Anacharsis Cloots, écho du nationalisme naissant ?
Le
baron et le riche banquier Anacharsis Cloots, « l’orateur du genre humain »
a été
l’une des
figures les plus
insolites de la Révolution. Né en 1755 près de la frontière de la
Hollande (territoire sous domination Prussienne), de son vrai nom,
Jean-Baptiste de Cloots, il devint député à la Convention en septembre
1792 pour le département de l'Oise, il venait juste d'être naturalisé
français comme Thomas
Paine, celui-ci, britannique. Les deux hommes ont incarné une toute
petite part des étrangers
qui prirent, non seulement position pour la France dès 1789, et qui
aussi
participèrent à la naissance de la république, trois ans plus tard. Ils
advint que l’un et l’autre
furent exclus de l’Assemblée nationale à la fin du mois de décembre
1793.
J.B. Cloots lui a
été condamné et a été mis à mort en mars 1794 après avoir soutenu des
positions sans grandes cohérences autres que ses retournements de veste
ou d'avis réguliers, et alla jusqu'à prendre parti en faveur de
l'esclavage, son abolition pouvait selon lui menacer la France de
la ruine. De Barnave à la sans-culotterie, il a papillonné dans
plusieurs cercles politiques, et il se fâcha notamment avec les dits
élus girondins après les avoir rejoints et soutenus.
Personnage fantasque, mais apparemment sincère dans son
inconstance, Cloots représenta l’adhésion au vocable
"patriote" dans bien des aspects du nationalisme naissant, bien que
sous des apparences d'un universalisme à vision limitée, pour beaucoup
à l'image de l'oxymore d'un soi-disant "universalisme français". Il
pourrait
même faire penser à un national, plus que typé, du cru, avec sa
gouaille, eh
bien non ! il ne l'était devenu que le 26 août
1792.
Ce fut une étrange figure, qui voulut la mise en oeuvre d'une
république universelle, et qui souhaita faire de Paris le centre du
monde, comme l'avait été la ville de Rome au temps de l'empire
disparu. Et dans ses élucubrations, il
soutint les massacres de septembre 1792, il fut aussi durant le processus un des plus
va-t-en-guerre, et l'avait été dès avant 1789, tout comme il a été un farouche partisan contre la loi agraire : « Des
hommes absurdes ou perfides se plaisent à répandre la terreur dans
l’âme des propriétaires. On voudrait semer la zizanie entre les
Français qui vivent du produit de leurs terres et les Français qui
vivent du produit de leur industrie. Ce projet de désorganisation sort
de la boutique de Coblentz. »
« Déjà Cloots, qui avait longtemps suivi les Girondins et qui avait été un des commensaux de Mme Roland, se séparait avec éclat de ses anciens amis dans une brochure retentissante qu’il intitulait Ni Marat ni Roland,
mais où il attaquait exclusivement les Girondins. Il révélait qu’il
avait entendu Buzot, à la table de Roland, prétendre « qu’une république ne devait pas être plus étendue que son village ». Il accusait Roland de prêcher le fédéralisme. »
Source : Albert Mathiez - La Révolution française, La chute de la royauté La Gironde et la Montagne La Terreur, pages 312 et 382.
Le texte qui suit est fort instructif
sur la famille girondine et du climat général face à la question
fédéraliste, comme objet de dénonciation. Cette étrange opposition
entre Marat et Jean-Marie Roland,
dont il dit surtout du mal de Brissot, permet de découvrir une opinion
assez commune sur les massacres survenus du 2 au 5 septembre 1792 à Paris,
et reprise par beaucoup qui ont cherché à mettre ce fait
des plus macabres sous le tapis. Faire porter sur Marat une responsabilité commune était
tellement plus simple...
Le texte de Cloots est suivi d'une réponse du ministre Jean-Marie Roland aux propos de ce dernier.
Note de Lionel
Mesnard
« NI MARAT, NI ROLAND »
Portraits de Marat et Roland
Opinion d’ANACHARSIS CLOOTS
Député du Département de l’Oise, à la Convention
Nationale (1)
« Il y a plus de trois semaines que j’ai articulé un
fait, très indifférent par lui-même, mais qui excite aujourd’hui la
curiosité de la Convention et de la Nation. J’en demande excuse à
Guadet, qui m’a sommé, par les plus exécrables vociférations, de ne pas
insister sur mon dire, et qui aurait voulu, avec sa large conscience,
me faire passer modestement pour un menteur, afin d’éviter un prétendu
massacre populaire. La chaleur de Guadet me parut très suspecte ; mais
ne lui ayant jamais entendu professer des hérésies politiques, j’en
conclus qu’il avait trop dîné. Peut-être suis-je trop indulgent.
Malgré les petits sophismes et les petites passions, la vérité
triomphera sous le règne de la liberté ; la faction du genre humain
l’emportera sur la faction Marat, et sur la faction Brissot. Cette
victoire sera d’autant plus facile, que Marat est, à peu près, seul
avec ses poignards, comme Médée avec ses poisons. Le « moi » du grand
Corneille pourrait s’appliquer à l’extravagant Marat; quant à Brissot,
je ne connais pas d’homme moins brissotin que lui; mais ses erreurs
sont si graves, qu’à moins de le connaître personnellement, on le
croirait payé par tous les ennemis de la France et du genre humain; et
c’est lui faire, en vérité, beaucoup trop d’honneur. Brissot, avec sa
marche tortueuse, ses mensonges officieux, et ses systèmes avortés,
devait être suspect aux républicains indivisibles ; Paris devait
naturellement l’avoir en horreur. Les royalistes cachés, les
fédéralistes honteux, et les modérantistes insinuants, se coalisèrent
pour accorder les honneurs du fauteuil contre-révolutionnaire à
Brissot, qui ne s’en doutait pas : et voilà comment Brissot, avec sa
médiocrité, est devenu, sans le savoir, le prête-nom de tous les
charlatans politiques. Cette ligue sourde trouve de puissants obstacles
dans la masse et les lumières d’une ville de Paris, le centre de
l’unité constitutionnelle.
La sanglante journée du 2 septembre est devenue un prétexte pour les
fédéralistes, comme la sanglante journée du 6 octobre pour les
aristocrates. Rien n’est plus oratoire que de montrer une chemise,
trempée dans le sang, aux hommes faibles, aux femmes timides, et de
s’écrier, avec le ci-devant châtelet : « Le voilà donc connu ce secret
plein d’horreur ! » Je soutiendrai toujours, et mon œil vaut celui d’un
autre, que le carnage du 2 septembre est une suite de la révolution,
comme le carnage qui abreuve les sillons de la Champagne. Il est vrai
que la retraite des Prussiens a rendu l’expédition des prisons, et la
dépense du camp de Paris très inutile. On vous prouvera aujourd’hui que
c’est du sang et de l’argent répandus à pure perte. Il est démontré que
des coquins ont volé, et que des scélérats ont proscrit des têtes
civiques ; moi-même j’étais affiché dans les carrefours, sous les
portiques, sur les colonnes, pour un homme pendable ; ma vie était
entre les mains d’un Marat, comme la vie d’un brave officier est à la
merci d’un lâche soldat, dans une bataille. Dieu sait tous les crimes
particuliers qui se commettent après une victoire générale ! Cela
n’empêche pas de chanter le Te Deum. Je voudrais que le commandant
Santerre publiât les explications décisives qu’il donna aux membres de
la commission extraordinaire, en présence du maire de Paris, et des
ministres, en présence de deux administrateurs de Versailles, qui
vinrent annoncer que des milliers de gardes nationaux de la campagne
demandaient un nombre de têtes connues. Santerre, avec le bon sens de
l’expérience, fit renoncer Brissot et Vergniaud à certain projet de
décret physiquement impraticable. Il faut avoir le courage de parcourir
les groupes, et s’entretenir familièrement avec le peuple, avant de
proposer un décret, dans les temps orageux. Ce n’est pas en provoquant
les horreurs d’une troisième révolution, que nous prouverons notre
amour pour l’humanité.
Depuis le 10 août, les fédéralistes, et la gente moutonnière avoient
résolu de se réfugier dans le midi : je fis un article vigoureux dans
la «Chronique», contre ce plan désorganisateur. La journée du 2
parut
une occasion décisive pour décrier et quitter Paris. Le peuple, qui
n’ignore rien, en voulait surtout à Roland, dont les liaisons intimes
avec Brissot lui paraissaient inquiétantes. Je ne connaissais pas
Roland, et lorsque, vers la mi-juin, j’invitais le peuple à remplacer
provisoirement Louis XVI par le «vénérable Roland », je croyais
celui-ci un tout autre homme. C’est le 3 septembre qu’on me fit
connaître ce ministre, chez qui j’ai dîné quatre fois. Mais cette
maison, d’ailleurs très agréable par l’esprit et les grâces de Madame
Roland ; cette maison, dont les murailles devraient être transparentes
comme le cristal, me devint fastidieuse, par un commérage ridicule
contre Paris, et par le fédéralisme qu’on y professait pédantesquement.
Buzot, l’ascétique Buzot y prétendait qu’une république ne devait pas
être plus étendue que son village. Rebecqui, après avoir longtemps
ferraillé pour les petites républiques, soutint qu’il fallait rejeter
Nice, dont le commerce ferait tort à Marseille. Bancal, au défaut de
mes poumons, réfuta complètement Buzot. Je dis à Rebecqui : « Vous êtes
orfèvre, M. Josse? Non, pardieu, répondit-il sérieusement ; « je suis
marchand de liqueurs ». Roland, en nous racontant l’inconduite de
vingt-cinq feuillants d’un bataillon des Lombards, en conclut
vertueusement que les Parisiens sont des poltrons. Je fus le seul à
observer que Paris avait fourni trente à quarante mille combattants,
dont la bravoure ne s’est pas démentie sur les frontières. J’ignore
quel mal lui a fait Lille, la clef de Paris : les immortels Lillois ont
reçu des lettres rebutantes du très mortel ministre. Roland, dont la tête n’a pas mûri dans les savantes
combinaisons politiques, se fâcha puérilement, lorsque après avoir
repoussé ses arguties fédératives, je lui conseillai la lecture d’un
ouvrage qu’il ne connaissait pas, et qu’il affecta de mépriser, en
disant que ce livre anglais avait eu bien peu d’influence en Amérique.
Je lui appris que la dernière convention américaine professait les
mêmes principes : j’insistai ensuite sur l’importance de recevoir les
Savoisiens dans notre sein, pour déjouer les Sénats helvétiques, et
pour éviter le funeste exemple des formes fédératives. « Ah! je sais,
nous dit-il, d’un ton menaçant, que des habitants de Carouge me sont
adressés ; mais ils n’y retourneront pas deux fois». C’est ainsi que
l’intrigue environne un vieillard vertueux, mais bizarre, pour
désorganiser un empire, pour lutter contre les destinées du genre
humain. Le poète Chénier a dit, que Roland est un personnage
historique ; et moi, prosateur, je maintiens que Roland est un
personnage fabuleux. Condorcet a dit un mot profond : « Il faut aux
intrigants un Lafayette civil ».
Les royalistes et les fédéralistes vont réveiller la secrète jalousie
des principales villes contre la «grande ville», en insinuant que
Paris veut être « roi de France ». Ils en concluent naturellement, que
la maison de Bourbon est préférable à une maison commune, et que le
fédéralisme vaut mieux que l’assujettissement. De ce réveil stupide,
résulte une garde militaire, qui, au premier mécontentement prévu et
provoqué, entraînera la convention nationale, Dieu sait où ! De-là
résultent des lois attentatoires à la presse et à la poste ; de-là
résulte la chute des Jacobins, l’élévation d’un Sénat, et l’abaissement
de la sans-culotterie ; de-là résulte une constitution, non pas à la
Chapelier, mais à la Buzot ; de-là résulte une religion dominante, ou au
moins le maintien du culte salarié. Les illuminés de la rue des
Petits-Champs sont aussi habiles que les illuminés de Potzdam. Rien de
mieux, pour égarer l’opinion, pour se jouer des hommes, que de les
circonvenir de noirs fantômes. Ceux qui voudraient museler le peuple
comme une bête farouche, lui supposent des vices et des erreurs qu’il
n’a point. Les vaines tentatives, et la catastrophe des Necker, des
Bailly, des Lafayette, ne découragent pas leurs tristes et plats
émules. J’avoue, à la louange du jeune Barbaroux, que, frappé de mes
réponses victorieuses chez Roland, il me dit le lendemain à l’assemblée
; « Mon cher Anacharsis, je voudrais m’entretenir tête a tête avec
vous, pour dissiper tous mes doutes sur le gouvernement fédératif. Ces
questions vous sont plus familières qu’à moi. Je lui répondis :
Défiez-vous des gens qui vous mettent en avant ; le philosophe, est
seul ». Le patriotisme de Barbaroux est pur comme les traits de son
visage ; mais le feu qui l’anime est soufflé par des hommes impurs, par
des hommes qui, semblables au commissaire tremblant Kersaint, sont
ennemis nés des grandes pensées, et des belles actions. Les nombreux
valets de Lafayette ne sont pas morts avec lui ; il leur faut une
nouvelle idole, un mode quelconque de servitude.
Je crus m’apercevoir que Roland exerçait une espèce de dictature,
d’autant plus qu’à l’aide de douze ou quinze secrétaires, et avec
l’esprit de la bouche de fer, et avec l’argent de la nation, il est
facile de couvrir tous les murs, et de remplir toutes les poches de «
lettres édifiantes, de comptes moraux mystiques ». Je vis que Roland
avait fait la jonction des deux mers par un canal moral qui unissait
les bouches du Rhône à la Gironde. Je craignais que ce nouveau Louis
XIV n’eût une cour qui le conduisît aussi jésuitiquement que la
Maintenon et le père la Chaise. Comme je hais la cour, je ne retournai
plus chez Roland, qui peut aussi m’appliquer le mot connu de Charles
Lameth, président de l’assemblée constituante : « Cloots fuit les
grandeurs » (sic). Longtemps avant sa présidence, j’étais guéri de
celui que
sa fameuse égratignure m’avait fait connaître personnellement ; J’en
atteste notre collègue Massieu, évêque de Beauvais. Ce n’est pas que je
veuille comparer les mystificateurs Lameth au mystifié Roland, dont la
simplicité est telle, qu’il me pria bonnement de renoncer au principe
de la souveraineté du genre humain. En effet, ce principe convient trop
aux unitaires et aux niveleurs, pour ne pas déplaire aux fédéralistes
et aux partisans de chétives républiques isolées et protégées. Notre
collègue « Lachaise » ne fut pas moins surpris que moi du ton qui
régnait, et des discours qu’on tenait chez le ministre de l’intérieur.
Pour en revenir à Brissot, je lui ai parlé, la première fois de ma vie,
en dînant, avec le victorieux Dumouriez, chez Pétion. Notre première
conversation fut une dispute, dont Thomas Payne fut le juge, en
condamnant formellement mon adversaire, qui, loin d’admettre ma
République universelle, prétendait que la France est trop grande.
Payne, à chaque interpellation, répondait : Mister Brissot, nous sommes
encore dans l’enfance des gouvernements; le système de Mister Cloots
pourra fort bien se réaliser un jour. Une monarchie est souvent trop
étendue; mais la république des droits de l’homme peut couvrir le
globe entier. Les mille départements de Mister Cloots seront beaucoup
plus faciles à gouverner que les cinq cent provinces d’un César, d’un
Gengis Khan, d’un Charlemagne.
J’aimerais assez Brissot ; il est gai et sociable ; je ne lui crois pas
les vues qu’on lui prête ; je lui reproche plutôt les vues qu’il n’a
point : sa tête ne se redresse pas d’une ligne au-dessus de la pente
qu’elle a prise depuis dix ans. Dernièrement, au comité diplomatique,
le citoyen Royer, évêque et député de l’Ain, nous communiqua une lettre
de la Savoie dans laquelle les intentions de plusieurs de nos
législateurs et ministres, contre l’admission du quatre-vingt-quatrième
département, sont dévoilées. Brissot nous dit qu’il était du même avis
: je me joignis à l’évêque de l’Ain pour le combattre. Royer insista
sur ce que les départements voisins prendraient fait et cause pour le
Mont Cénis, et que d’un refus impolitique naîtrait une scission
fâcheuse. Tant mieux, répliqua gravement Brissot ; « nous avons trop de
départements ». Brissot veut apparemment des républiques isolées:
dans
ce cas-là il serait non pas « fédéraliste », mais, qui pis est, «
isoliste ».
Nos ambitieux sont désolés de la grandeur du peuple Français : un
souverain puissant les condamne à l’impuissance. Personne n’est grand
dans une grande république. Plus on a du génie ; et mieux on calcule la
force irrésistible, et les avantages inappréciables de l’égalité
civile, de la liberté universelle. De petites fractions nationales
conviendraient mieux, sans doute, à des pygmées qui voudraient paraître
des géants. Ces pygmées se coalisent derrière un homme en place dont
ils renforcent le mannequin gigantesque. Illusion éphémère ! car le
souverain infiniment jaloux, ombrageux et fort, fait rentrer d’un
regard et d’un geste tous les ambitieux dans le néant.
Voici la conclusion philosophique que je tire de cette discussion
désagréable : c’est que le peuple contrarié dans son heureux instinct,
par les maximes fausses d’un mandataire ou d’un fonctionnaire, attribue
toujours à la corruption du cœur, ce qui n’appartient qu’à
l’organisation de la tête. Par exemple, le bon Kersaint qui voulait
négocier la paix avec l’Autriche, huit jours avant le coup de canon des
Tuileries, et qui, à son retour de Sedan, voulait se cacher dans les
montagnes méridionales ; on l’a cru traître, et il n’était que sot et
poltron. L’erreur engendre l’erreur. On se fait mutuellement des
reproches exagérés ; les vilainies et les injustices s’en mêlent de
part et d’autre; les vengeances privées s’agroupent en vengeances
publiques. On est exclu ignominieusement d’un club ou d’un corps
électoral; le moi des égoïstes s’en offense aux dépens du peuple. On
s’accroche à tout, et aux royalistes, et aux fédéralistes, et aux
isolistes, et aux nihilistes. N’importe, il faut entraîner la patrie
dans la méprisable cause du moi que vous aimez mieux que le nous. Le
moi, c’est Brissot, Cloots, Robespierre ; le nous, c’est la France et
le genre humain.
Et vive la
république universelle !
De l’Imprimerie de Desenne, rue Royale, butte Saint-Roch, N°25. 1792.
Note de l’auteur (ci-contre en peinture)
(1) Puisque chacun imprime son opinion, je publie la mienne, d’autant
plus qu’on répète inexactement mes expressions verbales. L’assemblée,
après avoir ouï Louvet et Robespierre, a eu raison de consacrer la
maxime : À bas les hommes ! à l’ordre du jour les choses ! Je
recommande cette maxime à Roland et à Marat, deux êtres qui se donnent
mutuellement une importance grotesque. Roland, par ses étranges
assertions sur la première semaine de septembre, fait valoir Marat
auprès des sans-culottes ; Marat, par ses étranges assertions sur tous
les événements, fait valoir Roland auprès des gens culottés. La
multitude, qui sait à quoi s’en tenir sur la révolution des mois d’août
et de septembre, regarde Marat comme un limier utile, mais sanguinaire
; elle regarde Roland comme un contrôleur utile, mais équivoque. L’œil
louche de celui-ci, et l’œil hagard de l’autre, sont amendés par un
peuple qui veut être bien servi, mais qui ne sert personne ; un peuple
qui ne suspend le cours des lois qu’à son corps défendant, et en
prononçant un décret d’urgence. Que Marat invite au meurtre ; que
Roland invite à des mesures liberticides, le peuple se moque de leurs
travers, en rendant justice à leurs vertus. Avec les idées de Roland,
je ferais l’impossible pour modifier nos bases constitutionnelles ;
avec les idées de Marat, je croirais que l’égalité en droits est une
calamité de fait : mais je pense comme le peuple, dont la sagesse plane
pardessus toutes les sottises individuelles, et mon ardeur pour la
propagation des vrais principes, augmente avec le triomphe de nos
armées et de nos arguments. Je ne m’étonne pas de l’aversion des
Rolandistes pour la république universelle des sans-culottes. On a beau
leur dire que la paix perpétuelle sera le prix de la loi universelle ;
ces hommes si tendres vous soutiendront, avec le doux Kersaint, que la
guerre est nécessaire de temps en temps ; qu’il faut des saignées au
genre humain comme au corps humain. Et cependant Kersaint, qui veut à
jamais des massacres en bataille rangée, abhorre Marat, qui ne veut pas
de révolution au bain-marie.
Jean-Marie Roland de La Platière. Portrait de François Bonneville.
Je ne réponds point à Clootz, parce qu’un homme qui me met en parallèle
avec Marat, n’est pas fait pour m’entendre, et qu’il ne dépend plus de
moi de l’estimer assez pour m’inquiéter de son jugement.
Je ne réponds point à Clootz, parce qu’il ment à sa conscience, et que
ce serait profaner la vérité que de la représenter à quiconque s’est
promis de la méconnaître. Mes vœux ont été, ils sont encore, pour, la république unique
; je défie qui que ce soit de rien insérer de mes discours et de mes
actions qui soit contraire à cette opinion ; mais j’ai eu le tort de
combattre sérieusement le système d’étendre nos départements jusqu’au
Japon, tandis que j’aurais dû sourire à cette marotte de Clootz.
Je ne connaissais point sa personne lorsqu’il fut conduit chez moi, par
quelqu’un que je n’avais pas invité de l’amener, et je ne le priai
jamais d’y revenir ; car , s’il est permis à chacun d’avoir sa chimère,
il n’est tolérable chez personne de vouloir les faire adopter avec
despotisme.
Clootz me parut ridicule lorsqu’il me proposa pour régent ; il me parut
intolérant lorsque, s’introduisant chez moi, il cherchait, à force de
bruit, à faire dominer son opinion ; mais il s’est rendu vil en
dénonçant comme des principes convenus, des propos de conversation
qu'il altère ou qu’il suppose ; et qu'il présente sous un jour
également faux et indécent. Il joue le rôle d’un parasite
mécontent se vengeant par des calomnies de n’avoir pas été admiré. Il
m’avait ennuyé, je l’oubliais ; il veut que je le dédaigne, je le livre
à lui-même. Il n’est pas vrai que j’aie jamais attendu des habitants de
Garouge, ni qu’il ait été question de rien de semblable. J’ai fait
participer Lille aux secours du gouvernement, j’en ai sollicité pour
cette ville ; mais j’ai observé à ses administrateurs que des
fonctionnaires publics vigilants dans une ville frontière et en temps
de guerre, n'auraient pas dû attendre qu’elle fut attaquée pour prévoir
ses besoins. J’ignore s’ils ont pu se plaindre d’une observation que je
leur devais, comme ministre ; il n’y aurait rien de très-mortel dans
tout cela, et il faut bien manquer d’armes contre un homme qu’on veut
attaquer, pour s’en faire une d’une antithèse mal-fondée.
Que des secrétaires fassent mes écrits, et que j’emprunte l’esprit des
autres, il faut convenir du moins que j'ai l’art d’user toujours du
même, et que je l’emploie avec quelque courage au profit de la justice
et de la raison. Je ne me servirai jamais de celui de Clootz, car je ne
veux point mêler à la chose publique de plates dénonciations pour
flatter un parti, de triviales personnalités, qui choquent le goût
autant qu’elles révoltent I'honnêteté, et je me soucie aussi peu de
caractériser les individus, que je mets d’énergie à relever leurs
actions, quand elles sont répréhensibles.
L’orateur du genre-humain trouve très-belles et bonnes les Journées des
2 et 3 Septembre ; il peut avoir ses raisons : quant à moi, ]e les
abhorre ; j’ai fait mon possible pour en arrêter les événements, je les
déplore comme la honte de l'humanité, et l'oeuvre de quelques brigands.
— On n'attend pas sans doute qu’après m'être élevé contre les attentats
que j'appelais ainsi sur ma tête au moment où ils se commettaient, je
me rétracte jamais d'une doctrine professée dans la sincérité de mon
âme, au péril de ma vie.
Personnage historique ou fabuleux pour quelques individus de mon
siècle, peu importe, pourvu que je justifie la confiance de la
majorité, et que pour les gens de bien de tous les temps, je sois leur
frère et leur ami.
J'espère qu’ils entendront toujours ma morale : quant à mes comptes
physiques, matériels, arithmétiques ; ils sont en règle, tous fournis
publiquement à la Convention, quelque regret que puissent en avoir ceux
qui feignent de l'ignorer.
I - Les mythologies révolutionnaires, modérantisme et
persécution religieuse?
Une idée pour laquelle il y a à s’interroger, c’est sur l’esprit de
modération chez les girondins? C’est un des arguments pouvant servir à
rendre terrifiant le camp montagnard. Cependant cette perception
délivrée d’un groupe modéré est en partie fausse. Vouloir la guerre et
en plus avoir été les artisans de la persécution religieuse, ne sont ni
du fait de Marat et encore moins dans les discours de Robespierre sans
réel pouvoir que sa plume et son art oratoire. Même s’il n’existe pas
de raison de baigner dans la martyrologie, l’année 1792 est au
demeurant une année de renforcement de l’arbitraire et beaucoup de
religieux ont été tués sans autre forme de procès que la haine. A Paris
en septembre, les curés reclus du séminaire de Saint-Firmin, dans la
nuit du 2 au 3 septembre n’attendaient que de partir et d'appliquer la
loi ordonnant de quitter le territoire aux réfractaires.
Cet acharnement légal ne doit pas cacher en ce domaine la
responsabilité des Jacobins depuis l’origine, et à commencer par les
Feuillants avant la scission de juillet 1791 et autres clubs et salons
de la haute bourgeoisie. La vente des biens du clergé mériterait à elle
seule une histoire complète et détaillée. Tant les enjeux économiques
sociaux et anthropologiques ont favorisé de fortes divisions
au sein de la société française. Des vraies fractures et impossible de
parler de laïcité, sauf pour les actes légaux ou civils et la fin des
questions intemporelles, quand l’intolérance était à des sommets. Si l’on
peut justifier ces actions par l’ancienne prédominance de l’église
catholique, la religion devenue un négoce d’état a été une affaire fructueuse et
un moyen d’asseoir les nouveaux pouvoirs économiques. Il faudra
attendre la loi de 1905 pour trouver un équilibre toujours fragile et
toujours utile à agiter, quand il est en usage ou de bon ton de s’en prendre à une communauté
religieuse sans distinction.
S’il faut pouvoir distinguer croyance et foi, il importe aussi de
comprendre que les Catholiques en faveur du changement, qui plus est
révolutionnaires se trouvaient ainsi sans débouché politique autre que
de se taire, se résigner, ou de combattre cet ordre des choses. Où
comment se couper d’une base sociale forte et tout aussi nécessiteuse?
N’étant, ni croyant, ni athée, cette situation qui demanderait
d’épouser une forme ou une autre est d’autant plus intéressante,
qu’elle sert aujourd’hui à trouver de nouveaux boucs émissaires, nommés
à l’époque « barbares ». Les pays barbaresques par déformation du
langage représentaient le monde « arabe », du moins une domination
exercée par l’empire Turc depuis le XVe siècle. Une logique coloniale
et d’empires que nous n’analyserons pas ici. Sauf en des relations
entre les deux rives de la Méditerranée qui ne sont pas nées au moment
de la Révolution et qui demande un temps long pour l’appréhender dans toute sa
mesure (influences et rapports de forces,…).
Les Jacobins, brissotins inclus et autres girondins représentaient au
sein de la Législative un groupe de 300 élus sur 745, les deux ou trois
amis de Marat et quelques proches de Robespierre ne pesant pas
lourd dans la nature des débats et des décisions de l’Assemblée
nationale. De la présence des Cordeliers au sein du club des jacobins,
au tournant de la scission, ils vont peu à peu influer sur la nature
des membres et le cours des idées, à l’exemple des interdictions posées
aux feuillants de rester ou revenir dans les débats de cette assemblée
tumultueuse au début de l’année 92. Peu importe la nature de
l’intolérance religieuse, elle restera un socle des jacobins, malgré le
départ des derniers girondins en novembre 92. Dans le
contexte de 93 l’anticléricalisme va prospérer et se retourner
contre la paysannerie la plus pauvre de l’hexagone dans le Poitou.
Quitte à soulever toutes les contradictions, tous les camps ont une
responsabilité dans ce qui sera une guerre civile d’ici quelques mois.
Toutefois, Rome et son pape Pie VI, le camp contre-révolutionnaire ne
sont pas exempts de critiques, et l’objet n’est pas de banaliser le
fanatisme et l’ordre religieux de l’ancien régime, qu’il a lui-même
combattu et le Vatican itou avec ses bulles : Jansénistes et Jésuites.
La Révolution n’est pas une affaire de gentil et de méchant, mais le
fait de toutes les contradictions d’une société et de ses membres.
Même, si je ne suis pas au stade des conclusions, les erreurs des
uns n’excusent pas celles des autres et inversement, chaque
contradiction ou faille est à analyser. Et si nous sommes sujet à
mettre un peu de distance et de critique face à tous les camps en
présence, aucun n’a à être auréolé. La vérité historique est à ce prix et
certainement pas à soulever des débats nés sur la Révolution française au moment du
bicentenaire ou plus anciens. Chaque génération est amenée à porter un
regard neuf. Si la densité des faits ou dans une vulgate commune des
événements engendrent du désordre, c’est que la mutation est profonde
et que tout affleure pour un monde plus respectueux de la dignité
humaine, mais l’a-t-il connu au préalable? la réponse est non. De quoi
se demander avec nos vieilles querelles politiciennes hexagonales si
les historiens étrangers ne sont pas les plus en mesure de poser une
analyse politique fiable sur le processus? La question est celle de la
bonne distance avec l’objet observé, il est très facile de travestir et
d’idéologiser à l’excès.
Si un pouvoir s’effondre, et à ce rythme des renversements, les uns
après les autres tomberont jusqu’à l’arrivée du sauveur suprême,
Buonaparte. Le général Dumouriez allant de victoire en victoire avec de
Custine sur son front, le vainqueur de Jemmapes et Valmy, quoi que
Kellermann est fait le travail, a été le premier à croire son heure
venue et sur un registre très bonapartiste avant que n’advienne ce
grand criminel. Car l’une de ses composantes du pouvoir dit régalien,
les forces armées et en particulier ce qui va naître comme généraux
républicains devraient nous interroger sur les finalités et les organes
répressifs ou conquérants? Mettre le doigt dans l’engrenage de la
guerre n’a rien de très rousseauiste, et les oppositions grandir là ou
l’unité l’aurait exigé.
Mais quelle unité et à quel titre? Le principe d’une guerre défensive
eut été un recours à l’invasion autrichienne et prussienne. Les
divisions s’envenimèrent dans des négociations secrètes dès après le
10-08, et le trait de caractère paranoïaque de Robespierre est
difficilement contestable. Il devait aussi savoir ce qui se tramait
dans les coulisses
diplomatiques. Chacun avait ses oreilles ou sources de renseignements,
plus son lot de contradictions. Les
époux Roland porteur d'une très lourde charge. Le ministre
notamment des cultes a eu autant de responsabilité morale que Marat et
sa plume dans les carnages de septembre. Celui-ci en publiant
en août ce qu’il a pu entendre et qu’il traduisit dans l’Ami du Peuple
par
s’attaquer aux prisons et par l'élimination des traîtres alimenta une
vengeance montée de toutes pièces. De telles paroles ou écrits
produisirent un terreau fertile à cette violence dirigée contre
d'anciens tenants du régime déchu. Mais aussi des prêtres qui
n'avaient pas jurés, et qui au pire auraient du connaître un arrêté
d'explusion du territoire. Les lois discriminantes ou anticléricales
furent du même ordre, et les responsabilités criminelles ne furent
jamais établies.
Il n’existe pas
d’angélisme en politique, toute décision et parole de toute nature à un
effet sur le cours de choses, la modération est un terme à relativiser
dans un tel ordre chaotique.
Concurrence des pouvoirs?
Avec la proclamation discrète de la république et au vu des papiers
administratifs marquant l’événement, le nœud des difficultés et de «
l’anarchie » régnante réside en particulier dans son organisation
politique. Le roi déchu, le Conseil exécutif provisoire, ou le conseil
des ministres n’avait pas de pouvoir vraiment établi. Notamment, il
souffrit de l’instabilité, la valse des portefeuilles restant une
constante, pas plus que le Parlement allant s’administrer selon des règles
incompatibles avec une assemblée souveraine, car contestée par les structures de bases. Dans ce système
d’assemblées primaires, toute contestation pouvait faire boule de
neige, et la souveraineté populaire en prise avec un système se mordant
la queue. Et ce ne sont pas les montagnards qui sont à l’origine de cette
cacophonie. A ce sujet M. Gouverneur Morris (à lire sur la page précédente), le ministre
étasunien à Paris à vue juste sur le sujet. Constitutionnaliste et
rédacteur lui-même du texte de cette nation fédérale américaine, il en vit
les failles et sources de division entre les différents niveaux de
représentation.
Ce
qui ne veut pas dire que le pouvoir populaire et souverain n’était
pas possible, ou à l’échelle d’une localité, mais sans empiétement sur
le département, l’épine dorsale de cette organisation. Ce qui ne fut
pas le cas, et la question d’un retour à des cités états ne se posait
pas, quand une nation dominante et sans réelle unité politique tente de
s’en créer, la résultante sont que divers plans vont s’échafauder, sans
cohérence entre les divers échelons de représentations. Dont
l'idée assez surprenante d’une République du Midi et le départ vers une
autre ville du Conseil face à la déferlante prusso-autrichienne. De
comment les girondins vont négocier avec Louis XVI, mais lesquels? Toutefois, sans entendement avec ce dernier, les
girondins de la
Gironde ont cherché à calmer un embrasement qu’ils avaient
eux-mêmes provoqués. Sans idée réelle de comment adapter l’outil
politique à la donne nouvelle.
Là est en parti ce qui sera en 1793 un facteur de la chute des
girondins, puis l’année suivante des autres. Sans débat politique
préalable, en plus dans une société où l’immense majorité signe son nom
d’une croix, où le vote n’était pas soumis à la condition du secret et
plutôt à la pression du moment. Il apparaît au nombre des électeurs que
les affaires de la capitale, si elle se déroulait à plus petite échelle
dans les métropoles régionales, le reste du pays se trouvait soit
absent car lointain, ou profitait des vacances du pouvoir pour traîner
sur les affaires courantes, notamment le paiement de l’impôt ou la
question de la mobilisation.
Là encore, prudence, oui d’héroïques soldats et mal apprêtés ont
rejoint les forces militaires de la république en arme, sauf que
l’engouement fut très relatif. Avec la désertion de certains pans de l’armée
du côté de « Coblentz », plus tous ceux qui ont voulu échapper à
l’enrôlement et en l’état sans existence de la proscription, ce sont
les plus pauvres et si critiqués par l’état-major de Lafayette et ses
suivants qui allaient repousser les assiégeants de 92 : Prusse et
Autriche. Des armées de métiers peu préparées à des combats longs et
coûteux en vie humaine, et avec des soldats pas totalement sourds aux
appels à la liberté et ayant connu aussi des vagues de désertions, eux
aussi.
Lors des massacres de septembre, il est plus que probable qu’en
l’échange d’un engagement se trouvait au bout la sortie de la prison
pour les délinquants, sauf exception faîte aux endettés très nombreux
et libérés pendant les exactions. Le miracle des prisons vides, mais
pas
pour longtemps… Le sentiment de pouvoir partir au front sans laisser
d’ennemis pouvant frapper femmes et enfants derrière va tenir un rôle
important dans cette épuration criminelle. Et porter non seulement un
discrédit européen, mais tuer dans l’œuf tout espoir d’une égalité des
droits et les
divisions se jouer entre petits, moyens et grands bourgeois.
Concurrences sociales et politiques ne faisant qu'un tout et au service
de leur seuls intérêts de classe. Le Peuple a bon dos...
Note 3 de Lionel
Mesnard
II - Georges Danton, l'audacieux ou éléments d'un
mythe vue de France ou d'ailleurs?
Même
si Albert Mathiez fait découvrir un personnage haut en couleur et une
approche très critique de son rôle dans le processus, l’objet n’est pas
de minimiser cette figure centrale, qui malgré ses frasques prend une
place décisive dans la venue de la république. Mais surtout en tant que
ministre de la justice éviter un repli du gouvernement sur une ville
secondaire à l’approche des troupes prussiennes. Son ministère sera de
très courte durée, du 10 août au 25 septembre 1792 (loi interdisant le cumul des fonctions). L’héritier spirituel de Mirabeau ne
pouvant cumuler deviendra simple député au sein de la Convention
d'octobre 1792 jusqu’en avril 1794. Du moins, si Danton a été son
secrétaire et ils ont commun, des qualités oratoires, un physique
repoussant, mais une bonhomie désarmante. Ils furent l’un et l’autre
des charmeurs riants et potaches. Si Danton n’a pas laissé une œuvre
écrite contrairement à son mentor, ils ont en commun l’art du double
langage et de leurs intérêts particuliers. Nous vous renvoyons sur une page consacrée à Albert Mathiez revenant sur son travail et le cas Danton et l’argent en
fin de ce travail de rédaction.
Le film que lui a consacré Andrzej Wajda est sans aucun doute un chef
d’oeuvre cinématographique, mais la vérité historique est plus que
discutable. Il faut y voir plus un parallèle avec la Pologne de la fin
des années 1970 dans le bras de fer avec le pouvoir, qu’une
reconstitution objective, mais pas si lointaine des faits. Ce qui le
rend plus troublant et accusateur à l’égard de Robespierre. Cependant,
l’univers plutôt en huis clos avec la rencontre dans un salon d’un
restaurant parisien d’époque (toujours en activité sur les bords de
Seine), les personnages de Danton et Robespierre sont admirablement
interprétés et ce qui peut surprendre, c’est que le réalisateur et
scénariste s’est appuyé sur les travaux d’une historienne polonaise de
la Révolution, une passionnée et inconditionnelle de Robespierre. C’est
probablement, le meilleur film sur cette période en tant qu’oeuvre de
fiction, mais le portrait de Robespierre est trop à charge, et il a les
traits du pouvoir soviétique. Cette double lecture participe de
la confusion et des tonnes d’analogies existantes. Mais bon, c’est le
parti d’un auteur, le procès et la fin de Danton sont plutôt conformes
à ce qui a pu se passer. Le comédien Depardieu incarnant cet autre
géant de la révolution, là le portrait est assez saisissant quant au
jouisseur.
En m’engageant dans la deuxième séquence révolutionnaire, et à la
recherche de plus d’information sur Georges Jacques Danton, je trouve
les textes publiés par la Société d’Histoire de la Révolution française
de 1881 à 1936 sur le site Gallica de la Bnf. Une masse documentaire
conséquente, et ne suivant que ma conscience, je commence par le début
et un premier article concernant l’édification d’une statue à Danton
dans sa commune natale d’Arcis-sur-Aube. Si un léger rictus s’est
esquissé aux premières lignes, c’est que préalablement je
m’interrogeais sur la fiabilité des écrits, lisant attentivement
l’objet de cet hommage, une belle apologie de l’homme, du moins un des
hommes du 10 août, a qui l’on devrait la levée en masse contre les
Tuileries, laisse songeur. Danton était absent jusqu’au 8 de Paris, et
sera présent au moment clef. La demande d’une statue d’Arcis-sur-Aube
n’y suffisant pas, il en faut une autre pour son prestige dans la
capitale et il faut le laver de toutes les infamies de sa mémoire ô
combien ternie…
Nous sommes en 1881 et cet écrit est rédigé par un certain M. Robinet.
J’éclate de rire. Non point que M. Robinet possède un nom de
circonstance, ou drôle, mais que le parcours de 1789 à avril 1794, date
de la mort du chef des « Exagérés » pose question. A ce sujet, Albert
Mathiez, avec l’affaire
Danton du sieur Robinet et Arsène du même nom (un descendant), nous
touchons là une histoire dans l’histoire plutôt drôle, plus exactement
à la naissance d’une légende ou du mythe Danton, incarnation et idole
des radicaux de la troisième République. Cette société historique est
celle où allait dominer le professeur et historien Alphonse Aulard,
probablement un des plus grand connaisseur de la Révolution au début de
la troisième république, mais la rigueur et la propagande étant
difficilement compatible, il faut rester alerte sur les intentions
boutiquières. Albert Mathiez a été un de ses élèves, et celui qui allait
venir bousculer certains dogmes établis, et dépasser son maître en
clarté et lisibilité ou compréhension des événements. L’on peut
commencer à parler de travaux historiques sérieux ou moins orienter dans le déni.
S’il faut avoir de la considération pour l’œuvre de M. Aulard, il perd
en crédibilité ou authenticité et à ce sujet, il n’est le pas le seul,
de quoi être aussi réservé sur le travail de Louis Blanc, le style en
moins, si on les compare à Jules Michelet. Au titre des politiques et
historiens, le plus conceptuel et celui s’approchant le plus de la
vérité historique est sans aucun doute Jean Jaurès. Il ouvrit à une
connaissance de cette révolution souvent plus sublimée que restituer,
l’analyse du mouvement social et économique en plus. Son histoire
socialiste de la Révolution est précise, argumentée et pas
unidimensionnelle quant à son entendement, il n’y a pas tromperie sur
l’emballage. Jaurès se réfère à une école de pensée plus philosophique
que politique au sens partisan. L’Histoire étant celle de l’humanité et
de ses évolutions, le dialecticien l’examine en des termes nouveaux et
il n’est pas lointain du système de pensée critique de Marx et Engels.
La publication de l’œuvre magistrale de Jaurès date de peu d’années
avant la thèse de Mathiez, jeune historien et père fondateur en 1907
des études Robespierristes.
Je crois qu’il faut éviter les doutes sur un sujet, l’histoire est un
sujet d’abord politique s’inscrivant comme une histoire à comprendre en
tant que telle, et s’il y a à lire des historiens de tous bords, nul
n’est sans filiation ou appartenance. La source de très nombreuses
erreurs, car à trop interpréter ou enjoliver, cela fini par produire un
beau roman national vider de l’essentiel. Quelle est la part
scientifique de tout travail historique? la réponse est aléatoire. Et
le risque d’en faire un nouveau roman reste un enjeu pour littérateur,
dans ce cas à quoi à quoi sert cette connaissance si elle ne peut se
réclamer d’aucune neutralité? Alors comment en sachant le cumul
des erreurs ou approximations rétablir un fil de vérité? L’étude des
documents d’époque permet de saisir certains pans, de pouvoir
reconstituer, plus qu’une atmosphère, mais des témoignages, des
articles de presse, des débats parlementaires, départementaux ou
communaux sont-ils suffisants?
Ils contribuent à rester dans la prudence, un peu condamné à parler des
grandes figures, car il n’est pas possible de donner la parole à tous
et même en ne prenant que les orateurs de l’Assemblée. Mieux vaut alors
s’intéresser directement au compte-rendu de la chambre au jour le jour,
suivre le travail des commissions, lire les rapports, en clair faire
une analyse des forces internes et ce qui en ressort. Le petit plus de
la Révolution, c’est de voir tous ces citoyens déposant soit des
oboles, faire un don à la patrie, parfois s’exprimer en son sein, ou
plus en lien avec son actualité, la place des pétitions, réclamations
ou demandes de groupes, de villages, villes ou départements. Le fond du
fond est souvent dans ce dispositif, et le seul moyen de savoir les
avancées ou les reculs.
Note 4 de Lionel
Mesnard
DISCOURS
DE DANTON, ministre de la Justice devant la Législative Séance du 28 août
1792
Le pouvoir exécutif
provisoire m’a chargé d’entretenir l’Assemblée nationale des mesures
qu’il a prises pour le salut de l’empire. Je motiverai ces mesures en
ministre du peuple, en ministre révolutionnaire. L’ennemi menace le
royaume, mais l’ennemi n’a pris que Longwy. Si les commissaires de
l’Assemblée n’avaient pas contrarié par erreur les opérations du
pouvoir exécutif, déjà l’armée remise à Kellermann se serait concertée
avec celle de Dumouriez. Vous voyez que nos dangers sont exagérés.
Il faut que l’armée se montre digne de
la nation. C’est par une convulsion que nous avons renversé le
despotisme ; c’est par une grande convulsion nationale que nous ferons
rétrograder les despotes. Jusqu’ici nous n’avons fait que la guerre
simulée de Lafayette, il faut faire une guerre plus terrible. Il est
temps de dire au peuple qu’il doit se précipiter en masse sur les
ennemis.
Telle est notre situation que tout ce
qui peut matériellement servir à notre salut doit y concourir. Le
pouvoir exécutif va nommer des commissaires pour aller exercer dans les
départements l’influence de l’opinion. Il a pensé que vous deviez en
nommer aussi pour les accompagner, afin que la réunion des
représentants des deux pouvoirs produise un effet plus salutaire et
plus prompt.
Nous vous proposons de déclarer que
chaque municipalité sera autorisée à prendre l’élite des hommes bien
équipés qu’elle possède. On a jusqu’à ce moment fermé les portes de la
capitale et on a eu raison ; il était important de se saisir des
traîtres ; mais, y en eût-il 30,000 à arrêter, il faut qu’ils soient
arrêtés demain, et que demain Paris communique avec la France entière.
Nous demandons que vous nous autorisiez à faire faire des visites
domiciliaires.
Il doit y avoir dans Paris 80,000
fusils en état. Eh bien ! il faut que ceux qui sont armés volent aux
frontières. Comment les peuples qui ont conquis la liberté l’ont-ils
conservée ? Ils ont volé à l’ennemi, ils ne l’ont point attendu. Que
dirait la France, si Paris dans la stupeur attendait l’arrivée des
ennemis? Le peuple français a voulu être libre; il le sera. Bientôt des
forces nombreuses seront rendues ici. On mettra à la disposition des
municipalités tout ce qui sera nécessaire, en prenant l’engagement
d’indemniser les possesseurs. Tout appartient à la patrie, quand la
patrie est en danger.
DANTON,
ministre de la Justive devant la Législative
* Séance du 2
septembre 1792
Il est bien satisfaisant,
Messieurs, pour les ministres du peuple libre, devoir à lui annoncer
que la patrie va être sauvée. Tout s’émeut, tout s’ébranle, tout brûle
de combattre. Vous savez que Verdun n’est point encore au pouvoir de
nos ennemis. Vous savez que la garnison a promis d’immoler le premier
qui proposerait de se rendre.
Une partie du peuple va se porter aux
frontières, une autre va creuser des retranchements, et la troisième,
avec des piques, défendra l’intérieur de nos villes. Paris va seconder
ces grands efforts. Les commissaires de la Commune vont proclamer d’une
manière solennelle, l’invitation aux citoyens de s’armer et de marcher
pour la défense de la patrie.
C’est en ce moment, messieurs, que vous pouvez déclarer que la capitale
a bien mérité de la France entière. C’est en ce moment que l’Assemblée
nationale va devenir un véritable comité de guerre. Nous demandons que
vous concouriez avec nous à diriger le mouvement sublime du peuple, en
nommant des commissaires qui nous seconderont dans ces grandes mesures.
Nous demandons que quiconque refusera de servir de sa personne ou de
remettre ses armes, sera puni de mort. (Applaudissements)
Nous demandons qu’il soit fait une
instruction aux citoyens pour diriger leurs mouvements. Nous demandons
qu’il soit envoyé des courriers dans tous les départements pour avertir
des décrets que vous aurez rendus. Le tocsin qu’on va sonner n’est
point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la
patrie. (Vifs applaudissement)
Pour les vaincre, il nous faut de l’audace, encore de l’audace,
toujours de l’audace, et la France est sauvée. (double salve
d'applaudissements)
III - Louis Philippe d’Orléans alias Philippe
Egalité ou les ambiguïtés du pouvoir?
Les courses au pouvoir, qui vont naître dans les différents partis et
au sein des fractions révolutionnaires et contre-révolutionnaires sont
à ne pas sous-évaluer, tout n’est pas que vertu ou sacrifice de soi...
C’est même souvent tout le contraire se produisant et il y a peine à
comprendre, qui voulait quoi et pourquoi? Pour nommer les choses, qui
tiraient les manettes de la corruption à son profit? La question n’est
pas de savoir si un homme s’achète, mais de connaître son prix,
c’est-à-dire à combien il peut s’estimer… !
Philippe Egalité ci-contre en peinture
Il semblait impératif de
faire un détour sur les mouvements corrupteurs et les premiers agents
de celle-ci. Comme l’objet n’est pas moralisteur, mais d’ouvrir une petite
parenthèse sur certains éléments qui vont participer à déstabiliser de
tous les pouvoirs depuis 1789. Les ducs d’Orléans ont au long du XVIIIe
siècle participé tout à la fois à la ruine des épargnants et à
construire les bases de l’accumulation du capital, et permettre
l’enrichissement de l’oligarchie financière imbriquée dans les affaires
de l’Etat.
Même si les mémoires ne sont pas des preuves formelles, ils alimentent
les réflexions, que l’on peut avoir et il importe de croiser les
témoignages, en ce domaine, ils ne manquent pas. Un des enjeux réside à
prendre en compte comment le trône a été l’objet de folles prétentions,
ouvertes ou cachées, offrant à Louis XVI une connaissance de la
psychologie assez fine de la nature humaine. De cette position du
pouvoir, cette verticalité lui permettait la rencontre de deux types de
personnalités : l’envieux et le courtisan, ce dernier se vivant dans
l’ombre et ne présentant aucun intérêt, car trop commun. Dans un monde
si distingué et fruit de l’apparence, le ragot était un passe-temps et
une manière de mettre à distance les rivaux. Petites intrigues de Cour
sont devenues des appétits féroces quand le trône à chanceler. Et ce
cher Orléans, surnommé lui aussi le « gros » être un agent de ce
désordre.
Tant que l’appareil répressif surveillait et contrôlait, il y avait un
roi indéboulonnable, de la dissolution des pouvoirs, il perdait du coup
toute maîtrise de ses sujets. Malgré cela Louis Auguste était presque
arrivé, à soudoyer à sa merci les gouvernements, du moins acheter
quelques ministres dans chaque Conseil. Mais il y avait là sur ce
terrain un autre rival, et qui contrairement au comte d’Artois en
juillet 1789 et Monsieur, futur Louis XVIII, le 20 juin 1791, une fois
les deux frères partis, il ne restait plus en France, que le dauphin et
Louis Philippe d’Orléans pouvant réclamer la couronne, si Louis XVI
venait à tomber. Alias Philippe Egalité en 1792 pour répondre aux lois
en vigueur changea de nom et chose surprenante sur les conseils de
Marat, raconte-t-on.
Pas plus qu’il ne comprenait, qu’il soit appelé d’Orléans, il n’a
jamais signé de ce nom étrange. Etrange aurait pu être son appellation,
parce qu’il n’incarne pas vraiment l’égalité, tout au contraire. Ni
avec sa particule et son rang, ou dans ses investissements fructueux et
jalousés, qui lui assurèrent bonne fortune. A Paris, s’il a été déjà
précisé que les immeubles jouxtant les jardins dit du Palais royal lui
appartenaient et faisaient à l’époque de ce lieu un espace commercial
prisé (commerces, cercles de jeux, cafés, théâtres, etc.). Il fut aussi
propriétaire d’autres résidences, qu’il revendit en 1791. Dont les
sommes iront sous formes de diamants à l’abri en
Grande-Bretagne, d’après le marquis de Lafayette. L’on sait de plus que
s’il y a séjourné de longs mois, il se trouvait également en contact avec le Premier ministre Pitt
(dit le jeune) et en de très bon terme.
Si j’ai fait référence à la psychologie du roi et à ses connaissances
des âmes secrètes, il savait qu’avec quelques flatteries et de
l’argent, il pouvait retourner sans grand problème les esprits et les
rendre serviables ou complaisants. Un de ses échecs fut avec Pétion en
1792, ce dernier sentit que la conversation avec le monarque était
écoutée et se fit poliment éconduire, selon Manon Roland. Dans le cas
d’Orléans, son objectif n’était pas d’assurer le siège à son parent,
mais de lui ravir. Même s’il n’a pas laissé d’admirables souvenirs de
son intelligence, il va être un facteur de discordes et plus. Le terme
zizanie semble le plus proche, pour décrire ses aspects nuisibles,
voire pervers. Concernant une figure politique difficilement
identifiable, car en apparence en retrait, le duc d’Orléans fut un
potentiel régent ou roi des Français.
Le courant orléaniste, ou la faction du même nom en 1792 est une chose
bien indiscernable dans le processus, mais cette chose éclatée ou à la solde d'un homme a tenu une
place particulière parmi les partis : Feuillants, Montagnards et
Girondins. Si on peut avoir tendance à les accoler aux girondins, c’est
une erreur à ne pas commettre. Du moins tous les girondins n’ont pas
pris langue avec un parti presque fantôme. Celui qui se distinguera pour
sa proximité sera Laclos, l’auteur libertin. En tout peut-être
une vingtaine de députés pour se réclamer de sa personne, sans unité
réelle, ni même informelle, et un potentiel roi de France siégeant avec
les Montagnards, il y a de quoi perdre son latin. Et quand on lit les
témoignages, le concernant ou ce que l’historiographie peut nous amener
à découvrir, c’est plus que confus.
Beaucoup d’argent va circuler pendant la Révolution, en dépit des
crises et d’une caisse d’état plutôt à sec par le cumul des dettes, la
vente des biens du clergé, puis des émigrés vont être au centre
d’affaires très juteuses, et allant surtout profiter à une infime
minorité. Des fortunes vont se constituer très rapidement, à l’exemple
de ces églises ou châteaux rayer de la carte pour revendre les pierres.
La nature des trafics et destructions du patrimoine ont été importantes,
la spéculation et l’accaparement des biens confisqués par la nation,
n’ont pas été profitable à une large population. Et si l’on venait à tirer un
bilan économique, l’entrée en guerre va s’avérer un poids dont la
France ne se remettra point et perdra à l’échelle européenne une
domination qui en faisait la grande puissance continentale, lointaine de
la Russie.
Pour fermer la parenthèse de Louis Philippe d’Orléans, qui mériterait
une histoire un peu plus circonstanciée, nous ramène à son titre du
grand-maître du Grand-Orient en 1789, qu’il perdit à la demande de ses
affiliés trois ans plus tard. En réponse d’un courrier expliquant qu’il
ne savait pas qui en était et ne s’en préoccupait pas, devrait en
principe clore une des grands mythes, dont les amateurs de récits
imaginaires se délectent, mais qui n’a aucun fondement dans le
déroulement des événements. Mais on peut comprendre que le duc
d’Orléans apparaisse comme pas très vertueux, mais pour des raisons
souterraines autres. Philippe Egalité, comme il se fit nommer a-t-il été l’agent d’une autre puissance? Ce qui
semble probable, mais il n’est pas le seul à avoir traîné ses guêtres
au sein de tels forfaits. Dans le monde des hypothèses, il pourrait être un
très sombre personnage et un des affameurs de décembre 1788, tout en
jouant les sauveurs et les âmes charitables au secours des Parisiens.
Ce qui est sûr, c’est que le duc d'Orléans va spéculer sous l’ancien régime et pendant
le processus, plus que de normal, et de l’intérieur s’attirer à lui un
bon nombre de canailles.
Note 5 de Lionel
Mesnard
Chronologie : Le mois de septembre 1792
Massacres à la Prison de l'Abbaye de Saint-Germain
Samedi 1er
septembre :
A l’Assemblée, le décret de la Commune de Paris sur son inviolabilité
est annulé. Au sein de la municipalité, le Procureur syndic M. Manuel
s’oppose à une toute démission collective. Rappelant le serment qu’il
fit de mourir à son poste, tant que la patrie serait en danger. Ce même
jour, le Conseil général de la Commune publie une longue adresse des
représentants de la Commune à leurs concitoyens, elle est rédigée par
Tallien et Huguenin, elle se termine par : « Défiez-vous des hommes
faibles, presque autant que des hommes pervers. Songez que le courage
et l'énergie du peuple peuvent seuls ». (Les œuvres de Robespierre,
tome VIII, page 449 à 457) Le soir, Robespierre envoie à la Commune un
réquisitoire contre la Gironde. Le lendemain, les délégués des sections
ou élus de l’exécutif se maintiendront et désigneront Marat au comité
de surveillance de la Commune.
2 septembre : Verdun se rend aux Prussiens, la municipalité a capitulé,
malgré le refus du commandant Nicolas Joseph Beaurepaire, celui-ci face
à la trahison des notables voulant se rendre, il met fin à ses jours.
Mais il existe aussi une autre version, il aurait été assassiné par des
royalistes. A Verdun, le philosophe Goethe, présent derrière le front
ennemi, rédigeait les carnets de sa « Campagne de France », à la date de
cet événement, il termine par : « Le lendemain, la ville se rendit et
les alliés en prirent possession; mais nous eûmes aussitôt un trait du
caractère républicain. Le commandant Beaurepaire, pressé par la
bourgeoisie aux abois, qui voyait déjà la ville tout entière brûlée et
détruite, si le bombardement continuait, ne put refuser plus longtemps
de rendre la place; mais, lorsqu'il eût donné son consentement en
pleine séance à l'hôtel de ville, il tira de sa poche un pistolet et se
tua, pour donner un nouvel exemple de dévouement patriotique. Après la
conquête si rapide de Verdun, personne ne douta plus que l'armée ne se
portât bientôt plus loin, et ne trouvât dans Chatons, dans Épernay et
dans les bons vins du pays l’heureux oubli de ses fatigues. Je fis donc
soigneusement couper et entoiler les cartes de Jaeger qui traçaient le
chemin de Paris, et coller sur le verso du papier blanc, comme j'avais
déjà fait pour la première, afin d'y noter rapidement ce que
j'observerais chaque jour. » (source Gallica-Bnf – traduction de
Jacques Porchat, page 31, Hachette, Paris 1889).
A Paris, Danton, après
l’annonce de l’attaque de Verdun par les troupes prussiennes à Verdun,
il déclare: «Messieurs, il nous faut de l'audace, encore de l'audace,
toujours de l'audace, et la France est sauvée» (texte complet à lire
sur cette page), deux heures après sonne le tocsin de Notre Dame. De
son côté, la Commune a décidé en août de lever une armée de 40 à
60.000 hommes. Le Champ de Mars va connaître une très forte activité
quant à la mobilisation, c’est de là que chaque jour, les citoyens
voulant se battre se mobilisent avant de partir au combat. Ce jour
engage le deuxième tour des élections (des assemblées électorales) pour
la nouvelle assemblée, que l’on nommera la Convention, amorçant la
naissance de la première République. A Paris, les membres de la Commune
se rendent dans leurs sections respectives. Extrait du procès verbal et
des instructions aux délégués : « Ils peindront avec énergie à leurs
concitoyens, les dangers imminents de la patrie, les trahisons dont
nous sommes environnés ou menacés, le territoire français envahi; ils
leur feront sentir que le retour à l’esclavage le plus ignominieux est
le but de toutes les démarches de nos ennemis et que nous devons,
plutôt que de le souffrir, nous ensevelir sous les mines de notre
patrie et ne livrer nos villes que lorsqu'elles ne seront plus qu'un
monceau de cendres ». La Commune déclare : « Aux armes,
citoyens, aux armes, l’ennemi est à nos portes. Marchez à l’instant
sous vos drapeaux, allons nous réunir au Champ-de-Mars! Qu'une armée de
60.000 hommes se forme à l’instant ! »
Les
massacres dit de Septembre
à Paris et ses alentours
(Ou) Le Complot des Prisons
Dimanche 2 : Vers midi le canon tonne, puis le tocsin se propage dans
la ville. Dans
l’après-midi, débutent les massacres dits de Septembre. Les
premiers concernés sont 16 ecclésiastiques transportés dans quatre
calèches depuis l’Hôtel-de-Ville, à partir de 14 heures. Seul
réchappera l’Abbé Sicard, l’instituteur des sourds-muets. Sur les
abords de la Seine, les voitures et leurs occupants sont pris pour
cible, la majorité d’entre-eux est tuée par leurs gardiens des fédérés
Marseillais et Bretons, puis les cadavres entassés sur un pont. C’est
le signal de lancement d’une des plus grandes tueries que la capitale
ait pu connaître, en peu de jours, environ 1300 personnes vont périr
dans des conditions atroces. Un des intendants de la maison de Bicêtre
(hospice et prison) mit 48 heures à sortir d’un fossé par peur panique
après la venue de ceux que l’on nomma les « Septembriseurs ».
Ce jour même, la première prison à être visée est celle de
l’Abbaye, en son sein les massacres se dérouleront sur un peu moins de
3 jours et c’est sur ce lieu que l’on dispose le plus d’informations
historiographiques avec le couvent des Carmes. La moyenne de temps
donnée aux parodies de procès dure à peine une dizaine de minutes par
accusé et les victimes assassinées immédiatement après l’énoncé de la
sentence à la sortie de la pièce de ces jugements spéciaux. Les
derniers soldats Suisses incarcérés, eux n’ont même pas droit à la
moindre justice et sont tués dans la soirée ou la nuit à la prison de
l’Abbaye de Saint-Germain. Quelques prisonniers en réchapperont par
miracle et pour certains ont laissé des mémoires.
Dans la nuit du 2 au
3 septembre suivent le couvent des Carmes et le séminaire de
Saint-Firmin, plus de 200 morts ou sont visés de nouveau des membres du
clergé réfractaire et quelques dignitaires. Ce déchaînement de haine va
continuer jusqu’au 5 septembre au petit matin et il s’achèvera à
l’hôpital général de la Salpêtrière (distinct de l’hôpital de la
Pitié). Il s’agira approximativement d’une dizaine de lieux
d’incarcérations improvisés ou identifiés en tant que tel, le plus
grand nombre de morts sera parmi des prisonniers de droits communs
(environ 700), dont une quarantaine d’adolescents. La prison la plus
touchée sera celle du Grand Châtelet avec un peu plus de 200 morts,
tous des droits communs. (Lire les deux lettres sur cette même page avec le
témoignage de Mme Rosalie Jullien en date du 2 et du 3/09)
3 septembre : A Paris, devant la prison de la petite Force Mademoiselle
de Lamballe est assassinée sur le pas de l’entrée de la geôle. Ce crime
est à disjoindre des massacres dit de Septembre, et provient d’une
vengeance d’un gardien de prison, néanmoins cet assassinat participe de
l’ambiance générale, et la tête de cette dernière est promenée sous les
fenêtres de Marie-Antoinette et de Louis Auguste. La reine est prise de
vertige à la vue de son amie. La légende noire jouant à plein effet,
les restes les plus intimes de Mlle de Lamballe auraient été mis à la
vue du public, mais à ce sujet la prose s’est régalée de l’historiographie victimaire, qui a donné une foultitude de détail pour
grossir un objet de propagande de premier choix et repris par x.
auteurs. Jacques Brissot, fait publier par voie d’affiche à ses
concitoyens un texte dénonçant sa mise en accusation : « Hier,
dimanche, on m'a dénoncé à la Commune de Paris ainsi que partie des
députés de la Gironde et d'autres hommes aussi vertueux. On nous
accusait de vouloir livrer la France au duc de Brunswick »,
c’est-à-dire, Jean-Marie Roland et huit autres élus.
Dans la suite des
Septembriseurs, une foule d’un peu plus d’un millier de personnes
tentent d’entrée à la Salpêtrière, puis décident de partir et de se
rendre à la prison de Bicêtre. A Gentilly dans la prison en deux jours,
l’on dénombra 171 victimes (99% sont des droits communs), dont le
directeur de l’hospice voisin. Le jour même est envoyé un courrier de
la Commune appelant à tuer les traîtres dans les prisons, daté du 2 (à
lire ci-après), il ne connaît pas d’acte original, selon M. Ternaux
Mortimer dans son Histoire de la Terreur et a été contesté par
deux de ses signataires. De plus, on ne peut dire que cette missive
aura un impact fort hors de la région parisienne, ou de manière
limitée.
Selon Albert Mathiez dans son ouvrage la Révolution française
(tome 1, chapitre Gironde et Montagne, la fin de la Législative),
l’antériorité des faits et sa propagation ne sont pas à mettre au
profit d’un courrier : « Les provinciaux n’avaient pas besoin qu’on
leur proposât Paris en exemple. Ils l’avaient parfois devancé. Deux
prêtres avaient été massacrés dans l’Orne le 19 août, un autre dans
l’Aube le 21 août, un huissier à Lisieux le 23 août, etc. Partout où
passaient les volontaires en marche vers la frontière, les aristocrates
n’avaient qu’à bien se tenir. A Reims le 3 septembre, à Meaux le 4,
dans l’Orne les 3 et 6, à Lyon le 9, à Caen le 7, à Vitteaux le 12, des
officiers, des prêtres, des suspects de tout genre trouvèrent la mort
jusque dans les prisons. A l’assemblée électorale des Bouches-du-Rhône,
présidée par Barbaroux, la nouvelle des massacres de Paris fut vivement
applaudie. Le «patriotisme», dieu nouveau, réclamait des victimes
humaines comme les dieux anciens». Comme a pu dire ce jour à la
Législative, M. Roland sur ces événements meurtriers : « Hier fut un
jour sur les événements duquel il faut jeter un voile. Je sais que le
peuple, terrible en sa vengeance, y porte encore une sorte de justice! »
De son côté, le commis du ministre, M. Grandpré et Mme Roland circulent
dans la ville, ils cherchent et échouent à ce que Danton mette fin à
cette folie meurtrière, en tant que ministre de la justice. Selon Manon
Roland, il aurait suffit d’un groupe armé de 50 personnes pour y mettre
fin, dans une ville parsemée de troupes. Pétion et bien d’autres agents
municipaux restent impuissants face à la hargne pas si populaire que
voulue. Les députations des uns et des autres seront prudentes,
incapables d’endiguer la fureur, la légitimant pour d’autres, notamment
dans le cas de MM. Panis et Sergent pour la Commune. C’est ce jour que
se voit désigner Stanislas Maillard pour présider le jury de la prison
de l’Abbaye de Saint-Germain. Il avait effectué, la veille une tournée
des cellules, il sera l’un des principaux accusés et deux fois mis aux
arrêts et libéré la première fois, il décédera avant son second procès
à son domicile assigner à résidence. Mais ne sera aucunement la tête
pensante de cette abjection. En l’état, ce qui fut nommé « le complot
des prisons » reste une énigme au même titre que la Saint
Barthélemy de 1572.
La métaphore ou le sinistre souvenir va de nombreuses fois alimenter
les très nombreux récits et les plus contradictoires sur une vengeance
perpétrée par des sicaires ou tueurs à gage selon Manon Roland. Autres
éléments à prendre à compte, un certain nombre de prisonniers pour
dette, ou pour des petits délits vont être élargi en divers lieux de
réclusion. En final, les prisons parisiennes seront presque vidées de
la totalité de leurs prisonniers politiques ou de droit commun. Le soir
aux Jacobins se réunit le corps électoral parisien, ceux qui vont
désigner les députés de Paris à la Convention. Robespierre remercie
pour le prêt de la salle et fait la proposition d’exclure les membres
ayant assistés à des « clubs anti-civiques » : Feuillants et
affiliés, le club de la Sainte Chapelle. Ou qui aurait signé la
pétition des 20.000 (fin juin), la proposition est adoptée.
Extraits de la lettre circulaire
incriminée et signée: « Par
les membres du comité de surveillance, administrateurs du salut public
et les administrateurs adjoints réunis, constitués à la séance à la
mairie ». C’est-à-dire MM. Panis, Sergent, Marat, etc. ; et un courrier
contesté par au moins deux signataires : « La commune de Paris se hâte
d'informer ses frères de tous les départements qu'une partie des
conspirateurs féroces, détenus dans les prisons, a été mise à mort par
le peuple : actes de justice qui lui ont paru indispensables pour
retenir par la terreur les légions de traîtres cachés dans ses murs, au
moment où il allait marcher à l'ennemi et sans doute la nation entière,
après la longue suite de trahisons qui l'ont conduite sur les bords de
l'abîme, s'empressera d'adopter ce moyen si nécessaire de salut public,
et tous les Français s'écrieront comme les Parisiens: Nous marchons à
l'ennemi; mais nous ne laissons pas derrière nous des brigands pour
égorger nos femmes et nos enfants». La dernière phrase
mentionnée servira de prétexte à cette tuerie. A noter que l’ancien
ministre des affaires étrangères de Montmorin et un de ses parents
décèdent ce jour même sous les piques des septembriseurs à la prison de
l’Abbaye.
Une illustratiion des massacres à l'hôpital de la Salpêtrière
4 septembre : En Seine et Oise, à Meaux, une dizaine de prisonniers
sont massacrés dans la prison avec l’appui de la municipalité. A Gisors
dans l’Eure, la population assassine le duc Louis Alexandre de la
Rochefoucauld, ancien député de la noblesse qui avait rallié le tiers
état en juin 1789. A Reims, neuf prêtres réfractaires sont assassinés
par des volontaires de la Sarthe et de l’Orne revenus de la place
militaire de Verdun, et chassant les aristocrates sur leur route. Les
villes de Metz, de Thionville sont assiégées et résistent aux troupes
ennemies et émigrées. A Paris, le Conseil exécutif (les ministres)
autorise la réquisition de grains pour l'armée. A l’Assemblée,
l’on jure une « haine éternelle à la royauté ».
A la
chambre et dans un courrier auquel répondra le général Santerre de la
nouvelle garde nationale parisienne, le ministre Roland lui intime de
mettre fin aux massacres à Paris, mais le gros du carnage s’est
produit. En plein paradoxe, un mandat d’arrêt est prononcé par la
Commune contre Brissot et Jean-Marie Roland et huit députés girondins,
celui-ci intervient auprès de Danton pour lever cette décision, qui
lui-même saisi sur un ton ferme Marat pour y mettre terme, entraînant
l’annulation des accusations. Dans la soirée et nuit du 4 au 5, les
Septembriseurs s’attaquent aux recluses de la Salpêtrière, une
cinquantaine de femmes sont tuées, d’autres violées dans une orgie, au
milieu de l’ivresse et d’une dernière frénésie de sang.
Ce sont tout au
plus quelques centaines de personnes qui assistèrent ou suivront les
sicaires. Ce ne fut pas un mouvement massif, assez rapidement le
malaise va s’étendre à la connaissance des faits dans la population,
celle-ci vacant à ses occupations et ne pouvant d’une rue ou d’un
quartier à l’autre être témoins des faits. Les actions criminelles
s’étant principalement déroulées en des lieux clos, en contrecoup
naîtra une réprobation assez générale. Collot-d’Herbois, Fabre
d’Eglantine, Tallien et d’autres justifieront les massacres, et il
n’est pas sûr que l’on ait levé tout le voile de cette affaire, pour
beaucoup des hypothèses non résolues. Et l’existence d’une
historiographie surabondante. L’historien Alphonse Aulard pour sa part
refusa de développer le sujet des massacres de ces journées, un tabou
presque toujours existant...
5 septembre : A Paris, au petit matin, les massacreurs sortent de la
Salpêtrière, ainsi se termine le macabre cheminement de 200 à 300
tueurs pendant 4 jours. Une partie rejoindra le front, les tueurs étant
composé de petits-bourgeois de quelques sections et soldats de passage,
dont le groupe dit des « tape-dur » attribué à Maillard. Seulement une
trentaine de personnes seront poursuivies, les démêlés juridiques se
poursuivront jusqu’en 1797. Dans la journée, Maximilien Robespierre est
élu député de la capitale par 338 voix sur 525 votants. Les procédures
de vote se faisant par appel nominal et le vote à voix haute, les
électeurs parisiens ont de nouveau déserté les assemblées primaires.
Les royalistes ou assimilés sont excluent permettant la désignation de
députés principalement Montagnards. Le corps électoral ayant été de
160.000 électeurs potentiels, au lieu de 85.000 lors des votes
censitaires (ceci est une estimation à partir des données existantes).
A l’échelle nationale seul un peu plus de 11% des électeurs se
prononceront contre un peu plus de 10% l’an passé, le corps électoral
ayant à peu près doublé d’une année sur l’autre. Sont toujours exclus,
les femmes, les miséreux ou mendiants (en 1791 Robespierre avait
demandé la participation pleine des indigents), et les domestiques,
soit plus d’une bonne moitié de la population en âge de voter.
6 septembre : A Thionville, Chateaubriand est blessé lors du siège. « On se logea sur la voie publique, dans la tête d’un village servant de
faubourg à la ville, en dehors de l’ouvrage à cornes qui défendait le
pont de la Moselle. On se fusilla de maison en maison ; notre poste se
maintint en possession de celles qu’il avait prises. Je n’assistai
point à cette première affaire ; Armand, mon cousin, s’y trouva et s’y
comporta bien. Pendant qu’on se battait dans ce village, ma compagnie
était commandée pour une batterie à établir au bord d’un bois qui
coiffait le sommet d’une colline. Sur la déclivité de cette colline,
des vignes descendaient jusqu’à la plaine adhérente aux fortifications
extérieures de Thionville. » (source Mémoires d’Outre-Tombe, tome 2,
pages 64 et 65).
7 septembre : M. Julien Raimond originaire de Saint-Domingue est rédacteur et promoteur d'une Adresse des Citoyens de couleur résidant à Paris (texte complet).Cette
demande ou pétition n°107 fut acceuillie par un décret le même jour, et
avec une réponse de M. le président de l'Assemblée, via l'imprimerie
nationale.
Adresse des Citoyens de couleur résidants à Paris
LEGISLATEURS,
«
Lorsque votre loi bienfaisante du 24 mars nous rappela à nos droits,
nous fîmes le serment de verser notre sang pour le service de la
patrie. Ce serment sacré, nous venons le tenir. Ainsi que tous les
Français, nous brûlons de voler aux frontières. Législateurs, nous
sommes encore en petit nombre ; mais si vous daignez seconder notre
zèle, bientôt il s'augmentera, et nous formerons un corps nombreux. En
conséquence nous vous supplions d'autoriser le ministre de la guerre
à nous organiser le plus promptement possible, en légion franche,
fous le nom qu'il vous plaira lui donner. Si la nature, inépuisable
dans ses combinaisons, nous a différenciés des Français par des
lignes extérieurs, d'un autre côté elle nous a rendus parfaitement
semblables, en nous donnant comme à eux un cœur brûlant de combattre
les ennemis de l'État. Pour moi, Messieurs, choisi par mes frères
pour être l'interprète de leurs sentimens, je suis privé par mon âge
et par une mission particulière, de les suivre dans la carrière de
l'honneur ; mais je contribuerai d'une somme de cinq cents livres par
chaque année (dont voici le premier trimestre) aux frais de
l'équipement de cette troupe, et j'ajouterai un prix de pareille somme
pour celui d'entre-eux qui fera une action digne de votre éloge.
MESSIEURS,
«
La vertu dans l'homme est indépendante de la couleur et du climat.
L'offre que vous faites à la Patrie de vos bras et de votre force pour
la destruction de ses ennemis, en honorant une grande partie de
l'espèce humaine, est un service rendu à la cause du genre humain
tout entier. L'Assemblée nationale apprécie votre dévouement et
votre courage. Vos efforts seront l'autant plus précieux, que l'amour
de la liberté et de l'égalité doit être une passion terrible et
invincible dans les enfans de ceux qui, sous un ciel brûlant, ont gémi
dans les fers de la servitude. Avec la réunion de tant d'hommes qui
vont se presser autour des despotes & de leurs esclaves, il est
impossible que la France ne devienne bientôt la capitale du monde
libre, et le tombeau de tous les trônes de l'univers.
8 septembre : A l’Assemblée, il est décrété la crémation de tous « les
originaux des pétitions dites des 8.000 et des 20.000 et autres
semblables ». Pour la Savoie (non rattachée à la France), il est décidé
d’envoyer des troupes par le ministre de la guerre Servan, il ordonne
son invasion.
9 septembre : A Versailles, les prisonniers venus d'Orléans sous la
conduite de Claude Fournier dit l’Américain sont arrachés de force par
la foule et sont massacrés, l’on recense 53 morts. Parmi les tués se
trouve l’ancien ministre Valdec de Lessart, il devait à l’origine
comparaître devant la haute cour (introuvable) de justice. Les
dépouilles seront ramenées à Paris, entassées sur des charrettes.
Fournier avait eu à prendre en charge cette expédition sur le plan
financier et fut indemnisé par le ministre de l’intérieur, c’était un
proche de Jean-Marie Roland. Ce dernier commit alors une de ses plus grosses
erreurs politiques, c’est-à-dire, passer pour un des commanditaires des
massacres dit de Septembre. Sur cette affaire particulière, plusieurs
thèses s’opposent, il semblerait que Danton fut au courant de
l’opération, et elle n’aurait eu rien de très spontanée. Un piège tendu
possiblement aux airs de vengeance politique.
A Lyon, onze aristocrates
sont massacrés à la prison Saint-Joseph, mais sans lien avec la lettre
circulaire du 3-09 de la Commune de Paris. Dans la capitale, en soirée
aux Jacobins : « Un membre monte à la tribune et, par un discours
énergique, fait sentir la nécessité d'écarter l'intrigue et la bassesse
de la Convention nationale; il met en évidence les dangers de la
patrie, il rappelle la confiance du peuple et la nécessité à y
répondre, en appelant à cette même convention des hommes fermes, purs
et incorruptibles, sans avoir égard aux talents oratoires, dont il
peint avec force les erreurs et le faux brillant; il termine son
discours en invitant l'assemblée à fixer son choix sur les hommes qui,
depuis la première révolution, ont été invariables dans les principes
de la liberté ». (Assemblée électorale de Paris, Charavay,
tome 3, page 123). A la Législative, il est décidé la suppression des
préfets apostoliques dans les colonies,
10 septembre : L'épreuve de force continue entre la Commune et
l'Assemblée législative, où ne siège que la moitié des effectifs, soit
environ 350 élus sur 745. Les députés décident la réquisition de tous
les objets de culte en métal précieux, sauf les soleils, les ciboires
et calices et il est ordonné de les convertir en monnaie pour l’aide
des troupes.
11 Septembre : A Saint-Malo, 124 prêtres réfractaires sont incarcérés
avant un exil prévu à Jersey. A Paris, à l’assemblée électorale du
département Robespierre et plusieurs membres se prononcent contre la
candidature de Jean-Lambert Tallien, en l’inculpant ! C’est à nouveau
Panis qui remporte le plus de suffrages par 328 voix contre 160 à
Tallien (qui se fera élire en Seine-et-Oise). Selon la Gazette de
France (n°171, page 687) : « Il y a eu mardi une grande discussion
sur M. Tallien ; M. Robespierre lui a reproché de n'avoir pas toujours
été, dans son Ami des citoyens à la hauteur des événements; d'avoir
approuvé l'arrêté du Département qui ouvrait toutes les églises; de
n'avoir pas approuvé la fête de Châteauvieux ; enfin d'avoir été faible
quand le peuple était faible, et fort quand il était fort ». Ce jour
même se termine l’assemblée électorale parisienne et sont désignés à la
Convention les 24 députés de Paris
Elus à la Convention pour le département
de Paris
1 – Robespierre dit
l'aîné (Maximilien-Marie-Isidore), ex. avocat et procureur, journaliste
et ancien Constituant.
2 - Danton (Georges-Jacques),
avocat et fonctionnaire municipale et élu
le 6 septembre et remplacé par Vaugeois le 18 octobre 1794.
3 - Collot-d'Herbois
(Jean-Marie), homme de lettres. Élu le 6.
4 - Manuel (Pierre-Louis),
procureur général syndic de la Commune. Élu
le 7 et démissionnaire le 19 janvier 1793, puis remplacé par Boursault
le 19 mars 1793.
5 - Billaud-Varenne
(Jacques-Nicolas), homme de loi. Élu le 7.
6 - Desmoulins (Benoît-Camille),
avocat et journaliste. Élu le 8.
7 - Marat (Jean-Paul), ex.
vétérinaire, journaliste. Élu le 9, remplacé par Fourcroy le 25 juillet
1793.
8 - Lavicomterie (Louis-Charles
de), homme de lettres.
9 - Legendre (Louis), boucher.
10 - Raffron du Trouillet
(Nicolas), avocat, diplomate, ancien chargé des affaires de France en
Toscane.
11 - Panis (Étienne-Jean), homme
de loi.
12 - Sergent (Antoine-François),
graveur, officier municipal.
13 - Robert
(Pierre-François-Joseph), homme de lettres
14 - Dusaulx (Jean), membre de
l'Académie des inscriptions, député à la Législative.
15 - Fréron
(Stanislas-Louis-Marie), homme de lettres.
16 - Beauvais (Charles-Nicolas),
médecin, ancien député à la
Législative. Meurt à Montpellier le 7 avril 1794, remplacé par M.
Rousseau le 27 février 1795.
17- Fabre d'Églantine (Philippe
François Nazaire dit Fabre), homme de lettres.
18- Osselin (Charles-Nicolas),
avoué.
19- Robespierre le jeune
(Augustin-Bon-Joseph), administrateur du département.
20- David (Jacques Louis),
peintre.
21- Boucher (Antoine-Sauveur),
électeur de la section du Théâtre-Français.22-
Laignelot (Joseph-François), homme de lettres.
23- Thomas (Jean-Jacques),
juriste. Meurt de maladie le 15 février 1794, remplacé par Desrues le
21 février 1794.
24- Philippe-Égalité
(Louis-Philippe-Joseph, duc d'Orléans), ancien
Constituant. Remplacé par Bourgain le 17 novembre 1793.
12 et 13 septembre : A la Législative, des mesures sont prises contre
les biens émigrés et des ecclésiastiques (environ 30.000 personnes sont
parties depuis 1789 et ont formé une armée de 4.000 hommes),
l’Assemblée décrète le séquestre des biens des émigrés et « s'applique
à tous Français sortis du royaume » sauf exception précisée. Le 13, il
est pris un décret relatif aux gardes nationales volontaires déjà
engagées qui désireraient rejoindre les troupes de ligne : ils
recevront le paiement de 30 livres par an. Il est attribué aux nouveaux
volontaires, une somme de 3 sols par jour pour rejoindre leur corps
d’affectation. La citoyenne Olympe de Gouges se présente à la barre de l'Assemblée avec un vieil homme et s'exclame : « Législateurs,
le peuple, dans sa juste vengeance, sait respecter l’innocent ; voyez
ce vieillard vénérable, la hache était levée sur lui : son juge lui
dit, quel est ton crime ? Le viellard à son tour intervient et dit «
J’ai aimé la fille d’un noble ; je la demandai au père, qui me fit
passer pour fou et m’enferma à Bicêtre. Depuis 30 ans, je suis dans les
prisons, voilà mon crime. Ce noble me payait néanmoins une légère
pension; c’était M. de Brissac, il a été tué le 3 septembre. En perdant
mon tyran, j’ai perdu mon bienfaiteur. » La citoyenne de Gouges reprenant la parole : « ce vieillard n’espère qu’en vous. »
(Applaudissements.) M. le Président : répond aux deux pétitionnaires et
leur accorde les honneurs de la séance. (L’Assemblée renvoie la
pétition au comité des secours publics.)
14 septembre : A Châlons-sur-Marne, les armées françaises se replient
dans la ville. A l'Assemblée « après avoir entendu le rapport de son
comité de l'extraordinaire des finances, considérant que le
remboursement des actions et portions d'actions de l'ancienne compagnie
des Indes, sortie par le tirage fait le 22 août dernier, conformément à
son décret du 9 juillet précédent, ne doit éprouver aucun retard,
décrète que la caisse de l'extraordinaire ouvrira incessamment le
remboursement d'un million cent soixante-dix-sept mille deux, cents
livres, montant du tirage des actions et portions d'actions mentionnées
ci-dessus » et il est décrété la vente de «Tous les baux de
biens nationaux passés au profit des émigrés et des prêtres dont la
déportation a été décrétée le 26 août dernier». A souligner que
l’activité de la chambre née après la Constituante continue à prendre
des mesures de tous ordres et notamment ce qui à lien avec les affaires
économiques et militaires : échange des assignats de fortes valeurs en
petites coupures demandée par la section du Théâtre Français,
interdiction du commerce de la viande avec Jersey, assainissement des
marais, gendarmerie, troupes indiennes de Pondichéry, etc. A noter : que
c’est à la fin de la Législative que l’on commence à intervenir et
débattre sur la question du divorce. (les sources de l’Assemblée
nationale sont principalement issues des Archives Parlementaires Stanford-Bnf)
15 septembre : Le frère du comte Honoré-Gabriel de Mirabeau, André
Boniface Louis de Mirabeau décède à Fribourg-en-Bresgau (Magriavat de
Bade, Saint-Empire romain germanique). Il fut député lors de
l'assemblée Constituante de 1789 à 1791. Et Philippe d'Orléans change de nom, il devient Philippe
Egalité.
16 et 17 septembre : A Paris, à la Législative le ministre de
l’intérieur se rend à la barre et déclare : « Chargé,
par la place qui m'est confiée, de la surveillance générale de la
police du royaume, j'ai cru devoir approfondir une rumeur répandue dans
Paris. Il est question de la liberté naturelle, civile et politique des
Français. On a répandu dans Paris que, depuis le 4 ou 5 du mois, 4 ou
500 arrestations ont été faites, et que les prisons sont garnies au
moins autant qu'avant la journée du 2 septembre : j'ai voulu vérifier
ces faits, mais dans aucune prison je n'ai trouvé ni registres, ni
écrous. J'ai demandé quelles étaient les personnes qui avaient fait
consigner ces prisonniers : les concierges ont été très embarrassés de
me le dire. J'ai exigé que les ordres me fussent apportés ; il résulte
en effet de ces ordres que, depuis cette époque, 4 ou 500 personnes ont
été emprisonnées par ordre, soit de la municipalité, soit des sections,
soit du peuple, soit même d'individus; quelques-uns de ces ordres sont
motivés, la plupart ne le sont pas. Je n'ai examiné ni les personnes ni
les choses; j'ai en devoir apporter à l'Assemblée les ordres mêmes
signés par les particuliers qui les ont donnés, et je les remets sur le
bureau, pour que l'Assemblée puisse les examiner, et ordonner ce
qu'elle croira convenable ». Le 17, à Saint-Domingue, parti depuis La Rochelle au mois de mai débarque
le 2° bataillon du département de la Charente à Port-de-Paix. La moitié
des soldats décèderont de la fièvre jaune au cours des années 1792 et
1793.
Cambriolage en douceur du Garde-Meuble
Dans la soirée, l’on va découvrir que le « garde-meuble »
a
été cambriolé et vidé de son contenu le plus convoitable. Le
garde-meuble était une institution en charge de la garde du mobilier
national. C’est au sein de l’Hôtel de la Marine (ci dessus de nos
jours) sur la place de la
Concorde (ou de la Révolution) que se trouvait le trésor royal sous
séquestre et propriété de la nation, les bijoux de la couronne de
France normalement protégés. Les soustractions auraient commencé le 11
et se seraient poursuivies les jours suivants, jusqu’à ce que les gardes
nationales retirent les scellés apposés sur le local et découvrent le
casse accompli.
Ce cambriolage sous le nez des autorités avec des
failles évidentes dans la protection policière, cette affaire ouvre à de
nombreux démêlés et une supposée implication de l’entourage de Danton,
ou lui-même, dans des transactions secrètes avec le duc de Brunswick,
mais entrant dans les légendes noires et jamais authentifié comme vrai.
Parmi les noms qui ont circulé se trouvait, le nom compositeur Fabre
d’Eglantine connu pour la comptine : Il pleut, il pleut Bergère, il a
été
soupçonné par Mme Roland dans ses mémoires d’être un orchestrateur du
vol et venu au lendemain à son domicile pour la première et dernière
fois, pour sentir l’ambiance... « Il pleut bergère Il pleut, il
pleut bergère; Rentre tes blancs moutons ; Allons sous ma
chaumière Bergère, vite allons ; J'entends sous le feuillage ; L'eau qui
tombe à grand bruit ; Voici, venir l'orage, Voici l'éclair qui luit »
(Une chanson à l’origine dédiée à Marie-Antoinette en 1780). Le fameux
garde-meuble renfermait les objets précieux de la couronne soit : 7
tonnes d’or et environ 8.000 diamants de gros et de petits carats, ces
derniers ne furent jamais retrouvés, seules les grosses pièces
réapparurent en 1794, cette affaire n'a jamais été résolue. A Orléans éclate une émeute et la ville va
connaître des pillages pendant deux jours et au moins 2 morts. Le maire
Lombard Lachaux et la municipalité mettront ces événements sous le coup
de « juste vengeance à exercer », selon le journaliste Prud’homme.
Le
lendemain, le 17 à la salle du Manège le président des séances donne la parole
à M. Roland, ministre de l'intérieur, et il fait une intervention
sur le vol des bijoux de la couronne aux députés présents :
« Messieurs,
il a été commis cette nuit un grand attentat ; on a volé au
garde-meuble les diamants et d'autres effets précieux. Vous savez par
ma lettre et par le procès-verbal de l'officier de garde qui vous a été
lu tout à l'heure, que deux des coupables ont été arrêtés. Je crois
savoir que ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on s'occupait de ce crime, et
j'ai des preuves que ce vol tient à une grande machination. Les deux
particuliers arrêtés ont l'air d'avoir reçu de l'éducation, et de tenir
à ces gens auxquels On attachait autrefois de l'importance. Je viens
d'interroger moi-même l'un d'eux ; il m'a dénoncé plusieurs personnes
que j'ai donné ordre d'arrêter. D'ailleurs, il ne faut pas s'abuser
sur l'état de la capitale; elle est remplie d'agitateurs bien perfides.
La masse du peuple est saine ; elle veut l'ordre et l'exécution des
lois, mais on cherche à l'égarer. On avait répandu avec affectation la
nouvelle d'une victoire, pour annoncer ensuite une défaite; et la
vérité est que nous n'avons eu ni grands avantages, ni grands revers.
Hier, on faisait à la tribune de l'assemblée électorale, des
dénonciations violentes contre le pouvoir exécutif. Un orateur y a
proposé la loi agraire.
Dans quelques affiches, on conseille au peuple
de se lever encore, s'il n'a point perdu ses poignards. Je connais les
auteurs de ces affiches et ceux qui les paient. On a donné l'ordre de
les placarder sur les miennes. Les 400 membres de l'Assemblée qui ont
voté pour Lafayette, sont dénoncés au peuple comme des traîtres ; on
lui conseille de les assassiner. Le peuple ne le fera pas; mais des
scélérats tenteront peut-être de le faire en son nom. Il faut,
Messieurs, que vous appeliez une garde nombreuse autour de vous; il
faut qu'elle soit à votre réquisition. Je sais que la sentinelle
avancée qui donne le signal de l'approche de l'ennemi tombe
ordinairement sa victime; mais d'Assas, dans une situation qui peut
être, en quelque chose comparable à la mienne, méprisa la mort, savait
appeler, en élevant sa voix Courageuse. J'imiterai d'Assas et je me
dévouerai, s'il le faut, au même sort. (Vifs applaudissements de
l'Assemblée et des tribunes) Quoi qu'il en soit, n'oubliez pas,
Messieurs, qu'il est instant de prendre des mesures, car je n'ai aucun
doute que les déclamations contre les gens de bien, que le mépris que
l'on veut jeter sur les autorités constituées, que les vols, que les
menaces, que les emprisonnements arbitraires; je n'ai, dis-je, aucun
doute que tout cela ne tienne au même projet. Si l'Assemblée nationale
n'appelle pas autour d'elle tous les bons citoyens, si elle ne se
déclare pas saisie de tous les pouvoirs et n'en use pas à l'instant,
Paris est perdu, et la France est déchirée ».
17 septembre : A l'Assemblée, intervention de Pétion, maire de la
capitale sur des troubles à l’ordre public et termine par « Tout
ce que je désire, c'est d'être averti avant que les forfaits
commencent. (sic) Car, lorsqu'ils sont commencés, on ne sait plus où placer
la force publique, on ne sait quel usage en faire, quel langage tenir,
quels moyens employer, et le crime se consomme. Voilà la cause des
événements passés. Voilà ce qui peut encore en produire de nouveaux ».
Il est décrété par l’Assemblée «que tous les membres de la commune de
Paris répondent sur leur tête de la sûreté de tous les prisonniers. Le
pouvoir exécutif demeure chargé de donner connaissance sur-le-champ du
présent décret à la commune de Paris».
Le député Vergniaud après
intervient sur la question des mandats d’arrêts délivrés par la ville :
« La commune de Paris ne peut décerner des mandats d'arrêt qu'en
vertu de votre dernière loi, et il n'y a pas un seul article dans cette
loi qui l'autorise à déléguer le droit de décerner des mandats d'arrêt.
Si elle a un comité qui préparé ou décerne ces mandats, la commune doit
au moins se faire rendre un compte exact de ces opérations. D'ailleurs,
la loi oblige la commune qui décerne un mandat d'arrêt d'en instruire
les administrations supérieures; mais comme il n'existe plus à Paris
d'administration de département considéré comme une autorité
supérieure, dès lors la commune aurait dû rendre compte à l'Assemblée
nationale de ces mandats d'arrêt. Il est vrai que la loi n'a pas prévu
ce cas; il y a une lacune, mais cependant il est du devoir rigoureux et
très rigoureux de la commune de se faire rendre compte de ces mandats
par son comité de surveillance. (Applaudissements) Quant à la sûreté
des prisonniers, on peut prévenir tout danger en notifiant à la commune
le décret qui la rend responsable, et en chargeant le maire de Paris de
faire les réquisitions nécessaires pour assurer une force suffisante
autour des prisons. (Applaudissements) »
18 septembre : A Paris, c’est l’arrivée du jeune député de l’Aisne,
Louis Antoine Saint-Just, (ci-contre en peinture), tout juste 25 ans et éligible à la
Convention, si l’on pouvait voter à 21 ans, l’âge d’éligibilité n’a
pas changé. Il sera l’un des nouveaux benjamins de l’Assemblée.
19 septembre : A Sainte-Menehould, Dumouriez, reçoit les renforts de
l'armée de Kellermann, venue de Metz en renfort et à train rapide. Dans
la chronique de Paris (n°273), il est fait état de 500 personnes ayant
péri à Rennes, Robespierre depuis les Jacobins met cela sous coup du
10-08 et se plaint des journalistes «qui se disent patriotes… des
affiches des ministres qui couvrent nos murs... d'une affiche d'un
membre de la commune. »
La bataille de Valmy - 20 septembre 1792 (10 minutes)
20 septembre : A Valmy victoire des troupes françaises et du général
Kellermann sur les Prussiens, un millier d’hommes des deux camps y
perdent la vie (un peu plus de 200 soldats français selon le ministre
Servan). Le philosophe Goethe présent à l’arrière du front comme témoin
de l’événement écrira dans « Campagne de France »: « De ce
lieu et de ce jour, date une nouvelle de histoire du monde, et
vous pourrez dire : j’y étais !».
(source Gallica-Bnf, traduction de Jacques Porchat – librairie Hachette
et C° édité en 1889 - page 64) A Paris, l’Assemblée se réunissant
en Convention (sur le modèle des Etats-Unis d’Amérique…), la nouvelle
chambre désigne son premier président, Jérôme Pétion.
La Convention est
réunie pour la rédaction d’une nouvelle constitution, ses membres ont
été désignés par le suffrage universel, en deux phases de désignation,
avec les assemblées primaires et électorales de désignation des élus. «Les
citoyens nommés à la Convention nationale se réunirent dans une des
salles du palais des Tuileries le nombre des députés présents
dépassait celui prescrit par la loi pour qu’ils puissent se former en
assemblée provisoire. Leurs pouvoirs vérifiés, sous la présidence du
doyen d’âge (Rulh), ils se constituèrent en Convention nationale. Procédant
ensuite à la nomination du bureau, ils portèrent presque unanimement
Pétion à la présidence; Condorcet, Brissot, Rabaut Saint-Etienne,
Lasource, Vergniaud et Camus furent proclamés secrétaires »
et
Louvet de Couvrai. La Convention ouverte compte 371 élus présents et
elle élie son président par 253 voix.
Sa composition : 749 députés
titulaires, plus 298 suppléants. L’on dénombre 270 anciens députés,
dont 8 ex. constituants et 181 élus de la Législative, parmi lesquels
29 sont des aristocrates avec un duc, 8 marquis, 9 comtes, un vicomte
et un baron d’origine prussienne M. A. de Cloots (naturalisé), plus 16
évêques constitutionnels, 29 prêtres et 10 ministres protestants. Ce
sont 749 parlementaires qui seront désignés, parmi eux, 160 seront
qualifiés de girondins, 140 à 200 sous le qualificatif de montagnards,
pour
389 élus fluctuants que l’on dénommera sous cette mandature « la
Plaine ». Ce même jour est autorisé le divorce par consentement mutuel
ou pour incompatibilité d’humeur, la Convention «déclare que le mariage
est dissoluble par le divorce» et décrète la laïcisation de
l’état-civil. Cette décision sera abolie en 1816, puis partiellement
rétablie en 1884.
La bataille de Valmy peinte par Vernet
21 septembre : Une délégation de la Convention menée par le député
Grégoire se rend à la salle du manège pour informer les députés de la
Législative : « Citoyens, L'Assemblée des représentants du peuple
est constituée en Convention nationale; elle nous a députés vers vous
pour vous en prévenir, et pour vous dire qu'elle va se rendre ici pour
y prendre séance ». A cette annonce les élus de la Législative
levèrent et mirent fin à leurs travaux « à midi et demi »
est-il précisé dans le compte rendu. La Convention, lors de sa première
matinée, rappelle que les personnes et les propriétés sont mises sous
la sauvegarde de la nation et il est décidé que les impôts seront
perçus et payés comme avant.
Pierre Louis Manuel ancien procureur
syndic de la Commune intervient comme nouveau député du
département de Paris: « Je demande que le président de la
France soit logé dans le palais national des Tuileries, que toujours il
soit précédé du signe de la loi et de la force publique, et que partout
il porte le respect; je demande que toutes les fois qu’il ouvrira la
séance les citoyens se lèvent à son aspect. Cet hommage rendu à la
souveraineté du peuple nous rappellera sans cesse et nos droits et nos
devoirs. (Quelques applaudissements perdus dans les murmures) ».
Cette proposition est repoussée par une grande majorité à la demande de
Jean Lambert Tallien, députe de Seine-et-Oise.
Intervention de Georges
Danton :
« Avant
d'exprimer mon opinion sur le premier acte que doit faire l'Assemblée
nationale, qu'il me soit permis de résigner dans son sein les fonctions
qui m'avaient été déléguées par l'Assemblée législative. Je les ai
reçues au bruit du canon, dont les citoyens de la capitale foudroyèrent
le despotisme. Maintenant que la jonction des armées est faite, que la
jonction des représentants du peuple est opérée, je ne dois plus
reconnaître mes fonctions premières; je ne suis plus que mandataire du
peuple, et c'est en cette qualité que je vais parler. On vous a proposé
des serments ; il faut en effet, qu'en entrant dans la vaste carrière
que vous avez à parcourir, vous appreniez au peuple, par une
déclaration solennelle, quels sont les sentiments et les principes qui
présideront a vos travaux. Il ne peut exister de Constitution que celle
qui sera textuellement, nominativement acceptée par la majorité des
assemblées primaires. Voila ce que vous devez déclarer au peuple. Les
vains fantômes de dictatures, les idées extravagantes du triumvirat,
toutes ces absurdités inventées pour effrayer le peuple disparaissent
alors, puisque rien ne sera constitutionnel que ce qui aura été accepte
par le peuple.
Après cette déclaration vous en devez faire une autre
qui n'est pas moins importante pour la liberté et pour la tranquillité
publique. Jusqu'ici on a agité le peuple parce qu'il fallait lui donner
l'éveil contre les tyrans. Maintenant il faut que les lois soient aussi
terribles contre ceux qui y porteraient atteinte, que le peuple l'a été
en foudroyant la tyrannie ; il faut qu'elles punissent tous les
coupables, pour que le peuple n'ait plus rien à désirer.
(Applaudissements) On a paru croire, d'excellents citoyens ont pu
présumer que des amis ardents de la liberté pouvaient nuire à l'ordre
social en exagérant leurs principes; eh bien! abjurons ici toute
exagération ; déclarons que toutes les propriétés territoriales,
individuelles et industrielles seront éternellement maintenues et que
les contributions publiques continueront à être perçues.
(Applaudissements unanimes) Souvenons-nous ensuite que nous avons
tout à revoir, tout à recréer; que la déclaration des Droits elle-même
n'est pas sans tache, et qu'elle doit passer a la révision d'un peuple
vraiment libre. (Double salve d'applaudissements) ».
Et il est décrété en fin de séance l’abolition de la royauté à
l’unanimité, à la demande de Collot-d’Herbois « Vous
venez de prendre une délibération sage; mais il en est une grande, une
salutaire, une indispensable; il en est une que vous ne pouvez remettre
a demain, que vous ne pouvez remettre a ce soir, que vous ne pouvez
différer un seul instant, sans être infidèles au voeu de la nation,
c’est l’abolition de la royauté».
Et suivi après par le député
Grégoire concluant avant le vote : « Certes,
personne de nous ne proposera jamais de conserver en France la race
funeste des rois; nous savons trop bien que toutes les dynasties n'ont
jamais et que des races dévorantes qui ne vivaient que du sang des
peuples; mais il faut pleinement rassurer les amis de la liberté; il
faut détruire ce mot de roi, qui est encore un talisman dont la force
magique serait propre a stupéfier bien des hommes. Je demande donc que,
par une loi solennelle, vous consacriez l'abolition de la royauté!
(Tous les membres de l'Assemblée se lèvent par un mouvement spontané;
et, par des acclamations unanimes, ils protestent leur haine contre une
forme de gouvernement qui a causé tant de maux à la patrie) ».
22 septembre : Naissance de la première République.
A Paris, la
Convention décrète, que tout acte public stipulera à partir d’hier :
« l'An premier de la République française » la demande a été faite par
le député Billaud-Varenne et soutenue par M. Lasource et approuvée en
début de séances par les parlementaires sans grand débat, le seul
amendement déposé fut retiré. Le ministre de l'intérieur Jean-Marie
Roland adresse ce jour un bref courrier aux Corps administratifs ou « portant
révocations des pouvoirs qu’il a donné à divers commissaires dans les
départements» et se termine par « Le calme doit succéder à l'orage. Il
n'est point de liberté, pour les hommes en société, sans l'exercice
rigoureux des lois : il n'est point de bonheur sur la terre sans la
paix et l'union. Je ne puis que vous manifester ces principes que je
crois de toute vérité comme de toute justice. Si donc, Messieurs, il se
présente, dans votre Département, des hommes qui se disent encore
investis de pouvoirs du Conseil exécutif, hâtez-vous de leur apprendre
que ces pouvoirs sont révoqués. Quant à ceux qui ne seraient pourvus
que de commission émanée d'un seul Ministre, ils resteront chargés d'en
poursuivre l'exécution, sous la responsabilité du Ministre dont ils
l'auront reçue ». Aux Jacobins, Saint-Just fait sa première
intervention publique.
23 et 24 septembre : La Savoie non rattachée à la France connaît
l’entrée des troupes françaises sur son territoire et avec à sa tête le
Lieutenant-général Anne-Pierre de Montesquiou envahissant le duché.
C’est un proche du duc d’Orléans et il sera démis de ses fonctions en
décembre. Le lendemain, les armées entrent triomphalement dans la ville de
Chambéry.
Mardi 25 septembre : La République est déclarée « Une et Indivisible »
à la demande des députés Barère, Couthon et Robespierre. Il est décidé
que la fonction de représentant du peuple ne peut-être l’objet d’aucun
cumul. La Haute Cour de justice d'Orléans est supprimée. Aux Jacobins,
Robespierre intervient sur deux points cruciaux : la dictature qu’on
lui impute de vouloir, et le fédéralisme après le vote sur
l’indivisibilité de la République : « On nous a dit sans
preuves : vous aspirez à la dictature; et nous, nous avions soupçonné,
d'après des faits, que nos accusateurs voulaient nous donner un
gouvernement étranger à nos mœurs, étranger à nos principes d'égalité;
nous avions soupçonné qu'on voulait faire de la République française un
amas de Républiques fédératives qui seraient sans cesse la proie des
fureurs civiles ou de la rage des ennemis. Je ne sais si ces indices
sont fondés; mais nous avons cru devoir adopter ces soupçons d'après
l'affectation de quelques personnes à calomnier ceux qui avaient voulu
la liberté toute entière ».
« J’en ai trop dit sur cette
misérable inculpation; je viens aux propositions qui ont été faites :
la première, de décerner une peine de mort contre quiconque proposerait
la dictature, le triumvirat, ou toutes autres autorités contraires au
système de liberté adopté par la République française ; je dis que
cette proposition ne peut être éludée que par ceux qui auraient conçu
le système d'accaparer toutes les places et l'opinion, ou qui se
croiraient soutenus par les puissances étrangères. Sans doute nous
mourrons tous pour arrêter cette coalition des despotes; mais si ces
hommes se croyaient assez près de la victoire pour affecter la couronne
dictatoriale, demain ils ne seraient plus ; le peuple aurait prononcé
leur arrêt de mort. Une autre proposition est celle de déclarer que la
République Française ne formera qu'un seul Etat. Qu'y a-t-il donc de
difficile dans une pareille déclaration? La nécessité de l'unité de la
République n'est-elle pas reconnue? (…)
Déclarons que la
République française formera un état unique, soumis à des lois
constitutionnelles uniformes. Il n'y a que la certitude de l'union la
plus forte entre toutes les parties de la France qui puisse fournir les
moyens de repousser ses ennemis avec autant d'énergie que de succès. Je
demande donc que ces propositions, aussi simples que naturelles soient
adoptées sur le champ et qu'on examine à fond l'objet qui me regarde ».
Dans le journal débats de la société jacobine, Robespierre s’adresse au
député Rebecqui: « Un
citoyen est monté à cette tribune, et c'est moi qu'il a nommé.
Citoyens, il est difficile de répondre à une accusation qui n'est point
précisée; cependant il m'appartient, il m'est possible de le faire.
C'est moi qui dans l'assemblée constituante ai combattu pendant trois
ans toutes les factions qui se sont succédées; c'est moi qui ai lutté
contre la cour, qui ai méprisé les caresses des intrigants ; qui ai
rejeté les présents du pouvoir exécutif; qui ai dédaigné tous les
partis, d'autant plus séduisants, qu'ils se couvraient du marque du
patriotisme (Murmures) ».
Sources du couvent des Jacobins - Les Œuvres de Robespierre, tome IX
Editions PUF –
note introductive de Marc Bouloiseau et avec le concours du Cnrs
La Gazette du 26 septembre -
Séance de la Convention du 25/09 ou de la veille : cliquez ici
Lecture : Daniel Kenigsberg - France Culture (4 minutes)
28 septembre : A Paris, le chant patriotique « la Marseillaise »
remplace le Te deum pour les fêtes civiques.
29 septembre : La Convention décide la création un comité de rédaction pour la
nouvelle constitution.
30 septembre : En Allemagne, au nord de Strasbourg, le comte Philippe
de Custine s’empare de la ville de Spire (ou Speyer). Il avait déjà
pris Porrentruy (Suisse) non loin de Belfort dès le 29 avril. Il sera
aussi démis de ses fonctions d’ici quelques mois et condamné à mort. A Nice, le
général Jacques Bernard d’Anselme investit la ville comté avec les
armées du Midi et s’installe dans le consulat de France vidé de ses
occupants. Peu de résistance se manifeste du côté Sarde, l’effet de
surprise a surtout provoqué la panique et le départ des autorités et
des émigrés français. La ville de Nice était jusqu’alors rattachée au
royaume de Sardaigne de Victor Amédée III, et duc de Savoie et prince
du Piémont. Le général nommera l’ancien consul maire de la cité
provençale, M. Le Seurre. Charge qu’il occupera jusqu’en novembre avant
de se retirer pour un autre poste à la marine d’Antibes. Une fonction qu’il
occupait depuis 1789. (Source : Annales historiques de la RF - Un
consulat français dans la tourmente révolutionnaire : Nice à la veille
de l'annexion 1789-1792 de juillet 2002 -A lire
ici !)
à suivre...
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JOURNAL
D'UNE BOURGEOISE
de Rosalie Jullien (de la Drôme)
Il a été retenu deux
lettres pour décrire les massacres de septembre à Paris. Si la
correspondante appuie cette entreprise de fureur au titre d’une « foule
de peuple », le témoignage des évènements est très enrichissant parce
que se positionnant en faveur, et honnête parce qu’elle précise ne pas
tout savoir et sensible, elle n’est pas indifférente. S’il existe bien
des imprécisions, elle fait part aussi d’autres témoins, comme ces
maçons venant à son domicile pour de supposés travaux et ayant assistés
à certains faits. Il existe pas mal de témoignage, notamment contre ou
relativisant cette entreprise meurtrière des Septembriseurs.
Néanmoins
Rosalie Jullien n’exalte pas, elle en comprend les raisons et souhaite
que cela ne se reproduise pas. Par ailleurs à ce stade, elle ne
manifeste pas de critique à l’égard des girondins et ne fait pas de
différence entre les «patriotes». Il existe seulement un élément
important à remettre en cause ce sont les dates, ce qu’elle dit de
Bicêtre « où l'on est encore » dès le dimanche 2 n’est pas possible à
cette date précise, ou pareillement le 3 où elle annonce la fin des
massacres dans cette geôle. C’est le lendemain que la «prison des
voleurs» sera concernée. Il ne peut y avoir qu’un décalage d’un jour
et les courriers achevés le 3 et le 4 septembre. Un petit détail,
certes minime, mais qui a son importance dans la chronologie des
événements et des faits du 2 au 5.
De Rosalie Jullien à son mari, Marc-Antoine Jullien dit de la Drôme et
élu de ce département à la Convention de 1792 à 1795. Il sera un des
rares rescapés robespierristes de l’Après Thermidor (fin du mois de
juillet 1794), malgré les dénonciations, il ne fut pas condamné mais
mis à distance de la vie politique. Et Jullien se mit à écrire des
poésies et des textes, il décéda en tombant d’un balcon en 1821. (Lire
sa courte biographie sur le site de l’AN)
Note de Lionel
Mesnard, le 8 août 2016
Post Scriptum de mars 2017 : ces lettres n'ont rien d'authentiques et
le "Journal d'une bourgeoise" est un travail de ré-écriture de la part
de son petit-fils, Edouard Lockroy, député sous la troisième
république. Ces courriers entrent dans la catégorie des écrits
apocryphes. Néanmoins la courte note reste en l'état et le texte illustre des événements plus
que confus et manipulés, mais pas si lointain de la vérité, toujours
pas élucidée... sur les massacres de septembre à Paris.
1)
A son mari, depuis Paris, lettre du 2 septembre 1792 (date
relative)
« Quand on veut la fin, il faut vouloir les moyens; point d’humanité
barbare. Le peuple est levé, le peuple terrible dans sa fureur, venge
les crimes de trois ans des plus lâches trahisons. Oh, mon ami, je me
réfugie dans vos bras, pour verser un torrent de larmes; mais je vous
crie avant tout: la France est sauvée! Ces larmes, je les répands sur
le sort de nos malheureux frères patriotes, tombés sous le fer des
Prussiens. Verdun est assiégé et ne peut tenir que deux jours. La joie
de nos féroces aristocrates contraste avec notre profonde affliction.
Ecoutez; tremblez : le canon d'alarme tonne vers midi ; le tocsin
sonne, la générale bat. On va, on vient dans les rues. Tout était dans
la crise la plus violente ; des proclamations pathétiques de la
municipalité fixaient l'attention du peuple et touchaient son cœur:
«Volez au secours de vos frères! Aux armes ; aux armes! » Chacun
s'empresse, court. Enfin, il part ce soir quarante mille hommes qui
vont fodre sur les Prussiens, soit à Verdun, soit en avant, s'ils
s'avancent. La fureur martiale, qui a saisi tous les Parisiens, est un
prodige; des pères de famille, des bourgeois, des troupes, des
sans-culottes, tout part. Le peuple a dit: nous laissons dans nos
foyers nos femmes, nos enfants, au milieu de nos ennemis, purgeons-en
la terre de la liberté. Mon ami, je jette ici, d'une main tremblante,
un voile sur les crimes qu'on a forcé le peuple à commettre par tous
ceux dont il est depuis trois ans la triste victime. Les noirs complots
qui se découvrent de toutes parts, portent la lumière ta plus affreuse
et la conviction la plus certaine sur le sort qui attend et menace les
patriotes; s'ils ne font pas périr, ils périssent l’atroce nécessité,
ouvrage funeste de nos ennemis ! Des têtes coupées, des prêtres
massacrés... Je ne puis vous en faire le récit, quoi qu'éclairée par ma
raison, qui me crie: les Prussiens et les rois en auraient bien fait
autant et mille fois davantage. Si le peuple... Ah! malheureux
peuple, qu'on se garde de le calomnier!
Le croiriez-vous? Je suis allée depuis six heures jusqu'à huit, aux
Tuileries. Foule partout, et dans une agitation froide et ordonnée. Il
n'y a plus de nuit à Paris; l'illumination succède au jour, et l'on
voyait deux magnifiques pyramides de lumières sur le grand bassin, et
des boutiques éclairées dans les grandes allées. La terrasse des
Feuillants était claire comme le jour, couverte de groupes, de femmes,
d'enfants, d'hommes; tous prêts à suivre les plus généreuses ou les
plus terribles résolutions. Des députés de l'Assemblée, environnés de
troupes, sont passés pour aller porter au peuple des conseils
pacifiques. Dix-sept personnes, parmi lesquelles se trouvent, dit-on
des députés, ont été arrêtées aux barrières et ramenées à l'Abbaye.
Dans la cour, une foule de peuple indigné, forçant les portes de
derrière des prisons, leur ont épargné la peine d'y entrer. Terrible
événement ! J'ai entendu Cambon accuser à mots couverts le comité de
surveillance d'avoir relaxé le prince de Poix. Donnez une Convention
nationale incorruptible, ou que les lâches Français tombent dans les
filets des Prussiens: autant vaudrait, que d'avoir de vils
représentants. Ils faisaient merveille ce soir. J'ai entendu mille
bravos. Si l'on parvenait à faire siéger cette Assemblée loin de Paris,
comme le veulent les sots, les Néron et les Médicis renaîtraient de
leurs cendres. Nous avons pris une voiture; car l'agitation du peuple
et la nuit portaient dans mon âme une terreur secrète. En montant, j'ai
été arrêtée par une amie de M. de Sillery, qui m'a dit que ce patriote
arrivait ce soir de Reims, dans une indignation qui l'étouffait. Point
d'armes; nous sommes livrés pieds et poings liés à l'ennemi!
M. d'Orléans est électeur, et nos électeurs sont tous bons. On a fait
la liste des députés que l'opinion publique appelle à la Convention
nationale, c'est la fleur des Français. Si vous aviez vu Paris, comme
je l'ai vu aujourd'hui, vous n'oseriez pas douter un moment de la chose
publique. C'est la rage du courage et l'accord le plus parfait;
car,dans les trois cent mille hommes que j'ai vus se disputer l'honneur
de partir, il n'y a pas seulement un Feuillant. Ils sont tous cachés
dans les caves.
Rentrée chez moi à huit heures et demie, ayant observé, de la pointe
Saint-Eustache jusqu'ici, les mêmes mouvements et les rues pleines de
monde, j'ai trouvé la bonne amie Tiberge avec Gabrielle qui se
réfugiaient chez nous, à cause de l'esprit d'aristocratie de leur
maison. Elles ont couché dans notre alcôve. Elles m'ont assurée qu'un
nombre de peuple, en bon ordre, faisait une police sévère, et qu'il y
avait eu des actes terribles. Le calme le plus profond règne cette
nuit. Aucun bruit, ni de tambours, ni de cloches, ni de rien, qui
annonce de sinistres événements. J'ai l'âme si préoccupée qu'il me sera
impossible de trouver le sommeil, et j'ai un mal de tête si violent,
que je ne pourrai continuer d'écrire. Mille et mille tendresses dans la
maison hospitalière ou vous êtes. J'ai une si profonde estime pour Mme
Blachette, que je fais des vœux contre son repos. Je le nomme à la
Convention. Il nous faut de vrais patriotes et des hommes. Mon ami,
faites agréer mes excuses et mes civilités à la digne femme de ce
courageux ami de la liberté. Je voudrais déjà être à demain.
Nous serions perdus, si la Providence de la Révolution ne faisait pas
tous les jours de nouveaux miracles. Le tocsin doit sonner sur tous les
points de la France et les départements se tenir dans la fière attitude
de la capitale, afin de ne pas devenir la proie de nos ennemis.
Nous sommes tous morts si nous ne sommes pas tous unis. Nous avons des
armées, nous avons des gardes nationaux, nous avons une foule de
citoyens qui vont cerner les ennemis. Plus de traîtres à la tête de nos
troupes, et la victoire est à nous. Je crains la famine, si la victoire
n'est pas impétueuse, car ils vont être deux cent mille réunis sur la
frontière. Oh, mon ami! dans quelles circonstances nous sommes! N'ayez
pourtant nulle inquiétude. Les Autrichiens et les Prussiens seraient
aux portes de Paris, que je ne ferais point un pas en arrière. J'en
crierais avec plus de sécurité : la victoire est à nous!
Je suis saisie d'épouvante, d'horreur: je ne sais quels sentiments
éprouver. Voilà le détail que je tiens de six maçons qui arrivent de
leurs travaux. Un bataillon de gens du peuple frappé de l'imminent
danger de voir tomber sur nous les malfaiteurs de toutes les prisons,
en cas de réussite de quelque complot, ou de l'approche des Prussiens,
s'est fait accompagner des juges, qui sont allés successivement à
chaque prison. On a fait visiter tous les écrous. Les voleurs tués, les
contrefacteurs d'assignats tués, les contre-révolutionnaires tués; les
prisonniers pour dettes délivrés, les querelleurs renvoyés, les jeunes
gens pris pour étourderies admis à la bande. Ainsi l'on a ne pas
devenir la proie de nos ennemis. Nous sommes tous morts si nous ne
sommes pas tous unis. Nous avons des armées, nous avons des gardes
nationaux, nous avons une foule de citoyens qui vont cerner les
ennemis. Plus de traîtres à la tête de nos troupes, et la victoire est
à nous. Je crains la famine, si la victoire n'est pas impétueuse, car
ils vont être deux cent mille réunis sur la frontière. Oh, mon ami!
dans quelles circonstances nous sommes! N'ayez pourtant nulle
inquiétude. Les Autrichiens et les Prussiens seraient aux portes de
Paris, que je ne ferais point un pas en arrière. J'en crierais avec
plus de sécurité: la victoire est à nous!
Je suis saisie d'épouvante, d'horreur : je ne sais quels sentiments
éprouver. Voilà le détail que je tiens de six maçons qui arrivent de
leurs travaux. Un bataillon de gens du peuple frappé de l'imminent
danger de voir tomber sur nous les malfaiteurs de toutes les prisons,
en cas de réussite de quelque complot, ou de l'approche des Prussiens,
s'est fait accompagner des juges, qui sont allés successivement à
chaque prison. On a fait visiter tous les écrous. Les voleurs tués, les
contrefacteurs d'assignats tués, les contre-révolutionnaires tués; les
prisonniers pour dettes délivrés, les querelleurs renvoyés, les jeunes
gens pris pour étourderies admis à la bande. Ainsi l'on a vidé
complètement les prisons, même Bicêtre, où l'on est encore. La
gendarmerie nationale et les autres troupes disent aux citoyens: «Camarades,
nous vous laissons nos femmes, nos enfants ; préservez-les des ennemis
de l'intérieur qui pourraient les tuer; tandis que nous allons
combattre ceux de l'extérieur». Ces nouvelles exécutions d'une
justice terrible et barbare, se sont faites, dit-on, dans un calme
extraordinaire. Plusieurs prêtres ont été sacrifiés à la vengeance
populaire. Ces maçons ont vu des monceaux de cadavres aux portes des
prisons. Ma profonde humanité me fait pleurer sur le sort des coupables
et malheureux innocents confondus. Mon Dieu ! ayez pitié d'un peuple
qu'on précipite dans la voie du carnage en le provoquant; ne lui
imputez pas...
Mon ami, mon âme est accablée. Les Prussiens, cause seconde de tant
d'atrocités, parle sentiment d'irritation et d'horreur qu'excitent leur
injuste agression et leur invasion, périront, fussent-ils cent mille.
Avec quelle ardeur furibonde nos braves volontaires ont quitté Paris !
Ils sont sûrs de mourir ou de revenir vainqueurs. Adieu, mon ami, nos
maçons, dont l'un a été témoin de tout, nous ont narré cela avec une
sorte d'ingénuité et avec un véritable regret que le peuple, pour se
sauver de tous ses ennemis, des traîtres et des conspirateurs, en soit
forcé d'en venir là, et de se faire justice lui-même».
2)
A son mari, depuis Paris, deuxième lettre du 3 septembre 1792
« Mon ami, mon ami, le plus grand calme est la suite de ce tribunal
populaire, soutenu de la garde nationale, assisté de quinze juges
choisis parmi la multitude. Bicêtre a occupé toute la journée. Il n'y a
plus d'êtres vivants dans aucune sorte de prison ; les uns ont péri,
les autres ont été mis en liberté. Vous le dirai-je ? Mon âme est
troublée et profondément épouvantée d'un si terrible spectacle. On
assure qu'on avait acquis les preuves d'un vaste complot, où tous ces
criminels devaient être les instruments du crime. M. Pétion n'avait
garanti la sûreté de la capitale qu'hier jusqu'à minuit.
Enfin, il faut croire que la Providence nous a encore miraculeusement
sauvés. Voilà un trait frappant qui caractérise le respect du peuple
pour ses représentants. Journeau, qui a eu une affaire avec
Grangeneuve, était à l'Abbaye. On a dépêché un canonnier à l'Assemblée
pour s'assurer si vraiment c'était un député, et on l'y a reconduit
avec toute la considération attachée à la dignité de son poste.
Cependant, c'est un aristocrate connu. Mesdames de Lamballe et Toursel,
qui étaient à la Force, n'ont pas joui du même privilège, elles sont au
nombre des victimes; mais la fille de cette dernière, âgée de douze
ans, et Madame Bitbe, qui est enceinte,
ont été mises sous la sauvegarde du peuple et singulièrement protégées.
On assure que les ennemis ont été obligés de se replier sur Longwy et
que, bientôt, il sera repris. Nous avons un avantage certain ; mais les
détails ne sont pas infiniment clairs ; c'est pourquoi, n'aimant à vous
donner que des nouvelles fort sûres, j'attends un plus ample informé.
Mais, l'espérance étant fondée, je veux vous en faire jouir
sur-le-champ. Les troupes partent à différents intervalles pour
faciliter les approvisionnements, et l'ardeur est telle que l'on ne
peut qu'augurer la plus éclatante victoire. La France est sauvée; mais
il faut que nos braves frères des départements imitent notre
dévouement. On ne connaît plus qu'un intérêt, celui de la patrie. On
n'a plus qu'un sentiment, l'amour de la patrie. Enfin, son salut est le
plus cher objet de nos vœux, et absorbe toute autre pensée.
On prétend
que le tribunal sanguinaire va se porter à Orléans. L'Assemblée a
décrété de transporter les prisonniers dans un château fort à Saumur.
Elle a simplement fait mention, dans son procès-verbal, du cours des
événements, et elle a repris ses travaux. Les deux Montmorin ont subi le sort des autres coupables ; et, hier
matin, le major des Suisses fut guillotiné, jugé parle tribunal du palais. Pour les Montmorin,
c'est le peuple qui les a immolés. Il y avait des monceaux de morts
dans les cours des prisons, qui ont tous été portés à Clamart dans des
charrettes. Nous n'avons pas franchi le seuil de notre porte. La
sensibilité d'Auguste et la mienne nous ôtent la force de sortir, dans
la crainte de rencontrer un char mortuaire. Nous n'avons plus qu'une
voie de salut : vaincre ou mourir. Le peuple est si pénétré de cette
vérité, que tous vont se transformer en héros pour abîmer les
Prussiens, les Autrichiens et ceux qui viennent dévaster et asservir
notre France. On travaille aux fossés et aux camps qui doivent
environner Paris, avec l'ardeur que vous avez vue briller au
Champ-de-Mars.
Pétion et Manuel sont toujours les magistrats choisis du
peuple. La municipalité a subi quelques changements ; mais je ne les
connais pas bien. Enfin, mon ami, j'ai voulu vous écrire ce mot ce
matin, parce que, dans la crise terrible où nous sommes, il est doux
d'avoir une assurance directe de l'état de la capitale et de la vie de
ceux qu'on aime. On sent que ces affreux événements doivent nous
conduire au terme de nos maux et fixer les destinées d'un grand peuple,
trop longtemps le jouet des intrigants et des conspirateurs On a une
pleine confiance dans le conseil exécutif qui nous gouverne. Nos
élections vont leur train, et vous verrez, dans la Révolution de Paris,
toutes les indications données pour les diriger. Les prédicateurs
s'accordent avec les défenseurs de la liberté pour les propager. Il y a
eu, dimanche, un sermon qui a fait l'admiration de tout Paris. Dans les
malheureux prêtres sacrifiés, je ne connais heureusement personne. L'on
ne sort pas de Paris, mais j'espère que cette crise touche à sa fin, et
que la liberté et la circulation vont être rétablies ».
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