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Sommaire de la page,

1 - Anacharsis de Cloots, écho du nationalisme naissant ?

2 - Pouvoirs, mythes et opportunismes & discours de Danton août-septembre 1792

3 -  Chronologie détaillée de septembre 1792 & vidéo sur la Bataille de Valmy et l'imagerie révolutionnaire

4 - Rosalie Jullien, Journal d'une bourgeoise

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Anacharsis Cloots,
écho du nationalisme naissant ?


 
Le baron et le riche banquier Anacharsis Cloots, « l’orateur du genre humain » a été l’une des figures les plus insolites de la Révolution. Né en 1755 près de la frontière de la Hollande (territoire sous domination Prussienne), de son vrai nom, Jean-Baptiste de Cloots, il devint député à la Convention en septembre 1792 pour le département de l'Oise, il venait juste d'être naturalisé français comme Thomas Paine, celui-ci, britannique. Les deux hommes ont incarné une toute petite part des étrangers qui prirent, non seulement position pour la France dès 1789, et qui aussi participèrent à la naissance de la république, trois ans plus tard. Ils advint que l’un et l’autre furent exclus de l’Assemblée nationale à la fin du mois de décembre 1793.

J.B. Cloots lui a été condamné et a été mis à mort en mars 1794 après avoir soutenu des positions sans grandes cohérences autres que ses retournements de veste ou d'avis réguliers, et alla jusqu'à prendre parti en faveur de l'esclavage, son abolition pouvait  selon lui menacer la France de la ruine. De Barnave à la sans-culotterie, il a papillonné dans plusieurs cercles politiques, et il se fâcha notamment avec les dits élus girondins après les avoir rejoints et soutenus.

Personnage fantasque, mais apparemment sincère dans son inconstance, Cloots représenta l’adhésion au vocable "patriote" dans bien des aspects du nationalisme naissant, bien que sous des apparences d'un universalisme à vision limitée, pour beaucoup à l'image de l'oxymore d'un soi-disant "universalisme français". Il pourrait même faire penser à un national, plus que typé, du cru, avec sa gouaille, eh bien non ! il ne l'était devenu que le 26 août 1792.

Ce fut une étrange figure, qui voulut la mise en oeuvre d'une république universelle, et qui souhaita faire de Paris le centre du monde, comme l'avait été la ville de Rome au temps de l'empire disparu. Et dans ses élucubrations, il soutint les massacres de septembre 1792, il fut aussi durant le processus un des plus va-t-en-guerre, et l'avait été dès avant 1789, tout comme il a été un farouche partisan contre la loi agraire : « Des hommes absurdes ou perfides se plaisent à répandre la terreur dans l’âme des propriétaires. On voudrait semer la zizanie entre les Français qui vivent du produit de leurs terres et les Français qui vivent du produit de leur industrie. Ce projet de désorganisation sort de la boutique de Coblentz. »

« Déjà Cloots, qui avait longtemps suivi les Girondins et qui avait été un des commensaux de Mme Roland, se séparait avec éclat de ses anciens amis dans une brochure retentissante qu’il intitulait Ni Marat ni Roland, mais où il attaquait exclusivement les Girondins. Il révé­lait qu’il avait entendu Buzot, à la table de Roland, prétendre « qu’une république ne devait pas être plus étendue que son vil­lage ». Il accusait Roland de prêcher le fédéralisme. »
Source : Albert Mathiez - La Révolution française,
La chute de la royauté La Gironde et la Montagne La Terreur, pages 312 et 382.

Le texte qui suit est fort instructif sur la famille girondine et du climat général face à la question fédéraliste, comme objet de dénonciation. Cette étrange opposition entre Marat et Jean-Marie Roland, dont il dit surtout du mal de Brissot, permet de découvrir une opinion assez commune sur les massacres survenus du 2 au 5 septembre 1792 à Paris, et reprise par beaucoup qui ont cherché à mettre ce fait des plus macabres sous le tapis. Faire porter sur Marat une responsabilité commune était tellement plus simple...

Le texte de Cloots est suivi d'une réponse du ministre Jean-Marie Roland aux propos de ce dernier.

Note de Lionel Mesnard
« NI MARAT, NI ROLAND »
       

Portraits de Marat et Roland

  Opinion d’ANACHARSIS CLOOTS


Député du Département de l’Oise, à la Convention Nationale (1)

« Il y a plus de trois semaines que j’ai articulé un fait, très indifférent par lui-même, mais qui excite aujourd’hui la curiosité de la Convention et de la Nation. J’en demande excuse à Guadet, qui m’a sommé, par les plus exécrables vociférations, de ne pas insister sur mon dire, et qui aurait voulu, avec sa large conscience, me faire passer modestement pour un menteur, afin d’éviter un prétendu massacre populaire. La chaleur de Guadet me parut très suspecte ; mais ne lui ayant jamais entendu professer des hérésies politiques, j’en conclus qu’il avait trop dîné. Peut-être suis-je trop indulgent.

Malgré les petits sophismes et les petites passions, la vérité triomphera sous le règne de la liberté ; la faction du genre humain l’emportera sur la faction Marat, et sur la faction Brissot. Cette victoire sera d’autant plus facile, que Marat est, à peu près, seul avec ses poignards, comme Médée avec ses poisons. Le « moi » du grand Corneille pourrait s’appliquer à l’extravagant Marat; quant à Brissot, je ne connais pas d’homme moins brissotin que lui; mais ses erreurs sont si graves, qu’à moins de le connaître personnellement, on le croirait payé par tous les ennemis de la France et du genre humain; et c’est lui faire, en vérité, beaucoup trop d’honneur. Brissot, avec sa marche tortueuse, ses mensonges officieux, et ses systèmes avortés, devait être suspect aux républicains indivisibles ; Paris devait naturellement l’avoir en horreur. Les royalistes cachés, les fédéralistes honteux, et les modérantistes insinuants, se coalisèrent pour accorder les honneurs du fauteuil contre-révolutionnaire à Brissot, qui ne s’en doutait pas : et voilà comment Brissot, avec sa médiocrité, est devenu, sans le savoir, le prête-nom de tous les charlatans politiques. Cette ligue sourde trouve de puissants obstacles dans la masse et les lumières d’une ville de Paris, le centre de l’unité constitutionnelle.

La sanglante journée du 2 septembre est devenue un prétexte pour les fédéralistes, comme la sanglante journée du 6 octobre pour les aristocrates. Rien n’est plus oratoire que de montrer une chemise, trempée dans le sang, aux hommes faibles, aux femmes timides, et de s’écrier, avec le ci-devant châtelet : « Le voilà donc connu ce secret plein d’horreur ! » Je soutiendrai toujours, et mon œil vaut celui d’un autre, que le carnage du 2 septembre est une suite de la révolution, comme le carnage qui abreuve les sillons de la Champagne. Il est vrai que la retraite des Prussiens a rendu l’expédition des prisons, et la dépense du camp de Paris très inutile. On vous prouvera aujourd’hui que c’est du sang et de l’argent répandus à pure perte. Il est démontré que des coquins ont volé, et que des scélérats ont proscrit des têtes civiques ; moi-même j’étais affiché dans les carrefours, sous les portiques, sur les colonnes, pour un homme pendable ; ma vie était entre les mains d’un Marat, comme la vie d’un brave officier est à la merci d’un lâche soldat, dans une bataille. Dieu sait tous les crimes particuliers qui se commettent après une victoire générale ! Cela n’empêche pas de chanter le Te Deum. Je voudrais que le commandant Santerre publiât les explications décisives qu’il donna aux membres de la commission extraordinaire, en présence du maire de Paris, et des ministres, en présence de deux administrateurs de Versailles, qui vinrent annoncer que des milliers de gardes nationaux de la campagne demandaient un nombre de têtes connues. Santerre, avec le bon sens de l’expérience, fit renoncer Brissot et Vergniaud à certain projet de décret physiquement impraticable. Il faut avoir le courage de parcourir les groupes, et s’entretenir familièrement avec le peuple, avant de proposer un décret, dans les temps orageux. Ce n’est pas en provoquant les horreurs d’une troisième révolution, que nous prouverons notre amour pour l’humanité.

Depuis le 10 août, les fédéralistes, et la gente moutonnière avoient résolu de se réfugier dans le midi : je fis un article vigoureux dans la «Chronique», contre ce plan désorganisateur. La journée du 2 parut une occasion décisive pour décrier et quitter Paris. Le peuple, qui n’ignore rien, en voulait surtout à Roland, dont les liaisons intimes avec Brissot lui paraissaient inquiétantes. Je ne connaissais pas Roland, et lorsque, vers la mi-juin, j’invitais le peuple à remplacer provisoirement Louis XVI par le «vénérable Roland », je croyais celui-ci un tout autre homme. C’est le 3 septembre qu’on me fit connaître ce ministre, chez qui j’ai dîné quatre fois. Mais cette maison, d’ailleurs très agréable par l’esprit et les grâces de Madame Roland ; cette maison, dont les murailles devraient être transparentes comme le cristal, me devint fastidieuse, par un commérage ridicule contre Paris, et par le fédéralisme qu’on y professait pédantesquement. Buzot, l’ascétique Buzot y prétendait qu’une république ne devait pas être plus étendue que son village. Rebecqui, après avoir longtemps ferraillé pour les petites républiques, soutint qu’il fallait rejeter Nice, dont le commerce ferait tort à Marseille. Bancal, au défaut de mes poumons, réfuta complètement Buzot. Je dis à Rebecqui : « Vous êtes orfèvre, M. Josse? Non, pardieu, répondit-il sérieusement ; « je suis marchand de liqueurs ». Roland, en nous racontant l’inconduite de vingt-cinq feuillants d’un bataillon des Lombards, en conclut vertueusement que les Parisiens sont des poltrons. Je fus le seul à observer que Paris avait fourni trente à quarante mille combattants, dont la bravoure ne s’est pas démentie sur les frontières. J’ignore quel mal lui a fait Lille, la clef de Paris : les immortels Lillois ont reçu des lettres rebutantes du très mortel ministre.
Roland, dont la tête n’a pas mûri dans les savantes combinaisons politiques, se fâcha puérilement, lorsque après avoir repoussé ses arguties fédératives, je lui conseillai la lecture d’un ouvrage qu’il ne connaissait pas, et qu’il affecta de mépriser, en disant que ce livre anglais avait eu bien peu d’influence en Amérique. Je lui appris que la dernière convention américaine professait les mêmes principes : j’insistai ensuite sur l’importance de recevoir les Savoisiens dans notre sein, pour déjouer les Sénats helvétiques, et pour éviter le funeste exemple des formes fédératives. « Ah! je sais, nous dit-il, d’un ton menaçant, que des habitants de Carouge me sont adressés ; mais ils n’y retourneront pas deux fois». C’est ainsi que l’intrigue environne un vieillard vertueux, mais bizarre, pour désorganiser un empire, pour lutter contre les destinées du genre humain. Le poète Chénier a dit, que Roland est un personnage historique ; et moi, prosateur, je maintiens que Roland est un personnage fabuleux. Condorcet a dit un mot profond : « Il faut aux intrigants un Lafayette civil ».

Les royalistes et les fédéralistes vont réveiller la secrète jalousie des principales villes contre la «grande ville», en insinuant que Paris veut être « roi de France ». Ils en concluent naturellement, que la maison de Bourbon est préférable à une maison commune, et que le fédéralisme vaut mieux que l’assujettissement. De ce réveil stupide, résulte une garde militaire, qui, au premier mécontentement prévu et provoqué, entraînera la convention nationale, Dieu sait où ! De-là résultent des lois attentatoires à la presse et à la poste ; de-là résulte la chute des Jacobins, l’élévation d’un Sénat, et l’abaissement de la sans-culotterie ; de-là résulte une constitution, non pas à la Chapelier, mais à la Buzot ; de-là résulte une religion dominante, ou au moins le maintien du culte salarié. Les illuminés de la rue des Petits-Champs sont aussi habiles que les illuminés de Potzdam. Rien de mieux, pour égarer l’opinion, pour se jouer des hommes, que de les circonvenir de noirs fantômes. Ceux qui voudraient museler le peuple comme une bête farouche, lui supposent des vices et des erreurs qu’il n’a point. Les vaines tentatives, et la catastrophe des Necker, des Bailly, des Lafayette, ne découragent pas leurs tristes et plats émules. J’avoue, à la louange du jeune Barbaroux, que, frappé de mes réponses victorieuses chez Roland, il me dit le lendemain à l’assemblée ; « Mon cher Anacharsis, je voudrais m’entretenir tête a tête avec vous, pour dissiper tous mes doutes sur le gouvernement fédératif. Ces questions vous sont plus familières qu’à moi. Je lui répondis : Défiez-vous des gens qui vous mettent en avant ; le philosophe, est seul ». Le patriotisme de Barbaroux est pur comme les traits de son visage ; mais le feu qui l’anime est soufflé par des hommes impurs, par des hommes qui, semblables au commissaire tremblant Kersaint, sont ennemis nés des grandes pensées, et des belles actions. Les nombreux valets de Lafayette ne sont pas morts avec lui ; il leur faut une nouvelle idole, un mode quelconque de servitude.

Je crus m’apercevoir que Roland exerçait une espèce de dictature, d’autant plus qu’à l’aide de douze ou quinze secrétaires, et avec l’esprit de la bouche de fer, et avec l’argent de la nation, il est facile de couvrir tous les murs, et de remplir toutes les poches de « lettres édifiantes, de comptes moraux mystiques ». Je vis que Roland avait fait la jonction des deux mers par un canal moral qui unissait les bouches du Rhône à la Gironde. Je craignais que ce nouveau Louis XIV n’eût une cour qui le conduisît aussi jésuitiquement que la Maintenon et le père la Chaise. Comme je hais la cour, je ne retournai plus chez Roland, qui peut aussi m’appliquer le mot connu de Charles Lameth, président de l’assemblée constituante : « Cloots fuit les grandeurs » (sic). Longtemps avant sa présidence, j’étais guéri de celui que sa fameuse égratignure m’avait fait connaître personnellement ; J’en atteste notre collègue Massieu, évêque de Beauvais. Ce n’est pas que je veuille comparer les mystificateurs Lameth au mystifié Roland, dont la simplicité est telle, qu’il me pria bonnement de renoncer au principe de la souveraineté du genre humain. En effet, ce principe convient trop aux unitaires et aux niveleurs, pour ne pas déplaire aux fédéralistes et aux partisans de chétives républiques isolées et protégées. Notre collègue « Lachaise » ne fut pas moins surpris que moi du ton qui régnait, et des discours qu’on tenait chez le ministre de l’intérieur.

Pour en revenir à Brissot, je lui ai parlé, la première fois de ma vie, en dînant, avec le victorieux Dumouriez, chez Pétion. Notre première conversation fut une dispute, dont Thomas Payne fut le juge, en condamnant formellement mon adversaire, qui, loin d’admettre ma République universelle, prétendait que la France est trop grande. Payne, à chaque interpellation, répondait : Mister Brissot, nous sommes encore dans l’enfance des gouvernements; le système de Mister Cloots pourra fort bien se réaliser un jour. Une monarchie est souvent trop étendue; mais la république des droits de l’homme peut couvrir le globe entier. Les mille départements de Mister Cloots seront beaucoup plus faciles à gouverner que les cinq cent provinces d’un César, d’un Gengis Khan, d’un Charlemagne.

J’aimerais assez Brissot ; il est gai et sociable ; je ne lui crois pas les vues qu’on lui prête ; je lui reproche plutôt les vues qu’il n’a point : sa tête ne se redresse pas d’une ligne au-dessus de la pente qu’elle a prise depuis dix ans. Dernièrement, au comité diplomatique, le citoyen Royer, évêque et député de l’Ain, nous communiqua une lettre de la Savoie dans laquelle les intentions de plusieurs de nos législateurs et ministres, contre l’admission du quatre-vingt-quatrième département, sont dévoilées. Brissot nous dit qu’il était du même avis : je me joignis à l’évêque de l’Ain pour le combattre. Royer insista sur ce que les départements voisins prendraient fait et cause pour le Mont Cénis, et que d’un refus impolitique naîtrait une scission fâcheuse. Tant mieux, répliqua gravement Brissot ; « nous avons trop de départements ». Brissot veut apparemment des républiques isolées: dans ce cas-là il serait non pas « fédéraliste », mais, qui pis est, « isoliste ».

Nos ambitieux sont désolés de la grandeur du peuple Français : un souverain puissant les condamne à l’impuissance. Personne n’est grand dans une grande république. Plus on a du génie ; et mieux on calcule la force irrésistible, et les avantages inappréciables de l’égalité civile, de la liberté universelle. De petites fractions nationales conviendraient mieux, sans doute, à des pygmées qui voudraient paraître des géants. Ces pygmées se coalisent derrière un homme en place dont ils renforcent le mannequin gigantesque. Illusion éphémère ! car le souverain infiniment jaloux, ombrageux et fort, fait rentrer d’un regard et d’un geste tous les ambitieux dans le néant.

Voici la conclusion philosophique que je tire de cette discussion désagréable : c’est que le peuple contrarié dans son heureux instinct, par les maximes fausses d’un mandataire ou d’un fonctionnaire, attribue toujours à la corruption du cœur, ce qui n’appartient qu’à l’organisation de la tête. Par exemple, le bon Kersaint qui voulait négocier la paix avec l’Autriche, huit jours avant le coup de canon des Tuileries, et qui, à son retour de Sedan, voulait se cacher dans les montagnes méridionales ; on l’a cru traître, et il n’était que sot et poltron. L’erreur engendre l’erreur. On se fait mutuellement des reproches exagérés ; les vilainies et les injustices s’en mêlent de part et d’autre; les vengeances privées s’agroupent en vengeances publiques. On est exclu ignominieusement d’un club ou d’un corps électoral; le moi des égoïstes s’en offense aux dépens du peuple. On s’accroche à tout, et aux royalistes, et aux fédéralistes, et aux isolistes, et aux nihilistes. N’importe, il faut entraîner la patrie dans la méprisable cause du moi que vous aimez mieux que le nous. Le moi, c’est Brissot, Cloots, Robespierre ; le nous, c’est la France et le genre humain.

Et vive la république universelle !

De l’Imprimerie de Desenne, rue Royale, butte Saint-Roch, N°25. 1792.

  Note de l’auteur  (ci-contre en peinture)                                   

(1) Puisque chacun imprime son opinion, je publie la mienne, d’autant plus qu’on répète inexactement mes expressions verbales. L’assemblée, après avoir ouï Louvet et Robespierre, a eu raison de consacrer la maxime : À bas les hommes ! à l’ordre du jour les choses ! Je recommande cette maxime à Roland et à Marat, deux êtres qui se donnent mutuellement une importance grotesque. Roland, par ses étranges assertions sur la première semaine de septembre, fait valoir Marat auprès des sans-culottes ; Marat, par ses étranges assertions sur tous les événements, fait valoir Roland auprès des gens culottés. La multitude, qui sait à quoi s’en tenir sur la révolution des mois d’août et de septembre, regarde Marat comme un limier utile, mais sanguinaire ; elle regarde Roland comme un contrôleur utile, mais équivoque. L’œil louche de celui-ci, et l’œil hagard de l’autre, sont amendés par un peuple qui veut être bien servi, mais qui ne sert personne ; un peuple qui ne suspend le cours des lois qu’à son corps défendant, et en prononçant un décret d’urgence. Que Marat invite au meurtre ; que Roland invite à des mesures liberticides, le peuple se moque de leurs travers, en rendant justice à leurs vertus. Avec les idées de Roland, je ferais l’impossible pour modifier nos bases constitutionnelles ; avec les idées de Marat, je croirais que l’égalité en droits est une calamité de fait : mais je pense comme le peuple, dont la sagesse plane pardessus toutes les sottises individuelles, et mon ardeur pour la propagation des vrais principes, augmente avec le triomphe de nos armées et de nos arguments. Je ne m’étonne pas de l’aversion des Rolandistes pour la république universelle des sans-culottes. On a beau leur dire que la paix perpétuelle sera le prix de la loi universelle ; ces hommes si tendres vous soutiendront, avec le doux Kersaint, que la guerre est nécessaire de temps en temps ; qu’il faut des saignées au genre humain comme au corps humain. Et cependant Kersaint, qui veut à jamais des massacres en bataille rangée, abhorre Marat, qui ne veut pas de révolution au bain-marie.
 

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Mon mot aux gens de bien,

sur Clootz




Jean-Marie Roland de La Platière. Portrait de François Bonneville.

Je ne réponds point à Clootz, parce qu’un homme qui me met en parallèle avec Marat, n’est pas fait pour m’entendre, et qu’il ne dépend plus de moi de l’estimer assez pour m’inquiéter de son jugement.

Je ne réponds point à Clootz, parce qu’il ment à sa conscience, et que ce serait profaner la vérité que de la représenter à quiconque s’est promis de la méconnaître. Mes vœux ont été, ils sont encore, pour, la république unique ; je défie qui que ce soit de rien insérer de mes discours et de mes actions qui soit contraire à cette opinion ; mais j’ai eu le tort de combattre sérieusement le système d’étendre nos départements jusqu’au Japon, tandis que j’aurais dû sourire à cette marotte de Clootz.

Je ne connaissais point sa personne lorsqu’il fut conduit chez moi, par quelqu’un que je n’avais pas invité de l’amener, et je ne le priai jamais d’y revenir ; car , s’il est permis à chacun d’avoir sa chimère, il n’est tolérable chez personne de vouloir les faire adopter avec despotisme.

Clootz me parut ridicule lorsqu’il me proposa pour régent ; il me parut intolérant lorsque, s’introduisant chez moi, il cherchait, à force de bruit, à faire dominer son opinion ; mais il s’est rendu vil en dénonçant comme des principes convenus, des propos de conversation qu'il altère ou qu’il suppose ; et qu'il présente sous un jour également faux et indécent. Il joue le rôle d’un parasite mécontent se vengeant par des calomnies de n’avoir pas été admiré. Il m’avait ennuyé, je l’oubliais ; il veut que je le dédaigne, je le livre à lui-même. Il n’est pas vrai que j’aie jamais attendu des habitants de Garouge, ni qu’il ait été question de rien de semblable. J’ai fait participer Lille aux secours du gouvernement, j’en ai sollicité pour cette ville ; mais j’ai observé à ses administrateurs que des fonctionnaires publics vigilants dans une ville frontière et en temps de guerre, n'auraient pas dû attendre qu’elle fut attaquée pour prévoir ses besoins. J’ignore s’ils ont pu se plaindre d’une observation que je leur devais, comme ministre ; il n’y aurait rien de très-mortel dans tout cela, et il faut bien manquer d’armes contre un homme qu’on veut attaquer, pour s’en faire une d’une antithèse mal-fondée.

Que des secrétaires fassent mes écrits, et que j’emprunte l’esprit des autres, il faut convenir du moins que j'ai l’art d’user toujours du même, et que je l’emploie avec quelque courage au profit de la justice et de la raison. Je ne me servirai jamais de celui de Clootz, car je ne veux point mêler à la chose publique de plates dénonciations pour flatter un parti, de triviales personnalités, qui choquent le goût autant qu’elles révoltent I'honnêteté, et je me soucie aussi peu de caractériser les individus, que je mets d’énergie à relever leurs actions, quand elles sont répréhensibles.

L’orateur du genre-humain trouve très-belles et bonnes les Journées des 2 et 3 Septembre ; il peut avoir ses raisons : quant à moi, ]e les abhorre ; j’ai fait mon possible pour en arrêter les événements, je les déplore comme la honte de l'humanité, et l'oeuvre de quelques brigands. — On n'attend pas sans doute qu’après m'être élevé contre les attentats que j'appelais ainsi sur ma tête au moment où ils se commettaient, je me rétracte jamais d'une doctrine professée dans la sincérité de mon âme, au péril de ma vie.

Personnage historique ou fabuleux pour quelques individus de mon siècle, peu importe, pourvu que je justifie la confiance de la majorité, et que pour les gens de bien de tous les temps, je sois leur frère et leur ami.

J'espère qu’ils entendront toujours ma morale : quant à mes comptes physiques, matériels, arithmétiques ; ils sont en règle, tous fournis publiquement à la Convention, quelque regret que puissent en avoir ceux qui feignent de l'ignorer.

Roland

Source : Archive.org, Réponses au Prussien Clootz,
J.M. ROLAND (pages 3 à 5), KERSAINT, GUADET et BRISSOT


 Pouvoirs, mythes et opportunismes

 


Trois notes complémentaires...

I - Les mythologies révolutionnaires, modérantisme et persécution religieuse?


Une idée pour laquelle il y a à s’interroger, c’est sur l’esprit de modération chez les girondins? C’est un des arguments pouvant servir à rendre terrifiant le camp montagnard. Cependant cette perception délivrée d’un groupe modéré est en partie fausse. Vouloir la guerre et en plus avoir été les artisans de la persécution religieuse, ne sont ni du fait de Marat et encore moins dans les discours de Robespierre sans réel pouvoir que sa plume et son art oratoire. Même s’il n’existe pas de raison de baigner dans la martyrologie, l’année 1792 est au demeurant une année de renforcement de l’arbitraire et beaucoup de religieux ont été tués sans autre forme de procès que la haine. A Paris en septembre, les curés reclus du séminaire de Saint-Firmin, dans la nuit du 2 au 3 septembre n’attendaient que de partir et d'appliquer la loi ordonnant de quitter le territoire aux réfractaires.

Cet acharnement légal ne doit pas cacher en ce domaine la responsabilité des Jacobins depuis l’origine, et à commencer par les Feuillants avant la scission de juillet 1791 et autres clubs et salons de la haute bourgeoisie. La vente des biens du clergé mériterait à elle seule une histoire complète et détaillée. Tant les enjeux économiques sociaux et anthropologiques ont favorisé de fortes divisions au sein de la société française. Des vraies fractures et impossible de parler de laïcité, sauf pour les actes légaux ou civils et la fin des questions intemporelles, quand l’intolérance était à des sommets. Si l’on peut justifier ces actions par l’ancienne prédominance de l’église catholique, la religion devenue un négoce d’état a été une affaire fructueuse et un moyen d’asseoir les nouveaux pouvoirs économiques. Il faudra attendre la loi de 1905 pour trouver un équilibre toujours fragile et toujours utile à agiter, quand il est en usage ou de bon ton de s’en prendre à une communauté religieuse sans distinction.

S’il faut pouvoir distinguer croyance et foi, il importe aussi de comprendre que les Catholiques en faveur du changement, qui plus est révolutionnaires se trouvaient ainsi sans débouché politique autre que de se taire, se résigner, ou de combattre cet ordre des choses. Où comment se couper d’une base sociale forte et tout aussi nécessiteuse? N’étant, ni croyant, ni athée, cette situation qui demanderait d’épouser une forme ou une autre est d’autant plus intéressante, qu’elle sert aujourd’hui à trouver de nouveaux boucs émissaires, nommés à l’époque « barbares ». Les pays barbaresques par déformation du langage représentaient le monde « arabe », du moins une domination exercée par l’empire Turc depuis le XVe siècle. Une logique coloniale et d’empires que nous n’analyserons pas ici. Sauf en des relations entre les deux rives de la Méditerranée qui ne sont pas nées au moment de la Révolution et qui demande un temps long pour l’appréhender dans toute sa mesure (influences et rapports de forces,…).

Les Jacobins, brissotins inclus et autres girondins représentaient au sein de la Législative un groupe de 300 élus sur 745, les deux ou trois amis de Marat et quelques proches de Robespierre ne pesant pas lourd  dans la nature des débats et des décisions de l’Assemblée nationale. De la présence des Cordeliers au sein du club des jacobins, au tournant de la scission, ils vont peu à peu influer sur la nature des membres et le cours des idées, à l’exemple des interdictions posées aux feuillants de rester ou revenir dans les débats de cette assemblée tumultueuse au début de l’année 92. Peu importe la nature de l’intolérance religieuse, elle restera un socle des jacobins, malgré le départ des derniers girondins en novembre 92. Dans le contexte de 93 l’anticléricalisme va prospérer et se retourner contre la paysannerie la plus pauvre de l’hexagone dans le Poitou. Quitte à soulever toutes les contradictions, tous les camps ont une responsabilité dans ce qui sera une guerre civile d’ici quelques mois.

Toutefois, Rome et son pape Pie VI, le camp contre-révolutionnaire ne sont pas exempts de critiques, et l’objet n’est pas de banaliser le fanatisme et l’ordre religieux de l’ancien régime, qu’il a lui-même combattu et le Vatican itou avec ses bulles : Jansénistes et Jésuites. La Révolution n’est pas une affaire de gentil et de méchant, mais le fait de toutes les contradictions d’une société et de ses membres.

Même, si je ne suis pas au stade des conclusions, les erreurs des uns n’excusent pas celles des autres et inversement, chaque contradiction ou faille est à analyser. Et si nous sommes sujet à mettre un peu de distance et de critique face à tous les camps en présence, aucun n’a à être auréolé. La vérité historique est à ce prix et certainement pas à soulever des débats nés sur la Révolution française au moment du bicentenaire ou plus anciens. Chaque génération est amenée à porter un regard neuf. Si la densité des faits ou dans une vulgate commune des événements engendrent du désordre, c’est que la mutation est profonde et que tout affleure pour un monde plus respectueux de la dignité humaine, mais l’a-t-il connu au préalable? la réponse est non. De quoi se demander avec nos vieilles querelles politiciennes hexagonales si les historiens étrangers ne sont pas les plus en mesure de poser une analyse politique fiable sur le processus? La question est celle de la bonne distance avec l’objet observé, il est très facile de travestir et d’idéologiser à l’excès.

Si un pouvoir s’effondre, et à ce rythme des renversements, les uns après les autres tomberont jusqu’à l’arrivée du sauveur suprême, Buonaparte. Le général Dumouriez allant de victoire en victoire avec de Custine sur son front, le vainqueur de Jemmapes et Valmy, quoi que Kellermann est fait le travail, a été le premier à croire son heure venue et sur un registre très bonapartiste avant que n’advienne ce grand criminel. Car l’une de ses composantes du pouvoir dit régalien, les forces armées et en particulier ce qui va naître comme généraux républicains devraient nous interroger sur les finalités et les organes répressifs ou conquérants? Mettre le doigt dans l’engrenage de la guerre n’a rien de très rousseauiste, et les oppositions grandir là ou l’unité l’aurait exigé.

Mais quelle unité et à quel titre? Le principe d’une guerre défensive eut été un recours à l’invasion autrichienne et prussienne. Les divisions s’envenimèrent dans des négociations secrètes dès après le 10-08, et le trait de caractère paranoïaque de Robespierre est difficilement contestable. Il devait aussi savoir ce qui se tramait dans les coulisses diplomatiques. Chacun avait ses oreilles ou sources de renseignements, plus son lot de contradictions. Les époux Roland porteur d'une très lourde charge. Le ministre  notamment des cultes a eu autant de responsabilité morale que Marat et sa plume dans les carnages de septembre. Celui-ci en publiant en août ce qu’il a pu entendre et qu’il traduisit dans l’Ami du Peuple par s’attaquer aux prisons et par l'élimination des traîtres alimenta une vengeance montée de toutes pièces. De telles paroles ou écrits produisirent un terreau fertile à cette violence dirigée contre d'anciens tenants du régime déchu. Mais aussi des prêtres  qui n'avaient pas jurés, et qui au pire auraient du connaître un arrêté d'explusion du territoire. Les lois discriminantes ou anticléricales furent du même ordre, et les responsabilités criminelles ne furent jamais établies.

Il n’existe pas d’angélisme en politique, toute décision et parole de toute nature à un effet sur le cours de choses, la modération est un terme à relativiser dans un tel ordre chaotique.

Concurrence des pouvoirs?

Avec la proclamation discrète de la république et au vu des papiers administratifs marquant l’événement, le nœud des difficultés et de « l’anarchie » régnante réside en particulier dans son organisation politique. Le roi déchu, le Conseil exécutif provisoire, ou le conseil des ministres n’avait pas de pouvoir vraiment établi. Notamment, il souffrit de l’instabilité, la valse des portefeuilles restant une constante, pas plus que le Parlement allant s’administrer selon des règles incompatibles avec une assemblée souveraine, car contestée par les structures de bases. Dans ce système d’assemblées primaires, toute contestation pouvait faire boule de neige, et la souveraineté populaire en prise avec un système se mordant la queue. Et ce ne sont pas les montagnards qui sont à l’origine de cette cacophonie. A ce sujet M. Gouverneur Morris (à lire sur la page précédente), le ministre étasunien à Paris à vue juste sur le sujet. Constitutionnaliste et rédacteur lui-même du texte de cette nation fédérale américaine, il en vit les failles et sources de division entre les différents niveaux de représentation.

Ce qui ne veut pas dire que le pouvoir populaire et souverain n’était pas possible, ou à l’échelle d’une localité, mais sans empiétement sur le département, l’épine dorsale de cette organisation. Ce qui ne fut pas le cas, et la question d’un retour à des cités états ne se posait pas, quand une nation dominante et sans réelle unité politique tente de s’en créer, la résultante sont que divers plans vont s’échafauder, sans cohérence entre les divers échelons de représentations. Dont l'idée assez surprenante d’une République du Midi et le départ vers une autre ville du Conseil face à la déferlante prusso-autrichienne. De comment les girondins vont négocier avec Louis XVI, mais lesquels? Toutefois, sans entendement avec ce dernier, les girondins de la Gironde ont cherché à calmer un embrasement qu’ils avaient eux-mêmes provoqués. Sans idée réelle de comment adapter l’outil politique à la donne nouvelle.

Là est en parti ce qui sera en 1793 un facteur de la chute des girondins, puis l’année suivante des autres. Sans débat politique préalable, en plus dans une société où l’immense majorité signe son nom d’une croix, où le vote n’était pas soumis à la condition du secret et plutôt à la pression du moment. Il apparaît au nombre des électeurs que les affaires de la capitale, si elle se déroulait à plus petite échelle dans les métropoles régionales, le reste du pays se trouvait soit absent car lointain, ou profitait des vacances du pouvoir pour traîner sur les affaires courantes, notamment le paiement de l’impôt ou la question de la mobilisation.

Là encore, prudence, oui d’héroïques soldats et mal apprêtés ont rejoint les forces militaires de la république en arme, sauf que l’engouement fut très relatif. Avec la désertion de certains pans de l’armée du côté de « Coblentz », plus tous ceux qui ont voulu échapper à l’enrôlement et en l’état sans existence de la proscription, ce sont les plus pauvres et si critiqués par l’état-major de Lafayette et ses suivants qui allaient repousser les assiégeants de 92 : Prusse et Autriche. Des armées de métiers peu préparées à des combats longs et coûteux en vie humaine, et avec des soldats pas totalement sourds aux appels à la liberté et ayant connu aussi des vagues de désertions, eux aussi.

Lors des massacres de septembre, il est plus que probable qu’en l’échange d’un engagement se trouvait au bout la sortie de la prison pour les délinquants, sauf exception faîte aux endettés très nombreux et libérés pendant les exactions. Le miracle des prisons vides, mais pas pour longtemps… Le sentiment de pouvoir partir au front sans laisser d’ennemis pouvant frapper femmes et enfants derrière va tenir un rôle important dans cette épuration criminelle. Et porter non seulement un discrédit européen, mais tuer dans l’œuf tout espoir d’une égalité des droits et les divisions se jouer entre petits, moyens et grands bourgeois. Concurrences sociales et politiques ne faisant qu'un tout et au service de leur seuls intérêts de classe. Le Peuple a bon dos...

Note 3 de Lionel Mesnard

II - Georges Danton, l'audacieux ou éléments d'un mythe vue de France ou d'ailleurs?

Même si Albert Mathiez fait découvrir un personnage haut en couleur et une approche très critique de son rôle dans le processus, l’objet n’est pas de minimiser cette figure centrale, qui malgré ses frasques prend une place décisive dans la venue de la république. Mais surtout en tant que ministre de la justice éviter un repli du gouvernement sur une ville secondaire à l’approche des troupes prussiennes. Son ministère sera de très courte durée, du 10 août au 25 septembre 1792 (loi interdisant le cumul des fonctions). L’héritier spirituel de Mirabeau ne pouvant cumuler deviendra simple député au sein de la Convention d'octobre 1792 jusqu’en avril 1794. Du moins, si Danton a été son secrétaire et ils ont commun, des qualités oratoires, un physique repoussant, mais une bonhomie désarmante. Ils furent l’un et l’autre des charmeurs riants et potaches. Si Danton n’a pas laissé une œuvre écrite contrairement à son mentor, ils ont en commun l’art du double langage et de leurs intérêts particuliers. Nous vous renvoyons sur une page consacrée à Albert Mathiez revenant sur son travail et le cas Danton et l’argent en fin de ce travail de rédaction.

Le film que lui a consacré Andrzej Wajda est sans aucun doute un chef d’oeuvre cinématographique, mais la vérité historique est plus que discutable. Il faut y voir plus un parallèle avec la Pologne de la fin des années 1970 dans le bras de fer avec le pouvoir, qu’une reconstitution objective, mais pas si lointaine des faits. Ce qui le rend plus troublant et accusateur à l’égard de Robespierre. Cependant, l’univers plutôt en huis clos avec la rencontre dans un salon d’un restaurant parisien d’époque (toujours en activité sur les bords de Seine), les personnages de Danton et Robespierre sont admirablement interprétés et ce qui peut surprendre, c’est que le réalisateur et scénariste s’est appuyé sur les travaux d’une historienne polonaise de la Révolution, une passionnée et inconditionnelle de Robespierre. C’est probablement, le meilleur film sur cette période en tant qu’oeuvre de fiction, mais le portrait de Robespierre est trop à charge, et il a les traits du pouvoir soviétique. Cette double lecture  participe de la confusion et des tonnes d’analogies existantes. Mais bon, c’est le parti d’un auteur, le procès et la fin de Danton sont plutôt conformes à ce qui a pu se passer. Le comédien Depardieu incarnant cet autre géant de la révolution, là le portrait est assez saisissant quant au jouisseur.

En m’engageant dans la deuxième séquence révolutionnaire, et à la recherche de plus d’information sur Georges Jacques Danton, je trouve les textes publiés par la Société d’Histoire de la Révolution française de 1881 à 1936 sur le site Gallica de la Bnf. Une masse documentaire conséquente, et ne suivant que ma conscience, je commence par le début et un premier article concernant l’édification d’une statue à Danton dans sa commune natale d’Arcis-sur-Aube. Si un léger rictus s’est esquissé aux premières lignes, c’est que préalablement je m’interrogeais sur la fiabilité des écrits, lisant attentivement l’objet de cet hommage, une belle apologie de l’homme, du moins un des hommes du 10 août, a qui l’on devrait la levée en masse contre les Tuileries, laisse songeur. Danton était absent jusqu’au 8 de Paris, et sera présent au moment clef. La demande d’une statue d’Arcis-sur-Aube n’y suffisant pas, il en faut une autre pour son prestige dans la capitale et il faut le laver de toutes les infamies de sa mémoire ô combien ternie…

Nous sommes en 1881 et cet écrit est rédigé par un certain M. Robinet. J’éclate de rire. Non point que M. Robinet possède un nom de circonstance, ou drôle, mais que le parcours de 1789 à avril 1794, date de la mort du chef des « Exagérés » pose question. A ce sujet, Albert Mathiez, avec l’affaire Danton du sieur Robinet et Arsène du même nom (un descendant), nous touchons là une histoire dans l’histoire plutôt drôle, plus exactement à la naissance d’une légende ou du mythe Danton, incarnation et idole des radicaux de la troisième République. Cette société historique est celle où allait dominer le professeur et historien Alphonse Aulard, probablement un des plus grand connaisseur de la Révolution au début de la troisième république, mais la rigueur et la propagande étant difficilement compatible, il faut rester alerte sur les intentions boutiquières. Albert Mathiez a été un de ses élèves, et celui qui allait venir bousculer certains dogmes établis, et dépasser son maître en clarté et lisibilité ou compréhension des événements. L’on peut commencer à parler de travaux historiques sérieux ou moins orienter dans le déni.

S’il faut avoir de la considération pour l’œuvre de M. Aulard, il perd en crédibilité ou authenticité et à ce sujet, il n’est le pas le seul, de quoi être aussi réservé sur le travail de Louis Blanc, le style en moins, si on les compare à Jules Michelet. Au titre des politiques et historiens, le plus conceptuel et celui s’approchant le plus de la vérité historique est sans aucun doute Jean Jaurès. Il ouvrit à une connaissance de cette révolution souvent plus sublimée que restituer, l’analyse du mouvement social et économique en plus. Son histoire socialiste de la Révolution est précise, argumentée et pas unidimensionnelle quant à son entendement, il n’y a pas tromperie sur l’emballage. Jaurès se réfère à une école de pensée plus philosophique que politique au sens partisan. L’Histoire étant celle de l’humanité et de ses évolutions, le dialecticien l’examine en des termes nouveaux et il n’est pas lointain du système de pensée critique de Marx et Engels. La publication de l’œuvre magistrale de Jaurès date de peu d’années avant la thèse de Mathiez, jeune historien et père fondateur en 1907 des études Robespierristes.

Je crois qu’il faut éviter les doutes sur un sujet, l’histoire est un sujet d’abord politique s’inscrivant comme une histoire à comprendre en tant que telle, et s’il y a à lire des historiens de tous bords, nul n’est sans filiation ou appartenance. La source de très nombreuses erreurs, car à trop interpréter ou enjoliver, cela fini par produire un beau roman national vider de l’essentiel. Quelle est la part scientifique de tout travail historique? la réponse est aléatoire. Et le risque d’en faire un nouveau roman reste un enjeu pour littérateur, dans ce cas à quoi à quoi sert cette connaissance si elle ne peut se réclamer d’aucune neutralité?  Alors comment en sachant le cumul des erreurs ou approximations rétablir un fil de vérité? L’étude des documents d’époque permet de saisir certains pans, de pouvoir reconstituer, plus qu’une atmosphère, mais des témoignages, des articles de presse, des débats parlementaires, départementaux ou communaux sont-ils suffisants?

Ils contribuent à rester dans la prudence, un peu condamné à parler des grandes figures, car il n’est pas possible de donner la parole à tous et même en ne prenant que les orateurs de l’Assemblée. Mieux vaut alors s’intéresser directement au compte-rendu de la chambre au jour le jour, suivre le travail des commissions, lire les rapports, en clair faire une analyse des forces internes et ce qui en ressort. Le petit plus de la Révolution, c’est de voir tous ces citoyens déposant soit des oboles, faire un don à la patrie, parfois s’exprimer en son sein, ou plus en lien avec son actualité, la place des pétitions, réclamations ou demandes de groupes, de villages, villes ou départements. Le fond du fond est souvent dans ce dispositif, et le seul moyen de savoir les avancées ou les reculs.

Note 4 de Lionel Mesnard
DISCOURS DE DANTON, ministre de la Justice devant la Législative
 

       Séance du 28 août 1792
Le pouvoir exécutif provisoire m’a chargé d’entretenir l’Assemblée nationale des mesures qu’il a prises pour le salut de l’empire. Je motiverai ces mesures en ministre du peuple, en ministre révolutionnaire. L’ennemi menace le royaume, mais l’ennemi n’a pris que Longwy. Si les commissaires de l’Assemblée n’avaient pas contrarié par erreur les opérations du pouvoir exécutif, déjà l’armée remise à Kellermann se serait concertée avec celle de Dumouriez. Vous voyez que nos dangers sont exagérés.

Il faut que l’armée se montre digne de la nation. C’est par une convulsion que nous avons renversé le despotisme ; c’est par une grande convulsion nationale que nous ferons rétrograder les despotes. Jusqu’ici nous n’avons fait que la guerre simulée de Lafayette, il faut faire une guerre plus terrible. Il est temps de dire au peuple qu’il doit se précipiter en masse sur les ennemis.

Telle est notre situation que tout ce qui peut matériellement servir à notre salut doit y concourir. Le pouvoir exécutif va nommer des commissaires pour aller exercer dans les départements l’influence de l’opinion. Il a pensé que vous deviez en nommer aussi pour les accompagner, afin que la réunion des représentants des deux pouvoirs produise un effet plus salutaire et plus prompt.

Nous vous proposons de déclarer que chaque municipalité sera autorisée à prendre l’élite des hommes bien équipés qu’elle possède. On a jusqu’à ce moment fermé les portes de la capitale et on a eu raison ; il était important de se saisir des traîtres ; mais, y en eût-il 30,000 à arrêter, il faut qu’ils soient arrêtés demain, et que demain Paris communique avec la France entière. Nous demandons que vous nous autorisiez à faire faire des visites domiciliaires.

Il doit y avoir dans Paris 80,000 fusils en état. Eh bien ! il faut que ceux qui sont armés volent aux frontières. Comment les peuples qui ont conquis la liberté l’ont-ils conservée ? Ils ont volé à l’ennemi, ils ne l’ont point attendu. Que dirait la France, si Paris dans la stupeur attendait l’arrivée des ennemis? Le peuple français a voulu être libre; il le sera. Bientôt des forces nombreuses seront rendues ici. On mettra à la disposition des municipalités tout ce qui sera nécessaire, en prenant l’engagement d’indemniser les possesseurs. Tout appartient à la patrie, quand la patrie est en danger. 
DANTON, ministre de la Justive devant la Législative
*
Séance du 2 septembre 1792
Il est bien satisfaisant, Messieurs, pour les ministres du peuple libre, devoir à lui annoncer que la patrie va être sauvée. Tout s’émeut, tout s’ébranle, tout brûle de combattre. Vous savez que Verdun n’est point encore au pouvoir de nos ennemis. Vous savez que la garnison a promis d’immoler le premier qui proposerait de se rendre.

Une partie du peuple va se porter aux frontières, une autre va creuser des retranchements, et la troisième, avec des piques, défendra l’intérieur de nos villes. Paris va seconder ces grands efforts. Les commissaires de la Commune vont proclamer d’une manière solennelle, l’invitation aux citoyens de s’armer et de marcher pour la défense de la patrie.

C’est en ce moment, messieurs, que vous pouvez déclarer que la capitale a bien mérité de la France entière. C’est en ce moment que l’Assemblée nationale va devenir un véritable comité de guerre. Nous demandons que vous concouriez avec nous à diriger le mouvement sublime du peuple, en nommant des commissaires qui nous seconderont dans ces grandes mesures. Nous demandons que quiconque refusera de servir de sa personne ou de remettre ses armes, sera puni de mort. (Applaudissements)


Nous demandons qu’il soit fait une instruction aux citoyens pour diriger leurs mouvements. Nous demandons qu’il soit envoyé des courriers dans tous les départements pour avertir des décrets que vous aurez rendus. Le tocsin qu’on va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie.  (Vifs applaudissement)

Pour les vaincre, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée.
(double salve d'applaudissements)


III - Louis Philippe d’Orléans alias Philippe Egalité ou les ambiguïtés du pouvoir?

Les courses au pouvoir, qui vont naître dans les différents partis et au sein des fractions révolutionnaires et contre-révolutionnaires sont à ne pas sous-évaluer, tout n’est pas que vertu ou sacrifice de soi... C’est même souvent tout le contraire se produisant et il y a peine à comprendre, qui voulait quoi et pourquoi? Pour nommer les choses, qui tiraient les manettes de la corruption à son profit? La question n’est pas de savoir si un homme s’achète, mais de connaître son prix, c’est-à-dire à combien il peut s’estimer… !

Philippe Egalité ci-contre en peinture


Il semblait impératif de faire un détour sur les mouvements corrupteurs et les premiers agents de celle-ci. Comme l’objet n’est pas moralisteur, mais d’ouvrir une petite parenthèse sur certains éléments qui vont participer à déstabiliser de tous les pouvoirs depuis 1789. Les ducs d’Orléans ont au long du XVIIIe siècle participé tout à la fois à la ruine des épargnants et à construire les bases de l’accumulation du capital, et permettre l’enrichissement de l’oligarchie financière imbriquée dans les affaires de l’Etat.

Même si les mémoires ne sont pas des preuves formelles, ils alimentent les réflexions, que l’on peut avoir et il importe de croiser les témoignages, en ce domaine, ils ne manquent pas. Un des enjeux réside à prendre en compte comment le trône a été l’objet de folles prétentions, ouvertes ou cachées, offrant à Louis XVI une connaissance de la psychologie assez fine de la nature humaine. De cette position du pouvoir, cette verticalité lui permettait la rencontre de deux types de personnalités : l’envieux et le courtisan, ce dernier se vivant dans l’ombre et ne présentant aucun intérêt, car trop commun. Dans un monde si distingué et fruit de l’apparence, le ragot était un passe-temps et une manière de mettre à distance les rivaux. Petites intrigues de Cour sont devenues des appétits féroces quand le trône à chanceler. Et ce cher Orléans, surnommé lui aussi le « gros » être un agent de ce désordre.

Tant que l’appareil répressif surveillait et contrôlait, il y avait un roi indéboulonnable, de la dissolution des pouvoirs, il perdait du coup toute maîtrise de ses sujets. Malgré cela Louis Auguste était presque arrivé, à soudoyer à sa merci les gouvernements, du moins acheter quelques ministres dans chaque Conseil. Mais il y avait là sur ce terrain un autre rival, et qui contrairement au comte d’Artois en juillet 1789 et Monsieur, futur Louis XVIII, le 20 juin 1791, une fois les deux frères partis, il ne restait plus en France, que le dauphin et Louis Philippe d’Orléans pouvant réclamer la couronne, si Louis XVI venait à tomber. Alias Philippe Egalité en 1792 pour répondre aux lois en vigueur changea de nom et chose surprenante sur les conseils de Marat, raconte-t-on.

Pas plus qu’il ne comprenait, qu’il soit appelé d’Orléans, il n’a jamais signé de ce nom étrange. Etrange aurait pu être son appellation, parce qu’il n’incarne pas vraiment l’égalité, tout au contraire. Ni avec sa particule et son rang, ou dans ses investissements fructueux et jalousés, qui lui assurèrent bonne fortune. A Paris, s’il a été déjà précisé que les immeubles jouxtant les jardins dit du Palais royal lui appartenaient et faisaient à l’époque de ce lieu un espace commercial prisé (commerces, cercles de jeux, cafés, théâtres, etc.). Il fut aussi propriétaire d’autres résidences, qu’il revendit en 1791. Dont les sommes iront sous formes de diamants à l’abri en Grande-Bretagne, d’après le marquis de Lafayette. L’on sait de plus que s’il y a séjourné de longs mois, il se trouvait également en contact avec le Premier ministre Pitt (dit le jeune) et en de très bon terme.

Si j’ai fait référence à la psychologie du roi et à ses connaissances des âmes secrètes, il savait qu’avec quelques flatteries et de l’argent, il pouvait retourner sans grand problème les esprits et les rendre serviables ou complaisants. Un de ses échecs fut avec Pétion en 1792, ce dernier sentit que la conversation avec le monarque était écoutée et se fit poliment éconduire, selon Manon Roland. Dans le cas d’Orléans, son objectif n’était pas d’assurer le siège à son parent, mais de lui ravir. Même s’il n’a pas laissé d’admirables souvenirs de son intelligence, il va être un facteur de discordes et plus. Le terme zizanie semble le plus proche, pour décrire ses aspects nuisibles, voire pervers. Concernant une figure politique difficilement identifiable, car en apparence en retrait, le duc d’Orléans fut un potentiel régent ou roi des Français.

Le courant orléaniste, ou la faction du même nom en 1792 est une chose bien indiscernable dans le processus, mais cette chose éclatée ou à la solde d'un homme a tenu une place particulière parmi les partis : Feuillants, Montagnards et Girondins. Si on peut avoir tendance à les accoler aux girondins, c’est une erreur à ne pas commettre. Du moins tous les girondins n’ont pas pris langue avec un parti presque fantôme. Celui qui se distinguera pour sa proximité sera Laclos, l’auteur libertin.  En tout peut-être une vingtaine de députés pour se réclamer de sa personne, sans unité réelle, ni même informelle, et un potentiel roi de France siégeant avec les Montagnards, il y a de quoi perdre son latin. Et quand on lit les témoignages, le concernant ou ce que l’historiographie peut nous amener à découvrir, c’est plus que confus.

Beaucoup d’argent va circuler pendant la Révolution, en dépit des crises et d’une caisse d’état plutôt à sec par le cumul des dettes, la vente des biens du clergé, puis des émigrés vont être au centre d’affaires très juteuses, et allant surtout profiter à une infime minorité. Des fortunes vont se constituer très rapidement, à l’exemple de ces églises ou châteaux rayer de la carte pour revendre les pierres. La nature des trafics et destructions du patrimoine ont été importantes, la spéculation et l’accaparement des biens confisqués par la nation, n’ont pas été profitable à une large population. Et si l’on venait à tirer un bilan économique, l’entrée en guerre va s’avérer un poids dont la France ne se remettra point et perdra à l’échelle européenne une domination qui en faisait la grande puissance continentale, lointaine de la Russie.

Pour fermer la parenthèse de Louis Philippe d’Orléans, qui mériterait une histoire un peu plus circonstanciée, nous ramène à son titre du grand-maître du Grand-Orient en 1789, qu’il perdit à la demande de ses affiliés trois ans plus tard. En réponse d’un courrier expliquant qu’il ne savait pas qui en était et ne s’en préoccupait pas, devrait en principe clore une des grands mythes, dont les amateurs de récits imaginaires se délectent, mais qui n’a aucun fondement dans le déroulement des événements. Mais on peut comprendre que le duc d’Orléans apparaisse comme pas très vertueux, mais pour des raisons souterraines autres. Philippe Egalité, comme il se fit nommer a-t-il été l’agent d’une autre puissance? Ce qui semble probable, mais il n’est pas le seul à avoir traîné ses guêtres au sein de tels forfaits. Dans le monde des hypothèses, il pourrait être un très sombre personnage et un des affameurs de décembre 1788, tout en jouant les sauveurs et les âmes charitables au secours des Parisiens. Ce qui est sûr, c’est que le duc d'Orléans va spéculer sous l’ancien régime et pendant le processus, plus que de normal, et de l’intérieur s’attirer à lui un bon nombre de canailles.


Note 5 de Lionel Mesnard

Chronologie : Le mois de septembre 1792
Massacres à la Prison de l'Abbaye de Saint-Germain
Samedi 1er septembre : A l’Assemblée, le décret de la Commune de Paris sur son inviolabilité est annulé. Au sein de la municipalité, le Procureur syndic M. Manuel s’oppose à une toute démission collective. Rappelant le serment qu’il fit de mourir à son poste, tant que la patrie serait en danger. Ce même jour, le Conseil général de la Commune publie une longue adresse des représentants de la Commune à leurs concitoyens, elle est rédigée par Tallien et Huguenin, elle se termine par : « Défiez-vous des hommes faibles, presque autant que des hommes pervers. Songez que le courage et l'énergie du peuple peuvent seuls ». (Les œuvres de Robespierre, tome VIII, page 449 à 457) Le soir, Robespierre envoie à la Commune un réquisitoire contre la Gironde. Le lendemain, les délégués des sections ou élus de l’exécutif se maintiendront et désigneront Marat au comité de surveillance de la Commune.

2 septembre : Verdun se rend aux Prussiens, la municipalité a capitulé, malgré le refus du commandant Nicolas Joseph Beaurepaire, celui-ci face à la trahison des notables voulant se rendre, il met fin à ses jours. Mais il existe aussi une autre version, il aurait été assassiné par des royalistes. A Verdun, le philosophe Goethe, présent derrière le front ennemi, rédigeait les carnets de sa « Campagne de France », à la date de cet événement, il termine par : « Le lendemain, la ville se rendit et les alliés en prirent possession; mais nous eûmes aussitôt un trait du caractère républicain. Le commandant Beaurepaire, pressé par la bourgeoisie aux abois, qui voyait déjà la ville tout entière brûlée et détruite, si le bombardement continuait, ne put refuser plus longtemps de rendre la place; mais, lorsqu'il eût donné son consentement en pleine séance à l'hôtel de ville, il tira de sa poche un pistolet et se tua, pour donner un nouvel exemple de dévouement patriotique. Après la conquête si rapide de Verdun, personne ne douta plus que l'armée ne se portât bientôt plus loin, et ne trouvât dans Chatons, dans Épernay et dans les bons vins du pays l’heureux oubli de ses fatigues. Je fis donc soigneusement couper et entoiler les cartes de Jaeger qui traçaient le chemin de Paris, et coller sur le verso du papier blanc, comme j'avais déjà fait pour la première, afin d'y noter rapidement ce que j'observerais chaque jour. » (source Gallica-Bnf – traduction de Jacques Porchat, page 31, Hachette, Paris 1889).

A Paris, Danton, après l’annonce de l’attaque de Verdun par les troupes prussiennes à Verdun, il déclare: «Messieurs, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la France est sauvée» (texte complet à lire sur cette page), deux heures après sonne le tocsin de Notre Dame. De son côté, la Commune a décidé en août  de lever une armée de 40 à 60.000 hommes. Le Champ de Mars va connaître une très forte activité quant à la mobilisation, c’est de là que chaque jour, les citoyens voulant se battre se mobilisent avant de partir au combat. Ce jour engage le deuxième tour des élections (des assemblées électorales) pour la nouvelle assemblée, que l’on nommera la Convention, amorçant la naissance de la première République. A Paris, les membres de la Commune se rendent dans leurs sections respectives. Extrait du procès verbal et des instructions aux délégués : « Ils peindront avec énergie à leurs concitoyens, les dangers imminents de la patrie, les trahisons dont nous sommes environnés ou menacés, le territoire français envahi; ils leur feront sentir que le retour à l’esclavage le plus ignominieux est le but de toutes les démarches de nos ennemis et que nous devons, plutôt que de le souffrir, nous ensevelir sous les mines de notre patrie et ne livrer nos villes que lorsqu'elles ne seront plus qu'un monceau de cendres ». La Commune déclare : « Aux armes, citoyens, aux armes, l’ennemi est à nos portes. Marchez à l’instant sous vos drapeaux, allons nous réunir au Champ-de-Mars! Qu'une armée de 60.000 hommes se forme à l’instant ! »

Les massacres dit de Septembre
à
Paris et ses alentours
 
(Ou) Le Complot des Prisons

Dimanche 2 : Vers midi le canon tonne, puis le tocsin se propage dans la ville.
Dans l’après-midi, débutent les massacres dits de Septembre. Les premiers concernés sont 16 ecclésiastiques transportés dans quatre calèches depuis l’Hôtel-de-Ville, à partir de 14 heures. Seul réchappera l’Abbé Sicard, l’instituteur des sourds-muets. Sur les abords de la Seine, les voitures et leurs occupants sont pris pour cible, la majorité d’entre-eux est tuée par leurs gardiens des fédérés Marseillais et Bretons, puis les cadavres entassés sur un pont. C’est le signal de lancement d’une des plus grandes tueries que la capitale ait pu connaître, en peu de jours, environ 1300 personnes vont périr dans des conditions atroces. Un des intendants de la maison de Bicêtre (hospice et prison) mit 48 heures à sortir d’un fossé par peur panique après la venue de ceux que l’on nomma les « Septembriseurs ».

Ce jour même, la première prison à être visée est celle de l’Abbaye, en son sein les massacres se dérouleront sur un peu moins de 3 jours et c’est sur ce lieu que l’on dispose le plus d’informations historiographiques avec le couvent des Carmes. La moyenne de temps donnée aux parodies de procès dure à peine une dizaine de minutes par accusé et les victimes assassinées immédiatement après l’énoncé de la sentence à la sortie de la pièce de ces jugements spéciaux. Les derniers soldats Suisses incarcérés, eux n’ont même pas droit à la moindre justice et sont tués dans la soirée ou la nuit à la prison de l’Abbaye de Saint-Germain. Quelques prisonniers en réchapperont par miracle et pour certains ont laissé des mémoires.

Dans la nuit du 2 au 3 septembre suivent le couvent des Carmes et le séminaire de Saint-Firmin, plus de 200 morts ou sont visés de nouveau des membres du clergé réfractaire et quelques dignitaires. Ce déchaînement de haine va continuer jusqu’au 5 septembre au petit matin et il s’achèvera à l’hôpital général de la Salpêtrière (distinct de l’hôpital de la Pitié). Il s’agira approximativement d’une dizaine de lieux d’incarcérations improvisés ou identifiés en tant que tel, le plus grand nombre de morts sera parmi des prisonniers de droits communs (environ 700), dont une quarantaine d’adolescents. La prison la plus touchée sera celle du Grand Châtelet avec un peu plus de 200 morts, tous des droits communs. (Lire les deux lettres sur cette même page avec le témoignage de Mme Rosalie Jullien en date du 2 et du 3/09)

3 septembre : A Paris, devant la prison de la petite Force Mademoiselle de Lamballe est assassinée sur le pas de l’entrée de la geôle. Ce crime est à disjoindre des massacres dit de Septembre, et provient d’une vengeance d’un gardien de prison, néanmoins cet assassinat participe de l’ambiance générale, et la tête de cette dernière est promenée sous les fenêtres de Marie-Antoinette et de Louis Auguste. La reine est prise de vertige à la vue de son amie. La légende noire jouant à plein effet, les restes les plus intimes de Mlle de Lamballe auraient été mis à la vue du public, mais à ce sujet la prose s’est régalée de l’historiographie victimaire, qui a donné une foultitude de détail pour grossir un objet de propagande de premier choix et repris par x. auteurs. Jacques Brissot, fait publier par voie d’affiche à ses concitoyens un texte dénonçant sa mise en accusation : « Hier, dimanche, on m'a dénoncé à la Commune de Paris ainsi que partie des députés de la Gironde et d'autres hommes aussi vertueux. On nous accusait de vouloir livrer la France au duc de Brunswick », c’est-à-dire, Jean-Marie Roland et huit autres élus.

Dans la suite des Septembriseurs, une foule d’un peu plus d’un millier de personnes tentent d’entrée à la Salpêtrière, puis décident de partir et de se rendre à la prison de Bicêtre. A Gentilly dans la prison en deux jours, l’on dénombra 171 victimes (99% sont des droits communs), dont le directeur de l’hospice voisin. Le jour même est envoyé un courrier de la Commune appelant à tuer les traîtres dans les prisons, daté du 2 (à lire ci-après), il ne connaît pas d’acte original, selon M. Ternaux Mortimer dans son  Histoire de la Terreur et a été contesté par deux de ses signataires. De plus, on ne peut dire que cette missive aura un impact fort hors de la région parisienne, ou de manière limitée.

Selon Albert Mathiez dans son ouvrage la Révolution française (tome 1, chapitre Gironde et Montagne, la fin de la Législative), l’antériorité des faits et sa propagation ne sont pas à mettre au profit d’un courrier : « Les provinciaux n’avaient pas besoin qu’on leur proposât Paris en exemple. Ils l’avaient parfois devancé. Deux prêtres avaient été massacrés dans l’Orne le 19 août, un autre dans l’Aube le 21 août, un huissier à Lisieux le 23 août, etc. Partout où passaient les volontaires en marche vers la frontière, les aristocrates n’avaient qu’à bien se tenir. A Reims le 3 septembre, à Meaux le 4, dans l’Orne les 3 et 6, à Lyon le 9, à Caen le 7, à Vitteaux le 12, des officiers, des prêtres, des suspects de tout genre trouvèrent la mort jusque dans les prisons. A l’assemblée électorale des Bouches-du-Rhône, présidée par Barbaroux, la nouvelle des massacres de Paris fut vivement applaudie. Le «patriotisme», dieu nouveau, réclamait des victimes humaines comme les dieux anciens». Comme a pu dire ce jour à la Législative, M. Roland sur ces événements meurtriers : « Hier fut un jour sur les événements duquel il faut jeter un voile. Je sais que le peuple, terrible en sa vengeance, y porte encore une sorte de justice! »

De son côté, le commis du ministre, M. Grandpré et Mme Roland circulent dans la ville, ils cherchent et échouent à ce que Danton mette fin à cette folie meurtrière, en tant que ministre de la justice. Selon Manon Roland, il aurait suffit d’un groupe armé de 50 personnes pour y mettre fin, dans une ville parsemée de troupes. Pétion et bien d’autres agents municipaux restent impuissants face à la hargne pas si populaire que voulue. Les députations des uns et des autres seront prudentes, incapables d’endiguer la fureur, la légitimant pour d’autres, notamment dans le cas de MM. Panis et Sergent pour la Commune. C’est ce jour que se voit désigner Stanislas Maillard pour présider le jury de la prison de l’Abbaye de Saint-Germain. Il avait effectué, la veille une tournée des cellules, il sera l’un des principaux accusés et deux fois mis aux arrêts et libéré la première fois, il décédera avant son second procès à son domicile assigner à résidence. Mais ne sera aucunement la tête pensante de cette abjection. En l’état, ce qui fut nommé « le complot des prisons » reste une énigme au même titre que la Saint Barthélemy de 1572.

La métaphore ou le sinistre souvenir va de nombreuses fois alimenter les très nombreux récits et les plus contradictoires sur une vengeance perpétrée par des sicaires ou tueurs à gage selon Manon Roland. Autres éléments à prendre à compte, un certain nombre de prisonniers pour dette, ou pour des petits délits vont être élargi en divers lieux de réclusion. En final, les prisons parisiennes seront presque vidées de la totalité de leurs prisonniers politiques ou de droit commun. Le soir aux Jacobins se réunit le corps électoral parisien, ceux qui vont désigner les députés de Paris à la Convention. Robespierre remercie pour le prêt de la salle et fait la proposition d’exclure les membres ayant assistés à des « clubs anti-civiques » : Feuillants et affiliés, le club de la Sainte Chapelle. Ou qui aurait signé la pétition des 20.000 (fin juin), la proposition est adoptée.

Extraits de la lettre circulaire incriminée et signée : « Par les membres du comité de surveillance, administrateurs du salut public et les administrateurs adjoints réunis, constitués à la séance à la mairie ». C’est-à-dire MM. Panis, Sergent, Marat, etc. ; et un courrier contesté par au moins deux signataires : « La commune de Paris se hâte d'informer ses frères de tous les départements qu'une partie des conspirateurs féroces, détenus dans les prisons, a été mise à mort par le peuple : actes de justice qui lui ont paru indispensables pour retenir par la terreur les légions de traîtres cachés dans ses murs, au moment où il allait marcher à l'ennemi et sans doute la nation entière, après la longue suite de trahisons qui l'ont conduite sur les bords de l'abîme, s'empressera d'adopter ce moyen si nécessaire de salut public, et tous les Français s'écrieront comme les Parisiens: Nous marchons à l'ennemi; mais nous ne laissons pas derrière nous des brigands pour égorger nos femmes et nos enfants». La dernière phrase mentionnée servira de prétexte à cette tuerie. A noter que l’ancien ministre des affaires étrangères de Montmorin et un de ses parents décèdent ce jour même sous les piques des septembriseurs à la prison de l’Abbaye.



Une illustratiion des massacres à l'hôpital de la Salpêtrière


4 septembre : En Seine et Oise, à Meaux, une dizaine de prisonniers sont massacrés dans la prison avec l’appui de la municipalité. A Gisors dans l’Eure, la population assassine le duc Louis Alexandre de la Rochefoucauld, ancien député de la noblesse qui avait rallié le tiers état en juin 1789. A Reims, neuf prêtres réfractaires sont assassinés par des volontaires de la Sarthe et de l’Orne revenus de la place militaire de Verdun, et chassant les aristocrates sur leur route. Les villes de Metz, de Thionville sont assiégées et résistent aux troupes ennemies et émigrées. A Paris, le Conseil exécutif (les ministres) autorise la réquisition de grains pour l'armée. A l’Assemblée, l’on jure une « haine éternelle à la royauté ».

A la chambre et dans un courrier auquel répondra le général Santerre de la nouvelle garde nationale parisienne, le ministre Roland lui intime de mettre fin aux massacres à Paris, mais le gros du carnage s’est produit. En plein paradoxe, un mandat d’arrêt est prononcé par la Commune contre Brissot et Jean-Marie Roland et huit députés girondins, celui-ci intervient auprès de Danton pour lever cette décision, qui lui-même saisi sur un ton ferme Marat pour y mettre terme, entraînant l’annulation des accusations. Dans la soirée et nuit du 4 au 5, les Septembriseurs s’attaquent aux recluses de la Salpêtrière, une cinquantaine de femmes sont tuées, d’autres violées dans une orgie, au milieu de l’ivresse et d’une dernière frénésie de sang.

Ce sont tout au plus quelques centaines de personnes qui assistèrent ou suivront les sicaires. Ce ne fut pas un mouvement massif, assez rapidement le malaise va s’étendre à la connaissance des faits dans la population, celle-ci vacant à ses occupations et ne pouvant d’une rue ou d’un quartier à l’autre être témoins des faits. Les actions criminelles s’étant principalement déroulées en des lieux clos, en contrecoup naîtra une réprobation assez générale. Collot-d’Herbois, Fabre d’Eglantine, Tallien et d’autres justifieront les massacres, et il n’est pas sûr que l’on ait levé tout le voile de cette affaire, pour beaucoup des hypothèses non résolues. Et l’existence d’une historiographie surabondante. L’historien Alphonse Aulard pour sa part refusa de développer le sujet des massacres de ces journées, un tabou presque toujours existant...

5 septembre : A Paris, au petit matin, les massacreurs sortent de la Salpêtrière, ainsi se termine le macabre cheminement de 200 à 300 tueurs pendant 4 jours. Une partie rejoindra le front, les tueurs étant composé de petits-bourgeois de quelques sections et soldats de passage, dont le groupe dit des « tape-dur » attribué à Maillard. Seulement une trentaine de personnes seront poursuivies, les démêlés juridiques se poursuivront jusqu’en 1797. Dans la journée, Maximilien Robespierre est élu député de la capitale par 338 voix sur 525 votants. Les procédures de vote se faisant par appel nominal et le vote à voix haute, les électeurs parisiens ont de nouveau déserté les assemblées primaires.

Les royalistes ou assimilés sont excluent permettant la désignation de députés principalement Montagnards. Le corps électoral ayant été de 160.000 électeurs potentiels, au lieu de 85.000 lors des votes censitaires (ceci est une estimation à partir des données existantes). A l’échelle nationale seul un peu plus de 11% des électeurs se prononceront contre un peu plus de 10% l’an passé, le corps électoral ayant à peu près doublé d’une année sur l’autre. Sont toujours exclus, les femmes, les miséreux ou mendiants (en 1791 Robespierre avait demandé la participation pleine des indigents), et les domestiques, soit plus d’une bonne moitié de la population en âge de voter.

6 septembre : A Thionville, Chateaubriand est blessé lors du siège. « On se logea sur la voie publique, dans la tête d’un village servant de faubourg à la ville, en dehors de l’ouvrage à cornes qui défendait le pont de la Moselle. On se fusilla de maison en maison ; notre poste se maintint en possession de celles qu’il avait prises. Je n’assistai point à cette première affaire ; Armand, mon cousin, s’y trouva et s’y comporta bien. Pendant qu’on se battait dans ce village, ma compagnie était commandée pour une batterie à établir au bord d’un bois qui coiffait le sommet d’une colline. Sur la déclivité de cette colline, des vignes descendaient jusqu’à la plaine adhérente aux fortifications extérieures de Thionville. » (source Mémoires d’Outre-Tombe, tome 2, pages 64 et 65).

7 septembre : M. Julien Raimond originaire de Saint-Domingue est rédacteur et promoteur d'une Adresse des Citoyens de couleur résidant à Paris (texte complet).
Cette demande ou pétition n°107 fut acceuillie par un décret le même jour, et avec une réponse de M. le président de l'Assemblée, via l'imprimerie nationale.

Adresse des Citoyens de couleur résidants à Paris


LEGISLATEURS,

« Lorsque votre loi bienfaisante du 24 mars nous rappela à nos droits, nous fîmes le serment de verser notre sang pour le service de la patrie. Ce serment sacré, nous venons le tenir. Ainsi que tous les Français, nous brûlons de voler aux frontières. Législateurs, nous sommes encore en petit nombre ; mais si vous daignez seconder notre zèle, bientôt il s'augmentera, et nous formerons un corps nombreux. En conséquence nous vous supplions d'autoriser le ministre de la guerre à nous organiser le plus promptement possible, en légion franche, fous le nom qu'il vous plaira lui donner. Si la nature, inépuisable dans ses combinaisons, nous a différenciés des Français par des lignes extérieurs, d'un autre côté elle nous a rendus parfaitement semblables, en nous donnant comme à eux un cœur brûlant de combattre les ennemis de l'État. Pour moi, Messieurs, choisi par mes frères pour être l'interprète de leurs sentimens, je suis privé par mon âge et par une mission particulière, de les suivre dans la carrière de l'honneur ; mais je contribuerai d'une somme de cinq cents livres par chaque année (dont voici le premier trimestre) aux frais de l'équipement de cette troupe, et j'ajouterai un prix de pareille somme pour celui d'entre-eux qui fera une action digne de votre éloge.

MESSIEURS,

« La vertu dans l'homme est indépendante de la couleur et du climat. L'offre que vous faites à la Patrie de vos bras et de votre force pour la destruction de ses ennemis, en honorant une grande partie de l'espèce humaine, est un service rendu à la cause du genre humain tout entier. L'Assemblée nationale apprécie votre dévouement et votre courage. Vos efforts seront l'autant plus précieux, que l'amour de la liberté et de l'égalité doit être une passion terrible et invincible dans les enfans de ceux qui, sous un ciel brûlant, ont gémi dans les fers de la servitude. Avec la réunion de tant d'hommes qui vont se presser autour des despotes & de leurs esclaves, il est impossible que la France ne devienne bientôt la capitale du monde libre, et le tombeau de tous les trônes de l'univers.

8 septembre :  A l’Assemblée, il est décrété la crémation de tous « les originaux des pétitions dites des 8.000 et des 20.000 et autres semblables ». Pour la Savoie (non rattachée à la France), il est décidé d’envoyer des troupes par le ministre de la guerre Servan, il ordonne son invasion.

9 septembre : A Versailles, les prisonniers venus d'Orléans sous la conduite de Claude Fournier dit l’Américain sont arrachés de force par la foule et sont massacrés, l’on recense 53 morts. Parmi les tués se trouve l’ancien ministre Valdec de Lessart, il devait à l’origine comparaître devant la haute cour (introuvable) de justice. Les dépouilles seront ramenées à Paris, entassées sur des charrettes. Fournier avait eu à prendre en charge cette expédition sur le plan financier et fut indemnisé par le ministre de l’intérieur, c’était un proche de Jean-Marie Roland. Ce dernier commit alors une de ses plus grosses erreurs politiques, c’est-à-dire, passer pour un des commanditaires des massacres dit de Septembre. Sur cette affaire particulière, plusieurs thèses s’opposent, il semblerait que Danton fut au courant de l’opération, et elle n’aurait eu rien de très spontanée. Un piège tendu possiblement aux airs de vengeance politique.

A Lyon, onze aristocrates sont massacrés à la prison Saint-Joseph, mais sans lien avec la lettre circulaire du 3-09 de la Commune de Paris. Dans la capitale, en soirée aux Jacobins : « Un membre monte à la tribune et, par un discours énergique, fait sentir la nécessité d'écarter l'intrigue et la bassesse de la Convention nationale; il met en évidence les dangers de la patrie, il rappelle la confiance du peuple et la nécessité à y répondre, en appelant à cette même convention des hommes fermes, purs et incorruptibles, sans avoir égard aux talents oratoires, dont il peint avec force les erreurs et le faux brillant; il termine son discours en invitant l'assemblée à fixer son choix sur les hommes qui, depuis la première révolution, ont été invariables dans les principes de la liberté ». (Assemblée électorale de Paris, Charavay, tome 3, page 123). A la Législative, il est décidé la suppression des préfets apostoliques dans les colonies,

10 septembre : L'épreuve de force continue entre la Commune et l'Assemblée législative, où ne siège que la moitié des effectifs, soit environ 350 élus sur 745. Les députés décident la réquisition de tous les objets de culte en métal précieux, sauf les soleils, les ciboires et calices et il est ordonné de les convertir en monnaie pour l’aide des troupes.

11 Septembre : A Saint-Malo, 124 prêtres réfractaires sont incarcérés avant un exil prévu à Jersey. A Paris, à l’assemblée électorale du département Robespierre et plusieurs membres se prononcent contre la candidature de Jean-Lambert Tallien, en l’inculpant ! C’est à nouveau Panis qui remporte le plus de suffrages par 328 voix contre 160 à Tallien (qui se fera élire en Seine-et-Oise). Selon la Gazette de France (n°171, page 687) : « Il y a eu mardi une grande discussion sur M. Tallien ; M. Robespierre lui a reproché de n'avoir pas toujours été, dans son Ami des citoyens à la hauteur des événements; d'avoir approuvé l'arrêté du Département qui ouvrait toutes les églises; de n'avoir pas approuvé la fête de Châteauvieux ; enfin d'avoir été faible quand le peuple était faible, et fort quand il était fort ». Ce jour même se termine l’assemblée électorale parisienne et sont désignés à la Convention les 24 députés de Paris


      
   Elus à la Convention pour le département de Paris

1 – Robespierre dit l'aîné (Maximilien-Marie-Isidore), ex. avocat et procureur, journaliste et  ancien Constituant.
2 - Danton (Georges-Jacques), avocat et fonctionnaire municipale et élu le 6 septembre et remplacé par Vaugeois le 18 octobre 1794.
3 - Collot-d'Herbois (Jean-Marie), homme de lettres. Élu le 6.
4 - Manuel (Pierre-Louis), procureur général syndic de la Commune. Élu le 7 et démissionnaire le 19 janvier 1793, puis remplacé par Boursault le 19 mars 1793.
5 - Billaud-Varenne (Jacques-Nicolas), homme de loi. Élu le 7.
6 - Desmoulins (Benoît-Camille), avocat et journaliste. Élu le 8.
7 - Marat (Jean-Paul), ex. vétérinaire, journaliste. Élu le 9, remplacé par Fourcroy le 25 juillet 1793.
8 - Lavicomterie (Louis-Charles de), homme de lettres.
9 - Legendre (Louis), boucher.
10 - Raffron du Trouillet (Nicolas), avocat, diplomate, ancien chargé des affaires de France en Toscane.
11 - Panis (Étienne-Jean), homme de loi.
12 - Sergent (Antoine-François), graveur, officier municipal.
13 - Robert (Pierre-François-Joseph), homme de lettres
14 - Dusaulx (Jean), membre de l'Académie des inscriptions, député à la Législative.
15 - Fréron (Stanislas-Louis-Marie), homme de lettres.
16 - Beauvais (Charles-Nicolas), médecin, ancien député à la Législative. Meurt à Montpellier le 7 avril 1794, remplacé par M. Rousseau le 27 février 1795.
17- Fabre d'Églantine (Philippe François Nazaire dit Fabre), homme de lettres.
18- Osselin (Charles-Nicolas), avoué.
19- Robespierre le jeune (Augustin-Bon-Joseph), administrateur du département.
20-  David (Jacques Louis), peintre.
21- Boucher (Antoine-Sauveur), électeur de la section du Théâtre-Français.22- Laignelot (Joseph-François), homme de lettres.
23- Thomas (Jean-Jacques), juriste. Meurt de maladie le 15 février 1794, remplacé par Desrues le 21 février 1794.
24- Philippe-Égalité (Louis-Philippe-Joseph, duc d'Orléans), ancien Constituant. Remplacé par Bourgain le 17 novembre 1793.

(Source Wikipedia.org, liste des députés de la Seine)

12 et 13 septembre : A la Législative, des mesures sont prises contre les biens émigrés et des ecclésiastiques (environ 30.000 personnes sont parties depuis 1789 et ont formé une armée de 4.000 hommes), l’Assemblée décrète le séquestre des biens des émigrés et « s'applique à tous Français sortis du royaume » sauf exception précisée. Le 13, il est pris un décret relatif aux gardes nationales volontaires déjà engagées qui désireraient rejoindre les troupes de ligne : ils recevront le paiement de 30 livres par an. Il est attribué aux nouveaux volontaires, une somme de 3 sols par jour pour rejoindre leur corps d’affectation. La citoyenne Olympe de Gouges se présente à la barre de l'Assemblée avec un vieil homme et s'exclame :
« Législateurs, le peuple, dans sa juste vengeance, sait respecter l’innocent ; voyez ce vieillard vénérable, la hache était levée sur lui : son juge lui dit, quel est ton crime ? Le viellard à son tour intervient et dit « J’ai aimé la fille d’un noble ; je la demandai au père, qui me fit passer pour fou et m’enferma à Bicêtre. Depuis 30 ans, je suis dans les prisons, voilà mon crime. Ce noble me payait néanmoins une légère pension; c’était M. de Brissac, il a été tué le 3 septembre. En perdant mon tyran, j’ai perdu mon bienfaiteur. » La citoyenne de Gouges reprenant la parole : « ce vieillard n’espère qu’en vous. » (Applaudissements.) M. le Président : répond aux deux pétitionnaires et leur accorde les honneurs de la séance. (L’Assemblée renvoie la pétition au comité des secours publics.)

14 septembre : A Châlons-sur-Marne, les armées françaises se replient dans la ville. A l'Assemblée
« après avoir entendu le rapport de son comité de l'extraordinaire des finances, considérant que le remboursement des actions et portions d'actions de l'ancienne compagnie des Indes, sortie par le tirage fait le 22 août dernier, conformément à son décret du 9 juillet précédent, ne doit éprouver aucun retard, décrète que la caisse de l'extraordinaire ouvrira incessamment le remboursement d'un million cent soixante-dix-sept mille deux, cents livres, montant du tirage des actions et portions d'actions mentionnées ci-dessus » et il est décrété la vente de «Tous les baux de biens nationaux passés au profit des émigrés et des prêtres dont la déportation a été décrétée le 26 août dernier». A souligner que l’activité de la chambre née après la Constituante continue à prendre des mesures de tous ordres et notamment ce qui à lien avec les affaires économiques et militaires : échange des assignats de fortes valeurs en petites coupures demandée par la section du Théâtre Français, interdiction du commerce de la viande avec Jersey, assainissement des marais, gendarmerie, troupes indiennes de Pondichéry, etc. A noter : que c’est à la fin de la Législative que l’on commence à intervenir et débattre sur la question du divorce. (les sources de l’Assemblée nationale sont principalement issues des Archives Parlementaires Stanford-Bnf)

15 septembre : Le frère du comte Honoré-Gabriel de Mirabeau, André Boniface Louis de Mirabeau décède à Fribourg-en-Bresgau (Magriavat de Bade, Saint-Empire romain germanique). Il fut député lors de l'assemblée Constituante de 1789 à 1791.
Et Philippe d'Orléans change de nom, il devient Philippe Egalité.

16 et 17 septembre : A Paris, à la Législative le ministre de l’intérieur se rend à la barre et déclare : « Chargé, par la place qui m'est confiée, de la surveillance générale de la police du royaume, j'ai cru devoir approfondir une rumeur répandue dans Paris. Il est question de la liberté naturelle, civile et politique des Français. On a répandu dans Paris que, depuis le 4 ou 5 du mois, 4 ou 500 arrestations ont été faites, et que les prisons sont garnies au moins autant qu'avant la journée du 2 septembre : j'ai voulu vérifier ces faits, mais dans aucune prison je n'ai trouvé ni registres, ni écrous. J'ai demandé quelles étaient les personnes qui avaient fait consigner ces prisonniers : les concierges ont été très embarrassés de me le dire. J'ai exigé que les ordres me fussent apportés ; il résulte en effet de ces ordres que, depuis cette époque, 4 ou 500 personnes ont été emprisonnées par ordre, soit de la municipalité, soit des sections, soit du peuple, soit même d'individus; quelques-uns de ces ordres sont motivés, la plupart ne le sont pas. Je n'ai examiné ni les personnes ni les choses; j'ai en devoir apporter à l'Assemblée les ordres mêmes signés par les particuliers qui les ont donnés, et je les remets sur le bureau, pour que l'Assemblée puisse les examiner, et ordonner ce qu'elle croira convenable ». Le 17, à Saint-Domingue, parti
depuis La Rochelle au mois de mai débarque le 2° bataillon du département de la Charente à Port-de-Paix. La moitié des soldats décèderont de la fièvre jaune au cours des années 1792 et 1793.

Cambriolage en douceur du Garde-Meuble



Dans la soirée, l’on va découvrir que le « garde-meuble » a été cambriolé et vidé de son contenu le plus convoitable. Le garde-meuble était une institution en charge de la garde du mobilier national. C’est au sein de l’Hôtel de la Marine (ci dessus de nos jours) sur la place de la Concorde (ou de la Révolution) que se trouvait le trésor royal sous séquestre et propriété de la nation, les bijoux de la couronne de France normalement protégés. Les soustractions auraient commencé le 11 et se seraient poursuivies les jours suivants, jusqu’à ce que les gardes nationales retirent les scellés apposés sur le local et découvrent le casse accompli.

Ce cambriolage sous le nez des autorités avec des failles évidentes dans la protection policière, cette affaire ouvre à de nombreux démêlés et une supposée implication de l’entourage de Danton, ou lui-même, dans des transactions secrètes avec le duc de Brunswick, mais entrant dans les légendes noires et jamais authentifié comme vrai. Parmi les noms qui ont circulé se trouvait, le nom compositeur Fabre d’Eglantine connu pour la comptine : Il pleut, il pleut Bergère, il a été soupçonné par Mme Roland dans ses mémoires d’être un orchestrateur du vol et venu au lendemain à son domicile pour la première et dernière fois, pour sentir l’ambiance... « Il pleut bergère Il pleut, il pleut bergère;
 Rentre tes blancs moutons ;
 Allons sous ma chaumière
 Bergère, vite allons ; J'entends sous le feuillage ;
 L'eau qui tombe à grand bruit ; 
Voici, venir l'orage, 
Voici l'éclair qui luit » (Une chanson à l’origine dédiée à Marie-Antoinette en 1780). Le fameux garde-meuble renfermait les objets précieux de la couronne soit : 7 tonnes d’or et environ 8.000 diamants de gros et de petits carats, ces derniers ne furent jamais retrouvés, seules les grosses pièces réapparurent en 1794, cette affaire n'a jamais été résolue. A Orléans éclate une émeute et la ville va connaître des pillages pendant deux jours et au moins 2 morts. Le maire Lombard Lachaux et la municipalité mettront ces événements sous le coup de « juste vengeance à exercer », selon le journaliste Prud’homme.

Le lendemain, le 17 à la salle du Manège le président des séances donne la parole à M. Roland, ministre de l'intérieur, et il fait une intervention sur le vol des bijoux de la couronne aux députés présents :

« Messieurs, il a été commis cette nuit un grand attentat ; on a volé au garde-meuble les diamants et d'autres effets précieux. Vous savez par ma lettre et par le procès-verbal de l'officier de garde qui vous a été lu tout à l'heure, que deux des coupables ont été arrêtés. 
Je crois savoir que ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on s'occupait de ce crime, et j'ai des preuves que ce vol tient à une grande machination. Les deux particuliers arrêtés ont l'air d'avoir reçu de l'éducation, et de tenir à ces gens auxquels On attachait autrefois de l'importance. Je viens d'interroger moi-même l'un d'eux ; il m'a dénoncé plusieurs personnes que j'ai donné ordre d'arrêter. 
D'ailleurs, il ne faut pas s'abuser sur l'état de la capitale; elle est remplie d'agitateurs bien perfides. La masse du peuple est saine ; elle veut l'ordre et l'exécution des lois, mais on cherche à l'égarer. 
On avait répandu avec affectation la nouvelle d'une victoire, pour annoncer ensuite une défaite; et la vérité est que nous n'avons eu ni grands avantages, ni grands revers. Hier, on faisait à la tribune de l'assemblée électorale, des dénonciations violentes contre le pouvoir exécutif. Un orateur y a proposé la loi agraire.

Dans quelques affiches, on conseille au peuple de se lever encore, s'il n'a point perdu ses poignards. Je connais les auteurs de ces affiches et ceux qui les paient. On a donné l'ordre de les placarder sur les miennes. Les 400 membres de l'Assemblée qui ont voté pour Lafayette, sont dénoncés au peuple comme des traîtres ; on lui conseille de les assassiner. Le peuple ne le fera pas; mais des scélérats tenteront peut-être de le faire en son nom. Il faut, Messieurs, que vous appeliez une garde nombreuse autour de vous; il faut qu'elle soit à votre réquisition. 
Je sais que la sentinelle avancée qui donne le signal de l'approche de l'ennemi tombe ordinairement sa victime; mais d'Assas, dans une situation qui peut être, en quelque chose comparable à la mienne, méprisa la mort, savait appeler, en élevant sa voix Courageuse. J'imiterai d'Assas et je me dévouerai, s'il le faut, au même sort. (Vifs applaudissements de l'Assemblée et des tribunes) 
Quoi qu'il en soit, n'oubliez pas, Messieurs, qu'il est instant de prendre des mesures, car je n'ai aucun doute que les déclamations contre les gens de bien, que le mépris que l'on veut jeter sur les autorités constituées, que les vols, que les menaces, que les emprisonnements arbitraires; je n'ai, dis-je, aucun doute que tout cela ne tienne au même projet. Si l'Assemblée nationale n'appelle pas autour d'elle tous les bons citoyens, si elle ne se déclare pas saisie de tous les pouvoirs et n'en use pas à l'instant, Paris est perdu, et la France est déchirée ».

17 septembre : A l'Assemblée, intervention de Pétion, maire de la capitale sur des troubles à l’ordre public et termine par « Tout ce que je désire, c'est d'être averti avant que les forfaits commencent. (sic) Car, lorsqu'ils sont commencés, on ne sait plus où placer la force publique, on ne sait quel usage en faire, quel langage tenir, quels moyens employer, et le crime se consomme. Voilà la cause des événements passés. Voilà ce qui peut encore en produire de nouveaux ». Il est décrété par l’Assemblée «que tous les membres de la commune de Paris répondent sur leur tête de la sûreté de tous les prisonniers. Le pouvoir exécutif demeure chargé de donner connaissance sur-le-champ du présent décret à la commune de Paris».

Le député Vergniaud après intervient sur la question des mandats d’arrêts délivrés par la ville :

« La commune de Paris ne peut décerner des mandats d'arrêt qu'en vertu de votre dernière loi, et il n'y a pas un seul article dans cette loi qui l'autorise à déléguer le droit de décerner des mandats d'arrêt. Si elle a un comité qui préparé ou décerne ces mandats, la commune doit au moins se faire rendre un compte exact de ces opérations. D'ailleurs, la loi oblige la commune qui décerne un mandat d'arrêt d'en instruire les administrations supérieures; mais comme il n'existe plus à Paris d'administration de département considéré comme une autorité supérieure, dès lors la commune aurait dû rendre compte à l'Assemblée nationale de ces mandats d'arrêt. Il est vrai que la loi n'a pas prévu ce cas; il y a une lacune, mais cependant il est du devoir rigoureux et très rigoureux de la commune de se faire rendre compte de ces mandats par son comité de surveillance. (Applaudissements) 
Quant à la sûreté des prisonniers, on peut prévenir tout danger en notifiant à la commune le décret qui la rend responsable, et en chargeant le maire de Paris de faire les réquisitions nécessaires pour assurer une force suffisante autour des prisons. (Applaudissements) »

18 septembre : A Paris, c’est l’arrivée du jeune député de l’Aisne, Louis Antoine Saint-Just, (ci-contre en peinture), tout juste 25 ans et éligible à la Convention, si l’on pouvait voter à 21 ans, l’âge d’éligibilité n’a pas changé. Il sera l’un des nouveaux benjamins de l’Assemblée.

19 septembre : A Sainte-Menehould, Dumouriez, reçoit les renforts de l'armée de Kellermann, venue de Metz en renfort et à train rapide. Dans la chronique de Paris (n°273), il est fait état de 500 personnes ayant péri à Rennes, Robespierre depuis les Jacobins met cela sous coup du 10-08 et se plaint des journalistes «qui se disent patriotes… des affiches des ministres qui couvrent nos murs... d'une affiche d'un membre de la commune. »


La bataille de Valmy - 20 septembre 1792 (10 minutes)



20 septembre : A Valmy victoire des troupes françaises et du général Kellermann sur les Prussiens, un millier d’hommes des deux camps y perdent la vie (un peu plus de 200 soldats français selon le ministre Servan). Le philosophe Goethe présent à l’arrière du front comme témoin de l’événement écrira dans « Campagne de France »: « De ce lieu  et de ce jour, date une nouvelle de histoire du monde, et vous pourrez dire : j’y étais !». (source Gallica-Bnf, traduction de Jacques Porchat – librairie Hachette et C° édité en 1889 - page 64)  A Paris, l’Assemblée se réunissant en Convention (sur le modèle des Etats-Unis d’Amérique…), la nouvelle chambre désigne son premier président, Jérôme Pétion.

La Convention est réunie pour la rédaction d’une nouvelle constitution, ses membres ont été désignés par le suffrage universel, en deux phases de désignation, avec les assemblées primaires et électorales de désignation des élus.
«Les citoyens nommés à la Convention nationale se réunirent dans une des salles du palais des Tuileries  le nombre des députés présents dépassait celui prescrit par la loi pour qu’ils puissent se former en assemblée provisoire. Leurs pouvoirs vérifiés, sous la présidence du doyen d’âge (Rulh), ils se constituèrent en Convention nationale. Procédant ensuite à la nomination du bureau, ils portèrent presque unanimement Pétion à la présidence; Condorcet, Brissot, Rabaut Saint-Etienne, Lasource, Vergniaud et Camus furent proclamés secrétaires » et Louvet de Couvrai. La Convention ouverte compte 371 élus présents et elle élie son président par 253 voix.

Sa composition : 749 députés titulaires, plus 298 suppléants. L’on dénombre 270 anciens députés, dont 8 ex. constituants et 181 élus de la Législative, parmi lesquels 29 sont des aristocrates avec un duc, 8 marquis, 9 comtes, un vicomte et un baron d’origine prussienne M. A. de Cloots (naturalisé), plus 16 évêques constitutionnels, 29 prêtres et 10 ministres protestants. Ce sont 749 parlementaires qui seront désignés, parmi eux, 160 seront qualifiés de girondins, 140 à 200 sous le qualificatif de montagnards, pour 389 élus fluctuants que l’on dénommera sous cette mandature « la Plaine ». Ce même jour est autorisé le divorce par consentement mutuel ou pour incompatibilité d’humeur, la Convention «déclare que le mariage est dissoluble par le divorce» et décrète la laïcisation de l’état-civil. Cette décision sera abolie en 1816, puis partiellement rétablie en 1884.

 

 La bataille de Valmy peinte par Vernet

21 septembre : Une délégation de la Convention menée par le député Grégoire se rend à la salle du manège pour informer les députés de la Législative : « Citoyens, L'Assemblée des représentants du peuple est constituée en Convention nationale; elle nous a députés vers vous pour vous en prévenir, et pour vous dire qu'elle va se rendre ici pour y prendre séance ». A cette annonce les élus de la Législative levèrent et mirent fin à leurs travaux « à midi et demi » est-il précisé dans le compte rendu. La Convention, lors de sa première matinée, rappelle que les personnes et les propriétés sont mises sous la sauvegarde de la nation et il est décidé que les impôts seront perçus et payés comme avant.

Pierre Louis Manuel ancien procureur syndic  de la Commune intervient comme nouveau député du département de  Paris: « Je demande que le président de la France soit logé dans le palais national des Tuileries, que toujours il soit précédé du signe de la loi et de la force publique, et que partout il porte le respect; je demande que toutes les fois qu’il ouvrira la séance les citoyens se lèvent à son aspect. Cet hommage rendu à la souveraineté du peuple nous rappellera sans cesse et nos droits et nos devoirs. (Quelques applaudissements perdus dans les murmures) ». Cette proposition est repoussée par une grande majorité à la demande de Jean Lambert Tallien, députe de Seine-et-Oise.

Intervention de Georges Danton :

« Avant d'exprimer mon opinion sur le premier acte que doit faire l'Assemblée nationale, qu'il me soit permis de résigner dans son sein les fonctions qui m'avaient été déléguées par l'Assemblée législative. Je les ai reçues au bruit du canon, dont les citoyens de la capitale foudroyèrent le despotisme. Maintenant que la jonction des armées est faite, que la jonction des représentants du peuple est opérée, je ne dois plus reconnaître mes fonctions premières; je ne suis plus que mandataire du peuple, et c'est en cette qualité que je vais parler. On vous a proposé des serments ; il faut en effet, qu'en entrant dans la vaste carrière que vous avez à parcourir, vous appreniez au peuple, par une déclaration solennelle, quels sont les sentiments et les principes qui présideront a vos travaux. Il ne peut exister de Constitution que celle qui sera textuellement, nominativement acceptée par la majorité des assemblées primaires. Voila ce que vous devez déclarer au peuple. Les vains fantômes de dictatures, les idées extravagantes du triumvirat, toutes ces absurdités inventées pour effrayer le peuple disparaissent alors, puisque rien ne sera constitutionnel que ce qui aura été accepte par le peuple.

Après cette déclaration vous en devez faire une autre qui n'est pas moins importante pour la liberté et pour la tranquillité publique. Jusqu'ici on a agité le peuple parce qu'il fallait lui donner l'éveil contre les tyrans. Maintenant il faut que les lois soient aussi terribles contre ceux qui y porteraient atteinte, que le peuple l'a été en foudroyant la tyrannie ; il faut qu'elles punissent tous les coupables, pour que le peuple n'ait plus rien à désirer. (Applaudissements) On a paru croire, d'excellents citoyens ont pu présumer que des amis ardents de la liberté pouvaient nuire à l'ordre social en exagérant leurs principes; eh bien! abjurons ici toute exagération ; déclarons que toutes les propriétés territoriales, individuelles et industrielles seront éternellement maintenues et que les contributions publiques continueront à être perçues. (Applaudissements unanimes)  Souvenons-nous ensuite que nous avons tout à revoir, tout à recréer; que la déclaration des Droits elle-même n'est pas sans tache, et qu'elle doit passer a la révision d'un peuple vraiment libre. (Double salve d'applaudissements) ».


Et il est décrété en fin de séance l’abolition de la royauté à l’unanimité, à la demande de Collot-d’Herbois « Vous venez de prendre une délibération sage; mais il en est une grande, une salutaire, une indispensable; il en est une que vous ne pouvez remettre a demain, que vous ne pouvez remettre a ce soir, que vous ne pouvez différer un seul instant, sans être infidèles au voeu de la nation, c’est l’abolition de la royauté».

Et suivi après par le député Grégoire concluant avant le vote : « Certes, personne de nous ne proposera jamais de conserver en France la race funeste des rois; nous savons trop bien que toutes les dynasties n'ont jamais et que des races dévorantes qui ne vivaient que du sang des peuples; mais il faut pleinement rassurer les amis de la liberté; il faut détruire ce mot de roi, qui est encore un talisman dont la force magique serait propre a stupéfier bien des hommes. Je demande donc que, par une loi solennelle, vous consacriez l'abolition de la royauté! (Tous les membres de l'Assemblée se lèvent par un mouvement spontané; et, par des acclamations unanimes, ils protestent leur haine contre une forme de gouvernement qui a causé tant de maux à la patrie) ».

22 septembre : Naissance de la première République.

A Paris, la Convention décrète, que tout acte public stipulera à partir d’hier : « l'An premier de la République française » la demande a été faite par le député Billaud-Varenne et soutenue par M. Lasource et approuvée en début de séances par les parlementaires sans grand débat, le seul amendement déposé fut retiré. Le ministre de l'intérieur Jean-Marie Roland adresse ce jour un bref courrier aux Corps administratifs ou « portant révocations des pouvoirs qu’il a donné à divers commissaires dans les départements» et se termine par « Le calme doit succéder à l'orage. Il n'est point de liberté, pour les hommes en société, sans l'exercice rigoureux des lois : il n'est point de bonheur sur la terre sans la paix et l'union. Je ne puis que vous manifester ces principes que je crois de toute vérité comme de toute justice. Si donc, Messieurs, il se présente, dans votre Département, des hommes qui se disent encore investis de pouvoirs du Conseil exécutif, hâtez-vous de leur apprendre que ces pouvoirs sont révoqués. Quant à ceux qui ne seraient pourvus que de commission émanée d'un seul Ministre, ils resteront chargés d'en poursuivre l'exécution, sous la responsabilité du Ministre dont ils l'auront reçue ». Aux Jacobins, Saint-Just fait sa première intervention publique.

23 et 24 septembre : La Savoie non rattachée à la France connaît l’entrée des troupes françaises sur son territoire et avec à sa tête le Lieutenant-général Anne-Pierre de Montesquiou envahissant le duché. C’est un proche du duc d’Orléans et il sera démis de ses fonctions en décembre. Le lendemain, les armées entrent triomphalement dans la ville de Chambéry.

Mardi 25 septembre : La République est déclarée « Une et Indivisible » à la demande des députés Barère, Couthon et Robespierre. Il est décidé que la fonction de représentant du peuple ne peut-être l’objet d’aucun cumul. La Haute Cour de justice d'Orléans est supprimée. Aux Jacobins, Robespierre intervient sur deux points cruciaux : la dictature qu’on lui impute de vouloir, et le fédéralisme après le vote sur l’indivisibilité de la République : « On nous a dit sans preuves : vous aspirez à la dictature; et nous, nous avions soupçonné, d'après des faits, que nos accusateurs voulaient nous donner un gouvernement étranger à nos mœurs, étranger à nos principes d'égalité; nous avions soupçonné qu'on voulait faire de la République française un amas de Républiques fédératives qui seraient sans cesse la proie des fureurs civiles ou de la rage des ennemis. Je ne sais si ces indices sont fondés; mais nous avons cru devoir adopter ces soupçons d'après l'affectation de quelques personnes à calomnier ceux qui avaient voulu la liberté toute entière ».

« J’en ai trop dit sur cette misérable inculpation; je viens aux propositions qui ont été faites : la première, de décerner une peine de mort contre quiconque proposerait la dictature, le triumvirat, ou toutes autres autorités contraires au système de liberté adopté par la République française ; je dis que cette proposition ne peut être éludée que par ceux qui auraient conçu le système d'accaparer toutes les places et l'opinion, ou qui se croiraient soutenus par les puissances étrangères. Sans doute nous mourrons tous pour arrêter cette coalition des despotes; mais si ces hommes se croyaient assez près de la victoire pour affecter la couronne dictatoriale, demain ils ne seraient plus ; le peuple aurait prononcé leur arrêt de mort. Une autre proposition est celle de déclarer que la République Française ne formera qu'un seul Etat. Qu'y a-t-il donc de difficile dans une pareille déclaration? La nécessité de l'unité de la République n'est-elle pas reconnue? (…)


Déclarons que la République française formera un état unique, soumis à des lois constitutionnelles uniformes. Il n'y a que la certitude de l'union la plus forte entre toutes les parties de la France qui puisse fournir les moyens de repousser ses ennemis avec autant d'énergie que de succès. Je demande donc que ces propositions, aussi simples que naturelles soient adoptées sur le champ et qu'on examine à fond l'objet qui me regarde ». Dans le journal débats de la société jacobine, Robespierre s’adresse au député Rebecqui: « Un citoyen est monté à cette tribune, et c'est moi qu'il a nommé. Citoyens, il est difficile de répondre à une accusation qui n'est point précisée; cependant il m'appartient, il m'est possible de le faire. C'est moi qui dans l'assemblée constituante ai combattu pendant trois ans toutes les factions qui se sont succédées; c'est moi qui ai lutté contre la cour, qui ai méprisé les caresses des intrigants ; qui ai rejeté les présents du pouvoir exécutif; qui ai dédaigné tous les partis, d'autant plus séduisants, qu'ils se couvraient du marque du patriotisme (Murmures) ».
Sources du couvent des Jacobins -  Les Œuvres de Robespierre, tome IX
Editions PUF – note introductive de Marc Bouloiseau et avec le concours du Cnrs


La Gazette
du 26 septembre -
Séance de la Convention du 25/09 ou de la veille : cliquez ici

Lecture : Daniel Kenigsberg - France Culture (4 minutes)


28 septembre : A Paris, le chant patriotique « la Marseillaise »  remplace le Te deum pour les fêtes civiques.

29 septembre : La Convention décide la création un comité de rédaction pour la nouvelle constitution.

30 septembre : En Allemagne, au nord de Strasbourg, le comte Philippe de Custine s’empare de la ville de Spire (ou Speyer). Il avait déjà pris Porrentruy (Suisse) non loin de Belfort dès le 29 avril. Il sera aussi démis de ses fonctions d’ici quelques mois et condamné à mort. A Nice, le général Jacques Bernard d’Anselme investit la ville comté avec les armées du Midi et s’installe dans le consulat de France vidé de ses occupants. Peu de résistance se manifeste du côté Sarde, l’effet de surprise a surtout provoqué la panique et le départ des autorités et des émigrés français. La ville de Nice était jusqu’alors rattachée au royaume de Sardaigne de Victor Amédée III, et duc de Savoie et prince du Piémont. Le général nommera l’ancien consul maire de la cité provençale, M. Le Seurre. Charge qu’il occupera jusqu’en novembre avant de se retirer pour un autre poste à la marine d’Antibes. Une fonction qu’il occupait depuis 1789. (Source : Annales historiques de la RF - Un consulat français dans la tourmente révolutionnaire : Nice à la veille de l'annexion 1789-1792 de juillet 2002 -
A lire ici !)
à suivre...

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JOURNAL D'UNE BOURGEOISE



de Rosalie Jullien (de la Drôme)
Il a été retenu deux lettres pour décrire les massacres de septembre à Paris. Si la correspondante appuie cette entreprise de fureur au titre d’une « foule de peuple », le témoignage des évènements est très enrichissant parce que se positionnant en faveur, et honnête parce qu’elle précise ne pas tout savoir et sensible, elle n’est pas indifférente. S’il existe bien des imprécisions, elle fait part aussi d’autres témoins, comme ces maçons venant à son domicile pour de supposés travaux et ayant assistés à certains faits. Il existe pas mal de témoignage, notamment contre ou relativisant cette entreprise meurtrière des Septembriseurs.

Néanmoins Rosalie Jullien n’exalte pas, elle en comprend les raisons et souhaite que cela ne se reproduise pas. Par ailleurs à ce stade, elle ne manifeste pas de critique à l’égard des girondins et ne fait pas de différence entre les «patriotes». Il existe seulement un élément important à remettre en cause ce sont les dates, ce qu’elle dit de Bicêtre « où l'on est encore » dès le dimanche 2 n’est pas possible à cette date précise, ou pareillement le 3 où elle annonce la fin des massacres dans cette geôle. C’est le lendemain que la «prison des voleurs» sera concernée. Il ne peut y avoir qu’un décalage d’un jour et les courriers achevés le 3 et le 4 septembre. Un petit détail, certes minime, mais qui a son importance dans la chronologie des événements et des faits du 2 au 5.

De Rosalie Jullien à son mari, Marc-Antoine Jullien dit de la Drôme et élu de ce département à la Convention de 1792 à 1795. Il sera un des rares rescapés robespierristes de l’Après Thermidor (fin du mois de juillet 1794), malgré les dénonciations, il ne fut pas condamné mais mis à distance de la vie politique. Et Jullien se mit à écrire des poésies et des textes, il décéda en tombant d’un balcon en 1821. (Lire sa courte biographie sur le site de l’AN)

Note de Lionel Mesnard, le 8 août 2016

Post Scriptum de mars 2017 : ces lettres n'ont rien d'authentiques et le "Journal d'une bourgeoise" est un travail de ré-écriture de la part de son petit-fils, Edouard Lockroy, député sous la troisième république. Ces courriers entrent dans la catégorie des écrits apocryphes. Néanmoins la courte note reste en l'état et le texte illustre des événements plus que confus et manipulés, mais pas si lointain de la vérité, toujours pas élucidée... sur les massacres de septembre à Paris.


1) A son mari,  depuis Paris, lettre du 2 septembre 1792 (date relative)

« Quand on veut la fin, il faut vouloir les moyens; point d’humanité barbare. Le peuple est levé, le peuple terrible dans sa fureur, venge les crimes de trois ans des plus lâches trahisons. Oh, mon ami, je me réfugie dans vos bras, pour verser un torrent de larmes; mais je vous crie avant tout: la France est sauvée! Ces larmes, je les répands sur le sort de nos malheureux frères patriotes, tombés sous le fer des Prussiens. Verdun est assiégé et ne peut tenir que deux jours. La joie de nos féroces aristocrates contraste avec notre profonde affliction. Ecoutez; tremblez : le canon d'alarme tonne vers midi ; le tocsin sonne, la générale bat. On va, on vient dans les rues. Tout était dans la crise la plus violente ; des proclamations pathétiques de la municipalité fixaient l'attention du peuple et touchaient son cœur: «Volez au secours de vos frères! Aux armes ; aux armes! » Chacun s'empresse, court. Enfin, il part ce soir quarante mille hommes qui vont fodre sur les Prussiens, soit à Verdun, soit en avant, s'ils s'avancent. La fureur martiale, qui a saisi tous les Parisiens, est un prodige; des pères de famille, des bourgeois, des troupes, des sans-culottes, tout part. Le peuple a dit: nous laissons dans nos foyers nos femmes, nos enfants, au milieu de nos ennemis, purgeons-en la terre de la liberté. Mon ami, je jette ici, d'une main tremblante, un voile sur les crimes qu'on a forcé le peuple à commettre par tous ceux dont il est depuis trois ans la triste victime. Les noirs complots qui se découvrent de toutes parts, portent la lumière ta plus affreuse et la conviction la plus certaine sur le sort qui attend et menace les patriotes; s'ils ne font pas périr, ils périssent l’atroce nécessité, ouvrage funeste de nos ennemis ! Des têtes coupées, des prêtres massacrés... Je ne puis vous en faire le récit, quoi qu'éclairée par ma raison, qui me crie: les Prussiens et les rois en auraient bien fait autant et mille fois davantage. Si le peuple... Ah! malheureux peuple, qu'on se garde de le calomnier!


Le croiriez-vous? Je suis allée depuis six heures jusqu'à huit, aux Tuileries. Foule partout, et dans une agitation froide et ordonnée. Il n'y a plus de nuit à Paris; l'illumination succède au jour, et l'on voyait deux magnifiques pyramides de lumières sur le grand bassin, et des boutiques éclairées dans les grandes allées. La terrasse des Feuillants était claire comme le jour, couverte de groupes, de femmes, d'enfants, d'hommes; tous prêts à suivre les plus généreuses ou les plus terribles résolutions. Des députés de l'Assemblée, environnés de troupes, sont passés pour aller porter au peuple des conseils pacifiques. Dix-sept personnes, parmi lesquelles se trouvent, dit-on des députés, ont été arrêtées aux barrières et ramenées à l'Abbaye. Dans la cour, une foule de peuple indigné, forçant les portes de derrière des prisons, leur ont épargné la peine d'y entrer. Terrible événement ! J'ai entendu Cambon accuser à mots couverts le comité de surveillance d'avoir relaxé le prince de Poix. Donnez une Convention nationale incorruptible, ou que les lâches Français tombent dans les filets des Prussiens: autant vaudrait, que d'avoir de vils représentants. Ils faisaient merveille ce soir. J'ai entendu mille bravos. Si l'on parvenait à faire siéger cette Assemblée loin de Paris, comme le veulent les sots, les Néron et les Médicis renaîtraient de leurs cendres. Nous avons pris une voiture; car l'agitation du peuple et la nuit portaient dans mon âme une terreur secrète. En montant, j'ai été arrêtée par une amie de M. de Sillery, qui m'a dit que ce patriote arrivait ce soir de Reims, dans une indignation qui l'étouffait. Point d'armes; nous sommes livrés pieds et poings liés à l'ennemi!

M. d'Orléans est électeur, et nos électeurs sont tous bons. On a fait la liste des députés que l'opinion publique appelle à la Convention nationale, c'est la fleur des Français. Si vous aviez vu Paris, comme je l'ai vu aujourd'hui, vous n'oseriez pas douter un moment de la chose publique. C'est la rage du courage et l'accord le plus parfait; car,dans les trois cent mille hommes que j'ai vus se disputer l'honneur de partir, il n'y a pas seulement un Feuillant. Ils sont tous cachés dans les caves.

Rentrée chez moi à huit heures et demie, ayant observé, de la pointe Saint-Eustache jusqu'ici, les mêmes mouvements et les rues pleines de monde, j'ai trouvé la bonne amie Tiberge avec Gabrielle qui se réfugiaient chez nous, à cause de l'esprit d'aristocratie de leur maison. Elles ont couché dans notre alcôve. Elles m'ont assurée qu'un nombre de peuple, en bon ordre, faisait une police sévère, et qu'il y avait eu des actes terribles. Le calme le plus profond règne cette nuit. Aucun bruit, ni de tambours, ni de cloches, ni de rien, qui annonce de sinistres événements. J'ai l'âme si préoccupée qu'il me sera impossible de trouver le sommeil, et j'ai un mal de tête si violent, que je ne pourrai continuer d'écrire. Mille et mille tendresses dans la maison hospitalière ou vous êtes. J'ai une si profonde estime pour Mme Blachette, que je fais des vœux contre son repos. Je le nomme à la Convention. Il nous faut de vrais patriotes et des hommes. Mon ami, faites agréer mes excuses et mes civilités à la digne femme de ce courageux ami de la liberté. Je voudrais déjà être à demain.

Nous serions perdus, si la Providence de la Révolution ne faisait pas tous les jours de nouveaux miracles. Le tocsin doit sonner sur tous les points de la France et les départements se tenir dans la fière attitude de la capitale, afin de  ne pas devenir la proie de nos ennemis. Nous sommes tous morts si nous ne sommes pas tous unis. Nous avons des armées, nous avons des gardes nationaux, nous avons une foule de citoyens qui vont cerner les ennemis. Plus de traîtres à la tête de nos troupes, et la victoire est à nous. Je crains la famine, si la victoire n'est pas impétueuse, car ils vont être deux cent mille réunis sur la frontière. Oh, mon ami! dans quelles circonstances nous sommes! N'ayez pourtant nulle inquiétude. Les Autrichiens et les Prussiens seraient aux portes de Paris, que je ne ferais point un pas en arrière. J'en crierais avec plus de sécurité : la victoire est à nous!

Je suis saisie d'épouvante, d'horreur: je ne sais quels sentiments éprouver. Voilà le détail que je tiens de six maçons qui arrivent de leurs travaux. Un bataillon de gens du peuple frappé de l'imminent danger de voir tomber sur nous les malfaiteurs de toutes les prisons, en cas de réussite de quelque complot, ou de l'approche des Prussiens, s'est fait accompagner des juges, qui sont allés successivement à chaque prison. On a fait visiter tous les écrous. Les voleurs tués, les contrefacteurs d'assignats tués, les contre-révolutionnaires tués; les prisonniers pour dettes délivrés, les querelleurs renvoyés, les jeunes gens pris pour étourderies admis à la bande. Ainsi l'on a ne pas devenir la proie de nos ennemis. Nous sommes tous morts si nous ne sommes pas tous unis. Nous avons des armées, nous avons des gardes nationaux, nous avons une foule de citoyens qui vont cerner les ennemis. Plus de traîtres à la tête de nos troupes, et la victoire est à nous. Je crains la famine, si la victoire n'est pas impétueuse, car ils vont être deux cent mille réunis sur la frontière. Oh, mon ami! dans quelles circonstances nous sommes! N'ayez pourtant nulle inquiétude. Les Autrichiens et les Prussiens seraient aux portes de Paris, que je ne ferais point un pas en arrière. J'en crierais avec plus de sécurité: la victoire est à nous!

Je suis saisie d'épouvante, d'horreur : je ne sais quels sentiments éprouver. Voilà le détail que je tiens de six maçons qui arrivent de leurs travaux. Un bataillon de gens du peuple frappé de l'imminent danger de voir tomber sur nous les malfaiteurs de toutes les prisons, en cas de réussite de quelque complot, ou de l'approche des Prussiens, s'est fait accompagner des juges, qui sont allés successivement à chaque prison. On a fait visiter tous les écrous. Les voleurs tués, les contrefacteurs d'assignats tués, les contre-révolutionnaires tués; les prisonniers pour dettes délivrés, les querelleurs renvoyés, les jeunes gens pris pour étourderies admis à la bande. Ainsi l'on a vidé complètement les prisons, même Bicêtre, où l'on est encore. La gendarmerie nationale et les autres troupes disent aux citoyens: «Camarades, nous vous laissons nos femmes, nos enfants ; préservez-les des ennemis de l'intérieur qui pourraient les tuer; tandis que nous allons combattre ceux de l'extérieur». Ces nouvelles exécutions d'une justice terrible et barbare, se sont faites, dit-on, dans un calme extraordinaire. Plusieurs prêtres ont été sacrifiés à la vengeance populaire. Ces maçons ont vu des monceaux de cadavres aux portes des prisons. Ma profonde humanité me fait pleurer sur le sort des coupables et malheureux innocents confondus. Mon Dieu ! ayez pitié d'un peuple qu'on précipite dans la voie du carnage en le provoquant; ne lui imputez pas...

Mon ami, mon âme est accablée. Les Prussiens, cause seconde de tant d'atrocités, parle sentiment d'irritation et d'horreur qu'excitent leur injuste agression et leur invasion, périront, fussent-ils cent mille. Avec quelle ardeur furibonde nos braves volontaires ont quitté Paris ! Ils sont sûrs de mourir ou de revenir vainqueurs. Adieu, mon ami, nos maçons, dont l'un a été témoin de tout, nous ont narré cela avec une sorte d'ingénuité et avec un véritable regret que le peuple, pour se sauver de tous ses ennemis, des traîtres et des conspirateurs, en soit forcé d'en venir là, et de se faire justice lui-même».


    2) A son mari, depuis Paris, deuxième lettre du 3 septembre 1792
« Mon ami, mon ami, le plus grand calme est la suite de ce tribunal populaire, soutenu de la garde nationale, assisté de quinze juges choisis parmi la multitude. Bicêtre a occupé toute la journée. Il n'y a plus d'êtres vivants dans aucune sorte de prison ; les uns ont péri, les autres ont été mis en liberté. Vous le dirai-je ? Mon âme est troublée et profondément épouvantée d'un si terrible spectacle. On assure qu'on avait acquis les preuves d'un vaste complot, où tous ces criminels devaient être les instruments du crime. M. Pétion n'avait garanti la sûreté de la capitale qu'hier jusqu'à minuit.

Enfin, il faut croire que la Providence nous a encore miraculeusement sauvés. Voilà un trait frappant qui caractérise le respect du peuple pour ses représentants. Journeau, qui a eu une affaire avec Grangeneuve, était à l'Abbaye. On a dépêché un canonnier à l'Assemblée pour s'assurer si vraiment c'était un député, et on l'y a reconduit avec toute la considération attachée à la dignité de son poste. Cependant, c'est un aristocrate connu. Mesdames de Lamballe et Toursel, qui étaient à la Force, n'ont pas joui du même privilège, elles sont au nombre des victimes; mais la fille de cette dernière, âgée de douze ans, et Madame Bitbe, qui est enceinte,
ont été mises sous la sauvegarde du peuple et singulièrement protégées.

On assure que les ennemis ont été obligés de se replier sur Longwy et que, bientôt, il sera repris. Nous avons un avantage certain ; mais les détails ne sont pas infiniment clairs ; c'est pourquoi, n'aimant à vous donner que des nouvelles fort sûres, j'attends un plus ample informé. Mais, l'espérance étant fondée, je veux vous en faire jouir sur-le-champ. Les troupes partent à différents intervalles pour faciliter les approvisionnements, et l'ardeur est telle que l'on ne peut qu'augurer la plus éclatante victoire. La France est sauvée; mais il faut que nos braves frères des départements imitent notre dévouement. On ne connaît plus qu'un intérêt, celui de la patrie. On n'a plus qu'un sentiment, l'amour de la patrie. Enfin, son salut est le plus cher objet de nos vœux, et absorbe toute autre pensée.

On prétend que le tribunal sanguinaire va se porter à Orléans. L'Assemblée a décrété de transporter les prisonniers dans un château fort à Saumur. Elle a simplement fait mention, dans son procès-verbal, du cours des événements, et elle a repris ses travaux.
Les deux Montmorin ont subi le sort des autres coupables ; et, hier matin, le major des Suisses fut guillotiné, jugé parle tribunal du palais. Pour les Montmorin, c'est le peuple qui les a immolés. Il y avait des monceaux de morts dans les cours des prisons, qui ont tous été portés à Clamart dans des charrettes. Nous n'avons pas franchi le seuil de notre porte. La sensibilité d'Auguste et la mienne nous ôtent la force de sortir, dans la crainte de rencontrer un char mortuaire. Nous n'avons plus qu'une voie de salut : vaincre ou mourir. Le peuple est si pénétré de cette vérité, que tous vont se transformer en héros pour abîmer les Prussiens, les Autrichiens et ceux qui viennent dévaster et asservir notre France. On travaille aux fossés et aux camps qui doivent environner Paris, avec l'ardeur que vous avez vue briller au Champ-de-Mars.

Pétion et Manuel sont toujours les magistrats choisis du peuple. La municipalité a subi quelques changements ; mais je ne les connais pas bien. Enfin, mon ami, j'ai voulu vous écrire ce mot ce matin, parce que, dans la crise terrible où nous sommes, il est doux d'avoir une assurance directe de l'état de la capitale et de la vie de ceux qu'on aime. On sent que ces affreux événements doivent nous conduire au terme de nos maux et fixer les destinées d'un grand peuple, trop longtemps le jouet des intrigants et des conspirateurs On a une pleine confiance dans le conseil exécutif qui nous gouverne. Nos élections vont leur train, et vous verrez, dans la Révolution de Paris, toutes les indications données pour les diriger. Les prédicateurs s'accordent avec les défenseurs de la liberté pour les propager. Il y a eu, dimanche, un sermon qui a fait l'admiration de tout Paris. Dans les malheureux prêtres sacrifiés, je ne connais heureusement personne. L'on ne sort pas de Paris, mais j'espère que cette crise touche à sa fin, et que la liberté et la circulation vont être rétablies ».


Source : Gallica-Bnf,  Journal d'une bourgeoise pendant la Révolution : 1791-1793
Publié par son petit-fils Edouard Lockroy - Éditeurs Calmann-Lévy (Paris
1881)
 


Rosalie Jullien et la Révolution Française :
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France Culture - La fabrique de l'histoire du 08/03/2017


Suite sur la Révolution française
L'année 1792, huitième partie

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