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L.F. Sonthonax et E. Polverel, acteurs de l'émancipation de Saint-Domingue?
*
La Liberté générale & les prémices de la Révolution de Saint-Domingue (future AYITI)

I - Deux "girondins" dans les prémices de la Révolution Haïtienne?

II - Situation générale des colonies françaises aux Amériques

III - Annexe de 4 textes de L.F. Sonthonax, dont la Proclamation du 29 août 1793 !

- Les mémoires de Brissot, E. Polverel et L.F. Sonthonax, Claude Perroud

- Bibliographie complémentaire



Félicité Sonthonax et Etienne Polverel,
acteurs de l'émancipation de Saint-Domingue?


I - Deux "girondins" dans les prémices de la Révolution Haïtienne?

Ci-après, le récit des premières péripéties des commissaires civils de la nouvelle et première République,  lors des journées du 18 et 19 octobre 1792 dans la ville du Cap.



Lettre des Commissaires nationaux-civils délégués
aux Isles sous le Vent adressée à la Convention nationale
(*)
 
Au Cap, le 25 octobre 1792

MONSIEUR le Président,

Nous nous faisons un devoir d'instruire l'Assemblée nationale des événements qui se sont passés dans la ville du Cap, depuis la nouvelle de la célèbre journée du 10 août, et de lui peindre, en peu de mots, l’état et les dispositions de la Colonie.

C'est une étrange erreur que celle qui règne en Europe, de croire qu’il y ait eu dans la Colonie un seul blanc qui se soit montré de bonne foi l’ami des citoyens de couleur libres. La fameuse confédération de la Croix-des-Bouquets, la prise d'armes de Saint-Marc, les cajoleries des agents du pouvoir militaire, n'ont jamais été autre chose à Saint-Domingue, que des spéculations contre-révolutionnaires. La majorité des citoyens de couleur est peu instruite ; accoutumés à fléchir devant l'ancienne tyrannie, repoussés par l'invincible préjugé, ils croient  trouver un abri sous le régime despotique. Ils épousaient aveuglément, et sans savoir, les intérêts des ennemis de la France ; partout où leur cause triomphait, le royalisme était restauré, le gouvernement populaire détruit ; leurs chefs seuls, dévoués à la révolution française, profitaient habilement des passions des amis de Coblentz, de leur haine pour les  municipalités ; les divisions des blancs les ont aidés à conquérir leurs droits politiques : aujourd'hui, grâces à l’Assemblée nationale, ils sont assurés pour jamais.

Dès notre arrivée dans la Colonie, les idées des citoyens, de couleur furent singulièrement changées à l’égard de leurs prétendus bienfaiteurs ; leur conduite à notre égard nous a convaincus de cette vérité : que ce n'est jamais en vain qu’on ouvre les yeux au peuple sur ses droits, et que tôt ou tard il reconnaît ses véritables amis.

On nous avait représentés comme venant proclamer l’affranchissement général des esclaves. Notre profession de foi à cet égard fit changer l'objet des calomnies ; des gens payés par le gouvernement, pour détruire la confiance que nous inspirons, vinrent insinuer aux citoyens de couleur que nous ne voulions pas l’exécution de la loi du 4 avril, et cela, parce que nous ne détruisions pas assez tôt, à leur gré, l’assemblée coloniale.

Il faut avouer que la haine qu'avait inspirée cette assemblée aux citoyens de couleur accréditait ce bruit ; cependant ils furent bientôt désabusés, et nos proclamations des 4 et 12 de ce mois, que nous joignons ici sous les numéros 1 et 2, ne laissent aucun doute sur nos dispositions.

Ces citoyens, régénérés par l’Assemblée nationale, nous sont invariablement attachés ; ils viennent de donner, dans des circonstances bien graves, la preuve de leur dévouement non équivoque à la cause de la révolution française.

Depuis longtemps les agents du pouvoir militaire, enhardis par la révolte de la Martinique, et d'intelligence avec ses chefs, méditaient à Saint-Domingue le même complot. Un détachement considérable de Chevaliers de Coblentz était venu préparer aux princes émigrés une retraite dans la Colonie. La connivence était évidente entre le gouvernement et les esclaves révoltés ; ceux-ci, décorés des ordres du roi, parés de la cocarde blanche, ne parlent de la liberté que  comme d’un objet très accessoire aux causes de leur prise d'armes. Ils veulent venger, disent-ils, notre bon roi Louis XVI ; ils veulent le remettre sur le trône.

Malheur à celui qui tombe entre leurs mains avec le signe tricolore de la liberté, il est haché sans miséricorde ; il n’y a de sûreté que pour la cocarde ou l’écharpe blanche. Les officiers-généraux, les colonels, et autres officiers de l’ancien régime, ci-devant employés dans la colonie, peuvent aller impunément dans les camps des brigands, ils en sont idolâtrés : quelques-uns s’y sont promenés , et y ont reçu les honneurs militaires. Et l’on accuse la société des amis des noirs.

Avec d’aussi belles dispositions, il ne manquait plus aux agents du pouvoir militaire, pour réussir dans leurs projets, que de se débarrasser des opposants. Des assemblées nocturnes se forment ; on tient des conciliabules où l’on propose de nous embarquer pour la France ;  on nous isole de toutes les forces que nous avons amenées d'Europe : notre sûreté est confiée au régiment du Cap, qui, tout dévoué à ses chefs, aurait peut-être obéi à leur impulsion criminelle. Nous rappelons auprès de nous les dragons du seizième régiment, qui rétablissent l’équilibre des forces. Cependant l’activité des manœuvres criminelles recommence ; l'espoir d'arborer le pavillon du royalisme renaît, et, sans les nouvelles de la journée du 11 août, le crime était  consommé.

Ce mouvement de Paris si extraordinaire, et tout à la fois si heureux, s'est fait ressentir ici. Des rassemblements paisibles et sans armes se sont formés ; un  club s'est établi sous le nom des Amis de la Convention nationale : on y a dénoncé hautement les anciens agents du pouvoir exécutif, comme les auteurs de tous les maux de la colonie. Ce club était formé de citoyens réunis des trois couleurs ; quelques-uns nous ayant témoigné que ces élans de liberté pouvaient nuire dans un pays d'esclavage, nous fîmes inviter la société à se séparer et à cesser ses séances : deux minutes après que notre vœu fut connu, la foule des délibérants était dissipée, tant les patriotes ont de respect pour les  organes de la loi.

Le lendemain, 18 octobre, la commune s'assembla dans l’église ; les dénonciations se renouvelèrent avec fureur ; la garde nationale prit les armes , et sur le soir la municipalité vint nous avertir que la sûreté de la ville était compromise. Le bataillon des citoyens de couleur était alors autour de la maison commissoriale, mêlé avec la garde nationale blanche, pour veiller à ce que nos jours ne fussent point en péril.

Dans ces entrefaites, le gouverneur faisait mettre la troupe sous les armes ; les casernes du régiment du Cap se remplissaient de Chevaliers du poignard qui venaient renforcer le parti anti-populaire. Il était neuf heures du soir, et pour éviter toute effusion de sang, nous requîmes M. Desparbès de faire rentrer les troupes de ligne, et nous ordonnâmes à la municipalité de faire faire la même chose aux gardes nationales. Ceux-ci étaient assemblés sur la place d'armes ; deux  de nos secrétaires furent les haranguer, et elles se séparèrent en patrouille pour la sûreté de la ville.

Le 19 au matin, les rassemblements continuèrent au gouvernement ; le peuple irrité battit la générale malgré les ordres du commandant de la garde nationale et de la municipalité. On demandait à grands cris le rembarquement de M. Cambefort, colonel du régiment du Cap (ci-contre, 1) : nous avions déjà de fortes indices des crimes qu'on lui reprochait ; nous ne résistâmes pas à la voix universelle des citoyens de toutes les classes réunis ; nous lui envoyâmes l’ordre de se rendre à bord du vaisseau l’Eole ; nous requîmes en même temps M. le gouverneur général de faire exécuter cet ordre.



Nous fûmes complètement désobéis. M. de Cambefort se retrancha aux casernes sous un rempart d'officiers de la garnison ; et M. Desparbès, au lieu d'exécuter l’ordre, mit aux arrêts M. Cambefort, pour couvrir sa désobéissance. Le peuple, apprenant ces refus criminels, devint furieux ; le mépris de notre autorité de la part de ses ennemis, servit d’excuse à tous ses excès ; il se porta à l'arsenal, enleva des canons, et  partit pour aller assiéger les casernes et le gouvernement.

M. Sonthonax, l’un de nous, courut au-devant de la colonne qui s'avançait ; il parvint à faire faire halte et à déterminer les citoyens à attendre qu'il ait ordonné au régiment du Cap de se réunir à eux.  

Il arrive au Champ-de-Mars où le régiment était en bataille ; il lui parle, il lui ordonne, au nom de la Nation française, de se réunir aux citoyens : les soldats s'ébranlent, et la journée allait se terminer dans des embrassements fraternels, sans la perfidie des officiers du régiment du Cap. Une pièce de canon était pointée contre eux, M. Sonthonax leur fait un rempart de son corps, il fait rebrousser chemin aux canonniers. Pendant qu'ils occupait à faire faire cette heureuse évolution, les officiers travaillent le régiment, les soldats demandent leur colonel ; et si on les eût invité à alors démarcher, l’autorité nationale eût été compromise par leur désobéissance. M. Sonthonax se retire en leur ordonnant d’attendre, à leur poste, les ordres de  la commission nationale.

Il est à remarquer que déjà les bataillons de Walhs, de Royal-Comtois et de Béarn étaient rentrés aux casernes. Le troisième bataillon de l’Aisne, les dragons du seizième régiment étaient réunis devant notre maison avec le bataillon, des citoyens de couleur qui faisaient retentir l’air du cri de vive la nation. Ils n’ont fait que leur devoir, à la vérité ; mais ils avaient été, depuis quelques jours, si fortement travaillés, qu’il faut leur savoir gré d’avoir tourné patriotiquement leurs armes contre des hommes à qui ils, se croient liés par la reconnaissance. Nous vous répondons de leur fidélité, à l’Assemblée nationale et à ses délégués.

Cependant tine mesure prompte et décisive sauva le carnage général. Par une réquisition faite à M. le gouverneur, nous ordonnâmes rembarquement du régiment du Cap qui avait demandé à suivre son colonel. M. Polverel sortit aussitôt pour lire cet ordre aux troupes et au peuple réunis ; tous furent contents, et dans plusieurs quartiers de la ville on désarma.

Malheureusement il y avait auprès des casernes un corps de cavalerie nationale volontaire, qui, au lieu  de se réunir aux citoyens, se trouvait parmi les satellites du gouvernement. Ce corps portait l’uniforme, de la maison de Condé, innocemment sans doute ;  mais des couleurs aussi universellement proscrites devaient déplaire au peuple. On leur cria de se déshabiller ; l’un d'eux, jeune étourdi, répondit par un  coup de pistolet qui blessa un citoyen. Aussitôt une  grêle de balles fondit sur eux : trois furent tués ; et sans le courageux dévouement de M. Lavaux, lieutenant-colonel, commandant les dragons du seizième régiment, qui leur fit un rempart de ses troupes, ils étaient écharpés : ils en furent quittent pour être déshabillés.

Il était quatre heures du soir, heure fixée pour rembarquement du régiment du Cap : déjà les soldats, revenus de leur erreur, ne veulent plus être  embarqués ; ils demandent à garder leurs drapeaux avec un très-petit nombre d'officiers patriotes. La très grande majorité est conduite par nos à bord du  vaisseau l’America, pour être embarquée pour (la) France,  et aller rendre compte de sa conduite à l’Assemblée  nationale.

Ainsi s'est terminée la journée du 19 octobre, dans laquelle les amis et les correspondants de Coblentz et de la Martinique, devaient arborer la cocarde blanche. Les gardes nationaux, les soldats de la garnison, pêle-mêle avec les citoyens de couleur, sont venus autour de notre maison, criant tous vive la nation. La ville a été illuminée toute la nuit, et elle ne présente plus aujourd'hui qu'un peuple de frères et d’amis.
Les Commissaires nationaux-civils,
POLVEREL, AILHAUD, SONTHONAX.

Notes :

(*) A Paris, de l’Imprimerie nationale et édité sur ordre de la Convention nationale.

(1) Joseph Paul Augustin de Cambefort (1751-1803), chevalier de l’ordre royal et militaire de St. Louis, colonel de régiment, commandant par intérim de la province du nord de St. Domingue et major général lors de la révolte des esclaves du mois d’août 1791.

1 - Présentation


J’avais laissé ce qui aurait pu ressembler à une erreur sur la page consacrée à Victor Hugues, le patronyme de Léger-Félicité, de son nom véritable Sonthonax a connu deux orthographes. Santhonax fut l’autre orthographie employée, ne variant que d’une simple voyelle, mais pouvant dans une recherche ouvrir à d’autres écrits, pour ainsi ne négliger aucune piste dans un premier temps. Et ce qui a été révélateur, l'utilisation de Santhonax renvoie à des textes le plus souvent calomniateurs ou la volonté de nuire à ce commissaire activateur de la  première abolition de l'esclavage.

Toutefois, l'objet n'est pas d'engager une recherche tout azimut, mais de faire ressortir deux figures pour beaucoup négligées, mais si révélatrices des attaques du camp esclavagiste contre deux hommes qui n'ont fait qu'appliquer la loi républicaine et même la devancée, lors de la période s'étendant de septembre 1792 à leur arrestation le 8 juin 1794 et leur retour à Paris sous bonne garde.

Cette orthographie malmenée est assez régulière et il vaut mieux en tenir compte, souvent le révélateur d’une erreur volontaire ou une confusion dans la connaissance d’une figure politique. Cela souligne, en général, des personnages oubliés ou posant une réalité pas suffisamment approfondie. Ce qui est le cas du commissaire Sonthonax (28 ans) et de son compagnon d’infortune Polverel (56 ans), qui sera mis
en forme dans le futur en plusieurs pages, celles-ci consacrées à la proclamation de « la liberté générale » à Haïti en 1793, et à venir, au moins deux volets sur un historien haïtien méconnu et ses écrits.

Les surprises viennent dans ce cours des choses où l’on se consacre à rassembler des documents, notamment avec la découverte d’un historien Haïtien : Thomas Madiou. Ce dernier apporte à ces deux figures oubliées de la Révolution française une place dans le deuxième processus révolutionnaire et indépendantiste du continent américain avant 1804, et la proclamation d’indépendance d’Ayiti. Douze ans auparavant, en 1792, Sonthonax foulait le sol de la partie française de Saint-Domingue avec deux autres commissaires dont  son comparse Polverel.

Un troisième larron du nom d’Antoine Ailhaud, lui aussi commissaire débarquait de même en vue d’appliquer le décret du 28 mars  signé
le 4 Avril 1792 par Louis XVI et paraphé par le ministre de l'Intérieur sur la citoyenneté pleine accordée aux noirs affranchis et aux « libres de couleurs » (1 et 4). Dans l’espace de deux années en sortirent des actes contributifs pour l’abolition de l’esclavage avant le décret de la Constituante du 4 février 1794 et une approche singulière de la propriété allait bousculer quelques entendements, en particulier pour les locaux, propriétaires des plantations (ou habitations, terme générique dans les colonies françaises) et négriers ou vendeurs d'esclaves.

Une dimension et une configuration nationale
double, de comment les liens entre l'hexagone et la colonie la plus peuplée des Antilles françaises sous gouverne des monarchistes et des esclavagistes allaient s’effondrer dans de nombreuses guerres et une saignée humaine considérable. Thomas Madiou a été un auteur du XIXe siècle (1814-1884), il a contribué à une première histoire pour les écoliers haïtiens, et il existe une édition en 8 volumes de l’histoire d’Haïti datant de 1991 (2).

Pour ce qui n'est qu'un jugement personnel, je lui trouve des qualités pas si lointaines de Jules Michelet concernant une œuvre riche et rare pour son contenu. Cepedant en moins onirique, avec une histoire entre la France et ce qui est advenu la première République exercée par des afro-caribéens devenus libres et avec tout le poids des contradictions de cette
fragile liberté face à un empire colonial. Ce qui impulsera dans son sillon les révolutions « latino-américaines » (une terminologie tardive et faisant son apparition en France dans les clubs républicains des Amériques dans les années 1860 à Paris).

Sonthonax et Polverel sont deux personnages ayant échappé pour beaucoup aux considérations des historiens des temps passés de la Révolution française et un sujet qui pourrait avoir un caractère détonnant, car servant de révélateur à une situation pas si singulière ou d’une violence sans nom.

Cette ancienne possession franco-espagnole dans le processus révolutionnaire, certes français pour un tiers de la surface, dans ses aspects locaux et historiques l'île reste méconnue du public francophone, qui plus est hexagonal. Quelque part, Internet est un moyen de dépassionner cette idée des frontières et de s’approprier une trace écrite avec son apport historique propre aux deux nations, telle une connexion à deux ensembles continentaux.

2 - Deux héros républicains passés à la trappe de la Révolution française?

J’ai pu à ce jour trouver des informations d’un intérêt certain sur deux personnages oubliés ou presque. J’ai voulu les associer tous les deux, me faisant à l’idée de ce qui "se rassemble s’assemble", même si l’un et l’autre n’étaient pas dans un accord parfait, il faut parler de deux approches pas si disjointes cependant. Deux juristes de profession, d'où la particule de Polverel en 1789. A ce titre, ils furent à l’opposé de ce que représentèrent les conventionnels Hugues et Lebas en Guadeloupe, même si un écrit à tenter de les mettre sur le même plan, les parcours n'ont rien de vraiment commun. La nature des discrédits semblent avoir une fois de plus connu certains sommets dans le brouillage des pistes.

Un jour, je m’étais aventuré à expliquer que les "girondins" avaient été les promoteurs en France de l’abolition de l’esclavage, tout en soulignant le processus économique qui tendait à en finir avec l'esclavage, au profit d'un nouvel ordre économique. Je ne pourrais plus aujourd’hui l’affirmer avec une telle conviction sans l’avoir vérifié. Ce qui avait l'aspect d'une hypothèse s’en rapproche à grand pas, et trouve sa confirmation dans le cas de nos deux commissaires civils. Même si l’abbé Grégoire n‘entre pas dans les cases des considérations politiques les plus communes, rien n'est jamais simple dans les processus révolutionnaires. C’est un peu tout l’effet pouvant se traduire d’une loi dans un pays sans contrôle des autorités, et donnant à ses exécutants des prérogatives équivalentes à celle d’un consul. Drôle d’appellation pour désigner un pouvoir fort ou aux mains de quelques autorités civiles et militaires.

Si le décret du 4 février 1794 a bien été voté à l’unanimité par l’Assemblée, défendu par Danton sans équivoque, les figures marquantes de la Société des Amis des Noirs (SAN) avait été en partie éliminée, sur l’échafaud avec Brissot (octobre 1793), ou par d’autres types de décès, dont les suicides de Pétion de Villeneuve et Vignault près de Saint-Emilion en Gironde. Vignault dont un des membres de sa famille participa aux prémices de la révolution des Afro-américains, libres et esclaves en Haïti. De cette lutte émanant d’un club des premières heures de la première révolution, il ne restait plus grand monde à s’en préoccuper. Sauf Henri Grégoire et nos deux valeureux commissaires partis à Saint-Domingue à l’été 1792 avant l’établissement de la République une et indivisible. Ceci en total décalage avec les événements survenus le 10 août dans la capitale et ses suites politiques chaotiques, et tout autant sur l’île à administrer.

Encore avait-on cherché à les destituer, et les attaques du "parti colonial" et élus auto-désignés de l’île agirent auprès du Comité de Salut Public pour empêcher toute libération des esclaves. Le stratagème a fini par se retourner contre-eux. Des tractations visant à renverser les proclamations à la Liberté générale vont avoir peu de poids face à une situation plus que délicate. Car il incombe de comprendre aussi ce qui se passa outre-atlantique et de pouvoir disposer de sources assez fiables sur l’histoire d’Haïti. Il en importe ensuite de confronter et comparer deux histoires nationales, tel est le cas.

Parce qu’avant d’aborder ce que firent Léger-Félicité Sonthonax et Polverel, l’association des données issues de l’hexagone et de ce qui a pu se passer dans la grande île franco-espagnole permet de saisir deux réalités différentes. Et l’on peut difficilement saisir l’impact en août 1793 que représenta la proclamation provisoire, comme il est mentionné, de la liberté pour tous et sans distinction d’origines ou de « race » à Saint-Domingue? De comment un système organisé en caste tourna en bains de sang, tant les souffrances étaient fortes les explosions successives. Il allait se produire à partir d’octobre 1790 l'entrée de la nation Haïtienne en gestation, au rang d’un des pays les plus riches des Amériques et le plus ensanglanté à proportion gardée de sa taille et population jusqu’à son indépendance en 1804.

Le prix de la liberté et les différentes guerres qui s'y déroulèrent, l’île peu à peu devenait un vaste champ de bataille. Ainsi s'aiguisa l’appétit des voisins hispaniques et britanniques prêts à intervenir pour maintenir les futurs haïtiens en esclavage et mettre la main sur l’île dans sa totalité. Tout en engageant tous ceux ralliés à l’uniforme de l’armée du roi d’Espagne, au prix de quelques accommodements avec leurs chefs. Au final, en 1804 s’effondrait une colonie pour laisser place à un état souverain, la masse servile ébranlait le système infâme et il en était fini de la France coloniale à Saint-Domingue. L’ère post-coloniale n’en fut pas plus simple pour autant.

Il s'agit d'une histoire presque neuve, qui remonte au XVIe siècle dans sa première phase de colonisation, le fruit des relations des maîtres aux esclaves, de son organisation fiscale et commerciale. Après la Révolution haïtienne de nouveaux mécanismes de servitudes allaient se mettre en place dans les divisions d’Haïti, grande comme la Belgique. L’objet n’est pas de revisiter toute l’histoire de ce territoire et cette nation surgissant à l’aube du monde contemporain, mais de mettre en lumière les divisions et du rôle joué par Sonthonax au-delà de 1795, son compère décéda la même année en prison en France d’épuisement.

Si je peux reprendre certains travaux sur les guerres, c’est en général un sujet que j’aborde peu, hors les questions de stratégie, cela me laisse froid ou très en recul, je préfère éviter d’en raconter la nature macabre. Le champ de bataille, les événements de ce type à son lectorat, mais à part décompter les troupes en présences et qui aura le dessus, il reste la comptabilité des morts et blessés pour comprendre que la tragédie est avant tout humaine et au service de causes pas toujours justifiées ou justifiables.

La mort a été partie prenante de cette île dès ses premières conquêtes, l’on peut avoir le sentiment d’un long fleuve de sang, fait des vies transplantées ou acheminées pour faire tourner une économie de la mort. Lugubre à souhait, vase clos des souffrances au profit d’une minorité aristocratique européenne, nos civilisateurs de circonstance, le mobile impérialiste n’interroge pas, c’est un contresens à toute humanité, il impose son fait.

Les natifs d’abord, puis les Africains n’avaient pas demandé à faire l’objet de tels châtiments et c’est de l’échec à réduire en esclavage les populations Tainos que la colonisation continentale s’engagea et pris des allures assez similaires, mais face à des populations bien plus nombreuses à l'origine. Saint-Domingue son histoire, nous la connaissons plus ou moins et j’ai eu la chance de découvrir un auteur haïtien qui pourrait s’assimiler à un équivalent de Jules Michelet, mais Antillais. Une plume ai-je lu lyrique, et par essence excessive, ce qui est moins sûr?

Parce que les histoires de l’île ou d’Haïti de 1492 aux années 1840 sont plutôt rares, et en plus, le travail de Thomas Madiou est plus que remarquable, mais il n’est pas édité en France. Cette volumineuse édition a servi de bases à l’histoire nationale Haïtienne. Ayiti en créole n’est pas une création sémantique de la langue des esclaves, mais un héritage parvenant des originaires massacrés ou qui se sont suicidés pour refuser de se soumettre à l’envahisseur.

L’île de Saint-Domingue depuis 1492 a été un axe majeur des conquêtes et des colonisations, de quoi se donner une idée de comment diverses entreprises échouèrent avant de faire d’un tiers de la grande île, une manne économique enviée par ses concurrents coloniaux, Espagnols, comme Anglais. La dite « Perle des Antilles » a été le centre de toutes les expériences et destructions en tout genre et pas seulement en direction de l’humain. Si l’on s’en tient à certains récits de voyage et ce qu’ont pu rapporter certains observateurs, souvent des prêtres, il faut faire état d’une nature étincelante ou abondante préservée de tout saccage ou contrôle sur l’environnement.

Malgré une population en presque voie d’urbanisation, mais sous des modes que nous qualifions de nos jours comme du développement durable ou soutenable, ou limitant les impacts d’une prédation sur une nature luxuriante pour un Européen des siècles passés. Aujourd’hui la situation de la république Haïtienne notamment reste tout aussi préoccupante d’un point de vue humain, que pour un environnement terrestre et maritime saccagé. Là où abondèrent des forêts, il reste des plaies ou une végétation réduite à peau de chagrin, les ressources en poisson demandent à s’éloigner loin de ses rivages dévastés et désertés par les pêches autrefois de bon rendement. Les réserves d’argent avaient été épuisées au XVIe siècle, pied à pied tout a été pillé, et sa nature exubérante annihilée.

La colonisation française a contribué à favoriser les cultures et dessiner une approche particulière aux paysages, ce que l’on peut constater en Guadeloupe. La présence de populations venue de l’Ouest de la France a contribué à faire des îles des pays conquis des « petites France » aux allures normandes ou poitevines, comme les mobiliers anciens produits par les colons, seule la nature du bois pouvant être d’une autre essence que ce qui était employée dans l’hexagone.

Au XVIIIe siècle Saint-Domingue ou à peu près Haïti représentait un équivalent des pays pétroliers, un équivalent aujourd'hui de l'Arabie Saoudite, ses richesses excitaient toutes les passions et convoitises. La révolution des Dominguois ou ses prémices allait faire table rase de l’ancienne perle pour en faire un équivalent de catastrophe historique sans résolution, allant s’accumuler aux époques contemporaines, et accompagner de temps en temps quelques larmes faussement compassionnelles pour une des nations les plus sinistrées au monde.

L’objet n’est pas de faire lien ou corps avec les réalités actuelles, mais que cela en découle fortement. Ce qui se passa de 1791 à 1804 a été l’objet d’une chute de la population et une baisse démographique au moment de l’indépendance. Ce pays a toutes les raisons de remonter des souffrances centenaires, mais c’est toujours le pire pour les Haïtiens. A comparaison les habitants de l’espace hispanophone de l’île, si la situation est meilleure, elle est facteur pour les réfugiés ou migrants de la partie ouest de discriminations nombreuses et violations des droits humains régulières et attentatoires aux libertés fondamentales.

3 - Etienne Polverel (1738-1795), l’autre inclassable


Natif de Brive la Gaillarde, ce "girondin" pas très conforme a été membre d’une loge  maçonnique du côté de Bordeaux et été avocat en Aquitaine, avant de rejoindre le Parlement de Paris, comme son compère Sonthonax. En 1789, il fut l’auteur d’un Tableau de la constitution du royaume de Navarre, s’interrogeant sur l’absence de représentants de cette région aux Etats Généraux. Il a rédigé plusieurs contributions de nature juridique, à l’exemple du droit de veto. Il a tenu une place dans le processus révolutionnaire parisien et il n’a été l’objet que d’une biographie à ce jour. Il pourrait passer presque inaperçu, s’il n’avait été, lui aussi, l’objet de multiples attaques. La littérature colonialiste ne lui a fait pas de cadeau, il fut apparenté par un historien de la coloniale à un «négrophile», terme visant tous les membres de la SAN.

Hormis les travaux d’une universitaire, il est difficile de dresser un portrait, sauf à comprendre la nature de ses idées, et de comment il tenta de les appliquer à Saint-Domingue? Polverel entra au club des Jacobins en 1790, où, il tint une place de secrétaire des séances, possiblement en charge des procès-verbaux ou comptes-rendus. Début 1791, il était accusateur public dans le premier arrondissement de la capitale. S’il a pu sembler n’être que l’ombre de Sonthonax, ce serait commettre une erreur et de l’importance de les distinguer dans une histoire, où il tenta de mettre en œuvre un démantèlement de la propriété privée. De quoi comprendre pourquoi les Seigneurs de l’île ne 
supportèrent guères une telle remise en cause de leurs pouvoirs et privilèges.

Avec 6.000 hommes de troupes et une escadre navale, le commissaire Etienne Polverel s’embarqua et découvrit la situation chaotique de Saint-Domingue et ses oppositions contre-révolutionnaires, et jacobines dans sa version locale. Il fut à Saint-Domingue avec Sonthonax comme commissaire civil et a lui aussi participé de la promulgation de l’abolition, mais depuis la ville du Cap ou les Cayes. Une subdivision des rôles et de la mise en œuvre des lois républicaines dans un premier temps, et faisait la différence entre citoyen d’une part et esclave de l’autre. Un homme fidèle à ses engagements et un républicain de principe, dont les conseils avisés qu’il donna à son ami Félicité valurent à l’un et l’autre d’avoir été les promulgateurs de la liberté pour les esclaves Africains, le 28 août 1793 (ci-dessous et le texte dans l'Annexe des textes). Polverel se sentait exténué.



Quand quelques semaines auparavant, ils étaient en prise avec les Anglais, les colons et défenseurs des intérêts des « grands blancs » dans la province du Sud et de l’Ouest. De plus, les «libres de couleurs» planteurs de la province du Nord prenaient le parti de la Grande-Bretagne. Dans cette situation plus que confuse et très variable au fil des accords ou tentatives pour imposer l’ordre républicain. Le plus souvent, il fallut répondre sous la contrainte des armes. Mais le contenu légal loin d’être oublié, il se construisait au long des résistances donnant à Polverel des élans de réformateur et de législateur en droit fil, du droit naturel, et pour l’existence de biens communs. Dans un tel cataclysme, il ne restait plus qu’à lever les forces vives du pays pour arrêter cette fin présumée de la présence coloniale, néanmoins annoncée.

Les tractations avec François-Dominique Toussaint Breda, dit Louverture allait en changer le cours de l’histoire. Avec 5.000 soldats, il passait armes et bagages du côté des libérateurs du genre humain et de la République. Polverel se sachant condamné à vivre ses derniers mois, s’honora de tenir bon et de légitimer l’impensable aussi bien pour les colons, que pour des «libres» propriétaires de plantations et d’esclaves. On lui devrait le surnom de Louverture, « mais cet homme fait ouverture partout ! » lui accorde-t-on.

Cette assignation des « nègres » à un rôle secondaire ou supplétif avait poussé Louverture à trouver plus de libéralités chez les Espagnols voisins. Les autorités castillanes furent très heureuses de voir arriver des troupes pouvant mettre en déroute ou faire face devant les Français, ou bien de tenir leurs positions toutes aussi compromises. Toussaint Breda avec d’autres avaient rejoint cette opportunité et il allait progressivement devenir maître de toute l’île. Sans la main tendue de nos deux commissaires et l’ouverture d’esprit de Toussaint Breda, la révolution Haïtienne ou Dominguoise en aurait connu un autre visage. Il n’y a pas à minimiser son rôle aux côtés de Sonthonax, celui-ci a mieux résisté aux conditions de vie que son comparse, mais ils sont indissociables de ce mouvement d'émancipation.

Par ailleurs Etienne Polverel, tout comme Sonthonax furent la cible des libelles, et attaques diverses, comme son confrère. Il en fut de même depuis la Convention sur les bans de la Montagne, ou parmi les colons siégeant à l’Assemblée, dans la presse ou l’édition et pas seulement sur place. Mais les accusations n’étaient que verbales et sans prise sur ce qui pouvait se dérouler de l’autre côté de l’Atlantique. Les attaques les plus manifestes eurent cours, lors du second séjour du commissaire Polverel en 1796, quand les dits girondins choisirent de résister aux centralisateurs jacobins et sans culottes. Polverel décéda un peu avant que ne se tienne son procès et la fin des démêlés avec la Convention en 1795, fermant le premier ban de leur histoire outre-mer.

4 - Léger Félicité Sonthonax, l’homme par qui la Liberté générale triompha


Une fois de plus l’orthographie d’un patronyme peut réserver des surprises ! J’avais négligé au début de mes recherches sur le bassin Caraïbe, cette toute petite différence sur une voyelle, un o à la place du a ou inversement, qui dans des explorations par occurrence débouchait avec Santhonax sur toute une série d’ouvrages ou libelles lui imputant les pires crimes. Un tissu mensonger, qu’il est assez facile d’identifier, mais difficilement exploitable dans l’art d’établir quelques onces de vérité.

En raison d’une opulence certaine à la diffamation, la démagogie, qui ne fut pas un problème spécifique de Sonthonax, ni le dernier à subir les calomnies et les caricatures. L’objet en soit n’est pas de se fier à ces veines à discréditer, tout ce qui a pu contester le modèle dominant, de l’enrichissement rapide passant par un soutien  aux pires entreprises marchandes. Car ce qui est sûr, c’est qu’il connut de nombreux détracteurs et tout particulièrement les planteurs et colons de Saint-Domingue.

Cette petite différence orthographique assimilée m’avait fait rater quelques textes, dont trois écrits de Félicité Sonthonax qui ont été retenus pour cette page (en annexe), pour lui rendre la place qui semble lui avoir été sacrifié. Comme quoi plus de deux cents ans après la calomnie continue encore à opérer. Tout comme au vingtième siècle, il n’entrait pas comme une figure héroïque des acteurs et libérateurs des Africains esclavagisés, cet effacement l’a fait disparaître peu à peu comme référence historique dans l’abolition de l’esclavage, je vais tenter de lui rendre un peu de son rôle perdu.

Léger Félicité Sonthonax naquit à Oyonnax le 17 mars 1763 et décéda en 1813 dans cette même cité du département de l’Ain d’un gros millier d’habitants au dénombrement de 1786 et attenante au Jura. Sa famille a prospéré dans la fabrication de peignes, sur un marché allant grandissant pour la vente de ce produit d’usage commun. La fabrication de peigne était une activité de cette région, les temps d’hiver pour la paysannerie locale avant de s’industrialiser et prendre un tournant économique plus conséquent.

Le jeune Sonthonax était issu d’une famille aisée, il étudia au collège à Nantua et suivit des études universitaires à Dijon à partir de 1781. Peu de temps avant les prémices révolutionnaires, il était avocat au Parlement de Paris. Le 29 décembre 1791, il devenait avoué près du tribunal de cassation, puis il était élevé à la place de Commissaire pour Saint-Domingue après le 4 avril 1792, et la signature du décret par le roi sur la reconnaissance des « libres de couleurs » comme citoyens de l’Empire colonial. Il a laissé une importante correspondance de ses échanges ou correspondances qui n’avait pas encore été analysée dans sa totalité en 1998 selon Marcel Dorigny, historien (Spécialiste de l’histoire de l’esclavage, de la colonisation et des mouvements indépendantistes et abolitionnistes).

Et ce même Marcel Dorigny précise dans un texte se nommant Haïti, de la société de plantation à la société paysanne que :
« La transformation du système :  Dès cette époque s’est posé le problème du maintien des plantations. Les autorités françaises veulent préserver le système car la France ne souhaite pas perdre sa position de premier producteur mondial de sucre. Pour cette raison,Sonthonax inclut dans le texte de l’abolition un règlement de culture. « En France tout le monde est libre mais tout le monde travaille. La liberté n’est pas la licence ». Les nègres attachés aux habitations des anciens maîtres sont tenus d’y rester. Ils sont rémunérés par un pourcentage du revenu de la propriété (environ 1/3 réparti selon la fonction, l’âge, le sexe, etc). Les places à vivres et jardins potagers alloués à chaque esclave sont maintenus.

Le règlement est très précis, pour pallier le risque que les anciens esclaves refusent de travailler dans les plantations et veuillent travailler pour eux. A l’opposé de la thèse des économistes pour qui le travail d’un salarié libre est meilleur, on prend pour principe que jamais les esclaves devenus libres ne voudront travailler dans les plantations. Pour les colons, l’abolition de l’esclavage signifierait alors la disparition de l’exploitation des cannes à sucre.

A partir de ce moment, il existera pour les gens de couleur deux statuts juridiques :

- les anciens libres, affranchis avant l’abolition, sont citoyens à part entière, comme les Blancs,

- les nouveaux libres, c’est-à-dire les anciens esclaves qu’on va appeler progressivement cultivateurs, auront un statut particulier. Ils ont deux obligations : le travail et la résidence. Ils sont obligés de travailler et n’ont pas le droit de partir. Ceux qui s’en vont sont accusés de délit de vagabondage. »
L.F. Sonthonax fut journaliste de 1789 à 1791 aux côtés de Louis-Marie Prud’homme dans les Révolutions de Paris. Il participa et s’associa notamment aux travaux de la Société des amis des Noirs menés par des figures emblématiques comme Henri Grégoire, Nicolas de Condorcet et Gaspard Monge. Tous les trois accédaient au Panthéon en septembre 1990 à la demande du président Mitterrand. A cette occasion se tenait à Paris un colloque des amis de la Mémoire de Félicité Sonthonax, dont les actes du colloque ne furent publiés qu’au moment de la préparation du cent cinquantième anniversaire de la seconde abolition de l’esclavage de 1848.

Il lui a été consacré en 1997 une série d’articles dans la Revue française d'histoire d'outre-mer, un « Spécial Sonthonax » (consulter la bibliographie en bas de page). Sa particularité avoir été le premier promulgateur de l’abolition dans une colonie française et tenir un rôle de premier plan de 1792 à 1794 avant de devenir député, aux côtés des rescapés de la Gironde comme Jean-Baptiste Louvet (lire-ici), et d’autres. Une vie somme toute courageuse, qui aurait pu lui valoir quelques honneurs, l’objet n’est pas de réparer le passé, mais de lui rendre quelques éclats de Lumière, quand cela est possible.

Notre personnage révolutionnaire a été plus connu, il est tombé dans un oubli certain, quand le dogmatisme continu à l’effacer au profit de la vérité historique. Il existe juste un usage malencontreux des faits, un effacement presque volontaire, comme le retrait de son nom du dictionnaire Larousse après 1952. Son oubli s'est maintenu depuis quand a été évoqué en 2017, le 4 février 1794, jour du décret d’abolition de l’esclavage à la Convention, rien sur son auteur tutélaire.

Pourtant s’il n’est pas le rédacteur du décret d’abolition de 1794, il fut le premier et le seul à l’avoir mis en œuvre au terme de fortes oppositions avec les protecteurs de ce commerce de la négation humaine. Présent avec le commissaire civil Polverel dès 1792 pour l’application du décret concerna les libres et noirs affranchis de la République en raison de la date de leur départ. Nos commissaires se heurtèrent à toute une résistance aussi bien royaliste que jacobine, puis Sonthonax être mis en exil intérieur par Napoléon Bonaparte pendant 15 ans (entre Oyonnax et Paris).

Un sort certes bien plus enviable que celui de Toussaint Louverture qui mourut dans une prison du Jura à mort lente et certaine. On en devine toute la perversion ou de comment ces deux hommes, dont la destiné fut liée un temps à Saint-Domingue, ceux-ci trouvent ainsi quelques recoupements sur leurs destins communs. Assurément, les deux ont vécu les foudres des régimes de l’autocrate Bonaparte. De son côté, Sonthonax essaya de répondre à ses accusateurs de 1795 à 1798, puis finir avec la fin du Directoire par se taire jusqu’à la fin de ses jours. Selon M. Trénard, il se jouait des interdits pour circuler, mais sans plus.

Sa manière d’écrire est une belle surprise, et son langage tranche face aux discours emprunts de terminologies discriminantes de la même époque et plus encore. Une bulle d’air frais et très lointain des manoeuvres et entourloupettes du sieur Victor Hugues en Guadeloupe. Son crime être le prototype du girondin, rolandin ou brissotin, selon Marcel Dorigny. Qu'importe, il fut un sincère et un intègre républicain. Cette bonhomie ou rondeurs que lui donne une peinture, cache un défenseur du genre humain et de la cause des Noirs.  Il existe une autre illustration datant des années 1930, et rien pour Polverel en l'état.

L’objet n’est pas de faire un héro supplémentaire, même si Sonthonax à cet égard pourrait entrer dans la galerie, peut-être a-t-il les aspects de l’antihéros? Celui qui n’entre pas dans les cases, à la fois agent de l’état colonial et abolitionniste. Pourtant, il s’empara et s’appuya sur la déclaration pas encore universalisée des droits de l’Homme et du Citoyen, et appliqua jusqu’au bout les décisions qui s’imposaient par la légalité et décisions prises par la Convention. Dont celle, non écrite, de convaincre ou d’entraîner l’adhésion des chefs rebelles et le ralliement de Louverture, qui était sous la bannière des troupes espagnoles avant 1793.

Nous sommes loin d’un enjeu minime, car la grande île était l’objet des turpitudes locales et internationales. La Grande-Bretagne et le royaume castillan avaient des intérêts à s’en prendre à la partie française. La dite « perle des Antilles » était une puissance économique considérable et plus que convoitée en temps de guerre. Tout comme son comparse Hugues, Sonthonax a bien précisé et publiquement, qu’il avait réactivé les pratiques corsaires et la guerre de course sous son autorité. Et il désigna un certain nombre de ses opposants ralliés aux Anglais !

Ce qu’a pu écrire à son sujet Michel Vovelle est tout à fait éclairant, sur la perception d’un inclassable, pas assez jacobin en 1792, mais néo-jacobin en 1795, le voilà sauvé… Si ce n’est symptomatique d’une classification assez révélatrice du siècle passé et un homme, qui aurait tous les aspects d’un héros positif, mais son erreur serait de ne pas faire couleur locale? On lui prète d'avoir épouser une femme métisse, une situation pas si coutumière pour son époque.

Tout autant que Polverel l’un des deux commissaires qui l’accompagnèrent à Saint-Domingue (3), avec Antoine Ailhaud.  En 1793, notre troisième larron prit ses jambes à son cou pour rentrer en métropole, et sans prévenir. L’objet s’il est révélateur d’un désaccord, il marque surtout comment Sonthonax ne démérita pas, d’avoir ses palmes à l’académie des vilains et méchants révolutionnaires…

Que Toussait Louverture se soit passé de Sonthonax lors de son dernier séjour en 1796, et l’ait renvoyé en France pour agir à sa guise ou selon ses orientations, n'a pu que provoquer une opposition manifeste avec Sonthonax, ancien détenteur de la légalité hexagonale et centraliste. On peut se douter que Louverture l’entende autrement. Mais cette opposition en devient fondatrice et constitutive d’un mouvement jusqu’alors pas vraiment envisagé, dont on avait tout fait, depuis 1790 et la mort d’Augé à la tête d’une sédition de métis libres, pour réprimer toute idée de nouveaux droits contre tout ce qui avait une peau noire ou colorée. L’égalité était tenue aux ports sous bonne protection par Louis XVI et ses officiants jusqu’en 1792, où l’on envoyait ces citoyens du Nouveau monde aux cachots en arrivant sur les rives françaises. Ce qui fut en soit l'art du double langage et les manoeuvres opérées au sein des ports français pour stopper toute mise en cause de l'édifice esclavagiste.

Sonthonax, jusqu’à son entrée au Conseil des Cinq-Cents sous le Directoire, comme parlementaire avait été le décisionnaire politique et un représentant contesté de toute part. Celui qui ouvrit aux Haïtiens un moyen de s’affranchir de la tutelle coloniale, avec son effet perturbateur pour les puissances esclavagistes. Un cheminement mental que l’on pourrait comparer entre les deux hommes, qui les conduisirent, l’un et l’autre à rédiger des structures légales conséquentes : un préambule de l’abolition de l'esclavage et une première constitution pour Saint-Domingue. Deux textes qui participèrent de leur déchéance ou mise à l’écart. difficile dans cas de les opposer en tout point. Sur une courte séquence, ils furent deux individus pris dans une tornade politique et militaire, alors que leurs intérêts ont pu converger, puis diverger.

Cela n’avait rien d’exceptionnel dans cette longue route pour l'émancipation de tous les Haïtiens et Louverture une cause évidente et prioritaire à faire connaître, mais tous les héros ont aussi leurs limites. Saint-Domingue fut un grand chapitre d’une histoire commune jusqu’en 1804, la navigation n’y est pas simple. Les réalités signifiantes étaient ce qui terrifiait le monde des « grands blancs », qu’un pays composé de déportés Africains puisse avec sa majorité non conforme ou perçue comme bestiale prennent les chemins de leurs libertés. Ce qui allait se produire en bout de course et
avoir surtout de multiples répercussions dans toute la Caraïbe.

En soit, que Sonthonax soit passé à la trappe n’a rien d’étonnant, il n’a pas été le seul. Ce qui importe est de pouvoir restituer ce qui se passa à partir de la première révolte et l’objet des « libres de couleurs » ou de quelques dizaines de métis à partir d’octobre 1790 dans la partie ouest de l’île (Haïti), avant la grande déflagration du mois d’août 1791 à bois Caïman. Les tensions en France comme à Saint-Domingue autour de la liberté du genre humain a un caractère sinueux, une malléabilité qui poussa un de ses colons, une plume bavarde et délirante, à distinguer en 110 segments  le métissage entre noirs et blancs.

Loin de nier cette césure de couleur et de préjugés racistes comme l’écrivit de Saint-Merry, planteur et député, ce dernier à partir de 1798 en remit une petite couche livresque et participa à une campagne visant le rétablissement dans l’empire -
en miette - de l’esclavage outre-Atlantique ou sous de fortes menaces. Ces thèses nauséabondes préfiguraient tout le scientisme du XIXe siècle, ce qui peut sembler des emportements sous la plume de Sonthonax sont d’une justesse assez inégalée, et plutôt que de chercher les différences les plus subjectives, comprendre pourquoi, il est vain de rayer des portraits officiels, un honorable révolutionnaire. Il n’a pas été le seul républicain contributeur de la liberté des populations noires aux Amériques, toutefois il y a à reconnaître une belle contribution.

Les personnages de Sonthonax
de Polverel sont deux acteurs de la Révolution française (index des pages) qui ont plus ou moins disparu, ils auraient pu avoir une place dans le Panthéon national, non loin de l’Abbé Grégoire. L’objet n’étant pas de les réhabiliter, mais de faire découvrir une entreprise républicaine honorable, bien que proche de Victor Hugues sur la distance, on peut parler d’expériences et des méthodes fort discordantes, même s’ils eurent tous le titre de commissaire civil et ont oeuvré à leur manière pour le maintien de la France dans ses colonies.

Les aspirations et les conduites furent sans rapport et avec un déccalage de plusieurs mois dans leurs diférentes désignations, celle des commissaires à Saint-Domingue datant d'avril 1792 et non l'année suivante. Le camp montagnard une fois au pouvoir après juin 1793 doit faire face à une guerre civile et des attaques ennemies sur son territoire, dans les colonies, comme la Martinique basculant du côté des Anglais, les événements se précipitant.

Sur le mode de la plaisanterie, je pourrais écrire encore des girondins, et de la pire nature qui soit, des juristes ou hommes de loi ! Entre un affairiste, corsaire et homme d’état, la comparaison si malicieuse soit-elle, ils furent plus austères ou attachés à des principes républicains clairs, comme l’établissement de la loi, et à partir de 1792, celle de la république contre vents et marées. Et ils soulevèrent quelques tempêtes et se retrouvèrent ainsi face à des situations cornéliennes.

Pour cela, il faut traverser l’Atlantique et se rendre à Haïti, la terre qui signifiait les hauteurs chez les peuples originaires. L'île dont les sommets sont les plus hauts de toute la Caraïbe et peut connaître des températures en dessous de zéro sur ces crêtes les plus élevées (environ 3000 mètres). L’objet n’est pas de dresser une odyssée, mais de s’intéresser à un territoire colonial du royaume de France ayant connu une prospérité sans égal dans la région, mais à quel prix et au nombre de combien de sacrifices humains, pour les intérêts d'une minorité?

Si Sonthonax et Polverel n’ont été qu’un facteur des désordres et des guerres conduites, et limitées dans le temps. Nos deux hommes ont contribué à la levée des chaînes et joué un rôle politique central durant leur présence sur l’île. Sonthonax en charge d’une nouvelle mission auprès de Toussaint Louverture en 1796 et l’année suivante tourna court et celui-ci renvoya Sonthonax vers la métropole l'année suivante. Il en était fini de l’existence politique de ce qui avait été un phénomène presque marginal ou si lointain que pour trouver des apports digne de foi, il faut fouiller dans ce qui a un peu les aspects d’un dédale.

Un modeste fil de soie m’a permis de reconstituer, ce qui pouvait sembler difficile à éclaircir en trouvant dans les histoires nationales Haïtiennes, cette antériorité ou ce qui a pu se dérouler avant la proclamation de la deuxième république continentale, coupant ses liens avec ladite "métropole" apparaît comme la grande absente des récits. Il est donc compliqué de s’aventurer à en esquisser tous les tenants ou aboutissants.

Toutefois des travaux d’historiens sont venus étayer avec une certaine faiblesse du côté français, les exploits téméraires de nos deux compères républicains, Polverel apparu plus comme un modérateur, cependant un drôle de merle qui s’attaqua à certains fondements de la propriété avec une idée précise des biens communs en faveur de la répartition des richesses au sein des « habitations ».

Sonthonax allait tenir le rôle activateur et détenir aussi les manettes et la défense depuis la ville de Port-au-Prince face aux attaques internes et externes, quand ils arrivèrent avec Ailhaud à la tête de 6.000 soldats et marins à la date du 18 septembre 1792. Sur ces trois agents de la France presque républicaine, le moins solide se rembarqua quand la tournure des événements prenaient un axe qui modifia la donne et a du tenir compte de la majorité souffrante et humiliée.

L’histoire de ces deux hommes s’est déroulée principalement sur deux années, Polverel à son retour en France, lors de son incarcération décéda en 1795, il se savait déjà très malade à l’été 93 et présumait de ses derniers jours. Il n’y aura pas vraiment besoin de parler de deux héros, leurs actes suffisent et devraient aider à les sortir un peu de la naphtaline.



II - Situation générale des colonies françaises aux Amériques


1 - Descriptif sommaire des relations maritimes et politiques dans l'espace Caraïbe

Les colonies françaises des Antilles étaient généralement désignées avec des terminologies n’ayant plus vraiment cours. Il faut préciser que les nominations géographiques ont varié avec le temps, entre autres l’espace caribéen était connu sous le nom de la « mer du Nord ». Cette étendue océanique surplombait le nord de l’Amérique du Sud, depuis devint la mer des Caraïbes. Où se trouvait en son extrémité sud la partie française des Guyanes et toute une série d’archipel ou chapelets d’îles remontant jusqu’à la Floride et les derniers vestiges coloniaux du royaume de France en Amérique après le traité de Paris de 1763, cédant le Canada François (ou l’Acadie) à la Grande-Bretagne et la Louisiane à l’Espagne. 

Les « îles sous le Vent » se situaient dans les grandes Antilles, elles concernaient principalement et sous ses différentes appellations, Saint-Domingue pour les Français reprenant le nom de la capitale, puis la partie ouest pour un tiers du territoire devenant la République d’Haïti en 1804. Ou sinon, Hispaniola (l’Espagnole), le nom donné à son arrivée par Christophe Colomb, puis Santo-Domingo (en castillan), de nos jours la République Dominicaine. Les « îles du Vent », elles se trouvaient au sud de Saint-Domingue dans les petites Antilles : Martinique – Sainte Lucie, Guadeloupe – Marie Galante – La Dominique. Et Trinité et Tobago, ces îles proches du Venezuela eurent un statut double, voire triple entre la France et l’Espagne, et le Royaume-Uni. 

Ces dernières nations représentant, les trois grandes puissances coloniales dominantes jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, sachant que pendant cette centurie, les royaumes Bourbons avaient pour ennemi commun, les Anglais. Pour exemple lors de la guerre d’indépendance des Etats-Unis, l’on pense à l’appui des troupes de Lafayette lors de la bataille de Yorktown en 1781, mais il ne faut pas omettre le soutien du royaume d’Espagne à la fin aux colonies de la Nouvelle-Angleterre.

Charles IV d’Espagne allié et parent de Louis XVI disposait de la plus grande colonie allant de Los Angeles en passant par la Floride, plus tout le continent central et sud, exceptée la Patagonie. Ils ne furent pas les seuls à avoir influé et organisé la traite négrière et le commerce transatlantique, dont la primauté revient au Portugais implanté en Afrique dès le XVe siècle. A peu près toute l’Europe en partant de l’Est et notamment sur son flanc ouest et maritime, il s’est concentré de Cadix à Stockholm, toutes les flottilles à la conquête du Nouveau Monde, même des pays comme les royaume de Suède ou du Danemark ont pris part à cette colonisation violente et brutale.

2 - L’émancipation difficile des Noirs de Saint-Domingue
« Je prierai d’abord de m’expliquer sur quel principe on se fonde pour la proportion de la députation de la colonie. Les colons prétendent que la proportion de leurs représentants doit être en raison des habitants de l’île, des richesses qu’elle produit et de ses rapports commerciaux. Mais premièrement, je rappelle ce dilemme irréfutable : les colonies prétendent-elles ranger leurs nègres et leurs gens de couleur dans la classes des hommes ou dans celle des bêtes de somme? Mais les gens de couleur sont libres, propriétaires et contribuables et cependant, ils n’ont pu être électeurs. Si les colons veulent que les nègres et les gens de couleur soient hommes, qu’ils affranchissent les premiers; et que tous soient électeurs, que tous puissent être élus. Dans le cas contraire, nous les prierons d’observer qu’en proportionnant le nombre des députés à la population de la France, nous n’avons pas pris en considération la quantité de nos chevaux, ni de nos mulets, qu’ainsi la prétention des colonies d’avoir vingt représentants est absolument dérisoire ».

Mirabeau, intervention à l’Assemblée constituante, le 3 juillet 1789.
C’est probablement l’affaire la plus brûlante de la Révolution française dans ses prolongements avec un aboutissement difficile et l’extinction d’une mémoire ayant de nombreux liens avec les archives, parfois enfouies, ou ce qui demeure de témoignages d’un temps heureusement disparu. Ces mémoires humaines qu’il n’est pas facile à exhumer restent toujours comme des braises vives. Sous des couches d’oublis volontaires, des interprétations diverses, des approches contradictoires, rien n’est simple pour restituer ce qui peut ressembler à un puzzle, et à un éclatement des normes d’un passé pas toujours révolu.

J’avais à peine effleuré la question coloniale dans mon histoire critique du processus depuis Paris de 1788 à 1792, tout en constatant une réalité géopolitique, des faits extérieurs échappant aux cours des événements hexagonaux, donc une approche plus internationale que nationale. Dans les Caraïbes, une île plus que les autres mérite le détour pour son histoire révolutionnaire, il s’agit d’Haïti à l’Ouest, qui était au XVIIIe siècle mentionné
comme Saint-Domingue, aussi bien pour la partie française qu’espagnole avec la capitale fondée sous Isabelle la catholique au début du XVIe siècle, la ville principale portant aussi le nom de Saint-Domingue (ou Santo Domingo).

En raison de son emplacement géographique, ce territoire se positionne au sein des quatre plus grands archipels des grandes Antilles, sous la dénomination d’îles sous le vent, avec la Jamaïque, Puerto-Rico et Cuba. Ce fut la seule entité de langue française dans le nord des Antilles, la possession la plus prospère et du meilleur rapport pour les entreprises colonialistes. Sa colonisation dans son antériorité a été des plus cocasses, mais nous n’aborderons pas ici ses premières heures, plutôt ce qui correspond à la fin d’un des anciens régimes en place dans la région (l’autre étant la puissance castillane).
« Avant la Révolution, Saint-Domingue était certainement la plus riche de toutes les colonies françaises. Les plantations de cette île fournissaient de sucre et de café la moitié de l'Europe.

En 1788, elle avait envoyé en France pour plus de cent cinquante millions de denrées, et la plus grande partie avait été vendue au commerce du nord de l'Europe. En 1789, elle se trouvait dans une grande prospérité; la partie française de l'Ile renfermait 851 sucreries, 3,628 caféières, 3,150 indigoteries, 843 cotonnières.

Il est prouvé, par les chiffres de l'importation et de l'exportation, que cette magnifique colonie comprenait près des deux tiers du commerce extérieur de la France. En 1789, le mouvement des affaires fut de 461,318,678 livres d'exportation, et de 265,372,282 d'importation, qui valaient au trésor 21,587,180 livres d'impôts. La colonie avait reçu dans ses ports 515 navires français et 1,063 étrangers, qui avaient emporté 520 millions pesants de livres de sucre, 250 de sucre brut, 230 de café, des sirops, de l'indigo, du coton.

Les deux tiers de l'Ile appartenaient aux Espagnols, mais la partie française était do beaucoup la plus riche et la plus peuplée. Elle était divisée en trois provinces : celle du nord, celle de l'ouest et celle du sud. Elle renfermait en tout cinquante-deux paroisses, dont deux villes très importantes, le Gap français, dans le nord, et Port-au-Prince, dans l'ouest, et plusieurs autres moins peuplées, mais assez florissantes, comme les Gayes, Jacmel, Jérémie, Saint-Marc, Léogane.

La colonie était administrée par un gouverneur et par un intendant de justice, police, finances; avec deux lieutenants et douze conseillers, ils formaient le conseil souverain, qui jugeait en dernier ressort tous les procès civils et criminels. Le gouverneur civil, lieutenant général, représentait le roi, avait le pouvoir militaire et exerçait une autorité à peu près illimitée. »
Sonthonax et Poverel par Ludovic Sciout. Extraits de la Revue des questions historiques d’octobre 1898.
Il ne me sera pas possible d’entrer dans tous les détails, ils abondent, ou précisions nécessaires sur les tous les contributeurs de cette page d’histoire sanglante. Le but est plus de donner des grandes lignes ou clefs de compréhension, et se limiter à quelques personnalités historiques. Et ce qui a été l’oeuvre ou le résultat de l’émancipation d’un peuple jusqu’alors ne pouvant entrer dans les grilles d’une domination, non pas de classes, mais des castes, c'est-à-dire une relation figée sans évolution possible.

Des infériorités, ou légendes christiques renvoyant l’Homme à la peau noir à des péchés originels, une malédiction plus dans son langage, son système d’exploitation, niait toute forme d’humanité. Cette construction dogmatique visait à l’usage d’une force de travail, mais pas à peupler et penser l’avenir sur des bases saines, il a été question, rien que pour l’année 1789 de la venue de 100.000 esclaves pour les ports américains, toute puissance confondue depuis l’Afrique.
« Dans la séance du 11 mai 1791, où le sort des gens de leur fut remis en question devant l'Assemblée nationale, Grégoire prouva bien que les calomnies des colons, comme celle des cagots et des aristocrates, n'étaient pas capables de l'effrayer. Ce fut lui qui ouvrit la discussion et présenta, dans un tableau rempli d'images vives et frappantes, la filiation de tous les troubles des colonies. Il fit voir qu'elle provenait avant tout de la lettre incendiaire écrite par les députés des colonies le 12 avril 1789, lettre dans laquelle on excitait les défiances des blancs contre les gens de couleur (les métis affranchis ou «libres» furent les premiers à se soulever), lettre qui a donné le signal de l'affreuse persécution contre eux. Grégoire trouvait encore les causes des troubles dans la fausse marche qu'on avait perpétuellement fait suivre à l'Assemblée nationale, dans les équivoques décrets, dans les prétentions opposées des diverses assemblées de Saint-Domingue, dans l'envie qu'avaient les colons débiteurs de faire la loi à leurs créanciers d'Europe. Il présenta un tableau pathétique de toutes les horreurs qu'on faisait éprouver aux gens de couleur de l'insurrection d'Ogé, et il osa justifier ce martyr de la liberté ».

Mémoires de Brissot, tome 2, page 96 et certaines parties sont extraites de ce que Brissot publia dans son journal Le Patriote.

Une bonne part de la complexité de la situation de Saint-Domingue est liée à son système de caste. Depuis Paris, un de ses plus ardents défenseurs fut le colon et planteur Elie Moreau de Saint-Méry, martiniquais de naissance et un idéologue acharné du préjugé de couleur, un des activistes du club Massiac apparu en 1789 après les Etats Généraux à Versailles. Il est donc compliqué de s’abstraire de cette organisation. Ce groupe de pression esclavagiste fit tout pour saper une possible concorde et attiser les haines raciales, en France comme dans les colonies d’Amérique. La méthode employée par les commissaires civils durent répondre à des situations locales propres, et ce qui se passa en Guadeloupe ne pas être la réplique de Saint-Domingue, plus vaste et peuplée, et la concentration d’une richesse économique sans égal, et qui lui valurent le titre de Perle des Antilles et les "grands blancs" de Seigneurs.

Il s'agit de comprendre tous les ressorts et de pouvoir saisir comment le «parti colonial» a tout fait pour s’opposer aux décisions visant l’abolition, menant dans la partie Ouest de Saint-Domingue des opérations contre-révolutionnaires, en cherchant à s’appuyer sur des divisions internes à la société Domingoise. Différents termes, comme «nègre» désignait l’esclave, comme un mot générique, mais l’on pouvait distinguer, ainsi les enfants noirs nés dans l’île, c’est-à-dire le créole, des esclaves venant d’Afrique, une manière de segmenter chaque composante et de trouver des divisions sur lesquelles on pouvait créer des césures ou des conflits potentiels.

Et les maîtres ou Seigneurs s’en saisir pour attiser la guerre et maintenir leurs pouvoirs. Il existait tout un arsenal langagier avec «les libres ou gens de couleur», sans omettre des termes comme «mulâtre, quarteron, etc..» désignant les métis, appelé aussi «les sangs mêlés». Probablement les plus rejetés dans cet ordre des choses, si l’homme Noir représentait la figure du sauvage, ce mélange pouvait être de l’ordre du maléfique, la zone d’ombre et les relations complexes de cette pyramide raciale, où la blancheur prédominait comme baromètre de l’exclusion. Le «créole» avant 1789 désignait surtout les propriétaires îliens avant de s’élargir et désigner l’ensemble des populations antillaises dans toutes ses déclinaisons actuelles.

J’aurais pu commencer mon travail par le personnage d’Ogé, mis à mort en 1791 avant les insurrections du mois d’août dans la partie française de Saint-Domingue. Il est la figure du premier martyr de cette révolution pas vraiment silencieuse et pas vraiment admise. Il fut le premier à soulever plusieurs dizaines de métis ou libres comme lui, pour imposer les décisions prises à l’Assemblée Constituante trois ans plus tard et qui furent en 1791 bloquées par le parti de Barnave et ses amis Lameth au mois de septembre.

Cette révolte des «jaunes», c’est ainsi que sont aussi nommés les métis par Thomas Madiou permet de comprendre la fragmentation des points de vue et dans cette dynamique, les affranchis de toute couleur réclamer leurs droits de citoyens, libres et égaux. La répression qui s’abattit sur la future Haïti à partir de septembre 1791 fut sans commune mesure avec ce qu’a pu faire le général Lafayette dans l’hexagone, du moins sous son ordonnancement.

Quand arrivèrent les commissaires désignés par l’Assemblée, c’est-à-dire après le décret voté le 28 mars et les signatures du 4 avril 1792 donnant aux affranchis ou libres la citoyenneté, les lois n’y étaient pas exécutées (4). Les tensions étaient déjà fortes et le basculement du 10 août ouvrait à un nouveau régime. Arrivés sur place en septembre 1792, Sonthonax Polverel et Ailhaud appliquèrent un tempo républicain dans la colonie des îles sous le Vent et firent face aux oppositions locales, ainsi qu’à des divisions entre libres noirs et métis avant de trouver cause plus ou moins commune. C’est Toussaint Breda dit Louverture qui permit le ralliement à la République en 1794, alors qu’il était encore officier ou docteur de l’armée du roi d’Espagne quelques mois auparavant.

La population des trois Provinces françaises de Saint-Domingue, désignée par Nord, Sud et de l’Ouest avec les 52 paroisses de l’île était de 600.000 déportés africains, 40.000 affranchis et 40.000 "grands et petits blancs", selon le contre-amiral de Réveillère. L’auteur d’un petit ouvrage sur Polverel et Sonthonax
en 1891 (lire la bibliographie en bas de page), en raison de leurs actes patriotiques, précise-t-il. Un des rares récits ou explications sur le rôle déclencheur de la prise de la Bastille dans la capitale, et de la venue de ces deux girondins en acier trempé à Port-au-Prince. Malgré quelques erreurs et l’approche d’un haut gradé des troupes coloniales, nos deux commissaires civils furent nommés le 3 juin 1792, selon Brissot pour la mise en oeuvre de la loi pour les « libres » à devenir citoyens à part entière suite à ce qui fut signé par le roi en avril, paraphé de la signature de M. Roland, ministre de l’intérieur et du culte démissionné quelques jours après.

Polverel et Sonthonax étaient tous les deux juristes, nous nous attarderons plus sur la personne de Sonthonax, dont les influences lyonnaises, en fit possiblement un « Rolandin ou Brissotin » ou proche d’une des composantes de la Gironde politique. Félicité Sonthonax ou Santhonax, selon les auteurs a surtout subi les foudres d’une proximité avec Brissot, mais qui sur le plan de la correspondance n’aurait laissé qu’un échange entre ces derniers depuis l’île sous gouverne des nouveaux commissaires, plus déterminés que leurs prédécesseurs à défendre les intérêts de leur nation respective. Celle-ci devenue entre-temps républicaine et la violence répressive sur place entraînant toute la population à ses mobiliser pour des intérêts plus que divergents, mais pas toujours opposés sur le maintien de l’esclavage ou la domination des castes.

Le jacobin local n’a pas vraiment entendu ou compris, en quoi les droits de l’homme et du citoyen étaient incompatibles avec le négoce et la mise en chaîne d’autres êtres égaux en droit, si l’on s’en tient à ses aspects fondamentaux. Au titre des compromissions, elles tiennent aux relations avec les puissances en concurrence, l’Espagne et la Grande-Bretagne, et chaque composante venaient tirer ses ficelles, et profitées de cette faiblesse, où les divisions entre castes assignées étaient sous l’entendement des Seigneurs de Saint-Domingue.

Avec un triste sire, le sieur Moreau de Saint-Méry, aristocrate Martiniquais, un des pires théoriciens locaux allant agir depuis la France pour faire triompher ses idées discrimnantes et esclavagistes, et il ne fut pas le seul. Mais au regard et la somme de ses écrits, il y a de quoi  de quoi être dans l’expectative devant tant d’acharnement à découper en rondelle le genre humain. L’ennui dans le présent travail est de pouvoir donner la parole aux sans grades et à cette masse exploitée jusqu’au dernier sang.

S’il existe des témoignages d’anciens esclaves, ils sont plutôt rares et d’auteurs continentaux du nord des Amériques, ou tiennent aux archives procédurières de la justice. Le point le plus marquant est la place de l’illettrisme dans cet ordre monarchique français, et les plus concernés les esclaves des plantations au sein des colonies. Ce qui donne sa particularité à Toussaint Breda est le nom de son maître et en reconnaissance de ce dernier. Avant qu’il ne devienne devant la postérité Toussaint Louverture. Il fut d’abord esclave avant de devenir le Père d’une nation nouvelle, notamment en conquérant sa liberté par les études et des capacités très hors normes, et la chance que lui donna son propriétaire d’échapper aux infamies de ce monde pas si lointain.

Les attaques contre les commissaires civils Poverel et Sonthonax apparaissent ci-dessous en date du mois de septembre 1793, sachant que ne se sont pas les premières attaques à leur encontre, d’autres suspicions avaient été lancées depuis quelques semaines, sauf à souligner le rajout du nom de Brissot, probablement le plus visé par les députés de Saint-Domingue présents à la Convention, et qui faisaient pression. 

Sur la proposition faite par un membre se nommant Julien de Toulouse :

« A la suite de la lecture de la lettre des commissaires de Saint-Domingue, la Convention décrète que cette lettre est renvoyée au comité de Salut public, pour fixer les secours à accorder aux malheureux colons qui, dans l'incendie du Cap, ont été chercher, dans la Nouvelle-Angleterre, un asile chez un peuple hospitalier et bienfaisant. La Convention décrète aussi que le ministre de la marine se concertera avec les commissaires de Saint-Domingue sur les mesures à prendre pour le transport de ces infortunés, soit en France, soit dans les colonies. »
Compte-rendu de l’Auditeur national :
« Les commissaires de Saint-Domingue, qui sont à Paris, écrivent que c'est à tort que l'on cherche à élever des doutes sur les derniers désastres arrivés dans nos colonies à la fin de juin. Ils assurent que Sonthonax et Polverel ont mis le comble à leur trahison, que le Cap ne présente qu'un monceau de cendres et que les blancs ont été égorgés par les barbares africains. Brissot et ses adhérents doivent être regardés comme les principaux auteurs de ces malheureux événements. Sonthonax et Polverel, ses créatures, n'ont rien négligé pour seconder ses projets. Les femmes et les enfants des habitants du Cap se sont réfugiés dans la Nouvelle-Angleterre où ils sont dans le plus grand dénuement; les commissaires demandent que le ministre de la marine avise aux moyens de faire transférer ces femmes et ces enfants, soit en France, soit dans les colonies ». Cette lettre fut renvoyée au comité de Salut public et au ministre de la marine (et des colonies). (5)
Notes générales du texte :

(1) Décret voté le 28 mars et signé le 4 avril 1792
:  Le roi donne son aval au décret donnant aux métis (libres de couleurs) et noirs affranchis des droits politiques et annonce l’envoi de commissaires dans les colonies d’Amérique.

(2) Les différents ouvrages de Thomas Madiou et les périodicités : Tome 1, 1492-1799 ; tome 2, 1799-1803 ; tome 3, 1803-1807 : tome 4, 1807-1811 ; tome 5, 1811-1818 ; tome 6, 1819-1826 ; tome 7, 1827-1843 ; tome 8, 1843-1846


(3) https://criminocorpus.revues.org/147

(4)
Voici le contenu des trois premiers articles, la suite donnant tous pouvoirs ou presque aux commissaires du royaume :
Article 1er. 
« Immédiatement après la publication du présent décret, il sera procédé dans chacune des colonies françaises, des îles du Vent et sous le Vent, à la réélection des assemblées coloniales et des municipalités, dans les formes prescrites par le décret du 8 mars 1790, et l'instruction de l'Assemblée nationale du 28 du même mois. »

Article 2. 
« Les hommes de couleur et nègres libres seront admis à voter dans toutes les assemblées primaires et électorales, et seront éligibles à toutes les places lorsqu'ils réuniront d'ailleurs les conditions prescrites par l'article 4 de l'instruction du 28 mars. » 


Article 3.
 « Il sera nommé des commissaires civils, au nombre de trois pour la colonie de Saint-Domingue, et de quatre pour les îles (« du Vent ») de la Martinique, de la Guadeloupe, de Sainte-Lucie et de Tabago ». (...)

Le décret complet et définitif sera approuvé par l’Assemblée le 28 mars et par le roi le 4 avril et contresigné du ministre de l’intérieur, M. Roland.
Notes des Archives Parlementaires (page 527, tome 73) :
                   
(5) Auditeur national (n°352 du lundi 9 septembre 1793, p.3). D'autre part, les Annales patriotiques et littéraires (n°251 du lundi 9 septembre 1793, p. 1152, col. 2) rendent compte de la lettre des commissaires de Saint-Domingue dans les termes suivants :
« Les commissaires de Saint-Domingue, députés auprès de la Convention, écrivent pour attester les désastres qui ont eu lieu dans les colonies à la fin de juin; ils attribuent tous ces malheurs à Brissot et à Sonthonax et Polverel, ses infâmes créatures. Le Cap ne présente plus qu'un monceau de cendres; presque tous les blancs ont été égorgés par les hommes de couleur. Ces commissaires demandent que la nation tende une main secourable aux victimes infortunées qui ont échappé à la barbarie des nègres africains. »                                                   

III - Annexe des textes de Léger Félicité Sonthonax

Proclamation du 29 août 1793

PROCLAMATION AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE

Nous LÉGER-FÉLICITÉ SONTHONAX, Commissaire Civil de la République, délégué aux Îles Françaises de l'Amérique sous le vent, pour y rétablir l'ordre et la tranquillité publique.

LES HOMMES NAISSENT ET DEMEURENT LIBRES ET ÉGAUX EN DROIT :

Voilà, citoyens, l'évangile de la France ; il est plus que temps qu'il soit proclamé dans tous les départements de la République.

Envoyés par la Nation, en qualité de Commissaires civils à Saint-Domingue, notre mission était d'y faire exécuter la loi du 4 avril (1792), de la faire régner dans toute sa force, et d'y préparer graduellement, sans déchirement et sans secousse, l'affranchissement général des esclaves.

A notre arrivée, nous trouvâmes un schisme épouvantable entre les blancs qui, tous divisés d'intérêt et d'opinion, ne s'accordaient qu'en un seul point, celui de perpétuer à jamais la servitude des nègres, et de proscrire également tout système de liberté et même d'amélioration de leur sort. Pour déjouer les malintentionnés et pour rassurer les esprits, tous prévenus par la crainte d'un mouvement subit, nous déclarâmes que nous pensions que l'esclavage était nécessaire à la culture.

Nous disions vrai, citoyens, l'esclavage était alors essentiel, autant à la continuation des travaux qu'à la conservation des colons. Saint-Domingue était encore au pouvoir d'une horde de tyrans féroces qui prêchaient publiquement que la couleur de la peau devait être le signe de la puissance ou de la réprobation ; les juges du malheureux Ogé, les créatures et les membres de ces infâmes commissions prévôtales qui avaient rempli les villes de gibets et de roues, pour sacrifier à leurs prétentions atroces les africains et les hommes de couleur ; tous ces hommes de sang peuplaient encore la colonie. Si, par la plus grande des imprudences, nous eussions, à cette époque, rompu les liens qui enchaînaient les esclaves à leurs maîtres, sans doute que leur premier mouvement eût été de se jeter sur leurs bourreaux, et dans leur trop juste fureur, ils eussent aisément confondu l'innocent avec le coupable ; nos pouvoirs, d'ailleurs, ne s'étendaient pas jusqu'à pouvoir prononcer sur le sort des Africains, et nous eussions été parjures et criminels si la loi eût été violée par nous.

Aujourd'hui les circonstances sont bien changées ; les négriers et les anthropophages ne sont plus. Les uns ont péri victimes de leur rage impuissante, les autres ont cherché leur salut dans la fuite et l'émigration. Ce qui reste des blancs est ami de la loi et des principes français. La majeure partie de la population est formée des hommes du 4 avril, de ces hommes à qui vous devez votre liberté, qui, les premiers, vous ont donné l'exemple du courage à défendre les droits de la nature et de l'humanité ; de ces hommes qui, fiers de leur indépendance, ont préféré la perte de leurs propriétés à la honte de reprendre leurs anciens fers. N'oubliez jamais, citoyens, que vous tenez d'eux les armes qui vous ont conquis la liberté ; n'oubliez jamais que c'est pour la République Française que vous avez combattu ; que de tous les blancs de l'Univers, les seuls qui soient vos amis, sont les Français d'Europe.

La République Française veut la liberté et l'égalité entre tous les hommes, sans distinction de couleur ; les rois ne se plaisent qu'au milieu des esclaves : ce sont eux qui, sur les côtes d'Afrique vous ont vendus aux blancs ; ce sont les tyrans d'Europe qui voudraient perpétuer cet infâme trafic. La RÉPUBLIQUE vous adopte au nombre de ses enfants ; les rois n'aspirent qu'à vous couvrir de chaînes ou à vous anéantir.

Ce sont les représentants de cette même République qui, pour venir à votre secours, ont délié les mains des Commissaires civils, en leur donnant le pouvoir de changer provisoirement la police et la discipline des ateliers. Cette police et cette discipline vont être changées : un nouvel ordre de choses va renaître, et l'ancienne servitude disparaîtra.

Devenus citoyens par la volonté de la Nation Française, vous devez être aussi les zélés observateurs de ses décrets ; vous défendrez, sans doute, les intérêts de la République contre les rois, moins encore par le sentiment de votre indépendance, que par reconnaissance pour les bienfaits dont elle vous a comblés. La liberté vous fait passer du néant à l'existence, montrez-vous dignes d'elle : abjurez à jamais l'indolence comme le brigandage : ayez le courage de vouloir être un peuple, et bientôt vous égalerez les nations européennes.

Vos calomniateurs et vos tyrans soutiennent que l'Africain devenu libre ne travaillera plus ; démontrez qu'ils ont tort ; redoublez d'émulation à la vue du prix qui vous attend ; prouvez à la France, par votre activité, qu'en vous associant à ses intérêts elle a véritablement accru ses ressources et ses moyens.

Et vous, citoyens égarés par d'infâmes royalistes ; vous qui, sous les drapeaux et les livrées du lâche espagnol, combattez aveuglément contre vos propres intérêts, contre la liberté de vos femmes et de vos enfants, ouvrez donc enfin les yeux sur les avantages immenses que vous offre la République. Les rois vous promettent la liberté : mais voyez-vous qu'ils la donnent à leur sujets? L'espagnol affranchit-il ses esclaves? Non sans doute ; il se promet bien, au contraire, de vous charger de fers sitôt que vos services lui seront inutiles. N'est-ce pas lui qui a livré Ogé à ses assassins ? Malheureux que vous êtes ! si la France reprenait un roi, vous deviendriez bientôt la proie des émigrés ; ils vous caressent aujourd'hui ; ils deviendraient vos premiers bourreaux.

Dans ces circonstances, le commissaire civil délibérant sur la pétition individuelle, signée en assemblée de commune. Exerçant les pouvoirs qui lui ont été délégués par l'art. III du décret rendu par la convention nationale le 5 mars dernier ; A ordonné et ordonne ce qui suit pour être exécuté dans la province du Nord.
Article premier : La déclaration des droits de l'homme et du citoyen sera imprimée, publiée et affichée partout où besoin sera, à la diligence des municipalités, dans les villes et bourgs, et des commandants militaires dans les camps et postes.

Article II : Tous les nègres et sang mêlés, actuellement dans l'esclavage, sont déclarés libres pour jouir de tous les droits attachés à la qualité de citoyens français ; ils seront cependant assujettis à un régime dont les dispositions sont contenues dans les articles suivants.

Article III : Tous les ci-devant esclaves iront se faire inscrire, eux, leurs femmes et leurs enfants à la municipalité du lieu de leur domicile, où ils recevront leur billet de citoyens français signé du commissaire civil.

Article IV : La formule de ces billets sera déterminée par nous ; ils seront imprimés et envoyés aux municipalités, à la diligence de l'ordonnateur civil.

Article V : Les domestiques des deux sexes ne pourront être engagés au service de leurs maîtres ou maîtresses que pour trois mois, et ce, moyennant le salaire qui sera fixé entre eux de gré à gré.

Article VI : Les ci-devant esclaves domestiques, attachés aux vieillards au-dessus de soixante ans, aux infirmes, aux nourrissons et aux enfants au-dessous de dix ans, ne seront point libres de les quitter. Leur salaire demeure fixé à une portugaise par mois (note : une ancienne monnaie équivalent à 8 gourdes, la monnaie nationale haïtienne) pour les nourrices, et six portugaises par an pour les autres, sans distinction de sexe.

Article VII : Les salaires des domestiques feront exigibles tous les trois mois.

Article VIII : Ceux des ouvriers, dans quelque genre que ce soit, seront fixés de gré à gré avec les entrepreneurs qui les emploieront.

Article IX : Les nègres actuellement attachés aux habitations de leurs anciens maîtres, seront tenus d'y rester ; ils seront employés à la culture de la terre.

Article X : Les guerriers enrôlés, qui servent dans les camps ou dans les garnisons pourront se fixer sur les habitations en s'adonnant à la culture, et obtenant préalablement un congé de leur chef ou un ordre de nous, qui ne pourront leur être délivré qu'en se faisant remplacer par un homme de bonne volonté.

Article XI : Les ci-devant esclaves cultivateurs seront engagés pour un an, pendant lequel temps ils ne pourront changer d'habitation que sur une permission des juges de paix, dont il sera parlé ci-après, et dans les cas qui seront par nous déterminés.

Article XII : Les revenus de chaque habitation seront partagés en trois portions égales, déduction faite des impositions, lesquelles sont prélevées sur la totalité. Un tiers demeure à la propriété de la terre et appartiendra au propriétaire. Il aura la jouissance de l'autre tiers pour les frais de faisance-valoir (note : action de faire valoir); le tiers restant sera partagé entre les cultivateurs de la manière qui va être fixée.

Article XIII : Dans les frais de faisance-valoir sont compris tous les frais quelconques d'exploitation, les outils, les animaux nécessaires à la culture et au transport des denrées, la construction et l'entretien des bâtiments, les frais de l'hôpital, des chirurgiens et gérants.

Article XIV : Dans le tiers du revenu appartenant aux cultivateurs, les commandeurs, qui seront désormais appelés conducteurs de travaux, auront trois parts.

Article XV : Les sous-conducteurs recevront deux parts, de même que ceux qui seront employés à la fabrication du sucre et de l'indigo.

Article XVI : Les autres cultivateurs, à quinze ans et au-dessus, auront chacun une part.

Article XVII : Les femmes à quinze ans et au-dessus auront deux tiers de part.

Article XVIII : Depuis dix ans jusqu'à quinze, les enfants des deux sexes auront demi-part.

Article XIX : Les cultivateurs auront en outre leurs places à vivres ; elles seront réparties équitablement entre chaque famille, eu égard à la qualité de la terre et à la quantité qu'il convient d'accorder.

Article XX : Les mères de familles qui auront un ou plusieurs enfants au-dessous de dix ans, recevront part entière. Jusqu'au dit âge les enfants resteront à la charge de leurs parents pour la nourriture et l'habillement.

Article XXI : Depuis l'âge de dix ans à celui de quinze, les enfants ne pourront être employés qu'à la garde des animaux ou à ramasser et trier du café et du coton.

Article XXII : Les vieillards et les infirmes seront nourris par leurs parents. Les vêtements et les médicaments seront à la charge du propriétaire.

Article XXIII : Les denrées seront partagées à chaque livraison entre le propriétaire et le cultivateur, en nature ou en argent au prix du cours, au choix du propriétaire : en cas de partage en nature, celui-ci sera tenu de faire conduire à l'embarcadère le plus voisin la portion des cultivateurs.

Article XXIV : Il sera établi dans chaque commune un juge de paix et deux assesseurs, dont les fonctions seront de prononcer sur les différents entre les propriétaires et les cultivateurs, et de ces derniers entre eux, relativement à la division de leurs portions dans le revenu: ils veilleront à ce que les cultivateurs soient bien soignés dans leurs maladies, à ce que tous travaillent également; et ils maintiendront l'ordre dans les ateliers.

Article XXV : Les propriétaires, fermiers ou gérants seront tenus d'avoir un registre paraphé par la municipalité du lieu, sur lequel sera inscrit la quantité de chaque livraison de denrées, et de régler la répartition du tiers revenant aux cultivateurs ; cette répartition sera vérifiée par l'inspecteur de la paroisse et arrêtée par lui définitivement. Le juge de paix sera tenu d'avoir un double du registre tenu par chaque gérant ou propriétaire et de le représenter à l'inspecteur général toutes les fois qu'il en sera requis : il en sera de même des propriétaires et gérants à l'égard des juges de paix et de l'inspecteur général.

Article XXVI : L'inspecteur général de la province du Nord sera chargé d'inspecter toutes les habitations, de prendre auprès des juges de paix tous les renseignements possibles sur la police et la discipline des ateliers et de nous en rendre compte ainsi qu'au gouverneur général et à l'ordonnateur civil. Il sera en tournée au moins vingt jours du mois.

Article XXVII : La correction du fouet est absolument supprimée ; elle sera remplacée, pour les fautes contre la discipline, par la barre pour un, deux ou trois jours, suivant l'exigence des cas. La plus forte peine sera la perte d'une partie ou de la totalité des salaires ; elle sera prononcée par le juge de paix et ses assesseurs ; la portion de celui ou de ceux qui en seront privés accroîtra au profit de l'atelier.

Article XXVIII : A l'égard des délits civils, les ci-devant esclaves seront jugés comme les autres citoyens français.

Article XXIX : Les cultivateurs ne pourront être contraints de travailler le dimanche : il leur sera laissé deux heures par jour pour la culture de leur place. Les juges de paix régleront, suivant les circonstances, l'heure à laquelle les travaux devront commencer et finir.

Article XXX : Il sera libre au propriétaire ou gérant d'avoir tel nombre que bon lui semblera de conducteurs ou sous-conducteurs de travaux ; ils seront choisis par lui et pourront être destitués également par lui, à la charge d'en rendre compte au juge de paix qui, assisté de ses assesseurs, prononcera sur la validité de la destitution. Les conducteurs et sous-conducteurs pourront aussi être destitués par le juge de paix assisté de ses assesseurs, sur les plaintes portées contre eux par les cultivateurs.

Article XXXI : Les femmes enceintes de sept mois ne travailleront point au jardin, et n'y retourneront que deux mois après leurs couches ; elles n'en jouiront pas moins, pendant ce temps, des deux tiers de part qui leur sont alloués.

Article XXXII : Les cultivateurs pourront changer d'habitation pour raison de sûreté ou d'incompatibilité de caractère reconnue, ou sur la demande de l'atelier où ils sont employés. Le tout sera soumis à la décision du juge de paix, assisté de ses assesseurs.

Article XXXIII : Dans la quinzaine du jour de la promulgation de la présente proclamation, tous les hommes qui n'ont pas de propriétés, et qui ne seront ni enrôlés, ni attachés à la culture, ni employés au service domestique et qui seraient trouvés errants, seront arrêtés et mis en prison.

Article XXXIV : Les femmes qui n'auront pas de moyens d'existence connus, qui ne seront pas attachées à la culture ou employées au service domestique, dans le délai ci-dessus fixé, ou qui feraient trouvées errantes seront également arrêtées et mises en prison.

Article XXXV : Les hommes et femmes mis en prison dans les cas énoncés aux deux articles précédents, seront détenus pendant un mois, pour la première fois ; pendant trois mois, pour la seconde ; et la troisième fois, condamnés aux travaux publics pendant un an.

Article XXXVI : Les personnes attachées à la culture, et les domestiques ne pourront, sous aucun prétexte, quitter, sans une permission de la municipalité, la commune où ils résident ; ceux qui contreviendront à cette disposition seront punis de la manière déterminée dans l'article 27.

Article XXXVII : Le juge de paix sera tenu de visiter, toutes les semaines, les habitations de sa dépendance. Le procès-verbal de visite sera envoyé à l'inspecteur général, qui en fera passer des expéditions aux Commissaires Civils, au Gouverneur Général et à l'Ordonnateur Civil.

Article XXXVIII : Les dispositions du Code Noir demeurent provisoirement abrogées
La présente proclamation sera imprimée et affichée partout où besoin sera. Elle sera proclamée dans les carrefours et places publiques des villes et bourgs de la province du Nord, par les officiers municipaux en écharpe, précédés du bonnet de la Liberté, porté au haut d'une pique. Ordonnons à la commission intermédiaire, aux corps administratifs et judiciaires de la faire transcrire dans leurs registres, publier et afficher. Ordonnons à tout commandant militaire de prêter main-forte pour son exécution.

Requérons le Gouverneur Général par intérim de tenir la main à l'exécution.

Au Cap, le 29 août 1793, l'an deux de la République Française, LF-SONTHONAX.

Par le Commissaire civil de la République, GAULT,
Secrétaire adjoint de la Commission Civile.

Au CAP-FRANÇAIS, de l'Imprimerie de P. Gatineau, au Carénage,
près de la Commission Intermédiaire.



Léger Félicité Sonthonax
au Représentant du Peuple PELET (de la Lozère), Membre du Comité de Salut Public

Paris, le 20 pluviôse, an troisième républicain (8 février 1795)

Dans la séance du 16 pluviôse, tu accuses les commissaires civils d'être les incendiaires des colonies, tu ne fais aucune exception, «et ces commissaires, dis-tu, ont été remplacés par d’autres et tout cela n’a abouti qu’à faire brûler les colonies ». (Extrait du Moniteur, séance du même jour)

J'étais commissaire civil, je suis signalé par les colons comme l’un des auteurs dès mouvements séditieux qui ont agité la colonie de Saint-Domingue, et c'est au moment où je suis calomnié, c'est quand je suis aux prises avec mes ennemis que la vérité terrible va pénétrer leur retraite profonde, c'est alors qu'un membre du gouvernement que Pelet insinue des préjugés à mes juges, et égare l'opinion publique. La rectitude de tes intentions générales ne me permet pas d'accuser ton coeur en ce moment; non, tu n'as point voulu colporter la calomnie, tu n'es pas vendu aux colonies ni ancien propriétaire d'hommes, je ne puis voir dans ta cruelle inculpation que l'imprudence d'un rapporteur inéclairé, qui trop attaché a ses idées, fait arme de tout.

Si Gouly, Creuzé-Pascal et Defrauce dont je méprise le triumvirat, se fussent permis cette calomnie, rassuré sur la justice de tes collègues, je n'aurais pas même rappelle que le décret du seize pluviôse les ex-possède, et j'aurais dédaigna les cris de l'intérêt où l'effet de l'industrie qui les dédommage peut-être de leurs pertes. Quand un individu affiche les livrées d'un parti, que ce parti est celui des buveurs de sang, des bourreaux des noirs, tu sens combien il est honorable d'être l'objet du ressentiment d'un être aussi vil.

Ignores-tu que les flammes avaient dévoré les plantations de Saint-Domingue, 13 mois avant l'arrivée des commissaires civils, dans cette île, le 24 août et les jours suivants et que l'incendié de la malheureuse commune du Cap, est l’unique expédition militaire de Galbaud, qu'après cette horrible manoeuvre ce lâche gouverneur fuyant comme un traître, fit voile vers les États-Unis, d'où il se rendit en Canada près du prince Edouard qu'il chargea de venger la honte de l’élève, de l’ami, et du protégé de Dumouriez? (note de l’auteur : Galbaud servait en qualité de maréchal de camp dans l’armée de Dumouriez, son patron et son ami)

Ignores-tu qu'un autre général de Saint-Domingue nommé Lasalle, chef de la conspiration des poudres en 1789, démis pour ses bévues, homme sans moyen, sans conduite et crapuleux, devenu aide de camp de Lafayette, après avoir été général, puis général envoyé dans la colonie a fini par aller demander du service au commodore Ford que les colons blancs avaient appelle au môle, et qui n’a pas daigné l'enrôler? Il ne semble que les agents militaires dont tu ne parles point ont joué un rôle assez marquant pour attirer l'attention d'un rapporteur qui n'écoutant que la voix du devoir, veut plutôt éclairer les esprits que défendre son opinion.

Si tu ignorais toutes ces choses avais-tu donc oublié le préambule du décret du 8 novembre 1792; dans lequel la convention, en rappelant tous les commissaires civils dont le civisme lui était suspect, fait une honorable exception en faveur des commissaires Polverel et Sonthonax « dont le patriotisme est reconnu ».

Me reprocherais-tu d'avoir soustrait la colonie de Saint-Domingue à l'invasion des anglais, en proclamant la liberté générale? Vois avec quel empressement ils se sont portés contre celles où les colons n'avaient point à se plaindre de cette mesure de justice, de sûreté générale et de conservation.

Voilà un acte que Page ou Bruley appellent un crime qu'ils ne me pardonneront jamais; mais toi Pelet, tu n'as point le vocabulaire de ces buveurs do sang africain, tu n'es point l'ami de ces audacieux qui conspirant avec impunité contre la liberté du peuple des colonies; ils te désignent cependant partout comme leur ami, comme un sage qui partage leur délire contre la liberté; que dis-je leur ami, les scélérats ne peuvent avoir que des complices, et tu ne peux pas être le leur.

Tu ne t'associeras point à ces hommes de boue qui n'attaquent que des cadavres ou des victimes. Se lier avec eux, c’est mendier l'infamie, c'est briguer le déshonneur. Ils s'agitent en tous sens; chaque jour on voit, paraître un nouveau libelle, enfin ils sont infatigables dans leurs convulsions liberticides. Ces hommes, tu le sais, s'accolent à toutes les factions régnantes, mais sans amis comme sans patrie, ils donnent toujours le dernier coup de pied à la faction qui expire.

Tu ne veux sans doute rien préjuger dans l'affaire des colonies, tu connais trop bien tes devoirs. Rassuré sur ta moralité mais payé pour craindre les effets de ta légèreté à porter un jugement, je t'invite à ne point oublier quand tu parleras de nos possessions d'outremer qu'il faut ou dire toute la vérité, dut elle contrarier tes systèmes, ou t'imposer un silence que le soin de ta réputation te prescrit.

Je ne te demande que justice, je l'attends de toi, et quoique je n'aille pas, comme les colons, faire antichambre à ton bureau, je me tiens assuré de l’obtenir.

Sonthonax
Source : Gallica-Bnf (Identifiant : ark:/12148/bpt6k5460759n)
De l'Imprimerie de PAIN, Passage Honoré.



 
Sonthonax représentant du peuple
à ses collègues du corps législatif

Paris, le 22 prairial. (10 juin 1795)

Réponse au pamphlet : "Le Cri de douleur des colons,
ou Leurs doléances au Corps législatif et au Directoire"

On a fait distribuer hier au corps législatif un pamphlet ayant pour titre «le cri de douleur des Colons, ou leurs doléances au corps législatif et au directoire exécutif», dans lequel un anonyme se livre contre moi à des personnalités d'autant plus étranges, que j'ai soutenu à là tribune du corps législatif, et dans ma correspondance avec le gouvernement, la cause sacrée du malheur, dont il a pris si maladroitement la défense dans sa brochure.

Est-il donc dans ma destinée de ne rencontrer la diffamation que là où j'employé avec le plus d'ardeur les faibles moyens que je tiens de la nature, à secourir les infortunes? Si dans ma carrière politique j'avais compté sur la reconnaissance des hommes, aucun être n'eût été plus déçu dans ses espérances; mais c'est une autre récompense que j'ambitionnais, et il n'est pas au pouvoir de mes ennemis de me la ravir.

J'ai blessé les colons, je le sais, j'ai brisé dans leurs mains le fouet sanglant de l'esclavage, et bien, loin de m'en repentir, ainsi que le suppose insolemment l'auteur de la brochure, je m'honore et je m’honorerai à jamais d'avoir osé le premier à proclamer les droits de l'homme dans le nouveau monde.

Agent d'un gouvernement qui déclara la guerre, aux oppresseurs, j'ai dû défendre les opprimés ; mon cœur et mes devoirs m'en imposaient la loi. Que d'autres se repentent s'ils le peuvent, un semblable, sentiment n'est pas fait pour moi, il ne convient, qu'à ceux dont les préjugés ont égaré la raison.

Dans les combats à outrance qu’ils m'ont livré, je suis resté vainqueur à la vérité, mais l'humanité m'ordonnait de guérir les blessures et d'essuyer les larmes des vaincus. Je l'ai fait, et je ne m'en repentirai pas plus que d'avoir proclamé la liberté des noirs.

Quoi qu'il en soit, inébranlable dans mon système de conduite, je persiste dans l'opinion que j'ai développé à la tribune des 500 (Conseil des Cinq-Cents de 1795-1799), le 12 germinal dernier sur le sort des colons restés fidèles à la république.

Quand l’intérêt de l'humanité commande des révolutions, quand des milliers d'opprimés les réclament impérieusement, il n'y a pas à balancer ; mais au milieu des tempêtes et des bouleversements, il doit exister une sagesse conservatrice qui impose un frein aux passions basses, qui les maîtrise, qui les enchaîne et qui ne laisse un libre essor qu'aux passions. grandes, sublimes et généreuses.

Dès que ce but est atteint, le même sentiment qui faisait un devoir au philanthrope de renverser un système oppressif, parce que des malheureux, souffraient , lui ordonne de venir au secours de ceux, que les orages ont froissés, de faire oublier par des bienfaits, par des actes de justice les calamités passagères qu'il n’a pu empêcher.
          Signé, SONTHONAX
Source : Gallica-Bnf (Identifiant :  ark:/12148/bpt6k5805610x) 


 
Léger Félicité Sonthonax, Représentant du peuple,
à ses collègues membres de deux conseils

Paris, le 1er Thermidor, An VI de la république (19 juillet 1798)

Citoyens, Collègues,


J’étais occupé à tracer avec l'impartialité qui convient à l'histoire et à mon caractère les principaux événements de Saint-Domingue. Plus à portée que qui que ce soit de remonter des faits à leurs causes, de les lier entre elles, et d'offrir à mes concitoyens un ensemble, que les passions se sont empressées de détruire; je me livrais à ce pénible travail, lorsqu'une nouvelle réaction coloniale vient reproduire au sein des deux conseils ce tas d'absurdes calomnies oubliées depuis la déportation de Vaublanc, et dont ma solennelle admission au corps législatif m'avait complètement vengé.

La fin de la dernière session et le commencement de celle-ci ont été marqués par la distribution des libelles les plus dégoûtants contre la députation de Saint-Domingue. En attendant que mon compte-rendu paraisse imprimé avec les pièces justificatives qui, toutes ensemble, formeront, je l'espère, l'acte d'accusation de mes calomniateurs, j'ai cru devoir donner, à mes collègues, sur la dernière diatribe qui leur a été distribuée, quelques explications sur les choses et sur les hommes. Cette pièce est signée Bonnet, quoique ce Bonnet, ci-devant domestique d'un négociant de Léogane, soit très incapable de faire des brochures, même mauvaises.

Son rédacteur m'accuse :

 1°. D'avoir lancé un Décret, en partant de Saint-Domingue pour la première fois, par lequel je conseillais aux Africains d'égorger tous les anciens libres ;

2°. D'avoir fait à la même époque, un noir, commissaire civil à ma place ;

5°. D'avoir concerté avec le général en chef Laveaux, aujourd'hui membre du conseil des anciens, la déportation générale de tous les hommes de couleur depuis l'âge de dix ans et au-dessus.

4°. D'avoir fait distribuer aux noirs révoltés, sous les bannières anglaises, des fusils et de la poudre;

5°. D'avoir fait nommer Rey, délégué de la commission dans le sud de la colonie en l'an 4, après l'avoir déporté comme ennemi du bien public en juillet 1793 (V. S.)

6°. D'avoir fait armer des corsaires contre le commerce des Etats-unis d'Amérique ;

7°. Enfin, d'avoir accordé l'amnistie aux traîtres qui avaient livré le territoire français aux ennemis de la république.

Sur toutes ces imputations, je pourrais me contenter de la négative, car aucune n'est prouvée, et plusieurs sont de la dernière invraisemblance.

Et d'abord, si en partant de Saint-Domingue à la suite de ma première mission, j’ai décrété (pour me servir des expressions de Bonnet) la mort des anciens libres, j'ai dû le faire verbalement ou par écrit ; si c'est verbalement, où sont les dépositions? si j'ai consigné par écrit cet horrible arrêt, il est facile à mes ennemis de se le procurer. Où est-il? qu'il paraisse? je défie solennellement tous mes calomniateurs de fournir sur le fait la plus légère  probabilité. . . .

Diront-ils que j'ai chargé de son exécution le Noir qu'ils m'accusent d'avoir nommé Commissaire civil à ma place; mais le rédacteur, du libelle ne donne d'autre preuve de ce fait que son assertion et cette manière de constater un fait aussi grave ne saurait être d'aucun poids. Dans mes deux missions à Saint-Domingue, j'ai nommé plusieurs délégués, la loi et mes instructions m'y autorisaient; toujours cette sorte d'investiture s’est faite par écrit. Où est donc le brevet de Pierre Dieudonné? Dans quel corps administratif, dans quel tribunal a-t-il, été enregistré? Répondez, misérables, ou soumettez-vous d'avance à la peine réservée aux calomniateurs.

Vous ajoutez que j'ai concerté avec le général Laveaux la déportation générale des hommes de couleur. Vous m'accusiez, il n'y a qu'un instant, d'avoir ordonné le massacre de cette caste; optez entre ces deux accusations? et prouvez l'une ou l’autre.

Bien loin que Laveaux m'ait présenté un pareil projet; bien loin qu'il ait persécuté les hommes de couleur, c'est qu'il n'y a pas un officier de cette caste dont les brevets ne soient signés de lui ou de moi; et si après le 30 Ventôse, il n'eût pas arrêté l'effervescence des noirs, ses libérateurs, il n'existerait pas aujourd'hui un seul de ses assassins.

J'ai fait distribuer, dites-vous, des armes aux noirs révoltés sous la bannière anglaise. Où sont vos preuves sur une accusation aussi atroce? Demandez au général Desfournaux si ce n'est pas par mes ordres qu'il a marché contre eux, qu'il les a vaincus; et c'est nous que vous accusez d'avoir alimenté la guerre!

Relativement, au citoyen Rey, quand il serait vrai que je l'eusse déporté en 1795? (v.s.), et ensuite nommé délégué du gouvernement en l'an 4, il n'y aurait rien de criminel dans ma conduite; les gens en place ne sont pas infaillibles, et chaque jour le directoire lui-même revient sur des arrêtés de rigueur, rendus sur de faux exposés. Je vais plus loin cependant, j'assure que la prétendue, déportation de Rey est un faux matériel; elle est datée du 15 juillet, et à cette époque cet adjudant général était depuis plus d'un mois prisonnier des anglais à la Jamaïque. Jugez par là, citoyens collègues, de la bonne foi des continuateurs de Vaublanc.

J'avoue et je m'honore d'avoir encouragé la course à Saint-Domingue, en ordonnant aux corsaires de traiter les américains (étasuniens), comme ils se laissaient traiter par les anglais; je n'ai fait en cela que suivre les ordres et les intentions du directoire, il n'appartient qu'à des anglo-colons de blâmer ma conduite à cet égard.

Quant à l'accusation d'avoir accordé l'amnistie aux traîtres qui ont livré le territoire français à l'ennemi, je ne répondrai que par 1e dispositif de ma proclamation du 19 Messidor an 4 (19 juin 1796), dont le texte est directement contraire à l'assertion de Bonnet.

« Sont exceptés de l'amnistie, y est-il dit, ceux qui ont signé les capitulations à l'aide desquelles on a livré le territoire français aux agents du gouvernement britannique; ceux qui ont accepté de ce gouvernement des emplois civils et militaires ».

Admirez maintenant, citoyens collègues, l'impudence de mes calomniateurs, et voyez quelle foi méritent leurs allégations. Certes! elles sont si sottement méprisables, que je me garderai bien de les relever toutes; il me suffit de vous indiquer les plus grossièrement fausses. Venons maintenant au personnel des chefs de cette horde de brigands; je ne veux vous les faire connaître que par leurs propres oeuvres.

Pierre Pinchinat est celui qui parmi eux figure en première ligne; cet homme a fait tous les rôles à Saint-Domingue, il a successivement servi la contre-révolution, la république, et ensuite l'indépendance. C'est lui qui, président du conseil d'union, de Saint-Marc, ordonnait ces affreuses boucheries d'hommes dans la plaine de l'Artibonite, où tant de malheureux Européens ont succombé sous le fer assassin dès gens de couleur égarés. «Frappez», écrivait-il aux ministres de ses atroces vengeances; «plongez vos bras ensanglantés dans le sein de ces monstres d'Europe, vengeons Dieu et la nature outragés dans ces climats d'horreur ! ».

 C'est ainsi, citoyens collègues (1), qu'on a vu en France les chefs de la Vendée commander le meurtre et l'assassinat au nom de la divinité. Cet homme vous a été signalé par le directoire exécutif, dans son message du 5 floréal an 5 (24 avril 1797), qui l'excepte nommément de l'amnistie qu'il sollicite du législateur, en faveur des hommes de couleur du Sud.

Il en est de même de Rigaud, l'affreux auteur des massacres commis aux Cayes, le 14 fructidor dernier (31 août 1797). Dans mon discours du 16 pluviôse (4 février 1798), j'ai démontré sa culpabilité, et si l'on avait besoin de nouveaux renseignements à ajouter à ceux que j'ai déjà fournis au gouvernement, mon compte-rendu ne laissera rien à désirer à cet égard. Un autre individu dont mes calomniateurs parlent avec le plus grand éloge, c'est Villatte, commandant du Cap sous les ordres du général Laveaux, que l'habitude du pouvoir avait rendu si cruel et si sanguinaire, qu'il poignardait de sa main quiconque s'avisait de le contredire.

Voici la preuve de ce fait dans le rapport officiel du Délégué de la commission du gouvernement au Cap, lequel peut d'autant moins être suspecté, qu'il est homme de couleur comme Villatte, et son ami particulier. « Villatte », écrivait le citoyen Péré, « ayant à se plaindre de Riquet, chef du premier bataillon du 1er régiment, se transporta chez lui, et le tua; de-là il alla chez, Vaux, capitaine au même régiment, et l'assassina; ce dernier n'en est pas mort. Il m'a été impossible de faire contre Villatte ce que mon devoir me prescrivait. J'ai craint que l’exécution de la loi ne produisit une secousse violente qui eût infailliblement causé notre ruine ». (2)

Ainsi le Délégué de la commission était forcé de faire plier la loi aux circonstances; ainsi, sous les yeux du gouverneur général de la Colonie, se commettaient les plus grands crimes, et lorsqu'il a voulu user de son autorité pour en arrêter le cours, il a été saisi par le même Villatte, meurtri de coups et plongé dans un cachot. Voilà pourtant les hommes qu'on nous oppose aujourd'hui, et à l'aide desquels on essaye de tenir l'opinion publique flottante et incertaine entre eux et nous.

Rappelez-vous, Citoyens Collègues, qu'à mon arrivée de Saint-Domingue, la calomnie me poursuivait avec un acharnement sans exemple. Je parus au conseil des Cinq-Cents, et j'y fis en peu de mots le tableau de ma mission. On peut se rappeler que, loin de profiter de l'avantage que me donnait la dispersion de mes ennemis, je ne parlai que de pardon jour ceux même qui semblaient ne devoir jamais espérer. Soit que les hommes qui me poursuivaient fussent vaincus par tant de générosité, soit qu'ils redoutassent les impressions favorables que j'avais données, ils gardèrent un profond silence. J'allais les oublier, et j'espérais enfin obtenir la paix que je cherche depuis si longtemps, non par un sentiment de crainte, mais par celui de la fatigue, par le dégoût que j'éprouvai en luttant contre des scélérats qui se font un jeu du parjure et qui vivent de la calomnie.

Mais, puisque leur fureur se ranime; puisqu'ils s'enhardissent de la modération de mes principes , je ne prends plus désormais conseil que de ma juste indignation contre eux; il faut que je périsse, ou que mes ennemis soient confondus. Je les somme de libeller constitutionnellement leurs accusations; je les défie solennellement à un combat qui terminera enfin la longue querelle que m'ont suscitée mes devoirs et ma fidélité, comme agent du gouvernement, avec des hommes soldés par l'Angleterre? ou par les partisans d'une domination tyrannique dans les Colonies.
          Sonthonax
P.S. Il est plus que plaisant d'entendre Bonnet et Pinchinat se plaindre de leur prétendue captivité en Angleterre ; ils y étaient parfaitement libres et choyés par les agents de Pitt. Ils  y étaient envoyés par Rigaud, pour traiter de la reddition de la partie du Sud de Saint-Domingue, c'est sur un bâtiment parlementaire destiné pour les ports d'Angleterre qu'ils sont partis des Cayes. Je les défie de nier ces faits. C'est de ce parlementaire que ces négociateurs ont passé à bord de la frégate la Magicienne qui les conduisit d'abord au môle de Saint-Nicolas, et de-là à Londres.
Notes de l’auteur :

(1) Il a été question de cette Lettre dans le septième volume des  débats, je la trouvai si atroce, que j'en contestai l'existence; mais l'ex-représentant Garan-Coulon, dans son rapport, en a constaté l'authenticité.

(2) Je m'engage à représenter à ceux de mes collègues qui le désireront, la pièce originale ainsi que le procès-verbal dressé à ce sujet par le procureur de la commune du Cap.

Source : Gallica-Bnf  (Identifiant : ark:/12148/bpt6k5812703g)
De l'Imprimerie du Journal de l'Ami des Lois - Place Vendôme, n°1.

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Les mémoires de Brissot,
 E. Polverel et L-F Sonthonax




Claude Perroud (1912)

« Maintenant, quels sont les hommes qui me dénoncent aujourd'hui, comme ayant causé les malheurs de Saint-Domingue ? Les amis, les frères de ces Malouet et de Cust, qui, au commencement de la Révolution, faisaient à genoux hommage des colonies au roi, au roi seul; qui, aujourd'hui, en font hommage à l'Angleterre ; des membres de cette assemblée de Saint-Marc, qui avaient affiché l'indépendance, et qui ont été cassés par l'Assemblée constituante ; des députés de la dernière assemblée coloniale qui envoyait des ambassadeurs à l'Angleterre, qui a été sans cesse en révolte contre la France, qui avant sa destitution rendait encore un décret sur l'esclavage et disputait de suprématie avec la Convention. Voilà les hommes qui me dénoncent ! Ils gémissent de leur liberté, et je suis dans les fers ! Moi le défenseur de la liberté, de l'égalité, des intérêts de la France ! Ils sont libres, eux, les amis, les partisans des colons rebelles, les défenseurs de l'aristocratie et de l'indépendance, et les alliés des Anglais !

Voilà les hommes qui accusent aujourd'hui Santhonax (1) et Polverel, commissaires à Saint-Domingue, qui me font un crime de l'estime que j'ai témoignée pour eux lorsqu'on les a revêtus de cette mission ! Qu'ils accusent donc aussi tous les Jacobins qui les félicitèrent, lorsque après leur nomination ils parurent à leur tribune. Qu'ils fassent donc l'apologie du ci-devant roi, qui montra la plus grande répugnance à ces hommes, qui les eût rejetés sans la crainte que lui inspiraient les Jacobins ! Qu'ils fassent l'apologie de ces colons qui employèrent alors mille intrigues pour les faire rejeter par cela seul qu'ils étaient trop ardents patriotes! Car le crime qu'on reprochait à Santhonax était d'avoir fourni des articles énergiques au journal de Prud'homme (2), d'y avoir poursuivi la Cour et les aristocrates ; voilà le véritable motif qui a rendu, qui rend Santhonax si odieux aux colons blancs : ils calomnièrent d'avance les commissaires dans les colonies, pour entraver leur mission.

Ils les calomnient aujourd'hui en France, parce qu'éloignés à deux mille lieues, ils ne peuvent se justifier ; trop loin du lieu de la scène, je ne déciderai point entre Santhonax, Polverel et leurs adversaires. La Convention les a frappés d'un décret d'accusation ; je respecte ce décret, mais je conjure les patriotes de se mettre en garde contre l'adresse perfide des colons aristocrates, qui savent se replier de mille manières et prendre tous les masques pour égarer les sans-culottes. Quel est leur but en persécutant les défenseurs des hommes de couleur?

D'alarmer ces derniers sur leurs droits, sur les intentions de la Convention, de les détacher par là de la République, et de les rallier à leurs projets d'indépendance ; voilà le but secret de la persécution excitée contre Santhonax et Polverel. Je conjure donc les patriotes, dans l'intérêt de la République, de suspendre leur jugement jusqu'à ce que leurs frères, les accusés, soient entendus. Ah ! s'ils ont constamment suivi la ligne qu'ils s'étaient prescrite dans leurs premiers actes, lorsqu'ils déportaient et les contre-révolutionnaires et les indépendants, ils sont loin d'être coupables. Mais s'ils ont violé leurs devoirs, usé de despotisme, trahi leur patrie, qu'ils soient punis, la justice et l'intérêt public l'exigent.

Quant à moi, je le répète, placé à deux mille lieues de ces commissaires, n'ayant jamais eu de correspondance avec eux (3), ignorant même officiellement leurs actes depuis le mois de mars que j'ai renoncé à tout comité, je ne puis ni prononcer sur eux, ni être accusé avec eux ; et quant à mes opinions, il est, je crois, évidemment démontré qu'elles ne peuvent être la base d'une accusation, ou il faut accuser les trois Assemblées nationales et la Révolution entière.

A entendre mes accusateurs, il semblerait que je disposais seul de la France, que je dirigeais à moi seul tous les comités et les deux Assemblées nationales, que je réglais les destinées des Deux Mondes. Peut-on hasarder de pareilles assertions sans accuser de stupidité le Corps législatif et tous les patriotes?

Quelle magie ne faut-il pas supposer dans un homme, pour lui prêter le secret d'en imposer pendant dix-huit mois à tant d'hommes éclairés qui remplissaient ces deux Assemblées, à tant de patriotes qui nous surveillaient au dehors. La magie est ici dans le bon sens des républicains, guidés par leur amour pour la liberté ; ils adoptaient toutes les propositions qui rentraient dans ce principe : ainsi ils voulurent combattre l'empereur, parce que des hommes libres ne peuvent se laisser impunément insulter, menacer, attaquer par un despote ; ils déclaraient les droits des citoyens de couleur, parce qu'ils ne pouvaient, sans inconséquence, sans renverser leur propre ouvrage reconnaître la distinction de la couleur. (...)

Notes de Claude Perroud (1839-1919) :


(1) Sonthonax (1763-1813), commissaire à Saint-Domingue avec Polverel (3 juin 1792), décrété d'accusation le 15 juillet 1793 comme agent des Girondins, plus tard député aux Cinq-Cents, etc. Polverel avait été un des membres les plus actifs de la Société des Jacobins en 1790 et 1791 (Y. Aulard, Jacobins, passim). Il partagea le rôle et le sort de Sonthonax.
(2) Les Révolutions de Paris.
(3) On trouvera cependant, à la Correspondance, une lettre écrite par Sonthonax à Brissot, de Saint-Domingue, le 4 janvier 1793.

Source : Gallica-Bnf, (Identifiant : ark:/12148/bpt6k6332233f)
Mémoires de 
Jean Pierre Brissot (1754-1793) - pages 300 à 302
Tome 2 - avec étude critique et notes de Claude Perroud, édité en 1912



Bibliographie complémentaire sur
Félicité Sonthonax et Etienne Polverel



Gravure du Môle St-Nicolas à Saint-Domingue en 1780

- La Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 84, n°316, 3e trimestre 1997.  Spécial Sonthonax. A lire sur le site Persée.fr avec tous les articles de la revue.

Liste des auteurs et articles sélectionnés : Barcellini, Serge - Bart, Jean - Barthélémy, Gérard, Bénot - Yves Bléchet, Françoise - de Cauna, Jacques - Desné, Roland - Dorigny, Marcel (Sonthonax et la première abolition) - Gainot, Bernard - Laurent, Gérard - Stein, Robert-Louis (seconde mission de Sonthonax) - Thibau, Jacques  - Trénard, Louis (Oyonnax au temps de Sonthonax) - Vovelle, Michel (conclusion du colloque)
 
    Deux ouvrages d'Etienne Polverel à consulter sur le site Gallica-Bnf :

- Tableau de la constitution du royaume de Navarre, et de ses rapports avec la France; imprimé par ordre des États-généraux de Navarre, avec un Discours préliminaire & des notes, par M. de Polverel - 1789

Opinion de M. de Polverel, membre de la Société des amis de la Constitution, sur le mode de responsabilité des agens du pouvoir exécutif - 1790.


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