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Colonisation et esclavagisme des Amérindiens
1 - Bartolomeo Las Casas & Henri Grégoire, historien des Indes occidentales - et audio sur l'abbé Grégoire (rajouté le 15-11-2017)

2 - Premier mémoire de Las Casas (1542)

3 - Apologie de Barthélemy de Las Casas, par Henri Grégoire (texte intégral - 1800) et notes complémentaires sur Henri Grégoire.




Bartolomeo Las Casas
& Henri Grégoire, historien

      
deux destins communs ?
On peut avoir du mal à comprendre ce qui peut s’apparenter à un cataclysme humain, et de pouvoir en restituer toute sa nature historique. Cristobal Colombo a bien des aspects insondables, ou trop sous le coup de la fantasmagorie des temps présents ou passés. Le despotisme allant grandissant au XVIe siècle, des traces bien incertaines du "découvreur", il existe un témoin gênant, qui n’a pas mâché ses mots. Un témoignage sans concession qui a de quoi laisser sans voix. De quoi faire un parallèle entre deux figures, à deux époques, qui rassemblent en leur deux noms une densité et se ressemblent en bien des points. Le père Bartolomeo Las Casas et l’abbé Henri Grégoire sont deux filets d’une même source, d’une même histoire qui commença un 12 octobre 1492.

Tous les deux prêtres catholiques, bien que d’un ordre religieux et politique sans rapport, ils vont mener un combat similaire, et pas totalement sans conséquence sur l’ordre des choses. Si l’on a d’une part le « défenseur des Indiens », de l’autre le lutteur sans relâche contre l’esclavage des noirs et les préjugés de couleur. L’un a pu nourrir l’autre, et Grégoire entreprendre un travail d’historien, à faire connaître, et il a pour mérite d’avoir été de son vivant un militant sans relâche et une plume prolixe, parfois anonyme ou avec d’autres auteurs.

Pour nos deux hommes de foi, il s’agit de deux très fortes consciences de leur temps et ils vont connaître l’un et l’autre des attaques assez peu honorables. Les pires stratagèmes ayant été déployés pour Las Casas plus connu de l’autre côté sud des Pyrénées, il fut le témoin direct du massacre des populations natives des grandes Antilles, et a laissé des écrits restant encore minorés ou pas vraiment connus du public. La critique ou les controverses dont il a été l’objet tournèrent autour de deux questions. La première, sa défense des « Indiens » serait responsable de l’esclavage des Africains, et Grégoire dans son texte apologique y répond sans détour, c’est une supercherie. Le mouvement de la traite négrière entre l’Europe et l’Afrique avait déjà débuté vers la moitié de XVe siècle, soit près de trente ans avant la naissance du père dominicain. C’est depuis Lisbonne que commença, la colonisation des Nouveaux Mondes et pas que d’un seul, c’est un mouvement planétaire allant jusqu’aux profondeurs du Pacifique.

Les colonisations européennes à dates respectives, pour les différentes puissances en présence, dont les cinq plus notables furent le Portugal, le Royaume-Uni, la France, la Hollande, et l’Espagne. Nos anciens conquérants ont pour train commun, une participation à l’esclavagisme et aux transports de 12 à 14 millions de déportés Africains, de confessions animistes, mais aussi musulmanes vers les Amériques, en nombre moindre.

En un siècle de Mexico jusqu’au Pérou, disparaissaient pour les besoins d’aventuriers assoiffés d’or et de sang, des millions d’hommes et de femmes. Ils se voyaient rayer comme plusieurs millénaires de cultures, et deux civilisations s’éteindre : Incas et Aztèques. Une entreprise de destruction suivie d’un négationnisme affiché, face à ce qui pourrait sembler un oubli de l’histoire? La situation des peuples originaires est toujours d’actualité pour les populations concernées et se rattachant à la convention 169 de l’OIT. Des autochtones, qui, sur le continent Américain ont payé un très fort tribut à des exterminations s’étendant du XVe au XIXe siècle, et ne sont pas du seul fait des seuls hidalgos, ou coureurs de fortune venus de la péninsule Ibérique.

C’est on ne peut plus complexe, du XVIe au XVIIe siècle, la colonisation dans les Antilles a le caractère d’un éternel recommencement, ou un état de guerre permanent, et cela ne va guère varié les deux siècles suivants. Comme s’il s’était produit un énorme fracas, qu’il n’est pas simple d’expliquer et qui tord le coup du mielleux légendaire de la Conquête civilisatrice, et aux thèses cherchant encore à n’y voir que le fait microbien, mais omettant 150 ans d’atrocités et de résistances ignorées, ou mal interprétées. Et à un fait crucial, la France comme le Royaume-Uni vont achever le travail sanguinaire dans les petites Antilles, finir le travail d’anéantissement des populations Caraïbes, qui dominaient cette zone géographique jusqu’aux Guyanes.

Ces résistances débutèrent dès 1502 à Hispaniola ou Saint-Domingue, et de nombreux d’esclaves trouvèrent refuges auprès des Tainos ou Caraïbes dans leur fuite, devant cet envahisseur plus que malveillant. Pour les Caraïbes présents, ils s’opposèrent tout de suite à la pratique des rapts de femmes, comme officia Colomb à la Guadeloupe et qui se solda par une guerre de plusieurs décennies, se confondant avec le destin des Cimarrones, un métissage entre les Africains et les Amérindiens.

Les Tainos disparus, ils ont cependant laissé à Puerto-Rico de nombreuses traces génétiques parmi ses habitants, un pourcentage non négligeable. Le mystère des origines ou des identités est en parti levé. Deux cultures au moins ont été décimées par les colonisateurs et Las Casas fut un des témoins de ce qui correspond pour les Tainos à un génocide. Les Karibs ou les Kalinas du Venezuela ou des Guyanes sont aujourd’hui toujours existants, il existe quelques milliers de descendants de cette tragédie, et ils ont servi à illustrer le mauvais sauvage, le cannibale, toute une empreinte maléfique servant à les massacrer et ou les tenir dans des réserves, comme ce fut le cas à la Dominique et à Sainte-Lucie.

Des tribus Caraïbes que les Espagnols n’avaient pu éliminer, elles avaient été une raison des causes de leur choix de favoriser la conquête continentale à celle de ces îles vidées de leurs vies si nombreuses et prospères avant 1492. Plus farouches, plus guerriers que les Tainos du nord, ces derniers furent réduits à presque rien, soit 600 personnes à Hispaniola vers 1530. Les Caraïbes seront éliminés à leur tour à quelques centaines de déportés sur quelques territoires îliens déterminés par un traité de paix (Dominique, Sainte-Lucie, Saint-Vincent et Trinité), au milieu du XVIIe siècle. Une histoire qui mêle l’Europe à un monde disparu pour les besoins de son économie. Une mécanique utile pour faire fructifier des richesses sans rapport de sens ou d’entendement comparable, dans un monde disparu ou l’idée de propriété ne pouvait qu’avoir un sens collectif.

Sur l’abbé, évêque de Blois, député et sénateur Henri Grégoire


Grégoire reste une grande figure de l’émancipation humaine, et un des rares qui échappa aux purges de régime. Ses particularités comme homme d’église et comme révolutionnaire ou républicain l’ont probablement protégé, ou bien faut-il consentir à un parcours sans reniement à ce qu’il était?

J’avais découvert un de ses rapports sur l’éducation en France, un état des choses qui avait pu me permettre de saisir les manques colossaux en la matière et les déséquilibres d’une région à une autre, et sa volonté de faire du Français une langue commune. Les sujets de son combat, hors d’une religiosité pouvant m’échapper, quel altruisme et témérité! A l’Assemblée, et à la Constituante, on lui doit d’avoir continué et mené sans relâche la lutte contre l’esclavagisme, et être un promoteur de la première abolition (1794-1802), je ne connaissais pas ses talents d’historien. Comme tout texte, il n’est pas exempt de critiques, mais la somme de ses recherches et la qualité de son analyse, lui donne un caractère atemporel (hors du temps).

Depuis quelques mois, je rassemble et me constitue un socle d’ouvrages anciens en français, ou en espagnol, parfois des textes en portugais, ou en anglais selon mon niveau de compréhension. Tout un travail historiographique sur la première mondialisation débutant avec la sortie de la « Mare Nostrum » (la Méditerranée) vers les côtes africaines, avec les expéditions financées par l’infant Henri, dit Henri le navigateur au XIVe siècle pour le Portugal. N’étant pas vraiment sortie des enceintes de Paris à la même époque en tant qu’historien (sic), cette ouverture sur les mondes nouveaux à la fin du Moyen-âge n’est pas un petit morceau, les surprises sont nombreuses et sa complexité en fait un sujet de première importance.

Si l’abbé Grégoire ne cache pas ses choix et fait un bel hommage à Bartolomeo Las Casas, archevêque du Chiapas en 1545 jusqu’en 1547 de l’Audiencia du Guatemala. Celui-ci fit son premier voyage aux Amériques (ou Indias), à Hispaniola en 1502, à 18 ans. Il y fit quatorze séjours, et devenir une conscience peu accommodante face à l’extermination des Tainos, le père dominicain s’horrifia de sa folie. Cette apologie en faveur de Las Casas, ne peut que faire penser à une projection de la part de Grégoire, mais ce serait injuste de la traduire ainsi.

Ce qu’il écrit vers 1799, et a lu en 1800 devant un public, a une résonance multiple, notamment dans une France allant rétablir l’esclavage et s'engager la Révolution haïtienne dans son sillon. Mieux, Grégoire est allé aux sources pour développer la force de ses propos, bien avant que ne soient publiés des textes non expurgés de Las Casas à la fin du XIXe siècle. L’on découvre ainsi qu’il parlait ou comprenait : le castillan, le portugais, l’anglais et de part de son éducation latine et sa formation comme helléniste, une galaxie linguistique utile pour y faire face. Il cite quelques auteurs incontournables ou controversés à ses vues, et il ne fait pas de cadeaux à ces historiens répétant ce que d’autres ont écrit sans en vérifier la véracité ou la teneur.

L’évêque Grégoire s’appuie sur une connaissance érudite, de quoi être déboussolé par l’amplitude de la colonisation et de l’esclavagisme. Il synthétise avec force le combat de son aïeul. Une réalité ne se réduisant pas à une simple échelle intercontinentale, mais concernant une conquête de tous les points cardinaux par les Européens. Grégoire comme auteur a eu cette sagesse, de préciser que les Espagnols en tant que peuple, n’y étaient pour rien, pas plus que les Français responsables de la Saint-Barthélemy… 

Je vous propose sur cette page quelques extraits de Las Casas et le texte intégral du pladoyer de Grégoire en faveur
du père dominicain.

Notes du 6 mai 2017, de Lionel Mesnard


L'actualité de l'abbé Grégoire : cliquez ici


Concordance des Temps de France Culture (2013) - durée 59 minutes
"Nous allons donc évoquer (...) avec sa biographe, Rita Hermon-Belot , directrice d’études à l’EHESS, en rappelant combien furent vaillants ses combats pour l’émancipation des Juifs et contre l’antisémitisme, pour la fin de l’esclavage des Noirs, pour l’éducation du peuple, pour la lutte contre le vandalisme et la protection du patrimoine, pour l’extension de la langue française au dépens des langues régionales, ou encore pour la tolérance du catholicisme envers les autres religions. Combats dont beaucoup furent féconds et dont plusieurs exigent d’être inlassablement perpétués". Jean-Noël Jeanneney




Premier Mémoire de Las Casas

Lettre dédicatoire adressée en 1522 au prince des Asturies
(note : Le futur Philippe II des Espagnes, fils de Charles-Quint)

Contenant les cruautés commises par les Espagnols conquérants de l’Amérique.

(…) Dans la crainte que mon silence ne me rende complice de la perte de tant d’âmes et de tant de vies, j’ai résolu de rapporter quelques-unes des mille atrocités qui sont à ma connaissance, et de faire imprimer ce récit, afin que Votre Altesse puisse en suivre plus facilement la lecture.

L’archevêque de Tolède, le maître de Votre Altesse, me demanda, pendant qu’il était évêque de Carthagène, ce travail, que j’avais déjà préparé, se proposant de le mettre sous les yeux de Votre Altesse; je répondis à son désir, et je sais que cette relation fut présentée à Votre Altesse. Mais il m’est permis de craindre que les voyages quelle a faits sur terre et sur mer, et ses grands travaux pour l’administration de ses royaumes, ne l’aient empêchée d’en prendre connaissance, et, en supposant même que Votre Altesse ait lu mon mémoire, il est possible qu’elle en ait perdu le souvenir par les raisons que je viens d’exposer. (…)


PRÉFACE

Ce fut en 1492, qu’eut lieu la découverte des Indes. Des chrétiens d’Espagne commencèrent à s’y établir en 1493, en sorte que c’est quarante-neuf ans après cet événement que j’écris, c’est-à-dire en 1542.

La première terre ou les Espagnols s’établirent fut l’île Espagnole (Hispaniola) non moins vaste que florissante. Sa circonférence est de six cents lieues ; elle est entourée d’autres îles fort grandes : je les connais toutes, et elles étaient alors si peuplées d’indiens qu’il est impossible de concevoir une terre avec une population plus considérable.

La Terre-Ferme est à plus de deux cent cinquante lieues de l’île Espagnole; ce que l’on en connaît déjà du côté de la mer a plus de deux mille lieues, et chaque jour il s’en découvre de nouvelles parties.  Cette contrée est une pépinière d’hommes, et il semble que Dieu en ait fait choix pour y multiplier plus particulièrement l’espèce humaine.

Les hommes qui habitent ces immenses régions ont un caractère simple, sans malice et sans duplicité, ils sont soumis et fidèles à leurs maîtres indigènes, ou aux chrétiens qu’ils sont obligés de servir; patients, tranquilles, pacifiques, incapables d’insubordination et de révolte, de division, de haine ou de vengeance.

La constitution physique de ces peuples est délicate, faible, molle, sans énergie  elle les rend incapables de supporter de grands travaux. Les enfants de ceux qui cultivent la terre y sont moins robustes que les enfants mêmes des princes de l’Europe, qu’on élève dans le luxe et la délicatesse; aussi sont-ils encore plus exposés à succomber aux maladies.

Ils sont pauvres, mais contents dans leur pauvreté; sans désir des biens temporels, et par cela même soumis; sans orgueil, et exempts d’ambition et d’avarice. Leur nourriture est très simple , et se réduit à peu de chose : on peut la comparer à celle des saints anachorètes du désert.

Leur vêtement se réduit communément à une peau de bête qui leur couvre les parties naturelles; les plus distingués portent une couverture de coton d’une vare (1,143 mètre) et demie ou deux vares de long. Leurs lits consistent dans de simples nattes, et quelquefois dans des filets tendus en l’air, et connus dans l’île Espagnole sous le nom de hamacs.

Ces peuples ont l’intelligence vive , prompte; ils sont sans préjugés; de là leur grande docilité à recevoir toute sorte de doctrines, qu’ils sont d’ailleurs très capables de comprendre : leurs mœurs sont pures, et on les trouve dans d’aussi bonnes et peut-être dans de meilleures dispositions pour embrasser la religion catholique qu’aucune autre nation qui soit au monde.

A peine ont-ils appris quelque chose de notre religion, qu’ils témoignent un grand désir d’en savoir davantage; ils deviennent si importuns pour ceux qui les instruisent, que les religieux chargés de ce ministère ont besoin de la plus grande patience : j’ai entendu dire plusieurs fois à des Espagnols laïques que la bonté des Indiens est si grande que, s’ils arrivent à la connaissance du vrai Dieu, il n’y aura pas de nation plus heureuse dans le monde.

Les Espagnols, oubliant qu’ils étaient hommes, ont traité ces innocentes créatures avec une cruauté digne des loups, des tigres et des lions affamés. Ils n’ont cessé depuis quarante-deux ans de les poursuivre, de les opprimer, de les détruire avec tous les moyens déjà inventés par la méchanceté humaine, et par d’autres que ces tyrans sont parvenus à imaginer, aussi ne compte-t-on plus aujourd’hui que deux cents indigènes dans l’île Espagnole, qui en nourrissait trois millions autrefois.

L’île de Cuba est aussi grande que la distance de Valladolid à Rome, et cependant la race des naturels y est entièrement détruite. Les îles de San-Juan-de-Puerto-Rico et de la Jamaïque sont très vastes, agréables et fertiles; mais les ravages des Espagnols n’y ont rien laissé.

Les îles Lucayes, voisines de l’île Espagnole et de Cuba, et qui s’étendent au nord, sont au nombre de plus de soixante, en y comprenant celle des Gïgantes. La moins considérable l’emporte, par la beauté de son climat, par l’excellence de son sol et par sa fécondité, sur le Jardin du Roi à Séville.  C’est le pays le plus sain du monde; on y comptait cinq cent mille habitants : toute cette population a disparu devant les Espagnols, qui ont commencé par la massacrer, et ont voulu ensuite transporter ce qui en restait dans l’île Espagnole, presque sans habitants.

Un navire étant arrivé dans l’île pour ce transport, un Espagnol fut touché de compassion, et entreprit d’en faire des chrétiens; il n’y trouva que onze personnes : je raconte ce que j’ai vu. Dans la proximité de l’île San-Juan il y a plus de trente autres îles déjà sans Indiens: elles embrassent plus de deux mille lieues de terre entièrement désertes.

La Terre-Ferme contenait plus de dix royaumes, dont chacun était plus considérable que celui  d’Espagne, y compris l’Aragon et le Portugal : son étendue est comme de Jérusalem à Séville, puisqu elle a plus de deux mille lieues; mais les cruautés des Espagnols y ont été si horribles et  en si grand nombre, quelles ont anéanti la population, et fait de ce pays une immense solitude.

On garantit comme une chose certaine que les Espagnols ont fait mourir par leur inhumaine et  atroce politique douze millions de personnes, hommes, femmes et enfants; mais j’en estime le nombre à plus de quinze millions.

On est arrivé à ces affreux résultats de deux manières : l’une a été de poursuivre des guerres aussi cruelles qu’injustes; l’autre de maltraiter les naturels après la conquête, et de faire mourir les seigneurs du pays, les caciques et les hommes adultes, jeunes et robustes, pendant qu’on exerçait sur le reste des habitants une oppression si dure et si barbare quelle eût été insupportable même pour les brutes.

C’est l’avidité des Espagnols qui a été l’unique cause de cette horrible boucherie : ils n’ont connu d’autre dieu que l’or; ils n’ont senti d’autre besoin que de se gorger de richesses, et le plus promptement possible, aux dépens d’hommes doux, paisibles et soumis, qu’ils ont traités plus mal que des animaux, et avec plus de mépris qu’une vile ordure, puisqu’ils n’avaient aucun soin des âmes des Indiens, et qu’ils les faisaient mourir dans les tourments sans s’être occupés de les convertir à notre sainte religion.

De semblables atrocités étonnent d’autant plus que les Espagnols avouent que les Indiens n’ont jamais fait de mal aux chrétiens, et qu’ils les aimaient au contraire comme des envoyés du ciel; ces dispositions n’ont changé que parce qu’ils les ont vus commettre des vols, des violences et des massacres sur tous les habitants sans distinction. J’ai vu moi-même tout ce que je raconte.

Article Ier - De l’île Espagnole (Hispaniola ou Saint-Domingue)

L’île Espagnole est la première terre que les Espagnols ont occupée en Amérique. La destruction des habitants fut bientôt consommée. Les Espagnols commencèrent par s’emparer des enfants pour en faire des esclaves, et des femmes pour en abuser : ils enlevaient aussi les subsistances que les Indiens s’étaient procurées à la sueur de leur front, et un seul Espagnol en consommait plus que trois familles d’indiens. Les horribles traitements qu’ils en recevaient leur firent bientôt dire qu’il était douteux que les Espagnols fussent des hommes descendus du ciel.

Des Indiens cachaient leurs femmes et leurs enfants; d’autres s’enfuyaient dans les montagnes pour se soustraire à tant d’injustices. Ces précautions excitèrent encore la cruauté des Espagnols.

Un capitaine chrétien enleva la femme du chef de toute l’île, et employa la force pour en abuser. Ce crime fut le signal de la guerre de résistance que les naturels commencèrent à soutenir pour défendre leur liberté, et chasser les chrétiens de leur île. Ils prirent les armes; mais les instruments de guerre des Indiens sont si faibles que leurs expéditions militaires sont moins sérieuses que le jeu des cannes connu des Européens. Les chrétiens combattaient à cheval avec l’épée et la lance, et faisaient aisément un horrible carnage de leurs faibles ennemis.

Lorsqu’ils entraient dans les villes ils immolaient tout à leur rage, les vieillards, les enfants et les femmes, n’épargnant pas même celles qui étaient enceintes ou qui venaient d’accoucher; ils leur ouvraient le ventre à coups de lance et d’épée. Ils égorgeaient le peuple comme un troupeau de moutons dans un parc, et pariaient a qui couperait le mieux un homme en deux d’un coup de taille, ou a qui enlèverait plus adroitement ses entrailles. Ils arrachaient les enfants du sein de leurs mères, et, les prenant par une jambe, ils leur écrasaient la tête sur la pierre, ou les plongeaient dans le ruisseau le plus voisin pour les noyer, en leur disant: C’est pour vous rafraîchir. Ils attachaient à de longues fourches treize hommes à la fois, puis allumaient du feu sous leurs pieds, et les brûlaient tout vivants en disant, par le plus horrible sacrilège, qu’ils les offraient en sacrifice à Dieu, en l’honneur de Jésus Christ et des douze apôtres. Ils en couvraient d’autres de poix, les attachaient avec des cordes, et y mettaient le feu pour les voir périr dans cet affreux tourment. Ils coupaient les mains à ceux qu’ils ne tuaient pas, et les insultaient en leur disant: Allez porter maintenant des lettres a ceux qui ont fui dans les bois et les montagnes. Les maîtres des villages étaient encore plus cruellement traités: les Espagnols les étendaient sur des grils de bois construits pour cela, et qu’ils plaçaient sur le feu de manière à les faire périr lentement.

J’ai vu brûler sur plusieurs de ces instruments cinq seigneurs de villages et d’autres Indiens, et le capitaine espagnol s’indigner de ce que leurs cris troublaient son sommeil: il ordonna qu’ils fussent étranglés pour ne plus les entendre. L’alguazil, que je connaissais, ainsi que sa famille, qui est de Séville, plus cruel que l’officier, refusa de mettre fin à leur supplice; il leur enfonça des bâtons dans la bouche pour les empêcher de crier, et fit attiser le feu afin de redoubler leurs souffrances. J’ai vu bien d’autres moyens de cruauté inventés pour faire mourir les Indiens.

Les Espagnols, ayant remarqué qu’à leur approche beaucoup d’indiens continuaient de se retirer dans les bois et sur les montagnes, s’appliquèrent à dresser des chiens lévriers, ardents au carnage, pour faire la chasse aux fuyards, et ces animaux devinrent si adroits dans ce cruel exercice, et tellement féroces, qu’en un moment ils avaient mis en pièces et dévoré un Indien. Le nombre des Indiens qui périrent de cette manière est certainement incalculable. Si les Indiens tuaient un chrétien dans le cas d’une juste défense, les Espagnols, par la plus affreuse vengeance, mettaient à mort cinq Indiens; ils publièrent un ban pour en informer leurs victimes. (…)

Article VI – De la province du Nicaragua

Le tyran dont je viens de parler entra en 1522, ou l’année suivante, dans la province de Nicaragua: c’est une vaste plaine, fertile, délicieuse, couverte de jardins, où abondaient alors toutes sortes de fruits d’une qualité exquise et d’un goût excellent. Sa population était immense; on y trouvait des villes qui avaient jusqu’à trois à quatre lieues d’étendue, et les biens qu’offrait cette riche province sont au-dessus de tout ce qu’un homme en pourrait dire: cependant le barbare vint à bout d’y anéantir la race indienne. Il envoyait ses cavaliers pour détruire jusqu’au dernier homme dans une province plus grande que le comté de Rosellon, et ses satellites n’épargnaient ni sexe ni âge. Quel motif pouvait faire commettre tant de meurtres? Le tyran reprochait aux Indiens de n’être pas venus au-devant de lui avec tout l’empressement dont il prétendait leur faire un devoir; de n’avoir pas apporté autant de maïs qu’il en avait demandé , ni fourni le nombre d’hommes qu’il avait mis en réquisition pour son service. Les malheureux habitants qui étaient loin des forêts et des montagnes furent promptement exterminés : cette patrie n’est aujourd’hui qu’un vaste désert.

D’autres fois il envoyait des compagnies de soldats à la découverte de nouveaux pays avec la permission de les mettre au pillage, et se faisait amener des provinces envahies autant d’indiens que son caprice imaginait d’en demander pour les employer comme des bêtes de somme au transport des vivres et des équipages. Ses satellites attachaient ensemble ces malheureux esclaves, les chargeaient de fardeaux de trois à quatre arrobes, leur refusaient la nourriture la plus indispensable, et les accablaient de coups s’ils n’avançaient pas assez vite: les Indiens, pliant sous le poids, fondaient en larmes lorsque l’épuisement les mettait hors d’état de suivre ceux de leurs compagnons dont ils partageaient les chaînes. On voyait alors les cruels Espagnols s’en débarrasser en leur coupant la tête, qui tombait d’un côté et le corps de l’autre: quel présage pour les autres malheureux témoins de ce spectacle! C’est de cette manière qu’ils périssaient presque tous; aussi, lorsque le commandant faisait de semblables réquisitions, les Indiens qui se voyaient enrôlés s’écriaient, le désespoir dans l’âme :

« Quel malheur que celui qui nous arrive aujourd’hui! Du moins quand nous étions appelés dans les villes pour servir les chrétiens nous avions l’espoir de revenir après un certain temps auprès de nos femmes et de nos enfants; mais nous allons faire un voyage d’où, nous ne reviendrons plus : bientôt il ne sera plus question de nous! ».

Cet homme était dominé par des passions si détestables, qu’ayant voulu faire une nouvelle répartition des esclaves , uniquement pour priver un Espagnol qu’il n’aimait pas de ceux qu’il avait obtenus dans le partage, afin de les donner à un de ses amis, il ordonna cette mesure dans le temps où les Indiens semaient le maïs; en sorte que cette importante opération manqua presque entièrement: il s’ensuivit une grande disette de pain, dont les chrétiens mêmes eurent à souffrir. Le gouverneur fit enlever les provisions que les Indiens gardaient pour la subsistance de leurs familles; il provoqua ainsi en peu de temps la mort de plus de trente mille individus. On vit dans cette circonstance une mère dévorer son enfant pour apaiser la faim dont elle était tourmentée, et reculer ainsi de quelques moments l’heure fatale. Si cette résolution fut barbare, celle du gouverneur qui l’avait provoquée le paraît-elle moins?

Le territoire de Nicaragua n’est qu’un immense jardin : cet avantage fut cause que les terres et les habitants en furent distribués à des Espagnols à titre de commanderies ; il y eut en conséquence un commandeur pour chaque portion de territoire concédée, et il put dès ce moment se dire le maître légitime des champs, des fruits, des maisons et des habitants. Ceux-ci étaient au service de ces maîtres non seulement pour semer, cultiver et faire les récoltes, mais encore pour remplir les fonctions d’esclaves dans l’inférieur de leurs maisons. L’enfant, le vieillard et la femme n’étaient pas plus exempts de cette servitude que l’homme jeune et robuste; leur nourriture était chétive et mauvaise, parce que l’espagnol disposait de la récolte entière comme de sa propriété, quoiqu’il n’eût ni semé, ni planté, ni cultivé. Ici la tyrannie était plus dure encore qu’elle ne l’avait été dans l’île Espagnole; la ruine de la population devait donc en être la suite, et c’est en effet ce qui arriva.

Une autre cause qui ne contribua pas moins à la destruction des Indiens, ce fut la corvée qu’on leur imposa de transporter dans un port de mer, éloigné de plus de trente lieues des bois pour la construction des navires, on les envoyait aussi dans les montagnes à la recherche du miel et de la cire, et ils y étaient dévorés par les tigres.

On doit citer comme ayant aussi accéléré l’extinction de la race indienne dans ces contrées l’usage qui fut introduit d’accorder aux Espagnols la permission de demander aux caciques un certain nombre d’esclaves. Chaque chrétien n’en voulait pas moins de cinquante lorsqu’il se présentait chez le cacique pour en obtenir avec la permission du gouverneur. En général ce n’est point la coutume du pays que les caciques aient des esclaves; ceux mêmes qui en emploient n’en ont jamais plus de quatre; ils faisaient donc enlever des enfants à leurs familles pour fournir ce contingent, après avoir disposé de tous les orphelins, qui étaient les premiers sacrifiés. Le cacique prenait un esclave dans chaque maison où il y avait deux enfants mâles; deux lorsqu’il y en avait trois, et il formait par ce moyen le nombre demandé : cette mesure avait lieu toutes les fois que le gouverneur accordait la permission de s adresser au cacique pour avoir des esclaves.

L’affection extraordinaire des Indiens pour leurs enfants est bien connue; ils savaient que les livrer comme esclaves aux Espagnols c’était les envoyer à la mort: quelle douleur pour un père de se voir arracher un fils qui allait tomber entre les mains d’un Espagnol! Cette cruauté fut si souvent renouvelée, que depuis l’année 1520 jusqu’en 1555 plus de cinq cent mille jeunes gens furent enlevés comme esclaves : on employa pendant six ou sept ans cinq ou six vaisseaux à les transporter à Panama et au Pérou, où ils étaient vendus fort cher; ils y périrent presque tous, leur complexion étant trop faible pour supporter un nouveau climat. Si on ajoute à ce nombre les cinq ou six cent mille qui périrent dans les guerres ou au sein de l’esclavage, on croira sans peine qu’il n’y a plus maintenant dans toute la province de Nicaragua que quatre ou cinq mille naturels des deux sexes, dont le nombre diminue même chaque jour par l’effet de la tyrannie dont on les accable. (…)

Source: Oeuvres de B. Las Casas, tome premier,
Contibuteur J-A LLORENTE - 1822



APOLOGIE
DE BARTHELEMY de LAS CASAS
Evêque du Chiapas (1484-1566)

Par le citoyen Henri Grégoire (1750-1831)
   
    Lu à l'Institut le 22 floréal, an 8 (lundi 12 mai 1800)
« Dont nombre mérite d’être éternel
Et ne pas se couvrir avec un voile obscur »

Juan de Castellanos (1522-1606)

Tandis que l'Amérique, à peine ouverte au génie entreprenant de l’Europe, courbait la tête devant des conquérants ; tandis qu’à leur suite des hommes féroces, calomniant par leurs forfaits et la religion qu'ils prétendaient professer, et le sang espagnol dont ils étaient issus, portaient la désolation, l'esclavage et le massacre parmi ces peuplades indigènes qu'il eût été si facile de conduire au bien, si doux de s'attacher par des bienfaits ; quelques hommes élevant la voix contre les oppresseurs en faveur des opprimés, dévouaient ceux-là à la vengeance, et invoquaient sur ceux-ci la protection des lois divines et humaines.

A leur tête paraît avec éclat Barthélemy de Las Casas, ou Casaus (comme l’écrivent quelques historiens – note : ou bien Casaux, son père était d’origine française). On conçoit que le protecteur des Indiens dut être spécialement en butte à la fureur de ceux qui en étaient les bourreaux, et cette fureur dut faire partie de l'héritage transmis par ces derniers à leurs enfants.

La médisance ne pouvant trouver des torts à Las Casas, elle chargea l'imposture de lui en créer, et depuis deux siècles la calomnié pèse sur sa tombe.

Ainsi Vitré fut accusé d'avoir détruit les poinçons, les matrices et les caractères qui avaient servi pour imprimer La Polyglotte de Le Jay. Le public, qui le crut sur le témoignage de Lacaille et de Chevillier (1), maudit sa mémoire, en rendant justice à ses talents. Le nom de cet artiste distingué serait encore flétri pour un crime qu'il n'avait pas commis, si, plus de cent ans après sa mort, les poinçons et les matrices n'eussent été retrouvés par un savant que la France a perdu récemment (2), et sur la tombe duquel à peine a-t-on jeté une fleur.

Combien d’autres mensonges littéraires et politiques ont traversé les siècles, et sont mis au rang des vérités!

Quel ample supplément on pourrait ajouter à l'ouvrage de Lancelotti sur les impostures des anciens historiens! (3) Non content de tourmenter les hommes, les tyrans qui se voient en face de la postérité, calculent encore les moyens de là tromper. Notre Révolution en fournit plus d'un exemple ; mais aussi plus d’un écrivain se prépare à dévoiler les trame ourdies pour faire mentir l'histoire.

Parmi les détracteurs de Las Casas, les uns l'accusent d'avoir introduit la traite des nègres ; les autres, sans lui donner cette affreuse initiative, prétendent que pour épargner ses chers Indiens, il proposa au gouvernement espagnol dé leur substituer les Africains. Ces inculpations, reproduites récemment encore, servent d'aliment à la malignité, et de consolation à la faiblesse qu'offusquerait une vertu sans tache. D'ailleurs les historiens et leurs lecteurs trouvent en général qu'il est plus commode de répéter que de vérifier. Je l'ai remarqué, surtout en faisant des recherches dont on va lire le résultat.

Les Carthaginois et d'autres peuples anciens ont eu des esclaves noirs ; il paraît même qu'on en vit quelques-uns en Grèce et à Rome. A cela près, l'Europe se doutait à peine de l'existence des nègres, lorsqu'en 1443, selon Anderson (4), un an plus tard, selon Freira (5), les Portugais sous le règne de l'infant don Henri, et sous la conduite d'Alonzo Gonzales, commencèrent à voler en Guinée des indigènes qu'ils vendaient aux Espagnols. Cet horrible commerce devenant lucratif, des compagnies se formèrent à Lagos pour la continuer au Sénégal et au Cap-Vert. Tous les historiens s'accordent sur ces faits. Voilà donc la traite des noirs établie entre l'Europe et l'Afrique, trente ans avant l'existence de Las Casas, qui naquît en 1474. (En réalité dix ans après, il n’avait que 18 ans lors de son premier voyage à Hispaniola en 1502)

Précisément sur cette année, Ortez de Zuniga, historien de Séville y observe que les Espagnols, habitués à se procurer des nègres par l'entremise du Portugal, augmentèrent leurs profits, en faisant directement la traite, et que depuis longtemps (avia anos), des ports d’Andalousie, on naviguait à la côte de Guinée où l’on amenait des noirs, le nombre en était extrêmement multiplié à Séville où ils étaient bien traités, ayant leur police particulière : il cite même une cédule royale qui, après un éloge pompeux de l'un de ces nègres, l’établit Mayoral et juge des noirs et mulâtres des deux sexes résidants en cette ville (6).

L'esclavage des noirs semble avoir suivi, dans les temps modernes, la transplantation de la canne à sucre, cultivée successivement en Espagne, à Madère, aux Açores, aux Canaries et en Amérique.


Après les massacres qui dépeuplèrent le Nouveau Monde, et surtout Hispaniola, aujourd'hui Saint-Domingue, quelques nègres furent transportés dans cette île, en 1508, selon Hargrave (7), en 1503, selon Anderson, Charlevoix (8), et la plupart des historiens : Herrera remonte même à l'an 1498 (9). Or il est à remarquer que, parmi les historiens, ceux qui se sont constitués les accusateurs de Las Casas, placent tous à l’an 1517 le projet imputé au célèbre défenseur des Indiens pour leur substituer les nègres. Ainsi, de l'aveu unanime de ces écrivains, la traite des nègres en Amérique est antérieure de quatorze ans, selon les uns, et même de dix-neuf ans, selon Herrera, qui, dans un moment, va figurer comme le seul accusateur.

Mais Las Casas, désolé des cruautés exercées contre les Indiens, proposa-t-il au gouvernement espagnol de les remplacer par des nègres? Marmontel, Roucher, Raynal, Paw, Frossard, Nuix, Bryant Edouard et Gentil (10) l'assurent. Cette supposition donne lieu à une apostrophe énergique de la part de ce dernier, c'est de l'éloquence perdue, si le fait n'est pas vrai.

En rapprochant les textes, on voit que ces écrivains ont parlé ou d'après Charlevoix qui, sans citer Herrera, le copie (11), ou d'après Robertson qui, en ne s'appuyait que sur Herrera, le dénature. Je vais traduire les deux textes.  Ecoutons d'abord ce dernier.

« Le licencié Barthélemy de Las Casas, voyant que ses projets rencontraient de toutes parts des difficultés, et que les espérances qu'il avait fondées sur ses liaisons avec le grand chancelier, et le crédit dont il jouissait près de lui, étaient sans effet, il imagina d'autres expédions, tels que celui de procurer aux Castillans établis dans les Indes, une cargaison de nègres pour soulager les Indiens dans la culture des si terres et le travail des mines, et celui d'avoir un bon nombre de laboureurs qui passeraient dans ces contrées avec certaines libertés, et d'après quelques conditions dont il exposa le détail, etc. (12) ».

Voici comment, d'après cet écrivain, Robertson raconte la chose :

« Las Casas proposa d'acheter chez les Portugais établis à la côte d'Afrique un nombre suffisant de nègres, et de les transporter en Amérique pour y être employés, comme esclaves, au travail des mines, et à la culture des terres..... Néanmoins le cardinal Ximenès, sollicité à encourager ce commerce, rejeta courageusement cette proposition, parce qu'il sentait combien il était injuste de condamner une race d'hommes à l'esclavage, tandis qu'il s'occupait des moyens d'en rendre une autre à la liberté: mais Las Casas, entraîné par l'inconséquence naturelle aux hommes qui se jettent avec une précipitation effrénée dans tout ce qui peut favoriser leur système chéri, était incapable de faire cette distinction. Tandis qu'il réclamait avec ardeur la liberté d'un peuple établi dans une partie du globe, il travaillait à enchaîner les habitants d'une autre contrée, et, dans la chaleur de son zèle pour sauver les Américains du joug, il déclarait qu'il était expédient et permis d'en imposer un plus pesant aux Africains (13) ».

On voit que non seulement Robertson n'élève aucun doute sur l'authenticité du fait avancé par l'auteur espagnol, mais que même il en exagère la noirceur; et l'âcreté de son style décèle le plaisir de déchirer. Assurément on ne doit censurer qu'avec circonspection un auteur aussi recommandable que Robertson; mais j'en appelle à la comparaison des textes : l'Espagnol raconte, l'Ecossais déclame.

Aussi Clavigero, dans son excellente Histoire du Mexique, lui reproche beaucoup d'erreurs, de contradictions, et il en multiplie les preuves (14). Le même Clavigero, qui parle du transport des noirs en Amérique, et de Las Casas, quelquefois même en le critiquant, n'insinue pas le moindre soupçon contre lui sur l'article qui fait l'objet de ce mémoire.

Les auteurs ayant tous copié Herrera, l'autorité de celui-ci est donc la seule qui mérite d'être pesée. Il publia les quatre premières décades de son histoire générale des Indes en 1601, c'est-à-dire trente-cinq ans après la mort de Las Casas, qui, en 1566, avait terminé une carrière de quatre-vingt-douze ans. (82 ans en réalité)

Remarquez d'abord que Herrera ne fait pas Las Casas auteur de la traite des noirs, puisqu'il a reconnu qu'elle existait antérieurement, et il ne parle aucunement d'esclavage.

2°. On se demande pourquoi Herrera ne cite pas la source où il a puisé l'accusation. N'était-ce pas le cas de produire le mémoire dans lequel Las Casas est supposé avoir consigné son projet, ou tout au moins d'en extraire quelques passages?

3°. Herrera parait très prévenu contre Las Casas, quoiqu'il l'appelle un écrivain de « Mucha fé » (de beaucoup de foi), digne de beaucoup de confiance.

4°. Gumilla, en parlant de Herrera dont il fait d'ailleurs l'éloge, ne veut pas qu'on ajoute foi légèrement à ce que les historiens racontent des premiers temps de l'Amérique (15).

5°. La véracité de Herrera est attaquée par Laet, Solis, et surtout par Torquemade, l'auteur le plus exact en ce qui concerne le Nouveau Monde (16), qu'il habita depuis sa jeunesse jusqu'à sa mort.

Las Casas a laissé inédite une histoire générale des Indes, dont Herrera a beaucoup profité. Un savant américain, docteur de l'université de Mexico, m'assure avoir lu les trois volumes manuscrits de la main de l'évêque, sans y rien trouver, qui l'inculpe relativement aux nègres. Il appuie d'ailleurs le jugement de Munos, qui, dans la préface de son Histoire du Nouveau Monde, après avoir rendu justice au talent de Herrera, l'accuse de manquer de critique, de donner des traditions suspectes pour des vérités, de travailler avec précipitation, en ajoutant ou en omettant à sa fantaisie (17).

N'est-il pas étrange que l'accusation dont il s'agit ne soit mentionnée dans aucun des auteurs qui, à diverses époques, ont écrit la vie de Las Casas d'une manière plus ou moins détaillée? tels sont particulièrement :

Echard et Quetif (18), Touron (19), Dupin (20), Michel Pio (21), Nicolas Antoine (22) , Eguiara (23) les quatre premiers sont Français, le cinquième est Italien, le sixième, Espagnol; le dernier, Américain : tous gardent le silence à cet égard.

Je pourrais me prévaloir de celui de Alvare Gomez, de Baudier, de Fléchier, de Marsollier, et de l'anonyme, qui ont publié chacun une histoire du cardinal Ximenès (24), connu pour s’être opposé constamment au transport des nègres en Amérique. Les doux premiers imputent ce crime aux seigneurs flamands qui étaient à la cour d'Espagne ; les trois autres, d'accord avec l'abbé Racine, et Fabre, continuateur de Fleury, le rejettent sur Chièvres qui en cela abusa de son crédit.

Si nous remontons aux autours contemporains de Herrera, ou antérieurs à cet historien, les uns, tels que Gumilla, Zarate, Thomas Gage, Alvaro-Nunèz , et beaucoup d'autres, parlent des nègres, sans parler de Las Casas.

Jean de Solorzano (25), Davilla Padilla (26), Sotis (27), Sandoval (28), Laet (29), Torquemada (30), les uns amis, les autres, ennemis de Las Casas, parlent de lui, mais sans l'accuser.

Jean de Castellanos veut, au contraire, que le nom du protecteur des Indiens arrive sans tache à l'immortalité (31).

Parmi les écrivains antérieurs à Herrera, et contemporains de Las Casas, je citerai Remesal, à qui nous devons une histoire très détaillée du Chiapas, il parle des mémoires présentés au roi par Las Casas en faveur des Indiens; mais il ne dit pas un mot des noirs (32).

Pierre Martyr, membre du conseil des Indes, qui, dans son ouvrage, exprime le désir de voir publier sans délai tout ce que Las Casas a écrit sur cette contrée (33).

Hernandès de Oviedo (34), et Lopès de Gomara (35), ennemis déclarés de Las-Casas, qui, de l'aveu même de Herrera, a eu droit de s'en plaindre (36).

Jérôme Benzoni de Milan, plus acharné encore contre lui (37) ; Bernas Diaz del Castillo (38), l'un des conquérants du Nouveau Monde, qui, suivant Solis, cache sa passion sous le masque d'une naïveté grossière, et qui outrage également La Casas.

Enfin Sepulveda lui-même, son plus grand adversaire; amis et ennemis, tous se taisent sur l'article que je discute.

On connaît la célèbre conférence qui, par ordre du gouvernement espagnol, eût lieu à Valladolid, en 1550, entre Las Casas et Sepulveda. Celui-ci prétendait qu'il était juste de faire la guerre aux Indiens pour les convertir. Las Casas le réfutait par les principes de tolérance et de liberté en faveur de tous les individus de l'espèce humaine et ces principes obtinrent l'approbation solennelle des universités d'Alcala et de Salamanque. S'il eût commis l'inconséquence de vouloir substituer les nègres aux Indiens, Sepulveda, qui était un esprit délié et très exercé dans le genre polémique, n'eût pas manqué de signaler cette contradiction : elle n'eût pas échappé à l'Académie d'histoire de Madrid, qui donna, il y a vingt ans, une magnifique édition de cet apologiste de l'esclavage, tandis qu'il n'existe pas encore une édition complète des oeuvres du vertueux Las Casas et cette Académie ne rougissait pas (39) d'approuver ce qu'elle-même appelle « une pieuse et juste violence exercée contre les païens et les hérétiques». Il est doux de se persuader qu'une doctrine si révoltante répugne aux membres actuels de cette société savante, à laquelle on doit plusieurs volumes de mémoires curieux. Du reste, on ne trouve pas un mot sur l'inculpation relative aux nègres, ni dans les ouvrages qu'on vient de citer, ni dans ceux qu'a publiés sur l'éducation populaire le savant Campomanes, que personne n'accusera d'ignorer l'histoire de son pays, et qui, dans cet écrit, censure sévèrement Las Casas (40).

Actuellement, si nous interrogeons les ouvrages de ce dernier, ils déposent en sa faveur.

Religieux comme tous les bienfaiteurs du genre humain, il voyait dans les hommes de tous les pays les membres d'une famille unique, obligés de s'aimer, de s'entraider, et jouissant des mêmes droits.


Dans le traité curieux et très rare où il examine si les chefs du gouvernement peuvent aliéner quelque portion du territoire national (41), il établit que ce qui importe à tous exige le consentement de tous, que la prescription contre la liberté est inadmissible, que la forme de l'état politique doit être déterminée par la volonté dû peuple, parce qu'il est la cause efficiente du gouvernement, et qu'on ne peut lui imposer aucune charge sans son consentement.

Ses autres ouvrages présentent la même doctrine; on la trouve spécialement dans celui où il expose les moyens de remédier aux malheurs des indigènes du Nouveau Monde; il répète que la liberté est le premier des biens, et que toutes les nations étant libres, vouloir les asservir sous prétexte qu'elles ne sont pas chrétiennes, c'est un attentat contre le droit naturel et le droit divin. Il ajoute que celui qui abuse de l'autorité est indigne de l'exercer, et qu'on ne doit obéir à aucun tyran (42). Il indique, dans le plus grand détail, les mesures à prendre pour soulager les malheureux Indiens. Assurément c'était là l'occasion de proposer l'importation des noirs, s'il eût été capable de s'écarter des principes qu'il avait si bien développés, et néanmoins il n'en parle pas. Il y a plus: un passage de cet écrit, le seul où j'ai trouvé le mot de nègres, prouve que déjà on les employait. Les Indiens, torturés par les divers agents de l'autorité publique et par leurs maîtres, le sont encore, dit-il, par les domestiques et par les nègres (43). Parmi les manuscrits de la Bibliothèque nationale, j'en ai découvert un sous le n°10.536 (44), contenant deux ouvrages espagnols que je crois inédits. Le premier est un traité anonyme et sans titre, dans lequel l'auteur, réduisant à sa juste valeur la donation d'Alexandre VI, décide que les rois de Castille sont obligés de restituer aux descendants des Incas le royaume du Pérou, que les Castillans sont tenus de rendre aux Indiens les mines, les terres, et tout ce qu'ils leur ont pris (45). Les idées, la manière de les présenter, le style tout favorise la présomption que cet écrit, dans lequel l'histoire peut puiser quelques faits, est de Las Casas, qui, donnant l'essor à ses principes, les aura développés avec plus d'extension et d'énergie que dans son traité de l’Empire des rois de Castille sur les Indiens.

Le second, auquel est inscrit le nom de Las Casas, est une lettre de soixante-dix pages, écrite en 1555, et adressée à un nommé Miranda, qui était alors en Angleterre.

Invoquant tour à tour et le droit naturel qui place au niveau les nations, les individus, et l’Ecriture Sainte qui dit que Dieu ne fait acception de personne, il met dans un nouveau jour la légitimité des réclamations des Indiens ; et quoiqu'il y parle des noirs comme existants en Amérique, supprimer les repartimientos (ou Encomiendas), est le seul remède qu'il propose aux malheurs des indigènes.

Las Casas comble de justes éloges les missionnaires, parce qu'ils refusaient de réconcilier à l'église les Espagnols qui tenaient des Indiens en esclavage (46). L'histoire nous apprend même que, par une instruction particulière, il avait défendu aux prêtres de son diocèse d'absoudre les oppresseurs, s'ils ne rendaient leurs esclaves à la liberté (47), en les indemnisant pour les travaux faits pendant la durée de l'esclavage. A qui persuadera-t-on que la peau noire des hommes nés dans un autre hémisphère ait été pour lui un motif de les livrer à la cruauté des maîtres, lui qui toute sa vie revendiqua les droits des peuples sans distinction de couleur? Les hommes à grand caractère ont un ensemble de conduite qui ne se dément pas. Leurs actions et leurs principes sont à l'unisson : aussi Benezet, Clarkson, et en général les amis des noirs, loin d'inculper Las Casas, le placent honorablement à la tête des défenseurs de l'humanité. Quand même on prouverait qu'il conseilla de recourir aux noirs, parce que, comme l'observe Herrera (48), un seul nègre fait autant d'ouvrage que quatre Indiens, je dirais : cette foi blesse ou cette erreur ne fut qu'une transaction forcée avec la tyrannie à laquelle il aurait voulu d'ailleurs arracher toutes ses victimes; et alors il resterait à ses détracteurs une autre tâche à remplir, celle de démontrer qu'il proposa ou prévit, à l'égard des noirs, des cruautés telles qu'en ont exercées plusieurs nations contre les malheureux Africains, cruautés dont on trouve à peine quelques exemples dans les établissements espagnols, quoiqu'ils aient été le théâtre du massacre des Indiens.

Voyez comme l’erreur s’établit et s'enracine. Plus de trente ans après, la mort de Las Casas, vient un historien crédule ou malveillant, qui, sans preuve, dirige contre lui une accusation inouï jusqu’alors. Les uns la répètent sans l’examiner, d’autre en concluent que le premier, il a introduit la traite : voilà  déjà un commentaire qui enchérit sur le texte On lie ensuite ces idées: au souvenir des barbaries justement reprochées aux colons anglais, hollandais et français et l’on élève  un échafaudage de calomnies.

Las Casas eut beaucoup, d'ennemis ; deux siècles plus tard, il en aurait eu davantage, dans un pays où ces célèbres assemblées nommés cortes avaient répandu beaucoup d'idées libérales, où, par le conseil d'un pape, les Aragonais avaient établi une  constitution presque républicaine (49) Las Casas proclamait sans opposition des vérités que le despotisme n'avait pas encore étouffées. Peu de temps après, Sandoval, Ramires et Mariania dédiaient à des rois espagnols des ouvrages très hardis (50) ; et lorsque le despotisme eut tout envahi, Las Casas, à ses yeux, eut le tort d'avoir abhorré l'obéissance passive.

Des aventuriers établis en Amérique, qu'il ne faut pas confondre avec la nation espagnole, pas plus qu'on ne doit confondre nos guerriers avec cette troupe de vautours qui à la suite des armées ont pillé l'Italie et la Suisse, livraient les Indiens à la servitude, aux tourments et à la mort! Las Casas voulait enchaîner leur cupidité : il se trouvait avec eux dans le même rapport que les amis de noirs en France, il y a quelques années, avec les planteurs.

N'avons-nous pas entendu soutenir que les nègres étaient une classe intermédiaire entre l’homme et la brute? Ainsi, des colons espagnols prétendaient que les Indiens n’appartenaient pas à l'espèce humaine. Chez nous, on accusait les défenseurs de la liberté des noirs d’être des factieux vendus à l'Angleterre comme on avait accusé Las Casas d'être un chef séditieux (51). Frémissant des horreurs dont il avait été le témoin, il en signala les auteurs, et souleva l'indignation de toutes les âmes sensibles. On conçoit que les oppresseurs des Indiens s’empressèrent de nier ou d'atténuer ces forfaits et qu'ils employèrent toutes les ressources de la perfidie pour les noircir. Des hommes qui assassinent ne craignent pas de calomnier, il est même surprenant que Las Casas ait pu échapper à la vengeance dans un pays où l’un de ses successeurs, au Chiapas, fut empoisonné, uniquement parce qu'il avait voulu empocher les dames de se faire apporter du chocolat à l’église (52).


Pour Faire diversion, les plus modérés lui reprochaient de croire qu'on pouvait civiliser par la voie douce de l'instruction et des bienfaits ces bons Indiens, dont la candeur est peinte d'une manière si touchante dans ses écrits et dans ceux de Palafox (53). Le bon sens appuyait ce système, mais quand les passions offusquent l'intelligence, le plus difficile partout est de ramener les hommes au sens commun. L'intolérance en a-t-elle fourni assez de preuves depuis dix ans? L'événement prouva qu'il était plus facile, comme le disait Las Casas, de faire embrasser le christianisme aux Indiens, que d'obliger leurs oppresseurs à vivre chrétiennement.

Ses ennemis lui reprochent encore trop de véhémence pour faire triompher ses projets relatifs à la liberté, et pour alléger les maux de ses semblables. Assurément un tort de ce genre n'est pas commun; et Las Casas parlant, écrivant, volant d'un hémisphère à l'autre, voyageant sans cesse pour atteindre ce but, avec un courage qui s'irritait par les obstacles, dut paraître bien bizarre à tant d'hommes qui subordonnaient toutes leurs affections à l'intérêt personnel.

Des écrivains espagnols, entre autres Campomanes (54), Nuix (55) et Munos (56), ont voulu prouver que Las Casas avait exagéré les cruautés commises en Amérique (57). L'entreprise n'est pas facile ; car ils ont à combattre le témoignage transmis jusqu'à nous des missionnaires qui étaient alors dans ces contrées, et le témoignage d'une foule d'historiens. Si Ces cruautés ne sont qu'une fiction, qu'on nous explique comment, à Saint-Domingue, toute la population indienne qui était si nombreuse s'est éteinte au point qu'il n'en reste pas un seul individu. Les derniers sont morts, dit-on, il y a environ trente ans. C'étaient deux filles qui n'avaient jamais voulu se marier, parce qu'habitant la partie soumise aux Espagnols, elles n'auraient pu épouser que des Espagnols (58).

Au reste, que prouvent contre ceux-ci des faits de ce genre? Rien, absolument rien ; car le blâme de ces cruautés doit être réparti sur les autres Européens établis en Amérique, non moins que sur les Espagnols.

Prenez au hasard une nation quelconque de notre continent, et supposez que ses navigateurs eussent les premiers abordé le Nouveau Monde, bientôt une foule d'aventuriers de tous pays, stimulés par l'ambition, par la soif de l'or, se seraient élancés au-delà des mers, et l'Amérique eut été également le théâtre des crimes reprochés aux premiers conquérants. Fadilla (59) prétend qu'on a vu un jeune homme vendu pour un fromage; qu'une fille, choisie entre cent, l'a été pour un arrobe de vin ou une jarre d'huile, qu'on a donné cent Indiens pour un cheval : mais le même Padilla dit avec raison à ses compatriotes : « que le souvenir de ces cruautés ne ternit pas la réputation de ceux qui n'en sont pas complices (60) ». S'il était permis d'inculper une nation généreuse et loyale en lui opposant les actions de ses ancêtres, quel peuple pourrait, sans rougir, ouvrir sa propre histoire? Les hommes de l'avenir sont-ils responsables des forfaits qui les ont précédés? Les Français de notre siècle sont-ils complices de la Saint Barthélemy, ni même des horreurs commises, lorsque, sous le poignard de la terreur, trente mille brigands opprimaient trente millions d'hommes?

Les détails qu'on vient de lire ne sont pas étrangers à la question que je discute, parce qu'en exposant les motifs qui firent tant d'ennemis à Las Casas, et les torts dont ils le chargent, leur silence sur l'accusation relative aux nègres, et les éloges que la force de la vérité leur arrache en sa faveur établissent sa justification.

Qu'il me soit permis de signaler ici quelques hommes auxquels le tribunal des siècles a décerné la gloire, ou qu'il a voués à l'infamie, suivant la manière dont ils avaient figuré dans une cause qui intéressait une partie du genre humain.

Quevedo, évêque du Darien (ou l’actuel Panama), et Barthélemy Frias de Albornos, se présentent à la postérité avec des noms flétris : celui-là, pour avoir soutenu que la nature destinait les Indiens à la servitude ; celui-ci, pour avoir établi les mêmes maximes que Sepulveda, dont un livre censuré, même par l'inquisition de Mexico.

Mais, à la gloire de Las Casas, doivent être associés François de Vittoria (61), dominicain, et Antoine Ramirez, évêque de Ségovie, qui réfutèrent Sepulveda. On sait d'ailleurs que Ximenès, que l’évêque de Badajoz, et la plupart des prélats espagnols appuyèrent ces réclamations.

Garces, évêque de Tlascala, adressa à Paul III, en faveur des Indiens, une lettre éloquente, à l'occasion de laquelle ce pape publia une bulle contre leurs oppresseurs (62).

Avendano (63), jésuite, écrivit courageusement contre la traite, et se constitua également défenseur des Américains. Il déclare aux marchands d'hommes, qu'on ne peut, en sûreté de conscience, asservir les noirs, qu'il appelle Ethiopiens : c'est le nom que leur donnent divers auteurs de ce temps-là. Barbosa, Rebello, D. Soto, Ledesma, Palaus, Mercato, Navarre, Solorzano, Molina, professent à peu près la même doctrine.


A très peu d'exceptions près, dans cette cause honorable, figurèrent la plupart des religieux qui missionnaient dans le Nouveau  Monde, mais surtout les dominicains. Leur zèle seconda parfaitement celui de Las Casas. On doit citer particulièrement Pierre de Cordoue et Antoine de Montesino, qui, non contents de tonner dans les chaires de Santo-Domingo contre les tyrans des Indiens, franchirent les mers pour venir les défendre devant le prince et son conseil. (vers 1511)

Les éloges donnés à ces missionnaires, et répétés par Montesquieu, Genty, Buffon, Robertson, etc. ont reçu la sanction de la postérité.

Dans l'épître dédicatoire de la préface de ses Incas, Marmontel attribuait au fanatisme la destruction des malheureux Indiens. Depuis un demi-siècle, quiconque savait répéter avec emphase ces mots, superstition, fanatisme, se croyait un homme de génie, et se donnait pour philosophe. On commence à s'apercevoir qu'il faut quelque chose de plus pour mériter ce titre. En 1777, dans un opuscule intitulé : Lettre d'un lecteur du Journal français et de l’Année littéraire, à M. Marmontel, on lui prouva démonstrativement que son assertion était fausse en soi, et contradictoire sous sa plume ; que l'orgueil, l'ambition, la soif de l'or, la débauche, et non le zèle religieux mal entendu, étaient les passions honteuses qui dominaient les destructeurs du Nouveau Monde.

L'auteur des Incas prétendait qu'une bulle d'Alexandre VI avait mis le sceau apostolique au fanatisme des conquérants espagnols, et qu'il avait fait un dogme de ses maximes, un précepte de ses fureurs. Parce que beaucoup de crimes ont souillé la vie de ce pontife, est-ce une raison pour les aggraver en le calomniant?

Certes il ne lui en restera que trop! Cette bulle, adressée, en 1493, au roi Ferdinand V et à la reine Isabelle, loin d'avoir le caractère que lui impute Marmontel, porte textuellement, au contraire, « l'ordre d'envoyer dans  le Nouveau Monde des hommes de probité, craignant Dieu, savants, expérimentés, pour instruire les indigènes dans la foi catholique et les bonnes moeurs».

Ce n'est donc pas le fanatisme qui opéra la destruction des Indiens : au contraire, la religion, oui la religion seule, éleva la voix contre les oppresseurs, seule elle déploya ses efforts pour empêcher les vexations, les massacres, et pour consoler les opprimés. Est-ce sa faute si, contre son gré, au mépris de ses principes, et même en son nom, des brigands, sourds à sa voix, prétendirent légitimer leurs crimes?

Les hommes sensés n'imputeront jamais à la philosophie les horreurs commises en son nom sous le régime de la terreur, mais aura-t-on jamais la loyauté de ne pas imputer au christianisme des forfaits qu'il abhorre, qu'il condamne, et de dire, comme le cacique Henry, que le christianisme n'est pas responsable des crimes de ceux qui prétendent le professer, puisqu'ils sont en révolte contre les préceptes qu'il leur impose?

Ce fut la religion qui dicta les sentences des Universités d'Espagne contre la doctrine de Sepulveda, dont les ouvrages, alors prohibés dans ce pays, furent publiés furtivement en Italie.

Et pourquoi ne rappellerais-je pas également les mesures prises en faveur des Indiens par les synodes et les conciles tenus à Mexico, à Lima, dans le seizième siècle, dont on peut lire les détails dans la collection du savant cardinal d'Aguirre? Les actes de ces assemblées, surtout du premier concile de Lima, en 1582, portent l'empreinte de la bienveillance la plus étendue, la plus affectueuse, envers les indigènes.

Rien n'est oublié pour prévenir les abus d'autorité à leur égard, pour les faire participer aux bienfaits de l'instruction et de tous les avantages sociaux. Quoique la civilisation eût fait des progrès dans le Nouveau Monde, avant l'entrée des Européens dans ce continent, il paraît que plusieurs contrées étaient encore à demi sauvages. Un chapitre du concile qu'on vient de citer, qui porte en titre : Ut lndi politice vivere instituantur, entre même dans des détails de propreté et d'économie domestique dont on veut inspirer le goût aux Indiens.
Le concile, considérant que la détention des nègres et négresses pour s'approprier les fruits de leur travail, est un crime, même dans les laïcs, le défend d'une manière plus expresse aux ecclésiastiques. Pour assurer l'exécution de ses règlements, il adresse aux magistrats les invitations les plus touchantes, au clergé les ordres les plus précis (64).

On voit par-là quel était l'esprit de cette législation ecclésiastique. Elle avait pour caractères la justice et la bonté ; elle opposait un contrepoids aux vexations qu'exerçait la cupidité contre des hommes à qui l'indigénat devait plus particulièrement assurer la jouissance de tous les droits sociaux.

Ayons aussi la justice de dire avec Marmontel (65) que les malheurs des Indiens furent toujours désavoués par le gouvernement et la nation.

Comment donc s'introduisit ce système d'oppression des Indiens et des noirs? Comment? De la même manière que dans les colonies françaises s'introduisit l'esclavage, malgré le voeu du Gouvernement et les décisions solennelles de la Sorbonne; il s'établit comme tous les abus qui intervertissent la marche de la nature, et qui minent insensiblement les institutions les plus sages. Ce résultat est, je ne dis pas inévitable, mais plus fréquent, lorsque le théâtre des événements est loin du centre de l'autorité politique, qui ne peut y exercer qu'une surveillance imparfaite, parce qu'elle est obligée de déléguer ses droits à des agents dont on épouvante la faiblesse, dont on neutralise la force, dont on achète les décisions.

De telles calamités cesseront d'affliger l'espèce humaine dans tout pays où la suite des siècles présentera peut-être le phénomène inouï jusqu'à nos jours d'un Gouvernement inaccessible à l'intrigue, au népotisme; qui, ne sacrifiant jamais à certains individus l'intérêt de tous, punira tous les grands coupables et qui, pour s'épargner l'obligation de punir, ira, dans les réduits de la modestie, et souvent du malheur, chercher la vertu associée aux talents pour leur confier les intérêts publics.

Je reviens à mon sujet en résumant les faits. La traitae des nègres entre l'Afrique et l'Europe commença chez les Portugais, au moins trente ans avant la naissance de Las Casas. (vers 1443) Le transport des esclaves noirs en Amérique, de l'aveu de tous les historiens, précède de quatorze ans, peut-être même de dix-neuf ans, l'époque à laquelle on fixe le projet imputé à Las Casas pour les substituer aux Indiens.

Herrera, son unique accusateur, écrivain reconnu comme peu véridique, et qui montre de la prévention contre Las Casas, ne cite aucun garant de son assertion. Il publia les premières décades de son histoire trente et un ans après la mort de celui-ci. Tous les écrivains contemporains de Herrera, et ceux qui lui sont antérieurs, gardent le silence sur l'inculpation relative aux noirs, quoique plusieurs fussent ennemis déclarés de Las Casas. Trois savants Américains que j'ai consultés, l'un de Mexico, un de Santa-Fé de Bogota, un autre de Guatemala, n’en ont aucune connaissance y ils se bornent à dire qu'il est en vénération parmi leurs compatriotes, et ils expriment le désir de lui voir ériger, ainsi qu'à Christophe Colomb, une statue dans le Nouveau Monde (66). Je ne comptais pas de sujet plus digne d'exercer le talent d'un ami de la vertu, et il est étranger que jusqu'ici la peinture et la poésie ne s'en soient pas emparées.

Les ouvrages de Las Casas, loin de présenter aucune indication contre lui, réclament partout les droits de la liberté, et inculquent les devoirs de la bienveillance en faveur de tous les hommes, sans distinction de couleur ni de pays : ainsi les principes qu'il professa toujours, et sa conduite invariable, démentent une accusation dont les esprits impartiaux peuvent actuellement apprécier la valeur (67).

Très peu d'hommes ont eu l'avantage de remplir une vie aussi longue que la sienne par des services aussi éclatants envers leurs semblables. Les amis de la religion, des moeurs, de la liberté et des lettres, doivent un tribut de respect à la mémoire de celui qu'Eguiara nommait l’ornement de l’Amérique (68), et qui, appartenant à l'Espagne par sa naissance, à la France par son origine, peut être nommé à juste titre l’ornement des deux Mondes.

Si l'on demandait jusqu'à quel point une discussion de ce genre intéresse l'espèce humaine, cette question qui s'applique à la plupart des faits historiques, peut être rendue de la manière suivante: Importe-t-il que l'histoire soit une suite de vérités et non un tissu de mensonges?

Importe-t-il que l'humanité gémissante, que la postérité épouvantée des scandales et des crimes qui souillèrent la découverte de l'Amérique, calment leurs douleurs, en admirant quelques hommes célestes qui, par leurs vertus, étaient l'image de la divinité, et par leurs bienfaits les représentants de la providence?

D'ailleurs n'avons-nous pas des devoirs à remplir envers ceux qui ont quitté la vie, comme envers ceux qui doivent y arriver? et quand le juste, descendu dans le tombeau, ne peut plus repousser les attaques de l'imposture, ceux qui lui survivent ne sont-ils pas plus étroitement obligés de plaider la cause de la vertu?

Les grands hommes, presque toujours persécutés, aiment à exister dans l'avenir: placés par leur génie en avant de leur siècle, ils en appellent au tribunal de la postérité; celle-ci, héritière de leurs vertus, de leurs talents, doit acquitter la dette des contemporains. Qui pourrait regretter d'avoir été calomnié, s'il peut, à ce prix, épargner des larmes à l'humanité? mais aussi est-ce trop d'obtenir justice quand on n’est plus?

    Notes de l'auteur :


(1) Voyez l’histoire de l’imprimerie et de l’imprimerie par Jean de Lacaille, Paris, 1689, page 241; et l’origine de l’imprimerie par Chevillier, 1694. Lacaille accuse Vitré d’avoir fait détruire les caractères. Chevillier dit qu'il fit détruire les poinçons, les matrices et les caractères (page 300).
(2) Voyez dans la Notice des manuscrits, etc. tome 1: le mémoire de M. de Guignes.
(3) Farfalloni de gli antichi historici par Lancelotti. Venise, 1536.
(4) An hittorical accountand origine of the commerce y by Anderson, tome 1, p. 464.
(5) Voyez Vida do Infante D. Henrique por Candido Lusitano, Lisboa, 1758. Candido Lusitano est un pseudonyme. L’auteur est C. J. Freira père de l’Oratoire de Saint-Philippe de Neri.
(6) Voyez Annales ecclesiasticos y seculares, etc. de Sevilla, par D. Diego Ortez de Zuniga. Madrid, 1677, tome XII, n°10, p. 373 et suivantes.
(7) An argument or the case of Sommerset, etc. par Hargrave.
(8) Anderson, tome IV, p. 690. Histoire de Saint-Domingue, par Charlevoix, tome I, sous l'an 1503 et l'an 1505.
(9) Description de las Indias occidentales, etc. par Herrera, Ve volume. 1725, décade première, Tome III, p. 79, sous l’an 1498.
(10) Voyez Poème des mois, par Roucher, notes du mois d'avril. Raynal, édition de Genève, 1780, livre III, p. 177 et suivantes. De Paw, Recherches sur les Américains, tome 1, p.120. Prossard, La cause des noirs, etc. Histoire civile et commerciale des colonies anglaises, par Bryant Edouard, tome IV, chapitre 3. Reflexiones imparciales sobre la humanidad de los Espagnoles en las Indias contra los pretendidos filosofos y politicos, traduit de l'italien en espagnol de l'abbé Nuix, par D. Pedro Varela y Ulloa, Madrid, 1782, troisième réflexion, paragraphe 2, p. 226 et suivantes. Genty, L'influence de la découverte de l'Amérique sur le bonheur du nouveau monde, p. 184.
(11) Charlevoix, tome I, p. 346.
(12) Traduction d’un extrait de : Historia de las Indias occidentales par Herrera, tome II, chapitre 20.
(13) Traduction d’un extrait de : History of America by Robertson, tome III à l’an 1517.
(14) The history of Mexico by Clavigero, tome I, p. XXV. Je n'ai pu me procurer que la traduction anglaise de cet estimable, ouvrage par Cullen.
(15) Histoire de l’Orénoque, chapitre 50.
(16) Monarchia indiana, Séville, 1615.
(17) Historia del nuevo mundo y 1793, tome I. Voyez le prologue.
(18) Scriptores ordinis proedicatorum, tome II, p.192 et suivantes.
(19) Histoire de l'Amérique, tome I, p.190, et Histoires des hommes illustres de l'ordre de saint Dominique, tome IV, p. 24 et suivantes.
(20) Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, seizième siècle.
(21) Delle vite degli huomini illustridi di S. Domenico. Pavie, I613. part. II, livre IV, p. 32 et suivantes.
(22) Bibliotheca nova scriptorum Hispania, article B. de Las • Casas, Madrid, 1783.
(23) Bibliotheca Mexicana, tome I, p. 363 et suivantes.
(24) Voyez De rebus geslis à Francisco Ximenio Cisnero, etc. par Alvaro Gomez, livre VI, p.1086. Baudier, Histoire de l'administration du cardinal Ximenès, p.285 et suivantes. Vie de Ximenès, par Fléchier, livre IV, p.434 et suivantes. Vie de Ximenès, par Marsollier, livre VI, p. 285. Histoire du ministère du cardinal Ximenès, livre VI, p.393.
(25) De jure Indiarum. 1629, livre II.
(26) Historia de la fundacion y discurso de la provincia de Sant-Yago de Mexico de la orden de predicatores, etc. Bruxelles, 1625.
(27) Conquête du Mexique, livre IV, chapitre 12,
(28) Histoire de Charles-Quint, tome II.
(29) Description des Indes occidentales, livre XVIII, chapitre 5.
(30) Monarchia indiana, livre XV, chapitre 17, édition de Séville en 1615.
(31) Primera parte de las elegias de varones illustres de Indias, Madrid, 1589, p.288 et suivantes.
(32) Historia de la provincia de Chiappa y Guatemala. Livre IV, chapitre 10.
(33) Della navlgatione e viaggi raccolte, etc. par Ramusio, tome III, où l’on trouve le Sommaire sur les Indes occidentales, par Pierre Martyr de Milan, nommé aussi Anglerio.
(34) La historia generale de las indias, Salamanque, 1547. Livre XIX, chapitre IV, p.656.
(35) Historia general de las Indias (par Lopès de Gomara, anonyme). Medina del Campo, 1553. On a traduit en italien la seconde partie de cet ouvrage, sous le titre de tercera parte (troisième partie); j'ignore d’où vient cette erreur.
(36) Décade III, livre 2, p.49.
(37) Voyez dans Théodore Debry l'ouvrage de Jérôme Benzoni, qui écrit contre Las Casas avec un style de libelle.
(38) Historia verdadera de la conquista de la nueva Espana. Madrid, 1795, 4 volumes, tome I, chapitre 7, p.33 et tome II, chapitre 83, p. 45, etc. Dans un abrégé d'histoire ecclésiastique traduit du français en espagnol, on a inséré une lettre attribuée à Benavente, un des premiers missionnaires franciscains dans les Indes occidentales, qui déchire indignement Las Casas. Je ne connais pas cette pièce, mais un ecclésiastique américain qui m'écrit à ce sujet, fait les observations suivantes: 1°. Plusieurs Franciscains qui étaient d’avis de convertir militairement les Indiens, se déclarèrent antagonistes des Dominicains, qui, tous animés des sentiments de justice et de douceur de leur confrère Las Casas, les prêchaient publiquement. Il se pouvait donc que parmi les religieux de S. François, quelqu'un, vendu à la faction qui opprimait les malheureux Indiens, eût écrit à la cour pour tâcher de détruire ou d'atténuer l'horreur des forfaits dénoncés par Las Casas. 2°. Cette lettre, remplie d'anachronismes, a tous les caractères de l'imposture : on doute que jamais les éditeurs puissent en produire l'original. 3°. Fut-elle authentique (et c'est ici le point capital), elle ne présente rien qui inculpe Las Casas relativement aux nègres.
(39) Vie de Sepulvada, p.73.
(40) Voyez Appendice a la educacion popular, tome Il, part. I, p. 172 et suivantes. Dans les notes, et part. IV, p. LIX, etc.
(41) Utrum reges vel principes, jure atiquo vet titulo et salud conscientid, cives ac subditos à regiâ coronâ alienare, et atterius dominio particularis ditionis subjucere possint, etc. Tubingen,. Je ne connais à Paris qu'un exemplaire de cet ouvrage curieux : il y en a eu une autre édition à Jena en 1678.
(42) El que usa mal del Dominio no es digno de senorar, y al tyranno ninguno ni obediencia ni ley se le deve guardar. (Razon 9)
(43) Razon 20.
(44) C'est le n° 651 du Catalogue de Baluze.
(45) Dans un ouvrage que prépare le citoyen Bougainville, il témoigne ses regrets sur la perte des Iles Malouines. En examinant les principes d'après lesquels devrait s'établir le droit de propriété sur de nouvelles contrées, ne pourrait-on pas dire que, lors surtout qu'elles sont à très grande distance des terres habitées, et qu'elles sont sans habitants, le navigateur qui s'y établît le premier, acquiert le droit d'en jouir. Le citoyen Bougainville ayant trouvé les lies Malouines sans habitants il y avait commencé à ses frais une colonie. Dans l'espace de trois ans, elle avait déjà fait des progrès qui promettaient les plus heureux résultats. Déjà un fort était construit, les cultures étaient en activité, on exploitait des tourbières, il avait cicuré (rendu domestiques) une belle espèce d'outardes, etc. il entrevoyait déjà avec enthousiasme le moment de bâtir un observatoire à 51 degrés de latitude sud, quand l'Espagne réclama ces îles : la France accéda à cette réclamation. Le gouvernement espagnol se comporta envers les colons avec cette loyauté qui lui est habituelle. Avec quel intérêt il parle de ces îles, ce savant navigateur, qui, surmontant des obstacles infinis, et dans un autre hémisphère formant un établissement de ce genre, donnait de nouvelles espérances aux sciences et à l'humanité dont il a si bien mérité!
(46) Voyez son traité l’Indiano supplice schiavo. (illisible)
(47) Remesal, décade première, livre VII, chapitre 14. Voyez aussi, dans les oeuvres de Las Casas, la conférence avec Sepulvada, rédigée par Dominique Soto.
(48) Décade II, livre 2, chapitre 8.
(49) Voyez Antonio Pérez, Pedazos de historia, p.144 et suivantes.
(50) Voyez De rege et régis institutione, par Mariana. Le traité curieux, De lege regid par Pierre Calixte Ramirez. De instauranda AEthiopum salute par Alonzo Sandoval, tome I, chapitre 16, p.74.
(51) Amotinaba la gente (les gens s’ameutaient), est-il dit dans Herrera, décade VI, livre I, page 12.
(52) Voyez Thomas Gage, p. 19, Relation de divers voyages.
(53) Voyez son ouvrage intitulé l'Indiano.
(54) Voyez les passages cités plus haut de ses Appendices.
(55) Reflecciones imparciales (réflexions impartiales), etc.
(56) Voyez le, prologue de son Historia del Nuevo Mundo, etc. p.XVIII.
(57) Dans son ouvrage la Destruccion de las Indias, traduit dans toutes les langues.
(58) Je tiens ce fait du citoyen François (de Neufchâteau).
(59) Historia de la fundacion, etc. livre I, chapitre 101.
(60) Traduction du texte de Padilla (ci-dessus), livre I, chapitre 101.
(61) Dans ses Theologias recollecciones, 5 et 9.
(62) Voyez la bulle de Paul III, en 1537. Ce monument honore à jamais la mémoire de ce pontife.
(63) Thesaurus indic., Anvers, 1668, tome.1, titre 9, n°180, 203, et passint.
(64) Voyez Collectio maxima conciliorum, etc. par d’Aguirre, tome IV, premier concile de Lima, article 3, chapitre 3, et article 5, chapitre 4.
(65) Voyez la préface de ses Incas.
(66) Je saisis cette occasion pour leur exprimer ma reconnaissance, ainsi qu'à M. Manuel Justo Martines, premier professeur de théologie à l'université d'Alcala de Henarès, qui a bien voulu se prêter à quelques recherches relatives à cet ouvrage.
(67) Hume l'eut reléguée au nombre des fables, lui à qui le silence d'Aversbury suffit pour révoquer en doute les projets cruels d'Edouard III contre Eustache de Saint-Pierre et les cinquante bourgeois de Calais. (Voyez History of England by Hume). Pour mettre à l'abri de toute censure la réputation, de Las Casas, le docteur Launoy et Luderwalt, connue par la sévérité de leur critique, eussent trouvé, dans les détails que j'ai donnés, plus qu'ils n'exigent dans leur traité sur l'autorité de l'argument négatif (De auctoritate negantis argumenti, par Launoy, etc. Commentatio de vi argumenti quod ducitur è silencio scriptoris, par Lunderwalt, Brunswick, 1753.
(68) Bibliotheca mexicana, article 6, de Las Casas
Source d'origine Gallica-Bnf : Apologie de B. Las Casas
M. Baudouin  imprimeur de l'Institut national

Notes complémentaires de Persée.fr
- Nécrologie d'Henri Grégoire par Préaux Claire. In la Revue belge de philologie et d'histoire, 1965. Langues et littératures modernes -  pages 1193-1198.

Apologie de B. Las Casas, etc. par Bernard Plongeron In la Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 87, n°328-329, 2e semestre 2000. Grégoire et la cause des Noirs. Combats et projets (1789-1831) des pages 37 à 50.


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