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Sommaire de la page,

1 - La fin de la Législative et naissance d’une République?

2 - Affaires diplomatiques, M. Gouverneur Morris, vues et influences d’un ambassadeur

3 - Paris, Place de la Révolution, petite histoire de la guillotine...

4 - Chronologie détaillée : de l'insurrection du 10 au 31 août 1792

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La fin de la Législative
et naissance d’une République?




Prise des Tuileries le 10-08-1792 - illustration du XIXe siècle

1 - 10 août,  zéro heure, le tocsin éveille la capitale !

La question qui a pu soulever le plus d’étonnement et m’a poussé à écrire a été de comprendre pourquoi tant de rappel à 1789, et m'interroger sur le pourquoi de ce grand vide au sujet de 1792 et de sa deuxième révolution?

L’année 1789 marqua une rupture avec l’absolutisme, cela n’en finissait pas cependant avec l’ancien régime, car celui-ci se réforma malgré les caprices de la cour et injonctions à ne rien changer. Pourquoi la rupture en partie sociale de 1792, se trouvant dans la venue de la république et la rédaction d'une nouvelle constitution (qui ne sera jamais appliquée dans les faits). Pourquoi ces deux éléments historiques majeurs donnent le sentiment d’un oubli conséquent. Ces dernières années ou une grande partie du monde politique a mis la république et le peuple à toutes les sauces des discours, que penser de cette faille historique et politique?

Il existe des symboliques et des commémorations, comme l’acte de naissance de l’universalité des droits, même s’il a exclu en grande partie les femmes et que la terminologie de droit et de « l’homme » (et du citoyen) est en minuscule dans les textes de l’époque. Comment fait-on pour ne pas discerner ces deux temps politiques, semble plus que curieux. Comme si tout ce qui allait engendrer la chute des pouvoirs royaux n’avait pas donné naissance à une autre conception de la société, et un nouvel idéal à portée de main?

Pour éviter, toute forme de dérapage ou interprétation douteuse, quand un complot réussi cela s’appelle soit un renversement de pouvoir ou un coup d’état, si l’objet est tourné vers les plus hautes autorités. La notion de complot est trop vague ou large, si vous ne venez pas qualifier l’objet tout est matière à comploter, sorte de passe-plat pouvant résumé tout et n’importe quoi, et qui en histoire n’apporte aucune lumière ou compréhension des événements. Le soulèvement populaire peut apparaître comme une forme de complot, mais les auteurs sont identifiables, un secret propulsant plusieurs milliers de personnes dans la rue, ce n’est plus vraiment une affaire soumise à l’impératif de la dissimulation ou aux silences des alcôves.

Et si l’on se pose la question de ce que faisait la police municipale ou l’ancienne Lieutenance de Police? Jérôme Pétion apporte un témoignage édifiant sur les relations compliquées entre le département et les agents de la Commune, qui de plus n’officiaient plus vraiment, car n’ayant plus d’autorité véritablement légale. Il remarquait que la surveillance des rues et autres affaires municipales souffraient de grands manques de besoin et de précision quant aux missions publiques à effectuer.

« La police était presque nulle : divisée entre plusieurs mains, chacun se faisait une guerre de limites. Les commissaires, dépouillés d'une partie de leurs fonctions, ne remplissaient le surplus qu'avec tiédeur ; ils étaient continuellement aux prises avec les juges de paix. Tous les agents secondaires étaient découragés; ils ne savaient à qui obéir.Les citoyens, placés entre la municipalité et le bureau central renvoyés de l'un à l'autre, ignoraient également à qui s'adresser. La police municipale, arrêtée à chaque instant dans sa marche, par la loi, l'était encore dans son action, faute de moyens. Le département, sous le prétexte de sa surveillance, tourmentait les administrateurs au lieu de les seconder; cherchait à se mettre à l'abri de tout ce que les événements pouvaient avoir de fâcheux, en se réservant l'honneur de tirer parti de ce qu'ils pouvaient avoir de favorable; de sorte que si une mesure réussissait, il s'en attribuait le succès ; si elle échouait,la faute devait en être imputée à ceux à qui l'exécution immédiate était confiée.

A tout cela se joignaient des négligences de détail, qui occasionnaient de violents murmures : négligences sur la propreté des rues, sur l'illumination, sur le service des voitures publiques; celles-ci n'avaient ni numéros, ni places fixes. Un article de la plus haute importance était celui de la force publique : elle n'existait presque plus, depuis qu'on avait arraché de son sein les citoyens soldés qui en étaient l’âme. On passait d'une organisation ancienne, à une organisation nouvelle; et les officiers qui allaient abandonner leur poste mettaient la plus grande tiédeur à remplir leurs devoirs. Des remplaçants payés faisaient le service des citoyens volontaires; la troupe de ligne rivalisait avec la garde nationale, et un choc entre les deux corps était à craindre. Les patrouilles étaient très rares, peu nombreuses et ce grand moyen de surveillance et de sûreté, manquait ».

Compte-rendu du mandat de Jérôme Pétion, œuvres,
 de J. P. de Villeneuve tome IV, pages 287 et 288.

Seul point où il tire un vrai satisfecit, c’est sur l’approvisionnement de la capitale. Point de blé, c’était en retour une révolte et pire en drame humain. Pour les finances, il fut l’héritier des dettes, et comme n’ayant plus les recettes de la barrière d’octroi, il a dû naviguer un peu à l’aveugle. Pétion a vécu de près la nuit du 9 au 10 août et les journées suivantes, et traverser des moments pas évidents dans un certain stoïcisme. Une bonne partie de la nuit, il se trouva dans un jardin dans l’enceinte du « château », l'autre nomination des Tuileries, où logeait et tenait cour la famille royale depuis octobre 1789. Il se trouva confronter aux invectives des troupes protégeant le palais, tout en discutant une bonne partie du crépuscule avec des proches dans le jardinet. Tout le monde savait depuis quelques jours que les menaces populaires d’envahir le « château » se précisait, Pétion le premier peut-on estimer en connaissait les modalités et réactions des deux camps comme Roederer, présent aussi sur les lieux. Du côté royaliste un plan était dressé, et si le tocsin sonna dans toute la ville depuis minuit, les troupes légalistes se préparaient à intervenir.

Là où Pétion à chercher à temporiser, il se trouva taxer de « tiédeur ». Et allait devoir passer entre les gouttes des colères populaires et la haine que lui vouait la Cour. Il sera mis sous résidence protégée, sa vie menacée. Il donne quelques éléments sur Lafayette, comme une des raisons du soulèvement et surtout de la fin du régime monarchiste en place depuis Hugues Capet (en l'an 987).

« Lafayette calcula très mal les effets de la journée du 10 août : il crut que cette journée était une révolte ; il crut que cette journée pouvait tourner au profit de la cour. Il souleva plusieurs départements contre elle ; il fit mettre en état d'arrestation à Sedan les commissaires de l'assemblée nationale qui allaient instruire les citoyens de la France de la victoire remportée par la liberté sur la tyrannie. Il fit publier les plus affreux récits des événements du 10 août ; il fit circuler dans son armée une lettre infâme où il disait, que les factieux voulaient Pétion pour roi et que les soldats de la patrie avaient à choisir entre Pétion et l'héritier de la couronne. Cette lettre mérite d'être connue et conservée; elle peint bien le caractère de Lafayette et prouve la haine implacable que la cour avait contre le maire de Paris. »

Dans les œuvres de Pétion suit le libelle qui a circulé et dont il fait mention (page 273, tome IV)

Le 10 août s’engagea un bras de fer entre l’Assemblée et la Commune insurrectionnelle née dans la nuit. Ce tournant politique allait avoir un effet immédiat sur le cours des choses, il imprima pour le siècle suivant une particularité : la Commune de Paris s’investissait pour la défense des intérêt de la Nation et s’assuma en pouvoir constitué. Un grand nombre de sections (26 selon Quinet et 82 hommes) accoururent dans la nuit à l’Hôtel-de-Ville. Des délégués élus qui tinrent tête et mirent sous pression la chambre des députés. Les Parisiens se sentaient menacés, la loi votée à la chambre au début du mois avait amnistié Lafayette et servit de détonateur. C’était pour lui sa dernière entrée en scène dans la vie publique et politique pour de longues années, il allait être tout aussi déconsidéré que le monarque.

A ce stade, la détestation était sans appel. Sa fuite, puis son arrestation à l’étranger évitèrent probablement au général l’échafaud, il connut un temps les prisons ennemies. Avec lui se tournait la page de la Législative et mettait entre parenthèse pour un long temps le règne des Bourbon. Contrairement à juillet 1789, la bourgeoisie formée en milice ne chercha pas à récupérer les armes données ou aux mains des sans-culottes. Cette fois-ci, il s’agissait avant tout de s’armer devant les menaces extérieures et de mobiliser de nouvelles troupes.

Face à l’inertie, face aux menaces de Brunswick, même artificielles, le Peuple présent à Paris encore soudé et à l'épreuve décida de se mobiliser, comment lui donner tort? La présence des fédérés appelés à protéger la capitale, et ce qui allait suivre ne fut pas une redite de la peur passée de juillet-août 1789. Mais bien une prise de pouvoir populaire face aux menaces d’une guerre se rapprochant. Au demeurant ce qu’avait conçu, le futur député Barbaroux (Marseillais et "girondin") comme un mouvement de pression, tourna à l’affrontement, et à la tête des insurgés un certain Westermann, sans parler du nouveau général des gardes nationales parisiennes le sieur Santerre. Ces deux figures sombres en sortirent victorieuses.

Jusqu'au 21 septembre, et sur une période de 5 à 6 semaines naîssait un nouveau régime avec une nouvelle Assemblée, la Constituante. Elle a connu divers périples, à commencer la rédaction d’une nouvelle constitution. Et deux camps
siègèrent, à gauche les Montagnards et à droite les Girondins. De nombreuses contradictions ainsi éclatèrent, et si le 10 août a eu tout le caractère d’un tsunami, la conjoncture était loin d’entrée dans une période calme, d’autres vagues allaient suivre dans les mois suivants. Le terme « Terreur » n’intervint dans aucun texte de loi avant l’année 1795. Cette référence désignant notamment l’année 1793 est plus que subjective, pour ne pas dire a été une construction montée de toute pièce.

Néanmoins et pas plus que pour la première Révolution de juin 1789 à septembre 1792, il n’y a à taire les crimes des camps en présence, sans pour autant mener un procès en sorcellerie. Il n’est pas question de chimère, mais à quel point si les idées sont belles ou généreuses, les intentions individuelles ne sont pas toujours du même ordre. Qui meurt, qui survit est la question qui m’est venue rapidement? Evidemment dans la diversité du genre humain, les dangers de classer chacun selon une case déterminée, ne peut que nier la multiplicité des points de vue et des parcours. Si le mot de Terreur a toutefois du sens, elle est dans une atmosphère générale. L’image la plus proche et très récurrente dans les écrits était l’idée d’une nouvelle Saint-Barthélemy, faut-il rajouter des patriotes.

Le spectre des massacres du 24 août 1572 revient régulièrement sous les plumes. Il faut préciser que l’ambiance, la défiance tient en la menace de l’anéantissement de la capitale et de sa population récalcitrante ou révolutionnaire. La ville de Verdun menacée, la guerre se précisait et prenait un tournant décisif dans les affaires du pays. Le débat pour ou contre la guerre n’était plus, et l’inertie générale avait de quoi rendre les esprits inquiets ou propices à toutes les idées de complot ou d’intrigues. Si je dois accorder à Adolphe Thiers une remarque juste, le terme, intrigue et aussi de complot, est très présent dans les discours de Robespierre. Les relations de confiance en politique ne sont pas éternelles.

En matière d’intrigues, elles ont été tout aussi
nombreuses que les stratégies personnelles. Il y a effectivement ceux, celles, fait d’un bloc, qui ne transigent pas sur les idées et les caps à mettre en œuvre. Cela donne des personnalités plutôt rigides et il y a lieu de penser que cette catégorie d’hommes ou de femmes savaient ou avaient eu la prémonition de leur mort. C’est une lutte en son nom qui s’engageait pour un idéal se nommant « la liberté ou la mort! », et la menace étrangère devenir l’alpha et l’oméga des affaires courantes. La perception de l’étranger allait virer à l’aigre et la France se replier sur elle-même, la note nationaliste ou patriotique tourner rapidement en cauchemar.


Quelques éléments sur la matiné
e du 10 août 1792

A la salle du Manège où se tenait le Parlement, l’ouverture de la séance ce matin du 10 août débuta à sept heures, l’audience était peu nombreuse. Les premiers échanges du feu commencèrent à 9h30 pour se terminer à 11 heures Si l’on s’en tient au compte-rendu des débats. L’on apprend par l’intervention de M. Roederer (Procureur Syndic du Département de Paris) la nature des dernières informations, sur l’état des tensions et sur la mobilisation populaire partie en deux points de la capitale.

Le premier cortège partit du faubourg Saint-Antoine, il fut rejoint en route par de nombreux Parisiens et ces citoyens disposaient de quelques pièces de canons et des armes. Le défilé arriva par la place du Carrousel, pareillement, l’autre, celui du faubourg Saint-Marcel stationna de l’autre côté, près du fleuve aux abords de la résidence royale des Tuileries.

Les gardes Suisses ont été déployés et M. Roederer leur a rappelé qu’en cas d’attaque, ils pouvaient se défendre conformément à la loi. C’est lui qui décida de conduire à l’abri les époux royaux et Madame Elizabeth, soeur de Louis XVI à l’Assemblée. Dans son intervention, il avait informé en préalable de la présence du Maire avant deux heures du matin, pour faire l’état de la situation avec le roi. Mais de n’avoir plus d’informations le concernant depuis, sauf que la Commune retenait en son sein le Commandant général des troupes Suisses, M. Mandat.

Par la même s’était engagé une discussion sur la présence du roi empêchant toute délibération conformément à la constitution. Il lui fut demandé de se tenir à distance, soit à l’autre bout de la salle, dans une tribune où l’on avait mis l’invention du télégraphe de M. Chappe. Ministres et grandes dames s'installaient aux fauteuils des ministères. Louis dans un premier temps s’était assis à l’autre bout de la salle. L’échange et la description de la situation était à la limite d'une farce, ce qui donna le la à des propos où chacun se préparait à donner sa vie. Mais le constat se résuma à l’impuissance, donc au solennel de la chose.

Après une intervention de Jacques Alexis Thuriot, député de la Marne et proche de Danton, il prenait parti pour les sections parisiennes, suivie d’une courte intervention du député Bazire se préoccupant du général Lafayette. Puis se présenta une délégation de la Commune insurrectionnelle, composée de MM. Huguenin, Léonard Bourdon, Tronchon, Derieux, Vigaud et Bullier, députés des commissaires des sections. Ils s'étaient réunis au préalable à la maison commune, admis à la barre, 
M. Huguenin s'exprima ainsi :

« Ce sont les nouveaux magistrats du peuple qui se présentent à votre barre. Les nouveaux dangers de la patrie ont provoqué notre nomination ; les circonstances la conseillaient, et notre patriotisme saura nous en rendre dignes. Le peuple las enfin depuis quatre ans éternel jouet des perfidies de la cour et des intrigues, a senti qu'il était temps d'arrêter l'Empire sur le bord de l'abîme. Législateurs, il ne nous reste plus qu'à seconder le peuple ; nous venons ici, en son nom, concerter avec vous des mesures pour le salut publique ; Pétion, Manuel, Danton, sont toujours nos collègues. Santerre est à la tête de la force armée. (Applaudissements.) 


Que les traîtres frémissent à leur tour! Ce jour est le triomphe des vertus civiques. Législateurs, le sang du peuple a coulé ; des troupes étrangères qui ne sont restées dans nos murs que par un nouveau délit du pouvoir exécutif, ont tiré sur les citoyens. Nos malheureux frères ont laissé des veuves et des orphelins. 
Le peuple qui nous envoie vers vous, nous a chargés de vous déclarer qu'il vous investissait de nouveau de sa confiance ; mais il nous a chargés en même temps de vous déclarer qu'il ne pouvait reconnaître, pour juger des mesures extraordinaires auxquelles la nécessité et la résistance à l'opposition l'ont porté, que le peuple français, votre souverain et le nôtre, réuni dans ses assemblées primaires. (Applaudissements.) » (*)

Ensuite vinrent tout une série de citoyens venus déposer de l’argent, bijoux, papiers, etc, le Parlement décrétait que toutes les affaires relevaient du ressort de la maison commune. Puis des citoyens étaient admis à la barre. L’un d'eux s'exprima ainsi : « Le calme paraît se rétablir dans la capitale; mais les flammes qui consument le château des Tuileries s'augmentent de plus en plus. Les citoyens qui l'environnent, a qui j'ai représenté qu'il était inutile de s'en prendre au monument, sont disposés à secourir les pompiers s'ils s'approchaient. Nous prions l'Assemblée de donner des ordres aux officiers pompiers, de garde ici, d'aller à leur corps de garde pour donner l'ordre à ceux qui y sont, de venir au secours du château ». L'Assemblée chargea son Président de donner les ordres les plus prompts aux pompiers et décrètait que la municipalité ou les commissaires des sections, réunis à la commune, de prendre « sur-le-champ les mesures les plus actives pour arrêter l'incendie »...

François Lamarque, à l’origine d’une demande de déchéance du roi le 9 août intervenait au nom de la commission extraordinaire des Douze. Il y lit une courte Adresse de l'Assemblée nationale aux Français :

« Depuis longtemps de vives inquiétudes agitaient tous les départements ; depuis longtemps le peuple attendait de ses représentants des mesures qui pussent la sauver. Aujourd'hui les citoyens de Paris ont déclaré au Corps législatif qu'il était la seule autorité qui eût conservé leur confiance. Les membres de l'Assemblée nationale ont juré individuellement, au nom de la nation, de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir à leur poste : ils seront fidèles à leur serment. 
L'Assemblée nationale s'occupe de préparer les lois que des circonstances si extraordinaires ont rendu nécessaires. Elle invite les citoyens, au nom de la patrie, de veiller à ce que les Droits de l'homme soient respectés et les propriétés assurées. Elle les invite à se rallier à elle, à l'aider à sauver la chose publique, à ne pas aggraver, par de funestes divisions, les maux et les dangers de l'Empire (Applaudissements.) ».

(*) Source Archives Parlementaires - Université Stanford  et BNF
  Tome 47 pages 641 et 642 ; séance du matin du 10 août.


II - République et État-nation?



Que représente la république en cette fin du dix-huitième siècle? Et naissance ou suite de l’État-nation? A ces deux interrogations, la réponse est à resituer dans le mouvement des idées. Il faut observer que ce sont avant tout deux conceptions proprement politiques ou juridiques très anciennes. Concernant la république, loin d’être l’affaire des seuls républicains au sens limité de ses acteurs, c’est avant tout une forme de gouvernement ou d’organisation de séparation des pouvoirs. Elle peut avoir une configuration légale et un entendement presque comparable chez les royalistes et les républicains. La république n’est pas une idée neuve en Europe, et elle allait avec les Révolutions de France, du Brabant et de Pologne, reprendre force et vigueur en Europe à une plus grande échelle de population. Le terme est indifféremment entendu comme telle en Grande-Bretagne, aux États-Unis, cependant ces deux nations n’ont pas les mêmes régimes. Qui plus est Gênes, et les villes états de Genève et de Venise se réclamaient de ce pot commun.

La seule vraie distinction que l’on puisse introduire est l’idée démocratique différant de l’exercice monarchique, bien qu’en ce domaine, le régime le plus libéral (il est question des libertés publiques et non de l’économie) de son époque se trouvait outre-Manche. L’idée de base est une autorité politique soumise à une assemblée et des éléments constitutionnels faisant la loi ou la chose publique : la res-publica. La jeune nation étasunienne donna par exemple à son président un droit de veto sur certaines décisions. A la différence qu’il est soumis à des contre-pouvoirs bien plus puissants, comme la cour constitutionnelle (ou Cour Suprême établie en février 1793 à New York) et il est élu comme ses pairs ou concitoyens des chambres représentatives et organismes publics.

L’idée républicaine et ses conceptions ont pris pied antérieurement au basculement en République, avec la reconnaissance de la constitution notamment. Louis XVI n’étant roi plus de droit divin, il entrait de plein exercice dans une logique d’inspiration républicaine, le temporel l’emportant. Ce sentiment fut partagé par de nombreux monarchistes « libéraux », mais et c’est là précisément toute la difficulté. D’abord les approches peuvent se nourrir de ce qui a pu se passer en Grande-Bretagne avec ses successives révolutions ou bien aux États-Unis dans sa prise d’indépendance. Sauf, que la cour sise aux Tuileries et artisan en la matière, n’en a jamais pris son parti et a passé son temps à tremper dans des conjurations sans lendemain et commettre les pires trahisons. Ne comprenant pas cette masse incontrôlable, que l’on nomme le Peuple dans sa quête de l’unité impossible.   

Autre terme qui peut aussi poser question est l’
État-nation? L’objet est de savoir si le mouvement révolutionnaire français en a été le dépositaire ou l’édificateur? A cela, il est difficile de ne pas émettre quelques réserves et la première est que ce concept philosophico politique est en œuvre ou en cours depuis au moins Louis XI et Colbert, le maître d’œuvre d’un objet, non plus théorique mais en pratique. De plus, il n’a pas existé de changements fondamentaux dans le fonctionnement des administrations dans la première séquence (1789-1792), il s’agit avant tout d’un tournant politique. Et deux idées conceptuelles se font face : fédéralisme ou centralisme? En l’état, c’est un retour des pouvoirs bourgeois dans l’organisation de la cité et la victoire éclatante d’une minorité possédante. Comme il a pu être déjà expliqué, non seulement la France rattrapait un sérieux retard sur les Anglais, mais en plus les richesses déjà concentrées, en sortirent renforcées par les aubaines sur les propriétés de l’Église gallicane et les biens des émigrés en fuite.

La première révolution finalement marque la fin d’un cycle et la naissance d’un nouveau


Il n'est pas possible d’aborder le républicanisme sous ses différents angles. Il s’agit d’un sujet d’une grande complexité demandant une somme de connaissances juridiques, philosophiques et économiques qui demanderait quelques années de travail et de compréhension d’un langage spécialisé dont l’entendu n’est pas simple à mettre en forme. N’étant pas épistémologiste non plus, nous nous limiterons à l’analyse des courants d’idées ou sensibilités politiques et évolutions historiques. Ce sera la grille de lecture obligée pour saisir ce questionnement : c'est quoi la République?

La chose publique était dans son entendement premier en relation avec l’organisation de la cité et touchait à l’organisation de l’armée romaine par exemple. Plus largement, il s’agit de l’organisation d’un État et de fait concerne le fonctionnement des lois depuis au moins deux mille cinq cent ans. De l’Antiquité avec la République de Platon en passant par l’empire Romain, jusqu’à la res-publicae carolingienne, le terme est utilisé, mais ne reflète pas une unité de vue ou de conception. Toutefois pour définir ce qui ressemble à une approche surtout juridique, il est retenu la notion de loi publique. Au demeurant la république est ce qui organise la loi, et le terme est valable aussi bien pour un régime républicain que monarchiste.

La république telle que nous la vivons aujourd’hui trouve différente forme la qualifiant, à laquelle sont associés les mots, de démocratique ou de sociale, et libérale. Trois approches conceptuelles différentes et permettant de s’interroger à savoir à quel républicanisme, il est fait référence au moment de la Révolution? De nouveau, la perception peut sembler confuse, nos républicains sont tous issus d’écoles de pensée philosophique et à ce sujet nous nous en tiendrons aux physiocrates pour l’antériorité, le courant économiste des encyclopédistes né sous Louis XV. Il est très grossièrement le canal « libéral », mais là au sens économique et demande à maîtriser les pensées de Hobbes, Hume, Helvétius et tout ce qui peut référer au droit naturel et à des points très opposés, l’un s’appuyant sur le droit naturel, ou le droit de tout être est de posséder et de s’enrichir en fonction de ses mérites et pose en substance la défense de la propriété privée.

En opposition à une idée autre du droit naturel à disposer ce dont l’humain a besoin pour vivre, intégrant une plus juste répartition de la propriété, mais toujours en défense de celle-ci. Le "communisme" de Rousseau est celui de la petite propriété pour tous et très éloigné des dogmes en la matière, et inapplicables à ses vues pour un pays si peuplé. Pour lequel, il préconisait une assemblée élitaire. Sinon adaptable à une perception communaliste ou pas très éloignée de la ville et
état de Genève dans ses formes, ou dans l’idée des cantons, sur ce point, il a peu différé de Voltaire sur la nécessité d’un pouvoir fort et pyramidal à l’échelle de la France.

Plus prosaïquement, le précurseur « libéral » fut l’intendant aux finances, M. Turgot, et ce fut un échec pour au moins deux raisons. L’une, les dérapages des prix ont provoqué des émeutes ou des révoltes et cela a attisé la spéculation. L’autre fut que l’on puisse parler d’économie dans un régime suradministré, ou déjà en parti centralisé. Cela par évidence aurait dû nécessiter des changements progressifs. Les libéralisations abruptes de l’économie sous Turgot, tout comme en 1789 et les années suivantes, ne purent qu’être d’une grande instabilité et touchant de facto les plus faibles économiquement. La particularité du (pré)capitalisme n’a jamais résidé dans ses équilibres systémiques, les deux banqueroutes du siècle ont laissé des traces dans les foyers parisiens, notamment avec l’apparition du Mont de Piété. Et donnant dans ce préalable à la famille d’Orléans d’avoir été précurseur en la matière avec le régent Philippe en faisant de John Law son ministre des finances. Mais aussi le créateur de la compagnie des Indes qui révéla lors de la seconde révolution un très gros scandale financier et poussa à son démantèlement.

L’héritage dit libéral dans l’économie fut une somme de désastres et de calamités toujours pour les plus en bas de l’échelle. Il faut attendre la révolution pour voir grandir des approches autres et ne concordant pas à la vision qu’imprimèrent les physiocrates. Il ne suffisait pas d’ouvrir à tout vent le marché interne et mettre en œuvre une monnaie (folle)? Fallait-il remplir les poches de ceux qui ne demandaient qu’à participer de cette économie de l’abondance prôné par Jean-Marie Roland ; en redistribuant les fruits communs à un très large éventail de la population. Existait-il une pensée économique véritable? Il faut exprimer beaucoup de réserve, pas plus que de parler de sciences ou de pensée véritablement scientifique dans un monde où le scientisme dominait et domina encore un bon siècle. Et est-ce que l’économie est une science?  Cela ouvre à un débat que nous ne réglerons pas ici.

Il est intéressant de découvrir que le processus a fait naître, deux approches progressistes ou plus équilibrées dans la répartition des biens. L’on peut voir par ailleurs avant que naisse l’anglophobie et tout son vocabulaire, tout comme l’anti-américanisme, la puissance d’attraction des idées d’outre-Manche ou de l’autre côté de l’Atlantique auprès de la moyenne et grande bourgeoisie et d’une partie des aristocrates orléanistes ou simplement « Lafayettistes ». A une réserve près, Lafayette a joué la légitimité des pouvoirs au point de s’y noyer corps et âme. Les nuances ne sont pas minimes, elles permettent de comparer les conceptions en jeu, et les approches républicaines démocratiques et sociales n’échappent pas à des distinctions, politiques et économiques.

D’abord une plus juste répartition, et l’idée de Thomas Paine d’un salaire universel dès 1795 était en soit un principe de répartition de la richesse, et, en ce domaine, les républicains sociaux allaient faire de la propriété un enjeu collectif, pas au sens collectiviste du terme. Ce qui permet de nos jours de distinguer différentes natures d’organisation étatique, avec ce qui relève d’un état de droit, social ou pas. C’est-à-dire, une organisation fondée sur les bases d’une intervention publique dans le champ social, et opératoire pour limiter les excès des libéralités économiques. Ou bien, sur l’idée basée de ne pas intervenir et laisser la concurrence agir entre les individus, à la valeur des mérites personnels. Le résultat d’une logique qui n’en reste pas moins le fait de l’héritage, ou des héritiers des valeurs trébuchantes se cumulant de génération en génération !

Mais pourquoi républicanisme social et/ou démocratique n’ont-ils pas fait une cause commune? Il faut pouvoir l’apprécier non pas seulement à l’aune des temps présents, mais aussi et surtout nous concernant avec cette multiplicité conceptuelle bien déroutante, et pourtant bien porteuse de déséquilibres et d’incompatibilité qui tient surtout à des réalités sociales et humaines. Oui, il existe des embryons de la lutte des classes, c’est un des enfants de cette révolution, néanmoins en faveur de la petite et moyenne bourgeoisie. L’enjeu public allait se faire sur le dos en parti des plus opprimés et facilité des expressions proprement réactionnaires et même les enraciner dans la société française.

La gauche embryonnaire de 1792, si elle peut trouver sa continuité dans le mouvement ouvrier, elle bifurqua fortement en des camps sociaux bien plus distincts, entre un rêve d’égalité totale et un strict respect des lois dans l’accomplissement des règles ou principes des droits de l’Homme et du citoyen. Les masses paysannes, ouvrières et ses sous prolétaires qui auraient pu faire un. Ils ne furent que l’expression muette ou utile à brandir, le résultat d’une lutte de classe entre bourgeois et pour des intérêts de même.


Que peut-on retenir de positif des quatre premières années d
e liberté ?

Je crois qu’à force de montrer les aspects négatifs avec les suites et évolutions de la première révolution, il est utile aussi d’en souligner les points positifs. Quatre années se sont écoulées, que de chemin parcouru sur le plan légal, même si certaines lois maintiennent un régime autoritaire et inégalitaire. Nier les avancées générales en rapport avec ce qu’était l’absolutisme ne serait pas d’une très grande honnêteté et ce qui a pu être gagné grâce au soulèvement des forces populaires engage aussi en son sein de nouvelles espérances. Cet héritage légal ne sera jamais remis en cause, et ne pas cessera d’évoluer au fil de temps et de nos regards. 

La Révolution est un condensé de temps ou tout d’une certaine manière, tout a été expérimenté ou été en incubation. Sur le plan politique, le passage d’une monarchie constitutionnelle à une république marque une étape décisive. La période allant suivre, à partir de la mi-août étant si confuse, et les propagandes si actives, la seule évocation de la condamnation à mort de Louis XVI en viendrait à lever des torrents de plumes et d’histoires. Il faudrait utiliser au regard des apologistes de l’ancien régime le terme de culpabilité à l’égard des combattants pour la liberté (ou la mort), quand tout démontre la trahison de la famille royale et ses plans contre sa propre Nation dans ce qu’elle a de souverain ou de sacré. Comme l’objet à observer n’est pas de dresser une liste de martyre d’un camp ou d’un autre, il importe de saisir les aspirations sociales et les déséquilibres entre une minorité de très riche et un nombre imposant de gens dans la misère ou des logiques de survies.

La mort votée en fin d’année de Louis Capet, si elle peut faire encore frémir, elle est difficilement contestable si l’on se chausse des lunettes de vue de l’époque, au regard des faits et en évitant de les manier à des fins psychologiques. L’émotion n’explique pas pourquoi l’Assemblée et ses juges le condamnèrent, nous sommes loin d’un pour ou contre. N’importe quelle cour de justice à époque comparable et encore de nos jours dans certains pays, Louis Capet aurait obttenu la même décision. La trahison ou la compromission avec un ennemi, se serait soldée par une exécution. On peut avoir l’impression que l’infamie du geste est à porter comme d’une croix, quand les crimes en reviennent aux accusés eux-mêmes.

Plus la corruption que tentèrent les époux royaux auprès de leurs gouvernements fonctionna du même ressort, nuire aux intérêts des classes bourgeoises ou pas. Il s’agissait de miner l’autorité publique et de reconquérir les pouvoirs perdus. Le peu qui avait été grignoté et avait ébranlé les fondements antérieurs par le rapport de force établi de haute lutte. Le mouvement populaire ne pouvait plier si facilement. La ruine morale de la Cour auprès des citoyens des villes et pas seulement de Paris, à l’ouverture de l’armoire refermant les correspondances du roi (en novembre), ceci venait comme une confirmation sur le double ou triple jeu opéré.

La relation à ce qui tenait lieu d’étranger ou hors des frontières, qui jusqu’alors chantait au son de l’universel, allait déchanter avec la guerre constituée. La Nation n’était plus en soit un acte, elle devenait un enjeu collectif et personnel, et elle créait les conditions pas seulement d’une mobilisation, mais impliquait un engagement individuel en tant que « François », qui en l’état faisait plus figure d’abstrait que de communauté de destin. Bien sûr, l’ordre social varia peu et les contestations ou refus de rejoindre les troupes fédérés peuvent donner l’idée d’une mobilisation pas toujours acceptée, voire compréhensible. Nous sommes face à des facteurs individuels d’adhésion ou pas à un nouvel ordre politique en construction. L’idée de citoyenneté à cette étape est une notion neuve, elle assure l’expression de tous les entendus politiques.

Nos révolutionnaires inventèrent presque de toutes pièces cette nouvelle organisation de la société, qui a tout d’un jeu de mécano face à l’économie et aux frustrations sociales. Qu’est-ce que la république? Vaste réflexion prenant forme dans l’Antiquité et qui dès la fin du Moyen-âge  à ses adeptes et débatteurs au sein des élites et cours européennes. Que l’on puisse s’interroger sur l’État-nation est naturel, mais là aussi un écueil, en ce domaine, la révolution n’innove en rien, elle suit ou confirme le brassage des pouvoirs entre deux classes sociales dominantes, dont avait saisi toute l’importance Louis XI en son temps. L’État-nation, tout comme la république ne sont pas des idées nées du processus, ce serait quelque peu réducteur.

C’est au sein des classes bourgeoises entre grandes et petites que les intérêts sont devenus discordants et tendus pour l’appropriation des pouvoirs. C’est à cette sphère sociale qu’il faut s’attarder à la fois pour comprendre les contradictions entre deux groupes sociaux et les intérêts qui ont primé, c’est-à-dire des intérêts de classe propres et très lointains des classes miséreuses, paysannes ou ouvrières. Il s’agit d’un huis clos social, sa nature révolutionnaire trouve un prolongement en la mobilisation des plus démunis ou de la majorité, mais au prix de s’en arroger les pouvoirs et de clarifier le contrat social en de nouveaux principes un peu plus égalitaires.

Retour et éclaircissements sur l’année 1792 !

1792 est une année riche, trop même pourrait-on dire, parce que le basculement institutionnel n’est pas terminé, et dans une certaine limite, il ne fait que commencer à partir du 10 août, qui plus est le 21 septembre. A l’Assemblée durant l’hiver 91-92, ce sont les Brissotins (ou amis de Brissot de Warville) qui au sein du Parlement prenaient peu à peu le dessus des débats et s’alliaient de mars à juin avec les Feuillants. Ces derniers se sont écroulés au cours de l’année, les mauvaise nouvelles de l’économie, le renchérissement des denrées et la baisse significative de la valeur des assignats, sans parler des trafics et fausses impressions ulcérèrent les braves gens. La gronde a connu divers indicateurs et la question de la guerre a été un sujet de division au sein de la gauche parlementaire, de même au sein de la population. Et qui trouva une issue assez paradoxale, ce sont les partisans de la paix qui se mirent à sonner le temps de la mobilisation nationale face aux menaces d’invasion.

C’est aussi l’année de la naissance de la Commune insurrectionnelle, et celui de la Première république dans des conditions assez incroyables au mois de septembre. Du moins, c’est la partie qui a concerné longtemps ce que qualifia Jean-Marie Roland de « voile pudique » pour un massacre restant encore en parti à dévoiler. Sur cet aspect, le grand Jaurès et comme d’autres, ont trop tenu compte des assemblées locales et nationales pour ne pas se plonger assez dans le quotidien des prisons d’une affaire qui préfigure, ce que l’on nomma la « Terreur ». Plus que jamais la presse allait tenir une place malaisée, pour au fil des jours apporter de multiples avis ou connaître les foudres de la censure.

L’an passé, Marat avait passé une bonne partie des derniers mois cachés et la diffusion de sa prose connaître de grosses difficultés jusqu’en août 1792, où il porta une attention toute particulière aux presses royales. Il devenait un patron de presse, tout comme Hébert, pour Marat avec l’appui de Danton et sortir de sa situation semi-clandestine. Après un gros moment de fatigue Robespierre était de nouveau dans l’arène en décembre dernier, du moins ce fut aux Jacobins qu’il délivra au moins quatre discours contre l'entrée dans un conflit guerrier, dont trois en janvier, il en fit son cheval de bataille les mois suivants. Puis face à l’urgence, il se rallia à l’objectif de défendre la Nation face aux intentions belliqueuses des royautés et empires voisins. Ce changement de ton ou d’appréciation n’était pas un opportunisme, et il importe de rendre à César ses lauriers...

Sans Danton, il n’était pas sûr que la République puisse naître. Sans la force de son discours et cette volonté, un, de ne pas quitter Paris, deux, d’organiser la mobilisation d’une garde nationale élargie à tout homme de plus de 21 ans face aux trônes européens changea le cours des choses, mais à côté la mécanique populaire n’était pas homogène. Souvent, la capitale sembla en avance sur la prise de conscience des menaces, l’écho d’une partie ou d’une autre de l’hexagone, l’accueil favorable était aléatoire d’une région à une autre. Le processus électoral qui intervint lui aussi début septembre donna à Paris une configuration propre et penchant en faveur des Montagnards. Le versus fédéraliste a aussi eu de fortes implantations en Province et allait donner plus d’une centaine d’élus à la Convention républicaine, à ceux que l’on désigne comme la composante Girondine, qui siégea à la droite de l’hémicycle.

Pour autant cela n’entre pas dans l’ordre d’un échiquier gauche/droite classique, comme nous l’entendons. Avec la disparition des Feuillants, le masque était tombé sur les intentions et s’ouvrit une nouvelle ère politique. Certes courte, mais dont la densité mérite que le travail parlementaire soit au mieux cerné. Et en quoi, il s’opéra un changement institutionnel profond. Ce qui était acquis et même dans la bouche du roi, c’est que la loi mettait des limites à son exercice, toutefois pas dans les termes où il a pu l’envisager. La question du veto royal, dont il fit un outil d’opposition provoqua des irritations et un rejet massif de la petite bourgeoisie parisienne artisanale, ouvrière et pauvre. De plus la ville allait perdre nombre des ces habitants les plus riches, il exista un petit exode des quartiers chics comme il en fut en 1871, là c’est la noblesse qui par lot se rallia aux Bourbon exilés et qui firent des mimiques de Cour à Coblence ou Mayence, mais qui ne furent que des hochets que l’on agita sans véritables prises sur le cours des choses.

Les échanges, ou correspondances royales délivrèrent les actes d’accusation pour trahison contre le couple Capet. Un monde allait s’évaporer et signer l’acte de fin de l’ancien régime, que l’on confond trop avec l’absolutisme dont l’acte de décès date de 1789, an I de la liberté. Le triptyque républicain vient y rajouter sa part de fraternité et d’égalité. Sur la part institutionnelle, nous y reviendrons l’année suivante, nous sommes dans une année de rupture et de transition vers une forme universelle du pouvoir, et posant les bases d’une plus juste répartition des « biens » par l’acte légal, et ce que l’on peut appeler des réformes sociales et culturelles.

D’une manière assez générale de 1789 à 1795, il importe de préciser que parmi les orateurs des Assemblées nationales, ce sont souvent les mêmes qui intervinrent, soit environ une cinquantaine de députés, plus les interventions du président de séance pour ponctuer les débats et l’organisation des votes. Régulièrement des pétitions furent lues et renvoyées en commission, le travail parlementaire connu toutes ces années une activité quasi permanente. Sept jours sur sept, du matin au soir et dans la nuit, le Parlement siègeait et les commissions ou comités élaboraient de nouveaux textes préparant des amendements à des lois, et ses décrets.

Seule la constitution resta intangible, quoi qu’en cette année 1792, elle a eu ses défenseurs et passa à ce que l’on nomme, la Convention aux vœux de Maximilien Robespierre à la fin du mois d’août, Danton et le club des Cordeliers le précédant dans la demande (ou La société des Amis des droits de l’Homme et du citoyen). Ce rythme fut du pareil au même au sein des instances parisiennes avec le département ou la commune, ces volumes d’activités trouvèrent de multiples ouvrages recensant l’essentiel, sans omettre les motions des sections et discours dans les clubs ou sociétés populaires.

Pour l’année 1792 qui devrait être l’année républicaine par excellence. La mise en place d’une grille de lecture des événements, dans cette ébauche chronologique sont venus s’ajouter de nouveaux apports et avec de nouvelles sources. Une occasion pour citer l’un des premiers grands patrons de presse et éditeurs en la personne de Charles Panckoucke. Si l’on cherche un parallèle avec un éditeur plus contemporain, on peut penser à Gaston Gallimard le siècle dernie. Il a contribué à l’édition de Buffon, ami de Diderot il influa le mouvement encyclopédique et être son artisan. « L’Encyclopédie méthodique, dite "Panckoucke" fut publiée par Charles-Joseph Panckoucke puis par sa veuve et son gendre entre 1782 et 1832, et fut l’œuvre d’une centaine d’auteurs. Elle compte plus de 200 volumes. » (source BnF) Il disposera de tous les droits de publication de Voltaire, de Rousseau, néanmoins sa compagne Marie-Thérèse Levasseur refusa l’édition des Confessions.

M. Panckoucke, Lillois d’origine, avant la révolution amassa une petite fortune et a pu installer sa maison d’édition à Paris, son adresse: « Bureau du Mercure à l’hôtel de Thou », rue des Poitevins, et nous concernant il dirigea deux journaux importants. L'on pourrait presque parler d’un magna de la presse européenne. Son influence est allé au-delà des frontières de la France. Il repris ou rachèta la charge vers 1785, du Mercure de France qui dest devenu le « Mercure Français » à partir de 1792, jusqu’en 1799 avec 15.000 abonnés. Son contenu était d’inspiration monarchiste, et la Gazette de France ou le Moniteur Universel d’inspiration « patriote » et fut fondé fin de l’année 1789 par ses soins. Un titre qui perdura pendant plus d’un siècle. L’originalité de ce quotidien fut de consacrer ses premières pages à l’actualité internationale… Certes avec le décalage sur l’arrivée des nouvelles qui peuvent se compter en jours ou en semaines, voire en mois selon la distance parcourue.

Le Moniteur Universel fut aussi le journal des débats parlementaires avec un léger temps de retard et il existait un suivi de l’actualité des théâtres parisiens, comme élément du quotidien par l’annonce des pièces jouées et les lieux de diffusion. C’est en quelque sorte, le périodique officiel ou d’état du moment, et ce qu’il faut souligner Charles Panckoucke s’était entourer d’un grand nombre de journalistes ou de plumes, on y retrouve, Jacques Mallet du Pan protestant et Genevois, au-delà de son rôle de propagandiste contre-révolutionnaire, il fut surtout espion et commissionnaire du roi auprès des cours européennes. De même, l’on retrouve comme journaliste, Joseph Garat, le grand maître du sophisme à toute épreuve et futur ministre de l’intérieur en 1793, et avocat de formation. Ce qui ressemble à vouloir mettre tous les œufs dans le même panier ou une manière habile d’être en bon terme avec la bonne société parisienne… et ses multiples composantes ou individualités politiques.

 

L’année 1792, et la question de la Terreur


L’objet de ce travail n’est pas de construire un récit, mais d’apporter suffisamment d’éléments d’appréciations pour un public s’interrogeant sur la Révolution française. L’année 1792 et les années qui ont suivi ont été marquées par une terminologie : la « Terreur ».  Elle a eu et continue surtout à
t frapper les esprits et dans une certaine limite à ne pas se questionner sur le contenu des événements. Si le mot est utilisé surtout pour illustrer 1793 jusqu’à la chute de Robespierre et ses proches, parfois jusqu’à la nausée, il trouve son terreau dès le mois de septembre et ce qui reste encore une part obscure de notre histoire nationale. Même si le sujet a été rebattu et souvent selon le même son de cloche, les massacres intervenus à Paris sur une période courte de 96 heuresont été à l’origine d’une réalité terrifiante, et finalement peu connue.

La raison d’origine était des recherches sur les prisons et asiles depuis le Moyen-âge, j’ai mis un temps ce travail entre parenthèse pour aborder ce que certains considèrent comme une conséquence de l’état de guerre. L’ennui, même si l’idée permet allègrement de botter en touche et de se référer au cadre global de la période, se limitant à une conséquence parmi d’autres facteurs sur cette colère populaire, spontanée ou pas?  Si l’on veut un jour dépasser cette notion sur un état des choses, il faut pouvoir accepter que l’Histoire ne s’exerce pas par une opposition binaire (bien/mal ou gentil/méchant), mais dans la nuance et le discernement. Sans vouloir rejeter la part sombre, désignée cette période avec un terme si réducteur conduit à faire rentrer dans des cases, ou se satisfaire de stéréotypes, en oubliant au passage ce qui a pu être lumineux, et l’on se satisfait à ne distribuer que des bons ou des mauvais points.

Que l'on puisse apprécier ou aimer tel ou tel personnage importe peu, même s’il est difficile d’échapper aux coups de cœur, faut-il donner des éléments à lire et à analyser dans un contexte au mieux défini. Comme beaucoup, j’ai longtemps pensé que la Révolution française devait être prise avec distance et l'ananlyser dans un long temps et en lui collant une idéologie purement bourgeoise. Sachant ce qu’elle a pu susciter tout au long du XIXe siècle comme balbutiements historiques et par ailleurs un retard sur la compréhension des écrits de Marx contrairement à nos voisins Allemands ou Anglais plus proches de ses thèses. Le mouvement ouvrier français ou sa relation à la Révolution a été et reste un élément de division ou de contradiction quasi permanent. Et si l’on pose les différents courants de pensée s’y référant, l'on découvre par ailleurs son influence aussi bien chez les chartistes britanniques, que les sociaux-démocrates en Allemagne.

A une différence non négligeable, il existe une plus grande homogénéité partisane et la particularité française se trouve en ses divisions et chapelles multiples. Le processus permet de remonter le fil des grands courants de pensée et dater ou souligner les précurseurs de ce qui constitua un début de "front de classe", avec l’émergence d’une "avant-garde" plus ou moins éclairée et aussi des cyniques. La particularité est, qu’une même génération politique s’entredéchira, puis se détruisit, laissant un boulevard aux intrigues et à la haine. A ce petit jeu, les plus « purs » par une forme d’innocence allaient périr dans une folie communicante. Cette ambiance politique et sociale s’apparenta plus à un "syndrome paranoïaque", où tout le monde devenait suspect à l’égard de tout le monde, où la presse et la propagande ne faisait qu’un. Et une simple délation pouvait mettre en péril une vie, ce fut dans ce chaos invraisemblable que naquît et évolua la première République.

Les événements significatifs se passent en mars avec l’arrivée d’un gouvernement où les Girondins détiennent quelques portefeuilles ministériels comme l’Intérieur et les affaires étrangères avec Dumouriez. En avril, la guerre était déclarée et nous entrons dans plus de vingt années de conflit, jusqu’à la restauration monarchique de 1815. En juin, éclatait à Paris des heurts avec les monarchistes et s’en suivait la démission du ministre M. Roland, ne laissant plus que des Feuillants aux manettes. Les mois d’août et le mois de septembre engageaient à la fois l’arrestation de la famille royale et son emprisonnement à la prison du Temple, ainsi que la chute de la monarchie. S’en suivirent de nouvelles élections locales et nationales, et la mise en route d’une nouvelle constituante qui déboucha sur la proclamation de la République (hors conflits).

A la fin de l’année la condamnation à mort de Louis Capet, clôt ce qui allait abondamment alimenter la propagande et servir d’exemple en transformant un traître en martyre de la cause royaliste. Sur le thème perdurant d’un si brave homme aux mains de soiffards de sang ne s’en prenant qu’à la noblesse et au clergé et pour preuve, ce qui allait suivre comme horreurs et violences commises sous le règne de la « Terreur ». Et encore, je vous ramène à des éléments synthétiques, à ce que l’on peut entendre ou lire sur internet. Sur le thème « c’était mieux avant », il faut en rire dans un premier temps, tout en réfutant une bouillie intellectuelle très en vogue.

En l’état, les attaques à jet continu d’erreurs ou d’amalgames permettent de dénoncer et faire réapparaître certains apologistes délirants, plutôt que d’expliquer ou d’apporter des preuves signifiantes sur ce qui a alimenté des décennies de mensonge ou de malveillance.

Pas facile pour les historiens et chercheurs de faire ressortir la richesse intellectuelle et qui plus est une vérité historique. Les travaux de qualité (et ils ne manquent pas) sont peu lus ou d’un accès compliqué, ce qui tend à renvoyer sur des farfelues un public en demande d’information rapide ou à consommer vite. Cet enjeu de transmission n’est pas là pour expliquer en quoi la république est bien supérieure à un régime monarchique, mais que chacun puisse s’emparer des bonnes sources et construire son propre jugement à bon escient. La tentation d’ériger ses propres analyses en dogme est la source du problème. L'enjeu est de pouvoir s’adresser à un public le plus large possible et donner à certaines figures de la révolution un éclairage au plus près des faits.


Jacques Roux et les Enragés vont cette année apparaître au grand jour à Paris

Le vicaire Roux fait partie de ses angles morts peu traités pendant de longues décennies. Il faudra attendre les travaux de Jaurès, de Mathiez et plus tard après la seconde guerre mondiale de Daniel Guérin pour le sortir de l’ombre ou des ornières. Serait-il le père tutélaire de toute la gauche radicale, libertaire et révolutionnaire, la question se pose?

« Chose curieuse! Louis Blanc ne fait que mentionner en passant, dans son récit du mouvement de février, Jacques Roux : il ne voit pas du tout le sens social de ces journées; il croit qu’elles sont presque uniquement dues à l’intrigue de l’étranger, à l’or de Pitt qui avait besoin qu’il y eût des troubles à Paris. C’est un procédé de polémique à peine supportable chez des contemporains. Ce n’est pas un jugement d’histoire. Louis Blanc ne comprend pas l’instinct des foules, la spontanéité du peuple. Et quand des événements ne rentrent pas dans le cadre de révolution qu’il s’est tracé, quand ils lui paraissent contrarier le plan révolutionnaire, il y voit aisément une intrigue de l’ennemi. » Dans son histoire socialiste, Jaurès se réfère à février 1793 et il rajoute que Thiers n’en fait même pas mention et sur Michelet il dit de lui qu’il « a une admirable intuition des forces secrètes et profondes qui cheminent sous la Révolution. Il a, d’une façon générale, très bien démêlé le rôle de Jacques Roux. Il a bien vu « ce germe obscur d’une Révolution inconnue dont la révélation plus claire se marqua plus tard dans Babeuf ». Mais il n’a pas aperçu les premiers tressaillements de ce germe ».

Une grande souscription a été lancée pour une nouvelle édition de l’Histoire socialiste de la Révolution française (acronyme RF) de Jean Jaurès, il est aussi possible de trouver de plus vieilles éditions en ligne et donne l’occasion de mentionner son apport. D’abord c’est un très gros pavé et il rejoint les auteurs prolixes. Il est probablement le plus honnête des auteurs (ce qui ne veut pas dire que les autres ne le sont pas!).

Lorsque Jaurès précise le terme socialiste, il le fait au regard de l’histoire du mouvement ouvrier, et à travers une grille de lecture analytique et critique, pas si lointaine de Marx, qui lui n’acheva pas son travail sur le sujet. Néanmoins, Jaurès s’approche des thèses qualifiées de marxistes (et plutôt postérieures à son travail) la connaissance remarquable qu’il déploie trouve lien avec son mandat de député. C’est au sein de la bibliothèque de la chambre qu’il s’intéressa tout particulièrement aux débats des différentes assemblées : La Constituante, la Législative et la Convention, nous concernant. Il en ressort une analyse difficilement contournable et qui vaut d’être citée comme l’histoire la plus juste ou proche de la vérité historique pour son époque.

Jaurès en tant qu’analyste politique  a été bien meilleur que Louis Blanc, qui malgré ses 18 ans d’études fit des erreurs assez grossières. Il fut plus subtil qu’Alphonse Aulard, la grande référence de la fin du XIXe siècle, bien qu’historien, celui-ci avait pour inconvénient d’être le porteur des tables de la loi du régime de la troisième république, une orthodoxie républicaine finalement assez commune et dont les fondements seront remis en cause par les travaux d’Albert Mathiez à partir de 1907.

Le député du Tarn est le seul à apporter une somme, si conséquente sur les travaux parlementaires et sa force est de les relier à l’activité sociale et politique. Néanmoins et comme beaucoup, le mois de septembre (et ses noirceurs) passe un peu vite à la trappe, ce qui a été le poison originel de la Révolution populaire : le déchaînement des violences. Et si une période engagea une peur certaine dans toutes les couches de la population, la période commençant le 10 août et pendant quelques semaines fut très tendue et meurtrière pour tous les camps. De fait de nombreux royalistes passèrent dans la clandestinité, les avis furent très contrastés et purent balancer ou changer de camp.

Notamment le milieu du journalisme parisien, la liberté d’expression se voyait menacée. Jaurès sans équivoque ne s’en réjouissait pas et fit part de son désaccord. Chacun pouvait du jour au lendemain devenir suspect. Faut-il occulter les aspects sombre le mois ou la République prenait place? Comme beaucoup, il constata les divisions, dépeindre avec intelligence le rôle de Danton dans cette panique générale, narrer tous les événements de cette période avec tact et précision. Son histoire politique n’est pas teintée d’amertume ou d’une vue partisane limitée. Mais ce qui m’a engagé dans ce travail réside dans une clef, la place des prisons et justement comment en 96 heures, début septembre à Paris se perpétua environ 1.400 exécutions après des jugements sommaires et sans qu’on sache vraiment qui furent les commanditaires. Malgré une somme souvent répétitive, voire limitée et partiellement fausse, ou voulue en tant que telle, de comment se passèrent les massacres.

Le nombre d’ouvrages qui ont pu être publié sur cette séquence sont légions et ils négligent un fait pourquoi l’oubli des 700 prisonniers de droit commun, dont une cinquantaine d’adolescents et jeunes adultes? Pour ce qui passe pour un massacre d’aristocrates et de curés réfractaires (environ 300) a souvent objecté les roturiers ou simples quidams.  Cette sombre histoire allait miner la fragile unité des républicains, à partir de cet événement et des multitudes de raisons individuelles pas toujours glorieuses.  Qui plus est sur la base d’une martyrologie, ou par exemple Madame de Lamballe, morte à cette occasion et pour des raisons différentes a droit au pire des scénarios sur ce qui a pu advenir de sa dépouille.

Ou comment horrifier les lecteurs et c’est à tous ces détails souvent bien glauques, auxquels il faut prendre garde et vérifier l’à propos, comme si, il y avait de quoi en rajouter sur une horreur narrée par certains rescapés. Cela donna le scénario idéal de propagande pour la contre-révolution. Et ainsi que la papauté, qui plus tard béatifia
les siens. Cependant pourquoi une telle violence? et de quoi s’interroger sur un événement, non pas de troisième ordre ou anodin, mais comment de la sidération du premier jour (le 2 septembre en fin de journée), par l’action des « Septembriseurs » (environ 200 à 300 massacreurs recrutés), des contestations légitimes sont nées et ont alimenté jusqu’en 1797 des actions de justice et des débats à l’Assemblée. Surtout de ce phénomène sanglant naquit une division irréversible entre les dits girondins et montagnards. 

Hormis les  auteurs déjà cités et libéraux comme Jules Michelet et le massacreur de la Commune de Paris de 1871, M. Adolphe Thiers, dont le libéralisme laisse songeur et son travail d’historien est plus que contestable. Cependant, quel exemple pour expliquer, que même si Thiers est un acteur politique engageant peu de sympathie de prime abord, il est difficile de faire l’impasse sur un apport, même contestable. Il s’agit de faire ce qu’est amené tout historiographe en herbe, lire des écrits de toute nature et savoir prendre en compte de cette manière les différentes approches existantes, comme il en va des historiens ou agents et rédacteurs contre-révolutionnaires du processus.

Pareillement, il existe aussi au XIXe siècle des auteurs moins connus et qui ont pu avant Jaurès apporter quelques livres à retenir, entre autres d’Etienne Cabet, lui aussi socialiste et né l’année des Etats-généraux, il entre dans la catégorie des socialistes utopistes et auteur d’au moins deux ouvrages sur la Révolution. Et d'autres déjà cités. Il existe parfois des surprises, des analyses à retenir ou des éléments aidant à saisir certains événements et aussi des réponses quant à l’état d’esprit d’une partie de la société et de son rapport au mouvement global et général.

« Il fait remarquer que Louis XVI et la Cour favorisent évidemment les émigrés, et que les émigrés prennent les armes au nom du Roi et de la Noblesse française. Il rappelle la conduite du Ministère depuis le commencement de la Révolution, ses prévarications et ses perfidies, ses ruses et ses violences, sa trahison formelle et son machiavélisme. Il soutient que, la Cour étant le plus grand ennemi de la Révolution, la guerre est, dans ces circonstances, le plus grand fléau de la liberté ; et que ses ennemis du dedans conspirent avec ceux du dehors pour amener, par la guerre, une transaction, une capitulation... « Voilà, si je ne me trompe, dit-il, les vues de l'intrigue Ministérielle. J'en suis si convaincu , par les plus simples réflexions que le bon sens suggère à ceux qui sont instruits des intrigues de la Cour, que je crois être aussi sûr de ne pas me tromper que si j'étais membre du Club de Richelieu (ou des feuillants), de l'hôtel Marcillac, et de tous les cabinets de conspirateurs. » Nous verrons, plus tard, s'il devine juste ! Mais, quoique Brissot ait un parti nombreux qui l'applaudit, Robespierre obtient des applaudissements universels.

Néanmoins, la timidité ou l'envie n'est-elle pas le véritable motif de Robespierre? «Le timide Robespierre », à dit M. Thiers, « s'effraie-t-il de la guerre? » Ou bien ne « la combat-il que parce que ses rivaux, Brissot et Louvet, la soutiennent avec talent? » C'est-à-dire, suivant M. Thiers, que Robespierre ne repousserait l'initiative de la guerre que par une méprisable poltronnerie ou par une basse jalousie ! . . .  Quelle étrange conjecture, quand il y autant de bonnes raisons pour que le patriote le plus courageux et le plus sincère redoute la guerre dans l'intérêt de la Patrie ! Quelle singulière impartialité, qui ne veut rien suspecter dans l’ex-comédien Brissot qui prend le faux titre de Varville, et dans Louvet l'auteur de l'immoral Faublas, mais qui veut tout suspecter dans Robespierre! Nous verrons tout à l'heure si Robespierre doit être aussi suspect que Brissot : mais disons dès à présent que Carra abandonne l'opinion de Brissot pour adopter celle de Robespierre ; que Danton, Billaud-Varennes, Dubois-Crancé, C. Desmoulins, Collot-d'Herbois, soutiennent ce dernier ; que tous redoutent la conspiration et la trahison des Feuillants, des Barnave et Lameth, de Narbonne, des Ministres et du Roi ; que tous craignent surtout que la guerre ne donne à Lafayette une véritable Dictature militaire, et qu'il ne vienne, comme du Champ de Mars, écraser les Jacobins et les Cordeliers ».

Source :  Université de Poitiers, Histoire populaire de la Révolution française
Etienne Cabet, tome 1, pages 1065 et 1066 - 1839

Texte de Lionel Mesnard


Affaires diplomatiques

M. Gouverneur Morris
vues et influences d’un ambassadeur
A Washington le 30 septembre 1791 :

« Vous avez vu, que le roi a accepté la nouvelle constitution, et qu’en conséquence il a été remis en liberté. C’est l’opinion générale et presque universelle que cette constitution est inexécutable.  Il lui donne une sorte de carte politique de la France ; le Midi est imbu de principes républicains ou plutôt démocratiques, le Nord est clérical, l’Est est attaché à l’Allemagne et ne demande qu’à être réuni à l’empire (l’erreur est ici manifeste), la Normandie est aristocratique, de même qu’une partie de la Bretagne ; le centre du royaume est monarchique. Les émigrés, qui ont rejoint en grand nombre les princes, sont convaincus qu’une coalition des souverains de l’Europe remettra les choses dans l’ancien état. »

Et il est présumé d’un échec, « je crois qu’ils se trompent bien ». (Un Témoin américain de la révolution française - Gouverneur Morris par Auguste Laugel, 1889 – wikisource). Cette précision n’est pas inutile, car l’équilibre des institutions n’a jamais vraiment fonctionné, provocant des failles et alimentant les querelles de tous les partis, et le regard d’un expert étranger dans les affaires constitutionnelles apporte son lot d’éclairage sur l’entre-deux des constitutions de 1791 et 1793 et ce qui a pu être non appliqué, mais participant du climat général. A ce titre, il nous permet aussi de connaître le temps chaud et orageux, que dépeint dans ses carnets cet œil venu d’ailleurs.

M. Gouverneur Morris devint le ministre plénipotentiaire des Etats-Unis le 9 février 1789, la date de sa prise de fonction jusqu’en août 1794. Son remplaçant fut M. James Monroe au poste d’ambassadeur et le futur cinquième président des E.U. d’Amérique. « Gouverneur Morris est l'un des hommes d'Etat les plus justement célèbres de l'autre côté de l'Atlantique. C'est lui qui, au dire de ses concitoyens, fut le véritable père de la Constitution américaine, car il en rédigea la plus grande partie et son avis prévalut toujours auprès de Washington» ( Préface du Journal de G. Morris par E. Pariset – Editeur et imprimeur Plon-Nourrit et C° – Paris 1901 – source Archives.org). Il ne quitta le continent européen qu’en 1798 avant de retourner à New York, où il est né en 1752 à quelques miles et décéda en 1816. Il a été en 1777 un des rédacteurs d’une clause abolissant l’esclavage avec Robert Livingstone dans la première constitution étasunienne. Sur le plan physique, on le présente plutôt comme un bel homme, mais avec un membre en moins qu’il perdit en 1780 lors d’un accident, il a du porter toute sa vie une jambe de bois et devait lui donner un côté un peu pirate... ou homme de la flibuste!

Voilà ce qu’il rédigea le 1er décembre 1789 et qui est assez édifiant et résume un peu la nature de ses relations avec le pouvoir politique et financier :

« Je prépare aujourd'hui pour M. Necker, au sujet de la dette, une note que je ne pense pas qu'il puisse refuser. Je dîne avec M. Boutin; la société est nombreuse, et le dîner excellent – très recherché. Je m'entretiens longuement avec le comte de Moustier. Il prépare une lettre sur la dette américaine et m'en fait voir les grandes lignes. Je lui explique mon plan, mais sans détails, et il l'approuve parce qu'il va contre les vues de M. Duer et de ses associés, Clavière et Brissot de Warville. J'apprends que M. Short est très content que je me sois déterminé à proposer un plan, et qu'il viendra demain chez moi. Le marquis de La Fayette a parlé à Necker, et ce dernier a promis de ne conclure aucun engagement avant d'en avoir référé à M. Short. J'arrive très en retard au Louvre. Je communique à l'évêque (Talleyrand) mon plan pour la dette, lui disant que je le lui montrerai, car si M, Necker le refuse, il pourra probablement être soumis à l'Assemblée. Jeudi soir nous devons nous rencontrer chez Mme de Flahaut (souvent citée), pour discuter le discours qu'il doit prononcer vendredi matin ».

Avant de venir en France, le diplomate a tenu une place importante dans la rédaction de la constitution de la nouvelle nation. L’ambassadeur tiendra un journal durant ses quatre premières années (89-92), dans lequel il aborde régulièrement l’objet constitutionnel de 1791, sa marotte, il en ressort son peu d’estime à ce texte fondamental, qu’il condamna. Il se trouva partisan d’une seconde chambre, un Sénat plus conforme à l’organisation des pouvoirs et renforçant au passage le monarque dans ses pouvoirs en lui assurant une majorité royaliste (une chambre des Lords). Il a été trait pour trait pour les changements attendus par le général et d’autres monarchistes constitutionnels, l’entre deux que dénote Morris entre ultras et défenseur de la première constitution en l’état de sa rédaction finale.

Dès son arrivée dans la capitale, il se lia à Lafayette (qu’il a pu rencontrer avant sans l’affirmer), à Félix Vicq-d’Azyr (médecin de Marie-Antoinette), il cite son « ami » Talleyrand et a eu une grande influence sur l’entourage du roi, par l’intermédiaire, en particulier avec M. de Montmorin aux affaires étrangères. Voire une complicité manifeste dans certaines sphères monarchistes avec le Lafayettiste, René Terrier de Montciel (un bref temps ministre de l’intérieur en juin et juillet 1792). Vu le jugement d’Hippolyte Taine en entrée en matière pour préface de son Journal et composé d’un appendice de lettres, les corrélations politiques  concernent le camp conservateur et réactionnaire favorable à Louis XVI en des termes fluctuants mais actifs : « Quatre observateurs, ont dès le début compris le caractère et la portée de la Révolution française : Rivarol, Malouet, Gouverneur Morris et Mallet du Pan ».

Nous avons là, la crème de la contre-révolution et divers ingrédients: un journaliste grammairien, un planteur à Saint-Domingue, un diplomate et un espion de Louis Auguste, sans parler d’un historien, M. Taine qualifié de « libéral conservateur » (sur Wikibéral et "néo-libéral" pour suffixe), ceci nous donne la mesure des positions politiques. Néanmoins, ce que l’on peut désigner comme un apport extérieur ou une prise de position très équivoque d’une république à l’égard d’une royauté n’a rien d’étrange. L’on imagine mal, l’allié d’hier et de la guerre d’indépendance qui coûta quelque peu au trésor du royaume et difficultés financières de la France s’en laver les mains du jour au lendemain.

Morris dit dans son journal qu’il a été soupçonné aux E.U. de spéculer sur la dette étasunienne depuis Paris, on pourrait conjecturer sur sa situation et ses intérêts. Il a agi et c’est à son honneur, surtout en raison de sa présence pour un pays avec des rapports ambigus et sous le coup d’une dette qui n’était pas que sonnante, mais aussi morale. Une responsabilité lointaine mais pas sans conséquences lourdes. Il remarqua la préoccupation des Français à faire de bons mariages au titre d’une comparaison subjective, sinon pour les questions d’argent, le concernant, il se verra confier des sommes pour assurer une nouvelle fuite du roi et joua en eau trouble pour sauver la famille royale.

« Le 3 août, M. Brémond m’apporte 5,000 louis d’or, qu’il a achetés… Il me dit que le roi et la reine sont très malheureux et dans de grandes appréhensions… Je trouve lady Sutherland à ma porte. Elle vient pour obtenir un rendez-vous entre moi et le chevalier de Coigny. Je réponds que je serai chez moi demain s’il vient me rendre visite. Il voudrait donner mes idées directement à la reine, sans qu’elles passent par M. de Montmorin. Ils s’attendent tous à être massacrés le soir au château ».

Malgré sa volonté et son influence au sein du Conseil, rien ne va fonctionner comme a pu l’entendre et fera de M. de Montmorin une âme corvéable à ses plans, semblant l’avoir suivit comme une bête à l’abattoir. Ce dernier est mort en septembre, lors des massacres et Morris à son sujet resta laconique, rédigeant le strict minimum.

Dans ses correspondances avec Jefferson ou Washington, il s’en tenait à faire un résumé général des rapports de force en présence et journaux à lire, tel son poste de diplomate, par nature neutre ou au service de son administration, ce qui ne cache pas sa toute confiance dans le roi. Ces jugements très favorables, voire comme défenseur du régime, le poussèrent à se tromper plusieurs fois dans son analyse des crises de l’année 1792 et sur les réussites du monarque en fin de course. Avec son journal, l’on découvre ses positions contre les jacobins et Brissot, et inquiet de la division en trois des légitimistes ou royalistes.

Le document s’achève à la fin de l’année 92 et permet de découvrir sa position sur les événements clefs des années passées et avec parfois des surprises, et face au risque de se faire prendre avec des écrits suspects, il termine un ouvrage permettant d’appréhender les coulisses diplomatiques. Nous sommes aussi dans l’ébauche de ce qui a constitué une politique étrangère. Sinon son journal pourrait tout-à-fait illustrer une chronologie contre-révolutionnaire, sa connaissance ou son approche permet de connaître presque au jour le jour les tensions ou échanges en cours ou autour de la Cour sise au château des Tuileries.

Gouverneur Morris ne pouvait ne pas être objectivement un soutien ou un appui. Du moins s’en tenir à un respect des formes protocolaires et respects des titres, cette interrelation et même intervention de l’Ambassadeur dans les affaires nationales et européennes semble trouver une continuité, si ce n’est un début. Nous n’en sommes qu’au commencement de cette relation riche et parfois caverneuse et tortueuse, qui permet de découvrir certains personnages étasuniens ayant traversé ou connu la révolution à même son pavé. Il cite régulièrement deux de ses agents Short et le colonel Swan, les Américains de Paris qu’il convie à dîner avec Lafayette, mais pas de quoi suspecter une conjuration… De la diplomatie tout simplement avec ses clairs obscurs.

Ce qui est remarquable est sa connaissance de certains dossiers sensibles, et pour certaines affaires, le ministre plénipotentiaire étasunien est très en avance sur le contenu et les objectifs visés, ce qu’il écrit sur le manifeste et Brunswick le place comme un des mieux informés sur la menace extérieure et sur la nature des forces militaires en présences. Il se trouva être présent en des lieux d’agitation à plusieurs reprises, à l’exemple d’octobre 1789, où il assistera depuis Versailles à la venue des femmes. Il suivra, entre autres les débats et journaux avec une préférence pour la presse royaliste, et détiendra certaines informations délicates, dont on peut présumer que Lafayette l’a nourri et d’autres. A remarquer, qu’il camoufle certains noms par une consonne suivie de points. Si tout n’a pas été dit, et malgré ses erreurs de jugements, il fut l’homme le plus aux prises des confidences et demandes de passe-port…  Et il a fait son travail, collecté des renseignements et faire suivre la matière.

« On assure que les troupes prussiennes avancent très lentement, et qu'elles ne seront pas à Coblentz avant le ler juillet. M. de Moustier s'attend à une coopération certaine de la Prusse et compte 160.000 hommes pour les armées réunies. Il ajoute que le prince de Condé a un corps de 7.000 cavaliers qui sont excellents. Ce soir, j'ai une longue conversation avec M. de Sainte-Croix (dernier ministre des relations extérieures de Louis XVI); il ne croit pas à un coup de main sur Paris de la part des puissances étrangères, qui limiteront leurs efforts à l'Alsace et à la Lorraine. Il calcule que les troupes autrichiennes actuellement dans les Pays-Bas s'élèvent à 60,000 hommes, et qu'il y a environ 20,000 Prussiens dans leur voisinage. Il fixe à 36,000 hommes le nombre des troupes prussiennes en marche, et à 14,000 celles de Hesse et de Brunswick. Il suppose qu'il y en a 20,000 dans le Brisgau, y compris celles qui s'y rendent, et le contingent de l'Empire, qui devrait être de 50,000, n'est que de 30,000. Il déclare donc qu'il y a une armée de 200,000 hommes, sans compter ni la seconde ligne des troupes autrichiennes ni les émigrés français, qui s'élèvent à au moins 20,000 hommes ».

Source : Journal de G. Morris, le 17 mai 1792, page 305
Rien que le nom de son prédécesseur M. Monroe, l’homme de la doctrine du même nom a de quoi soulever ou s’interroger sur les relations extérieures de la France avec la jeune nation républicaine des Amériques. Dans une lettre à Jefferson du 1er août 92, il dit en substance :

« Quelques personnes m'ont parlé ironiquement des dispositions des Etats-Unis, mais je leur ai assuré très sincèrement que nos sentiments de reconnaissance pour la conduite de ce pays se traduiraient en actes dès que l'occasion s'en présenterait; les changements que l'on pourrait faire ici dans le gouvernement n'altéreraient en rien notre affection et ne diminueraient pas notre attachement. Ce langage non officiel, mais tenu dans la sincérité de la vie sociale, a surpris ceux qui, malheureusement pour eux, ne peuvent trouver à la conduite des nations que des motifs intéressés et ont la vue assez courte pour ne pas avoir observé qu'une conduite vertueuse et honorable est encore la plus profitable à un pays ».

Les Etats-Unis et M. G. Morris ne représentant qu’un mince filet de ce qui a pu ressembler à un panier de crabe. L’ambassadeur auprès de la Cour fut le seul à demeurer dans la capitale en septembre et les mois suivants, les autres ambassadeurs notamment d’Angleterre, précise-t-il prirent les routes à partir du 22 août.

« Mon départ me donnerait cependant l'air de prendre parti contre la dernière révolution; or, non seulement je n'y suis pas autorisé, mais je suis tenu de supposer que, si la grande majorité de la nation adhère à la nouvelle forme de gouvernement, les Etats-Unis donneront leur approbation ; car, en premier lieu, nous n'avons pas le droit de prescrire à ce pays le gouvernement qu'il devra adopter, et ensuite, la base de notre propre Constitution est le droit imprescriptible d'un peuple à se gouverner ».

Il ne sera pas possible d’entrer dans toutes les profondeurs de pieux mensonges, sur comment ont fonctionné les représentations diplomatiques à Paris ou en France. A Bordeaux existait déjà un consulat des
États-Unis, en raison des départs partant de cette même ville vers le nouveau monde, mais ce ne fut pas le seul port d’embarquement pour l’autre rive de l’Atlantique (Dunkerque, Saint-Malo, ...).

Quels rôles les nations étrangères ont pu avoir en temps de guerre n’est pas une chose anodine. C’est même un très gros morceau, et difficile de faire mieux qu’effleurer un sujet de fond et en rien superficiel dans le désordre ambiant de l’année 1792. Ce Journal néanmoins nous apporte un double éclairage et au passage des éléments non dénués d’intérêt pour comprendre certaines peurs dans l’avant et après 10 août, et la demande d’un séjour ou d’un voyage et d’un visa pour les Amériques demandé par Nicolas de Condorcet à Morris a été accueilli pour sa part négativement et écrit quelques gentillesses peu élogieuses à son égard et mentionna le Club de 1789. Une toute petite structure clubiste affiliée aux Jacobins du temps des Feuillants qui accueillit le camp des tièdes et les défenseurs des acquis de 89 pour la bourgeoisie possédante.

« Les Jacobins, ainsi appelés parce qu'ils se réunissaient dans un couvent ou une église de ce nom, formaient alors le parti violent; les autres, qui ont emprunté leur nom à un club fondé en 1789, étaient de soi-disant modérés. La mort de Mirabeau (qui fut, sans aucun doute possible, l'une des plus abominables canailles ayant jamais vécu) laissa un grand vide chez ces derniers. Il était alors vendu à la Cour, et voulait ramener le pouvoir absolu. Les chefs des Jacobins étaient violents pour deux raisons : d'abord, parce que les Quatre-vingt-neuf ne voulaient pas d'une union sérieuse et cordiale avec eux. – De sorte que, incapables de marcher seuls, ils furent obligés de recourir à la populace et, par conséquent, de lui faire des sacrifices; et secondement, parce que les objets de leurs désirs étaient plus grands, bien que plus éloignés, que ceux du premier parti. Ces derniers n'avaient jamais cherché dans la Révolution que des places confortables pour eux-mêmes, tandis qu'au début les Jacobins désiraient réellement établir une constitution libre, dans l'espoir que tôt ou tard ils auraient le pouvoir. »

Source : Lettre à Washington du 4 février 1792, président des E.U.

    Lettre à Thomas Jefferson,
premier Secrétaire
d’Etat des Etats Unis d’Amérique
« 18 août 1792 - Depuis ma lettre du premier, une nouvelle révolution a eu lieu dans celte ville. Elle a été sanglante. Il y a un parti considérable intéressé à renverser l'ordre actuel ; ceux qui composent ce parti sont les modérés. Je suis convaincu depuis longtemps que ce parti modéré, lequel, entre parenthèses, a été le promoteur de la Révolution, devra disparaître et que ses membres devront s'inféoder à l'une des factions existantes. La faction aristocratique est encore divisée en deux ou même davantage. Les uns sont pour une monarchie absolue, d'autres pour l'ancien régime, et un petit nombre désire un gouvernement mixte. Les rédacteurs de l'ancienne Constitution avaient adopté cette dernière idée, mais sans pouvoir accepter celle d'un Etat héréditaire. Le roi qui déploie une fermeté extraordinaire dans ses souffrances, mais qui est dépourvu de moyens pour l'action, et qui de plus est très religieux, s'est trouvé lié par ses serments à la Constitution, que sa conscience lui faisait trouver mauvaise, et au sujet de laquelle il n'y a plus qu'une seule opinion dans le pays, parce que l'expérience, cette grande source de sagesse, l'a déjà jugée et condamnée. Pour les causes que je viens de dire, le roi n'a pas voulu se mettre en avant, et comme conséquence il n'y eut plus d'étendard auquel pussent se rallier les partisans des deux Chambres. Les républicains eurent le bon sens de marcher hardiment et ouvertement vers leur but, et, comme ils eurent soin de ne pas mâcher leurs mots ni de s'embarrasser dans des subtilités légales ou constitutionnelles, ils eurent l'avantage d'être unis et d'avoir un plan concerté contre les membres disjoints d'un corps sans tète. Si, dans ces circonstances, il n'était pas question de forces étrangères, je n'ai aucun doute que la république ne s'établit assez paisiblement, et ne durât aussi longtemps que le permettrait la moralité du peuple. Vous savez ce qui en est de cette moralité, et vous pouvez naturellement, si c'est nécessaire, faire le calcul.

Les forces de l'étranger sont, pourtant, une circonstance prépondérante en cette occasion et je crois que le résultat dépendra de leur activité. Si le duc de Brunswick s'avance rapidement, beaucoup le rejoindront, même parmi les armées qui lui sont opposées, parce que la dernière révolution fournira à quelques-uns une raison et à d'autres un prétexte pour quitter la cause qu'ils avaient épousée. Si, au contraire, sa marche est prudente et lente, il est probable que ceux qui actuellement se taisent par crainte s'habitueront graduellement à parler favorablement du gouvernement actuel, pour détourner les soupçons, et qu’ainsi nous verrons grandir une opinion publique qui, dès qu'elle se sera manifestée, s'imposera à la généralité. Si de cette façon la nouvelle république s'enracine plus profondément, je crois que les puissances étrangères trouveront une certaine difficulté à la renverser; car la nation française forme une masse immense, qu'il n'est pas facile de mettre en mouvement ni d'arrêter. Vous remarquerez, monsieur, que tout se réduit aujourd'hui à un simple débat entre une monarchie absolue et la république, tous les termes intermédiaires ayant disparu. Ce débat devra aussi être résolu par la force, parce que l'un des adversaires est le peuple qui ne peut pas traiter lui-même, et ne veut pas permettre à d'autres de traiter, à sa place, les intérêts importants actuellement en jeu. Si, comme autrefois, quelques nobles factieux étaient à la tête d'un parti, ils saisiraient, comme alors, la première occasion de faire des arrangements pour eux-mêmes sur le dos de leur parti; mais sans entrer ici dans une question d'honnêteté relative, je ne crois pas que le peuple soit assez attaché à des individus pour avoir ce que l'on appelle des chefs; ceux qui paraissent tels sont, à mon avis, plutôt des instruments que des agents. Je n'entre pas dans l'histoire des choses pour ne pas vous ennuyer de la récapitulation des faits. Je saisis l'occasion actuelle de vous envoyer tous les journaux depuis ma dernière lettre; vous y trouverez tous les détails que vous pourrez désirer. Depuis l'affaire du 10, le Logographe, la Gazette universelle et l’Indicateur sont supprimés, ainsi, du reste, que tous ceux coupables de feuillantisme, c'est-à-dire adhérant aux clubs «des feuillants soi-disant constitutionnels». Il faudra donc faire un choix de ce que vous trouverez dans les autres gazettes, écrites non seulement dans l'esprit, mais sous les yeux mêmes d'un parti. Cet esprit influera sur le plus honnête imprimeur dans la manière de présenter les faits, et ces yeux empêcheront le plus hardi d'imprimer certains faits. (…) ».
Note de Lionel Mesnard


Paris, Place de la Révolution,
petite histoire de la guillotine...

 

Ancienne Place Louis XV depuis la Seine - ce qui deviendra la Place de la Révolution

Il existe toute une littérature sur les rues de Paris à découvrir, bien que ce ne soit pas le propos central. Le court extrait (ci-après) a été rédigé au milieu du dix-neuvième siècle, décrivant l’ancienne place Louis XV devenue place de la Révolution, et de nos jours : la Concorde. Ce texte est très révélateur, non seulement de ce que l’on montre à voir ou entendre sur le mouvement révolutionnaire, plus de  quarante années après. Symptomatique on pourrait dire, car si la tonalité est celle d’une promenade dans la lignée de Sébastien Mercier, l’imagination en moins, l’auteur plante bien le décor de l’oubli, de comment tout ce qui écrit, par M. Lurine est à prendre avec des pincettes et circonspection (texte à lire après la note).

Nous sommes face à des clichés tenaces, toujours très actifs, et nous avons droit à une description sommaire et dans la cohérence des temps, une perception très conformiste de cette histoire travestie ou mythifiée. Mais à prendre en considération, parce que nous avons peu évolué, si l’on s’en tient aux bruits de la toile et ses galaxies révisionnistes. Un phénomène tout aussi dévastateur pour la mémoire collective, que l’histoire officielle et romancée a pu déployer au XIXe siècle.


Si vous êtes amenés à faire des recherches sur Paris, il existe pas mal d’ouvrages sur plusieurs âges décrivant la ville, sous toutes ses coutures : quartiers, rues, au gré des ses églises, couvents, commerces, marchés ou champs de foire, métiers et artisans etc… Ses évolutions urbaines notamment, si la Révolution marque un temps particulier, un certain nombre de lieux changèrent de nom et toute une myriade de noms religieux ou se référant aux rois de France disparaître un temps. Avec le basculement du 10 août et la déchéance du roi, les symboles d’hier allait être l’objet d’un effacement des places et monuments publics, ce mouvement fut puissant en région parisienne. La place de la Révolution a été le grand lieu d’exécution publique, mais pas le seul, mais elle a été incontestablement le théâtre le plus important. La guillotine à Paris d’août 1792 à décembre 1794 entraîna la mort d’environ 3.000 personnes.

Si la place a bien ressemblé à un lieu de découpe, l’exagération est toutefois de mise sur l’idée d’une rigole pour que le sang s’écoule, il faudrait en ce domaine des explications et de savoir comment a opéré le bourreau Sanson et ses aides. Charles-Henri de son prénom a repris toute son activité à partir d’avril 1792, et se trouva sans statut pendant plusieurs semaines avant un décret de mars organisant ses attributions et ses émoluments, il s’était retrouvé au chômage. Sanson était présent aux premiers essais de la Louisette, son autre nom et a dû s’adapter à son nouvel outil de travail, ce fut un changement conséquent et moins spectaculaire que les exécutions d’antan pouvant durer des heures.

L’accueil en la matière des premiers publics fut plutôt froid, trop rapide pour les amateurs. A quoi pouvait ressembler cette foule? Des femmes et des hommes de tous âges, mais de là à penser que l’attrait fut unanime, l’erreur serait lourde. De ce que pensait M. Guillotin et son confrère le chirurgien M. Louis, comme la nature d’un progrès, le fanatisme du sang se conjuguait à la perception morbide, l’adhésion à un tel spectacle et de tout temps laisse perplexe, et sans voix. La charrette journalière fut marquée par un temps fort le 21 janvier 1793 et la mort du roi. Elle rassembla toutes les sections parisiennes et ce fut le jour ou la foule fut la plus nombreuse, le spectacle se faisant quotidien, les parisiens continuèrent  à vivre, et il n’est pas certain que les décapitations frent chaque jour son plein de curieux.

Ce que l’on sait, c’est que l’immense majorité des condamnés moururent dignement et même avec talent, le temps d’une dernière représentation. Seul ce pauvre malheureux et ancien Maire de Paris, M. Bailly a défailli et fut l’objet de propos et attitudes haineuses (crachats, insultes,…). C'était l’erreur à ne pas commettre devant une foule perverse, à la vie comme à la scène, un guillotiné se devait de marquer les dernières secondes de son existence. Dans cette grande comédie du tragique, les dernières minutes sont nombreuses, chacun ou chacune avec sa personnalité allait défier les derniers instants. Silence, visages distants, moqueurs ou perdus, phrases de circonstance entrant dans le marbre, juste sur ce sujet, il est possible d’écrire et de citer à foison.

Note de Lionel Mesnard

« Théroigne de Méricourt (en peinture ci-contre), et l'homme à la longue barbe emmenant le faubourg Saint-Antoine à Versailles, et ramenant la royauté entre deux têtes de gardes du corps qui grimacent au bout d'une pique ; les légions innombrables de travailleurs qui courent improviser le Champ-de-Mars, comme un parterre de jardin ; les hommes du 10 août, Marseillais, fédérés et clubistes, tous y passent, laissant derrière eux comme une traînée de sang et de guenilles. A deux pas de là sont les feuillants et les jacobins de la rue Saint-Honoré, et la patrie n'est pas deux heures en danger, sans que la terrible section des piques (place Vendôme), n'y vomisse ses bandes incorruptibles de sans culottes. Aussi la place eut-elle son brevet de civisme.


 

Un décret de la fin de 1792 vint, déclarer qu'elle avait bien mérité de la république, et lui donner en échange de son nom de ci-devant, le nom patriote de place de la Révolution. En même temps, comme pour la consoler de la perte de la statue du tyran, on éleva sur le piédestal même, après en avoir balayé les vertus, une grande construction en maçonnerie, revêtue de plâtre coloré, et signée : Le mot, figurant une Liberté assise, le bonnet phrygien sur la tête et s'appuyant sur une haste antique.

A quoi servirait de reculer devant le grand titre qui légitimait avant tout le nom nouveau de la place de la Révolution? N'avez-vous pas nommé déjà le compère de ce second baptême, maître Samson, la cheville ouvrière de tout le système révolutionnaire. On l'a décrété en permanence sur notre place; c'est là qu'il vient s'établir chaque matin, avec ses aides et ses outils, se demandant négligemment, ce qu'on va lui amener pour le travail de la journée, des poètes ou des femmes, des exaltés ou des modérés, des reines ou des tribuns, André Chénier ou Charlotte Corday, Hébert ou Bailly, Marie-Antoinette ou Danton, recevant tout avec la même impartialité, et ne mesurant les hommes qu'à l'épaisseur de leur cou. Historiens de la scène, nous n'avons d'autre rôle ici que celui de spectateurs; mais quel spectacle! et comment échapper au lieu commun en évoquant cette armée d'ombres sanglantes qui viennent peupler la place, et qui défilent toutes devant nous, leur tête à la main?

Que de force, que de santé, que de courage, que de beauté, que de génie ont été fauchés là pour le coup d'oeil des tricoteuses, public difficile et blasé, qui n'applaudissait pas tous les jours, et qui n'était content qu'a demi, si la tête ne tombait pas avec grâce! Que de choses auraient à vous raconter ces pavés tant de fois ébranlés sous les roues pesantes de l'horrible charrette qui chaque jour, à heure fixe, tournait le coin fatal, et venait verser au pied de la guillotine l'ouvrage abattu la veille par le tribunal de Fouquier-Tinville! Une fois, par extraordinaire, elle arriva, n'apportant qu'un seul homme, et jamais elle n'avait été plus chargée!.. Ce jour-là, l'abbé Edgeworth trouvait un mot : Fils de Saint-Louis, montez au ciel! ou plutôt le Moniteur le lui prêtait, car le confesseur était plus mort que le martyr.

Il était déjà question, pour ménager le temps des valets du bourreau, de creuser une rigole qui aurait emmené le sang de l'échafaud à la Seine, quand Robespierre et les siens firent à leur tour les frais d'une dernière charretée, et la place de la Révolution cessa de se voir transformée en boucherie.

Place aux muscadins, à la jeunesse dorée de Fréron, aux intéressantes danseuses du bal des victimes qui s'en vont, en tunique grecque, faire aux tricoteuses dans les salons de Tallien une opposition sans fatigue et sans danger! Le club de la rue Saint-Honoré a été dispersé à coups de bâtons : si vous voyez se risquer encore quelque carmagnole, soyez sûr que le porteur est trop pauvre pour imposer à sa garde-robe les variantes brutales de la politique. La section des piques gronde bien de temps à autre; mais attendez que Buonaparte soit venu s'essayer la main sur les ennemis de Barras, son patron, et mettre ses canons en batterie dans l'emplacement même qu'occupait Samson. Tout rentre bientôt dans le calme, et la place rendue a la vie privée, n'a plus d'autre spectacle à vous offrir que la pacifique procession des théophilantropes qui promènent leurs robes blanches et leurs corbeilles de fleurs. »

Source : Les rues de Paris, tome I, page 364 à 366
Louis Lurine ; édité chez G. Kugelmann en 1844
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Chronologie de l'insurrection du 10 au 31 août 1792

Nous entrons dans une période que sous-chapitre Albert Mathiez appelle « la fin de la Législative » pour en signaler : « Les six semaines qui s'écoulent depuis le 10 août 1792 jusqu'au 21 septembre de la même année », c'est-à-dire depuis la prise des Tuileries et l’internement de Louis XVI au Temple, jusqu'à la réunion de la Convention « ont une importance capitale dans l’histoire de la Révolution ». (Rev. Fr., tome 1, page 277)

« Le roi était suspendu, mais la Constitution restait en vigueur. Comme après Varennes, le pouvoir exécutif fut remis entre les mains des six ministres qu'on choisit en dehors de l'Assemblée par respect pour le principe de la séparation des pouvoirs, mais qu'on nomma par un vote public à haute voix, par désir de calmer les défiances. Roland, Clavière et Servan reprirent les portefeuilles de l'Intérieur, des Finances et de la Guerre que le roi leur avait enlevés le 13 juin précédent. On leur adjoignit, par appel nominal, à la Justice l'équivoque Danton, sur lequel Brissot et Condorcet comptaient pour contenir l'émeute ; le mathématicien Monge, indiqué par Condorcet, fut nommé à la Marine ; le journaliste Lebrun, ami de Brissot, dont Dumouriez avait fait un chef de bureau, aux Affaires étrangères. Ainsi le pouvoir se trouva partagé entre trois autorités distinctes : la Commune, l'Assemblée et le Ministère formant le Conseil exécutif, trois autorités qui empiétaient continuellement les unes sur les autres. »

Source : Albert Mathiez, Histoire de la Rév. Fr. (tome 2, page 12).

10 août : A Paris, tôt dans la matinée, vers 5 heures se forment deux cortèges partants des faubourgs de l’Est parisien, ils sont rejoints par d’autres quartiers de la capitale sur leurs parcours. Une mobilisation estimée à 100.000 personnes et démarrant des deux faubourgs : Saint-Marcel et Saint-Antoine. Vers six heures du matin Louis XVI passe ses troupes en revue dans une cours du château des Tuileries, puis entre sept et huit heures (selon Marat), la première colonne des insurgés paraît au Carrousel. Vers neuf heures du matin, la nouvelle commune lance sa première proclamation : « le peuple, placé entre la mort et l'esclavage, venait de prévenir la ruine de la patrie en reprenant une seconde fois ses droits ». Avant que le château des Tuileries ne soit l’objet de combat, les membres de la famille royale se réfugie à la salle du Manège sous la conduite du Procureur syndic du département M. Roederer. La Cour se place sous l’autorité de l’Assemblée. Seuls sont accueillis la famille royale. Les premiers combats commencent entre neuf heures trente et dix heures. Vers onze heures quand le canon cessent de tonner et non les combats, une délégation menée par Huguenin à l’Assemblée déclare : « Le peuple, qui nous envoie vers vous, nous a chargés de vous déclarer qu'il vous investissait de nouveau de sa confiance, mais il nous a chargé en même temps de vous déclarer qu'il ne pouvait reconnaître pour juges des mesures extraordinaires auxquelles la nécessité et la résistance à l’oppression l’ont porté, que le peuple français, votre souverain et le notre, réuni dans ses assemblées primaires ».

Vers midi, le château des Tuileries est pris d'assaut (376 insurgés sont tués et un peu plus de 600 gardes Suisses perdent la vie sur environ 800 à 900 hommes). Les soldats survivants pour certains ont été cachés dans des armoires ou antichambres du Palais, d’autres ayant refusé de porter le feu sont conduits au couvent des Feuillants, quelques-uns s’échappent. Les hauts gradés sont conduits à la prison de l’Abbaye de Saint-Germain. De son côté, la Législative décrète : « Le peuple français est invité à former une Convention nationale » et le roi est suspendu de ses fonctions (il sera déchu le 20 septembre). Il est pris aussi un décret relatif au remplacement des ministres et selon son 1er article « les ministres seront provisoirement nommés par l’Assemblée et par une élection individuelle et ils ne seront pas pris dans son sein ».

En fin de journée ou le soir sont désignés Gaspard Monge à la Marine et aux Colonies, Georges Danton à la Justice. S’ajoute Étienne Clavière aux finances, Jean Marie Roland à l’intérieur, Joseph Servan à la guerre, et Pierre Henri Lebrun aux relations extérieures. Ils sont désignés par acclamation pour siéger au sein d’un Conseil exécutif provisoire. Le soir même du haut de la tribune des Jacobins, Robespierre préconisait à la Commune de prendre ses responsabilités et d’envoyer des commissaires dans les 83 départements. « Combien il serait imprudent au peuple de mettre bas les armes avant d'avoir assure la liberté. La Commune, ajoutait-il, doit prendre, comme mesure importante, celle d'envoyer des commissaires dans les 83 départements pour leur exposer notre situation ». Propos du jour de Lafayette sur l'insurrection du jour (10-08) : « C’est le passage de l’ère de la Liberté, des bons principes et des bons sentiments à l’ère de la Terreur et de l’incivisme ». Madame Rosalie Jullien, mère d’un fils, se nommant Jules et femme du futur conventionnel Marc-Antoine Jullien dit de la Drôme écrit pour sa part: « Le peuple français a vaincu dans Paris l’Autriche et la Prusse ». Rosalie Jullien a laissé tout une série de courriers adressés à son mari depuis la capitale, lui narrant les événements s’y déroulant. Ce Journal d’une bourgeoise n’a pris forme qu’avec son petit-fils, Edouard Lockroy (journaliste). Il fit connaître cette admirable correspondance éditée seulement en 1881 chez Calmann-Lévy, sa rédactrice n’a jamais pensé qu’elle serait éditée. (source Gallica-Bnf,
à lire ici !).

11 août : A Paris, Les commissaires de la municipalité apposent les scellés sur la demeure royale des Tuileries. A la Législative, se présente le nouveau général de la Garde nationale, le brasseur du faubourg Saint-Antoine, Santerre, il demande l’institution d’une Cour martiale pour les soldats Suisses. Sont prises comme décisions dans cette journée la fin de la distinction entre citoyens actifs et passifs, le suffrage devient (presque) universel, et la majorité légale passe de 25 à 21 ans pour tous les hommes, etc., lire après les mesures décidées. Il est aussi confié aux municipalités de rechercher les criminels agissant contre la sûreté de l’État et de faire si la situation se présente des arrestations provisoires. Ce jour, le roi et la reine ne bougent pas de l’Assemblée et dorment sur place avec Madame, la sœur de Louis XVI. Le soir même, les administrateurs de police de l’Hôtel de Ville écrivent au nouveau commandant: « On nous apprend, Monsieur, que l’on forme le projet de se transporter dans les prisons de Paris pour y enlever tous les prisonniers et en faire une prompte justice (sic) ; nous vous prions d'étendre votre surveillance promptement sur celles du Châtelet, de la Conciergerie et de la Force ».


Décisions de l’Assemblée pour les élections  

Article premier :
 « Les assemblées primaires nommeront le même nombre d'électeurs qu'elles ont nommé dans les dernières élections. 


Art. 2. 
« La distinction des Français en citoyens actifs et non actifs sera supprimée; et, pour y être admis, il suffira d'être Français, âgé de 21 ans, domicilié depuis un an, vivant de son revenu ou du produit de son travail, et n'étant pas en état de domesticité : quant à ceux qui, réunissant les conditions d’activité, étaient appelés par la loi à prêter le serment civique, ils devront, pour être admis, justifier de la prestation de ce serment. 


Art. 3. Les conditions d'éligibilité exigées pour les électeurs ou pour les représentants, n'étant point applicables à une Convention nationale, il suffira, pour être éligible comme député ou comme électeur, d'être âgé de 25 ans, et de réunir les conditions exigées par l'article précédent.

Art. 4. 
« Chaque département nommera le nombre de députés et de suppléants qu'il a nommé pour la législature actuelle.

Art. 5. 
« Les élections se feront suivant le même mode que pour les Assemblées législatives. 


Art. 6. 
« Les assemblées primaires sont invitées à revêtir leurs représentants d'une confiance illimitée. 


Art. 7. 
« Les assemblées primaires se réuniront le dimanche 26 août, pour nommer les électeurs. 

Art. 8. 
« Les électeurs nommés par les assemblées primaires se rassembleront le dimanche 2 septembre, pour procéder à l'élection des députés à la Convention nationale. 


Art. 9. 
« Les assemblées électorales se tiendront dans les lieux indiqués par le tableau qui sera annexé au présent décret. 


Art. 10. 
« Attendu la nécessité d'accélérer les élections, les présidents, secrétaires et scrutateurs tant dans les assemblées primaires que dans les assemblées électorales, seront choisis à la pluralité relative et par un seul scrutin. 


Art. 11. 
« Le choix des assemblées primaires et des assemblées électorales pourra porter sur tout citoyen réunissant les conditions ci-dessus rappelées, quelles que soient les fonctions publiques qu'il exerce ou qu'il ait ci-devant exercées. 


Art. 12. 
« Les citoyens prêteront dans les assemblées primaires, et les électeurs dans les assemblées électorales, le serment de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir en les défendant. 

Art. 13. 
« Les députés se rendront à Paris le 20 septembre, et ils se feront inscrire aux archives de l'Assemblée nationale. Dés qu'ils seront au nombre de 200, l'Assemblée nationale indiquera le jour de l'ouverture de leurs séances.»
Source : Bib. de Stanford - Archives Parlementaires

12 août : Au Havre, après une tentative de fuite Charles de Lameth est mis aux arrêts et envoyé à Rouen. Il sera enfermé pendant 47 jours et libéré sans charge d’accusation. Stationné à Maubeuge, son frère Alexandre rejoindra Lafayette et ses troupes. Comme ce dernier, il sera emprisonné par les Autrichiens, jusqu’en 1795. A Paris, aux Jacobins, l’ancien élu (démis de son poste pour activité ultra révolutionnaire) et futur député à la Constituante pour la Moselle, M. Nicolas Anthoine déclare : « Le peuple a repris sa souveraineté... et la souveraineté une fois reprise par le peuple, il ne reste plus aucune autorité que celle des assemblées primaires; l'Assemblée nationale elle-même ne continue à exercer quelque autorité qu'à raison de la confiance que lui accorde le peuple, qui a senti la nécessité de conserver un point de ralliement et qui en cela a prouvé combien sa judiciaire était bonne. » A la Législative le matin, il est décidé la formation d’un nouveau directoire pour le département de Paris, dans l’après-midi quelques concessions sont données pour en limiter les champs d’action. Sur une motion du député Vergniaud, il est approuvé la nomination un gouverneur pour le dauphin. La commune insurrectionnelle par décret décide l’interdiction des journaux royalistes, cessent de paraître : L’ami du Roi,  le Logographe, le Journal et la Gazette de Paris, la Feuille du jour, le Moniteur Universel, le Mercure de France, etc… Dans la journée, le roi et sa famille sont transférés du Manège au couvent des Feuillants, rue Saint-Honoré sous la conduite de Pétion. En soirée, Robespierre accompagné d’une délégation de la Commune se présente à la barre de l’Assemblée, concluant par : « Nous vous conjurons de prendre en grande considération, de confirmer l'arrêté pris par le conseil général de la commune de Paris, afin qu'il ne soit pas procédé à la formation d'un nouveau directoire de département. (Vifs applaudissements) ».
 
13 août : A Paris, Jérôme Pétion accompagne la famille royale au Temple depuis le couvent des Feuillants. Ce sont deux lourds carrosses qui font le transfert. Ce lieu était une demeure et ancienne forteresse ayant appartenu au comte d’Artois jusqu’à sa fuite à l’étranger en 1789 et provoquait une certaine crainte à sa vue. (ci-contre en peinture) L’édifice du Moyen-âge avait une haute tour carrée aux aspects lugubres. Cette demeure sera réaménagée pour les circonstances, même si elle tiendra lieu de prison, les conditions de vie, 4 pièces par tête couronnée, et sortie dans les jardins pour l’entourage et une protection de jour et de nuit face aux colères populaires ne manqua de dignité ou d’humanité pour ses détenus, et contrairement aux conditions générales des prisons parisiennes. 

Ce même jour, Marat va publier au mois d’août de manière épisodique L’Ami du Peuple, en date du mardi 13 sort le n°678, son ton est toujours sans concession et relate la journée du 10-08. Il vise notamment le sieur « Mottié » (Motier de Lafayette) et s’attaque au ministre Clavière (en intérim à la guerre), tout en dénonçant le « faux patriotisme » des membres de l’Assemblée. Seuls cinq numéros sortiront en août, dont 4 après la prise des Tuileries (les numéros 678 à 681). Les prochains titres seront très virulents et il faut noter une coupure notable du 21 août au 15 septembre, L’Ami du Peuple en tant que titre ne paraîtra plus à partir du 21 septembre, Marat entre sur la scène politique et sera à la tête d’une entreprise de presse. A la Législative, sont confirmés les pouvoirs donnés aux commissaires envoyés dans les colonies, et « injonction à tous les citoyens de leur obéir »

14 août : Depuis Sedan, le général Lafayette tente, en vain, d'entraîner son armée contre Paris et fait arrêter les commissaires de l’Assemblée nationale rendus sur place pour faire part des nouvelles mesures. Danton depuis la capitale demande son arrestation. A la Législative « Considérant que le bronze de ces monuments, converti en canons, servira utilement à la défense de la patrie, décrète qu'il y a urgence » 
et précise dans l’article premier : « Toutes les statues, bas-reliefs, inscriptions et autres monuments en bronze, ou en toute autre matière, élevés dans toutes les places publiques, temples, jardins, parcs et dépendances, maisons nationales, même dans celles qui étaient réservées à la jouissance du roi, seront enlevées à la diligence des représentants des communes, qui veilleront à leur conservation provisoire ». Le duc François de la Rochefoucauld-Liancourt, ancien député noble du baillage Clermont-en-Beauvaisis de 1789 à 1791 au sein de la Constituante, démissionne de son poste de Lieutenant général à Rouen et prend la route de l'exil et rejoint son ami M. Young en Angleterre. Il ira plus tard aux Etats-Unis, puis s'installera un temps au Danemark et ne reviendra pas en France avant le Directoire.

15 août : La Législative prend connaissance des pièces trouvées dans le cabinet du roi lors du 10-08. Robespierre comme représentant de la Commune insurrectionnelle et membre de la section des Piques, se rend en compagnie d'une députation à l’Assemblée, il déclare : « Depuis le 10 août la juste vengeance du peuple n’a pas encore été satisfaite  ».

16 août : L'armée du Nord bat en retraite. La commune insurrectionnelle décide d’installer la guillotine de manière permanente. Le Conseil général de la commune décide de la formation d'un camp retranché sous les murs de Paris. La Commune interdit les processions et cérémonies religieuses à l’extérieur des lieux de culte. Elle enjoint « à toutes les sectes religieuses de ne point obstruer la voie publique dans I'exercice de leurs fonctions ».

17 août : La Commune cherche à imposer à l’Assemblée la création d'un « tribunal criminel exceptionnel » formé d’élus des sections pour juger les crimes commis lors de la journée du 10-08. Un citoyen, Vincent Ollivault est envoyé en députation par la Commune, il déclare avec fracas à la barre: « Comme citoyen, comme magistrat du peuple, je viens vous annoncer que ce soir à minuit le tocsin sonnera, la générale battra... Le peuple est las de n’être point vengé. Craignez qu’il ne fasse justice lui-même. Je demande que sans désemparer vous décrétiez qu’il sera nommé un citoyen dans chaque section pour former un tribunal criminel », le décret n’est pas pris dans cette forme et le citoyen est éconduit parce qu’il ne connaît pas les « vrais principes et les vraies lois » selon le député Thuriot (et élu montagnard), provoquant en ricochet un discrédit important des élus au sein de la population parisienne. Néanmoins, ce tribunal d’exception est constitué à la demande d’Hérault de Séchelles et se compose de 11 articles, en référence à la loi sur les jurys des tribunaux du 29/09/1791 en son article 3, se trouvant de fait sous la responsabilité du département ou Conseil Général en charge de la justice criminelle. Son article premier expose les motifs : 

« Il sera procédé à la formation d'un corps électoral pour nommer les membres d'un tribunal criminel destiné à juger les crimes commis dans la journée du 10 août courant, et autres crimes y relatifs, circonstances et dépendances ». Ce tribunal dont la mention de tribunal dit exceptionnel n’apparaît pas dans le corps du décret, il se voit confier à juger toutes personnes suspectées de  crime lors de la chute de la monarchie. Cette instance sera supprimée une première fois le 29 novembre, avant de renaître ou reparaître sous la même nomination en mars 1793. Une préfiguration du Tribunal Révolutionnaire entrant dans le cadre des justices d’exceptions. Plus tard le ministre M. Clavière s’adressant au président de séance : « J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint copie d'une lettre de M. le maréchal Luckner, par laquelle il représente qu'il est possible, et qu'il y a des probabilités que des villes frontières seront assiégées ; il demande si MM. les officiers peuvent être payés en numéraire. Il observe que la perte des assignats est si forte qu'il leur serait impossible, dans le cas d'un siège, de se procurer les objets de première nécessite. La loi au 5 mai porte que les officiers ne seront payés en numéraire que du jour où l'armée entrera sur le territoire étranger, l'Assemblée nationale trouvera peut-être juste d'assimiler la position des officiers dans une ville assiégée par l'ennemi, à celle dans laquelle ils seraient sur le territoire étranger. Je la supplie de prendre cette demande de M. le maréchal Luckner en considération et d'y statuer, le plus promptement possible, attendu l'urgence des circonstances », avec la copie de la lettre du maréchal Luckner.

Un courrier adressé du Quartier général à Richemont, le 9 août.

18 août : A Paris, le tribunal extraordinaire s’installe au Palais de Justice en la salle Saint-Louis suite à la décision de la veille. A l’Assemblée, il est pris un décret relatif à la nomination de Dumouriez au grade de commandant en chef de l'armée du Nord. Par ailleurs, les agissements contre-révolutionnaires du général Arthur Dillon sont dénoncés, et il sera démis de ses fonctions. Il avait entre autres adressé une lettre rappelant son attachement au roi et à la constitution suite à la prise des Tuileries. Il est aussi décidé de mettre une fin définitive aux derniers ordres religieux autorisés : congrégations enseignantes et hospitalières. A Carcassonne, il éclate une émeute couvant depuis plusieurs jours ayant pour mécontentement le prix du pain, et l’enfermement des prêtes réfractaires. Cette révolte à divers échos trouve à sa tête Jeanne Establet dite la Noire (ou la figure romantique d’Esmeralda dans Notre Dame de Paris chez Victor Hugo). La nouvelle du 10-08 ne parvenant que les jours suivant, ce fut à l’origine une entreprise contre-révolutionnaire dans une municipalité légaliste et royaliste, cette journée laissant pour mort le procureur syndic du département, M. Verdier. Cette femme surnommée la « Théroigne de l’Aude » sera guillotinée le 24 décembre.

19 août : Aux frontières, Frédéric-Guillaume en personne avec les troupes prussiennes commandées par le duc de Brunswick entrent sur le territoire de la France. Déclaré traître à la Nation depuis la capitale, Lafayette déserte et se rend aux Autrichiens. Avec ses compagnons,  il sera remis
plus tard aux Prussiens et enfermé dans une citadelle. Il déclare ce jour : « soustraire aux bourreaux sa tête proscrite, dans l’espoir qu’elle pourrait un jour servir encore la Liberté et la France ». En Isère Antoine Barnave est arrêté après la découverte de sa correspondance avec les époux royaux. A Paris, les statues représentant des effigies royales sont détruites,  les matériaux lourds récupérés, entre autres le bronze pour fabriquer des canons. A Auxerre dans l’Yonne, deux royalistes sont tués.




Illustration de Lafayette mis aux arrêts après s'être livré prisonnier


20 août : A Longwy, les Prussiens établissent leur premier siège. Le général Kellermann remplace le maréchal Luckner au commandement de l'armée de l'Est. A Blois, la statue équestre de Louis XII et de Gaston d’Orléans sont détruites. A l’Assemblée le montagnard et député du Loir et Cher depuis octobre 1791, François Chabot adjure les fédérés de rester dans la capitale «pour inspecter la Convention nationale».

21 août : A Paris est organisé la première exécution politique, elle s’effectue à la lueur des torches, le condamné est M. Collenot d'Angremont, maître d'écriture et ex-employé de la garde nationale.

22 août : Dans les Deux-Sèvres (Poitou), à Châtillon-sur-Sèvres (aujourd’hui la ville de Mauléon depuis 1965), 8.000 paysans s’emparent de la localité, aux cris de « Vive le roi ! »,  ils vont  tenter de conquérir Bressuire, une cité fortifiée à quelques kilomètres de distance. Les révoltes ont duré du 19 au 24 août et seront mises à l’examen des députés, l’on dénombra 200 morts et 80 prisonniers du côté des rebelles et 15 morts et 20 blessés chez les gardes nationales. A Paris, l’Assemblée décrète la peine de mort contre tout citoyen d’une ville assiégée appelant à la capitulation devant l’ennemi. Depuis Paris, sauf l’ambassadeur G. Morris des Etats-Unis, les autres missions diplomatiques, dont notamment le ministre de Grande-Bretagne quittent la capitale. La Commune prescrit le terme « citoyen » en replacement de « monsieur ».

23 août : Longwy capitule face au bombardement. Dans le Nord, s’annonce la préparation d’un long siège  à Thionville par les troupes autrichiennes et émigrées (20.000 et 16.000 soldats). La ville résistera pendant plus d’un mois et ne tombera pas. A Paris, Jean-Paul Marat se voit attribuer 4 presses provenant de l'ancienne Imprimerie royale, les siennes ayant été détruites le 17 juillet de l’an passé. Elles avaient été dérobées suite au 10-08 ou mises sous embargo par Marat. Il demandera au ministre de l’intérieur une aide financière, que ce dernier lui refusera. Il ira après ce refus faire sa demande auprès de Danton qui saisira l’opportunité de le soutenir. Place du Carrousel se tient la deuxième exécution à la guillotine pour trahison : M. de Laporte, intendant de la liste civile.

24 août : A Paris, la Commune décide que « tout homme qui refusera de se faire inscrire ou enrôler dans sa section sera regardé comme un mauvais citoyen et son nom sera affiché ». Francisco de Miranda avec l’aide de Pétion rencontre et discute avec le ministre Servan en charge de la guerre, le lendemain. Il va se voir nommer Maréchal de camp auprès de Dumouriez à l’Armée du Nord, dont il recevra le fac-similé le 4 septembre attestant sa fonction et son grade. Il note en français à ce jour son accord, comme celui du changement, mais il pose quelques conditions et précise que sa situation d’étranger l’oblige à assurer sa présence future. Ce qui lui sera accordé. Dans son journal, il précise qu’il est conscient que c’est pour lui un changement de nationalité qui s’opère et un tournant de sa vie comme à New York en 1784. Dans ses entretiens ou correspondances, dont une lettre en espagnol au député Gensonné, il n’oublie pas de rappeler qu’il espère qu’il trouvera de l’aide pour son plan d’indépendance et d’émancipation de la part de la France. A noter aussi qu’il va entretenir des échanges de courrier avec un officier étasunien ayant rejoint les armées française en date du 20 avril, le colonel Jean Skey Eustace. Il rencontra ainsi tous les ministres girondins et avait échangé par courrier en juin avec le ministre démissionnaire Servan (en anglais). Ses premières propositions d’engagement dataient du mois des premiers jours de juin faisant prévaloir ses états de service aux Etats-Unis, avec papier certifié du consulat sis à Bordeaux.

25 août : A Paris, cinq sections où dominent la bourgeoisie marchande commencent à entrer en conflit avec la municipalité (Maison Commune, Ponceau le 27, Marche des Innocents et Halle au Blé, le 29) ; pour la section des Lombards le journaliste Louvet et futur conventionnel proteste contre la limitation des pouvoirs du département et la défiance opérée contre Pétion. A l’Assemblée, il est décidé la suppression sans indemnité de tous les droits féodaux et de toutes les redevances seigneuriales. L’ambassadeur des E.U. d’Amérique note dans son journal : « Si Verdun se rend, comme l'a fait Longwy, les troupes étrangères seront vite à Paris. Il fait encore très chaud avec un peu de pluie. » Dans la capitale, le journaliste de Rosoy et le commandant Bachmann des gardes Suisses sont à leur tour guillotinés. Un certain nombre d’accusés seront acquittés faute de charges et preuves suffisantes, à l’exemple de l’ancien ministre de Montmorin (mais il sera incarcéré à la prison de l’Abbaye les jours suivants).

26 août :
Début des élections avec la réunion des assemblées primaires. A la Législative, il est décidé que tous les ecclésiastiques non assermentés ou s’étant rétractés du serment doivent quitter la France sous un délai de quinze jours. Les députés accordent la citoyenneté française aux philosophes étrangers ayant soutenus la cause de la liberté, parrmi eux l'on trouve désigné par la commission des Douze et « Déclare déférer le titre de citoyen français au docteur Joseph Priestley, à Thomas Payne, à Jérémie Bentham, à William Wilberforce, à Thomas Clarkson, à Jacques Mackintosh, à David Williams, à N. Gorani, à Anacharsis Cloots, à Corneille Pauw, à Joachim-Henry Campe, à N. Pestalozzi, à Georges Washington, à Jean Hamilton, à N. Madison, à H. Klopstock et à Thadée Kosciuszko. »

27 août : La Commune de Paris à la nouvelle de la prise de Longwy procède à la fermeture des barrières ceinturant la ville, elle fait forger des armes et engage les visites domiciliaires. Les décrets contre les prêtres réfractaires sont exécutés et sont amenés à quitter la ville. A partir de ce jour, l’on va procéder à de nombreuses arrestations et des mises sous séquestre, ainsi que des arrêts à domicile, l’objet premier annoncé trouver des armes. Pareillement, il est engagé des réquisitions des palais et résidences épiscopales, et la municipalité interdit le port des habits religieux et les processions dans les rues. A Saint-Domingue, il est décidé des déportations au sein de l’assemblée coloniale. Les régiments coloniaux sont formés dans les même laps de temps en troupe de ligne, depuis la France.
  Georges Danton avec profil à la David !

28 août : A la Législative Danton explique qu’il faut se dépêcher de rouvrir les barrières et suggère les visites à domicile. Il est promulgué par la suite « les visites domiciliaires », dans toutes les communes du pays avec pour objectif la connaissance des quantités d'armes, de munitions, chevaux et moyen de transport disponibles chez les particuliers. Les députés reconnaissent la propriété des « terres vaines » aux communes. Dans la capitale, les travaux du camp de retranchement et de protection s’initient. Fabre d'Eglantine déclare : « Il faut que le peuple sache combien graves ont été les forfaits, qu'il sache que l'infâme cour des Tuileries voulait sa servitude et sa ruine, sa dévastation et son sang ; qu'il sache les noms de tous les coupables de cette même cour ; qu'il sache enfin que, le 10 août, il était au bord de l'abîme ; que maintenant il y serait précipité s'il n'avait eu la force et le courage de le franchir. En deux mots, il faut que le peuple juge lui-même le grand procès des conspirateurs du 10 août...». Georges Danton au sein du Conseil exécutif refuse la proposition de voir les ministres quitter la capitale, comme le propose M. Roland, ministre de l’intérieur plutôt pâlichon et tremblant selon Albert Mathiez. Les girondins sont persuadés que les Prussiens seront bientôt à Paris et pensent qu’il faudra négocier et constituer une « République du Midi » en cas d’invasion, Condorcet itou.

Ce à quoi Danton, ne voulant en aucun perdre son assise parisienne s’exclame par : « J'ai fait venir ma mère qui a 70 ans. J'ai fait venir mes deux enfants, ils sont arrivés hier. Avant que les Prussiens entrent dans Paris, je veux que ma famille périsse avec moi, je veux que 20000 flambeaux en un instant fassent de Paris un monceau de cendres. Roland, garde-toi de parler de fuite, crains que le peuple ne t'écoute! ». Le soir cette fois-ci à l’Assemblée il se déclare «en ministre du peuple, en ministre révolutionnaire». (…) « II faut, que l ‘Assemblée se montre digne de la nation! C'est par une convulsion que nous avons renversé le despotisme, ce n'est que par une grande convulsion nationale que nous ferons rétrograder les despotes. Jusqu'ici nous n'avons fait que la guerre simulée de Lafayette, il faut faire une guerre plus terrible. II est temps de dire au peuple qu'il doit se précipiter en masse sur ses ennemis. Quand un vaisseau fait naufrage, I'équipage jette à la mer tout ce qui l’exposait à périr ; de même tout ce qui peut nuire a la nation doit être rejeté de son sein et tout ce qui peut lui servir doit être mis a la disposition des municipalités, sauf à indemniser les propriétaires ».

29 août : A Paris, la Commune se décrète inviolable !

30 août : Verdun, la ville et place forte est assiégée par les Prussiens. Dans la capitale « M. Belair, ingénieur en chef pour la défense de Paris, a offert à la municipalité son plan et ses moyens de défense. Les retranchements commenceront au-dessus de Saint-Denis, et seront prolongés jusqu’à Nogent-sur-Marne. Les hauteurs de Montmartre et de Belleville y seront comprises, il demande huit cents canons ; le comité militaire lui en promet à présent six cents. Trente mille terrassiers vont être déployés ; on fera venir ceux qui travaillent au canal de Bourgogne. On va mettre la plus grande activité dans ces travaux. » (Source : Retronews-BnF, Thermomètre du Jour, page. 3) A partir de midi sont envoyés 30 commissaires par section pour fouiller les maisons une à une. De nombreuses arrestations conduisent en prison pendant les deux jours suivants deux à trois mille suspects. De rares individus se verront libérés sur intervention, d’autres ont pu fuir avant cette date ; à l’exemple d’Omer Talon, un agent du roi ayant reçu un passe-port du ministre de la justice pour aller en Angleterre. A la Législative, à la demande de MM. Roland et Guadet un décret ordonne une nouvelle élection du Conseil général de la Commune de Paris, coup de tonnerre dans les rangs. Aux Jacobins dans la soirée  « Il est arrêté qu'il sera rédigé une adresse pour être envoyée aux quarante-huit sections. M. Robespierre est nommé rédacteur. »

31 août : A l’Assemblée, le décret est annulé sur la dissolution de la municipalité parisienne à le demande du député Jean-Lambert Tallien, il visait la suppression de la Commune insurrectionnelle et rouvre les discordes entre les deux blocs Montagne et Gironde. Dans un climat pesant et tendu, les députés présents incitent « à l'Union ».



à suivre...



Suite sur la Révolution française
Année 1792, septième partie

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