continuateur de Nangis, l'auteur de la Chronique Latine de
Charles
VI, qui étaient de ce temps-là, et tout de même, l'auteur de la Chronique
Latine de Rouen ; que Philippe Labbe jésuite a mise au jour,
disent presque la même chose, et marquent cette désolation des Juifs en
1306 : tout ce que le continuateur ajoute, est qu'elle arriva un peu
devant la Madeleine, ou bientôt après. Ce qui peut nous déterminer sur
ce sujet est un gros compte ou rouleau qui est à la Chambre des Comptes
intitulé :
« C'est le compte des biens des Juifs, de la Baillie d’Orléans ou
au
Ressort, rendu par Jean de Yenville huissier d'armes le Roi, &
Simon de Montigni, Baillif d'Orléans, envoyé de par le roi pour la
prise d'iceux Juifs et de leurs biens abrogés, dont les parties sont
plus pleinement contenues en d'autres rou(e)llés baillés par devers la
Cour, selon que les personnes, ci-dessus nommées qui furent commis de
part ledit Jean d'Yenville, et BaiIIif d’Orléans et prendre iceux et
leurs biens en divers lieux ont rendu et baillé par iceux rou(e)llés,
et
sans ce que ledit Jean Yenville Baillif d’Orléans ait fait aucune
recette d'iceux biens fors tant seulement, faire leur dépens dans
ladite besogne l’an MCCCVI (1306), tout à faible monnaie ».
Et sur le dos est écrit : « Non est perfectus dies Veneris ante
instans
septum Magdalenae est eis assignatus ad (mot illisible) lum
istum
compotum ».
D'autres tiennent que leur fuite fut si précipitée, qu'on ne leur
permit d'emporter que ce qu'ils pourraient cacher dans leurs habits, et
néanmoins un Registre de la Chambre des Comptes intitulé, Judæi,
fait
savoir que sous main ils mirent en dépôt chez les Chrétiens, qu'ils
croyaient les plus honnêtes gens, non seulement leurs meubles, mais
même de l'or, de l'argent, et ce qu'ils avaient de plus précieux, et
que par ce moyen ils sauvèrent bien des choses.
Cet exil au rapport des Rabbins que j'ai cité fut tout autrement
barbare ; que celui qu'ils souffrirent sous Philippe Auguste ; car
outre que le Roi engloutit tout leur bien, jusqu'à ne leur laisser que
l'habit, on en fit une cruelle boucherie. Si bien qu'au contraire de
s'enfuir en désordre, leur misère fut si grande, que quantité périrent
encore de peste et de faim, tellement qu'il en mourut plus de douze
cent mille, ou pour me servir des termes de leurs rabbins, deux fois
autant qu'il s'en sauva d'Egypte sous la conduite de Moïse. Il semble
qu'un si grand carnage méritait bien d'avoir place, dans notre
histoire.
Nos auteurs toutefois sont muets là-dessus, ou si quelqu'un fait
mention de ce bannissement, il se contente de dire simplement, qu'il
arriva au mois de juillet, et que le roi s'empara de tous les biens des
juifs : de sorte qu'il faut ou que cela ne soit pas vrai, ou bien qu'on
a voulu cacher à la postérité une si grande barbarie.
IX - RETABLISSEMENT
DES JUIFS SOUS LOUIS (le) HUTIN
NONOBSTANT tous les maux que je viens de rapporter, et une si cruelle
persécution, Philippe le Bel ne fut pas plutôt mort, que les Juifs par
argent gagnèrent Louis Hutin (Louis X régna deux ans, 1289-1316), en
1315, achetèrent de lui au mois de juin la permission de revenir
seulement pour treize ans, vingt deux mille cinq cents livres qu'ils
promirent de payer à la saint Rémi ; outre le transport qu'ils lui
firent des deux tiers de ce qui leur était dû en France quand son père
les exila.
Les conditions de leur retour furent que tous les
livres de leur loi, à la réserve du Talmud, leur seraient rendus au
plutôt :
- qu'ils rentreraient dans leurs synagogues, et leurs cimetières qui
seraient encore en nature ;
- qu'il leur serait permis de contraindre ceux qui les avaient achetés
à les leur abandonner pour le même prix qu'ils leur auraient coûté ;
- qu'il leur en serait donné d'autres à bon marché au lieu de ceux
qu'on
ne pourrait découvrir ; ou qui seraient couverts de trop de bâtiments ;
- qu'ils retireraient le tiers de ce qu'on leur devait, avant leur
dernier bannissement ; que par semaine ils exigeraient douze deniers
d'usure pour livre ;
- que des treize années de séjour qu'on leur accordait, ils
emploieraient la dernière à retirer à leur aise, et en sûreté des mains
de leurs débiteurs tout ce qui leur serait dû, qu'ils ne disputeraient
point de la Religion ;
- qu'ils ne prêteraient point sur des ornements d' église, ni sur des
gages sanglants ou mouillés, pour me servir des termes ; qu'ils
porteraient à leurs robes de dessus une marque de soie grossièrement
faite, de la largeur d'un Tournois d'argent, et d'autre couleur que
l'habit.
Or quoique dans les lettres que le roi leur fit expédier, il ne soit
point parlé qu'ils lui devaient payer à la saint Remi vingt-deux mille
cinq cents livres, et dix mille livres tous les ans. J'apprends,
néanmoins d'une charte de Philippe le Long son successeur (Philippe V,
1294-1322), que c'est la principale condition qui fut cause de leur
retour. Et que le terme échu n'ayant pu compter au roi cette somme, il
leur accorda douze ans de répit, à la charge de lui faire transport de
l'autre tiers des dettes qu'ils s’étaient réservé.
Cet accord fait, il semblait que les Juifs dussent vivre assez
paisiblement, cependant Sethus Calvisius, Génébrard, l'auteur des Chroniques
de saint Denys de ce temps-là, Paule Emile, Papirius Masson,
le rabbin David Gantz, Belleforest et les titres du Trésor des Chartes
assurent que Louis Hutin, Philippe le Long et presque tous les Français
firent ce qu’ils purent pour les détruire. Calvisius dit que Louis
Hutin ne les fit revenir qu'afin de les piller et être en état de
passer en Flandre avec une puissante armée.
Paul Emile, Masson, aussi bien que les
Chroniques de saint Denys et
Belleforest (cartographe, plan de Paris de 1575) prétendent que ces
séditieux appelés Pastoureaux, en
massacrèrent quantité. Génébrard de son côté veut que cinq ou six ans
après leur retour, le peuple contraignit Philippe le Long de révoquer
tout ce que Louis Hutin avait fait pour eux en 1315 ; et qu'enfin en
1323, il le força à les exiler. Mais il se trompe en cela de même qu'en
bien d'autres choses que j'ai tirées de lui pour ce discours, que je ne
m'amuserai pourtant pas à réfuter, puisqu'on peut voir là-dessus mes
preuves, Livre XV (Tome III).
Or pour montrer combien cet auteur se mécompte ici, c'est que non
seulement il a pris une année pour l'autre. Mais encore, il prolonge la
vie de Philippe le Long de deux ans tout entiers, et en retranche
autant du règne de Charles le Bel son frère et son successeur. Car si
comme il prétend, les Juifs furent bannis en 1323, ce fut par Charles
le Bel, qui régnait alors, et non point par Philippe le Long qui était
mort près de deux ans auparavant. D'ailleurs, depuis 1315, que Louis
Hutin fit revenir les Juifs jusqu'en 1323, qu'ils furent bannis comme
veut Génébrard il y a huit ans tout entiers, et non cinq ou six
seulement, vivant son calcul.
Après tout, il est confiant qu'ils ne furent exilés ni par Philippe le
Long, ni en 1323, car je trouve dans les titres du Trésor des Chartres,
que les Juifs par toute la France furent condamnés en 1324 à une si
grosse amende, que la moitié de ceux qui demeuraient en Languedoc était
taxés à quarante-sept mille livres Parisis : et si nous en croyons
Abraham Zachut, ce fut en 1346, qu'ils reçurent cette grande plaie, au
mois que les Juifs appellent Abib, et nous avril.
Philippe de Valois, dit-il qui régnait alors, les obligea de convertir,
ou de sortir du Royaume. Plusieurs se firent Chrétiens par force, le
rené voulut mourir dans la religion de ses Pères. Aussi tôt que ce
Prince fut mort, le Roi Jean son fils les rappela, et les bannit sept
ans après, au grand contentement de ses peuples.
Charles V depuis, les ayant fait revenir, ils demeurèrent paisiblement
en France tant qu'il vécut. Après sa mort, ils furent si maltraîtés
sous Charles VI, qu'on en chassa une partie, les autres furent
dépouillés à force de taxes et d'impositions, et, la plupart assommés
par la populace, qui prenait plaisir à verser leur sang. Mais où toutes
ces particularités là sont fausses, ou il y en a bien peu de
véritables. Que si les Juifs furent chassés par Philippe de Valois, il
est impossible de savoir l'année.
Au reste, avant que de passer outre, il est à propos que je réfute un
point de l’Histoire des Juifs de très grande importance, racontés
faussement par la plupart de ceux qui ont écrit ce qui se passa en
France au commencement du quatorzième siècle.
X - FABLE RéFUTée
LES Chroniques de saint Denys
assurent qu'en 1321 les Juifs de l'argent
du roi de Grenade corrompirent les ladres de France (ou malades
lépreux), afin d'empoisonner les fontaines et les rivières, et même
Paul Emile ajoute que les Satrapes de Turquie ("protecteur du pouvoir")
furent, sinon les auteurs, du moins les instruments de cette
méchanceté. Les autres historiens Français cependant font tout tomber
sur les Juifs et les Turcs non plus que le roi de Grenade n'y ont
aucune part. Le trésor des Chartes à la vérité ne parle point des
Turcs, mais il fait bien noirs les rois de Grenade et de Tunis, qui par
deux lettres arabes et par les grandes sommes qu'ils firent tenir aux
juifs, les portèrent à cette horrible entreprise.
Ces lettres au reste ayant été interceptées,
furent traduites par
Pierre Diacre, docteur en théologie, en présence de François de
Aveneriis, Bailli de Mâcon et Chevalier ; de Pierre Moreau, juge en
dernier ressort à Lyon, de Barthelemi de Jo, archidiacre et de Ginotus
de Laubespinei, chanoine de Mâcon, Etienne Verjus, Guillaume de Nuys,
Pierre Pule et Jean de Cabanes notaires aussi de Mâcon les signèrent,
et Pierre de Lugni garde des Sceaux de la même ville, les scella du
sceau du bailliage.
A
l'égard du Roi de Tunis, il adressait sa lettre non seulement aux
Juifs, mais encore à leurs enfants : les saluait tant au commencement
qu'à la fin ; les traitait de frères, comme tenant la loi de Moïse : du
reste les priait de se souvenir de l'accord et du serment que lui, les
ladres et les soixante et quinze Juifs avaient fait le jour des
Pâques-fleuries, avec promesse de leur envoyer autant d'argent qu'ils
voudraient afin qu'au plutôt tous les Français fussent empoisonnés.
Ensuite pour les rendre plus hardis et leur ôter tout sujet de peur,
lorsque leurs enfants seraient en sûreté, qu'ils n’avaient qu'à les lui
envoyer qu'il les en suppliait, et qu'il en aurait autant de soin que
de lui-même.
La lettre du roi de Grenade était beaucoup plus longue, et s’adressait
à Samson fils de Hélie Juif, à la charge de la faire voir à Aaron et à
tous les autres Juifs. Elle portait entre autres choses :
« Qu'il avait
appris de lui avec beaucoup de joie que cent quinze Ladres eussent
prêté serment d'empoisonner les Chrétiens, et que l'argent qu'il lui
avait fait tenir, leur eût été distribué ; que pour ne pas faire
languir l'entreprise, mais l'exécuter promptement, il a envoyé à
Abraham et à Jacob trois chevaux chargés de richesses avec deux sortes
de poison, l'un pour jeter dans l'eau que le roi boit, l'autre dans les
citernes, les puits et les fontaines; que s'il trouvait qu'il n'eût pas
assez envoyé d'argent ni de poison, qu'il n'en chômerait pas ; que
Jacob et Acharias avaient prêté serment, entre ses mains ; qu'enfin il
rétablirait les Juifs dans la Terre Sainte, comme il leur avait promis;
qu'il les saluait tous, et les exhortait à achever l'entreprise au
plutôt en un mot, qu'ils n'épargnassent ni son poison, ni son argent
».
Voilà bien des badineries sans doute et un grand galimatias. Je
m'étonne fort que Pierre du Pui (Dupuy, écrivain et érudit chrétien,
1582,1651), personnage si bien guéri des opinions
populaires, et si versé dans l'histoire ait laissé dans le Trésor des
Chartes ces deux lettres si pleines de fausseté et d'impostures
d'ailleurs sans date, et dont les originaux ne se trouvent point.
De prouver qu'elles ont été supposées par les ennemis des Juifs, cela
n'est pas trop nécessaire, on le reconnaît assez et aux paroles et aux
circonstances, et on le reconnaîtra encore mieux dans mes preuves.
Cependant sur cette supposition, on brûla tous ceux qui en furent
ac-eûtes ; les Ladres qui n'en étaient pas soupçonnés furent enfermés
dans les Maladreries. A l'égard des Juifs, les pauvres furent chassés
du Royaume, les riches emprisonnés et contraints de donner à Philippe
le Long, cent cinquante mille livres, somme si immense, qu'elle
monterait maintenant à plus de quinze millions.
David Gantz (Gans, érudit et penseur
ashkénaze,
1541-1613) raconte la chose tout autrement, et même vingt-sept ans plus
tard que ne fait le Trésor des Chartes.
« En 1348, dit-il la mortalité fut si grande parmi les Chrétiens,
qu'il
n'en resta pas dix ; et les Juifs au contraire, furent tous garantis ;
ou s'il en mourut ce fut bien peu, et ceux-là étaient de la famille
d'Ascher. Cette indulgence du ciel autant que de sa nature attira sur
eux la colère presque de toute l'Europe : en même temps les voilà
persécutés et en France et en Espagne et en Allemagne. On les accuse
d'avoir empoisonné les puits et les rivières ; chacun se jette sur eux
pour s'en venger ; et enfin la vengeance fut si cruelle, que plusieurs
millions furent massacrés ». Mais comme ce Rabbin est le seul qui
parle
de ceci, il y a grande apparence que c'est une fable.
XI - ETAT ASSEZ
TRANQUILLE DES JUIFS
avec l'histoire d'Hugues Aubriot
EN quelque année que les Juifs aient été bannis par Philippe de Valois,
il est conscient néanmoins que ce Prince en 1348, prit ceux de Paris
sous sa protection, au mois de février. Quant aux autres, ils ne
retournèrent en France qu'en 1360, lorsque le Roi Jean, après sa
prison, les rappela, et dont il tira une partie de sa rançon. Depuis,
ils furent assez heureux - tant qu'il vécut, et sous le règne de
Charles V, car nous ne trouvons nulle part qu'il les ait bannis, quoi
qu'en dise Abraham Zachut.
Bien loin de cela, le livre Rouge du
Châtelet, nous apprend que Charles VI son fils à son avènement à la
couronne confirma les privilèges, que son père leur avait octroyés : et
nous lisons dans la Chronique Latine de Charles VI, que tant que
Charles V régna, ils furent maintenus par le crédit d’Hugues
Aubriot
Prévôt de Paris (Cliquez ici).
Cet homme était Bourguignon, et de médiocre famille. D'abord par son
esprit, il s'insinua dans les bonnes grâces de Louis de France duc
d'Anjou, et de Philippe de France duc de Bourgogne. Ses présents
ensuite lui acquirent l'amitié des principaux officiers, tant de la
Cour que des Conseils et enfin tous ces grands édifices qu'il fit, la
Bastille, le petit Châtelet, le pont saint Michel et les murailles de
la Ville, qu'il conduisit depuis la porte Saint-Antoine jusqu'au
Louvre, le firent considérer et du roi et des Parisiens.
Il aimait si
passionnément les juives, que lui qui gouvernait presque toute la Cour,
se laissait gouverner par ces impudiques, et elles eurent tant de
pouvoir sur son esprit, qu'elles le firent renoncer à la loi, et
embrasser celle des juifs, afin que sous sa protection et par son
crédit leurs affaires furent plus en sûreté.
Tout ceci se voit dans les écrits de ceux qui ont fait la vie de
Charles VI, mais particulièrement dans l'auteur anonyme de la chronique
de ce prince. Celui-ci rapporte qu'en 1380, une troupe de séditieux
étant venu « fondre sur la Juiverie, après avoir pillé quelque
quarante
maisons pleines, de richesses, firent main basse sur tout autant de
Juifs qu'ils purent rencontrer ; et de plus, obligèrent leurs femmes à
faire baptiser leurs petits enfants. Leur fureur enfin fut si étrange,
que la plupart de ceux qui l'évitèrent pour être plus en sûreté prirent
pour asile les cachots du grand Châtelet ».
Mais le roi dès le
lendemain, gagné par Aubriot, ne rétablit pas simplement les Juifs dans
leurs maisons, il leur fit encore rendre leurs enfants baptisés la
veille, avec commandement sur peine de la vie de restituer tout ce
qu'on leur avait pris.
Dans la même année, il arriva à Manthes (dans la Drôme) une pareille
sédition, pendant laquelle on pilla les biens des Juifs, que Charles VI
fit rendre, après avoir commis Guillaume du Bois et Jehanin Gandouin
Sergent d'armes ; par lettres patentes datées de Paris le dix-neuf
novembre 1380, pour aller à Manthes s'informer secrètement de ceux qui
avaient pris les biens des juifs, faire inventaire desdits biens, les
mettre en lieu sûr, pour la conservation du droit de ceux à qui ils
appartiendraient.
L’Université au reste, dont ce Prévôt de Paris avait souvent réprimé la
licence, informée de la vie honteuse qu'il menait comme en ce temps-là
elle était fort puissante ; jusqu'à se mêler des affaires d'Etat
l'Université, dis-je en 1381, obligea l'évêque de Paris à faire le
procès à ce renégat ; et malgré son crédit et l'opposition de tous les
Grands, le réduisit à ce point que d'être condamné à faire amende
honorable dans le parvis Notre-dame, et finir ses jours au pain et à
l'eau dans une basse-fosse.
Suivant la même chronique, les Juifs en 1382, pendant sa prison
furent
encore aussi mal traités par les Maillotins, qu'en 1380, par les autres
séditieux. Toute la raison qu'ils en purent tirer est que le roi en
1383 s'en plaignit par la bouche du chancelier d'Orgemont ; et cela,
lorsque le peuple paya si chèrement l'usure de sa rébellion.
XII - BANNISSEMENT DES
JUIFS
POUR LA DERNIÈRE FOIS SOUS CHARLES VI
APRES tant de persécutions et de maux soufferts, les Juifs à la fin
sous Charles VI (1368-1422), furent tout à fait bannis de France, et
pour n'y plus revenir, sans qu'on en sache l'année. Car ce ne fut ni en
1386, comme le prétendent Cohen et Gantz, ni en 1393, ainsi que
l'assure la chronique manuscrite, en 1395 non plus quoi qu'en puisse
dire Génébrard et Hottingerus, mais bien en 1394 le trois novembre,
comme il paraît par deux déclarations du dix-sept septembre de la même
année.
Et il ne faut pas s'étonner que ces auteurs ici, que je viens de
nommer, l'ayant ignoré, puisqu'ils ne sont venus que deux cents ans
depuis ; mais il est étrange que l'auteur anonyme de la chronique
manuscrite, qui vit chasser les Juifs raconte ce bannissement treize ou
quatorze mois plutôt, si bien qu'après cela, je ne sais plus où
j'en
suis ; ni quelle foi on doit ajouter aux historiens contemporains.
Pour revenir à l'histoire des Juifs, qu'une remarque si nécessaire à
interrompue, la première déclaration du Roi nous apprend qu'il les
bannit à cause de leurs usures excessives, et qu'ils violaient la
plupart des conditions et des clauses auxquelles son père et lui, en
les rappelant, les avaient obligés.
La seconde de ces déclarations
adressées au prévôt de Paris, ou à son Lieutenant, porte, qu'encore
qu'il exile les Juifs, il n'entend pas que leurs personnes soient
maltraitées, ni leurs biens pillés comme les ayant pris en sa
protection, bien au contraire, qu'il lui commande de faire un
inventaire fidèle de tout le bien qu'ils ont à Paris, et dans tout le
ressort de la juridiction.
Outre cela il lui ordonne de faire publier, que tous ceux qui leur
doivent aient à les payer dans un mois, à peine de perdre leurs gages;
et quant aux autres qui ne leur ont donné aucun gage, de retirer leur
obligation, et de les satisfaire avant le terme expiré. Enfin, il lui
enjoignit, quand ils partiraient, de les conduire lui-même, ou de les
faire escorter en tel lieu du royaume qu'il leur plairait.
Cependant les Juifs à qui il fâchait fort de s'en aller, eurent beau
faire pour tâcher d'obtenir la révocation, ou du moins le retardement
de cet exil ; ni leurs prières, ni leurs présents ne purent changer
l'esprit du Roi. Ils sortirent donc de Paris en 1394, le troisième de
novembre ; tout ce qu'ils ne purent emporter fut confisqué, et si
quelques-uns de leurs débiteurs se trouvèrent emprisonnés avant leur
départ, aussitôt les guichets leur furent ouverts, et sortirent tous en
1395 et 1397.
Quatre mois, ou environ, après leur sortie, on trouva dans une maison
du Faubourg saint Denys qui avait pour enseigne le Pourcelet, cent
quatorze volumes, quatre rôles, et quantité de cahiers de la Bible, du
Talmud et de la loi des Juifs, que les Trésoriers de France firent
porter à la bibliothèque du Louvre, et qui furent délivrés à Gilles
Mallet Maître d'Hôtel du Roi et son bibliothécaire.
En 1395, Charles VI, le deuxième mars, par l'avis des ducs d'Orléans,
de Berri, de Bourgogne, de Bourbon, et de son Conseil, fit publier une
déclaration, qui défendit à tous débiteurs des Juifs de leur rien payer
; de plus, fit cesser tous les procès commencés pour telle raison, avec
ordre de mettre hors des prisons ceux qui y étaient retenus.
Enfin en 1397, depuis le trente de janvier, il
voulut que le prévôt de
Paris, Pierre de Lesclar, Robert Maugier et Simon de Nanterre
conseillers au Parlement, fussent les commissaires, pour l'exécution de
sa déclaration, et leur ordonna de brûler et de déchirer tout autant
d'obligations faites aux Juifs, qu'ils pourraient trouver.
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Les Juifs à Paris au Moyen Âge

- Plan de Belleforest de 1575
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Troisième
et dernière partie :
Généralités de la capitale
Henri Sauval (vers 1620-1676), historien de Paris
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Sommaire : Faits
remarquables
touchant les Juifs - Les sortes de marques que l'on faisait porter (la
Rouelle) - Persécution touchant l'usage de la religion juive - La
Conversion des juifs - Emplois honorables de quelques Juifs - Usure des
Juifs - Le méris que l'on faisait des Juifs - Juiveries de Paris -
Synagogues de Paris - Cimetières de Paris
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XIII - FAITS REMARQUABLES TOUCHANT LES JUIFS
y depuis ce dernier exil.
LES Juifs depuis ce dernier exil, par deux fois ont fait tout ce qu'ils
ont pu, afin d’être rétabli à Paris surtout Cohen dit que le Rabbin
Salomon, et David de la tribu de Ruben, tâchèrent d'attirer à leur
religion Charles-Quint et François I, et que pour punition de cette
témérité, Salomon fut brûlé à Mantoue en 1533, et David en Espagne,
par
le commandement de l'empereur.
Les registres du Parlement, le Mercure François, et le recueil
des
charges du procès fait à la mémoire de Concini maréchal de France, et à
Leonora Galigaisa veuve, nous apprennent que ce maréchal et sa femme
firent venir quelques Juifs d'Amsterdam, qui bientôt après furent
suivis, non seulement d'Alvarez et d'Elian Montalto, tous deux Juifs de
profession, mais de beaucoup d'autres, tant de Portugal que de
Hollande. Et comme ils s'étaient répandus en plusieurs quartiers de
Paris, en ayant surpris préparant un agneau pour faire la Pâque, en
1615, on ne leur fit autre mal que de les obliger, à regagner la
Hollande.
Jean Fontanier natif de Montpellier ou de Castres
n'en fut pas quitte à
si bon marché en 1621. Celui-ci était calviniste de religion depuis
s'étant fait moine, ensuite avocat, secrétaire du roi, et enfin juif,
aussitôt il se mit en tête de rétablir le judaïsme en France. Et
comme
il y travaillait de la bonne sorte, demeurant pour lors à la rue de
Bethisi, à l'enseigne du nom de Jésus, dans le temps qu'il dictait à
ses auditeurs ces propres paroles, « le coeur me tremble, la
plume me
tombe de la main », il fut arrêté et conduit au Châtelet par le
Lieutenant criminel, et le dixième décembre brûlé en Grève avec son
livre qui était intitulé, Trésor inestimable.
Quoique je n'aie rien oublié de tout ce que j'ai pu trouver, soit dans
le Trésor des Chartes, les registres du Parlement, les titres de la
Chambre des Comptes, soit dans les rabbins et quantité d'historiens,
cependant je n'oserais assurer que j'aie fait mention de tous leurs
bannissements, sujets, comme ils étaient au caprice et à l'avarice de
nos princes et des gens de cour. Il ne faut pourtant pas passer sous
silence la nouvelle doctrine de Paul Yvon de Laleu, de Jaques de la
Peyrere, et d'un autre auteur sans nom, que leur dernier exil sera
suivi d'un dernier rappel.
Le dernier a tâché de prouver en 1657, dans un livre intitulé,
l'Ancienne nouveauté de l'écriture sainte, ou l'Eglise
triomphante en
terre. Que les Juifs, qui depuis la mort de Jésus-Christ sont le
jouet
et le mépris de toutes les « nations, en deviendront les maîtres, et
reprendront dans l'église le rang que le droit d'aînesse leur
donne ».
Quant à La Peyrere, il ne dit pas tout à fait la même chose dans son
livre du Rapport des Juifs, mais bien que leur conversion est
réservée
à un roi de France, que c'est à Paris qu'il les rappellera et les
convertira ; que de cette ville, il partira avec de puissantes armées
pour les rétablir dans Jérusalem et dans tout le reste de la Palestine.
Qu'après avoir embrassé la foi catholique, dieu fera pour eux de très
grandes choses. Et qu'enfin sous un prince de la race de David,
qui
relèvera l'église et domptera tous ses ennemis, ils seront rétablis
dans Jérusalem, qui pour lors deviendra plus belle et plus florissante
que jamais, pour y vivre en sainteté et en repos.
Pour Laleu, c'est belle chose et grande pitié que les contes qu'il fait
dans ses lettres écrites en 1628,1632, 1638, tant aux empereurs, rois,
princes, potentats de la terre, qu'au cardinal de Richelieu, aux
docteurs, heureux rabbins, Juifs et conducteurs du Peuple d'Israël.
Cet homme était de la Rochelle ; d'ailleurs riche, Juif de profession,
savant ; mais un peu évaporé.
Il ne s'était pas seulement imaginé d'être envoyé de dieu pour publier
le grand jubilé de l'évangile éternel, et le retour de toutes choses en
leur premier état naturel, et même pour annoncer aux Juifs qu'ils
devaient bientôt faire profession de la religion catholique et être
rappelés par le roi de France aux pieds duquel toutes les couronnes des
rois doivent être volontairement soumises, et les peuples délivrés et
affranchis.
Mais encore, il s'était mis dans l'esprit que la mort avait aussi peu
de pouvoir sur lui, que sur Isaac, quand Abraham le voulut sacrifier ;
et sur telle imagination, ne se contenta pas de défier le roi, les
princes et tous les hommes du monde, par des lettres et des affiches
imprimées de le tuer, ou de le faire tuer, mais de plus, il promit de
leur pardonner sa mort.
Et même supplia tous ceux qui pourraient y
avoir quelque intérêt de s'en prendre à lui seul, et non pas aux autres
qui l'auraient mis au repos, que sur toutes choses il souhaitait, et
qu'on ne lui pouvait donner, puisque dieu ne le voulait pas. Ces
prophéties, sans doute, sont assez gaillardes ; les raisons au reste et
les passages dont ces devins se sont servis pour les prouver, ne sont
pas plus croyables ni moins embrouillées.
XIV -
LES SORTES DE MARQUES QU'ON FAISAIT PORTER
aux Juifs, afin de les distinguer
QUOI QU'AU CONCILE de Latran tenu en 1215, il eût été ordonné aux Juifs
de porter sur l'estomac une «marque ronde» ; afin de les discerner
des Chrétiens, ce règlement toutefois n'eut lieu en France qu'en 1269.
Saint Louis fut le premier de nos rois qui leur commanda de coudre sur
leurs robes de dessus, devant et derrière, «une pièce de feutre, ou
de
drap jaune d'une palme de diamètre, et de quatre de circonférence».
Il
fut imité en cela par ses successeurs, mais peu à peu, à force d'en
retrancher toujours, ils l'appetissèrent (rendre plus petit) si bien,
qu'elle n'était pas plus grande qu'un écu.
Cependant on ne laissa pas de
l'appeler toujours «rouelle» en Français,
et «rota» et «rotella » en latin : et peut être ces noms ici ont été
donné à tel morceau d'étoffe, à cause qu'il était rond comme une roue,
ou même qu'il ressemblait tout à fait à une roue ayant «rais, jantes et
moyen» ; mais qu'avec le temps on retrancha, ne laissant que les
jantes, c'est-à-dire la circonférence. Et quoiqu'en cet état il fut
assez semblable aux anneaux et aux cercles jaunes que portent les Juifs
d'Allemagne, il conserva toujours son premier nom. Peut-être
l'attirait-on nommé «rotula» au lieu de «rotella», si ce n'était
qu'anciennement on appelait ainsi les hosties ; car c'est le nom que le
prêtre (illisible) leur donne dans la vie de saint Omer.
Quelques personnes savantes en l'histoire des
Juifs, croient que cette
«rouelle» était triangulaire, et qu'on l'appelait «billette», à
cause qu'elle ressemblait assez aux Billettes qu'on vit dans les armes
de plusieurs familles de France et fondent enfin leur conjecture sur la
fable de ce Juif si renommé dans Paris, qui en 1298, demeurant, à ce
qu'on tient au lieu même ou l’église des Billettes a depuis été bâtie,
fouetta, perça avec un canif, et fit bouillir une hostie que lui avait
livrée une pauvre femme chrétienne pour retirer sa robe qu'il avait
engagé.
Si bien qu'ils veulent même que le nom de Billettes ait été donné tant
à la rue des jardins, qu'à l'église de Notre-dame des Miracles, à cause
de la Billette que ce Juif portait au dos et à l’estomac, chose qu'ils
croient aussi vraie que si c’était un article de foi, sans preuve
pourtant, ni chartes, ni citer aucun auteur contemporain.
Saint-Louis après tout, pour obliger les Juifs à avoir toujours cette
marque sur eux, non seulement voulut que quiconque serait trouvé sans
l'avoir, sa robe fut confisquée au profit de celui qui l'avait surpris
en cet état, mais de plus, il le condamna à dix livres Parisis d'amende.
Philippe le Hardi qui lui succéda fit bien pis ; car outre « la rouelle
», il les contraignit de porter une corne sur la tête pour les rendre
ridicules, ce qu'ils souffrirent dans les villes avec beaucoup
d'impatience, se voyant hués et moqués incessamment, sans oser rien
dire, comme n'étant pas les plus forts ; mais apparemment à la
campagne, ils ne manquaient pas de s'en venger.
Ce qui fut cause que Philippe le Long en 1317 leur
permit de voyager
sans cette note d'infamie. Depuis, peu à peu, les plus riches s'en
exemptèrent par argent, aussi bien que de porter une rouelle : et cela
est si vrai, qu'en 1363, le roi Jean annula toutes les dispenses qu'ils
avaient obtenues, et les obligea de nouveau à porter sur leurs
vêtements de dessus une rouelle, mi-partie de rouge et de blanc, de la
grandeur de son grand sceau.
XV -
PERSECUTION DES JUIFS TOUCHANT L'USAGE
de leur Religion
LES Juifs pour tout ce qui regarde la Religion étaient traités à la
rigueur et sans miséricorde. Tous leurs présents et leur argent
étaient
inutiles et de plus, il semblait que nos rois, comme à l'envi, prissent
plaisir à les incommoder. Tantôt ils les condamnaient à trois cents
livres Parisis d'amende, pour avoir chanté trop haut dans leurs
synagogues, tantôt oit brûlait leur Talmud, tantôt ils étaient obligés
d'entendre la prédication d'un tel religieux en particulier qu'on leur
nommait, et même il falloir qu'ils lui montrassent tous les livres de
leur loi qu'il voudrait voir, et répondirent à toutes les questions de
théologie qui leur ferait.
Tantôt au contraire, on leur défendait
d'assister à nos sermons,
d'entrer dans nos maisons et dans nos églises, de disputer de la
religion qu'avec les théologiens ou des Juifs convertis, d'avoir
nourrices, servantes et autres domestiques de notre religion, de
circoncire leurs enfants avant qu'ils fussent en âge de répondre aux
interrogatoires qu'on leur ferait. Et de
crainte qu'ils ne
sacrifiassent des chrétiens dans leurs synagogues, ou ne vinssent
à y
cacher les Juifs couverts, ou les Catholiques qui avaient embrassé leur
loi ; il fut ordonné que ces synagogues n’auraient que les quatre
murailles, et encore toutes simples, sans être accompagnées, ni de
portiques, ni d'aucun autre lieu couvert.
Or comme les Jacobins alors et même dès le temps de saint Louis étaient
les seuls en France qui fissent profession de prêcher et d'enseigne à
la théologie. Ils furent fort longtemps inquisiteurs de la foi, et les
seuls qui prêchaient les juifs, les interrogeaient, et avaient droit
d'examiner leurs livres ; si bien qu'en cette qualité ils leur firent
beaucoup de mal.
En 1239, Henri de Cologne excellent prédicateur de cet Ordre, et Jean
de Mortare ou l'Allemand provincial de tous les Jacobins de la Terre
Sainte, obtinrent de Grégoire IX, la condamnation du Talmud et la
permission de le brûler. A leur persuasion, saint Louis aussitôt les
voulut avoir, et se les fit apporter au Château de Vincennes avec tous
les exemplaires.
Sur le point de les jeter dans le feu, ce livre plein
d'hérésies et de blasphème contre notre seigneur Jésus-Christ et la
sainte Vierge ; un archevêque gagné par les Juifs, dont Thomas de
Champré de qui j'ai tiré ceci, ne dit point le nom, et qu'il appelle
simplement premier Ministre, fit tant auprès du roi qui pour lors
n'avait que vingt ans, que ce livre leur fut rendu, dont les juifs
eurent tant de joie, que tous les ans ils fêtent ce jour-là.
L'archevêque
au reste, qui leur rendit ce bon office, étant venu à
mourir un an après au même lieu, et d’une mort encore qui étonna, le
roi épouvanté des jugements de dieu et des remontrances de Henri de
Cologne accourut à Paris, et voulut que les Juifs sur peine de la
vie,
lui remirent entre les mains tous les volumes du Talmud, qui furent
brûlés par le chancelier de l'Université et les docteurs régents en
théologie.
Ces livres au reste pervertissaient tant de chrétiens, que pour y
donner ordre, et empêcher un si grand mal, dès le ègne de Louis VII,
il n'y avait point de rémission pour ceux qui le faisaient Juifs;
tantôt on leur coupait un bras une jambe ou quelque autre partie du
corps, tantôt ils étaient condamnés à avoir la tête tranchée, et
quelque fois même on les brûlait tout vifs.
XVI -
TOUCHANT LA CONVERSION DES JUIFS
QUAND
un Juif marié venait à se convertir, on ôtait à sa femme les
enfants qu'il en avait eu ; afin de les faire instruire et les élever
dans la religion catholique : Si bien que Denys de Machault en 1393,
ayant abjuré le judaïsme, obtint une sentence du prévôt de Paris, tant
pour faire baptiser un enfant encore au maillot, qu'il avait eu de
Lyonne (ou Lionne) de Cremi sa femme, que pour faire instruire par des
chrétiens un autre fils et deux filles à ses dépens : et sur ce que sa
femme qui était juive, appela de cette sentence à la chambre du Conseil
du Parlement pendant la maladie de son fils aîné âgé de cinq ans qui
demandait le baptême, Guillaume Porel conseiller fut commis pour
visiter l'enfant, et voir en quel état il était, afin de le faire
baptiser, puisqu'il le désirait. Touchant l'appel de cette femme, dans
les registres d’où j'ai tiré ce que je viens de dire, je n'ai point
trouvé quel succès il avait eu et si on y eut égard.
A l'occasion de ce même Machault ici, l'année suivante ; c'est-à-dire
en 1393, sept juifs accusés de l’avoir tué, ou du moins fait absenter
de Paris après l'avoir engagé pour de l'argent à quitter la religion
chrétienne, outre tout leur bien qu'on confisqua, furent condamnés à
avoir le fouet trois samedis de fuite, et à dix mille livres d'amende.
Ceci pourtant est rapporté d'une autre façon et même un an plutôt dans
la chronique de Charles VI, et dans l'histoire de Jouvenel des Ursins.
La chronique porte que lorsqu'on vint à chasser les Juifs, quatre
firent retenus dans les prisons du Châtelet, accusés d'avoir assommé un
juif converti ; qu'ensuite ayant été condamnés d'avoir le fouet par
tous les carrefours de Paris quatre dimanches consécutifs , après avoir
souffert de la moitié de la peine, pour se racheter de l'autre, ils
donnèrent dix-huit mille francs d'or dont fut bâti le Petit-Pont
(disparu depuis et reconstruit au XIXe siècle sous cette appelation).
Jouvenel des Ursins
(Jean II Jouvenel des Ursins, 1388-1473) qu'on
appelle le singe, et le traducteur en petit de cette chronique,
fait
l'affaire bien plus grande ; car il s'en prend à tous les juifs de
Paris. Et non seulement les accuse d’avoir ou tué, ou bien battu un
Chrétien, mais d'avoir fait plusieurs choses des honnêtes au mépris de
Jésus-Christ et de la religion. Et que, ceux qu'on trouva coupables
furent condamnés au fouet et à dix-huit mille écus d'amende, que
quantités alors craignants d'être recherchés et traités de même se
firent aussitôt baptiser ; qu'au reste, ceci arriva en 1393. Mais je
pense que je ferai mieux de suivre ici Joannes Galli, il était avocat
du roi et a fait un recueil de toutes les questions de son temps jugées
au Parlement.
Celui-ci qui en
qualité d’avocat du roi, fut appelé et présent au
procès, dit « que ces Juifs avaient nom Samuel Lévi, Belleville
de
l'Etoile, Abraham de Savins, Moreau de Laon, Auquin de Boure Raphaël,
Abraham et Joseph Dupont Devaux, qu'on les accusait d'avoir conseillé à
Denys de Machault, juif nouvellement converti, de se faire apostat et
que tant pour cela que pour terminer un procès qu'il leur avoir intenté
devant leurs réformateurs.
Ils lui avaient donné de l'argent, quoiqu'il parût par les procédures,
que ce converti les avait portés à lui faire ces propositions, et que
la principale raison qui avait obligé à lui promettre de l’argent,
était pour le faire désister de ses poursuites, outre qu'on doutait
même qu'il eût abjuré sa foi ; que le prévôt de Paris, néanmoins
assisté de quantité d'avocats et de docteurs en théologie, n'avait pas
laissé de les condamner à être brûlés ; qu'en ayant appelé, la sentence
en 1394, avait été cassée le sept avril.
Et que la Cour confisquant le bien de ces sept Juifs, ordonna de
plus, qu'ils seraient bannis et fouettés trois samedis de suite, aux
Halles, à la Grève (de nos jours près de la place de l’Hôtel de
Ville) et à la Place Maubert ; que cependant ils garderaient la
prison, jusqu'à ce qu'ils eussent fait revenir Machault et payé dix
mille livres d'amende ; que de ces dix mille livres l'Hôtel-dieu en
aurait cinq cents, que le reste serait employé à commencer le Petit
Pont, et que contre la porte de derrière de l'Hôtel-dieu, il serait
dressé une croix de pierre, qui porterait que le pont aurait été fait
de l'argent des Juifs ».
Les Registres du Conseil du Parlement disent qu'en 1395 , au mois de
juin la Cour pour lever cette somme commit Etienne de Guiri, Pierre
l'Esclat et Robert Maugier, conseillers au Parlement.
Quant aux moyens dont on se servit pour obliger les Juifs à se faire
Chrétiens, j'ai déjà dit que Philippe Auguste, Philippe le Bel et tous
les autres rois qui les exilèrent, ne touchèrent point aux biens de
ceux qui voulurent se convertir.
J'ai dit aussi que
saint Louis et la plupart de ses successeurs
assignèrent des rentes sur leur domaine aux autres qui s'étaient
convertis. Philippe de Valois ne se contenta pas de les prendre en sa
sauvegarde ; mais défendit encore, sur peine de punition exemplaire, de
médire d'eux, ni de leur faire du mal. Charles VI abolit cette ancienne
coutume si cruelle qui confisquait le bien des Juifs qui se faisaient
baptiser.
Enfin tous nos rois et la plupart des papes les prirent sous
leur protection ; Grégoire VII, Calixte II, Eugène lIl, Alexandre IV,
Clément IV, Célestin V, Innocent V, Honorius et Nicolas III,
défendirent de les battre ou maltraiter ; de les contraindre à changer
de religion, d'exiger d'eux ni services, ni argent qu'ils ne dussent
point.
Et tout de même de déterrer leurs morts, usurper leurs cimetières,
troubler leurs fêtes et leurs cérémonies: et même fulminèrent des
anathèmes contre ceux qui violeraient ces défenses. De plus, ils eurent
des juifs pour médecins et même pour conseillers d'Etat : et autant de
fois qu’ils leur demandaient des Bulles pour se garantir de la
persécution des Français, rarement étaient-ils refusés.
XVII -
EMPLOIS HONORABLES DE QUELQUES JUIFS
QUELQUES
UNS de nos rois ont eu des juifs pour médecins, témoin Charles le
Chauve et Marie de Médicis. Nous apprenons des titres du Trésor des
Chartes, que Raymond Gaucelin
seigneur de Lunel, en fit venir un d'Aragon, pour guérir l'oeil
d'Alphonse de France, Comte de Poitiers et frère de saint Louis, leur
plus grand ennemi.
Dans l'examen des esprits, il est remarque que François I, envoya en
Espagne demander à Charles-Quint un médecin Juif, pour une maladie dont
les médecins de sa Cour n'avaient pu le guérir ; mais que n'en trouvant
point, et lui ayant envoyé un médecin juif nouvellement converti, il
n'apprit pas plutôt qu'il était chrétien, qu'il le congédia sans avoir
voulu lui présenter son pouls, ni même lui rien dire de sa maladie, et
en fit venir un de Constantinople (1453, prise de la ville par les
Turcs ou fin de l'empire chrétien d'Orient), qui lui redonna la santé
avec du
lait d'ânesse.
Au rapport de Gedalia et d'Hottingerus (Jean-Henri Hottinger,
théologien zurichois, 1620, 1667), quelques-uns de nos rois ont
choisi pour leurs conseillers d'Etat Dom Gedalia fils du prince
Salomon, et le rabbin Jechiele (Yehiel de Paris, né à Meaux décédé en
1268), si célèbre par ses prodiges ou illusions dont il éblouît les
yeux des Parisiens, et même d'une partie de la Cour, et d'un de nos
rois du treizième siècle.
Cet homme était fort docte, et si admirable pour
ses expériences, que
les juifs le regardaient comme un saint, et les Parisiens comme un
magicien, à cause de quantité de secret qu'il savait, qui imposaient à
la vue, et que le peuple prenait pour autant de miracles.
La nuit,
quand tout le monde était couché, il travaillait, dit-on, à la clarté
d'une lampe qu'il n'allumait que la veille du sabbat, et qui sans huile
éclairait. Or soit qu'on le crût sorcier, ou qu'on prît plaisir à
l'interrompre lorsqu'il étudiait, Gedalia et Hottinger disent que
presque tous ceux qui passaient heurtaient à sa porte tant qu'ils
pouvaient en faisant grand bruit ; qu'alors le rabbin n'avait pas
plutôt donné un coup de marteau sur un certain clou fiché dans le
plancher, qu'en même temps la terre s'entrouvrait et engloutissait ces
importuns.
De savoir si cela est vrai, je m'en rapporte. Cependant les cabalistes
n'en doutent point, et prétendent que c'est un effet de la Cabale
pratique que Jechiele savait parfaitement ; et ajoutent, qu'il avait
mis le nom de dieu au bout de son bâton, de même que Moïse au bout de
sa verge. Tout savant qu'il était au reste, ce ne fut pas tant son
mérite qui l'introduisit à la Cour, que sa lampe inextinguible dont
tout Paris était fort étonné.
Si bien, que saint Louis ou Philippe le
Hardi en ayant entendu parler fit venir Jechiele, afin de le voir, et
depuis eût tant d'estime pour ce rabbin, qu'il le fit son conseiller
d'Etat, le combla de biens et d'honneurs, et le maintint contre l'envie
et la médisance.
XVIII
- USURE DES JUIFS
APRES ce grand crédit dont je
viens de parler, que quelques juifs de temps en temps se sont acquis
auprès des papes et des rois de France, on voit que les Juifs n’ont pas
toujours été sujets à la persécution, qu'étant alors comme les maîtres,
ils faisaient bien valoir leur talent en matière future. Et de fait,
pendant plusieurs siècles leurs exactions furent si excessives et eux
si insolents, qu'ils achetaient les chrétiens et s'en servaient comme
d'esclaves.
A quoi l'église Gallicane assemblée à Orléans, à Mâcon et à
Reims, voulant remédier, elle excommunia tous ceux d'entre les
chrétiens qui vendraient leurs esclaves aux Juifs et de plus déclara
nulles telles sortes de ventes. Telles fulminations (colères) néanmoins
eurent si peu d'effet, et que le mal ne laissa pas de continuer, et
même durait encore du temps de Louis VII et de saint Louis.
On commença de s'opposer à ce désordre sous Philippe Auguste. Saint
Louis ensuite fit assez d'ordonnances pour l'empêcher, aussi bien que
quelques uns de ses successeurs ; mais l'exécution en était si molle,
qu'il eut autant valu de n'en point faire ; et quant aux aimés Princes,
la chose les touchait si peu, qu'ils permettaient tout pour de l'argent.
Outre ces Ordonnances contre la licence des usures, il y en eut encore
d'autres pour la réprimer. Philippe Auguste défendit aux Juifs de
prendre en gage ni charrues, ni lits de paysans, ni toute autre chose
dont ils ne le pourraient passer. Outre cela de tirer par semaine
plus
de deux deniers ou quatre tournois, ni même de leur argent donné, d'en
exiger future qu'un an après.
D'ailleurs il voulut qu'ils ne fissent
aucun prêt ni à chanoines, ni à religieux, sans un pouvoir en bonne
forme, tant de leurs chapitres que de leurs abbés. Quelques rois depuis
à ces défenses ajoutèrent d'autres menaces qui étaient de ne recevoir
ni croix, ni calices, ni ciboires, ni parements d'église.
Il leur fut encore défendu de mettre aucun Chrétien en prison pour
dette, ni de jouir de plus des deux tiers de son revenu. Nos Rois
encore quelquefois informés de leur barbarie donnaient des trois ans de
répit aux débiteurs ; afin de pouvoir s'acquitter et même arrachaient
de leurs mains avares les plus malheureux, que l'extrême nécessité
avait réduits à engager leur liberté, et qu'ils traitaient d'esclaves.
Quant au procédé de saint Louis, qui, comme j’ai dit, les avait
contraint le premier à porter une Rouelle jaune, et qui le premier les
éclairant de près, voulut les empêcher de prêter avec usure, il
assembla pour cela à Melun en 1230, les comtes de Boulogne, de
Champagne de la Marche ; de plus, le duc de Bourgogne, les comtes de
Montfort, de Saint-Paul, d'Eu, et de Châlons, outre le vicomte de
Limoges, Enguérrand de Coucy, et Guillaume de Dompierre, tous ou
souverains, ou les plus Grands du royaume, et les obligea à prêter
serment, que par toutes leurs terres une si sainte ordonnance serait
observée et de plus, qu'ils l'assisteraient de leurs forces suffi bien
que de leurs personnes, contre tous ceux qui seraient assez hardis pour
la violer.
D'ailleurs, il fit savoir aux Juifs : que pour être
soufferts davantage dans son royaume, il fallait qu'ils se fissent
marchands ou artisans, et gagnaient leur vie comme ses autres sujets.
Ce règlement fait, il prit tellement la chose à cœur, que si quelqu'un
d'entre-eux pour lors venait à faire le moindre prêt usuraire, outre
qu'on l'obligeait à rendre ce qu'il avait pris d'usure, quelquefois
même son procès lui était fait et on le punissait rigoureusement. Son
Conseil avait beau lui remontrer, que les usures étaient les nerfs du
commerce ; que de les retrancher, c’était ruiner les peuples ; que sans
elles, les laboureurs ne pouvaient cultiver la terre, ni les marchands
trafiquer, il se moquait de telles raisons.
Et tant qu'il régna, ce
désordre que ses prédécesseurs, autant par avarice que par coutume
avaient toléré, fut aboli : il fit même si bien connaître à son fils
les maux qui en arrivaient, que ce prince après sa mort, fit exécuter
ses ordonnances à la rigueur.
XIX -
LE MEPRIS QU'ON FAISAIT DES JUIFS
et leur esclavage
PHILIPPE le Hardi ne se contenta pas de s'opposer aux usures des juifs
et de faire exécuter ponctuellement les ordonnances de son père à cet
égard, il les traita encore avec tant de mépris, qu'il leur fut défendu
de porter des habits de couleur ; de se baigner dans les rivières où se
baignaient les Chrétiens ; de leur faire des médecines ; de toucher aux
choses qu'on vend pour manger, à moins que de les acheter; et enfin de
ne point sortir sans avoir, comme j’ai déjà dit, une corne sur la
tête.
Une chose encore bien plus
affligeante pour eux et qui leur devait
faire grand dépit est qu'il ne voulut pas que les vendredis, ni tout le
carême, ils usassent de viande, ni que dans chaque diocèse ils
eurent
plus d'un cimetière et une synagogue.
Les princes et les autres grands seigneurs ne les traitaient pas mieux
; quand on en pendait, c’était toujours entre deux chiens, on les
vendait comme on fait du bled, du bois, des héritages ; quelquefois ils
étaient affectés aux douaires des grandes dames et des reines. Et de
fait, dans les anciens comptes du domaine : nous voyons que Marguerite
de Provence veuve de saint Louis, avait son douaire (les biens réservés
à l’épouse) assigné sur des juifs, qui lui devaient tous les
quartiers
deux cent dix-neuf livres, sept sols, six deniers tournois de rente.
Philippe le Bel donna en 1296, à Charles de France son frère, Comte de
Valois un juif de Pontoise. Il compta à Pierre de Chambli Chevalier la
somme de trois cents livres tournois pour un juif qu'il avait acheté de
lui, nommé Samuel de Guitri. Et le même Charles de France son
frère,
non seulement lui vendit Samuel Viole, Juif de Rouen ; mais
généralement tous les juifs tant de son comté que de ses autres terres
et seigneuries.
Dans la fuite, il se verra qu'on ne leur permettait pas de changer de
pays, ni de maîtres. Toutes les fois que Philippe Auguste, Louis VIII,
et saint Louis assemblèrent les Etats, le Roi et tous les Grands
s'entre promettaient de ne recevoir dans leurs terres aucun Juif qui ne
leur appartînt pas, et qu'ils n'empêcheraient point les maîtres de tels
fugitifs de s'en saisir, comme de leurs esclaves, sans avoir égard au
séjour qu'ils y auraient fait ; et toutes ces précautions qu'ils
prenaient étaient fondées sur les sommes immenses qu'ils tiraient de
ces malheureux.
En 1226, la communauté des juifs, devait au roi par quartier quatre
cents quatre-vingt quatre livres, quinze sols.
Samuel
Viole, juif en 1299 donnait aussi par quartier à Philippe le Bel la
somme de trois cents livres. Les Juifs du comté de Valois lui payaient
par quartier quatre cens soixante-sept livres, six sols. Ceux de
Marguerite de Provence douairière de France lui devaient par
quartier, ainsi que j'ai remarqué déjà, deux cens dix-neuf livres sept
ibis six deniers.
En 1315, Louis Hutin ne consentit à leur retour, qu'à la charge de lui
payer dans trois mois vingt-deux mille cinq cents livres et dix mille
francs tous les ans.
En 1324, on condamna tous les Juifs du royaume à une somme si immense,
que selon la division faite entre ceux « de la langue d'Oc, et de
la
langue française », ainsi parlait-on en ce temps-là, ceux de
Languedoc
étaient taxés à quarante-sept mille livres. On exigea d'eux quinze
cents francs en 1364.
En 1367, ceux de Paris payèrent au roi quinze mille francs d'or. En
1387, ils devaient six mille cinq cents livres à Charles VI, qu'il
donna à Olivier de Clisson connétable de France.
En 1387 encore ceux de Languedoc promirent au duc de Berri, de
Bourgogne et de Bourbon, au cardinal de Laon, aux chanceliers de
France, de Berri, de Bourgogne, au comte de Sancerre et à plusieurs
autres du Conseil de Charles VI, de payer six mille francs pour cette
année-là au Changeur du Trésor de Paris ; somme qui fut employée à
payer les gens de guerre, aux réparations du Palais, au paiement tant
des chanoines que de l’amortissement de la chapelle du bois de
Vincennes.
De plus, la même année, lorsque le roi leur accorda certaine
déclaration qui défendait aux Chrétiens d'user de lettres de répit, le
chancelier de France exigea dix mille francs pour le sceau, car on leur
faisait payer si chèrement le sceau des lettres qu'ils achetaient, que
nos rois donnaient rarement ce droit là de la Chancellerie, et. si le
chancelier de Chappes en jouit tant qu'il fut en charge, c’était par
une grâce spéciale, seulement, après que le roi lui en eut fait don au
mois de septembre.
XX -
JUIVERIES DE PARIS
Parmi ce grand nombre d'ordonnances et de chartes que j'ai transcrites
dans mes Preuves (Tome III), il n'y en a qu'une seule qui
fasse mention des quartiers de Paris où devaient demeurer les Juifs.
Philippe Auguste et saint Louis qui ont été leurs fléaux, et n'ont
songé toute leur vie qu'à les charger de tributs et les accabler de
misère ne se sont pourtant jamais avisés de séparer leurs maisons de
celle des Chrétiens. Philippe le Hardi fut le premier qui les confina
aux extrémités de Paris, et les tira du cœur de la Ville et de tous les
autres endroits où son père et ses ancêtres les avaient laissé loger.
Depuis ils se retirèrent
à la rue des Juifs derrière le petit saint
Antoine, dans la rue Judas, qui est à la Montagne sainte Geneviève, à
la rue de la Tixeranderie, dans un cul-de-sac nommé le cul-de-sac de
saint Pharon, et que les anciens titres appellent « le cul-de-sac des
Juifs ».
Au reste, on croit qu'avant ce règlement de Philippe le Hardi, les plus
riches d'entre eux occupaient les deux côtés de la rue qui fait le
milieu de la Cité, et qui d'un bout tient au Petit Pont, et de l'autre
au pont Notre-dame. Et cette opinion est fondée non seulement sur
d'anciens titres de la Sainte Chapelle, qui portent que les Juifs y
avaient demeuré longtemps auparavant ; mais encore parce quelle se
nomme la rue de la Juiverie.
Pour ce qui est des artisans Juifs, assurément la
plupart, dès le temps
de Louis le Gros, logeaient vers la Halle, dans les rues de la
Poterie,
de la Friperie, de la Chausseterie, de Jean de Beausse, de la
Cordonnerie et à la Halle au Bled (concernant les céréales et leur
marchandisation) ; et enfin toutes les rues, aussi bien que cette
Halle, s'appelaient alors la Juiverie et le quartier des Juifs.
Car
c'est le nom qu'elles portent dans un titre que j'ai tiré d'un registre
de Philippe Auguste dans les bulles de Calixte II, et d'Innocent II,
qu'on trouve imprimées dans l'Histoire de saint Martin des Champs.
Si
bien que ces autres noms de Cordonnerie, Chausseterie et le reste, sont
tous noms modernes et changés par ceux de ce quartier-là ; afin de
faire oublier un nom si odieux. C’était là le sort des juifs et des
juives ; dans ce lieu-là ils représentaient comme une petite
République
à part, ou un peuple séquestré et enfin, c'est là qu'ils furent
pillés
sous Charles VI.
A l'égard des rues de cette Juiverie, quelques-unes sont étroites,
tortueuses et obscures d'un côté, elles finissent en triangle
vers le Marché aux Poirées : de l'autre, elles aboutirent à la
Tonnellerie vis-à-vis les piliers des Halles. Toutes les liaisons qui
les bordent sont petites, hautes, mal faites, et semblables aux
juiveries de Rome, Metz et Avignon. Toutes ces rues autrefois
étaient
fermées aux deux bouts avec de grandes portes, qu'on appelait les
portes de la Juiverie, et que François fit abattre, quand, par son
ordre, les portes qui restaient encore de la vieille enceinte de Paris
que Philippe Auguste avait achevée furent jetées par terre.
On dit que les fripiers sollicitèrent cette démolition avec tant
d'empressement, que pour les voir plutôt à bas, ils donnèrent même
quelque somme au roi ; du moins est-il constant que les propriétaires
des logis contre lesquels étaient ces portes lui donnèrent beaucoup,
afin d'avoir permission de les raser.
Après
tout, quoiqu'on ne révoque point en doute que les quarante-deux
maisons que Philippe Auguste donna en 1183 aux Drapiers et aux
Pelletiers (tanneurs des peaux, notamment les fourrures) de Paris, à la
charge de cent soixante et treize livres de cens, faisaient partie de
celles où logeaient les Juifs, et qu'ils avaient acquises. Néanmoins,
on ne sait point certainement en quelle rue elles étaient, bien que
cette donation ait été faite par ce prince soigneusement et avec assez
de formalité : et cela en présence de Thibaut son Panetier ("Officier
du service de bouche de la maison du roi chargé du pain et du
couvert"), de Gui son Bouteiller (en charge des vins), de Mathieu son
chambellan (conseiller royal), et de Raoul son connétable (chef des
armées).
Le lieu où ces logis sont situés, n'est exprimé, ni dans l'une, ni dans
l'autre des chartes qu'il fit expédier, et que j'ai tirées du
registre
Rouge de l'Hôtel de Ville. On croit toutefois qu'il était dans la
rue
de la Pelleterie, et celle de la vieille Draperie, parce que ces deux
rues aboutissent à la rue de la Juiverie. Et de plus, l'on tient une
chose, qui n'est pas sans apparence, que les Drapiers et les Pelletiers
s'y établirent sitôt qu'ils en furent les propriétaires, et qu'à cause
du long séjour que les marchands y ont fait, on leur a donné avec le
temps les noms qu'elles portent encore aujourd'hui, au lieu de ceux
qu'elles avaient auparavant, qui nous sont inconnus.
Au reste, ce ne sont pas là les seules juiveries de Paris : je trouve
dans le grand Pastoral, qu'en 1247, et 1261, il y en avait une à la rue
de la Harpe, et une autre dans la rue saint Bon, et celle de Jean
Pain-Mollet. La première se nommait la Juiverie, de la rue de la Harpe
et était à la censive (terres concédées contre une taxe) de saint
Benoît, et sur la paroisse saint Séverin. La dernière s'appelait la
Juiverie de saint Bon, et occupait une partie de la rue saint Bon et de
la rue Jean Pain-Mollet.
Enfin nous voyons dans les anciens Papiers terriers de Paris, que
quantité de Juifs s'étaient établis à la rue des Lombards, à la rue
Quincampoix et à celle des jardins, autrement des Billettes. Bien plus,
nous lirons dans Rigord, dans le continuateur de Nangis (Guillaume de
Nangis, moine, décédé vers 1300) , l'Itinéraire
de Benjamin, et même dans les chartes du Trésor, du grand Pastoral, de
l'archevêché de Paris, du grand prieuré de France et de l'hôpital du
saint Esprit, qu'ils avaient deux synagogues, deux cimetières, un
moulin et une île qui s'appelait l’Isle des Juifs.
Une charte de Philippe le Bel et la chronique française du continuateur
de Nangis remarquent que cette île était dans la Seine, proche de la
porte de derrière du jardin de nos rois, entre l'Île du Palais et le
couvent des Augustins, en un lieu où les religieux de
Saint-Germain-des-Prés avaient haute et basse justice, et que ce fut
dans cette île-là même que Philippe le Bel en 1313 fit brûler le grand
maître des Templiers, et le grand maître de Normandie.
Les
anciens plans de Paris nous apprennent que cette Isle était fort
petite, et l'une des deux qui terminait autrefois île du Palais,
avant
qu'on eût bâti le Pont Neuf et la place Dauphine ; et nos pères qui
l'ont vu disent qu'en hiver, la rivière la couvrait entièrement, qu'en
automne, elle comblait un petit canal qui la séparait de l'île du
Palais et qu'en été ce petit canal était à sec, mais nous ne voyons
nulle part pourquoi on l'appelait l'Isle des Juifs.
Tous ceux qui ont
parlé du lieu où furent brûlés ces deux templiers n'ont point
dit, son
nom ; nos pères ont oublié le continuateur de Nangis est le seul qui le
rapporte ; et quoiqu'il n'en fit pas savoir la raison, nous ne laissons
pas de lui être redevables de ce qu’il fait revivre la mémoire et le
nom d’une île dont tous nos historiens n'ont point fait mention.
Pour ce qui est du moulin aux Juifs, il est conscient que c’était un
moulin à eau et portait ce nom, parce qu'il leur appartenait et servait
à moudre leur bled. Les titres du saint Esprit font voir qu'il était
sur la Seine et attaché à la rue de la Tannerie, et aux moulins qu'on
nommait alors, et qu'on nomme encore les chambres et les moulins Maître
Bugue.
Ce moulin devait vingt livres Parisis de rente foncière à l'hôpital du
saint Esprit, et cinq sols Parisis de cens et rente au monastère de
saint Magloire, mais étant tombé en ruine, les administrateurs du saint
Esprit le firent décréter, à cause de plusieurs années d'arrérages
(arriérés) qui étaient dus, ils se servirent du privilège des bourgeois
de Paris pour se le faire adjuger ; et en 1437, le vendirent tant à
Henri Ycques et Guillaume Parisot, qu'à Raouline et Jaquette leurs
femmes à la charge de cens (redevance ou taxe) et rentes, de cent sols
Parisis de rente foncière, et d'y bâtir dans trois ans un moulin
neuf à
leurs dépens.
XXI -
SYNAGOGUE
TOUCHANT les synagogues, il y en a eu deux ; une à la rue de la
Tacherie, que Philippe le Bel donna en 1307, à Jean Prunin son cocher,
un an après avoir chassé les Juifs ; l’autre à la rue du cloître saint
Jean en Grève, et occupait apparemment quelqu'un des étages d'une
vieille Tour carrée qui faisait partie de la première enceinte de
Paris.
Car dans un titre de l'année 1298, passé entre Girard de Villars,
grand prieur de France et les religieux du Val Notre-dame de l'Ordre de
Citeaux, il est parlé expressément que cette tour se nommait
communément la Synagogue : ainsi il faut que les Juifs y aient fait
autrefois leurs prières, célébré leurs fêtes et tenu leurs assemblées et
sans doute ça été pour se moquer d'eux et de leurs cérémonies que le
peuple la nommée la Tour du Pet au Diable (dessin du XIXe s.
ci-dessous), qu'elle retient encore
aujourd’hui.
Rigord assure que Philippe Auguste en 1183, commanda que toutes les
synagogues de France fussent converties en églises et qu'on y fit des
chapelles dédiées à Jésus- Christ et à la Vierge Marie. Ce qui est
confirmé par la donation qu'il fit d'une synagogue de Paris à l'évêque
Maurice. Et que j'ai tiré d'un petit cartulaire de l'archevêché,
mais
je ne sais où elle était située, et même je doute si c’est celle de
saint Jean en Grève, ou de la rue de la Tacherie, ou de quelque autre
qu'il veut parler, car il n'en est pas dit un mot.
Certainement quand
je considère ce titre et celui de l'année 1198, que j'ai cité, je ne
saurais pas m'empêcher de me plaindre de la barbarie du douzième
siècle, où l'on écrivait sans prendre la peine de s'expliquer (sic).
J'omets ici les noms d'une longue suite de savants rabbins, qui ont
expliqué la loi aux Juifs dans ces synagogues, et rapporterai seulement
ce qu'en dit le docteur Benjamin à la fin de son itinéraire. Ce rabbin
qui écrivait sous Louis le Jeune, après avoir fait le récit de son
voyage, tant en Europe que dans l'Asie et dans l'Afrique, et
particularisé les synagogues les rabbins et les Juifs qu'il avait vu, j’avoue
que les rabbins de Paris surpassaient en savoir et en charité
tous ceux que les juifs admiraient dans le reste du monde.

XXI -
CIMETIERES DES JUIFS
LES Juifs avaient à Paris deux cimetières ;
l'un à la rue Garlande, ou
Galande (toujours existante), qui devait en 1358 quatre livres Parisis
de cens (redevance sur les biens) et rente à deux chanoines de
Notre-dame, qu’on appelle les chanoines de saint Aignan ; l'autre
attaché à un jardin et un logis que Philippe le Hardi donna en 1283, à
Gilbert de Saana chanoine de Bayeux, et qui faisait partie de la rue de
la Harpe.
En 1311, c’était une grande place vide que Philippe le Bel vendit mille
livres de petits tournois aux religieuses de Poissy qu’il avait
fondées, et qui était encore au même état en 1321 ; mais parce qu'elle
tenait au jardin de Jean comte de Forest, ce prince l'acquit de ces
religieuses par échange, et leur donna la terre de la Picardie en Brie,
assise dans la paroisse saint Fiacre proche de Meaux.
Charles VI,
depuis ayant acheté cette maison de Louis II, du nom duc de Bourbon qui
avait épousé Anne fille unique de Jeanne comtesse de Forest, il la
donna en 1384, à Jean duc de Bretagne comte de Montfort, qui s'en défit
en 1395, en faveur d'Alain de Malestroit seigneur d'Oudon, et
d'Isabelle sa femme. Enfin ce cimetière et cet hôtel ont passé entre
les mains de plusieurs qui y ont bâti quantité de maisons.
Après cela, il ne faut pas s'étonner si on déterre tous les jours en ce
quartier-là des ossements, des tombes et des épitaphes hébraïques.
C'est
de ces épitaphes-là assurément que Génébrard veut parler, quand
il dit qu'il y en a découvert deux. Mais par le moyen de Claude Hardi
conseiller au Châtelet, homme docte et très curieux, j'en ai vu
beaucoup d'autres dans la rue de la Harpe, et qui se trouvent dans
l'écurie de Jean Doujat conseiller de la Grand Chambre, dans
l'escalier de Françoise Maynard, veuve d'Alexandre Briçonnet, trésorier
de France, et dans une autre maison voisine bâtie dans la même rue,
vis-à-vis, la rue du Foin.
Histoire du Judaïsme et
Archéologie : cliquez ici
Marc-Alain Ouaknin s'entretient avec Paul Salmona -
France Culture 2014
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- Source : Gallica-BNF -
Henri Sauval
Histoire et
recherche des Antiquités de la ville de Paris
Tome II, livre dixième (édition de 1724, pages 510 à 532)
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