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Sommaire de la page,

1 - Au sujet de Jean-Marie Roland, ministre de l’intérieur et des cultes

2 - M. Condorcet, au nom du comité d'instruction publique, le 21 avril 1792

3 - M. Roland, à l'Assemblée, le 25 avril 1792

4 - Chronologie du 1er avril au 19 juin 1792


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Au sujet de Jean-Marie Roland,

ministre de l’intérieur et des cultes
 


Portrait de Jean-Marie Roland de la Platière
« Le registre conservé aux Archives nationales sous la cote F-12-178, qui renferme la correspondance du Ministre de l'intérieur, d’avril à octobre 1792, relative au commerce, manufactures, aux subsistances et autres objets d'administration générale dans les attributions de la 6e division, mérite d'autant plus de retenir l'attention qu'il est le seul de cette correspondance qui soit arrivé jusqu'à nous à travers les orages de la période révolutionnaire et ses multiples causes de destruction qui ont atteint les archives de nos ministères, surtout celles du Ministère de l'intérieur.  Ce registre contient la transcription de plus d'un millier de lettres, embrassant la période du 16 avril au 14 octobre 1792 et se rapportant aux moments les plus troublés de la Révolution, notamment aux journées du 20 juin et du 10 août, à la suite desquelles sombra la monarchie. »

Bienvenue aux enfers ou sous-sols des archives, des éléments souterrains par excellence, l’objet n’est pas en soit de critiquer le travail d’un archiviste et historien reconnu, les travaux d’Alexandre Tuetey sont une somme et participe à une connaissance sur le mouvement révolutionnaire, dans la tradition de l’Ecole nationale des Chartes. Mais il y a de quoi rester alerte sur la nature des archives, ou sur telles pièces qui ont pu échapper aux flammes, où est la part de vrai et de faux, telle est la question? Que des documents aient pu brûler, oui notamment des actes paroissiaux et titres de noblesse, et le filon a été plus qu’exploité pour expliquer certaines lacunes et impossibilités de restituer avec précision certains faits. Mais plus de 200 ans après l’étendu des textes ou des fonds ne fait que grandir au fil des décennies au sein des bibliothèques ou universités dans le monde, le tout participant des analyses sur la Révolution.

Enfer parce que l’organisation de son collectage et la mise en carton ont été probablement l’objet de nombreuses manipulations et malveillances volontaires, des dépouillements pas toujours menés de manière exhaustive. Si "l’histoire officielle"
a bien pu se cacher dans nombre de recoins (notamment au titre des cours d'histoire de la troisième République, mais pas seulement), ce qu'il est nommé aujourd'hui le roman national, se trouve dans l’organisation, de comment ont pu être administré les Archives nationales et les différentes structures rattachées à cet office de la mémoire collective, qu'une part des contenus a pu se perdre, ou être volontairement éliminée, voire être insuffisamment traitée.

Tout comme Pétion de Villeneuve et parfois en plus caricatural, Jean-Marie Roland a comme une odeur de souffre, parent pauvre de la mémoire historique, victime lui aussi des légendes dorées et noires, comment parler d’un pur produit de son époque et d’un homme, que l’on a peu tendance à mettre en arrière plan? Pourtant il fut un de ceux qui le mieux connut les rouages administratifs, ses incohérences comme ses faiblesses. Sur la plan intellectuel, il n’est pas simple à situer, ses sujets n’étant pas une littérature romanesque, il pourrait passer pour ennuyeux, mais il maîtrisa aussi bien le droit et l’économie et un domaine ayant perdu de son prestige : les arts et métiers. 

« On serait tenté de croire que la gravité des événements qui se déroulèrent alors eût dû faire rejeter à l'arrière-plan les affaires de pure administration; mais d'une part si l'Assemblée législative, entraînée par le courant révolutionnaire, ne put s'occuper d’une façon suivie des matières administratives soumises à son examen; d'autre part, il n'en fut pas de même des rouages administratifs, qui continuèrent à fonctionner avec une régularité remarquable. On voit donc tout l'intérêt, que peut offrir pour l'histoire si peu connue de l'administration à cette époque cette correspondance du Ministre de l'intérieur, surtout si l’on se rend compte que, sur les six mois qu’elle comprend, quatre au moins se rapportent au premier et au second ministère de Roland : savoir du 16 avril au 12 juin 1792 et du 10 août au 14 octobre 1792. La période intermédiaire étant remplie par les ministères éphémères de Mourgues, Terrier de Montciel et Champion de Villeneuve, qui restèrent trop peu de temps en fonctions pour avoir eu la possibilité de suivre les affaires et durent le plus souvent s'en rapporter à leurs bureaux. Par conséquent, c'est par les lettres écrites pendant le double ministère de Roland que l’on pourra le mieux juger la marche de l'administration, celles de ces lettres qui traitaient de questions importantes ayant été libellées non seulement sous l'inspiration du ministre, mais encore rédigées de sa main ». (…) « A la fin de septembre 1791, l'Assemblée constituante avait mis à la disposition du Ministre de l'intérieur un crédit de 12 millions pour achat de subsistances. Le 5 juin, Roland, appelé à justifier devant l'Assemblée législative de l'emploi de ces fonds, démontra que la somme en question se trouvait à peu près dépensée, sauf un reliquat de 500.000 livres ». 
Source : Gallica-Bnf Correspondance du ministre de l'Intérieur relative au commerce etc.
 
16 avril/14 octobre 1792 - publiée et annotée par Alexandre Tuetey


Jean-Marie Roland, une fois nommé ministre une première fois allait à la fois concentrer certaines colères pas toujours fondées sur les échecs passés et celles de son collègue Clavière aux finances, et en retour de balancier, toute une série de reconnaissance pas toujours sincère lors de son retour au ministère deux mois après. A la recherche d’un équilibre, s’il y a eu de quoi contester certaines mesures, Roland n’avais pas dérogé sur ces principes ou idées de ce que pouvait représenter un ministère pour un homme qui avait passé sa vie durant dans l’administration publique royale. Robespierre a été l’Incorruptible aux vues de ses valeurs ou de sa morale, M. Roland représentait au même titre la droiture et le respect de ses idées. Au titre des vertus, l’un et l’autre furent conformes à ce qui les engageait dans l’adversité. Le vertueux fut un des qualificatifs pour désigner Jean-Marie Roland en positif, comme en négatif sous la plume d’Hébert.

De plus, il faut être réservé sur la bonne gestion de l’administration ou sur « la régularité remarquable », le terme est flatteur, la réalité peu reluisante. De quoi rester songeur quand à cette anecdote montée par la presse et qui nous est resté jusqu’à ce jour d’un Roland mal vêtu, où cherchant en son sein ses fonctionnaires à la tête d’un ministère où sur le papier tout était parfait. Mais à gratter la gestion des affaires publiques, il existait peu de positif à découvrir pour les administrés. Notamment pour les usagers pauvres du pays, et à l'examen du comité des secours aux indigents de l’Assemblée, difficilement soupçonnable de thèses radicales. L'état des choses était plus que souffrant. Il y a le versus et le verso, pourrait-on penser tout en restant prudent, et entre autres sur ce qui a pu advenir de toutes les lettres ou courriers des mains de M. Roland. Il se vit confier l’activité de l’ancien « Secrétaire de la Maison de roi », cette continuité des pouvoirs, lui donna une lourde charge, en raison des champs de compétence et d’actions les plus sensibles parmi les missions de l'État. Clavière jonglait avec les chiffres et Servan mobilisait comme il pouvait dans l’esprit de la Fédération, le rôle très ingrat de ce ministère de l’intérieur était parti en quenouille entre 1790 et 1792, en fait, un sujet explosif.

Roland aurait nécessité un temps plus long pour qu’il puisse exprimer tous ses talents. Par ailleurs, il est impossible de dire que lui ou sa femme n’ont pas commis d’erreurs politiques. La première a été de croire que l’honnêteté y suffirait. Les époux Roland ne furent pas très habiles politiquement ou des tacticiens. Aux manettes du pouvoir, l’application des lois primait. Des intellectuels mal compris, qui ne cherchèrent pas vraiment la publicité, comme relégués aux mémoires et pas suffisamment dignes des grandes pages de notre histoire. Tous les recollements des écrits de ce couple sont éclatés, faisant que l’on passe à des tonalités et lectures souvent accusatrices, ou sur le ton péremptoire des académiciens marginalisant un duo pour le moins peu conventionnel ; et non libertin au plus cru de la chose, que des malveillants tentèrent de faire croire de leur vivant.

Son épouse lors du premier ministère fut en retrait des activités de son mari et s'était tenue à son rôle de plume, plus présente et active, une fois celui-ci éjecté du pouvoir en juin 1792. Manon Roland tenait aussi bien sa maison, qu’elle circulait sur le terrain baignant comme un poisson dans sa ville natale. Elle fut présente lors de la fusillade au champ de Mars et son regard ne fut pas tendre à l’égard des Cordeliers. Elle se fit aussi remarquée à l’Assemblée ou aux Jacobins, avec son ami Bosc, au sein du comité de correspondance. Elle a su être présente et tenir un rôle d’observatrice sans concession, sur certaines scènes, comme celle du 17 juillet 1791 au champ de Mars. Son regard et ses critiques acerbes sur les mêmes qui allaient les démolir d'ici quelques temps, s'avère très cocasse et pas totalement inexacte, du moins fidèle à sa perception d’un événement conducteur et donnant un angle moins glorieux à certains agitateurs. Le couple fit un peu office de boulet des jacobins, toute tendance confondue, à partir de première scission des Amis de la Constitution. Leur donner un peu d’espace n’entre pas dans la cohérence habituelle, tant de récits les ont négliger et vus au sein des « girondins » comme le fait d’un seul tenant ou carcan, n’a pas aidé à les sortir de l’ombre.

Les Roland, Marie-Jeanne et Jean-Marie sont deux acteurs importants de l’année 1792, avant la venue de la première République, jusqu’à la condamnation à mort de Louis Capet. Ce couple si particulier a été finalement l’objet d’assez peu d’écrits. Si l’on prend pour base la masse de documents existants et le ministre passe pour beaucoup à la trappe. Même s’il existe des raisons évidentes à ce qu’ils aient été l’objet de moins d’attention que d’autres ; ils furent présents et actifs, mais pas pour autant des tribuns. Ils pâtissent d’avoir été des révélateurs et aussi des observateurs des malaises et contradictions. Mais ils rejoignent le lot de nombreux participants dont à fait plus parler, que restituer ou re-situer - à savoir - leur rôle véritable dans le processus.  Les suivre en cette année de toutes les turbulences permet néanmoins de trouver un point d’observation, qu’on ne peut pas qualifier de totalement neutre, mais qui permet de découvrir sans pareil la création en quelques semaines d’une République de 28 millions d’âmes et les raisons de son improbable existence. Et qui à la première heure ne résista pas aux outrances et sèma l’effroi dans la capitale dans les prémices de ce que l’on nomme la « Terreur ».

Grâce à un auteur et historien, Claude Perroud, il fallut attendre le vingtième siècle, pour les sortir d’une forme d’oubli, ou bien d’avoir été l’objet d’auteurs plutôt conservateurs comme Sainte Beuve. Le travail de Claude Perroud a été de faire le tri et ne pas se fier à tous les écrits et les authentifier avant toute publication. Il eut été dommage d’avoir consacré une page particulière à Marie-Jeanne Roland, sans à un moment se concentrer un peu plus sur son mari et leurs relations avec Jacques-Pierre Brissot. Jusqu’à présent dans cet écrit, il a été peu abordé les fonctions des ministres, en dehors du rôle de Necker et des finances du royaume, et un court tour d’horizon des prisons et hôpitaux parisiens. Les responsabilités confiées en cette année 1792 à Jean-Marie Roland étaient loin d’être insignifiantes.

Sa femme participa à son deuxième cabinet et ils se virent confrontés aux débuts à de grosses tourmentes. Même à titre métaphorique, ils se trouvèrent dans l’œil du cyclone. Le ministre de l’intérieur et des cultes, mais aussi en charge des postes, de l’approvisionnement, et de fait au maintien de l’ordre, ce ministère s'afférait de nombre de dossiers sensibles et hautement politiques. Loyal avec le roi et se tenant aux règles, il n’hésita pas rapidement à afficher ses désaccords et à démissionner suite au veto royal avec son collègue Clavière aux finances. Le parcours de Dumouriez s’engageait dans ce qui allait lui tenir de gloire (la bataille de Valmy), et de sortir d’un gouvernement sitôt né, sitôt avorté. Quatre changements de cabinets ministériels pour la seule période de décembre 1791 à juillet 1792, les remaniements ministériels démontrèrent une instabilité, rarement évoquée, mais qui ne peut que retenir l’attention.

Par ailleurs, rien ne démontre que Madame Roland fut en situation dominante face à son mari, Jean-Marie, cette approche consistant à vouloir faire porter "la culotte" à l’un des deux ne correspond pas à ce couple difficilement classable. Ce jugement général est très illustratif chez Adolphe Thiers, plus politique et phallocrate qu’historien, nous avons toute la mesure d’un jugement masculin de son temps. Voici ce qu’il dit du couple :

« Cet homme, avec des mœurs austères, des doctrines inflexibles, et un aspect froid et dur, cédait, sans s'en douter, à l'ascendant supérieur de sa femme. Madame Roland était jeune et belle. Nourrie, au fond de la retraite, d'idées philosophiques et républicaines, elle avait conçu des pensées supérieures à son sexe, et s'était fait, des principes qui régnaient alors, une religion sévère. Vivant dans une amitié intime avec son époux, elle lui prêtait sa plume, lui communiquait une partie de sa vivacité, et soufflait son enthousiasme non seulement à son mari, mais à tous les girondins, qui, passionnés pour la liberté et la philosophie, adoraient en elle la beauté, l'esprit et leurs propres opinions. »

Source : Gallica-Bnf, Histoire de la Rev. fr., Adolphe Thiers –  tome II, page 63
Ce qui est dit sur les Roland de la Platière laisse pantois sur la relation aux femmes, le reflet du siècle suivant, quand le genre féminin connut plus de liberté au XVIIIe siècle, et notamment au sein de l’aristocratie. Mais Thiers en son étroitesse d’esprit ne sera pas le seul à servir des clichés et approximations sur ce mariage peu conventionnel et cousu de fil blanc...

Quand Jean-Marie Roland se rendit à son ministère pour les premières fois, il provoqua un scandale et se répandirent des railleries à son sujet. Ô grand drame de la futilité, ce dernier ne portait point de boucles à ses souliers et un chapeau ordinaire, rond. Il ne s’habillait pas en conformité à ce que l’on pouvait attendre d’un ministre ou un personnage de son rang. C’est ainsi que la presse royaliste se déchaîna contre cet homme. La moquerie est à ce titre la marque d’une époque, ou le fait de ridiculiser une personne pouvait s’apparenter à une mort sociale, ou une volonté de nuire à autrui. Ce détail d’un intérêt en apparence mineur aurait plutôt tendance à le rendre sympathique. Dire qu’il était froid et dur, d’autres écrits peuvent prouver le contraire, ne serait-ce qu'a pu écrire sa femme, et sa fin de vie n’est pas l’empreinte de l’insensibilité. Mais l’objet du portrait psychologique, nous renvoyant à trop d’à peu près, et son caractère important peu, c’est la nature de ses activités et ce qu’il a pu laisser comme trace qui doit attirer l’attention. Il semble surtout que son arrivée bouscula les habitudes, et obligea les fonctionnaires jusqu'alors, plus aptes à la rumeur qu’à la conduite d’un ministère. Cette extrême dureté semble avoir tenu en l’idée d’avoir des collaborateurs présents et répondant aux besoins d’une administration clef. Et la raison de la présence de sa femme à ses côtés en août, Manon Roland s'occupa des courriers du ministère face à des fonctionnaires d’une efficacité relative ou très peu nombreux pour parler d’une administration véritablement structurée, en particulier sur la nature de ses recrutements.

Au mieux ce que l’on peut juger, c’est l’attitude de Monsieur Roland pendant la Révolution, il vaudrait mieux parler de principes à son sujet et d’un esprit très rigoureux. Inspecteur des manufactures, il venait de prendre sa retraite après 38 ou 40 ans de loyaux services, quelques mois auparavant et a cru un moment à une retraite paisible dans son clos de la Platière, héritage familial. De là en faire un simple fonctionnaire, cet homme âgé de 58 ans fut aussi l’auteur d’ouvrages techniques ou du ressort des arts et métiers, mais pas seulement, il existe un intérêt vif au savoir et à l’écriture. Monsieur Roland était à Lyon avec sa femme quand éclata la révolution. Elu en 1790 au Conseil général de la commune, il était envoyé par son département l’année suivante à Paris pour défendre les intérêts des manufactures lyonnaises, tout en favorisant la création d'un club jacobin local et en écrivant dans le Courrier de Lyon. Ce même journal était en lien avec le Patriote Français de Brissot. Les deux hommes se connaissaient depuis 1787, et l’on peut penser que sa nomination comme ministre ne fut pas totalement fortuite, mais semble-t-il d’à propos.

M. Roland pourrait ressembler à ce que l’on nomme un ministre « technique » ou provenant de la société civile. Sa nomination en mars comme ministre de l’intérieur et des cultes tenait au fait qu’il n’avait pas été député. Et ceci en vertu de la séparation des pouvoirs à la Constituante ou à la Législative. S’étant installé depuis peu dans la capitale, il profita de l’effet d’aubaine et Marie-Jeanne née Phlipon ou Me Roland, souhaitait vivement revenir à ses sources parisiennes. Les voilà non seulement installés et lui tutélaire d’un portefeuille plus que sensible. Car non seulement le ministre, à sous ses responsabilités les questions de l’ordre, mais aussi il devait assurer l’approvisionnement des denrées, notamment les greniers de blé du pays, ce fut même, son premier courrier ministériel que l’on trouve dans l’ouvrage d’Alexandre Tuetuey.

Sa première décision fut de traiter avec les vendeurs de blé des ports de Gènes, d’Angleterre ou de Hollande en différents achats. Dans l’exposé de ses motifs, il expliqua que les 12 millions devaient se répartir en deux tranches (6 millions pour Gènes et 6 autres pour les deux autres marchés, les Italiens étant moins chers)  de façon à ce que les ports de Marseille, Bordeaux, etc., puissent remplir les greniers avant la récolte et ainsi stopper la spéculation au plus vite et prévenir la demande interne avec des prix en baisse. Non seulement il rendit compte précisément de ses objectifs et en expliqua la teneur. Par ailleurs, dans les correspondances du ministère, on le découvre écrivant au sujet d’une école à Maison-Alfort expliquant à l’administration que les pièces demandées n’ont pas être exigé pour ce qui est une délégation de service. L’objet du litige se résumant à payer le séjour des élèves au directeur de l’établissement et permettre, que ces derniers puissent se nourrir. Face à la paperasserie et les tracasseries administratives, il tenta d’en expliquer la teneur et les raisons à une administration tatillonne ou oppressive.

Si son style d’écriture n’est pas équivalent à celui de son épouse, on dénote rapidement des compétences et des capacités à régler en toute légalité des affaires délicates et d’État. Son premier ministère dura de mars à juin, puis de nouveau à partir du 10 août jusqu’en mars 1793, il resta à la même fonction. Bien qu’il eût pu devenir député à la Convention, son ministère de courte durée s’avéra être une sérieuse épreuve et un exemple à citer. Il y a bien évidemment des critiques à mener, ses positions sur les prêtres réfractaires et les mesures à prendre ne le fait pas entrer dans la colonne des saints. Seulement et ce qui peut sembler incroyable, on ne peut pas dire qu’il a été un sujet d’étude très approfondi, il est surtout mentionné et en dehors de Claude Perroud, les Roland et même Brissot semblent trop effacés dans les récits historiques. Si le terme girondin est donné, on le doit notamment à M. Vergniaud et Guadet, députés de Bordeaux et à un très grand nombre d’interventions au sein de l’Assemblée législative.

Fin 1791, l’on usait plus du terme de « Brissotins », pour désigner la coalition, le point fort de Brissot était d’avoir en partie les rênes sur les clubs jacobins et d'avoir été un puissant patron de presse et d’attirer les élus du marais. Lui et ses amis avaient tous les atouts en main, peut-on présumer en ce début d’année, et s’il y avait à retenir un terme générique pour définir un peu mieux les « girondins », il faudrait comprendre le camp des fédéralistes. Quand Michelet pour l’année 1792 parle de « Girondins et Jacobins » pour opposer fédéralistes et centralistes, il écrit une erreur assez monumentale au regard des faits, il nomme mal l’état politique du moment. Pour ce qui fera clivage plus tardivement l’objet d’une guerre civile, et de la forte position des Girondins dans certaines provinces de France. Faut-il aussi souligner que Robespierre était minoritaire au sein des Jacobins de la capitale, il y joua plutôt profil bas ou ce qui pouvait se résumer à une stratégie politique, et il se savait sous les menaces des ultras royalistes. S’il trouva écoute et lecteurs, son discours s’affûta, et pour toute la galaxie démocrate et républicaine, certains événements parisiens et la guerre provoquèrent un tumulte, et une peur plus que compréhensible, vers des lendemains plus qu’incertains.

Légende : Le feu du patriotisme
les animent tous


Marie-Jeanne Phlipon, alias Manon, et Jean-Marie Roland à la croisée des chemins et des opinions

La
« sorcière girondine » pour quelques-uns et cet étrange homme mettant l’intérêt commun au-dessus de tout, tous deux ont eu droit à l’exagération et même des portraits tronqués. Pour le moins, ils ont été sous-estimés, voire incompris. Dans la postérité et ouvrages biographiques, Manon Roland par rapport à Olympes de Gouges ou de Théroigne de Méricourt, est restée la figure historique la plus en retrait, la confinant à un ordre social très bourgeois ou conforme. Ils n’avaient pas comme d’autres la folie des grandeurs ou bien les comportements adéquats, même si Hébert a bien cherché avec son journal le Père Duchêne à les faire passer pour triviaux et aimant un peu trop les ors du ministère. Alors que tout démontra que sur la question des principes et de l’argent et de l’enrichissement, à l'instar de Robespierre, comme de Marat, que tous se trouvaient à mille lieu de tels enjeux et même dans la manière d’être, l'intérêt général primait.

Il est vraiment étrange ce ministre rendant compte des sommes employées dans son ministère et sous son exercice, faisant des compte-rendus moraux de ses activités, se souciant de l’argent public fut une attitude qui marqua son passage au ministère de l’Intérieur. Jean-Marie Roland et son épouse firent cause commune, et elle a été pour tous les témoignages la petite et grande main anonyme des écrits de cette période incertaine, ce fut elle sur la scène révolutionnaire qui resta le plus en retrait ou à l’arrière-plan. Pourtant, ce fut lui dont on a évoqué assez peu les évolutions, sur qui tombèrent les foudres et les haines. Leurs crimes, une certaine idée de la vérité, et quoi que veuille les moralistes des exceptions à la règle. Le vertueux M. Roland comme le dépeignait Hébert était du ressort de la satire ou des excès de plume.

Cependant, Jean-Marie Roland, et les ministres Servan, et Clavière, protégés de Brissot ou inversement, plus Dumouriez ne composaient pas un véritable projet politique et sur l’homogénéité du groupe, il y aurait à émettre des réserves. Personne n’a pu échapper à des contradictions et Brissot comme chef de file, entre la morale et la pratique, l’engagement dans la guerre allait devenir totale et le fruit de tous les malheurs, plus les mauvais choix économiques ou une certaine continuité ne fit pas illusion longtemps. Ils n'étaient que le paravent d’une bourgeoisie élitaire ouverte aux idées d’outre-Manche. La sincérité des Roland fut aussi leur ruine morale et politique, des intellectualités isolées ne firent pas un courant d’idée et encore moins des canaux d’opinions solides. L’égalité, la vraie, si présente dans les discours participait de l’illusion, les masses inexpertes parce que ne résonnant pas d’une voix, les peuples jugent à l’aune des résultats, et tout allait empirer. Là où la lumière aurait pu briller! Les belles idées, même une fois dépliées de leurs enveloppes, ou contenus, sans confrontation au réel ne pouvaient que s’effondrer.

Bien sûr que la famille girondine était bien plus large. En l’état ne sont cités que les hommes de pouvoirs. Chaque personnage représente une étude propre, le risque de dispersion est grand et l’on touche à certaines limites de l’esprit humain, celui de tout historien n'est pas de pouvoir répondre à tout, mais de répondre à ce qu’il peut et avec prudence. Avec en premier lieu à un impératif se nommant le temps. Qui plus est comme la mémoire est toujours faillible, chacun est amené à se rendre compte des erreurs, plus exactement des siennes. L’épreuve chronologique, du temps passant, est une base, et, à chacun d’engager ses propres recherches, d’aller plus loin. Il n’est pas totalement fait exprès de choisir de zones d’ombres ou méconnues. Mais il est impossible d’expliquer que telle partie de l’opinion à basculer, c’est une abstraction, dans le détail du quotidien, quand il y a moyen de faire remonter des inconnu-e-s ou ce qui ressemble à des énigmes?

La première, ce Peuple si louangé est en général assez lointain, et avec la Gironde nous touchons le haut du panier de la bourgeoisie française et ce qui composait sa frange intellectuelle. Probablement la plus féconde était née dans l’encyclopédisme du siècle. Nous sommes loin des thèses de Marx ou de Keynes, tout découlait du courant des économistes dits physiocrates. Ce n’était pas l’école libérale française à proprement parler, il s’agissait avec Nicolas de Condorcet d’un mouvement qui démontra déjà ses limites sous Turgot, l’expérimentateur du libre commerce. C’est à chaque fois le même problème, à tout vouloir unifier d’un seul tenant, entre une part d’imprécision et rien n’est plus azimuté que ce terme : libéral. Qui repose à la fois sur des évolutions communes et disjointes, mais qui est né en France non point d’une école laïque, mais d’une critique du système religieux et de la répression qui s’abattit tout au long du dix-huitième siècle sur les Jansénistes ou supposés tels.

Les prisons allaient regorger de ces critiques qui avaient pour prétention d’être du côté des sciences, et qui avaient été à l’origine de nombreux libelles. Ceci a posé une grille de lecture peu orthodoxe ou propre à nourrir l’idée d'une lutte des classes. Cela pose aussi dans ce travail de rappeler que l’entité géographique choisie, la capitale est de ce point de vue peu représentative du pays ou de la majorité de ses concitoyens, qui vivait en France et dans les colonies. Faire un récit ou 99,99% de la population serait amener à s’exprimer est une inconnue, et, dont on connaît bien à peine 3 à 5% de ses membres : noblesse ou gens de robe et grande bourgeoisie notamment. Cela pose de sérieuses difficultés à établir ou laisser s’exprimer, la voix d’un Peuple, pas plus que ne le furent les Montagnards, plus représentatifs de la petite bourgeoisie et de certaines formes d'arrivisme. Nous sommes encore dans une logique de caste, plus que de luttes des classes, ou bien à l'intérieur des classes bourgeoises?

Une fois cette parenthèse écrite, revenons à la matrice du temps et aux réalités observables. La crise économique était à vif depuis janvier 1792, la non observance de droits égaux pour tous les humains et les esclaves en particulier, sauf pour les affranchis, cette maigre avancée avait de quoi ternir cette nouvelle équipe dirigeante. Cet ordre raciste de la société a été manifeste, et il n’est pas possible de gommer les mots, qui plus est, ils étaient une source de revenu pour une infime minorité. Les mots « nègres, mulâtres, gens de couleurs » sont présents dans les actes légaux, sous les plumes et dans les têtes le genre humain restait à naître. Découvrir un comité des colonies au sein de la Législative, et Roland signer avec le roi en avril, interpelle. Surtout quand de l’autre côté de la rive atlantique la majorité était soumise et ne pouvait se libérer des chaînes de l'esclavage, que dans la violence.

Paris faisait en partie illusion, quand tout cela se voulait à l’unisson, les Parisiens toujours aux premières loges allaient vivre les grands spasmes d’une nouvelle liberté. Quand certains font appel au meilleur de l’humain, ils s’illusionnent de leurs propres intentions et ne font que reproduire partiellement et de génération en génération une histoire crépusculaire, une folie héréditaire… Les politiques veulent le pouvoir et les mots les couvrent des plus belles intentions pour l'humanité, mais au final à l’heure de rendre des comptes, il peut y avoir une tendance à enjoliver les choses. C’est justement ce léger décalage qui fait des Roland des personnages peu conventionnels. Les Roland ont cru trop tôt, eux aussi, que la Révolution était arrivée à son terme en août avec l’arrivée des démocrates et républicains aux manettes, et à la tête de l’appareil d’État. Erreur tragique, les difficultés ne faisaient que commencer…

Texte de Lionel Mesnard



M. Condorcet, au nom du comité
 d'instruction publique

Assemblée nationale, le 21 avril 1792

Suite à son rapport ayant débuté le 20 avril, 
Nicolas de Condorcet présente un projet de décret sur l'organisation générale de l'instruction publique. Il  s'exprime ainsi : 

« Les conférences hebdomadaires proposées pour ces 2 premiers degrés ne doivent pas être retardées comme un faible moyen d'instruction. 40 ou 50 leçons par année peuvent renfermer une grande étendue de connaissances, dont les plus importantes répétées chaque année, d'autres tous les 2 ans, finiront par être entièrement comprises, retenues, par ne pouvoir plus être oubliées. En même temps, une autre portion de cet enseignement se renouvellera continuellement, parce qu'elle aura pour objet, soit des procédés nouveaux d'agriculture ou d!arts mécaniques, des observations, des remarques nouvelles, soit l'exposition des lois générales, à mesure qu'elles seront promulguées, le développement des opérations du gouvernement d'un intérêt universel. Elle soutiendra la curiosité, augmentera l'intérêt de ces leçons, entretiendra l'esprit public et le goût de l'occupation. Qu'on ne craigne pas que la gravité de ces instructions en écarte le peuple. Pour l'homme occupé de travaux corporels le repos seul est un plaisir, et une légère contention d'esprit un véritable délassement : c'est pour lui ce qu'est le mouvement du corps pour le savant livré à des études sédentaires, un moyen de ne pas laisser engourdir celles de ses facultés que ses occupations habituelles n'exercent pas assez. L'homme des campagnes, l'artisan des villes, ne dédaignera point des connaissances dont il aura une fois connu les avantages par son expérience ou celle de ses voisins. Si la seule curiosité l'attire d'abord, bientôt l'intérêt le retiendra. La frivolité, le dégoût des choses sérieuses, 
le dédain pour ce qui n'est qu'utile ne sont pas les vices des hommes pauvres ; et cette prétendue stupidité, née de l'asservissement et de l'humiliation, disparaîtra bientôt, lorsque des hommes libres trouveront auprès d'eux les moyens de briser la dernière et la plus honteuse de leurs chaînes. 


Le troisième degré d'instruction embrasse les éléments de toutes les connaissances humaines. L'instruction considérée comme partie de l'éducation générale y est absolument complète. 
Elle renferme ce qui est nécessaire pour être en état de se préparer à remplir les fonctions publiques, qui exigent le plus en lumière, ou de se livrer avec succès à des études plus approfondies ; c'est là que se formeront les instituteurs des écoles secondaires, que se perfectionneront les maîtres des écoles primaires, déjà formés, dans celles du second degrés 
Le nombre des instituts a été porté à 114, et il en sera établi dans chaque département. On y enseignera non seulement ce qu'il est utile de savoir comme homme, comme citoyen, à quelque profession qu'on se destine, mais aussi tout ce qui peut l'être pour chaque grande division de ces professions, comme l'agriculture, les arts mécaniques, l'art militaire, et même on y a joint les connaissances médicales nécessaires aux simples praticiens, aux sages-femmes, aux artistes vétérinaires. 
En jetant les yeux sur la liste des professeurs», on remarquera peut-être que les objets d'instruction n'y sont pas distribués suivant une division philosophique, que les sciences physiques et mathématiques y occupent une très grande place, tandis que les connaissances qui dominaient dans l'ancien enseignement y paraissent négligées. 
Mais nous avons cru devoir distribuer les sciences, d'après les méthodes qu'elles emploient par conséquent, d'après la réunion de connaissances qui existent le plus ordinairement, chez les hommes instruits ou qu'il leur est plus facile de compléter. 
Peut-être une classification philosophique des sciences n'eût été dans l'application qu'embarrassante et presque impraticable.

En effet, prendrait-on pour base les diverses facultés de l'esprit, mais l'étude de chaque science les met toutes en activité, et contribue à les développer et à les perfectionner. Nous les exerçons même toutes à la fois, presque dans chacune des opérations intellectuelles. Comment attribuerez-vous telle partie des connaissances humaines à la mémoire, à l'imagination, si lorsque vous demandez par exemple à un enfant de démontrer sur une planche, une proposition de géométrie, il ne peut y parvenir sans employer à la fois sa mémoire, son imagination et sa raison? Vous mettrez sans doute la connaissance des faits dans la classe que vous affectez à la mémoire, vous placerez donc l'histoire naturelle à côté de celle des nations, l'étude des arts auprès de celle des langues, vous les séparerez de la chimie, de la politique, de la physique, de l'analyse métaphysique, sciences auxquelles ces connaissances des faits sont liées, et par la nature des choses, et par la méthode même de les traiter. Prendra-t-on pour base la nature des objets? Mais le même objet, suivant la manière de l’envisager, appartient à des sciences absolument différentes. Ces sciences exigent des qualités d'esprit qu'une même personne réunit rarement et aurait été très difficile de trouver et peut-être de former des hommes en état de se plier à ces divisions d'enseignement.

Ces mêmes sciences ainsi distribuées ne se rapporteraient pas aux mêmes professions, leurs parties n'inspireraient pas un goût égal aux mêmes esprits, et ces divisions auraient fatigué les élèves comme les maîtres. 
Quelque autre base philosophique que l’on choisisse, on se trouvera toujours arrêté par des obstacles du même genre. D'ailleurs, il fallait donner à chaque partie une certaine étendue, et maintenir entre elles une espèce d'équilibre; or, dans une division philosophique on ne pouvait y parvenir qu'en réunissant par l'enseignement ce qu'on aurait séparé par la classification. Nous avons donc imité dans nos distributions la marche que l'esprit humain a suivie dans ses recherches, sans prétendre l'assujettir à en prendre une autre, d'après celles que nous donnerions à l'enseignement. Le génie veut être libre, toute servitude le flétrit, et souvent on le voit porter encore, lorsqu'il est dans toute sa force, l'empreinte des fers qu'on lui avait donnés au moment où son premier germe se développait dans les exercices de l'enfance. Ainsi, puisqu'il faut nécessairement une distribution d'études, nous avons dû préférer celle qui s'était d'elle-même librement établie, au milieu des progrès rapides que tous les genres de connaissances ont faits depuis un demi-siècle. 


Plusieurs motifs ont déterminé l'espèce de préférence accordée aux sciences mathématiques et physiques. D'abord pour les hommes qui ne se dévouent point à de longues études, qui n'approfondissent aucun genre de connaissance, étude même élémentaire de ces sciences est le moyen le plus sur de développer leurs facultés intellectuelles, de leur apprendre à raisonner juste, à bien analyser leurs idées. On peut, sans doute, en s'appliquant à la littérature, a la grammaire, à l'histoire, à la politique, à la philosophie en général, acquérir de la justesse, de la méthode, une logique saine et profonde et cependant ignorer les sciences naturelles. De grands exemples l'ont prouvé ; mais les connaissances élémentaires dans ces mêmes genres n'ont pas cet avantage ; elles emploient la raison, mais elles ne la formeraient pas. C'est que dans les sciences naturelles, les idées sont plus simples, plus rigoureusement circonscrites ; c'est que la langue en est plus parfaite, que les mêmes mots y expriment plus exactement les mêmes idées. Les éléments y sont une véritable partie de la science, resserrée dans d'étroites limites, mais complète en elle-même. Elles offrent encore à la raison un moyen de s'exercer, à la portée d'un plus grand nombre d'esprits, surtout dans la jeunesse. Il n'est pas d’enfant, s'il n'est absolument stupide, qui ne puisse acquérir quelque habitude d'application, par des leçons élémentaires d'histoire naturelle ou d'agriculture. Ces sciences sont contre les préjugés, contre la petitesse de l'esprit, un remède sinon plus sûr, au moins plus universel que la philosophie même. Elles sont utiles dans toutes les professions, et il est aisé de voir combien elles le seraient davantage si elles étaient plus uniformément répandues. Ceux qui en suivent la marche voient approcher l'époque où l'utilité pratique de leurs applications va prendre une étendue à laquelle on n'aurait osé porter ses espérances, où les progrès des sciences physiques doivent produire une heureuse révolution dans les arts, et le plus sûr moyen d'accélérer cette révolution est de répandre ces connaissances dans toutes les classes de la société, de leur faciliter les moyens de les acquérir. » (page 227 et 228)

(…) « Le plan que nous présentons à l'Assemblée a été combiné d'après l'examen de l'état actuel des lumières en France et en Europe; d'après ce que les observations de plusieurs siècles ont pu nous apprendre sur la marche de l'esprit humain dans les sciences et dans les arts; enfin, d'après ce qu'on peut attendre et prévoir de ses nouveaux progrès. 
Nous avons cherché ce qui pourrait plus sûrement contribuer à lui donner une marche plus ferme, à rendre ses progrès plus rapides. 
Il viendra sans doute un temps où les sociétés savantes, instituées par l'autorité, seront superflues, et dès lors dangereuses, où même tout établissement public d'instruction deviendrai inutile : ce sera celui où aucune erreur générale, ne sera plus à craindre, où toutes les causes qu'appellent l'intérêt ou les passions au secours des préjugés, auront perdu leur influence ; où les lumières seront répandues avec égalité et sur tous les lieux d'un même territoire, et dans toutes les classes d'une même société; où toutes les sciences et toutes les applications des sciences seront également délivrées du joug de toutes les superstitions et du poison des fausses doctrines, où chaque homme enfin trouvera dans ses propres connaissances, dans la rectitude de son esprit, des armes suffisantes pour repousser toutes les ruses de la charlatanerie; mais ce temps est encore éloigné, notre objet devait être d'en préparer, d'en accélérer l'époque; et en travaillant à former ces institutions nouvelles, nous avons dû nous occuper sans cesse de hâter l'instant heureux où elles deviendront inutiles. (Ce discours a été interrompu presque à chaque phrase par les applaudissements unanimes de l'Assemblée et des spectateurs.) »
Source : Suivi du projet et décret des Titres, le premier concerne l’instruction publique,
 à la
séance du 21 avril 1792
(tome 42) et débats avec amendements proposés
Archives Parlementaires - Librairie de l'université de Stanford (E.U.)


 
M. Roland à l'Assemblée le 25 avril 1792



Buste de J.M. Roland de la Platière par Joseph Chinard


« Messieurs, les troubles intérieurs dont la France est agitée tiennent à des causes générales ou particulières, dont l'examen demande en ce moment la plus sérieuse attention. Les dernières convulsions du fanatisme et de l'aristocratie tendent à les prolonger et à produire, par eux, une dissolution dont les ennemis extérieurs voudraient profiter. Il est évident, pour ces derniers, que leurs efforts seront inutiles, si nous sommes unis pour leur résister. Je n'offrirai point à l'Assemblée les détails immenses de toutes les agitations qui se sont manifestées dans les diverses parties de la France ; les événements les plus remarquables ont été mis sous ses yeux, et l'historique de chacun emporterait un temps considérable; mais après avoir appelé son attention sur les troubles excités par divers prétextes ou par la conduite et les menaces des ennemis de la Révolution, je viens la fixer essentiellement sur ceux que nous devons au fanatisme.

Ici s'ouvre une carrière sans bornes, dont chaque place est marquée par des maux incalculables et des désordres sans cesse répétés. Quelque affligeant que soit le détail des excès qu'on doit principalement attribuer aux causes indiquées dans mon dernier rapport, il ne peut être comparé à la multiplicité de ceux produits par l'intérêt et la vengeance de quelques prêtres forcenés à l'ombre des opinions religieuses. Ce ne sont pas quelques départements seulement où des tumultes passagers aient élevé des craintes, sollicité la vigilance des administrateurs ; c'est une fermentation universelle, dont le levain existe dans toutes les parties de la France, et a soulevé plus ou moins les esprits dans tous les départements. Ici, des prédications incendiaires, faites par des prêtres non assermentés, retentissent de village en village, préviennent les habitants contre les prêtres assermentés, et les portent à s'opposer à leur installation. Là, des écrits séditieux, des menaces violentes multiplient les émeutes, propagent le désordre. De toutes parts, on insinue le mépris des lois, le refus de payer les contributions.

La licence et l'anarchie, inspirées par le fanatisme, font chaque jour de nouveaux progrès. Des femmes séduites et furieuses croient travailler pour le ciel, en portant leurs maris à soutenir des prêtres hypocrites, et en accablant d'outrages ceux que ces prêtres leur indiquent pour ennemis. Les lois, insuffisantes ou méconnues, ne peuvent contenir ou réprimer une foule aveugle; le germe des dissensions civiles se développe de tous côtés ; la division règne dans les familles ; la discorde ravage l'Empire. Il est impossible d'offrir à l'Assemblée les faits nombreux, les événements tragiques, résultats terribles des passions les plus sombres et les plus exaltées. Ils sont consignés dans une correspondance immense que je puis donner en extrait à l'Assemblée. Le salut de l'Empire demande des mesures que la sagesse des législateurs peut seule calculer et ordonner.

C'est dans les différentes crises de l'état violent que je viens d'esquisser, qu'environ 30 à 40 départements se sont vus forcés de prendre des arrêtés qui n'étaient ni prescrits, ni autorisés par la Constitution. Je joins ici l'énumération des départements et l’indication de leurs arrêtés. Injonction aux prêtres non assermentés de quitter les paroisses qu'ils desservaient précédemment, et où ils abusaient de leur ascendant ; ordre de s'en éloigner à telle distance dans un temps donné ; désignation de résidence dans une même ville ou chef-lieu de département, avec ordre de les y surveiller ; telles sont généralement les bases et les principales dispositions de ces arrêtés. Ils ne sont pas l'ouvrage isolé d'un petit nombre de départements, dans les administrateurs desquels on puisse soupçonner de l'exagération et de la partialité ; ils ont été pris, presque partout, à des temps très différents ; ils sont le produit des malheurs passés, des craintes pour l'avenir et des dangers présents. Dans beaucoup d'endroits, ils ont été demandé par des pétitions de citoyens justement alarmés ; partout ils ont été sollicités par la gravité des circonstances et l'excès d'une fermentation dont il fallait prévenir les derniers effets. On le jugeait sans doute ainsi, puisqu'on a laissé le temps s'écouler; plusieurs de ces arrêtés remontent à une date ancienne ; cependant les hommes qu'ils concernaient, et ceux qui prenaient part au sort de ces hommes, ont réclamé contre leur illégalité.

Mon prédécesseur (Ndr : Cahier de Gerville) avait écrit aux départements pour le leur observer et l'on projetait une proclamation pour les casser. Nul doute, messieurs, que la rigueur de la loi n'exige du ministre chargé de la faire exécuter, d'anéantir tout acte qu'elle réprouve ; nul doute aussi que l'application rigoureuse de ce principe ne puisse, dans un temps de crise, compromettre le salut public ; nul doute encore que le moment où nous sommes est extrêmement orageux. Placé entre, l'obligation de me conformer au texte de la loi et le devoir non moins sacré de ne rien faire qui puisse plonger la France dans de nouveaux malheurs, j'ai dû commencer par remontrer aux départements les vices de leurs arrêtés, la nécessité où je serais de les frapper et le bien qu'ils feraient s'ils les retiraient eux-mêmes.

Quelques-uns ont eu égard à ces représentations, plusieurs n'ont pas répondu, d'autres ont observé que les arrêtés qu'ils avaient pris n'ayant pas été mis à exécution, devaient être regardés comme non avenus ; d’autres enfin ont répliqué qu'il était impossible de retirer les leurs sans exciter les plus grands maux ; ce sont ceux de l'Ille-et-Vilaine, de l'Orne et de la Mayenne. Notre soumission, disent-ils, est un de nos premiers devoirs; mais si l'impôt ne se lève pas, ce sont les prêtres réfractaires qui en sont la cause. Si le langage des lois a peine à se faire entendre, c'est toujours à ces hommes qu'il faut s'en prendre, puisqu'ils ont porté partout l'égarement et le désespoir. Nous ne pouvons le dissimuler, la fermentation dans nos campagnes est à son comble, les gardes nationales sont armées; elles poursuivent ces prêtres réfractaires, ou plutôt leur redemandent cette paix dans leur ménage, qui semble en être bannie pour toujours. En retirant notre arrêté, nous exposerions nos concitoyens aux plus grands dangers ; au lieu d'un parti, nous en aurions deux en sens contraire.

Que peut la tolérance religieuse contre l'ambition, l'orgueil et l'avarice des prêtres? Libres de toute crainte, ils grossissent leur parti des ignorants et des faibles qu'ils effraient et de ceux dont ils ont surpris la bonne foi par des manœuvres ou des sophismes. La honte et l'infamie attendent tout dépositaire de l'autorité qui, froidement assis sur la borne posée par une loi imprévoyante, refuserait de s'élancer au-delà pour prévenir ou empêcher le meurtre, qu'un jour, qu'une heure, qu'un moment peut amener (Applaudissements dans les tribunes) ; que le conseil du roi, auquel vous soumettrez votre arrêté, le casse si telle est sa volonté, nous attendrons sa décision avec résignation ; mais le rétracter, est une condition impossible. Nous n'examinerons pas qu'en le faisant, nos jours seraient exposés; le danger qui nous est propre, est le moindre à nos yeux; mais nous sentons qu'il n'y aurait plus le confiance pour nous dans nos administrés ; que nous serions pour eux comme si nous cessions d'exercer nos fonctions ; que la fureur du peuple n'aurait plus de bornes, que le sang coulerait, que les prêtres, dont le salut fait l'objet de votre sollicitude et de la nôtre, seraient les tristes victimes de notre rétractation.

Si malgré ces raisons, que nous sommes bien éloignés de vous rendre avec l'énergie dont elles sont susceptibles, vous croyiez devoir employer contre nous des poursuites rigoureuses, nous abandonnerions sur-le-champ un poste où notre but cependant n'a jamais été que de prouver notre fidélité à la nation, à la loi et au roi, et de nous y rendre aussi utiles qu'il dépendait de nous. Ce n'est point une multitude mutinée qui se soulève contre les non-conformistes, c'est la voix de la nation entière (Applaudissements.) Tant qu'on laissera une libre carrière à leurs trames perfides, jamais la tranquillité publique ne se rétablira; l'expérience, qui est plus forte que tous les raisonnements, le prouve avec évidence.

Je n'ai rien à ajouter, messieurs, à ces rigoureuses expériences, sinon que les dispositions de quelques-uns de ces arrêtés peuvent être considérées comme des mesures de police et les autres paraissent avoir été dictées par l'impérieuse nécessité ; je les soumets tous à l'Assemblée, comme seul juge compétent de ce que les circonstances ont pu exiger au delà de la loi et de ce que la sûreté commune doit faire excuser. Je dois faire remarquer cependant, parmi ces arrêtés, celui du département de la Loire Inférieure, contre lequel je viens de recevoir les réclamations de plusieurs communes, ou plutôt celles de la municipalité de Clisson, auxquelles ont adhéré 20 municipalités voisines. Il paraît que, dans ce département, presque tous les prêtres sont réfractaires ; que leur ascendant est considérable ; que la circonstance des Pâques peut l'avoir augmenté et que l'idée dans ce moment de demeurer sans prêtres, si ceux-là leur étaient enlevés, a effrayé les habitants. Je dois dire encore que le directoire actuel du département, séant à Saintes ayant cru devoir casser un arrêté répressif contre les prêtres, qu'avaient pris les administrateurs précédents, il en est résulté des  agitations dont me font part de nombreux pétitionnaires.

Je terminerai par les observations que m'adressent les administrateurs du département de la Moselle, dans une lettre du 15 de ce mois. La fermentation est extrême dans tous les districts ; partout des citoyens justement irrités de l'abus indigne qu'on fait de la religion pour soulever les esprits faibles et crédules et des manœuvres criminelles qui, toujours ourdies dans l'ombre, échappent presque toujours à la surveillance de la police et à la vengeance des lois, se livrent ou sont prêts à se livrer à des mouvement impétueux et désordonnés ; nous ne pouvons trop répéter qu'il est instant et même très urgent que l'Assemblée nationale et le roi prennent un parti rigoureux et de grandes mesures, pour nous assurer la tranquillité intérieure et nous mettre à l'abri des troubles et des désordres qui désolent déjà plusieurs points de notre département.

Je viens aussi de recevoir des observations détaillées des administrateurs des départements des Landes et du Gard, sur la nécessité de maintenir leurs arrêtés. J'en remets une copie sous les yeux de l'Assemblée. Nous n'avons ni à nous flatter sur nos maux, ni à nous effrayer sur leur nombre. Partout la masse du peuple est saine, partout l'amour de la Constitution prédomine, partout le cri de la liberté s'est élevé, partout son règne doit s'établir; mais il faut à la fois combattre vigoureusement les ennemis du dehors, contenir ceux du dedans, maintenir la paix entre les frères, assurer le triomphe des lois par elles-mêmes et les rendre assez puissantes pour atterrer les malveillants en épargnant leur sang.

La même réclamation se fait entendre dans toutes les parties du royaume ; les mêmes agitations s'y font sentir. Une grande résolution, une même pensée, doivent occuper aujourd'hui tous les Français ; c'est au moment où le patriotisme  rend un nouvel essor, appelle la victoire et brûle de la fixer sous nos drapeaux, qu'il vous paraîtra sage de décréter une mesure efficace pour anéantir dans leur principe les divisions intestines qui nous déchirent et la discorde dont le fanatisme s'est fait un jeu cruel.

15 avril. Je reçois dans ce moment une lettre du directoire du département du Finistère, sur un arrêté qui confirme une délibération du district de Brest, qui fait marcher une force armée de 600 hommes, 2 pièces de canon et 4 commissaires civils, sur la paroisse de Plouzané, qui est en insurrection complète, suscitée par le fanatisme religieux, par la suggestion et les discours incendiaires des prêtres non assermentés et leur coalition coupable avec une municipalité égarée.

18 avril.
Par le même courrier, le procureur syndic du département de la Corrèze me rend compte que la fermentation étant à son comble dans le département, puisque dans la ville de Tulle les deux partis avaient été au moment d'en venir aux mains, ils avaient cru devoir prendre un arrêté, portant : « que tous les prêtres non assermentés seraient tenus de se retirer, dans les 24 heures, dans le sein de leur famille ; que les municipalités où ils se retireraient, les prendraient sous leur protection et surveilleraient avec soin leur conduite, sous leur responsabilité (*). (...)


(*) Copie de la lettre de M. le procureur général syndic du département de la Corrèze, au ministre de l’intérieur, datée de Tulle, le 11 avril 1792.

Je m'empresse de vous prévenir, Monsieur, que la ville de Tulle vient d'éprouver une violente secousse. Depuis longtemps, un des quartiers de cette ville, séduit par les ennemis de la Révolution qu'il renfermait dans son sein, et qui étaient répandus dans le reste le la ville, excité d'ailleurs par des prêtres fanatiques, a enfin levé le masque en se réunissant en armes le lundi de Pâques, sous prétexte qu'il était menacé d'être incendié ; les autres citoyens, surpris de cette démarche, se sont armés de leur côté. La municipalité, pour prévenir les malheurs dont on était menacé, a ordonné sur-le-champ à tous les citoyens de se retirer tranquillement et de poser les armes ; les seuls patriotes ont obéi à cette réquisition.

En vain les corps administratifs ont employé la voie de la persuasion auprès des autres; sourds à toute réquisition, ils se sont précipités sur les patriotes désarmés, heureusement la gendarmerie nationale secondant les efforts des corps administratifs, on est parvenu à les faire rentrer dans leur quartier ; toute la garde nationale, sur la réquisition des 3 corps administratifs, qui avaient décidé de se réunir dans une circonstance aussi critique, s'est rassemblée et a passé la nuit sous les armes ; le lendemain matin, les citoyens des campagnes, avertis des mouvements qui se passaient dans la \ille, ont accouru en foule de tous côtés ; à 10 heures du matin, 6.000 hommes réunis en ont imposé aux malintentionnés.

Alors les corps administratifs, ayant une force imposante à leur disposition, ont pris un arrêté pour faire désarmer les malintentionnés, dont une partie s'était enfin retirée dans leurs maisons, et quelques-uns avaient fui. Le désarmement s'est fait sans le moindre désordre ; 5 personnes sont déjà arrêtées et conduites dans la maison d'arrêt. Depuis 3 jours, il se rend continuellement ici des gardes nationales des campagnes, dont le zèle ne se ralentit pas. Il m'est impossible de vous donner les détails de ce qui s'est passé depuis lundi : le directoire vous enverra copie du procès-verbal, mais nous sommes tous si harassés et nous avons été si occupés, qu'il n'a pu encore être rédigé ni copié.

Malgré une affluence continuelle de plus de 15.000 habitants des campagnes, malgré l'animosité et la juste fureur qu'a excité cette entreprise, les jours de tous nos ennemis ont été respectés. La garde nationale de Tulle s'est conduite avec une modération, avec une humanité qui méritent les plus grands éloges, et si vous trouvez dans le procès-verbal le détail de quelques désordres occasionnés par des individus aigris par l'atrocité de l'entreprise méditée contre les patriotes et égarés par la vengeance, vous serez encore plus frappé de ce qu'aucun citoyen n'a péri et de ce que les coupables ont été conduits et livrés aux tribunaux au milieu du désordre inévitable qu'a occasionné un rassemblement considérable de communes étrangères.

Le procureur général syndic du département de la Corrèze,

Signé : Viel, procureur général.

P.S.
J'étais si préoccupé, monsieur, en faisant ma lettre, que j'ai oublié de vous dire que les brigades de gendarmerie qui ont été requises de se réunir à celle de Tulle se sont conduites d'une manière digne des plus grands éloges.

Pour copie conforme à l'original,  Le ministre de l'intérieur, Signé : Roland.

Source : Bib. de Stanford, Archives Parlementaires


Chronologie du 1er avril au 19 juin 1792
IV – Le mois d’avril 1792

1er avril : A Ajaccio, Bonaparte est élu et promu lieutenant-colonel d’un régiment de volontaires Corses. La Législative adopte le logographe optique de Claude Chappe à des fins militaires, suite au rapport de Gilbert Romme. A la Législative, la baronne hollandaise Etta Palm d'Aelders se présente à la barre avec d'autres femmes : « Après un long éloge des vertus féminines, après avoir soutenu que les femmes égalent les hommes en courage, en talent, et les surpassent presque toujours en imagination, elle prie l'Assemblée de prendre en considération l'état d'avilissement auquel se trouvent réduites les femmes, quant aux droits politiques, et réclament pour elles la pleine jouissance des droits naturels dont elles ont été privées par une longue oppression. Pour arriver à cet but, elle demande que les femmes soient admises aux emplois civils et militaires et que l'éducation des jeunes personnes du sexe soit fondée sur les mêmes bases que celle des hommes. Les femmes ont partagé les dangers de la Révolution ; pourquoi ne participeraient-elles pas à leurs avantages. Les hommes sont libres enfin, et les femmes sont esclaves de mille préjugés. Elles demandent donc :

1
° que l'Assemblée nationale accorde une éducation morale et nationale aux filles ;
2° qu'elles soient déclarées majeures à 21 ans ;
3° que la liberté politique et l'égalité des droits soient communes aux deux sexes ;
4° que le divorce soient décrété.

Source : Bib. de Stanford - Archives parl. - tome XLI, pages 63 et 64

2 avril :
A l’Assemblé est pris un décret précisant qu’il n’y aurait pas de poursuites contre M. Narbonne (ex. ministre de la guerre). Aux Jacobins, M. Grammont, comédien et membre de la Société :  « relate un incident survenu au Palais royal, alors qu'il lisait un écrit concernant les soldats de Châteauvieux : un nommé Dugué, se disait membre de la Société, a ameuté la foule contre lui. Vérification faite, il ne se trouve pas parmi les membres de la Société, ni parmi ses employés, aucune personne de ce nom. On reconnaît là une ruse déjà employée plusieurs fois par les ennemis des patriotes. Robespierre en profite pour demander que la liste des membres de la Société soit imprimée et affichée dans le lieu des séances. Un membre propose que cette liste soit divisée en autant de tableaux qu'il y a de sections. La motion de Robespierre est arrêtée avec l'amendement ». Il semblerait que cette motion n’ait donné lieu à aucune publication (Source : Œuvres complètes de Robespierre, les discours, Tome VIII, PUF 1954)

3 avril : Camille Desmoulins écrit à son père au sujet de Danton, il précise que celui-ci est passé « au camp opposé ». Mieux encore et malgré son opposition à Brissot et son pamphlet à son encontre Brissot démasqué, Desmoulins négocie en coulisse pour un ministère pour son ami :  « J'ai espéré deux jours que je parviendrais à faire nommer Danton, un camarade de collège que j'ai dans le parti opposé, et qui m'estime assez pour ne pas étendre jusqu'à moi la haine qu'il porte à mes opinions. Je m'étais employé de mon mieux et l'avais fortement recommandé à qui il appartient. Nous avons échoué. » (Source : Danton et la Paix, Albert Mathiez, 1919)

4 avril : Le roi donne son aval au décret donnant aux métis (libres de couleurs) et noirs affranchis des droits politiques et annonce l’envoi de commissaires dans les colonies d’Amérique.
Le ministre de l’intérieur, Jean-Marie Roland s’adresse par courrier aux départements et paraphe les décisions au sujet des colonies, signé ce jour par Louis XVI. A la Législative, il est décrété une émission supplémentaire de cinquante millions en assignats pour un total 1,65 milliards en circulation et 6 millions sont mis au compte du Trésor national.

5 avril : A Paris, mise entre parenthèse de la Sorbonne et fermeture des facultés de théologie.

6 avril : Aux Jacobins, ce n’est pas la première fois que les soldats de Château-Vieux sont à l’ordre du jour, pendant une intervention tournée contre le général Lafayette et citée plusieurs fois, Collot-d’Herbois coupe « l’Incorruptible » pour dire : « M. Robespierre oublie un fait : qu'est-ce qui fait faire tous les jours ces libelles infamants? Lafayette. », le tout suivi d’applaudissements. Reprenant la parole, c’est l’occasion pour Robespierre de rappeler et de conclure « qu'au lieu de dire Bouillé seul est coupable, on dise, les tyrans seuls sont coupables » et « quand tous les bons citoyens verront que Lafayette est le seul moteur de ces intrigues, tout se ralliera. » A l’Assemblée, il est pris un décret pour l’envoi de troupes en Seine-et-Marne. Un autre autorise les départements voisins à envoyer des gardes nationales en Ardèche.

8 avril : A Ajaccio, débute les "Pâques sanglantes" qui vont durer une dizaine de jours entre citadins et paysans, à la tête de la répression Napoléon Buonaparte, âgé de 23 ans, et il est lieutenant-colonel. Suite à ces incidents le colonel Maillard désapprouve les agissements de chaque part et enverra le jeune officier rendre des comptes à Paris et recevra une condamnation pour ses actes de Pasquale Paoli. A Lyon, l’église des Clarisses est évacuée, les jacobins locaux s’opposent à la célébration de la messe de Pâques. A Paris, au couvent des Jacobins, l’on reparle à nouveau des soldats de Metz, et dans le cadre des lectures des correspondances, le commandant d’une division de la ville, M. Maçon propose de ne laisser d’armes qu’aux gardes nationales. Robespierre remarque la supercherie, signée par
M. Pain d’Avoine, qui n’est autre qu’un écrit de la propagande royaliste.

9 avril : Dans la presse est commentée la séance du jour du couvent des Jacobins et les militaires suisses de « Châteauvieux » sont arrivés dans la capitale : « Enfin, M. Robespierre (écrit « Roberspierre » dans le texte original) a pris la parole, et il a rappelé à la société que par l'accueil qu'elle faisait aux soldats de Château-Vieux, elle s'engageait à venir au secours de tous les soldats, de tous les patriotes persécutés. Il a juré de consacrer tous ses soins à leur défense. et la société a uni son serment au sien. M. Robespierre a terminé en jetant un coup d'œil sur la fête qui se prépare, pour inviter les citoyens à se tenir en garde contre toutes les occasions de désordre que les malveillants se proposent d'y faire naître. (…) Tous les symptômes d'une crise prochaine se font sentir. La fête destinée aux soldats de Château-Vieux est l'époque qui a paru favorable. On sait que depuis longtemps les agents de la cour, des Lameth, des Lafayette, etc., ont cherché à souiller ce projet patriotique de tout ce que leur esprit peut enfanter de plus immonde ; la rage du parti feuillant à l'assemblée nationale contre l'admission des quarante victimes de Bouillé ; le complot dénoncé par la municipalité de Pans, dont nous avons publié la lettre hier, l'arrivée mystérieuse et inattendue du flegmatique Lafayette ; enfin, l'apostrophe menaçante faite par un aide de camp de M. Lafayette à M. Robespierre, apostrophe que M. Robespierre a dénoncée, lui-même aux jacobins, sans désigner les personnes : tout prouve une conspiration. Mais nous sommes prévenus, mais nous sommes sur nos gardes, mais le choc sera terrible, si le choc a lieu. ». Note du Journal : M. Robespierre se promenait seul avant-hier au matin. Un aide de camp de M. Lafayette s'approche, et, du ton le plus menaçant, lui dit : « Vous êtes un f... gueux ; dans trois jours nous nous serons défaits de vous, etc. » (Source : Gallica-Bnf, Le Thermomètre du jour, n°102). A Lyon est inauguré le théâtre des Variétés.

11 avril : Aux Jacobins, Robespierre s’oppose à ce que soit examinée une nouvelle arme de guerre, et fait une nouvelle intervention contre Lafayette : « Ah comme le patriote Robespierre, qu'on ne peut empêcher de dire la vérité qu'en l'assassinant, et que les mouchards de Lafayette veulent égorger ; le patriote Robespierre a tracé avant-hier devant les amis de la constitution, devant le peuple assemblé, le portrait de cet homme né, s'écriait-il, pour le malheur de la liberté.» (Journal Universel N°873)

Samedi 12 avril : Retour de Marat après un séjour en Angleterre, pendant sa nouvelle absence londonienne, il publie courant mars un prospectus se nommant « l’Ecole des citoyens » qui donnera lieu à une publication en deux volumes résumant ses pensées politiques. Ce jour reparaît L’Ami du Peuple pour son 627e numéro. Pendant sept jours, le journal met en exergue un appel des Cordeliers demandant à Marat de reprendre sa plume, c’est fait ! Voici sa conclusion du jour : « Depuis la mort de Léopold, la cour est tremblante, la faction contre-révolutionnaire est tremblante, l'Assemblée vénale est tremblante : le peuple devrait donc enfin profiter de cette heureuse conjoncture pour demander la révocation  immédiate des décrets qui font son malheur, et qui consommeront infailliblement sa ruine : ses mortels ennemis sont trop faibles aujourd'hui pour s'y opposer. Voyez le législateur revenir sur ses pas à la voix des hommes de couleur et des nègres. Quoi donc une poignée de serfs à dix-huit cents lieues, feront révoquer le décret oppressif qui les prive (lire la note) des droits du citoyen, et les Français ne réussiraient pas à révoquer ceux qui les désolent, s'ils faisaient entendre le cri de réforme ! réforme ! au milieu du sénat! Mais pour s'élever contre les abus, il faut les connaître. Développer les vices de la constitution, en indiquer le remède, former l'esprit public, démasquer les traîtres, déjouer les machinations, sera l'étude constante de l’ami du peuple, comme le bonheur de la nation sera constamment l'objet de ses vœux. (Note de Marat) La réhabilitation dans leurs droits des mulâtres et des noirs affranchis aura cet effet infaillible, d’être bientôt suivie de l’affranchissement de tous les nègres jaloux de l'affranchissement de tous les nègres, jaloux des avantages de quelques-uns des leurs, et furieux d'en être privés». (Source : Gallica-Bnf, Conclusion de Marat, l'Ami du peuple n°627, à la page 8)



Machine proposée à l'Assemblée nationale
pour le supplice des criminels par M. Guillotin, crédits Gallica-Bnf


Le docteur Louis adresse
à "Monsieur Cullerier, chirurgien principal, de l'hôpital-général au château de Bicêtre", un billet au sujet des premiers essais sur la guillotine (pas encore nommée ainsi) dans les jours à venir (le 17/04) :

«
Le mécanicien, Monsieur, chargé de la construction de la machine à décapiter, ne sera prêt à en faire l'expérience que mardi. Je viens d'écrire à M. le procureur général syndic, afln qu'il enjoigne à la personne qui doit opérer en public et en réalité de se rendre mardi à dix heures, au lieu désigné pour l'essai. J'ai fait connaître au Directoire du département avec quel zèle vous avez saisi le vœu général sur cette triste affaire. Ainsi donc, à mardi, pour l'efficacité de la chute du couperet ou tranchoir (qu'il a choisi en biseau), la machine doit avoir 14 pieds d'élévation. D'après cette notion, vous verrez si l'expérience peut être faite dans l'amphithéâtre, ou dans la petite cour adjacente. Je suis de tout mon cœur, Monsieur, le plus dévoué de vos obéissants serviteurs. »

Source : Bib. numérique Medica (BIu Santé), Michel Cullerier, chirurgien de Bicêtre
et de l'Hôpital des vénériens (1758-1827), Roger Besombe, page 23, Paris 1929.


13 et 14 avril : Aux Jacobins, en début de séance, Robespierre présente une délégation de la Société constitutionnelle de Manchester, cette société anglaise devient affiliée à la Société des Amis de la Constitution. Par la suite, il demande que la journée du 14 soit tenue une séance extraordinaire et évoque de nouveau les soldats de Château-Vieux. Dans son intervention, il fait une allusion voilée aux ministres girondins et précise qu’il jure ne vouloir « aucune place ». Dans la même journée se présente une délégation de la Société des défenseurs des droits de l'homme et ennemis du despotisme du faubourg Saint-Antoine, elle vient dénoncer Mademoiselle Théroigne de Méricourt. Celle-ci provoque des troubles en réunissant plusieurs fois par semaine des femmes du quartier et des activités autour d’un « repas civique » et de plus se réclamant, de Collot-d’Herbois, Santerre et Robespierre. Ce dernier prend sa défense et annonce qu'elle s’est engagée à renoncer à ses projets, il déclare aussi n’avoir aucune relation avec cette citoyenne. Sur ces explications, les membres de la Société retourne à leur ordre du jour. Le lendemain et sur le même sujet de préoccupation du moment, Robespierre conclu par  « Et j'engage le peuple et les soldats de Château-Vieux à les prendre par la main et à les unir à eux dans le triomphe de la liberté. » Le 14, un nouveau garde des Sceaux est nommé et reprend les attributions en ce domaine de M. Roland, il s’agit aussi d’un "girondin" et originaire de la Gironde, Antoine Duranthon, il est de la même génération que Servan et de la Platière.

15 avril : A Rennes, le Directoire départemental s’oppose à l’enfermement des prêtres réfractaires demandés par les jacobins locaux. A Paris, au Champ-de-Mars est organisé la « Fête de la Liberté » en l'honneur des Suisses du régiment de Château-Vieux. 300 à 400.000 personnes auraient assisté à l’événement selon Jean-Marie Roland. Lors de cette célébration est décliné la devise et les principes : « liberté, égalité et fraternité
». Toutefois ces 3 vocables durent attendre la révolution et la constitution de 1848 pour être inscrit dans les textes légaux.

17 avril : Dans une petite cour de l'hôpital-général de Bicêtre à Gentilly, à sept du heures du matin, il est procédé à l'essai à la machine à décapiter (la future guillotine) sur deux cadavres en présence entre autres de MM. Sanson le bourreau, Guillotin, Louis, Pinel et de M. Cabanis chargé de faire un rapport, etc. Aux Jacobins, après la lecture des correspondances, s’engage un débat sur la présence ou pas des bustes de Robespierre et Pétion aux côtés de Mirabeau, ou plus exactement sur la présence de statues de personnages vivants au sein des sociétés ou clubs. Il ne sera donné aucune consigne à ce sujet, laissant le choix à ses affiliés sur la question. Pour la célébration et le souvenir Robespierre demande une inscription pour « Le 15 avril 1792, l'an IV de la liberté, la pauvreté et le peuple triomphèrent avec les gardes françaises, les soldats de Châteauvieux et tous les bons citoyens persécutés pour la cause de la Révolution ». Dans son intervention, il met en cause le département de Paris, ce qui est traduit par la presse comme une attaque adressée au Procureur Syndic, M. Roederer, et il prévient qu’il faut toujours se méfier des lendemains de fêtes et il est appelé à la vigilance.

18 avril : Le ministre Dumouriez présente
au roi un rapport favorable à la guerre. Dans la capitale, aux Jacobins, la présence du buste de Lafayette et Bailly dans l’enceinte du Conseil général fait l’objet d’un débat. Cet échange reprendra en début de séance le 20 avril avant d’aborder le sujet de fond et du moment : l’entrée en conflit sur fond de grande désorganisation des armées, et la montée des actes d’insoumissions face aux officiers. « M. Robespierre reglapites (Ndr : Glapir : pousser des cris aigus ou des aboiements stridents) des invectives contre MM. Lafayette et Bailly, et dit cent inepties déplorables. » (Source : Gallica-Bnf, Feuille du jour, n°124).

19 avril : En Corse, le lieutenant-colonel Bonaparte envoie un mémoire à l'Assemblée nationale : « Tel est, magistrats, l'exposé des événements qui ont bouleversé l'ordre et manqué de ruiner la ville principale de Corse, la plus florissante par sa situation, son commerce, sa position et même par le caractère fortement trempé de ses habitants ». A Paris, Marat la veille de la déclaration : « La guerre aura-t-elle lieu? Tout le monde est pour l'affirmative ; on assure enfin que l'avis a prévalu dans le cabinet d'après les représentations du sieur Motier (Lafayette) qui, sans doute, l'a donnée comme l'unique moyen de distraire la nation des affaires du dedans pour l'occuper des affaires du dehors, de lui faire oublier les dissensions intestines pour des nouvelles de gazettes ; de dissiper les biens nationaux en préparatifs militaires, au lieu de les employer à libérer l'État et à soulager les peuples; d'écraser le pays sous le poids des impôts et d'égorger les patriotes de l'armée de ligne et de l'armée citoyenne, en les conduisant à la boucherie, sous prétexte de défendre les barrières de l'empire». (Source : Gallica-Bnf, L'Ami du Peuple, n° 634)



Légende  : Louis XVI à l'Assemblée avec ses ministres Jacoquins déclarant la guerre


20 avril : En  France, la Législative approuve par une très large majorité la déclaration de guerre contre l’Autriche en la personne du roi de Bohème et de Hongrie, mais aussi empereur du Saint Empire, François II. Il faut noter que seul 7 députés votent contre du côté légaliste. « Nul alors, parmi ceux qui votèrent la guerre, n’en prévit l’immensité et la durée (Note : Plus de 20 ans). Ou bien ils croyaient qu’elle serait limitée à l’Autriche, ou bien ils imaginaient que l’esprit révolutionnaire déchaîné sur le monde allait en quelques jours plier les vieux pouvoirs comme des herbes sont pliées et flétries par un vent d’orage. Mais il y avait dans la France révolutionnaire une telle force de passion, un orgueil si véhément de la liberté que même si elle avait pu mesurer exactement l’étendue de la lutte où elle entrait, elle n’aurait pas reculé. Seul, le fantôme du despotisme militaire, grandissant à l’horizon, l’aurait fait hésiter peut-être. La ferveur et le rayonnement de l’enthousiasme lui cachaient le péril. » (Source : Wikisource, Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Rev. fr.). Aux Jacobins, voici ce que déclare en introduction Robespierre : « Messieurs, puisque la guerre est décrétée, je suis d'avis aussi de conquérir le Brabant, les Pays Bas, Liège, la Flandre, etc. La seule chose qui doive nous occuper désormais, ce sont les moyens d'exécuter cette utile entreprise ; c'est-à-dire, dans ce moment il faut faire, comme je l'ai proposé plusieurs fois, non pas la guerre de la cour et des intrigants dont la cour se sert, et qui à leur tour se servent de la cour, mais la guerre du peuple : il faut que le peuple français se lève désormais et s'arme tout entier, soit pour combattre au-dehors, soit pour veiller le despotisme au-dedans. (Applaudissements universels) ». (Source : Gallica-Bnf, Journal des Débats de la Société, n°181) Ce même jour, le simple soldat ou le futur Maréchal d’Empire Jean Lannes s’engage et part rejoindre, le deuxième bataillon des Volontaires du Gers pour la défense de la frontière espagnole.

20 et 21 avril : A l’Assemblée, Nicolas de Condorcet remet son rapport sur l’éducation (Lire des extraits, sur cette même page).

25 avril : A Paris, le criminel Nicolas Jacques Pelletier est le premier à monter à la guillotine sur la place de Grève (aujourd'hui la place de l’Hôtel-de-Ville).

26 avril : A Strasbourg, Rouget de Lisle, soldat du général Kellermann achève de composer au petit matin le « Chant de guerre pour l'armée du Rhin » qui deviendra la « Marseillaise » (chant patriotique et hymne national). Il est reçu le jour même par le maire de la ville, M. Dietrich et apprécie cet air et sa composition, et l’invite le soir à la mairie. Accompagné d’un clavecin, il reçoit un accueil enthousiaste lors de sa première prestation publique. Le texte est dédié au Maréchal Luckner et le compositeur est un monarchiste épris de la reine…

27 avril : A Rouen, la municipalité invite ses concitoyens à porter la cocarde tricolore.

28 avril au 30 avril : Le Maréchal de Rochambeau lance l’offensive et l’ouverture des hostilités en envahissant les Pays-Bas Autrichiens avec son armée engagée sur 3 colonnes, avec l’objectif de conquérir Namur sous la conduite de Lafayette (Belgique). Les premiers combats concerneront les villes de Quiévrain, de Mons et Tournay en Wallonie, et se solde par l’absence de prise des cités, engageant des manœuvres de positions plus que des affrontements. Cela va provoquer la grogne des soldats à la base ne comprenant pas les ordres de leurs chefs.

29 avril : A Lille, le général Théobald de Dillon auprès de l’armée du Nord et du Maréchal de Rochambeau et le chef du génie Berthois sont tués par leurs propres soldats dans la ville. La compagne du général s’en réchappe en des circonstances dramatiques et elle en sort meurtrie. Les soldats d’un régiment des dragons un jour avant ont cru à une compromission avec l’ennemi suite à des manoeuvres incomprises ou incertaines, pour souligner une grande désorganisation sur une frontière plus que sensible depuis l’entrée en guerre très récente. Les militaires rebelles à l’autorité seront condamnés par la Convention et Lazare Carnot fera attribuer à la veuve rescapée du comte de Dillon une pension. A l’Assemblée, sont désignés MM. Sonthonax, Polverel et Ailhaud comme commissaires pour se rendre à Saint-Domingue. La traversée depuis Bordeaux représentait environ 2 mois de voyage sur les flots marins. A Avignon les jacobins locaux s’emparent de l’hôtel-de-Ville pour le rattachement du district aux instances départementales.

30 avril :
Ce jour sont émis pour 300 millions de livres d'assignats. Au Couvent des Jacobins, l'ancien avocat d'Arras se plaint des modifications intervenues dans ses déclarations et de la réécriture du texte de Brissot et de Guadet du 25 avril. « On m'empêche d'établir les preuves de ce que j'avais avancé, et après avoir entendu les plus violentes dénonciations portées contre moi à cette tribune, on étouffe ma voix. Qui voudra désormais se charger de défendre la cause du peuple? ». Maximilien Robespierre est rappelé à l'ordre par le président de séance. « A ce mot, son parti s'irrite, les tribunes travaillées se mêlent à la question ; on entend ces apostrophes : M. le président, vous êtes un prévaricateur, un feuillant. Un feuillant, messieurs, moi un feuillant, répond le président, tout gonflé de rage! Eh bien, allons aux voix... On va aux voix, la majorité se déclare contre M. Robespierre ».  (Sources : Oeuvres complètes de Robespierre, tome VIII et Journal général de France, n°125)

V – Le mois de mai 1792


1er et 2 mai : Aux Jacobins la Société modifie son ordre du jour. M. Guiraut (journaliste et membre) lit le discours du ministre de la Guerre, de l'Assemblée législative et les pièces sur les événements de Lille. Louis Legendre protecteur de Marat souligne (futur député de la Convention et montagnard), que le commandement des armées est attribué à des nobles. « Robespierre s'élance sur ce texte et démontre que le ministre est coupable de trahison » Le lendemain, en fin de séance et après quelques échanges vifs pour obtenir la parole « Je ne prononce pas sur les faits qui nous ont été annoncés : mon opinion ne manquerait pas d'être défigurée par le Patriote français, la Chronique, etc. S'il faut le dire : non, je ne me fie point aux généraux ; et faisant quelques exceptions honorables, je dis que presque tous regrettent l'ancien ordre de choses, les faveurs dont disposent la cour. Je ne me repose donc que sur le peuple, sur le peuple seul. Mais, je vous prie, pourquoi saisit-on la moindre occasion de tourner en ridicule et même de calomnier ceux qui pensent d'une manière différente des partisans de la guerre? » (Source : Gallica-Bnf, Feuille du jour, n°136 et Discours de Robespierre).

3 mai : Le journal, l’Ami du peuple est de nouveau interdit, les généraux sont devenus la cible de Marat depuis sa reparution à la mi-avril sous sa plume. Aux Jacobins, pendant la séance l’abbé et instituteur, Jean-Pierre André Danjou, propose de changer de dynastie et de remplacer Louis XVI par un fils du roi d’Angleterre. Robespierre, trois jours après dénoncera le curé assermenté (ou jureur) comme membre des Feuillants et d’avoir à l’origine été de la scission, il demandera son exclusion.

5 mai : La Législative décrète la création de 31 bataillons de volontaires.

6 mai : Au Couvent des Jacobins : Robespierre revient sur les discours modifiés de Guadet et Brissot et dénonce la manœuvre de M. Lanthenas (futur conventionnel et chef de division auprès du ministère de l'Intérieur et des cultes), et selon lui, sous les ordres de Jean-Marie Roland. Tout en précisant qu’il ne partira pas de la société jacobine.

8 et 9 mai : En remplacement du ministre de la Guerre, M. de la Grave démissionnaire est nommé Joseph Servan de Gerbey, (ci-contre en portrait) au lendemain de sa montée en grade comme maréchal de camp (général de brigade), dont le premier ministère durera à peine cinq semaines et le second deux mois. C’est sur la proposition de M. Roland que ce militaire de métier est nommé par Louis XVI, il est à l’origine de plusieurs écrits sur l’armée, dont le Soldat Citoyen qui lui vaudra un succès d’estime. Il devient le quatrième "girondin" du gouvernement qualifié de « patriote ». (Source : Gallica-Bnf - Le Soldat Citoyen - paru en 1780)

10 mai : Aux Jacobins, le Journal de France cite Robespierre en sa séance extraordinaire (écrit Robertspierre), concernant ses attaques déformées ou utilisées contre Lafayette, celui-ci demande la parole dans le tumulte : « Messieurs, la question touche à la chose publique : il s'agit bien ici de Lafayette et de moi ! mais je ne puis me taire sur une lettre écrite par je ne sais quels hommes, lue par je ne sais qui ! (regards de travers au frère Lenoble). Beau discours de Robespierre, dans lequel il prouve que ceux qui ont signé la lettre tremblaient, qu'au surplus on n'y voit que trois noms, que ces trois noms sont Flamands, que Lafayette est un ci, un la, un... enfin un traître aux jacobins, etc. ». Dans le cadre de la séance ordinaire, l’ancien avocat d’Arras repart à la conquête de la parole avant de monter en tribune voici le résumé narquois de la presse royaliste : « Le fidèle ami des sans culottes, Robespierre parle, parle, et puis lèche ses lèvres. Parle encore pendant une heure, fait la chouette à tous ses hurleurs. On se chamaille, le président se couvre, se découvre, Robespierre reparle encore. Contre la motion, ah, ah, oh, oh pas, bravo! Il sort de la question, il y est, il n'y est pas, à bas mâtin! tels sont les accompagnements de l'éternel monologue de M. Robespierre. Il y serait encore, si Danton, avec son tonnerre, n'eût menacé, qu'avant peu, on tonnerait contre ceux qui attaquent une vertu consacrée par la révolution, la vertu de Robespierre enfin. »

12 mai : A proximité de Paris, le dramaturge Charles-Simon Favart décède au village de Belleville. Il est connu pour avoir composé les livrets d’opéras-comiques et des pièces de théâtre, son nom est associé depuis à l’Opéra Comique de la capitale, dite Salle Favart consacrée aux répertoires lyriques et son emplacement est situé en rive droite dans la rue du nom de l’auteur (actuel 2ème arrondissement).

13 mai : Au couvent des Jacobins, un « patriote Suisse » du nom de Charvet et résidant au 243, rue Saint-Martin, ce membre de la société demande la révision des traités avec son pays et se voit applaudi. Robespierre s’y oppose expliquant que ce n’est pas le moment de se mettre à dos les citoyens Suisses et précise les impossibilités légales. Après son intervention Charvet est interdit de parole. 

16 mai : A Paris, il sort de l’imprimerie du Cercle Social (société fondée par l’Abbé Claude Fauchet et proche des tendances girondines), un placard ou un imprimé d’une page se nommant La Sentinelle. Elle sera éditée jusqu’au 21 novembre et 73 numéros paraîtront (La Sentinelle
- source Gallica-Bnf). Aux Jacobins, en début de la séance, Sébastien Lacroix, présente sa brochure « L'intrigue dévoilée, ou Robespierre vengé des outrages et des calomnies des ambitieux » (imprimerie de la Vérité). Après, plusieurs lettres sont lus sur les nouvelles des frontières, puis, le président Lecointre fait les présentations d’une patriote brabançonne. Elle vient quérir la société une aide dans la recherche de son époux. Suite à son intervention Robespierre, lui accorde son appui, disant connaître son affaire.

17 mai : A New York est signé « l’accord de Buttonwood », il engage entre diverses agences spéculatives la mise en place de la bourse de Wall-Street. Robespierre fait paraître le premier numéro de son Prospectus -
Le défenseur de la Constitution (d’environ 60 feuillets) par souscription. Il y aura en tout 12 hebdomadaires à partir de cette date. Et ils seront publiés jusqu’au 20 août. (Source : Gallica-Bnf).

18 mai : Les armées de Russie sans déclaration de guerre préalable franchissent la frontière polonaise avec les cinq colonnes du Maréchal Kachowsky, la Prusse rompt son alliance avec la Pologne. S’engage plusieurs mois de conflits avant la seconde partition de cette nation et la fin du régime constitutionnel à la « française ».

23 mai : A l'Assemblée, les députés Brissot et Vergniaud dénoncent le « Comité autrichien » réunit aux Tuileries et marque une première rupture avec les Feuillants. Brissot s'engage à prouver l’existence du comité, il demande aussi, un décret d'accusation contre l'ex-ministre de Montmorin, et l'examen de la conduite de MM. Duport du Tertre et Bertrand de Molleville, ministres démissionnaires de la justice et de la marine, et s’attaque à Lafayette, comme son organe de presse le Patriote Français.

26 mai : A la Législative, le commissaire civil,
M. de Mirbeck (avocat nommé le 5/08/1791 jusqu'au 1er avril de cette année) fait un Compte sommaire de l'état actuel de la colonie de St. Domingue. (Source : Bib. Manioc, 46 pages) Il retrace les événements auxquels, lui et les autres commissaires ont du faire face, en particulier l'hostilité des colons blancs, qu'il désigne comme séditieux, sous le nom des Léopardins. C'est-à-dire, les 85 membres de l'assemblée de St. Marc qui étaient partis sur un navire portant le nom de Léopard, après avoir soudoyé l'équipage, en direction de la France en août 1790, pour plaider leur cause. Cette assemblée a été dissoute le 12 octobre de la même année par la chambre des députés. Son rapport fait état des difficultés rencontrées, pièces à l'appui et Frédéric Mirbeck précise que « Si l'on eût pris ce parti pour le décret du 15 mai 1791, la colonie entière était sauvée. »

27 mai : Guadeloupe, Georges Henri Victor Collot est nommé gouverneur. Ancien combattant et officiers aux Etats-Unis pendant la guerre d’indépendance, il prendra ses fonctions en février 1793. Il capitulera devant les troupes anglaises qui prendront possession de l’île en avril 1794. A Paris, l’Assemblée décrète la déportation des prêtres réfractaires ou insermentés : « considérant que les efforts auxquels se livrent constamment les ecclésiastiques non sermentés pour renverser la Constitution ne permettent pas de supposer à ces ecclésiastiques la volonté de s'unir au pacte social, et que ce serait compromettre le salut public que de regarder plus longtemps comme membres de la société, des hommes qui cherchent évidemment à la dissoudre ; (…) après avoir décrété l'urgence, décrète que tous ceux qui n'ont pas prêté serment selon la loi du 26 décembre 1790 ou après le 3 septembre 1791, ou qui se sont rétractés, peuvent être déportés à la demande d'une assemblée de canton, demande confirmée par le Directoire du département. Lorsque l'avis du Directoire du district ne sera pas conforme à la pétition, le commissaire du canton devra vérifier si la présence de l'ecclésiastique ou des ecclésiastiques dénoncés, nuit à la tranquillité publique ».

28 mai : A l’Assemblée le député Bazire présente un rapport négatif au nom du comité de surveillance sur la garde du roi dite constitutionnelle, notamment sur sa composition pas du tout homogène et l’exclusion de soldats des gardes nationales, ensuite s’engage des débats entre feuillant et girondins à savoir qui a en charge la responsabilité de cette garde prétorienne et s’invectivent. Arrivée de Bonaparte dans la capitale. Il assistera à la journée du 20 juin et celle du 10 août prochain comme spectateur des événements.

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NOUVELLES  DES FRONTIÈRES...

« A Maulde, 25 hommes du premier bataillon de Paris, se défendent vaillamment contre 300 ou 400 Autrichiens. Au moyen d'un renfort de cinquante hommes, ils soutiennent encore le feu pendant une bonne heure. Enfin arrivent 150 soldats du même bataillon, 6o recrues de Navarre, 25 dragons de Chartres, 25 chasseurs de Hainault, une compagnie de canonniers et deux pièces de canon. Alors, pour me servir de l'expression des soldats même, c'était un plaisir de voir les Autrichiens courir, en montrant les talons. Il paraît qu'on leur a tué beaucoup de monde.

Un homme digne de foi, nouvellement arrivé de Givet, atteste que l'armée de Lafayette brûle de patriotisme et d'ardeur, que les provisions abondent au camp, qu'aucune des choses nécessaires ne manque. Il atteste que dans le pays de Liège où il a clé, les habitants chérissent la révolution Française, et nous appellent tous les jours. Il assure qu'on a calomnié les Brabançons, quand on a dit qu'ils étaient mal disposés pour nous. Maintenant il n'y a dans les Pays-Bas et dans le Pays de Liège que fort peu de troupes ennemies, et avant quinze jours peut-être elles y seront en grand nombre. Pourquoi donc attendre qu'elles soient arrivées? Pourquoi ne pas aller avec des soldats qui ne demandent qu'à les battre, pourquoi ne pas aller à la victoire, tandis qu'elle est encore facile? Pourquoi ne pas affranchir des peuples lassés du joug, et qui nous seront des alliés à toute épreuve?

Quand nous avons déclaré la guerre, était-ce pour souffrir encore les insultes de l'ennemi, qu'à présent nous pouvons écraser? était-ce pour attirer chez nous les fléaux de la guerre, que nous pouvons porter chez lui? Lafayette, on dit qu'il existe des officiers qui veulent éterniser la guerre, pour éterniser leur pouvoir, et d'autres qui espèrent fatiguer l'impatience française par une foule de petits combats sans fin, et cela, pour nous faire accepter, de lassitude, une honteuse composition. Lafayette ! Lafayette ! il est temps de vous montrer, si vous ne voulez pas que des soupçons déjà trop fondés ne deviennent des certitudes, et que personne, dans l'empire, ne puisse plus douter que vous aussi vous êtes du Comité Autrichien. »

La Sentinelle de l’imprimerie du Cercle Social, numéro 7

29 mai : A la Législative sur une proposition de Guadet et après un discours de Vergniaud la protection constitutionnelle ou garde rapprochée du roi est supprimée, elle est jugée, comme n’ayant pas dans ses rangs suffisamment de « soldats patriotes ». Elle représentait une menace de sédition et de se retrouver sous la conduite ce que l’on nomme le "Comité Autrichien" depuis quelques jours. Cette garde était composée de 1.800 soldats dont 600 cavaliers. L’imprimé La Sentinelle revient plusieurs fois à la charge sur le sujet dans ses premiers numéros.

30 mai : Aux Jacobins, un des ses membre le Maréchal Rochambeau désavoué par ses soldats suite aux échecs de Tournay et Mons est depuis démissionnaire. Il vient présenter sa conduite et met la responsabilité sur l’incompétence des ministres. S’ouvre le débat à la tribune
, défilent Dubois-Crancé, le journaliste Carra et Robespierre. Un membre tente de minimiser ses erreurs, alors surgit un rejet massif dans l’audience. En de fin de séance, Rochambeau est radié de la société. A l'Assemblée, M. Dumouriez, ministre des affaires étrangères déclare vouloir « faire lecture de trois pièces qui m'annoncent la neutralité de l'Angleterre. C'est d'abord une note remise par M. Chauvelin (ambassadeur à Londres), chargé des affaires de France, au lord Grenville, ministre du gouvernement britannique, ensuite la réponse du lord Grenville et enfin la proclamation du roi d'Angleterre relative et conforme à la demande portée dans la noté remise par le chargé des affaires de France. On connaît déjà cette note qui a été insérée dans la Gazette de France. »

V – Le mois de juin 1792

1er juin : Aux Etats-Unis, le Kentucky, devient le quinzième État ratifiant la constitution. En Ile-et-Vilaine, la garde nationale investie le château de M. de La Rouërie, lieu considéré comme le centre de la conspiration bretonne et royaliste. Ils n’y trouvent rien, la perquisition est un échec.


3 juin : A Paris, une fête et une messe sont données en l'honneur de l’ancien maire Jacques Guillaume Simoneau tué le 3 mars. Cette initiative émane des Feuillants, ils veulent en faire un martyr comme objet de leur propagande, en réponse aux célébrations triomphales des soldats de Château-Vieux et aux prises de positions des Jacobins.

3, 4 et 5 juin : A l’Est, l’Armée du Rhin dans le cadre de manœuvres en territoire ennemi, les troupes vont connaître des lourds problèmes de discipline à sa base. Des mesures seront prises contre ces refus d’obéissance en début juillet à la chambre des députés.

7 juin : John-Skey Eustace, francisé en Jean-Skey ou Jean-Skei est né à New York en 1760, ce colonel étasunien propose ses services à la Législative, selon Albert Mathiez. Personnage équivoque, il sera dans la promotion des 21 maréchaux de camp, le 7 septembre. J.S. Eustace combattra en Belgique au sein de l'armée du Nord, puis prendra le grade de général de brigade de la République française après certaines réorganisations des armées, lors du conflit avec la Prusse et l'Autriche.

4 au 8 juin : M. Servan, ministre de la guerre provoque une grave crise avec le roi, en décidant la mise en œuvre devant l’Assemblée d’un décret ordonnant la réunion à Paris à ses abords de vingt mille fédérés des départements pour protéger la capitale (dans un premier temps et à la date du 14 juillet). Cette décision engage de nouvelles secousses politiques à l’horizon, et le mois de juin à Paris va connaître ses premières manifestations populaires et rapports de force entre le Paris des faubourgs, des quartiers populeux, et les tenants du pouvoir – "Girondins" inclus. Aux Jacobins, le 4, Robespierre s’y oppose et préfère voir ces troupes aux frontières pensant que Paris peut se défendre sans avoir recours à d’autres forces pour la protection du roi et de l’Assemblée. Face à un possible danger, il se voit mettre du même coté que le "Comité Autrichien" dans la presse.

9 juin : A l’Assemblée Législative, il est accordé à Joséphine de Viefville une pension de 1.500 livres pour la mère des trois enfants de Téolbald Dillon, tué à Lille le 29 avril.

10 juin : Dans la capitale, 8.000 gardes nationaux parisiens ou citoyens actifs protestent contre cette décision de la Législative. La chambre ne revient pas sur son choix. Le comte Antoine de Rivarol, émigre et part dans un premier temps pour Bruxelles (Pays-Bas autrichien)

11 juin : Veto du de Louis XVI sur le décret appelant à la réunion de 20.000 fédérés dans la capitale. Le ministre de l’intérieur, M. Roland impose au roi, par un courrier comminatoire de signer le décret de déportation des prêtres, en annexe, celui de la mobilisation des troupes fédérées à Paris pour le 14 juillet.

12 juin : A Avignon, Jean Duprat ("girondin") est élu maire avant que la ville ne soit réunie à la France. Son frère Benoît fut l’un des meneurs des massacres d’Avignon en octobre 1791, et Jean est soupçonné d’y avoir participé et fait un bref mandat de député au sein de la Législative. Louis XVI renvoie trois ministres dits girondins ou  jacobins, à savoir, Clavière, Servan et Roland, seul échappe au remaniement, quelques jours, Dumouriez et les ministres légitimistes. Voici ce que le monarque adresse comme courrier : « Je vous prie, M. le président, de prévenir l’Assemblée nationale que je viens de changer les ministres de la guerre, de l’intérieur et des contributions publiques. M. Dumouriez remplace celui de la guerre, M. de Mourgues celui de l’intérieur. Je n’ai pas encore remplacé le troisième. M. de Naillac chargé des affaires à Deux-Ponts succédera à M. Dumouriez. Je veux la constitution, avec la constitution, je veux l’ordre dans toutes les parties de l’administration, et mes soins seront toujours chargés à les maintenir par tous les moyens qui sont en mon pouvoir. » (Source : Gallica-Bnf,L'Ami du Roi, des Français, de l'ordre et surtout de la vérité du jeudi 14 juin, page 2, n°166)

13 juin : La Législative dit conserver sa confiance dans les ministres « patriotes » et des parlementaires dénoncent les intrigues de Dumouriez. Aux Jacobins, Robespierre déclare que : « le seul ministre que j'ai loué est M. Servan. Cependant je n'en ai pas moins combattu la mesure qu'il a proposée. C'est que l'on ne doit ja- mais juger de la bonté d'utte mesure par le patriotisme de celui qui la propose. Il s'agissait de faire lever le peuple entier. J'y trouvais des Inconvénients. Entre autres mesures, je proposais le rappel des ci-devant gardes françaises, et la formation d'une armée composée de tous les soldats persécutés et renvoyés pour faits de patriotisme. N'ayant pas été préparé à la mesure décrétée par l'Assemblée nationale, j'ai été vivement frappé des inconvénients qu'elle présentait, sans sentir ses avantages comme ceux qui en étalent les auteurs». A l’Assemblée, ce même jour est présenté un rapport sur la mendicité par M. Bernard d’Airy (ou sinon d’Héry), élu de l’Yonne est présenté et lu aux députés. Ce rapport bien que soulevant nombres de questions sur la morale et la relation à la pauvreté est surtout lié aux questions financières et à la répartition des sommes à établir entre les départements pour les aides aux « indigents ». En annexe, l’on trouve quelques éléments chiffrés sur trois département, Paris, la Seine-et-Oise et les Basses-Pyrénées (de nos jours Atlantiques) : « La journée de travail a été portée, pour le département de Paris, à 40 sols. Pour le département de Seine-et-Oise, à 20 sols. Pour celui des Basses-Pyrénées, à 14 sols. Le secours total est supposé de 40 millions, et le prix moyen de la journée de travail pour tout le royaume, de 17 sols. (…) le département de Paris contient en population effective, 647.472 individus: en population active, 100.718 ; en territoire, 24 lieues carrées. Il paye, sur les 300 millions des deux contributions, 20.729.600 livres. Dans le département de Seine-et-Oise, la population effective s'élève à 471.612 ; la population active, à 73.372. Son territoire est de 286 lieues carrées ; sa portion contributive sur les 300 millions, de 7.371.494 livres. 
Dans le département des Basses-Pyrénées, la population individuelle est de 188.389 ; la population active, de 29.305, le territoire de 368 lieues. La double contribution de ce département est de 1.213.600 livres. » Ce sujet revient régulièrement avec l’existence d’un « Comité de secours publics » ayant commandé l’an passé une enquête, avec comme premier président de cette instance le docteur et député Jacques René Tenon : élu de la Seine-et-Oise, dont un hôpital de Paris conserve son nom. M. Duranthon, le garde de Sceaux ou ministre de la Justice, se voit attribuer quelques jours les charges des finances par intérim. Il quittera ses fonctions le 4 juillet et reprendra du service après le 10 août. (
Source : Gallica-Bnf - Rapport sur l'organisation générale des secours publics, et sur la destruction de la mendicité).

14 juin : Georges Danton propose au roi, que la reine soit répudiée et de mettre fin à l’influence autrichienne. A la législative vient à la barre un citoyen de la ville de Perpignan, il se nomme le « sieur » Amyot , instituteur, il est accompagné de ses élèves et fait une courte déclaration en faveur du projet d’éducation de Nicolas Condorcet, que plusieurs membres de l’Assemblée appuieront :

   
  
Législateurs,                    
           
« Nos enfants possèdent dans leurs cœurs le germe des vertus; ils attendent de vous les moyens de les faire éclore en leur donnant ce code d'éducation si désiré; les plus avancés de mes élèves apprennent les droits de l'homme, les plus jeunes délient leurs langues enfantines en prononçant avec moi les mots sacrés de Constitution, de liberté, de soumission aux lois ; je grave dans leur mémoire les noms des fondateurs de notre liberté; ils entendent souvent lire l'extrait de vos pénibles travaux et ils applaudissent aux noms cités que votre modestie veut que je taise ; le mot de classe primaire excite leur émulation, leur vœu est d'être instruits d'après votre plan ; ils partagent en cela celui de la nation entière. Daignez, sages législateurs, ordonner le rapport définitif de cet objet si nécessaire à l'Etat : il en est temps, car il existe dans cette capitale des êtres de mœurs peut-être plus que suspectes qui instruisent la jeunesse; les couvents de femmes sont les repaires où l'aristocratie, étalant l'appareil de ses sophismes trompeurs, séduit et gâte le cœur des filles de nos concitoyens. Etablissez les bases de l'éducation nationale, nos enfants apprendront à devenir des hommes plus fermes que nous dans les principes de la liberté, ils en soutiendront avec plus d'énergie les colonnes et feront pâlir et trembler les tyrans qui voudraient renverser votre ouvrage, Leurs âmes élevées au-dessus des préjugés où nous avons vécu aimeront des corps dont les bras guerriers porteront des armes protectrices pour leurs représentants et meurtrières pour ceux qui voudraient s'opposer à leurs décisions utiles. Prononcez ce décret régénérateur et la France est sauvée, les instituteurs aux gages des traîtres à leur patrie rentreront dans leur néant et nos enfants élevés par des amis de  la vérité, n'écouteront plus d'autre voix que celle de la raison. » 

Source : Bib. Stanford, Archives parlementaires


15 juin : Dumouriez donne sa démission et il rejoint le commandement des armées du Nord. Un nouveau cabinet est composé uniquement de ministres Feuillants. Ils ne laisseront pas grand-chose à la postérité… et le tourniquet des portefeuilles n’est pas fini.

16 juin : De Maubeuge, Lafayette adresse un courrier menaçant et enjoignant l’Assemblée (en débat le 28) à prendre des mesures contre l’indiscipline au sein des troupes et concernant les désordres provoqués par les clubs, dans son orbite les sociétés et clubs Jacobins. La Législative décide que l’ancien terrain de la Bastille restera une esplanade publique et se nommera la Place de l’égalité, où devra s’ériger une colonne surplombée par une statue. Une première pierre sera apposée par le sculpteur Dufoy, mais c’est une fontaine venant agrémentée la grande place que l’on trouvera pendant quelques années en ce lieu, elle servira aussi de place d’exécution, très marginale, environ 70 à 80 décapitations pendant la seconde révolution (1792-1795).

17 juin : A Paris, la section de la Croix-Rouge envoie une députation à l'Assemblée pour accuser le roi de trahison. Cette section deviendra celle du Bonnet Rouge se situant dans l’ancien Xe et actuel VIIe arrondissement (ou le quartier Saint Thomas d’Aquin), avec 16.000 habitants dont 1.600 citoyens actifs en mesure de payer l’impôt, 1.600 ouvriers et 2.600 pauvres. Pour la Municipalité, le bureau de police de la capitale fait parvenir à la chambre les déclarations de plusieurs citoyens affirmant avoir reçu des offres d'argent pour aller applaudir dans les tribunes les membres du parti Feuillant. La Législative ordonne son renvoi au Comité de surveillance.

18 juin : La Législative déclare tous les « droits casuels » supprimés et sans indemnités. Il s’agit de l’abolition des derniers droits féodaux restant en cours. Et mettant fin au décret du 15 mars 1790 : « Article premier : La mainmorte personnelle, réelle ou mixte, la servitude d'origine, la servitude personnelle du possesseur des héritages tenus en mainmorte réelle, celle de corps et de poursuite, les droits de taille personnelle, de corvées personnelles, d'échute, de vide-main, le droit prohibitif des aliénations et dispositions à titre de vente, donation entre vifs ou testamentaire, et tous les autres effets de la mainmorte réelle, personnelle ou mixte,qui s'étendaient sur les personnes ou les biens, sont abolis sans indemnité ». (Source : en français de Wikisource) Aux Jacobins, Lafayette est l’objet d’un discours sans appel de Robespierre, qui voit dans sa lettre du 16, « le plus grand des crimes, l'attentat le plus inouï, le plus épouvantable! Les expressions lui manquent : l'orateur s'enroue ; (on murmure) l'orateur reprend haleine: il voit Lafayette dire à l'assemblée nationale : tremblez, car je suis à la tête de 45.000 hommes, et prêts à rentrer en France (frisson général)!... Enfin après avoir tonné contre le général, il conclut au décret d'accusation, décret qui doit être appuyé de toute la force nationale : frappez Lafayette, dit-il, et la nation est sauvée : il a fait fuir le roi ; il veut encore le faire fuir pour ne jamais revenir : tous les troubles que vous verrez s'élever dans Paris, seront désormais son ouvrage ; mais s'il est renversé sur le champ, la cause du peuple triomphe, et la liberté avec lui! (applaudissements féroces). »

19 juin : A l’Assemblée un décret ordonne de brûler tous les titres ou actes de noblesse.

à suivre...


Suite sur la Révolution française
L'année 1792, cinquième partie

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