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Sommaire de la page,

1 - Jérôme Pétion de Villeneuve, un inconnu célèbre?

Récit sur la crise du sucre à Paris selon Jérôme Pétion


& Arrêté relatif aux piques du 11 février 1792


2 - Chronologie de janvier à mars 1792



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Jérôme Pétion de Villeneuve,
un inconnu célèbre ?




Tient voilà un personnage mal connu, méconnu? Il est impossible pour toute personne ayant cherché à s’informer sur les processus de 1789 et de 1792 de ne pas tomber sur son nom, il est présent dans les récits, mais ils ne lui donnent pas vraiment une place centrale, sauf à en faire un girondin comme les autres ou dans l’ombre des brissotins. Pourtant, que dire d’un homme qui chercha la conciliation à l’affrontement, même si ce dernier partageait des idées libérales dans la lignée des physiocrates, le courant des économistes associés à l’esprit des Lumières et favorable au libre commerce. Jérôme Pétion a été aussi un libéral au sens large et très respectueux des libertés publiques et de la nature humaine. Il allait à ce sujet, ne pas avoir recours à la loi martiale et maintenir jusqu’au 10 août, une certaine sérénité dans la capitale face à plusieurs manifestations populaires, qui auraient pu allumer la flamme, bien avant ce mois  annonciateur d’une nouvelle révolution politique.

Comment ne pas s’interroger sur les personnages clefs du processus révolutionnaire, et se demander mais pourquoi tel ou tel, (surtout des hommes en général), et pourquoi certains plus que d’autres sont-ils toujours mis au-devant des récits et certains restés dans une certaine pénombre? A ce titre, Pétion de Villeneuve député à la Constituante, puis Maire de Paris, puis Président de la Convention, s’il est cité, il apparaît fort peu, ou comme un rôle secondaire. L’une des personnalités fortes des "Girondins" et le plus proche de Robespierre, que l’incorruptible cita régulièrement à son profit au couvent des Jacobins (fin 1791 et début 1792).

Pétion semble avoir été cantonné à l’oubli. Certes, si l’on peut penser qu’il ne fut pas le seul, avec de telles charges publiques et une telle position, pourquoi cette disparition ou effacement de la mémoire collective? Il semble en l’état compliqué d’y répondre ou de trouver un début de réponse, mais s’il y avait lieu, il faudrait en chercher les causes et qui sait établir une hiérarchie des responsabilités politiques. Car s’il est bon, si ce n’est crucial de rappeler que les femmes ont été reléguées à l’arrière-plan politique et social, tout en ouvrant la marche ; au sein du genre masculin, rien ne dit que la phallocratie n’y a pas exercé un rôle similaire? Comme nous l’avons vu en 1791, sa popularité au sein de la capitale n’était pas minime et son élection représenta une claque pour Lafayette, le premier tenant d’un pouvoir autoritaire et perçu comme un potentiel dictateur.


De quoi a été frappé Pétion de Villeneuve pour être réduit à un tel silence?

En deux mots voici mon histoire :
Dans Paris j'étais adoré,
Tout y retentissait de mon nom, de ma gloire.
Aujourd'hui je suis abhorré. (J. Pétion)

Il a été l’un des personnages les plus titrés du processus, présent et acteur de premier plan de 1789 à 1794, député à la Constituante, maire de la capitale et président de la Convention et aussi président des Jacobins. Il aurait pu être le premier président de la France républicaine, telle fut l’idée de M. Manuel (procureur syndic de Paris), mais ce fut à cette occasion que le mot dictature allait permettre d’agiter les plus folles accusations. Avocat de formation comme Brissot, Robespierre et Danton, il était originaire de la région de Chartres (Eure et Loir) comme son ami Brissot de Warville et l’abbé Sieyès. Jérôme Pétion a été un des grands orateurs de la Révolution, un de ses grands temporisateurs. Sans prises de note, il pouvait intervenir sur des sujets nombreux et apporter ses propres solutions et idées pragmatiques.

Son œuvre bien que partielle trouve une part importante de ses discours et correspondances, et positions politiques, notamment dans le cadre de ses fonctions ou charges de maire de Paris de la mi-novembre 1791 à septembre 1792. Il existe sur internet quatre tomes d’environ 400 pages au sein de la librairie de l’université de Toronto (via une bibliothèque du Connecticut), plus divers apports complémentaires via les archives parlementaires, plus le travail de Charles Aimé Dauban avec ses Mémoires inédits de Pétion et Ernest Hamel dans son Histoire de Robespierre (tome II les Girondins). Des exemplaires que l’on retrouve sur le site de la BNF via Gallica. Plus d'autres sources dont ce qu'a pu écrire à son sujet Jules Michelet ou Albert Mathiez. Ensuite il existerait de sa main un testament politique et des mémoires remisent à Me Boucquey, un peu avant son suicide et celui de ses confrères et amis Buzot et Barbaroux à Saint-Emilion, en région bordelaise.


Pour donner une idée de la masse écrite et n’aborder que ce qu’il a pu dire et écrire représente quelques milliers de pages. Et ce n’est pas le plus prolixe en la matière, il faut aussi y rajouter ce qui a pu être écrit ou omis à son sujet. D’abord, il est intéressant, de remarquer, que son surnom a été « l’Inflexible », un de ces détails qui font mouches, quand par ailleurs il est plutôt décrit plutôt comme fade ou absent, voire se fondant dans les décors, quand on évoque les mois, d’août et de septembre 1792. Ce qui n’est pas vraiment le cas de cet homme conscient des orages populaires et qui a cherché le plus longtemps possible l’apaisement à l’affrontement. L’idée de « paix » revient très régulièrement comme un appel aux consciences. Il se fit de nombreux ennemis à commencer par Marie-Antoinette, qui depuis le retour de Varennes ne pouvait plus le supporter (un de plus…). Le différent connu une suite quelques mois après, quand il refusa les honneurs à la reine lors des vœux du 1er janvier 1792. Pétion fut amené à gérer les troubles de la fin d’année autour du club de Feuillants et à les expulser un court temps.

Le deuxième maire de la capitale allait en matière de police municipale répondre à sa fonction d’homme de loi et se manifester en lieu et place des troubles. Contrairement à la légende qui voudrait que Pétion dit de Villeneuve ait été un grand laxiste le jour de l’invasion des foules au Palais des Tuileries, le fameux 20 juin 1792, quand le roi trinqua à la nation avec les faubouriens avec un bonnet rouge sur la tête. Cette mascarade aura été l’occasion pour Louis XVI d’apostropher l’édile des Parisiens, ce dernier ne se laissa pas tancer et rabaisser sans répondre. Et lui a dit avant de se retirer : « La municipalité connaît ses devoirs, elle n'attend pas pour les remplir qu'on les lui rappelle ». Il va éviter ou tenter d’éviter le pire à chaque occasion de son mandat, quitte à certains moments à « jeter un voile  pudique » sur certains événements ou propos. Ou Comment faire front devant certaines colères qui finirent dans un bain de sang immonde, à l’exemple des massacres de septembre?

Homme de principes, le roi dira de lui qu’il était un « honnête homme », Pétion lui épargna les foudres de la foule en mars 1792, sur des rumeurs persistantes de départ. Robespierre lui témoigna son amitié plusieurs fois avant la grande brouille des deux camps démocrates, il rejoignit tardivement le camp dit des « girondins » une fois président de la Convention. Il fut un inclassable qui combattit pour nombres de causes justes : abolition de la peine de mort et de l’esclavage et d’autres réformes de société non négligeables. Mais il a connu nombre de libelles royalistes calomniateurs comme premier magistrat de la capitale, et ses positions équilibrées ne le servirent pas vraiment auprès des plus contestataires comme Marat. Bon connaisseur de la loi comment pouvait-on lui conter des sornettes? Pétion a été à ce sujet un citoyen se pliant aux règles communes et administra au mieux des conjonctures avec un directoire départemental très pointilleux comme M. Roederer (jacobin et "girondin"), qui fut à l’origine de la perte de son mandat quelques jours en juillet, avant d’être réinvesti par l’Assemblée nationale.

L’année 1792 ne fut pas de tout repos et sur les affaires du sucre, des piques, ou au sujet de la pétition de Dupont de Nemours en juin, sa commande des affaires allait être l’objet de contestations de tous les camps en présence, sauf aux Jacobins où dans les échanges houleux et rapports de force, il incarnait le centre et la passerelle entre brissotins et robespierristes. Son originalité était dans la mesure et ses appréciations, la tonalité de ses discours fut avant tout sous la forme d’exposé des motifs et précise qu’il en accepta la critique et que lui-même ne cessa d’en user. Nous sommes loin d’un stratège, il a pu dire certaines vérités bonnes à taire, mais quand la raison vous venant et tenant à en faire état, que faire? Il est trop tard. Mais il ne se répandit pas dans l’insulte, il ne chercha pas à porter atteinte à ses détracteurs ou concurrent comme Lafayette, il constata et évoqua les choses qui blessaient. Sachant ce que l’argumentation pouvait supposer, il invalida facilement ses détracteurs.

Sa vie de fin pousserait à en faire un de ses personnages romanesques de la révolution, si l’on s’en tient à son suicide avec Buzot en Gironde. Non pas vraiment, du moins il n’a pas cherché dans l’écriture le calme et la sérénité, ni encore moins la postérité. Il resterait un journal de Jérôme Pétion, en l’état des recherches, il ne semblerait pas avoir refait surface dans sa totalité, seul existe le portrait qu’il a esquissé de son ami Brissot. Pour le reste, dans ses différentes courses-poursuites de Caen à Bordeaux comme Fédéraliste face à la guerre civile et ses derniers mois avant de mourir (en 1794), l’éparpillement de ses archives sont à présumer, sans pouvoir l’affirmer. Il eut été inconséquent de ne pas le faire apparaître comme un des grands acteurs des deux séquences révolutionnaires et en particulier pour comprendre sa place d’honnête homme. Conscient des servitudes du passé, il défendit ce que l’on nommait à tue tête le Peuple, du moins les Parisiens et l’idée qu’il se faisait des injustices et des inégalités, mais dans son combat pour la démocratie et la dignité du genre humain, il importe de pouvoir questionner les événements et restituer ses prises de décisions ou positions.

Il donna aux assemblées dites primaires beaucoup d’attentions, et s’interrogea sur comment harmoniser l’ensemble, du roi aux assemblées générales populaires dans un seul tenant, tout en remarquant et reconnaissant à la représentation nationale sa place, mais il tenait à soumettre les grands débats aux appréciations d’un oui ou d’un non à la population ou ce qu’il nomma l’opinion pour des échanges libres et sans haines. Dans sa conversation avec la reine sur la route de Paris en juin 1791, "l’idiot" ou le provocateur se mit à parler de république, ou comment agiter le chiffon rouge sous le nez d’une réactionnaire? Lui fit état de Mademoiselle, la sœur du roi l’ayant semble-t-il aguiché. Cela donne à cette rencontre en des circonstances explosives un aspect assez surréaliste, entre propos politiques et mœurs de cette cour où la lascivité perce en tout point, Jérôme Pétion nous donne une occasion d’en rire.

Note de Lionel Mesnard


MOUVEMENTS A L'OCCASION DES SUCRES

Récit des événéments parisiens de janvier 1792, selon Jérôme Pétion (*)

Cette circonstance fut extrêmement difficile ; et il fallut autant de fermeté que de prudence, pour éviter des scènes de sang : tout annonçait les plus grands désordres. Le 21 janvier, le feu prit, pendant la nuit, à l'hôtel de la Force, et cet événement mit tous les esprits en fermentation ; on ne tarissait point en conjectures, toutes plus sinistres les unes que les autres. Le bruit se répandit en même, temps que le feu était dans toutes les prisons et que les prisonniers s'évadaient. Le matin même, un magasin de sucre, situé dans le faubourg Saint-Marçeau, fut investi par des femmes ; elles demandaient à grands cris que le sucre leur fût donné à vingt sols. M. Pétion les calma par sa présence ; mais cette tranquillité ne fut pas de longue durée.

Le même mouvement se communiqua dans plusieurs quartiers de Paris avec une rapidité électrique; on entrait chez les épiciers et on les forçait à délivrer leur sucre à bas prix. La multiplicité des endroits empêchait l'activité de la surveillance; la force ne pouvait pas se trouver partout en même temps, pour prévenir ces excès. Dans plusieurs postes, la garde avait été insultée, les officiers étaient furieux et demandaient à repousser la force par la force. Les marchands qui tremblaient pour leurs propriétés, sollicitaient, de leur côté, des mesures vigoureuses. Des agitateurs échauffaient le peuple, de sorte que tout présageait un dénouement funeste.

M. Petion se porta dans les divers endroits avec ses collègues ; il y rétablit l'ordre et ne reçut partout que des bénédictions. L'assemblée nationale, soit par faiblesse, soit par déviation des principes, rendit un décret qui semblait favoriser les idées qui agitaient et soulevaient le peuple ; elle demanda que la municipalité lui rendît compte des accaparements qui existaient dans Paris, et des précautions qu'elle avait prises pour les empêcher.

La municipalité se tira fort bien de la position embarrassante où on l'avait placée. Elle rendit compte des faits qui étaient à sa connaissance. Il n'y eut rien qu'on n'imaginât alors pour enlever à M. Pétion la confiance dont il jouissait, et qui lui était si nécessaire dans une crise aussi forte. On placarda que s'il défendait les magasins avec tant de zèle, c'est qu'il avait fait lui-même des spéculations sur les sucres. Il répondit, et éloigna les impressions défavorables qu'on voulait répandre sur lui.

L'agitation, loin de diminuer, augmentait. Le corps municipal rendit ses séance permanentes. On battit des rappels. Ou donna ordre de faire conduire par devant les juges de paix ceux qui entreraient de force dans les boutiques. Cette mesure s'exécuta avec beaucoup de prudence. Plusieurs hommes furent traduits en justice, et cela en imposa aux malveillants. Un incident particulier ralluma l'incendie. Les patrouilles étaient fréquentes et nombreuses, particulièrement dans les endroits où il y avait des sucres en dépôt. Au coin de la rue Saint-Denis, un pot de fleurs tomba ou fut jeté du troisième étage sur une patrouille. A l'instant les gardes nationales qui la composaient tirèrent trois.coups de fusil. Heureusement personne ne fut blessé ; mais ce fait fit beaucoup de bruit; on disait que la garde nationale avait ordre de tirer sur les citoyens; on échauffait le peuple; il criait contre les habits bleus ; et il était à craindre que les citoyens n'en vinssent aux mains entre eux.

M. Pétion rédigea un avis aux citoyens qui fut publié le 25 janvier dans tout Paris, par douze officiers municipaux. Ces proclamations lorsqu'elles né sont pas trop souvent répétées, produisent en général de bons effets. Celle-ci n'eut pas tout le succès qu'on devait en attendre. Dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, les citoyens réunis en groupes, répondaient aux commissaires : on nous amuse, ce n'est pas du sucre que nous demandons, c'est du pain. Les corrupteurs du peuple, ceux qui avaient résolu à quelque prix que ce fût de le soulever, avaient changé de batterie. Ils sentirent bien que le sucre n'était pas un moyen de nature à occasionner un grand mouvement et qui eût des suites durables et graves. Ils voulurent attacher l'inquiétude et l'insurrection du peuple à une cause qui le touche d'une manière plus pressante, à ce premier besoin de son existence.

Aussitôt des pétitions sont présentées, tant au corps municipal, qu'à l'Assemblée nationale, pour demander la diminution du prix du pain. Remarquez qu'alors le pain n’était qu'à onze sols les quatre livres; et le travail ne manquait pas à l'ouvrier. M. Pétion fit afficher un placard par lequel il montra aux citoyens le piège qu'on leur tendait, par lequel il leur dit que dans presque toute la France le pain était plus cher qu'à Paris; que le moyen le plus sûr de le faire augmenter et même d'en manquer était de crier à la famine, par lequel enfin il les exhorta, pour leur propre intérêt, à la paix, à la tranquillité.

Ce qu'il y a de remarquable, c'est que les clameurs pour le pain tombèrent tout à-coup, et cette arme dangereuse se brisa tellement entre les mains des conspirateurs qu'il leur fut impossible d'en faire usage. L'orage n'était pas néanmoins dissipé. Il paraît que la cour se croyait en force et qu'elle se donnait beaucoup de mouvement. On disait hautement que, le Louvre était rempli de contre- révolutionnaires. On avait remarqué dans les rues des hommes fameux par leur incivisme. On parlait de fabrications de poignards. Il était beaucoup question de la fuite du roi. Le peuple concevait de vives alarmes,on voulait attaquer le château.

Le roi pria le maire de Paris et le substitut du procureur de la commune de se rendre auprès de lui; il les questionna sur la situation de Paris et il ajouta : je sais qu'on répand le bruit, non plus que je m'en vais, mais qu'on m'enlève. Il est très vrai lui répondit M. Pétion que c'est là l'opinion centrale. Les troubles actuels paraissent tenir à un système. On pense que ceux qui sont, vos ennemis et vous trompent, veulent occasionner un tel désordre qu'ensuite ils puissent vous dire qu'il vous est impossible de rester, que vos jours sont en danger, et qu'il faut absolument que vous sortiez de Paris.

Il se contenta de répliquer qu'on savait bien qu'il n'avait pas peur et qu'il ne s'en irait pas. Le peuple conservait toujours des inquiétudes ; mais elles étaient vagues ; et plus les choses traînaient en longueur , moins il y avait à craindre une explosion. C'est beaucoup que de gagner du temps. Néanmoins les sucres qui étaient emmagasinés dans le faubourg Saint-Marceau, et avaient tant agité les habitants de ce faubourg, n'étaient pas sortis, et on ne voulait pas les laisser sortir. Ce dépôt devenait, tous les jours un lieu de rassemblement; tous les jours il était menacé, et ce foyer particulier pouvait rendre l'incendie général.

M. Pétion engagea des personnes qui jouissaient de la confiance de ce faubourg à faire connaître au peuple qu'il allait contre ses vrais intérêts, à le porter au respect des propriétés. Il fit placarder des instructions propres à l'éclairer et à lui faire chérir l’ordre. Ces moyens de prudence et de persuasion ne furent pas inutiles. Mais les négociants qui prétendaient que les sucres leur appartenaient voulurent brusquer les mesures. Un, entre autres, se montrait si acharné à braver l'opinion du peuple, qu'il était difficile de ne le pas croire dirigé par des vues perfides. Il entendait que les marchandises lui fussent délivrées à l'instant; il disait que si elles étaient pillées, cela lui était égal, on lui en répondrait; que si le peuple se mutinait, les magistrats devaient employer la force.

On ne sait pas que l’intérêt le gouvernement prenait à ces sucres; mais plusieurs fois on vit dans le magasin le nommé Gilles, cet agent du château, qui a été reconnu depuis pour faire au compte de la cour des enrôlements d'hommes dans Paris. La sortie de ces sucres, pour avoir lieu sans accident, devenait une opération très délicate; elle fut bien concertée et exécutée avec beaucoup de précision. Au moment le, plus imprévu, M. Pétion, et plusieurs officiers municipaux, se transportèrent sur les lieux; ils étaient accompagnés d'une force armée très imposante, prise ailleurs que dans les faubourgs. Toutes les voitures de transport étaient prêtes; les rues qui conduisaient au magasin furent fermées par des gardes, et tous les sucres, d'une seule fois, furent transférés ailleurs, sans que le convoi éprouvât la moindre résistance dans sa marche.

M. Pétion s'était donné beaucoup de soins dans cette affaire, il s'était conduit avec une extrême prudence, alliant tout à la fois les moyens de douceur et de fermeté; profitant surtout avec habileté du moment. Eh bien ! les propriétaires réels ou fictifs des sucres eurent l'indignité de rendre plainte contre lui. Des juges de paix la reçurent : elle ne fut pas suivie, parce qu'on n'osa pas lui donner le jour, et que le corps municipal, lui-même, dont on cherchait toujours à isoler le maire, aurait pour cette fois pris sa défense.

Cet arrêté parut dans un moment où il était bien nécessaire. Le citoyen en habit bleu regardait avec dédain le citoyen armé d'une pique; des divisions se manifestaient chaque jour, et on était sur le point d'en venir aux mains. Le pauvre qui n'éprouvait pas moins le besoin de servir sa patrie que le riche, ne pouvant pas acheter un fusil, se trouvait privé de l'honneur de défendre ses foyers et de protéger la chose commune : il était donc aussi moral que prudent de rapprocher les hommes et de faire fraterniser les armes ; la force publique en était plus imposante et meilleure; de plus , les conspirateurs affluaient de toute part à Paris; on les portait à un nombre effrayant. Sous, les rapports cet arrêté était infiniment précieux ; il servit de modèle à beaucoup de municipalités ; et il accéléra en France la fabrication d'une arme utile. Les fusils furent remis ensuite plus facilement aux braves citoyens qui volèrent aux frontières combattre pour la liberté.

Note : (*) Le texte est paru dans le quatrième tome de l'oeuvre de Jérôme Pétion, il s'agit d'un récit des événements survenus à Paris autour du sucre, mais il y a un doute à savoir si c'est un compte-rendu de sa part ou d'un autre. Ce texte est normalement de lui, mais l'usage de la 3ème personne du sujet pour le désigner pose question, non pas sur la véracité du contenu, mais sur qui a pu tenir la plume?

Source : Oeuvres de Jérôme Pétion (imprmé l'An II de la République), Tome IV, chapitre V (page 53 à 62) PIECES INTÉRESSANTES, SERVANT A CONSTATER Les principaux événements qui se sont passés sous la Mairie de J. PETION, Membre de l'Assemblée Constituante de la Convention  Nationale et Maire de Paris.  Chez Garnery, Libraire, 17 rue Serpente à Paris.

Ci-après même source : chapitre VI (page 63 à 70).
ARRÊTÉ RELATIF aux Piques,
Fusils et autres armes ostensibles

   Du samedi 11 février 1792, l'an quatrième de la liberté 
Le corps municipal, informé qu'il se fabrique, se vend et se distribue dans Paris une nombreuse quantité de piques ;
Considérant que ces armes utiles entre les mains des bons citoyens, pourraient devenir les instruments du désordre et du crime, dans celles de ces hommes suspects qui affluent de toutes parts dans la capitale, et qui ne peuvent y être attirés que par l'espoir du pillage, ou à l'instigation de ceux qui ne respirent que le renversement de la constitution, le trouble et l'anarchie;

Considérant, que dans de semblables circonstances, où l'inquiétude publique se manifeste sous toutes les formes, ce serait de la part des magistrats du peuple une insouciance coupable, que de négliger les précautions qui peuvent faire découvrir ces hommes dangereux et préserver les bons citoyens de leurs suggestions perfides 



Considérant que la raison et la prudence s'opposent également à ce que des particuliers suspects ou inconnus aux citoyens, parcourent en armes les rues, places et lieux publics, et qu'ils puissent à leur gré se mêler aux défenseurs de la liberté ;

Considérant qu'il importe plus que jamais de distinguer les amis de la patrie, d'avec ses ennemis; que tous les bons citoyens armés pour la défense de la constitution et des lois jurées par les français, armés pour la conservation des personnes et des propriétés, et pour l'exécution des ordres émanés des autorités légitimes, ne doivent marcher que sous les mêmes chefs et les mêmes drapeaux ;

Le premier substitut adjoint du procureur de la commune entendu, arrête ce qui suit :
1°. Les citoyens non-inscrits sur les rôles des gardes nationales, et qui se sont pourvus de piques, fusils ou autres armes ostensibles, pour défendre la patrie dans les jours de danger, seront tenus d'en faire leur déclaration au comité de leur section, sous huitaine, pour tout délai, à compter de ce jour

2°. Il sera à cet effet ouvert dans chaque comité, un registre sur lequel seront inscrites lesdites  déclarations, qui porteront en même temps le nom, la demeure et la profession des déclarants. Il en sera délivré un extrait à chacun d'eux.

3°. Seront également tenus de faire leur déclaration, ceux qui auraient dans leurs maisons un nombre de fusils où de piques , qui surpasserait celui des individus en état de porter les armes; seront exceptés néanmoins de cette disposition les marchands fabricants et dépositaires publics.

4°. Tous ceux qui seront trouvés vaguant, soit de jour, soit de nuit, dans les rues, places et lieux publics, armés de piques ou fusils, seront à l'instant désarmés et conduits, comme gens suspects, devant les officiers de la police correctionnelle.

5°. Toutes personnes inscrites ou non-inscrites ne pourront se former en patrouilles ou compagnies particulières, marcher sous d'autres drapeaux, obéir à d'autres officiers que ceux de la garde nationale ou des troupes en activité et même se réunir sous le commandement desdits officiers, sans leur consentement exprès.

6°. Nul ne pourra porter aucun signe de ralliement, autre que la cocarde et les couleurs nationales.

7°. Ceux qui négligeraient ou refuseraient de se conformer aux défenses portées aux deux articles précédents, seront réputés former attroupement séditieux, et seront au nom de la loi et conformément à sa teneur, dissipés par les agents de la force publique.
Le corps municipal enjoint au procureur de la commune, aux administrateurs et commissaires de police, de surveiller les hommes suspects qui abondent dans Paris, et de faire exécuter ponctuellement les dispositions du présent arrêté. Mande expressément au chef de légion, commandant général de la garde nationale, et à tous autres officiers de veiller également, en ce qui les concerne, à l'exécution du présent arrêté, qui sera imprimé, affiché, envoyé aux quarante-huit sections et mis à l'ordre (du jour).
Signé, Pétion, Maire. Royer, Secrétaire Greffier Adjoint


Chronologie du 1er janvier au 31 mars 1792
et sources complémentaires



Retour sur les derniers jours de décembre 1791

Le discours de Robespierre, du 18 décembre de l’an dernier, a provoqué un grand effet dans la presse, sa campagne contre une guerre défensive est relayée par les Révolutions de Paris (du journaliste et publiciste Prud’homme) - vont venir s’y rallier peu à peu ceux qui vont constituer la Montagne au sein de l’Assemblée républicaine de septembre. De son côté, le tenant du discours offensif, pour marquer le pas dans l’opinion Brissot remet les bouchées doubles, tant à l'Assemblée qu'aux Jacobins : il donne deux grands discours, les 29 et 30 décembre 1791.

Le 29, à la Législative, Jacques Brissot déclare que la France devait « prendre une attitude fière, afin de faire respecter partout la constitution et le nom français (...) La France veut la paix, mais ne craint pas la guerre... La guerre est nécessaire à la France pour son honneur, la sûreté extérieure, sa tranquillité intérieure, pour rétablir nos finances et le crédit public, pour mettre fin aux terreurs, aux trahisons, à l'anarchie... Cette guerre est un bienfait national ». Le lendemain, il discourt sur la nécessité de la guerre offensive et se trouve régulièrement ovationné. « Nous vaincrons, affirma-t-il, et nous rétablirons notre crédit public et notre prospérité, ou nous serons, battus et les traîtres seront enfin convaincus et punis. Je n'ai qu'une crainte, c'est que nous ne soyons pas trahis. Nous avons besoin de grandes trahisons, notre salut est là, car il existe encore de fortes doses de poison dans le sein de la France, et il faut de fortes explosions pour l'expulser ». Il  conclu par : « Le moment est venu pour une autre croisade et elle a un objet bien plus noble, bien plus sain. C'est la croisade de liberté universelle ».

Autre points importants à noter, la question des récoltes de l’été 1791. Elles vont s’avérer très bonnes dans le Nord, plutôt médiocres dans le Centre et mauvaises dans le Sud, de nouvelles révoltes de la faim vont éclater à partir de février dans certaine partie de la France et entraîner de lourdes difficultés à la circulation des marchandises. Le problème ne sera pas la rareté des produits mais dans leur prix de vente.

En plus, l’introduction des petites coupures en janvier est aussi un facteur important dans le renchérissement de la vie, les salaires ouvriers étaient payés en écu, le paiement en assignat fait subir à toute la population des hausses importantes, et pas seulement sur le prix des denrées. La variabilité des cours dès septembre 1791 enclenche une baisse de son change à l’étranger et les taux internes de conversion varient de 10 à 25% selon les départements, ils se répercutent de fait par une baisse des salaires, qui pesait jusqu’alors sur les employeurs amenés à convertir le papier-monnaie à leurs frais en pièces métalliques (l’écu). Les finances ne s’améliorent pas et certains emprunts lourds tombent à échéance en cette année nouvelle.


Chronologie détaillée de janvier à mars 1792

I – Le mois de janvier 1792


Dimanche 1er janvier :
Dans la journée, les ambassadeurs et ministres plénipotentiaires, le directoire du Département de Seine et Oise, la municipalité de Versailles, une députation de la municipalité de Paris avec le maire à sa tête (Pétion de Villeneuve), et la garde nationale précédée de ses chefs, tous viennent rendre visite à la famille royale et faire leurs hommages pour la nouvelle année. Le maire de Paris refuse de saluer ou de «complimenter» Marie-Antoinette. A ce jour, le cours du papier-monnaie a perdu un tiers de sa valeur d’origine, pour ce qui valait 100 assignats, ce jour, la somme s’échange à 67 livres et cinq sous (ou sols). Ce jour, l’Assemblée n’a pas siégé. Ailleurs dans la capitale, Marat fête ses fiançailles avec Simone Evrard, il a depuis le 15 décembre cesser de faire paraître L’Ami du Peuple et il va partir environ six semaines en Angleterre, sans que l’on dispose des dates précises ou exactes.

2 janvier : A l’Assemblée nationale, suite à un rapport de M. Gensonné (proche de Brissot), la Législative décrète un arrêté contre les frères du roi, le prince de Condé, MM. de Calonne, Mirabeau le jeune (mais son aîné ou cadet de son père, il s’agit de l’oncle d’Honoré Gabriel Riquetti décédé) et M. de la Queille. Ils sont considérés comme « prévenus de conspiration contre le salut de l'Etat et la Constitution », et ils sont renvoyés devant la Haute Cour nationale de Justice d’Orléans. Il est aussi décrété que « tous les actes publics, civils, judiciaires et diplomatiques porteront l’inscription  l’Ere de la Liberté » et celle-ci à débuter en janvier 1789 et non le 14 juillet, nous sommes donc en l’an IV sur la base du calendrier grégorien en vigueur encore pour quelques mois. Se met en place un « directoire des Postes », bien que le secret ou le viol des correspondances soit condamné au sein du code pénal depuis le 25 septembre 1791, cet organisme d’état touchant à la circulation des courriers est rattaché aux attributions du ministère de l’Intérieur. Aux jacobins, Robespierre prononce un  discours contre la guerre (Lire les extraits du texte), le premier étant dit le 12 décembre de l’année précédente, une nouvelle déclaration dans le même sens aura lieu le 11 (ou le 12 janvier pour Jules Michelet) et puis d’autres suivront… Au port du Havre, Chateaubriand après un séjour en Amérique du Nord est de retour.

3 janvier : A Bordeaux, les citoyens de la société des Amis de la Constitution ont décidé la fabrication de 3.000 piques et ses membres écrivent au club des Jacobins de Paris, saluant le journaliste Jean-Louis Carra, apologiste de l’armement et de la résistance populaire dans le journal les Annales patriotiques et littéraires de la France et surnommé le « petit Mercier » en référence à Louis Sébastien, son directeur ou employeur. Carra dit « le roi de Pique » est surnommé ainsi pour avoir été le premier à les prescrire comme instruments de défense citoyenne. Il sera un des acteurs clefs du 10 août 1792 et deviendra député en septembre à la Convention. A la Législative, Lazare Carnot élu et député du Pas-de-Calais et siégeant au centre (Marais), intervient en demandant la démolition de la prison de Perpignan. Il se plaint du mauvais accueil et conclu par « Je demande donc la destruction de toutes les bastilles du royaume. (murmure). Les Français de 1792 ne ressembleraient-ils pas aux Français de 1789? ». Il sera à la suite de son intervention l’objet de moqueries. Carnot dit « l’aîné » à la chambre basculera du côté des Montagnards à la Convention.

4 janvier : A l’Assemblée, il est décrété d’urgence, « qu’il sera procédé de suite sous la responsabilité du ministre des contributions publiques et sous la surveillance du Comité des Monnaies et des Assignats » à la fabrication d’assignats : pour 40 millions de 10 sous, 60 millions de 15 sous et (deux fois) 100 millions de 25 sous et de 50 sous (300 millions en tout de petites coupures).  A Paris, aux Jacobins, le journaliste Carra défend l’idée dans le cas d’une nouvelle fuite de Louis XVI de mettre un prince anglais sur « le trône constitutionnel ». Il est un proche de Louis Sébastien Mercier (écrivain, rédacteur en chef et publiciste), d’abord considéré comme proche de Lafayette avant Varennes. Mercier sera tenté par un rapprochement avec Robespierre, puis il rejoindra les bancs "girondins".

5 janvier : Antoine Barnave, l’ami des planteurs et sucriers coloniaux retourne à Grenoble pour écrire son : Introduction à la Révolution française. A l’Assemblée, Georges Couthon élu du Puy de Dôme et furtur ami et allié de Robespierre intervient sur le Haute Cour nationale de Justice, le député du Var, M. Isnard se prononce à nouveau en faveur de la guerre, des extraits de son intervention :




M. Maximin Isnard, « J'ai l'honneur de vous demander la parole pour une motion d'ordre public, très importante dans les circonstances présentes. (L'Assemblée décide que M. Isnard sera entendu.). Messieurs, tandis que l'Assemblée nationale se laisse comme entraîner au courant des événements et des affaires, et qu'elle néglige, un peu trop sans doute, de se livrer aux méditations de la prévoyance, si nécessaires dans un temps de Révolution, je veux fixer ses regards sur les dangers qui menacent la patrie, sur la nécessité de réunir dans un même esprit tous les citoyens de la France et tous les membres de cette Assemblée. (Applaudissements.)

Une guerre est près de s'allumer, guerre indispensable pour consommer la Révolution, mais qui peut incendier l'Europe entière.

Les politiques pensent que telle est la position des puissances étrangères, qu'il suffira de nous mettre en attitude de les combattre, pour qu'elles n'osent nous attaquer. On vous a dit que Léopold ne veut que nous intimider, que sa politique lui défend la guerre. Eh! Messieurs, la première politique des empereurs c'est d'étouffer la liberté des peuples.

On vous a dit qu'il craindra l'inexorable histoire ; croyez qu'il craint bien plus notre déclaration des droits de l'homme et les pages de la Constitution française. J'avoue que l'intérêt des rois serait de nous laisser en paix ; mais l'orgueil peut égarer les rois ; nos ambassadeurs les trompent sans cesse sur l'état de la France. Peut-être aussi la Providence veut qu'ils courent eux-mêmes à leur ruine pour hâter la liberté des peuples. Quant à moi, je crains que l'état actuel de l'Europe ne ressemble à la tranquillité menaçante de l'Etna. Le silence règne sur la montagne, mais en trouverez-là tout à coup et vous trouverez le gouffre de feu, les torrents de lave qui préparent les éruptions prochaines ; de même, si vous déchiriez à l'instant le voile qui cache tous les secrets des cabinets de l'Europe, vous y verriez une coalition secrète de tous les grands ennemis de la liberté des peuples, des plans d'iniquité que l'on combine, de longues guerres que l’on prépare, et des trahisons de tous les genres que l'on médite.

Mais, Messieurs, quels que soient le nombre, les projets, les moyens de nos ennemis, nous en triompherons si nous parvenons à éviter les dissensions intestines. (Applaudissements.) Le peuple Français est invincible s'il reste uni ; avec de l'union, il parviendrait plutôt à rendre tous les autres peuples libres, que ceux-ci ne parviendraient à le remettre aux fers. Malheureusement, cette union si nécessaire est altérée, et surtout dans les départements. C'est là une vérité dont il vaut beaucoup mieux nous occuper, pour en prévenir les suites, que de se la dissimuler plus longtemps ; jetons enfin un coup d'œil réfléchi sur la situation des esprits en France. »
Source : Bib. de Stanford, Archives Parlementaires

6 janvier : A la Législative, Antoine Valdec de Lessart, ministre des affaires étrangères communique la pièce d’un « office de l’électeur de Trèves » (évêque et gouverneur des Pays-Bas Autrichiens). Il est fait état « de dissoudre tous les corps de l’armée des émigrations et punir les recruteurs », cet écrit est une manipulation en pleine concertation entre Louis XVI avec Léopold II pour l’Autriche et les princes allemands du Saint Empire. Cette pièce est renvoyée devant le comité diplomatique de l’Assemblée. Le ministre est cependant contre la guerre et il est très mal accepté, depuis qu’il a été contrôleur général des impôts en 1790, puis à différents postes ministériels. Les échanges du roi par intermédiaires ou courriers, ses choix stratégiques ne seront connus publiquement que dans quelques mois, quand sera découverte sa correspondance secrète. L’objet est d’agir au bon moment, c’est-à-dire mentir sur l’essentiel et attendre pour faire entrer les troupes étrangères et rétablir l’autorité royale face à « l’anarchie ». Une missive en six points atteste un plan de reprise en main qui ne verra jamais jour. Néanmoins la propagande royaliste plus que jamais est en œuvre. (Sources Archives Parlementaires). Aux Jacobins trouve à son ordre du jour l’examen d’une demande d’adhésion d’un membre venant des feuillants, le marquis de Girardin, il a déjà été refusé aux Cordeliers pour des raisons similaires. Collot-d’Herbois et Robespierre s’opposent à toute admission venant de cette société et demande le rejet des amendements de M. Marc David Lasource (futur député) favorable à l’audition, même Guadet, critique « l’attitude antipatriotique » des Feuillants (selon Ernest Hamel), la motion est adoptée. 

8 janvier : Dans le Pas-de-Calais, à Saint-Omer ont éclatés lors d’un transport de grains(selon les Annales patriotique, en date de ce jour et donc antérieur). Pour le périodique de 4 feuillets, il s’agit « d’une fièvre insurrectionnelle » et annonce la mort d’un homme et de quatre personnes blessées, dont un femme considérée comme la meneuse et suite à l’intervention du 22e régiment. Un courrier du ministre de l’intérieur concernant l’affaire est envoyé au comité de surveillance de l’Assemblée. Le ministre Claude Cahier de Gerville fut nommé en novembre 1791. Il démissionnera en mars. A Verdun, lors de la tournée de Lafayette dans la région, deux régiments, celui des dragons installés en ville et un autre de grenadiers provenant du Poitou vont s’opposer pendant deux jours, le sang coule. Le général  parvient à rétablir l’ordre seulement après avoir ordonné le départ des soldats poitevins.

9 janvier : En guerre depuis 1789, la Porte Ottomane de Sélim III et la Russie de la « Grande Catherine » signent la Paix de Jassi en Moldavie. La Turquie concède le littoral jusqu’à la mer Noire, et elle perd la Crimée comme territoire. A Watten (département du Nord), des femmes et des enfants se regroupent autour des bateaux et les attroupements se poursuivent les jours suivants. Le 13, les embarcations seront pillées et les  émeutes reprendront les 23, 24 et 25 janvier.

10 et 11 janvier : A la Législative, l'acte énonciatif des crimes du roi est présenté. Le lendemain, Louis XVI se présente à la barre et choisi comme défenseurs : MM. Tronchet, Malesherbes et de Séze. Le ministre da la guerre M. Narbonne, « de retour de son voyage, présente à l'assemblée un rapport sur l'état des frontières. Depuis Dunkerque jusqu'à Besançon, l'armée rassemblait 240 bataillons et 160 escadrons, avec l'artillerie nécessaire pour 200.000 hommes. Il précise :
« Les magasins tant en vivre qu'en fourrage, assurent  la subsistance de 230,000 hommes et 22,000 chevaux pendant six mois ; ils ont travaillé avec la plus grande activité à les augmenter encore. - Indépendamment des effets de campement qui se trouvent dans les places frontières, il en sera incessamment rendu, dans les magasins de seconde ligne, pour 100,000 hommes. - 8,000 chevaux sont déjà rassemblés pour le service de l'artillerie et des vivres; on travaille au rassemblement de 6,000 chevaux des mesures sont prises pour compléter le nombre nécessaire aux différents services de l'armée,et la construction des caissons et attirails qu'ils entraînent est en grande partie terminée (…). Enfin, il annonce : « qu'il a chargé M. de Lafayette de visiter les places des départements où il commande. » Ce rapport est un canevas de mensonge, la supercherie sera dévoilée plus tardivement par Lafayette et Dumouriez, et ni l’un ni l’autre ne souhaitaient vraiment la guerre, qu’ils qualifièrent de « guerre d’observation ». M. Narbonne lors de son « voyage » a surtout rencontré à Metz le général Lafayette et le maréchal Rochambeau dans l’optique d’un enlèvement du roi et de changements dans la constitution, et visant à séduire l’autre maréchal, M. Luckner, les deux plus hauts gradés de l’armée ayant été nommés depuis peu de temps à ces postes. La presse va tenir une place importante pour mettre à connaissance ce stratagème, le journaliste Prud’homme publiera la nature du stratagème dans son journal « les Révolutions de Paris ». Le 11, aux Jacobins, une nouvelle intervention sur la guerre: « Arrive le Doge in fieri de la République Française, Mons. Robespierre, qui, toute réflexion faite, veut aujourd'hui la guerre, à condition toutefois qu'on commencera par exterminer les conspirateurs et les tyrans de l'intérieur ; cela fait ; marchons à Léopold... Si cette condition n'est pas remplie, je demande encore la guerre, non comme un acte de sagesse et de prudence, mais comme la source du désespoir... » (Source : Retronews-Bnf, La Rocambole des Journaux, n°5, page 73, tome III) A l'Assemblée M. Narbone déclare aux députés que le « principe qui vous interdit toute conquête, (...) est un des plus beaux titres de la constitution à l'amour des peuples », en ajoutant qu'« il a pu en coûter, peut-être, d'être d'un parti tout-puissant, alors qu 'il pouvait abuser de sa force; mais on nous menace d'un assez grand nombre d'ennemis pour faire cesser ce scrupule ».

12 janvier : Près de Bapaume (Nord) et Valogne (Normandie) la présence de curés non assermentés provoquent des troubles. A Arles et ses environs les tensions sont fortes depuis plusieurs mois entre royalistes et patriotes, un prêtre et son domestique sont tués.

13 et 14 janvier : A Paris au couvent des Jacobins Collot-d'Herbois informe d’une lettre « reçue des soldats de Châteauvieux, écrite sur les bancs des galères, par laquelle ces malheureux militaires protestent de leur civisme le plus ardent ». Il s'étonne que le décret rendu le 31 décembre 1791 en faveur de ces militaires ne soit pas encore effectif ; « Hier, messieurs, j'ai vu la liste des décrets sanctionnés, et j'ai vu avec surprise que le décret sur les assignats de 10 à 15 sols était sanctionné et que celui rendu en faveur des soldats de Châteauvieux ne l'était pas. Vous voyez, messieurs, combien cette conduite est injuste et inhumaine ». Lors de la même séance, Robespierre attire l'attention de la Société sur l'importance de la séance de l'Assemblée législative du 20 janvier dont l'ordre du jour appelle l'examen des relations de la France avec l'empereur Léopold II. A la Législative, il est voté une loi supprimant la censure sur les pièces de théâtre. M. Gensonné lit un rapport sur l’état de la France et réclame une action vigoureuse et le respect des traités, il dénonce les intrigues diplomatiques – ce à quoi lui répondent les tribunes « Apprenons aux princes de l’empire, que la nation française est décidée à maintenir sa constitution toute entière ! Nous mourrons tous ici… ». Le lendemain à l'Assemblée, il est  déclaré « infâme, traître à la patrie et coupable de crime de lèse nation, tout agent du pouvoir exécutif (Note : le roi inclus ou désigné en tant que tel), tout Français qui pourrait prendre part, directement ou indirectement, soit à un congrès dont l'objet serait d'obtenir la modification de la Constitution française, soit à une médiation entre la nation française et les rebelles conjurés contre elle ». Cette déclaration est approuvée par le roi le jour même.

15 janvier : A Paris s’organise une rencontre entre Marat et Robespierre, des désaccords apparaissent et le rédacteur de L’Ami du Peuple passe pour trop véhément ou violent dans ses propos. Voilà ce que dira Marat de cette rencontre plus tardivement : « Je n'ai jamais eu avec lui aucune relation directe ou indirecte ; je ne l'ai même jamais vu qu'une seule fois... Le premier mot qu'il m'adressa fut le reproche d'avoir trempé ma plume dans le sang des ennemis de la liberté, d'avoir parlé de corde et de poignards ; il aimait cependant à se persuader que ce n'étaient que des paroles en l'air dictées par les circonstances. – Apprenez, lui dis-je, que mes cris d'alarme et de fureur étaient la naïve expression des sentiments dont mon cœur était agité! Apprenez que, si j'avais pu compter sur le Peuple de la Capitale, après l'horrible décret contre la garnison de Nancy, j'aurais décimé les barbares Députés qui l'avaient rendu! Apprenez qu'après le massacre du Champ de Mars, a si j'avais trouvé deux mille hommes animés des sentiments qui déchiraient mon sein, j'aurais été poignarder le Général au milieu de ses bataillons de brigands, brûler le Despote dans son palais et empaler nos atroces Représentants sur leurs sièges ! » Robespierre m'écoutait avec effroi ; il pâlit, et garda quelque temps le silence. Cette entrevue me confirma dans l'opinion que j'avais toujours eue de lui, qu'il unissait aux lumières d'un sage Législateur l'intégrité d'un véritable homme de bien et le zèle d'un vrai patriote, mais qu'il manquait et des vues et de l'audace d'un homme d'Etat. » (Source : Gallica-Bnf,
Etienne Cabet, Histoire populaire de la révolution, page 538, tome 2, Paris-1839) Le même jour, Chateaubriand se marie avec Céleste de La Vigne-Buisson. A Orléans, la Haute Cour nationale (ou Haute Cour de Justice) informe par ses procurateurs de son installation et de faire suivre les décrets la concernant.

A l'Assemblée, il se présente une délégation du faubourg Saint-Antoine avec à sa tête Clément Gouchon, jacobin modéré et démocrate, une pétition est présentée, signée par 27 personnes

« Les beaux esprits nous parlent encore du Peuple Romain... Il se peut qu'ils eussent notre courage ; mais on nous a dit qu'ils se battoient pour des nobles, pour des serviteurs; et nous, Messieurs, nous ne combattrons jamais pour avoir des maitres, quelque nom qu'on leur donne, roi, sénateurs, re ésentans; nous ne combatrons que pour n'en avoir d'autres que la loi..... Cette morale n'est peut-être pas celle des beaux esprits et de quelques gens riches, mais elle est la nôtre... Au reste, elle ne doit pas être si mauvaise... On dit que rien n'eſt beau comme la nature... Or, sans doute, les sentimens que nous exprimons sont bien naturels, car ils sont gravés dans nos coeurs.

Voici, Messieurs, nos pétitions. Nous demandons :

1°. Que les braves Gardes françaises ne quittent jamais la capitale, et soient toujours assurés de trouver auprès de vous justice et protection.

2°. Que vous nous donniez au plutôt des écoles primaires, et que le comité de l'instruction publique soit obligé incessamment de faire son rapport.

3°. Que l'on fasse exécuter les décrets de l'Assemblée nationale, relatifs à l'éducation du prince royal. (Ndr : le dauphin, Louis XVII). Puisque la Conſtitution veut un roi elle doit vouloir qu'il ait des vertus et des connaissances.

4°. Que le comite ́de surveillance se fasse remettre le procès-verbal du bureau de police, relatif à la distribution d'argent pour corrompre les tribunes de l'Assemblée nationale.

5°. Que le comité des finances et du pouvoir exécutif soient tenus de presser ia fabrication des petits assignats.

6°. Que le comite ́des pétitions veuille bien examiner la nôtre, et vous en rendre compte au plutôt.

Nous demandons enfin que les Représentants du Peuple Français se rappellent toujours que la déclaration des droits de l’homme est la base de la Constitution. »

Gouchon organe de la députation

Source : Bib. de Stanford, Archives Parlementaires


16 janvier : A l'Assemblée, la garde rapprochée de Louis XVI est supprimée et remplacée par une nouvelle, dite « constitutionnelle ».

17 et 18 janvier : En Italie, la flotte française de Toulon bloque Naples et oblige le roi Ferdinand IV à accepter les volontés françaises, en contrecoup un club jacobin est créé sur place. A l'Assemblée Brissot appelle à déclarer la guerre à l'Empereur d'Allemagne. Le futur maréchal d’Empire Soult est nommé instructeur au sein du 1er régiment de volontaires du Haut-Rhin comme sous-lieutenant. Il s’était incorporé comme simple soldat en 1785. En Alsace durant le cours du mois de janvier, la reconnaissance des Juifs comme citoyens est mal accueillie et fortement contestée. Le lendemain, à l’Assemblée, Le comte de Provence (futur Louis XVIII) est déchu définitivement de ses droits à la régence.

20 janvier : A Paris, le second substitut du Procureur Syndic de la Commune, Georges Danton (ci-contre) lors de son installation fait une allocution faisant son apologie et voulant répondre « aux calomnies » le concernant. Ce dernier ralliant par ailleurs les brissotins, selon Albert Mathiez et déclare à leur intention, tout en rompant sur les positions anti-guerre de Camille Desmoulin et de Robespierre. « Oui, Messieurs, je dois le répéter : quelles qu'aient été mes opinions individuelles, lors de la révision de la Constitution, sur les choses et sur les hommes, maintenant qu'elle est jurée, j'appellerais à grands cris la mort sur le premier qui lèverait un bras sacrilège pour l'attaquer, fût-ce mon frère, mon ami, fût-ce mon propre fils ; tels sont mes sentiments! » (Source : Danton et la Paix - A. Mathiez - Renaissance du Livre - 1919)

Aux Jacobins, Jacques Brissot prononce son troisième discours sur la nécessité de la guerre, le deuxième datant du 18 et prononcé devant la chambre des députés, où il siège (à lire en première partie). Brissot dans sa Nécessité de la guerre demande à Robespierre de dépasser leur différend sur la question. Dusaulx (député à la Convention et homme de lettres) lors de la séance pousse Robespierre et Brissot à se faire une accolade, en gage d'amitié et d'estime. Ils le font au milieu des applaudissements et Robespierre exprime son sentiment fraternel. Il précise qu’il répondra à l’intéressé. En retour, Le
Patriote Français, organe de presse appartenant à Brissot, du 21 janvier et le Courrier des 83 départements du 22, en rendant compte des débats, ces organes de presse tentèrent de faire croire que Robespierre était devenu favorable à la thèse de Brissot. Robespierre adresse une lettre au Courrier des départements, deux jours après pour publication : « Je serai le premier à donner à M. Brissot toutes les preuves de l'attachement fraternel qui me lie aux citoyens qui serviront bien la patrie; il n'aura point à ce titre d'ami plus sincère que moi; mais son opinion sur la question actuelle laisse encore quelque chose à désirer; je demande à suppléer à ce qu'il n'a pas dit, et à combattre ce qui me paraîtra contraire à mes principes. Je saurai concilier, dans cette discussion, les sentiments de fraternité que j'ai voués à M. Brissot avec ce qu'exige le bien public. » (Source : Œuvres de Robespierre, tome VIII – PUF 1954)

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LA CRISE DU SUCRE


« Le régime de liberté économique, institué par la Constituante conformément aux doctrines des physiocrates, fut mis à une rude épreuve dès l'hiver 1791 à 1792, avant même que la guerre fût déclarée entre la Révolution et l'Europe. Deux crises éclatèrent coup sur coup : crise du sucre, crise du pain, la première limitée à Paris, la seconde étendue à toute la France. L'une et l'autre manifestèrent sous l'antagonisme des partis l'antagonisme des classes, sous la diversité des doctrines le désaccord des intérêts. On vit pour la première fois les éléments avancés du parti populaire, ceux qui formeront plus tard le parti Montagnard, réclamer comme une protection, timidement d'abord, avec plus de hardiesse ensuite, le retour à la vieille réglementation monarchique que la bourgeoisie révolutionnaire avait abolie deux ans plus tôt. Sans doute, la législation libérale resta debout provisoirement, mais déjà elle avait perdu sa vertu aux yeux des foules. Les Girondins furent pris entre les intérêts de la bourgeoisie qui leur commandaient de défendre la liberté économique et les soucis de la lutte politique qui leur faisaient une loi de ménager le peuple, dont l'appui leur était nécessaire contre les Feuillants et la Cour. Dans cette position contradictoire, ils ne purent calmer l'agitation qu'au moyen de palliatifs et de diversions, au nombre desquelles fut la guerre elle-même.»

Albert Mathiez, La vie chère et le mouvement social sous la Terreur, tome I et chapitre 1



20 au 24 janvier : A Paris, le café et le sucre sont très prisés, dans toutes les sphères de la société et produits dans les colonies. La France à ce sujet est le premier producteur et exportateur dans le monde de sucre, Saint-Domingue et ses plantations fournissent 50% des besoins ou ventes à l’export. Ce sont dans les ports de Bordeaux, de Nantes et du Havre qu’est acheminé le sucre brut pour être raffiné et réexporté (et doublant au moins son prix et vendu aux particuliers à la livre). La population française ne consommait alors qu’un huitième de la production, bien moins que les Britanniques, la Grande-Bretagne étant le deuxième pays à l’international sur le marché. (Selon Albert Mathiez, qui a consacré un chapitre à la crise du sucre de janvier 1792). L’explosion des prix, sous le prétexte des révoltes (réprimées et son meneur Vincent Ogé mis à mort sur la roue) dans les plantations de Saint-Domingue l’année passée, donne lieu à une spéculation entraînant une forte hausse des prix.


Représentation
de Mr Sans-Culotte


Pour ce qui est considéré déjà comme une denrée de base, les plantations sucrières sont indemnes et à Paris les entrepôts sont pleins. Le Parisien, le matin sans son bol de café et son contenant pris avec sa dose de lait (le café crème) s’en prend à ceux qui font commerce d’un produit, dont les stocks ne manquent pas, mais qui sous le coup du marché se voit fluctuer dans ses excès sur de fausses affirmations de destruction des récoltes. On peut estimer qu'environ 450 grammes de sucre représentait près d’une journée de travail d'un ouvrier, l’augmentation du mois de janvier fut de l’ordre de 30% de son prix (de 24 à 30 sols la livre selon Prudhomme).

A l’assemblée, la spéculation sur le sucre provoque d’abord une intervention de l’abbé Fauchet  sur les églises vendus au titre des biens nationaux servant des lieux de stockage (Sainte Opportune, Saint-Hilaire et Saint-Benoît). Des pillages d’épiceries dans la capitale et la colère monte au sein des sections ou districts les plus populaires comme celle, du Temple en rive droite, ou les Gravilliers voisines ou officie depuis peu un certain Jacques Roux, prêtre assermenté originaire de l’Angoumois et ancien professeur de philosophie. Le 23, la section des Gobelins s’adressant à l'Assemblée dénonce : « De vils accapareurs appellent la force publique pour défendre leurs brigandages... C'est l'agiotage insatiable qui renferme les trésors de l'abondance pour ne nous montrer que le squelette hideux de la disette ».

En général les motions font l’objet d’une publication et d’un envoi à toutes les sections parisiennes. « Commémoration des morts de la Chapelle près de Paris : Mardi, 24 janvier, les amis de la constitution et plusieurs sociétés patriotiques commémorent l’anniversaire du meurtre commis il y a un an contre deux citoyens de la municipalité de la Chapelle, tués par des chasseurs de la garde nationale (en débat aux Jacobins le 18). L'évêque Fauchet fit l’office, il « prononça une courte harangue qui fit impression, et versa le baume de la consolation dans le cœur des veuves et des orphelins qui eurent tous les honneurs de cette cérémonie touchante. On devait une autre satisfaction à la mémoire des malheureuses victimes. Tant qu'on se concernera de gémir sur les opprimés, il y aura des oppresseurs. » (Source : Gallica-bnf, Louis-Marie Prudhomme, Les Révolutions de Paris, n°133)

25 janvier : En Grande-Bretagne à Londres la première association ouvrière est créée, elle se nomme la « London Corresponding Society ». Elle réunira quelques 3.000 membres. A la Législative, après avoir écouté Brissot, Condorcet, Vergniaud, à l’instigation de Marie Jean Hérault de Séchelles, il est décrété que Louis XVI ne traitera avec aucune puissance, au nom de la Nation française. L’empereur Léopold II (Autriche, Hongrie et Saint Empire Germanique) est sommé de répondre avant le 1er mars, et confère au roi de préparer la guerre. A Paris, de nouveau Robespierre s’exprime sur la guerre, il s’agit de son troisième discours, mais n’arrive pas à rassembler une majorité aux couvents des jacobins. Son discours est néanmoins publié et envoyé à tous les clubs et sociétés jacobines de France. « Je demande que l'on change de discussion, que ceux qui désirent la guerre posent une série d'arguments sans art et sans éloquence, je répondrai de la même manière ; je vous offre de discuter froidement afin de savoir quel est le meilleur. »

26 janvier : Aux séances des Jacobins, c’est un nouvel échange et différent entre M. Lasource et Robespierre sur le contenu de l’ordre du jour, l’un souhaite parler finances publiques, l’autre se tient à ce qui est prévu et concernant le sujet de la guerre. Aux Jacobins, Danton s’oppose à la motion d’un proche de Robespierre, M. Doppet demandant une garde de protection pour l’Assemblée nationale. Danton déclare : « Je suis surpris, dit-il, que cette société s'égare au point de désirer une garde particulière pour l'Assemblée nationale ; il viendra un temps où les baïonnettes n'éblouiront pas les yeux des citoyens ; car, Messieurs, en parcourant l'Angleterre, on ne voit des baïonnettes que dans le lieu qu'habite le pouvoir exécutif de ce pays. Voilà ce que peut la liberté : c'est que tout citoyen puisse commander sans armes au nom de la loi ; voilà le terme de la liberté. » La motion est minoritaire et rejetée.

27 janvier : En Seine-et-Marne, le Directoire du département pousse les contribuables à s’acquitter de leurs impôts et se voit considérer comme traître à la patrie « quiconque oserait vous donner le conseil perfide de différer d'acquitter vos contributions ». A l’Assemblée, le Maréchal Rochambeau nommé le 28 décembre vient remercier les parlementaires pour ses étrennes…

28 janvier :
A Saint-Domingue, les esclaves se révoltent et engagent une offensive sur la ville du Cap (partie Haïtienne).

29 janvier : A Nantes, malgré le veto royal, le Directoire de Loire Inférieure prend un arrêté contre les prêtres. A Paris, devant l'Assemblée, des membres de la section de la Croix-rouge, présentent une pétition « pour punir les monopoleurs égoïstes qui, par leurs spéculations criminelles, sont les premiers et les seuls artisans de la calamité publique de ce surhaussement pour calomnier la Révolution.». Ses membres déclarent renoncer à l'usage du sucre et du café. M. Broussonnet, élu de Paris et botaniste observe que : « La délibération qui vient d'être lue sera un exemple de plus que les pauvres auront donné aux gens riches, et il importe que ces exemples se multiplient et obtiennent une grande publicité. Il n'y a que les gens riches, ceux-là précisément qui peuvent acheter le sucre et le café à quelque prix qu'ils soient. (L'Assemblée décrète l'impression et l'envoi aux 83 départements) ». Un réfugié et propriétaire à Saint-Domingue, le sieur Bouret de la partie Sud « se présente à la barre en tenue de prisonnier » et fait appel au concordat du 11 septembre. Dans le procès-verbal, il est rapporté qu’« il fut arrêté, conduit dans les prisons de Cayes et, par un ordre arbitraire du commandant militaire de cette province, embarqué de force sur un bâtiment qui faisait voile pour Nantes, laissant ses propriétés à la merci de quiconque voudra s'en emparer. Il n'a éprouvé ce traitement inique que pour s'être mis à la tête de 200 citoyens blancs qui demandaient l'approbation du concordat et pour s'être toujours montré attaché à la cause de la Révolution. » La pétition est renvoyée aux comités : colonial et des secours publics ; et le sieur Bouret se voit accorder « les honneurs de la séance » par le Président. Il est aussi discuté des passe-ports et des articles du décret d’application. Un nouveau décret est pris pour accélérer la mise en route du tribunal national d’Orléans et « faciliter ses opérations » comme cours de justice des crimes commis contre l’état. Le lendemain, il est décidé en urgence un décret relatif « aux fabricateurs de faux assignats » en trois points ou articles et renvoyant le problème aux départements compétents pour les affaires de police et de justice. (Source : Bib de Stanford, Arch. Parl., Tome 38, du 29/01 au 21/02/1792)

31 janvier : A Paris depuis 3 ans, le Carnaval est interdit, il aurait dû commencer ce jour et durer sur une période de trois semaines. L’on remarquera de plus en plus de citoyens portants des piques dans les rues de la capitale. Durant le mois de février commenceront à sortir les bonnets phrygiens (ou bonnets de la liberté). Plus qu’un effet de mode, il s’agit de se distinguer politiquement et apparaît ceux que l’on va nommer les « sans culottes », un qualificatif trop vague et aux ressorts sociaux complexes et prenant souche dans la toute petite bourgeoisie parisienne.



Légende : Messieurs Pétion, Derue  et Brissot tous les trois bons bourgeois de Chartres
 Arrivant à Paris pour le bonheur de cette capitale


II - Le mois de février 1792


1er février : A l'Assemblée législative s’est ouvert un débat depuis le 24 janvier sur la question de la détention d’un passeport pour les citoyens français. Il s’agit plus d’une pièce nationale d’identité pour des questions intérieures, bien que le document repose de même sur le franchissement des frontières et concernant en toute circonstance les voyageurs. Depuis l’approbation de la Constitution et en raison du droit à la libre circulation des citoyens (déclaration des droits de l’Homme), le passe-port avait été aboli pendant quelques mois. La Législative décrète en ce jour l’obligation de détenir un « passe-port » pour circuler en France et de l’obligation de présenter ses papiers aux gendarmes ou gardes nationales. Sous peine pour les contrevenants d’être arrêtés. Pour la capitale, cette mesure va jouer un rôle important, si les barrières d’octroi ou péages ne sont plus, la surveillance des entrées et sorties reprend ses droits. Elle s’amplifiera à face à la menace étrangère et aussi interne. Paris connaîtra en septembre un grand huis-clos et le décret sera promulgué le 28 mars. Dans le même temps s’engage un débat sur la nature des papiers et sur le timbre fiscal.

2 février : Russie, la grande Catherine fait publier un manifeste « contre les principes des révolutions de France et de Pologne ».

4 et 5 février : La Législative décide de l’émission des assignats de 25 livres sur papier blanc de 13 sur 18 pouces de largeur et décrète sa fabrication, auprès de l’imprimeur (et éditeur) Firmin Didot. Le lendemain, sous la présidence de M. Guadet, celui-ci propose à la barre la venue de MM. Laplace, savant, Goldoni et Favart, dramaturges, la chambre approuve leurs parutions « sur-le-champ ». C’est M. Pierre-Simon Laplace (astronome et mathématicien), qui prend la parole : « Messieurs, trois hommes de lettres, plus qu'octogénaires, viennent réclamer la justice de l'Assemblée nationale, au nom de la littérature dramatique. Vos prédécesseurs ont senti, Messieurs, qu'il ne saurait exister de propriété plus immédiate et plus sacrée, que celle de la pensée, cette partie de nous-mêmes, cette première faculté de l'espèce humaine. » (…) Nous, « nous abandonnons avec confiance à l'équité des législateurs la cause de plusieurs citoyens qui, durant le cours d'une vie laborieuse, ont préparé, de tous leurs pouvoirs, le règne des lois et de la liberté. » Le Président, répond à la députation : « Messieurs, s'il est en effet une propriété respectable et sacrée, c'est celle de la pensée ; (…) continuez à l'aimer, continuez, Messieurs, à la servir : après avoir fait chérir la vertu par vos écrits, faites chérir par eux la liberté sans laquelle il n'est point de vertu publique. L'Assemblée nationale vous accorde les honneurs de la séance.
(Applaudissements) ». Plusieurs élus viennent « prêter leurs bras à ces vieillards pour les soutenir, le poids des ans rendant leur démarche pénible, ils les font asseoir parmi eux. (Vifs applaudissements) ». Sinon, il est décidé le remboursement de dettes, dont 3,7 millions pour une dette totale de 120 millions de livres. Un autre intervient pour huit millions pour un total de 80, plus deux autres échéances pour 6 millions, soit un total d’environ, de 17 millions de dettes, elles doivent être épurées en conformité à la loi des tirages au sort des remboursements datant de décembre 1791.

6 février : A Noyon et dans la région (dans l’Oise et la Seine) des troubles de subsistance éclatent, la population se révolte, l’on empêche le départ de quatre bateaux fluviaux chargés de grains. Près de la ville de Choisy-au-Bac, sur l'Oise, un attroupement arrête plusieurs bateaux chargés de grains. Les mariniers sans « lettres de voiture » conforme, les autorités locales usent du prétexte et font décharger les bateaux et porter leur contenu dans les greniers d’une abbaye (d'Ourscamp). Les attroupements les jours suivants vont rassembler jusqu’à 30.000 paysans armés de fourches, de hallebardes, de fusils, de piques, sous la conduite de leurs maires. Le roi dépêchera, pour rétablir l’ordre, le général Gouy d’Arcy (ancien constituant et membre actif du club colonial Massiac) il ne pourra rien faire et rebroussera chemin. A Paris, les élections municipales sont closes, la liste des 76 élus est enfin publiée. La Gazette Nationale ou le Moniteur Universel déplore les lenteurs dans son édition du 8 février. Dumouriez suite à son commandement l’année précédente en Vendée est nommé Lieutenant Général. Il sera nommé général le 17 août.

7 février : Il est signé un traité d’alliance entre la Prusse et l’Autriche concernant la Pologne, ou chaque partie s’engage à ne proposer aucun prince de leur maison sur le trône.

8 février : Dans la Gazette Nationale (ou le Moniteur Universel), le « procureur général syndic du département de la Seine », M. Pierre Louis Roederer annonce par voie de publication le lendemain la mise à connaissance d’une liste de 500 contribuables en retard de paiement d’impôts. Il désigne un nombre important d’aristocrates et s’arroge le droit de pouvoir publier ses articles au sein du journal. Ce qui lui ne vaut aucune protestation de la rédaction. Il est accueilli dans les colonnes comme un « ami de la liberté »… Roederer fut élu le 10 novembre 1791 et il faisait fonction d’interface avec les administrations publiques de l’état et le département de Paris, ou presque l’équivalent d’un préfet. Le « procureur syndic » est une fonction qui n’a rien à voir avec la justice, c’est un administrateur civil et non point un procureur comme nous l’entendons de nos jours.

9 février : A l'Assemblée, il est décrété la mise sous séquestre des biens des émigrés au profit de la nation. Il s’agit de la mise en œuvre de la confiscation des biens des aristocrates en fuite, le flux depuis la fuite de Varennes est continu et progressif. Ainsi pour la capitale, les plus fortunés prirent ou prendront la poudre d’escampette pour l'étranger. Depuis la ré-instauration des passeports, il deviendra plus compliqué de circuler et ralentira le mouvement vers les frontières. Le mouvement put aussi se faire en direction de la Province depuis Paris. Pareillement, l’on peut constater un flux inverse dans les autres sphères sociales, la ville ne perd pas pour autant son attractivité et ses foules.

10  février : Aux Jacobins Robespierre pose la question d’une défense nationale, le sujet des piques va connaître en février et mars, puis en juillet une place importante, notamment la population et les citoyens passifs désarmés face aux gardes nationales réservées aux « actifs » : « Il y a plus d'un an, j'adressai à l'assemblée constituante des propositions dont l'objet était de parvenir à ce but, et de prévenir les inconvénients dont nous gémissons aujourd'hui (L'exercice du droit de paix et de guerre discours du 24 mai 1790). Pour confondre les impostures du ministre de la guerre, qui assurait qu'on n'avait point ou presque point d'armes à donner aux gardes nationales, pour déconcerter le plan de la conspiration ministérielle, je proposai : 1 ° d'interdire, sous des peines sévères, l'exportation de nos armes chez l'étranger, dont tous les départements se plaignaient, au lieu de réprimander les municipalités qui les arrêtaient, sur la dénonciation des ministres, et sous l’absurde prétexte de la liberté du commerce. »

(suite) Je proposai d'ordonner que dès ce moment les municipalités et les corps administratifs des lieux, en présence des citoyens, visitassent les arsenaux et les magasins, pour constater le nombre d'armes qu'ils renfermaient; d'en envoyer les procès-verbaux à l'assemblée nationale, et ensuite de distribuer incessamment ces armes à toutes les gardes nationales de l'empire, à commencer par les départements frontières. Je proposai d'ordonner que toutes les fabriques du royaume s'appliquassent sans relâche à en forger de nouvelles, jusqu'à ce que les citoyens fussent convenablement armés. Je demandai que l'on fabriquât des piques, et que l'Assemblée nationale recommandât aux citoyens cette arme en quelque sorte comme sacrée, et les exhortât à ne jamais oublier le rôle intéressant qu'elle avait joué dans notre révolution. » (en écho de son discours du 18 décembre 1791) : « Il faut avant tout, partout, sans relâche, faire fabriquer des armes ; il faut armer le peuple, ne fut-ce que de piques »).

12 février : En Bretagne à Crozon, le directoire départementale envoi des commissaires pour rétablir l’ordre. Le roi signe le décret d’amnistie de décembre 1791 concernant les soldats de Château-Vieux, qui fut un débat et une campagne menée entre autres par Collot-d'Herbois depuis le couvent des Jacobins depuis le début d’année. De retour en France le comte Axel de Fersen va pendant deux jours séjourner secrètement aux Tuileries, pour projeter une nouvelle évasion de la famille royale, mais il ne convainc pas les intéressés.

A l’Assemblée législative, une députation d’environ douze citoyens du faubourg Saint-Antoine est admise à la barre
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illustration de faubouriens d'après le dessin de Jean-Baptiste Lesueur


Législateurs,


« La patrie est en danger et nos ennemis sont dans notre sein : la Constitution est notre bouclier, la vérité notre boussole. Recevez l'offre que vous présentent des hommes qui ont renversé l'idole des préjugés et qui veulent le règne de l'égalité.

Législateurs, nous venons demander le règne de la justice et de la soumission aux autorités constituées. Les Catilina sont armés, l'abîme est ouvert, le sang coule, le peuple est à bout, le tocsin ministériel sonne l'alarme. Plusieurs administrations le secondent, particulièrement celle de Paris. Ce sanctuaire des lois doit être le tombeau du peuple français et de ses plus zélés défenseurs; nous venons vous offrir nos armes et notre sang (Applaudissements.); nous n'avons que des piques et nous vous les offrons : parlez, nous voulons vous défendre et nous voulons vous garder.

Législateurs, nous connaissons nos droits et la perfidie de nos ministres; ces conciliabules où l'on ne se propose rien moins que d'incendier l'Empire, n'épouvantent en rien les enfants de la liberté. Elevez-vous, législateurs, à cette sublime dignité qui convient aux représentants d'un peuple qui a conquis sa liberté et que la mort ne pourra lui ravir.

Exécutez votre décret du 14 janvier et faites sortir le glaive de la responsabilité sur le premier fonctionnaire public, comme sur le dernier. (Applaudissements.) Frappez, il est temps, ou nous voyons l'Empire perdu. L'ennemi lève une tête altière, les accaparements se multiplient surtout, les émissions de petites caisses sont sans garantie ; le peuple paye tout plus cher que jamais. Les ministres vous en imposent et les deniers publics sont pour acheter les armes et les scélérats qui doivent, au même signal, former une attaque générale pour mettre le peuple au désespoir et le forcer, par la famine, le fer et le feu, à vivre en esclave ou de mourir d'inanition.

Législateurs, surveillez les Tuileries ; il existe plus d'un cardinal de Lorraine; Montmédy n'a pu s'assoupir dans le sang des patriotes. Le 4 août est disparu et le 17 juillet reparaît sous différentes formes, en attendant qu'il puisse être le signal d'un massacre général.

Législateurs, le réveil du lion n'est pas loin. Nous sommes prêts à purger la terre des amis du roi et de le contraindre lui-même à ne plus nous tromper. Nous voulons être libres, nous l'avons juré; des hommes du 14 juillet ont renversé les bastilles et ne jurent pas en vain. Rendez à cette cité nos braves gardes françaises, recevez nos piques et notre dévouement pour faire respecter la volonté générale. C'est ce qui peut sauver l'Empire et ce que des enfants de la patrie peuvent vous offrir et déposer dans le sein des représentants d'un peuple souverain. (Applaudissements.) »

Cette motion est reconnue favorable et incorporé au procès-verbal de l’Assemblée.
Source : Bib. de Stanford - Archives Parlementaires


13 février :  Louis XVI dans une lettre adressée à l'Assemblée, il proteste contre les rumeurs de son départ prochain. A Montlhéry, la population saccage les magasins des marchands de grains. A Saint-Omer, la foule se rassemble et demande la libération des prisonniers incarcérés depuis la fin décembre, ou des heurts s’étaient déroulés, et l’ordre rétabli. Il ne sera pas possible de disperser les foules, des bateaux et charrettes sont pillés, une potence ornée d’un bonnet rouge, qui avait été montée pour faire pour faire peur aux agitateurs est détruite.

14 février : A Dunkerque, les magasins du port sont pris d’assaut et pillés. La municipalité fait appel à la force armée et proclame la loi martiale : 14 tués et 60 blessés. L’émeute reprendra les jours suivants et durera deux semaines, des navires bloqués seront déchargés et redistribués, l’armée refusera d’intervenir, laissant faire. A Paris, Robespierre démissionne de son poste d’accusateur public.

15 février : Au Maroc, Moulay Slimane, fils de Mohammed III devient Sultan. Aux jacobins Robespierre explique la nature de ses fonctions comme accusateur public au sein du Tribunal criminel du département de Paris, le jour de son installation. « La loi confie à des citoyens choisis, selon les formes qu'elle a déterminées, le soin de prononcer si les citoyens accusés ont commis le crime qui est l'objet de l'accusation ; c'est ce qu'on appelle le juré de jugement. Elle établit un tribunal, composé d'un président et de plusieurs juges, pris alternativement dans les tribunaux de district, pour appliquer la peine que la loi prononce contre le crime dont l'accusé a été déclaré́ coupable par les jurés (…) L'accusateur public ne peut donner la première impulsion à la justice. Ce sont les officiers de police qui sont chargés de recevoir les dénonciations et de les porter au juré d'accusation; ce n'est qu'après que ce juré a prononcé, que commence le ministère de l'accusateur public. » En plus l’accusateur fait office de procureur, et Robespierre défend âprement le rôle des jurés.

18 février : A Béthune, les soldats se révoltent et refusent d'obéir à leurs gradés.

19 février : Les comptes publics ne sont pas brillants, le Trésor National ne dispose en caisse que de 60 millions de livres dans ses réserves.

20 février : A Metz, des citoyens juifs sont exclus de la garde nationale. A l’Assemblée, une députation de la Commune de Marseille est admise à la barre. Celle-ci dénonce les agissements contre-révolutionnaires du directoire des Bouches-du-Rhône.

22 février : Aux Jacobins, depuis le 15 février, l’on a appris la scission de la Société de Strasbourg, Robespierre présidant les séances avait demandé de plus amples informations, les débats restent confus malgré la réalité d’un départ politique, il est cherché plutôt l’apaisement et d’avoir pour la presse des messages positifs. Billaud-Varenne est chargé d’examiner les pièces. Autre sujet abordé et pour la deuxième fois. Un décret pourrait interdire aux députés d’appartenir à une Société. Selon François Chabot cette motion peut l’emporter. Antoine Merlin de Thionville, député de la Moselle appelle les membres à jurer qu’aucune mesure ne les fera abandonner le club et trouve le soutien de Robespierre. A la fin de la journée, il est demandé par M. Mandouze « un scrutin épuratoire des membres de la Société », cette question est rejetée par le président et ses membres.

23 février : A Beauvais, les troupes appellent à la raison la population ne voulant pas laisser partir les convois de grains.

24 février : A la Législative un nouveau décret est pris contre les fabricants de faux assignats. Aux Jacobins, Billaud-Varenne envoyé au comité de correspondance pour prendre connaissance du dossier de l'affaire de Strasbourg, découvre une circulaire du 15 non soumise à l’approbation.  Le 22 février, il avait protesté́ contre cet abus, le sujet fut renvoyé à un autre jour. Il s'agissait d'une circulaire sur la guerre peu objective. Le comité de correspondance dominé par Brissot y défend qu’un seul point de vue : « le salut de la patrie dé́pend d'une seule mesure, d'une mesure vigoureuse: c'est la guerre. La nation la désire avec ardeur. Tous les esprits sont tendus vers cette crise heureuse, et il ne s'agit plus que d'en préparer l'issue, et de forcer la fortune à seconder la bonne cause ». Ce jour, Robespierre contesta l’objet de la circulaire et elle fut différée pour son envoi. Il sera demandé à cette instance des correspondances de se justifier.

25 février : Paris, la municipalité sollicite de l'Assemblée des secours pour les indigents (ou pauvres). Le sujet fut très présent dans les débats de la chambre au début de l’année et dans le cadre de vote de crédits supplémentaires à divers organismes publics, dont les hôpitaux parisiens et les « Enfants-Trouvés ». Louis-Marie Prudhomme, dans le numéro 137 des Révolution de Paris écrit au sujet du Carnaval : « la Révolution nous a mis du plomb dans la tête. Depuis trois ans, nous ne sommes plus bouffons. »

26 février : A Aix est opéré le désarmement du régiment suisse d’Ernest stationné dans la ville, par la garde nationale de Marseille. « Les brigands de Marseille, qui ont pris Aix et outragé toute la nation suisse, en désarmant avec ignominie un de ses régiments, qui auraient peut-être fait subir à la ville d'Arles le sort de celle de Sarian (Sarrians, commune du Vaucluse) si elle n’avait pas pris une attitude vraiment imposante, ces monstres n'ont pas encore reçu la plus légère marque d'improbation de l' Assemblée, le régent Robespierre les a pris sous sa toute puissante protection. » (Source : Galica-bnf, L’ami du Roi des Français, de l'ordre et surtout de la vérité du 15 mars, page 3) A Paris, aux Jacobins, La discussion reprend sur la circulaire du 15 février relative au sentiment de la Société sur la question de la guerre. Sonthonax (du comité des correspondances), donne connaissance du document en litige. Le tumulte se déchaîne quand il lit cette phrase : « Le système de la guerre, est celui qui domine le plus dans la Société ». Robespierre veut prendre la parole, il est suivi de Louvet. Claude Bazire à la présidence, il appelle  Robespierre,  soulevant de très fortes protestations. Il peut enfin s'exprimer et souhaite un relévé analytique des points de vues pour ou contre la guerre et de le transmettre aux Sociétés. Rien ne sera finalement approuvé, ni sur la circulaire du 15 février, ni sur la proposition de faire connaître les arguments opposés. (Source : Les oeuvres Complètes de Robespierre, tome VIII, PUF 1954)

27 février : Algérie, la ville d’Oran sous domination espagnole tombe au profit de la Régence d’Alger (entité politique de l’époque et active jusqu’en 1830 et la colonisation française). A l’Assemblée, le ministre Cahier de Gerville fait un rapport sur les troubles intervenus depuis le début de l’année dans le Toulousain notamment. La garde nationale de Toulouse interviendra pour rétablir l'ordre. Il faut noter des désordres sur les marchés, à Rieux les 9 et 11 janvier, à Portet et à Cugnaux le 22 janvier, Bourg-Saint-Bernard les 3 et 16 février, à Montjoire. (Selon Albert Mathiez)

28 février : Espagne, celui qui faisait office de Premier ministre Floridablanca est démis de ses fonctions (de secrétaire d’Etat, équivalent à un Premier ministre) et disparaît de la scène politique, il est remplacé par le comte d’Aranda, plus sur une ligne « libérale » ou visant à donner une constitution au royaume et à l'empire castillan. Celui-ci aura pour mission de renouer le dialogue avec la France. Il faut noter que les deux hommes ont appartenu à une loge maçonnique, pour souligner la disparité, marquant la spécificité française et la non observance de règles communes ou d’unité politique réelle des loges en Europe, ou au sein d’un même pays.

29 février : A la Législative, Georges Couthon, élu du Puy-de-Dôme, propose d’abolir les droits féodaux, déclarés rachetables par la Constituante, le sujet est ajourné par la chambre. Les relations et ententes politiques entre Couthon et Robespierre ne commenceront vraiment qu'à partir de novembre de cette année.

III – Le mois de mars 1792

1er et 2 mars : A la Législative, une députation d’Avignon est entendue sur les troubles ayant émaillé la cité. Le sujet sera traité de nouveau le 3 mars par la Chambre et sur la situation du Comtat. Ce jour en Autriche, c’est l’annonce du  décès de l'empereur Léopold II, son successeur est François II. La nouvelle mettra du temps avant de parvenir en France, le lendemain Robespierre sur la question de la guerre, le cite : « Mais pour cela il ne suffît pas d'aimer la liberté, il faut encore opposer la politique des amis de la liberté à celle de ses perfides ennemis qui veulent l'anéantir. Je n'ai entendu parler ici que de Léopold. et croit-on qu'il ne s'agisse que de lui; quoi, vous croyez que Léopold déclare la guerre aux sociétés des amis de la constitution! Léopold, je dis que c'est un instrument, le prête nom, le valet d'une autre puissance, et cette puissance qu'elle est-elle? le roi? non; les ministres? non ; les aristocrates de Coblence? non: tout ce qui existe en France d'ennemis de l'égalité, d'ennemis de la révolution, d'ennemis du peuple, voilà tous ceux qui déclarent la guerre aux Jacobins, aux sociétés des amis de la constitution ; et quand vous avez cette guerre à soutenir, il n'est point de la modestie ou de la politique, de vous attribuer une dénonciation particulière. » (Source : Les oeuvres complètes de Robespierre, tome VIII, PUF 1954).

3 mars : Essonne, tôt le matin des foules venues d’Etrechy et la Ferté dénombrées à plusieurs centaines et armés d’outils des champs, de sabres et quelques fusils se rendent à Etampes pour fixer un prix à la vente du blé. Vers 10 heures du matin M. Simoneau cherche à calmer les manifestants réunis sur la place du marché à Etampes demandant la baisse des prix de la céréale : « gros marché de la Beauce, le maire Simoneau, un riche tanneur qui employait 60 ouvriers voulut résister à la taxation. Quand il apprit que les paysans des communes  voisines approchaient, le matin du 3 mars, il requit le commandant d'un détachement de 80 hommes du 18ème régiment de cavalerie et fit proclamer la loi martiale. Il s'avança courageusement au-devant des paysans, ceint de son écharpe. Mais les cavaliers l'abandonnèrent et il fut tué de deux coups de fusil pendant que le procureur de la commune était blessé à ses côtés.» (Source : Gallica-Bnf, Albert Mathiez, Mouvement social et vie chère).

4 mars : Au club des Jacobins, un léger désaccord sur la forme va opposer Danton et Robespierre sur un don fait par la famille royale aux soldats de Château-Vieux pour 110 livres versées sur une somme d’un peu plus de 1400 livres. Voici ce qu’en résume la société jacobine de Paris et la presse : « M. Robespierre. Tout ceci ne regarde pas la société, elle n'est que la dépositaire des sommes qu'on remet entre ses mains. C'est aux infortuné́s de pourvoir par tous les moyens possibles à leur soulagement, c'est à eux à recueillir les bienfaits de l'humanité, nous ne sommes que dépositaires. Il y a quelque chose de vrai et de généreux dans les observations de M. Danton, et ces observations ne sont pas indignes de son patriotisme. Mais il y a plus de raison de ne pas nous occuper de ces circonstances, nous devons nous occuper des grands intérêts de la chose publique. Ce que la famille royale fait comme individu, ne nous regarde pas. Si comme fonctionnaire public elle fait du bien, nous la bénirons ; si elle ne le fait pas. nous lui représenterons les droits du peuple et nous les défendrons contre elle. » (Source : Gallica-Bnf, Journal des débats et correspondances, Société des Amis de la Constitution, n°154).

représentation
du jacobin


Dans la presse du jour  « Le bataillon de la section des Tuileries a remis avant-hier à la société́ des amis de la  constitution la somme de 1.450 et quelques livres pour les soldats de Chateau-vieux.  Dans cette somme, a dit le commandant du bataillon, est compris le sacrifice de la liste civile. La famille royale a bien voulu donner, pour ces malheureuses victimes, 110 livres. Un cri unanime s'est élevé́ à cette annonce. M. Danton a voté pour que ces 110 1ivres fussent rejettées. Sur les observations de M. Robespierre, la somme a été reçue dans toute son intégrité́.» (Le Courrier des 83 Départements, n°6, ex. courrier de Paris et rédacteur Antoine Gorsas)

5 mars : Aux Jacobins, l’ordre du jour est sur les troubles du Midi. Le jeune Charles Barbaroux, futur député girondin à la Convention apporte des détails sur les événements intervenus à Marseille, Aix et Arles. Il est présent à Paris comme mandataire de la ville de Marseille depuis 1791 et c’est un proche et fidèle de Madame Roland. Maximilien Robespierre apporte son soutien : « Je déplore l'insurrection partielle à laquelle le peuple généreux de Marseille a été forcé. Mais j'abhorre le despotisme perfide qui, depuis longtemps, entraîne les causes funestes de ces dissensions. Je maudis l'aristocratie qui, depuis si longtemps, sonne l'alarme et lève par tout l'empire, l'étendard de la contre-révolution. Si, lorsque cette affaire sera portée à l'Assemblée nationale, il existait un représentant assez lâche pour s'élever contre les marseillais, je lui dirais : Infâme! Comment as-tu l'impudence de trahir ainsi les droits du peuple qui t'a créé? Comment oses-tu invoquer le nom sacré de la loi, toi qui n'élèves ici la voix que pour l'anéantir et pour couvrir de ton égide les plus grands ennemis des droits du peuple et de la liberté? » (Source : Interne aux Jacobins - Journal des débats et correspondances, N°155)

6 mars : A Paris, les citoyennes font appellent à des piques ou plus largement de quoi armer les femmes « pour défendre la Constitution » et le pays. Pauline Léon, chocolatière, présente le 14 juillet à la Bastille, remet ce jour à l’Assemblée une pétition signée par 315 femmes de la société fraternelle des Minimes. « Ne croyez surtout pas, que nous voulons abandonner les soins de nos familles et de notre maison. Non, Messieurs! Nous voulons seulement nous défendre si, par la ruse de nos ennemis ou par la trahison de quelques-uns des nôtres, la victoire restait aux méchants! »

7 mars : En Autriche, le duc de Brunswick est désigné à la tête des troupes impériales. A Paris, chez les Amis de la Constitution du couvent Jacobins, Robespierre informe d’une lettre qu’il a reçu de Bagnères-en-Bigorre sur la situation alarmante dans les Hautes Pyrénées, et promet d’y revenir après réflexions.

8 mars : En Normandie, à Conches et ses environs depuis janvier févier se sont formés des groupes puissants (plusieurs milliers de personnes pour la région) et décident de fixer les prix des denrées qui sont transportées ou vendues. Il est question d’aller à Evreux, ville épiscopale, la révolte contre les prix chers engendre une désorganisation du marché d’approvisionnement local et pas seulement. Face à cette sédition des habitants, s'organise la mobilisation des réservistes de la garde nationale et permet en quelques jours de dissiper les attroupements, provoquant à l’évêché d’Evreux un vent de panique, car se croyant menacé. Il n’en sera rien.

9 mars : Le ministre de la guerre M. Narbonne nommé en décembre de l’année précédente est remplacé par Pierre Marie de Grave, défavorable à la guerre en raison de l’impréparation des troupes. Le roi par ailleurs considère que ses ministres feuillants participent à sa ruine, il va tenter ainsi de se rapprocher du parti Girondin et en particulier de Dumouriez et Brissot, qui donne le là sur la nomination des futurs ministres en compagnie de Pétion. Le monarque se range ainsi du côté de la guerre. A l’Assemblée, M. Tartanac, élu du Gers présente un rapport et un projet de décret, « sur les secours à accorder aux indigents des départements » débat ajourné à ce jour jusqu’au 12, et dont les suites donneront lieu à un nouveau rapport le 13 juin, en pleine crise de régime.

Rapport de M. Tartanac, député du Gers

« Messieurs, La municipalité de Paris vous a présenté une pétition relative à un secours extraordinaire de 200.000 livres pour sustenter la classe indigente du peuple, dont la rigueur de la saison, en suspendant les travaux, a diminué les ressources et augmente les besoins. Pénétrés d'une sollicitude toujours active en faveur de cette classe la plus nombreuse et la plus intéressante, vous avez ordonné à vos comités de l'ordinaire des finances et des secours publics de vous faire un rapport  qui embrassât les divers départements du royaume dans la distribution des, fonds qu'ils ont droit d'attendre de la bienfaisance nationale.


C'est pour obéir à votre décret, que vos comités m'ont chargé de vous soumettre un projet de décret, précédé d'un exposé succinct des motifs sur lesquels il repose. Je dois vous faire part en même temps, qu'aux premiers jours du mois d'avril prochain, votre comité des secours, jaloux de partager votre juste , espère vous offrir, sur la mendicité, une uniformité de vues et de principes pour fixer l'intérêt des citoyens indigents d'une extrémité de l'empire à l'autre: dès lors disparaîtront enfin de l'asile de la liberté les pernicieux effets de l'arbitraire, dans lequel languit encore cette partie importante de l’administration.

En reprenant l'objet de ce rapport, il est essentiel de vous rappeler, Messieurs, que la nécessité des secours que vient réclamer la municipalité de Paris, a pour garant une population de cent mille pauvres que la rigueur du temps a privés tout récemment du salaire de plusieurs journées. Ce motif est trop puissant par lui-même pour qu'il soit besoin de l'appuyer d'une infinité d'autres qui assurent également le succès de cette pétition des magistrats du peuple. Le renvoi direct que vous avez fait à vos comités de cette même pétition, les a dispensés d'examiner si la graduation des pouvoirs constituée n'eût pas exigé l'intermédiaire préalable du département de Paris. Il n'est donc pas de difficulté capable de balancer la justice de ce secours, et de l’appliquer, par le grand principe de l'égalité des droits, à tous les départements du royaume, qui annoncent des besoins aussi urgents que la municipalité de Paris.

Ce principe, incontestable aux yeux de la raison et de l'humanité, ne trouvera certainement pas de contradicteur dans le sein de cette assemblée, aussi me fais-je un devoir de porter votre attention sans autre détour sur les deux résultats suivants. Ces résultats consistent, 1° dans les moyens d'accélérer le versement des secours que le corps constituant a affectés aux départements. 2°. dans le mode de répartition d'une partie des secours que vous-même avez décrétés ».

Source : Gallica-Bnf, Rapport Tartanac, extraits des  pages de 1 à 3


10 et 11 mars : Le ministre des Affaires étrangères Valdec de Lessart est mis en accusation par les brissotins de la chambre, pour n'avoir pas prévenu l'Assemblée nationale des préparatifs du Saint-Empire Germanique (Autriche, Hongrie et Principautés d’Allemagne, et la "Belgique" ou Pays-Bas autrichien). Il était un partisan de la paix. Le même jour le ministre de l’intérieur, M. Cahier donne sa démission, il est suivi le lendemain par celui de la Marine, Bertrand de Molleville.

13 mars : La Corse a pour chef-lieu du département la ville de Corte et Ajaccio s’attribue le siège de l’évêché, le tout est sanctionné par un décret de l’Assemblée.

14 mars : Aux Jacobins, l’affaire d’Avignon des massacres de la Glacière de novembre 1791 est à l’ordre du jour, des arrestations dans Avignon furent opérées au sein des anti-monarchistes locaux. On se presse à la tribune et Collot-d’Herbois donne de nouveaux éléments. Lors de nombreuses séances de la chambre des députés, le sujet revint en débat. Il s'agissait de savoir si l'amnistie votée sous la Constituante concernait à cette date les deux districts d'Avignon et de Carpentras.  Dans son intervention Robespierre ne souhaite pas faire porter la responsabilité aux prisonniers qui sont à ses yeux d’authentiques patriotes entraînés dans une histoire de haines familiales des deux bords. Il ne cache pas en début d’intervention la nature horrible et sanglante des violences, il termine par : « Patriotes de l’Assemblée nationale, ordonnez que ces Avignonnais soient traités non comme des coupables mais comme des patriotes opprimés ; car en agissant autrement vous affaibliriez l'esprit public, vous faites une injustice à l'innocence, un outrage à la vertu en paraissant la protéger.»

15 mars :  Charles François Dumouriez est nommé ministre aux Relations extérieures. Il est difficile de le classer, s’il est le plus souvent rangé dans le camp des girondins, il est un acteur et une sensibilité à lui seul, qui va s’avérer être d’un grand opportunisme. C’est à 3 heures du matin que la décision fut prise au sein du Conseil du roi, pendant ce temps Dumouriez soupait avec Condorcet et Brissot. En cette année, il sera glouton en poste et fonction et une des causes des querelles entre Montagnard et Girondins. Ses ardeurs et certaines fausses prouesses militaires vont lui donner un temps une importante autorité auprès de la population. Ami de Gensonné, il aurait assuré à la cour l’appui des élus girondins. Le même jour est nommé Jean de Lacoste comme ministre de la Marine. Il était jusqu’alors commissaire du roi pour les « îles du Vent » (petites Antilles). Il a laissé pour ouvrage : Mémoire pour le citoyen Lacoste où il justifie ses différentes fonctions en France et dans les colonies américaines. (Source Gallica-Bnf, année 1792)

16 mars : A Paris, le comte Henri du Verger de la Rochejaquelein rejoint la « garde constitutionnelle » (1.800 hommes), en charge de la protection de Louis XVI. Il sera un des généraux de l’Armée Vendéenne, puis son généralissime les années suivantes. Au Danemark, le prince héritier Christian VII (1766-1808) promulgue un édit  d'abolition de la traite négrière sur dix années, dans le cadre de la régence qu'il exerce en raison des problèmes mentaux de son père Frédérik VI. Toutefois, la décision n'aura pas vraiment d'effet et l'esclavage devra attendre l'année 1847 pour qu'il y soit mis un terme définitif dans sa possession de Saint-Barthélemy aux Antilles.

 
17 mars :
A la Législative, Antoine-Joseph Dorsch, vicaire général de Strasbourg, présente un « projet d’établissement de collèges pour l’instruction des maîtres d’école, dans chaque département du royaume. » Il s'est inspiré du modèle allemand dont il est originaire de la Hesse, et c'est le premier projet a proposé la création d’établissements départementaux pour la formation des maîtres. (Source : Procès verbaux du Comité d’Instruction publique de l’Assemblée législative, Imprimerie nationale, 1899, p. 148-151).

19 mars : En Espagne, à Cadix est promulguée la Constitution politique de la monarchie espagnole (Source : Gallica-Bnf, Traduction des éditions Didot – 1814).
A l’Assemblée il est décrété que les crimes commis dans le Comtat et la ville d’Avignon commis à l’époque du 8 novembre 1791 sont amnistiés. Aux Jacobins, Dumouriez fraîchement ministre se rend sur place et prend la parole. Le président de séance enthousiasmé par sa présence le désigne comme membre des Jacobins, MM. Collot-d’Herbois et Legendre désapprouvent sur la forme cette adhésion. Il se tient à la tribune, orné d’un bonnet phrygien, comme il est de rigueur depuis peu aux séances de le porter et de se conformer ou singer le mouvement populaire. Robespierre refusa l’artifice n’aimant pas l’aspect débraillé de la chose et Piéton y voyait un danger dans ce qu’il nomme une « mode ». Néanmoins, Robespierre au cours de cette séance témoigne chaleureusement sa présence au ministre en lui faisant une accolade et ils reçoivent les vifs applaudissements des membres présents. Mais il précise les conditions dans son intervention « Je déclare à M. Dumouriez (écrit Dumourier dans le texte initiale et la presse), qu'il ne trouvera aucun ennemi parmi les membres de cette société, mais bien des appuis et des défenseurs aussi longtemps que par des preuves éclatantes de patriotisme, et surtout par des services réels rendus au peuple et à la patrie, il prouvera comme il l'a annoncé par des pronostics heureux, qu'il était le frère des bons citoyens et le défenseur zélé du peuple. »

20 mars : La Législative à la suite du rapport présenté par le secrétaire perpétuel de l'Académie de chirurgie, M. Antoine Louis adopte la « décollation mécanique » comme le seul moyen d’exécution et « sans douleur ». Ce ponte de l’Académie de médecine est le créateur de la lame en biseau, c’est en raison de ses connaissances chirurgicales, et d’être le plus grand spécialiste de son domaine, que l’échafaud portera un temps court le nom de « Louison ou Louisette ». C’est avec M. Guillotin, son inspirateur, qu’il a conçu l’engin et que finalement le nom sera attribué à ce dernier. Il est voté un budget pour la construction de l’engin de mort. Le décret relatif « au mode d’exécution à la peine de mort » sera pris le 25. Il ne sera jamais publié dans aucun texte la mention du nom de l’échafaud sous  son appellation commune de guillotine.

21 mars : Aux Jacobins, la lecture d’un document relatif, à la situation interne et externe de la France est renvoyé à plus tard à la demande de Robespierre qui souhaite faire à ce sujet une intervention.

22 mars : A la Législative, Claude Chappe présente sa dernière invention le logographe  optique, qu’il nomme Tachygraphe, plus communément nommé télégraphe. Il sera le créateur de la première entreprise de communication sur longue distance dans le monde. L’examen du logographe est confié au comité d’instruction publique. L’inventeur avait fait ses premiers essais dans la Sarthe un an auparavant sur 14 kilomètres. Puis, Chappe viendra s’installer en juin 1791 à Paris, deviendra élu et prêtera serment devant la nouvelle chambre en octobre. Marseille, c'est le départ de gardes nationaux de la ville vers Arles (arrivée le 29 mars).

23 mars : Le roi fait appel à deux nouveaux ministres girondins : Jean-Marie Roland de la Platière est désigné à l’Intérieur et aux cultes et Garde des sceaux (jusqu’au 14 avril), et Etienne Clavière, genevois de naissance, aux Contributions et aux Revenus Publics (sic). Le seul à conserver son portefeuille à la guerre au sein du remaniement ministériel, est Pierre Marie de Grave. Il sera maintenu à ses fonctions jusqu’en mai. Ce cabinet presque exclusivement girondin est le fait de Brissot, il reste un proche de Lafayette selon Albert Mathiez. Dans son journal les Révolutions de Paris, Prud’homme consacre dans son hebdomadaire une critique du remaniement et reprend les nouveaux ministres au fil de leurs déclarations, et chacun en prend pour son grade, dont le roi, la cour et les anciens ministres et les portefeuilles feuillants toujours en place. Il porte à l’égard de MM. Clavière et Roland quelques piques et précise avec une certaine justesse, ce que peut signifier la place d’un ministre nommé et celle d’une assemblée élue, c’est-à-dire une analyse de la constitution plutôt juste sur les rôles et fonctions de chacun et remet en cause l’hérédité royale. Il importe de préciser que Robespierre au sujet des ministres parlera de jacobins et non de girondins, petite précision utile quant à la nature des camps officiellement en présence.

Discours de M. Roland de la Platière, ministre de l’Intérieur et des cultes
« Nous venons rendre hommage à la nation dans la personne de ses représentants, et renouveler devant eux le serment de lui être à jamais fidèle. Les minières du roi ne sont et ne doivent être que les ministres de la constitution, par laquelle le roi règne et les ministres existent. Le régime de la liberté fait monter à des places éminentes des hommes qui ne pouvaient les désirer ni les attendre, et qui font prêts à le quitter s'ils ne peuvent y faire le bien pour lequel ils sont appelés. Simple citoyen, il y a peu de jours, chargé aujourd'hui de fonctions honorables et pénibles , je les remplirai avec calme et courage, parce que l'étendue des devoirs n'effraie que les âmes petites et froides, indignes d’avoir une patrie, ou les ambitieux qui craignent  de redescendre. Un gouvernement bien organisé exige des agents du pouvoir plus de caractère que d'esprit, et moins de talents que de vertus ; nous devons cette confiance à la nation, et nos ennemis éprouveront qu'il est aussi impossible de tromper longtemps des hommes libres que de les vaincre. La déclaration des droits dans le cœur, et la constitution à la main, je me dévoue sans réserve à la liberté, à mon pays. Si je ne puis les servir, si je m'égare ou suis trompé, je retournerai sans honte dans le silence de ma retraite, car je n'aurai du moins jamais trahi ma confiance. Mais l'union des ministres entre eux pour le maintien des lois constitutionnelles, et leur concert avec l'Assemblée nationale, doivent être le triomphe de la révolution en même temps qu'ils feront le gage de la tranquillité publique et du bonheur du roi. »
Source Gallica-Bnf, Les Révolutions de Paris, n°142 du 24 au 31 mars 1792, page 572 


Les prises de fonctions ministérielles jusqu’en août vont tourner rapidement ou laisser place à trois nouvelles équipes, les 2 derniers cabinets ou Conseil du roi seront de nouveaux et principalement aux mains des Feuillants. Dans la capitale, Francisco de Miranda arrivant de Grande-Bretagne s’installe et noue des contacts dans les milieux « républicains ». A l’Assemblée, il est pris un décret relatif à l’envoi de troupes et deux pièces d’artillerie pour la ville d’Etampes et pareillement pour le département de Seine et Oise avec quatre canons et équipages.

24 mars : A l’Assemblée, l’on examine article par article toute la journée avec M. Gensonné comme rapporteur les mesures à prendre pour la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Domingue notamment, l’envoi de sept nouveaux commissaires est la décision la plus forte car elle vise un rétablissement de l’ordre, par l’établissement d’une reconnaissance des « gens de couleurs libres » (métis et noirs affranchis, qui peuvent être aussi des petits planteurs et disposer d’esclaves). Mais la chambre ne reconnaît toujours pas de droits pour tous et en particulier pour les mis aux chaînes et aux travaux forcés des colonies. De plus la traversée et la préparation du départ nécessitera quelques mois avant que les nouvelles autorités ne parviennent à destination. Les populations affranchies prendront entre temps le parti des hommes et femmes se révoltant contre les planteurs et les pouvoirs locaux.

Voici le contenu des trois premiers articles, la suite donnant tous pouvoirs ou presque aux commissaires du royaume :

Article 1er. 
« Immédiatement après la publication du présent décret, il sera procédé dans chacune des colonies françaises, des îles du Vent et sous le Vent, à la réélection des assemblées coloniales et des municipalités, dans les formes prescrites par le décret du 8 mars 1790, et l'instruction de l'Assemblée nationale du 28 du même mois

Article 2. 
« Les hommes de couleur et nègres libres seront admis à voter dans toutes les assemblées primaires et électorales, et seront éligibles à toutes les places lorsqu'ils réuniront d'ailleurs les conditions prescrites par l'article 4 de l'instruction du 28 mars.» 


Article 3.
 « Il sera nommé des commissaires civils, au nombre de trois pour la colonie de Saint-Domingue, et de quatre pour les îles (« du Vent ») de la Martinique, de la Guadeloupe, de Sainte-Lucie et de Tabago». (...)
Le décret complet et définitif sera approuvé par l’Assemblée le 28 mars et par le roi le 4 avril et contresigné du ministre de l’intérieur, M. Roland.

25 mars : L’Autriche se voit adresser un ultimatum, il lui est demandé de prendre des mesures contre les émigrés et de mettre fin à tout préparatif militaire hostile. Dans la capitale Melle Théroigne de Méricourt prononce un discours devant la Société fraternelle des minimes, et présente un drapeau aux citoyennes du faubourg St. Antoine (ci-dessous).


Discours de Melle Théroigne
à
la Société des Minimes



Portrait de Jean Fouquet (1792)



« Françaises, je vous le répète encore, élévons-nous à la hauteur de nos destinées ; brisons nos fers ; il est temps enfin que les Femmes sortent de leur honteuse nullité, où l'ignorance, l'orgueil, et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps ; replaçons-nous au temps où nos Mères les Gauloises et les fières Germaines délibéraient dans les Assemblées publiques, combattaient à côté de leurs Époux pour repousser les ennemis de la Liberté.

Françaises, le même sang coule toujours dans nos veines ; ce que nous avons fait à Beauvais et à Versailles, les 5 et 6 octobre, et dans plusieurs autres circonstances importantes et décisives, prouve que nous ne sommes pas étrangères aux sentiments magnanimes. Reprenons donc notre énergie ; car si nous voulons conserver notre Liberté, il faut que nous nous préparions à faire les choses les plus sublimes. Dans le moment actuel, à cause de la corruption des mœurs, elles nous paraîtront extraordinaires, peut-être même impossibles ; mais bientôt par l’effet des progrès de l’esprit public et des lumières, elles ne seront plus pour nous que simples et faciles.

Citoyennes, pourquoi n'entrerions-nous pas en concurrence avec les hommes. ( ?) Prétendent-ils eux seuls avoir des droits à la gloire ; non, non... Et s nous aussi nous voulons mériter une couronne civique, et briguer l'honneur de mourir pour une liberté qui nous est peut-être plus chère qu'à eux, puisque les effets du despotisme s’appesantissaient encore plus durement sur nos têtes que sur les leurs.

Oui... généreuses Citoyennes, vous Toutes qui m'entendez, aimons-nous, allons nous exercer deux ou trois fois par semaine aux Champs-Elysées, ou au Champ de la Fédération ; ouvrons une liste d'Amazones Françaises ; et que toutes celles qui aiment véritablement leur Patrie viennent s'y inscrire ; nous nous réunirons ensuite pour nous concerter sur les moyens d'organiser un Bataillon à l'instar de celui des élevés de la Patrie, des Vieillards ou du Bataillon sacré de Thèbes. En finissant, qu'il me soit permis d'offrir un étendard tricolore aux Citoyennes du faubourg Saint-Antoine.

Nota. La première Assemblée se tiendra le lundi 2 avril à 5 heures du soir à la Société des Minimes, Place Royale.
»

Source : Gallica-Bnf, Discours prononcé à la Société fraternelle des minimes le 25 mars 1792,
l'an quatrième de la liberté
, etc. pages 5 à 8 - imprimrie Demonville, rue Christine, 1792


26 mars : A Paris, la reine transmet secrètement à M. Mercy-Argenteau, diplomate et agent de l’Empereur d’Autriche, le plan d’opération des armées françaises. Aux Jacobins, avec l’évêque assermenté M. Gobel comme président des séances, c’est houleux et rien ne sortira comme décision véritable de cette journée, sauf à nourrir la presse contre-révolutionnaire. Robespierre intervient sur « les circonstances actuelles », un projet de circulaire qu’il abandonnera, il se voit coupé régulièrement par Guadet (Brissotin). Voilà ce que la presse royaliste relate et résume avec un humour tranchant : « M. Robespierrot est entièrement dépopularisé. II a eu l'audace de dire en pleine jacobinière, qu'il croyait à l'existence d'un dieu. Le tumulte a été effroyable ; les voûtes en ont retenti M. Gobe-mouche bonnet rouge, intrus de Paris, a juré de ne lui pardonner jamais. » (Source : Gallica-Bnf, Journal général de la Cour et de la Ville, n°37)

28 mars : Aux Jacobins, l’ordre du jour et les débats donne lieu à une assez grande confusion sur les bustes de Bailly et Lafayette, héritage de l’ancienne municipalité et autres sujets conflictuels parsèment la journée. Robespierre finira par ces mots : « Laissons tranquille et Louis et sa famille, ne donnons pas à nos ennemis le moindre prétexte de s'écrier bêtement que nous n'aimons pas la royauté ; notre constitution nous donne un roi, nous sommes les amis de la constitution, et de la liberté qu'elle nous assure ».

29 mars : Gustave III de Suède décède dans son palais de Stockholm des suites d’une tentative d’assassinat par un ultra de sa noblesse (intervenue le 16 du mois). Il s’apprêtait à entrer en conflit avec la France, débute une régence et le règne du jeune Gustave IV. A la Législative, il est voté la construction d’un monument à la gloire du maire d’Etampes, M. Simonneau (tué par la foule début mars) et attribue une pension à sa veuve, qui le lendemain adresse des remerciements. Le surlendemain une épitaphe sera rajoutée sur une plaque de pierre taillée et extraite de son texte et apposée sur la stèle, avec l’approbation des députés.

30 mars : Robespierre adresse une lettre à Antoine Gorsas (journaliste et futur député girondin) concernant des attaques sous anonymat dans le Courrier des 83 Départements du 28/03 (ex. Courrier de Paris créé en juillet 1789), s’enclenche une polémique entre les deux hommes. Ernest Hamel apologiste de Robespierre considérait que nul homme avant lui n’avait été dans l’histoire autant l’objet de mensonge et de calomnie.



Représentation

de Madame Sans-Culotte

Samedi 31 mars : A la Législative sont pris deux décrets, l’un concerne le remboursement d’une dette de 25 millions de livres et l’autre concernant les moyens de réprimer les troubles dans le département du Cantal.

à suivre...



Suite sur la Révolution française
L'année 1792, troisième partie

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