|
|
Cliquez ci-dessus pour revenir à la page d'accueil
|
Sommaire de la page,
1 - Le spectre de la guerre et révoltes populaires contre la vie chère & Sur la crise des denrées coloniales à Paris
2 - Maximilien Robespierre sur la guerre ou la paix? extraits du 2 janvier 1792
3 - Sur La nécessité de la guerre, Jacques-Pierre Brissot du 20 janvier 1792
4 - Louis-Marie Prudhomme et Les Révolutions de Paris & la crise du sucre
|

|
|
|
|
|
|
0
Le
spectre de la guerre

illustration du Peuple mangeur de roi avec légende : Statue colossale du journal des Révolutions de Paris pour être placée
sur les points les plus éminents de nos frontières
et révoltes populaires contre la vie chère
|
Quand
Henri Guillemin dit haut et fort que la guerre n’est qu’en raison de la
conjoncture économique et des caisses vides du royaume, il est
difficilement récusable, mais une phrase d’Albert Mathiez vient
remettre les choses à leur juste valeur : « La guerre fut jusqu’à un
certain point économique
». Le premier trimestre de l’année 1792
débutait sur les chapeaux de roue, non seulement se profilait la
guerre,
mais de plus les prix des denrées explosaient, les salaires baissèrent,
comprimés par la mise en oeuvre des assignats en petites coupures,
les foyers de révoltes s'avéraient très nombreux et les émeutes dans
les
colonies étaient loin d’être éteintes.
Se surajoutèrent les crises politiques, jusqu’à un rapprochement
entre Brissot et ses amis avec la Cour, avec la nomination à des
portefeuilles clefs des ministres qui ne pouvaient être ni députés ou
d’anciens mandants, selon la loi en vigueur. Dans la presse comme
au couvent des Jacobins, les événements qui allaient intervenir
furent plutôt absents ou sous-traités. Le décalage entre Paris et les
régions
s’affichaient au grand jour, le climat général restait tendu et Louis
XVI
faisait mine de prendre un nouveau parti pour échapper de nouveau aux
colères. Un choix judicieux et malicieux, et par ailleurs, il mettait à
jour
un monde défendant la constitution monarchique et ses affres. Quand
dans peu de mois
la première République sera proclamée et engagera la rédaction de
nouveaux textes. Jusqu'en 1799, ce sont 10.000 lois et décrets qui ont
été pris, dont certains textes n'eurent aucune incidence ou furent
difficilement applicables, ce qui renouait avec les législations du
passé.
Il y avait de quoi se douter que cette année serait chargée, sa densité
est étonnante, difficile de porter une analyse minutieuse et précise en
tout point, si l’on ne cherche pas mois après mois, ce qui fait
résonance. Il a été fait appel à des sources difficilement contestables
et a appelé à de nombreuses vérifications. Notamment dans l’usage
des noms, sources d’erreurs nombreuses en raison d’orthographies
différentes et d’homonymies trompeuses. Si cela reste un travail
détaillé pour sa partie chronologique - à un bémol près - elle ne rend
pas suffisamment compte de ce qui se déroule en Province, et
demanderait à changer l’angle de perception, qui pour point de départ
reste la capitale et ses activités sociales, économiques et politiques.
Cependant et plus que jamais la question de l’étranger se portait
au-devant de la scène, de quoi relativiser l’aspect
franco-français de la Révolution, la Pologne coincée entre les trois
ogres (autrichien, allemand et russe), vivait les derniers mois de
sa révolution à la "Française". Après la Belgique en son nord, ou plus
exactement le pays Brabant où se mélangeait aussi les Pays-Bas en son sud
a vu sa révolution déjà étouffée. Pour autant la flamme n’était pas
éteinte, et le mouvement a bien eu un caractère européen. D’ici quelques
mois, cette propagation révolutionnaire servira de poudre à enflammer
les Caraïbes ou les grandes et petites Antilles.
La situation intérieure depuis 1789 était à la limite du chaos ou
toujours au bord de l’explosion sociale. Ce que le droit donne est
aussi ce qu’il peut reprendre, et l’année 1791 est marquée par une
insatisfaction plutôt générale face à certains reculs et divisions nées
après le 17 juillet. A ce sujet, la loi martiale revint sans cesse
sous le tapis dans les débats portés par la bourgeoisie jacobine, très
légaliste? Oui, en partie, parce que les différents constats étaient sans
appels et comme l’expliqua Brissot en janvier 1792, la nouvelle
législature avait prêté serment et il osait encore croire, que Lafayette ou bien le
roi en acceptaient les règles, alors que tout démontrait le contraire. Mais
à ce stade, personne ne savait ou presque les relations entretenues par le couple
royal et son entourage avec les puissances étrangères.
L’autre
versant et minoritaire à la chambre, les Jacobins versus
brissotins jouèrent la règle commune et évitaient de parler de
république
et se ramasser les foudres des élus Feuillants ou de faire peur aux
élus du marais. La menace d’une guerre formulée par Brissot l’an denier
avait ouvert la voie d’un chemin sans retour. Et les Feuillants ne
pouvaient deviner que se tramait leur mort politique à court terme, et
la fin
des
fins de l’ancien régime. Et à dire, ou lancer des vivats pour la
constitution chez les Jacobins, cela servit aussi de paratonnerre à
leurs
expressions publiques. Seuls les Cordeliers presque clandestins
s’affichèrent clairement républicains, ou les premiers à en poser les
bases dans les sections parisiennes. L’activité des sections et des
clubs ou sociétés populaires dans la capitale allait en cette année ne
faire plus qu’un. Toutefois, l'unaminité en politique est rare, et au
titre des dits "Girondins" ou assimilés, Nicolas Condorcet en reprenant
la constitution dans le texte à la fin de l'année 1791 se prononça
contre la guerre, et il a été considéré comme un des premiers républicains
français avec le journaliste Desmoulins. Condorcet rappelait les termes et son sens, et qu'au seul cas des
frontières menacées par une puissance étrangère le recours à la guerre
était possible.
Robespierre sur l’évocation de la république resta très prudent,
voire muet sur le sujet. Bien que la population s’agitait à réclamer des
prix justes et sans prises de bénéfices des agioteurs, nous parlons d’une
guerre qui à force de l’évoquer et d’en user comme d’un effet de
tribune, allait éclater en avril. Un objet que l’on dressait à la tête des
diplomaties hostiles à toute revendication d’égalité allait finir pas se
concrétiser. Surtout l’économie était chancelante, malade de ses dettes,
la contestation sociale tourna de nouveau fin 1791 à l’orage et s'avéra
puissante lors du premier trimestre avant que ne se produisit
l’engagement dans un très long conflit. Ce fut un choix à l’aveugle,
dans une préparation très relative ou quelque peu inégale dans la prise
de conscience. Les plus hostiles furent les ministres Feuillants en
charge du dossier militaire avant l’arrivée du ministre M. Servan, le 9
mai. Robespierre mis en minorité aux Jacobins sur l’idée d’une défense
passive changea son fusil d’épaule, et se rallia peu à peu, mais
lentement et des réticences à l’idée d’une mobilisation générale.
L’année 1792 commençait par deux conjonctures fortes, l’une purement
politique et se déroula dans les clubs ou sociétés populaires sur
fallait-il
engagé un conflit armé? l’autre en regard d’une situation financière
se dégradant depuis septembre 1791 poussa aux révoltes dans le
pays. Le spectre de la faim, des salaires faibles ou soumis à
l’inflation, plus l’augmentation des vivres étaient de retour comme en
1789. A l’Assemblée de bric et de broc, l’on essaya de préserver
certains chantiers ou travaux de construction, la libéralisation
économique ne fut pas pourvoyeuse d’emplois et les finances baissaient
tout
comme la valeur de la monnaie chuta, les indicateurs étaient au rouge vif.
C’est l’année de tous les tournants, qu’il soit individuel, politique
ou au sein de la population, les discours se durcirent, sauf au sein
des dits "Girondins". La tendance de Jacques Pierre Brissot (ci-contre en portrait) chercha jusqu’au bout à négocier
avec le roi, à trouver un compromis et se compromettait par ailleurs
aux yeux des plus contestataires et désireux d’en finir avec la
monarchie. Mais on ne peut pas dire, que les "Girondins" étaient tous à
l’unisson, et le ton fut plutôt à la radicalisation, si l’on prend le
cas de Condorcet au cours de l’année, tout comme les époux Roland. De
plus, Pétion de Villeneuve se démarquait et en janvier il était plus proche
de Robespierre que de son ami Brissot, du moins il servit de filtre et de
temporisateur, et a eu surtout la gestion de la première commune de
France. |
|
 |
Les phénomènes de flux et de reflux des opinions à l’égard du roi allait
atteindre un seuil critique, le rejet dans la capitale fut sans égard
pour ce pouvoir aux abois. Il faut pour cela pouvoir distinguer deux sujets : En premier
- la question de la guerre. Elle fut âprement débattue au sein des
Jacobins et faisait ricochet sur l’assemblée Législative et ses
décisions. En second - La question de la vie chère et à nouveau de fortes
contestations populaires à Paris et sans effusion de sang, mais aussi
dans l’hexagone, les colères éclataient en nombre, en particulier sur les
bassins fluviaux et transporteurs de grains, mais pas seulement. Un
département comme le Cantal ou la région du Quercy connurent au printemps 1792 des situations similaires à
celle de 1789 avec des pillages de châteaux. Dans le Sud-est, Marseille
fédérait les jacobins et les sociétés populaires régionales, et cette cité se
porta aussi à l’avant-garde du mouvement révolutionnaire. L’on se
mobilisa d’abord pour regagner du terrain sur les royalistes dans le
Gard ou l’Ardèche. Chaque région a eu ses particularités et ses luttes intestines.
L’offensive contre cette frénésie guerrière fut menée par Maximilien
Robespierre de décembre 1791 à la mi-février, 12 discours sur le sujet
sur cette courte période. Il revint
inlassablement dans ses interventions sur le sujet. Pas un discours
n’échappait à des apports complémentaires et dans le cadre d’une
stratégie concurrente à la ligne de Brissot. Il en vint à proposer
l’armement de la population, il opina pour une mobilisation des
citoyens de tout sexe avant tout engagement guerrier. Un principe de «
bon sens » ; quand par ailleurs il dénonçait à tour de bras les
intrigues
et intrigants royaux ou du gouvernement. Qui envoyèrent, en la personne
du ministre Valdec de Lessart (ou Delessart) aux Affaires
étranges, au mois de décembre 1791 discuter avec les autorités
anglaises, Charles-Maurice Talleyrand de Périgord, qui disposait à
Londres d'un lieu de résidence. Et ces pourparlers visaient à créer les
conditions d'une union avec les britanniques face aux puissances
belliqueuses de l'Est européen, qui au final ne déboucha sur rien,
malgré plusieurs semaines de négociations.
La position offensive et dominante de Brissot à l’Assemblée sur les
bancs de gauche, tout comme au sein des « Amis de la Constitution,
séante aux Jacobins », se démarquait des Feuillants, ce qui dénotait un débat
pas toujours franc et restant dans des termes en apparence courtois.
Car si, il existait une division face à la question d’un conflit
militaire offensif, tous s’accordaient pour un temps qu’il n’y ait pas
la guerre, ou qu’il était préférable de l’organiser comme le précisa,
le
président des séances du club parisien dès le début janvier, en la
personne de Robespierre. Le tout en accord avec Collot-d’Herbois,
Billaud-Varenne et Desmoulins, et avec Danton un court temps. Avant
qu’il ne rejoignit les brissotins dans l’espoir d’une place de
ministre, négocié par l’entremise de Camille Desmoulins auprès de la
Cour.
Celle-ci craignait les émois populaires et cherchait à gagner du temps.
Les voltes faces furent nombreux et les stratégies divergentes, il
était impossible de parler d’unité politique, ni même de cohérence dans
aucune tendance, le tout s’adapta selon les ambitions à géométrie
variable.
Cette spirale et course folle vers une fin possible de la Révolution
dans un échec menaçait tout l’édifice et les premiers acquis en droit
étaient de l’ordre du possible. L’armée vit ses derniers pans
d’officiers légitimistes courir pour la défense des frontières, puis se
rallier à l’ennemi, ou une fois le roi déchu. Toute l’organisation
défensive du pays reposait sur des sables mouvants et comme nul ne
connaissaient les vraies intentions de Louis XVI, le piège de la guerre
aurait dû servir à lui rendre son pouvoir perdu. Il signa sans
rechigner la déclaration, même avec l’avis défavorable de ses ministres
Feuillants en charge des questions militaires, tout en appelant
l’Autriche et la Prusse à sa rescousse.
La préoccupation de s’armer pour résister aux traîtres ou envahisseurs
venait comme élément avant-coureur dans la société civile. Ce ne fut pas
Robespierre qui l’initia, il ne fit qu’appuyer là ou cela faisait mal.
L’indignation trouva sa source pour fait, que le pays puisse vendre des
armes à l’étranger. Les manufactures tournaient à plein, sans fournir la
moindre défense à ses populations. Les piques comme arme de défense a été
une demande venue de la base citoyenne, cette base sociale n’était pas
seulement clubiste, elle fut bien plus remuante ou insaisissable et en
rapport avec le réel, et les discours pouvaient sembler lointains des
préoccupations communes, ou de ce que l’on nomma le Peuple. C’est une
donnée sociologique encore trop abstraite pour n’y voir qu’un seul
élan, sauf à en gommer la multiplicité des approches. Et il est
impossible de le traduire par des tendances, pouvant se faire ou se
défaire au gré des conjonctures : le reflet de groupes ou cercles
politiques fluctuants, plus ou moins opportunistes et surtout en des petits
comités. Tous corrompus, non, mais il suffisait d’un fruit gâté dans le
même panier pour transmettre les éléments d’un pourrissement général.
Girondins comme Montagnards eurent leurs vertueux et des moins
vertueux, et les entraînèrent les uns et les autres dans leurs chutes
réciproques et futures.
En janvier, l'augmentation
des prix de l’ordre de 30% enclenchait
de nouveau des révoltes paysannes et urbaines. N’oublions pas que les
salaires étaient bloqués et de plus on spéculait sur les réserves.
L’accaparement des biens ou de ce qu’il faut pour vivre ne concordait
pas
avec ce régime pas vraiment libre de concurrence. Des prix fixés autour
de bruits ou rumeurs ou ce que d’autres nomment de nos jours la
confiance des marchés. Les assignats à l’étranger perdaient jusqu’à 60%
de leur valeur et l’on continua, tout en brûlant une partie des
titres d’hier à mettre encore plus de liquidité à disposition. Quand ce
qui a fini par manquer furent les petites liquidités. De son
côté, la demande populaire devint claire, elle voulue des prix fixes et
ne
voulait pas de cette liberté des marchés, où les denrées de base
augmentaient quand les salaires stagnaient et l’emploi faisait figure
d’objet rare ou insuffisant. Le taux d’activité dans tout l’hexagone était dans
l’ensemble
très faible et seuls des grands chantiers permettaient d’assurer de
l’ouvrage à un grand nombre.
L’année 1792 fut une année politique de décomposition et de
recomposition avant que ne surviennent les deux nouvelles grandes
formations à la Convention : Girondins & Montagnards. L’on sait que
c’est Jacques Brissot qui lança en avril le terme de Montagne aux
Jacobins. Ces deux mots ont eu un caractère générique, ils désignaient deux
groupes distincts, mais escamotaient la forêt des opinions
ou des positionnements. Ces deux ensembles pourtant ne reflètent pas
les nuances, quand il faudrait parler de tendance. Chaque camp
politique disposa de plusieurs sensibilités, comme pareillement chez
les Feuillants ou les légitimistes, ou fidèles à un ordre monarchique.
Cet aspect très politique des choses ne simplifie pas la lecture ou la
compréhension de la Révolution. Et n’aide pas vraiment à construire un
récit, puisque nous touchons à des questions fonctionnelles.
Depuis le 18 juillet 1791 et le départ des amis de Lafayette pour les
salles du couvent des Feuillants, les clubs Jacobins furent à l’origine
de cette distinction entre les dits montagnards et girondins, mais la réalité
sociale et politique ne fonctionnait pas dans cet ordre binaire. Chaque
composante, si elle se situa à gauche de l’Assemblée, à la Législative
les élus entraient plus dans un ordre social connu ou compréhensible, ou
sans rapport entre la première chambre et la Constituante. Avec une
droite royaliste et plus, et une gauche républicaine et moins (tous
n’étant pas pour un renversement du roi), sauf que les républicains ont
tous eu une conception propre et pas toujours en accord les uns entre les
autres, de ce que pouvait être un régime sans monarque. La question
sera tranchée à la fin de l’année, toute étape institutionnelle à sa
nature propre.
L’Assemblée législative qui dura à peine 10 mois n’était pas encore
représentative de toutes les sensibilités. Couthon a été un
proche de Robespierre et siégea à se côtés. L’homme fort de la gauche
parlementaire fut Brissot, élu de l’Eure et Loir et originaire de la
région de
Chartres, comme son ami Pétion de Villeneuve, devenu en novembre 1791, le
nouvel édile de la capitale. Il exista une part idéaliste, voire
naïve chez Jacques Brissot à croire que Lafayette et le roi étaient
contrôlables, Jérôme Pétion, moins politique allait agir comme un
pragmatique. Et il deviendra véritablement girondin, seulement quand il
sera à la
présidence de la Convention. Avant que le "girondisme" ne prenne
forme, il est question de brissotins au Parlement mono-caméral (une seule chambre) et
pour la salle des débats du couvent des Jacobins. Ses partisans
allaient
devenir majoritaire sur la question de la guerre, qui trouva plutôt un
accueil favorable dans la population, peu consciente des
orages à venir? La crédibilité du roi ne pesait plus très lourd à Paris,
mais
pas seulement, ce courant d’opinion se trouva assez partagé, et il
était plus
question de la prochaine fuite, que de savoir s’il y avait lieu de
conserver
un vieil ordre usé? La tentative qui visa à redorer les blasons de la Cour fut un piège que s’empressa d’ouvrir Louis XVI.
En début d’année, rien n’était joué et l’affrontement sur la question
de
la guerre était en route depuis décembre 1791 et tourna en une
minoration des propos de Robespierre et quelques manœuvres pour
les déformer. L’homme d’Arras, s’il trouvait aux Jacobins quelques
alliés et
devait faire face à des débats houleux, il s’adapta et ne chercha pas
la
scission et fit des concessions, voire des retournements assez
surprenants et se calquait sur des positions venues des Cordeliers,
mais pas avant juillet 1792 et avec un certain décalage. Comme si le
mouvement le devançait, plus qu’il n’a pu le stimuler ou le contenir?
Texte de Lionel Mesnard
Sur la crise des denrées coloniales
de janvier 1792
Entreprise de fabrication du sucre au XVIIIe siècle en Europe
La section des Gobelins devant l'Assemblée législative :
Le 23 janvier, elle accueillit une députation des citoyens et
citoyennes de la section des Gobelins qui protestèrent avec violence
contre les «accapareurs»:
« Représentants d’un peuple qui veut être libre, vivement alarmés des
dangers énormes qu’entraînent les accaparements de toute espèce, les
citoyens de la section des Gobelins, défenseurs de la liberté et exacts
observateurs de la loi, viennent avec confiance dénoncer, dans votre
sein, la cause effrayante du nouveau fléau qui nous menace de tous
côtés, surtout dans la capitale et qui frappe plus particulièrement les
indigents.
Cette masse précieuse de citoyens, digne de votre
sollicitude paternelle, n’a-t-elle fait tant de sacrifices que pour
voir sa subsistance dévorée par des traîtres? Ne serait-elle armée que
pour protéger de vils accapareurs qui appellent la force publique pour
défendre leurs brigandages? Qu’ils ne viennent pas nous dire que la
dévastation de nos îles est la seule cause de disette des denrées
coloniales. C’est leur agiotage insatiable qui renferme les trésors de
l’abondance, pour ne nous montrer que les squelettes hideux de la
disette.
Ce fantôme alarmant disparaîtra à vos yeux si vous faites ouvrir ces
magasins immenses et clandestins établis en cette ville, dans les
églises, les jeux de paume et autres lieux publics, à Saint-Denis, au
Pecq, à Saint-Germain et autres villes avoisinant la capitale. Étendez
vos regards paternels jusqu’au Havre, Rouen et Orléans, et vous
acquerrez la certitude réelle que nous avons tous, que nos magasins
renferment au moins pour quatre années de provisions de toutes espèces.
Si vous différez de vous en assurer, vous devez craindre une disette
réelle, et les transports journaliers de ces denrées aux pays qui nous
les ont expédiées nous offrent maintenant l’idée monstrueuse du retour
des eaux à leur source.
Nous entendons ces vils accapareurs et leurs infâmes capitalistes
nous objecter que la loi constitutionnelle de l’État établit la liberté
du commerce. Peut-il exister une loi destructive de la loi fondamentale
qui dit, article 4 des Droits de l’Homme : « La liberté consiste à
pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », et article 6 : « La
loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à autrui? ».
Or, nous vous le demandons, législateurs, nos représentants, n’est-ce
pas nuire à autrui d’accaparer les denrées de première nécessité pour
ne les vendre qu’au prix de l’or? (Applaudissements dans les
tribunes.) Et n’est-ce pas une chose criminelle et nuisible à la
société de consentir à un emploi désastreux des remboursements faits
mal à propos et injustement appliqués?
Quel scandale en effet de voir ces anciens magistrats de l’Assemblée
constituante (Cette allusion à l’ancien député feuillant Dandré, qui
avait de vastes magasins de denrées coloniales, est applaudie un peu
par l’Assemblée et beaucoup par les tribunes), un de nos anciens
représentants, coopérateur de la loi que nous venons invoquer, se
déclarer sans pudeur aujourd’hui le chef des accapareurs et retenir la
liberté du commerce dans les serres de ses misérables associés!
La suppression des entrées promettait un avenir heureux, elle nous
découvrait la terre promise ; nous comptions y toucher : une tempête,
soulevée par l’égoïsme et la cupidité, semble nous en écarter ; vous la
dissiperez. Voilà le motif de nos réclamations. La fermeté des mesures
que vous avez déjà prises contre les ennemis du dehors ne permet pas de
douter que vous saurez distinguer et punir ceux du dedans. Nous vous
les dénonçons comme les seuls que nous ayons à craindre!
Les citoyens de la section des Gobelins ne se sont pas, ainsi qu’on l’a
dit dans cette assemblée, fait délivrer à un bas prix le sucre resserré
dans une des propriétés nationales de son arrondissement. On a
indiscrètement calomnié une section qui s’est fait un devoir sacré et
saint d’obéir à la loi et de la maintenir. (Vifs applaudissements.)
Nous demandons que la municipalité soit autorisée par vos ordres à
vouloir bien surveiller les magasins afin qu’ils ne puissent être
enlevés et employés d’une manière coupable, et qu’ils puissent au moins
soulager la peuple qui souffre assez depuis très longtemps par la
cherté horrible où sont tous les comestibles de première nécessité. »
(Applaudissements.)
|
|
|
|
- Extraits du discours de Maximilien
Robespierre
- sur la guerre ou la paix ?
-
-
Reproduction N&B - Maxilien Robespierre - Archives du Pas-de-Calais
|
Prononcé à la
Société des Amis de la
Constitution (séante aux Jacobins), le 2 janvier 1792, l'an quatrième
de la Révolution »
« Ferons-nous la guerre, ou ferons-nous la paix? Attaquerons-nous
nos ennemis, ou les attendrons-nous dans nos foyers? Je crois que cet
énoncé ne présente pas la question sous tour, ses rapports et dans
toute son étendue. Quel parti la nation et ses représentant doivent-ils
prendre dans les circonstances où nous sommes, à l'égard de nos ennemis
intérieurs et extérieurs? Voilà le véritable point de vue sous lequel
on doit l'envisager, si on veut l'embrasser toute entière, et la
discuter avec toute l'exactitude qu'elle exige. Ce qui importe,
par-dessus tout, quel que puisse être le fruit de nos efforts, c'est
d'éclairer la nation sur ses véritables intérêts et sur ceux de ses
ennemis; c'est de ne pas ôter à la liberté sa dernière ressource, en
donnant le change à l'esprit public dans ces circonstances critiques.
Je tâcherai de remplir cet objet en répondant principalement à
l'opinion de M. Brissot.
Si des traits généraux, si la peinture brillante et prophétique des
succès d'une guerre terminée par les embrassements fraternels de tous
les peuples de l'Europe sont des raisons suffisantes pour décider une
question aussi sérieuse, je conviendrai que M. Brissot l'a parfaitement
résolue ; mais son discours m'a paru présenter un vice qui n'est rien
dans un discours académique, et qui est de quelque importance dans la
plus grande de toutes les discussions politiques ; c'est qu'il a sans
cesse évité le point fondamental de la question, pour élever à côté
tout son système sur une base absolument ruineuse.
Certes, j'aime tout autant que M. Brissot une guerre entreprise pour
étendre le règne de la liberté, et je pourrais me livrer aussi au
plaisir d'en raconter d'avance toutes les merveilles. Si j'étais maître
des destinées de la France, si je pouvais, à mon gré, diriger ses
forces et ses ressources, j'aurais envoyé, dès longtemps, une armée en
Brabant, j'aurais secouru les Liégeois et brisé les fers des Bataves ;
ces expéditions sont fort de mon goût. Je n'aurais point, il est vrai,
déclaré la guerre à des sujets rebelles, je leur aurais ôté jusqu'à la
volonté de se rassembler; je n'aurais pas permis à des ennemis plus
formidables et plus près de nous de les protéger et de nous susciter
au-dedans des dangers plus sérieux. (Note : Il s'agit des
rassemblements d'émigrés dans l'Evèché de Trêves. Le 14 décembre, le
roi vint annoncer à l'Assemblée qu'il consentait à sommer l'Electeur de
disperser ces rassemblements). » (…)
« Vous blâmez le ministre Montmorin qui a cédé sa place, pour attirer
la confiance sur le ministre Lessart qui s'est chargé de son rôle! A
Dieu ne plaise que je perde des moments précieux à instituer un
parallèle entre ces deux illustres défenseurs des droits du peuple!
Vous avez expédié deux certificats de patriotisme à deux autres
ministres, pour la raison qu'ils avaient été tirés de la classe des
plébéiens (Note : Cahier de Gerville, ministre de l'Intérieur, et
Tarbé, ministre des Contributions et revenus publics.) et moi, je le
dis franchement, la présomption la plus raisonnable, à mon avis, est
que, dans les circonstances où nous sommes, des plébéiens n'auraient
point été appelés au ministère, s'ils n'avaient été jugés dignes d'être
nobles. Je m'étonne que la confiance d'un représentant du peuple porte
sur un ministre que le peuple de la capitale a craint de voir arriver à
une place municipale ; je m'étonne de vous voir recommander à la
bienveillance publique le ministre de la justice (Note : Duport du
Tertre.), qui a paralysé la cour provisoire d'Orléans, en se dispensant
de lui envoyer les principales procédures; le ministre qui a calomnié
grossièrement, à la face de l'assemblée nationale, les sociétés
patriotiques de l'état, pour provoquer leur destruction; le ministre
qui, récemment encore, vient de demander à l'assemblée actuelle la
suspension de l'établissement des nouveaux tribunaux criminels, sous le
prétexte que la nation n était pas mûre pour les jurés, sous le
prétexte - qui le croirait ! - que l'hiver est une saison trop rude
pour réaliser cette institution, déclarée partie essentielle de notre
constitution par l'acte constitutionnel, réclamée par les principes
éternels de la justice, et par la tyrannie insupportable du système
barbare qui pèse encore sur le patriotisme et sur l'humanité; ce
ministre, oppresseur du peuple avignonnais, entouré de tous les
intrigants que vous avez vous-même dénoncés dans vos écrits, et ennemi
déclaré de tous les patriotes invariablement attachés à la cause
publique. Vous avez encore pris sous votre sauvegarde le ministre
actuel de la guerre. Ah! de grâce, épargnez-nous la peine de discuter
la conduite, les relations et le personnel de tant d'individus,
lorsqu'il ne doit être question que des principes et de la patrie. Ce
n'est pas assez d'entreprendre l'apologie des ministres, vous voulez
encore les isoler des vues et de la société de ceux qui sont
notoirement leurs conseils et leurs coopérateurs. » (…)
« D'abord, apprenez que je ne suis point le défenseur du peuple; jamais
je n'ai prétendu à ce titre fastueux; je suis du peuple, je n'ai jamais
été que cela, je ne veux être que cela; je méprise quiconque a la
prétention d'être quelque chose de plus. S'il faut dire plus,
j'avouerai que je n'ai jamais compris pourquoi on donnait des noms
pompeux à la fidélité constante de ceux qui n'ont point trahi sa cause
; serait-ce un moyen de ménager une excuse à ceux qui l'abandonnent, en
présentant la conduite contraire comme un effort d'héroïsme et de
vertu? Non, ce n'est rien de tout cela; ce n'est que le résultat
naturel du caractère de tout homme qui n'est point dégradé. L'amour de
la justice, de l'humanité, de la liberté est une passion comme une
autre; quand elle est dominante, on lui sacrifie tout; quand on a
ouvert son âme à des passions d'une autre espèce, comme à la soif de
l'or ou des honneurs, on leur immole tout, et la gloire, et la justice,
et l'humanité, et le peuple et la patrie. » (…)
« Croyez-vous que le dessein de la cour soit d'ébranler le trône de
Léopold et ceux de tous les rois qui, dans leurs réponses à ses
messages, lui témoignent un attachement exclusif, elle qui ne cesse de
vous prêcher le respect pour les gouvernements étrangers, elle qui a
troublé par ses menées la révolution de Brabant (Note : Voir la séance
de l’Assemblée du 28 juillet 1790). Elle interdit aux troupes
autrichiennes le passage sur le territoire français, mais les laissa
occuper l'évêché de Bâle. D'autre part, elle refusa de communiquer avec
les Etats Généraux de Belgique.), elle qui vient de désigner à la
nation, comme le sauveur de la patrie, comme le héros de la liberté, le
général qui, dans l'assemblée constituante, s'était déclaré hautement
contre la cause des Brabançons? (Note : Lafayette). Cette réflexion me
fait naître une autre idée; elle me rappelle un fait qui prouve
peut-être à quels pièges les représentants du peuple sont exposés.
Peut-être est-il étonnant que dans le temps où on parlait de guerre
contre des princes allemands, pour dissiper des émigrants français, on
se soit hâté de rassurer, par un décret, le chef du corps germanique,
contre la crainte de voir se rassembler sur nos frontières les
Brabançons, qui viennent chercher un asile parmi nous (Note : Décret du
21 décembre 1791). » (…)
« Il résulte de ce que j'ai dit plus haut, qu'il pourrait arriver que
l'intention de ceux qui demandent et qui conduiraient la guerre ne fût
pas de la rendre fatale aux ennemis de notre révolution, et aux amis du
pouvoir absolu des rois : n'importe, vous vous chargez vous-même de la
conquête de l'Allemagne, d'abord; vous promenez notre armée triomphante
chez tous les peuples voisins; vous établissez partout des
municipalités, des directoires, des assemblées nationales, et vous vous
écriez vous-même que cette pensée est sublime, comme si le destin des
empires se réglait par des figures de rhétorique. Nos généraux,
conduits par vous, ne sont plus que les missionnaires de la
constitution ; notre camp qu'une école de droit public ; les satellites
des monarques étrangers, loin de mettre aucun obstacle à l'exécution de
ce projet, volent au-devant de nous, non pour nous repousser, mais pour
nous écouter. » (…)
« L'exemple de l'Amérique, que vous avez cité, aurait-il suffi pour
briser nos fers, si le temps et le concours des plus heureuses
circonstances n'avaient amené insensiblement cette révolution? La
déclaration des droits n'est point la lumière du soleil qui éclaire au
même instant tous les hommes; ce n'est point la foudre qui frappe en
même temps tous les trônes. Il est plus facile de l'écrire sur le
papier ou de la graver sur l'airain, que de rétablir dans le cœur des
hommes ses sacrés caractères effacés par l'ignorance, par les passions
et par le despotisme. Que dis-je? N'est-elle pas tous les jours
méconnue, foulée aux pieds, ignorée même parmi vous qui l'avez
promulguée? L'égalité des droits est-elle ailleurs que dans les
principes de notre charte constitutionnelle? Le despotisme,
l'aristocratie ressuscitée sous des formes nouvelles, ne relève-t-elle
pas sa tête hideuse? N'opprime-t-elle pas encore la faiblesse, la
vertu, l'innocence, au nom des lois et de la liberté même? La
constitution, que l'on dit fille de la déclaration des droits,
ressemble-t-elle si fort à sa mère? Que dis-je? Cette vierge, jadis
rayonnante d'une beauté céleste, est-elle encore semblable à elle-même?
N'est-elle pas sortie meurtrie et souillée des mains impures de cette
coalition qui trouble et tyrannise aujourd'hui la France, et à qui, il
ne manque, pour consommer ses funestes projets, que l'adoption des
mesures perfides que je combats en ce moment ? Comment donc pouvez-vous
croire qu'elle opérera, dans Je moment même que nos ennemis intérieurs
auront marqué pour la guerre, les prodiges qu'elle n'a pu encore opérer
parmi nous ? » (…)
« Le vrai moyen de témoigner son respect pour le peuple n'est point de
l'endormir en lui vantant sa force et sa liberté, c'est de le défendre,
c'est de le prémunir contre ses propres défauts; car le peuple même en
a. Le peuple est là, est dans ce sens un mot très dangereux. Personne
ne nous a donné une plus juste idée du peuple que Rousseau, parce que
personne ne l'a plus aimé. « Le peuple veut toujours le bien, mais il
ne le voit pas toujours ». Pour compléter la théorie des principes des
gouvernements, il suffirait d'ajouter : les mandataires du peuple
voient souvent le bien; mais ils ne le veulent pas toujours. Le peuple
veut le bien, parce que le bien public est son intérêt, parce que les
bonnes lois sont sa sauvegarde : ses mandataires ne le veulent pas
toujours, parce qu'ils veulent tourner l'autorité qu'il leur confie au
profit de leur orgueil. Lisez ce que Rousseau a écrit du gouvernement
représentatif, et vous jugerez si le peuple peut dormir impunément. Le
peuple cependant sent plus vivement, et voit mieux tout ce qui tient
aux premiers principes de la justice et de l'humanité que la plupart de
ceux qui se séparent de lui ; et mon bon sens à cet égard est souvent
supérieur à l'esprit des habiles gens; mais il n'a pas la même aptitude
à démêler les détours de la politique artificieuse qu'ils emploient
pour le tromper et pour l'asservir, et sa bonté naturelle le dispose à
être la dupe des charlatans politiques. Ceux-ci le savent bien, et ils
en profitent. » (…)
« Bientôt quiconque a des talents avec des vices lui appartient; il
suit constamment un plan d'intrigue et de séduction; il s'attache
surtout à corrompre l'opinion publique; il réveille les anciens
préjugés, les anciennes habitudes qui ne sont point encore effacées; il
entretient la dépravation des moeurs qui ne sont point encore
régénérées; il étouffe le germe des vertus nouvelles, la horde
innombrable de ses esclaves ambitieux répand partout de fausses maximes
; on ne prêche plus aux citoyens que le repos et la confiance ; le mot
de liberté passe presque pour un cri de sédition; on persécute, on
calomnie ses plus zélés défenseurs; on cherche à égarer, à séduire, ou
à maîtriser les délégués du peuple ; des hommes
usurpent sa confiance pour vendre ses droits, et jouissent en paix du
fruit de leurs forfaits. Ils auront des imitateurs qui, en les
combattant, n'aspireront qu'à les remplacer. Les intrigants et les
partis se pressent comme les flots de la mer. Le peuple ne reconnaît
les traîtres que lorsqu'ils lui ont déjà fait assez de mal pour le
braver impunément. A chaque atteinte portée à sa liberté, on l'éblouit
par des prétextes spécieux, on le séduit par des actes de patriotisme
illusoires, on trompe son zèle et on égare son opinion par le jeu de
tous les ressorts de l'intrigue et du gouvernement, on le rassure en
lui rappelant sa force et sa puissance. Le moment arrive où la division
règne partout, où tous les pièges des tyrans sont tendus, où la ligue
de tous les ennemis de l'égalité est entièrement formée, où les
dépositaires de l'autorité publique en sont les chefs, où la portion
des citoyens qui a le plus d'influence par ses lumières et par sa
fortune est prête à se ranger de leur parti. » (…)
« J'ai dévoilé une partie des projets de nos ennemis; car je ne doute
pas qu'ils ne recèlent encore des profondeurs que nous ne pouvons
sonder; j'ai indiqué nos véritables dangers et la véritable cause de
nos maux : c'est dans la nature de cette cause qu'il faut puiser le
remède, c'est elle qui doit déterminer !a conduite des représentants du
peuple. Il resterait bien des choses à dire sur cette matière, qui
renferme tout ce qui peut intéresser la cause de la liberté; mais j'ai
déjà occupé trop longtemps les moments de la société : si elle me
l'ordonne, je remplirai cette tâche dans une autre séance. »
Source : Les Oeuvres de Robespierre, pages 74 à 92, tome VIII,
Discours d’octobre 1791 à septembre 1792. L’Edition est
sous la direction de Marc Bouloiseau, Georges Lefebvre et Albert Soboul
et le concours du CNRS (PUF 1954 ). Le discours s’y trouve en entier et annotés par les
auteurs.
|
|
|
Sur la nécessité de la guerre
Troisième discours - Prononcé à la société des Amis de la Constitution,
séante aux Jacobins, le 20 janvier 1792
Jacques-Pierre Brissot
|
«
MESSIEURS,
CONVAINCU que la discussion engagée, tant à l'Assemblée nationale, que
dans cette société, avait éclairé au plus haut degré la question de la
guerre, je n'imaginais pas qu'en reproduisant les mêmes arguments, on
me forcerait encore à reparaître sur l'arène. J'aurais dédaigné et les
sophismes et les insinuations dans la bouche des partisans du
ministère; mais c'est un patriote, c'est un frère qui demande des
éclaircissements, et c’est un devoir pour moi de les donner. Je le
remplirai avec cette décence convenable à tout homme qui se respecte
lui-même et respecte la société devant laquelle il parle.
Je ne répéterai point ici les arguments que j'ai développés avant-hier
à l'Assemblée nationale, parce que mon discours doit vous être
distribué dans votre prochaine séance. Je vous dirai seulement que je
m'y suis attaché à prouver deux points importants.
I°, Que l'empereur était en état d'hostilité ouverte envers la France,
et qu'il était autant de notre sûreté que de notre dignité de
l'attaquer, s'il ne nous donne pas une satisfaction telle qu'elle
dissipe toutes nos inquiétudes.
2°, Que l'empereur avait violé constamment le traité du premier mai
1756, qu'il fallait se hâter de le rompre, puisqu'il était onéreux à la
France sous tous les points de vue et que, surtout, il était impossible
de conserver la liberté de la France, tant que ce traité subsistera.
Je viens maintenant aux arguments qui m'ont été faits
dans cette tribune par M. Robespierre, et que je n'ai pas encore
réfutés.
La question qui nous divise peut-être réduite à des termes bien
simples, et je copie ceux mêmes de mon adversaire: Quel parti, a-t-il
dit, devons-nous pendre dans les circonstances où nous sommes?
Pour-nous déterminer sur ce parti, il faut connaître ces circonstances.
Or, nous sommes dans des circonstances hostiles, offensives ; donc il
faut, je ne dis pas attaquer, mais nous défendre et comme en nous
défendant, il nous convient mieux de faire du pays ennemis,. plutôt que
du nôtre, le théâtre de la guerre, donc il faut sa hâter de la porter
au-delà du Rhin. Osera-t-on nier ces circonstances hostiles Niera-t-on
que les émigrants étaient parvenus à rassembler des forces à Worms, à
Coblentz? à les armer, à les approvisionner? Niera-t-on qu'ils nous
menaçaient d'une prochaine invasion? Niera-t-on que les électeurs leur
prêtaient non seulement un asile, mais des secours considérables,
qu'ils en tiraient encore des divers princes qui ont intérêt à
entretenir le feu de la discorde au sein dé la France?
Dès lors ne devient-il pas d'une absolue nécessité que, pour faire
cesser ces rassemblements, ces menaces, ces hostilités prochaines, la
France déployât ses forces et menaçât à son tour d'écraser, ses
imprudents voisins? Elle a réussi, les rassemblements sont
dissipés; le succès a prouvé la bonté de cette opération, et la fermeté
que la France a développée dans cette opération, en étonnant l'Europe,
a convaincu les peuples et les souverains, que la France n'était pas
sans moyens, qu'elle n'était pas réduite à l'impuissance par
l'anarchie, comme ses détracteurs le répètent partout. Mais la France
ne perdrait-elle pas tout le fruit qu'elle doit attendre de ce grand
développement, si elle s'arrêtait dans sa carrière, et si, après avoir
effrayé les petits princes qui osaient l'insulter, elle ne prenait pas
la même altitude vis-à-vis des grandes puissances qui stimulaient
sourdement les électeurs?
L'empereur est à la tête. Il a montré son inimitié pour la nation
française, et en refusant d'abord de dissiper les rassemblements, et en
promettant des troupes aux électeurs, et surtout en excitant, en
concluant une ligue contre la France avec diverses autres puissances ;
cette ligue est prouvée par ses lettres, par une circulaire, par divers
traités, par les notifications qui en ont été faites à la diète de
Ratisbonne. Il est dés lors en état d'hostilité contre la France.
Maintenant ne serait-il pas insensé de rester tranquille sur la
défensive de laisser se former tranquillement au-dehors cette coalition
couronnée, de lui laisser rassembler ses forces, pour tomber sur nous
au moment qui lui conviendrait le mieux ? Je ne cesserai de répéter ce
dilemme auquel on n'a pas encore répondu.
Ou l'empereur veut nous attaquer, ou il ne veut que nous effrayer. S'il
veut nous attaquer, il est de la démence de ne pas le prévenir,
puisqu'en le prévenant nous avons mille avantages, puisqu'en
l'attendant, nous les perdons tous.
Si l'empereur veut seulement nous effrayer, c'est pour nous forcer à
dissiper des sommes énormes dans des préparatifs et des armements qui
nous épuisent ; c'est pour nous laisser un éternel sujet d'inquiétude,
entretenir l'espoir des mécontents, et par conséquent le désordre, et
par conséquent amener la banqueroute, etc.
Dans ce cas, le bon sens ne dit-il pas qu'il faut mettre fin à ce jeu
ruineux, qu'une guerre ouverte serait moins dangereuse, moins coûteuse,
que ces préparatifs de guerre? Donc il faut ou exiger de l'empereur une
satisfaction telle que nous puissions être tranquilles, que nous
puissions désarmer, ou il faut l'y forcer par les armes.
Que répond-on à ce dilemme pressant? La cour de France
veut la guerre, et il faut se délier de ses vues secrètes.
- Et je dis, moi, messieurs, la cour ne veut pas la guerre. Je l'ai
dit, le jour même où le roi prononçait son fameux discours du 14
décembre ; tout cet étalage ne m'a point séduit; j'ai dès lors prévu
qu'au 15 janvier, il n'y aurait pas de proposition de guerre. J'ai
persisté dans ma prédiction, quoi que tous les ministériels semblassent
s'être donné le mot pour emboucher la trompette guerrière, et ma
prédiction s'est vérifiée; car vous avez vu, messieurs , le ministre
des affaires étrangères vous apporter des lettres calmantes qui
annonçaient la soumission des électeurs. - Vous l'avez vu publier une
proclamation qui manifeste ses craintes sur une agression imprévue. -
Vous l'avez entendu, dans son dernier discours, prêcher la paix…
Nouveau stratagème! s'écrie-t-on, la cour veut toujours la guerre; mais
elle change de marche, pour vous la faire mieux adopter. Mais ce
stratagème serait inutile, serait même stupide ; car, si la cour veut
la guerre, pourquoi le roi ne vient-il pas en faire la proposition à
l'assemblée nationale?
J'ose assurer que les deux tiers de cette assemblée accueilleraient
avec transport cette proposition. Comment donc, puisque la cour est
sûre de faire, est sûre d'avoir la guerre quand elle le voudra, comment
aurait-elle la démence de prendra une route longue, tortueuse,
incertaine? Comment feindrait-elle de ne la pas vouloir, pour nous la
faire vouloir, lorsque nous la voulons, lorsque le vœu général était
bien prononcé? Comment dédaignerait-elle de profiter du fruit de ses
manœuvres lorsque ce trait est dans ses mains. Comment en éloignerait
elle le moment? Comment les membres de l'assemblée qui lui sont dévoués
viendraient-ils combattre la guerre même qu'elle désire ?
Allons plus loin, et voyons si les autres actes de la
cour prouvent qu'elle veut la guerre. Si le roi veut la guerre, que
doit-il faire? Multiplier tous les moyens qui peuvent la rendre
nécessaire.
Ainsi, puisqu'on suppose qu'il est de concert avec les réfugiés de
Coblentz, avec les électeurs, avec l'empereur, comment ne les a-t-il
pas prié secrètement de ne pas dissiper les rassemblements, de
continuer les exercices militaires, de vexer les Français, d'insulter
leur territoire? Par quelle démence allie-t-il ces contradictions? Il
veut la guerre, il est de concert avec les électeurs! et ces électeurs
dissipent les rassemblements, chassent les émigrés, donnent
satisfaction à la France y et ôtent tout prétexte de guerre au roi, qui
la veut ; de concert avec eux! Il veut la guerre, et l'empereur, son
beau-frère, son soutien secret, qui doit la vouloir avec lui, la faire
pour lui , qu~ devrait profiter de tous les prétextes pour la faire
déclarer, hâter les préparatifs, faire marcher ses, troupes; cet
empereur force les électeurs à dissiper les rassemblements, laisse ses
troupes dans l'inaction, ne fait aucun mouvement, va de lui-même
au-devant de la paix ! N'existe t-il pas une contradiction évidente
entre la volonté de la guerre, qu'on prête au roi, et ses actions ?
N'est-il pas ici un mystère qu'il est impossible de résoudre dans, le
système de mon adversaire?
Au contraire, tout ce mystère s'explique aisément dans le mien : Ni la
cour de France, ni l’empereur, ne veulent la guerre, ils ont voulu
seulement nous effrayer. Ils ont dû, pour nous effrayer, nous la
proposer avec éclat ; ils ont dû la proposer, pour exciter des
défiances dans l'esprit des patriotes éclairés ; ils ont dû la
proposer, pour se populariser parmi les troupes. Ils doivent
aujourd'hui changer de langage, parce qu'ils sont prêts d'être pris au
mot; ils doivent- en changer, parce que la guerre ne leur convient
point ; et c'est ce, qu'il est facile de démontrer.
Léopold ne doit pas la vouloir ; dix volcans sont allumés sous ses pas ;
une étincelle peut, les embraser tous à la fois. La cour de France
elle-même doit redouter l'issue de cette guerre; c'est le triomphe de
l'aristocratie et de Léopold qui lui convient. Et ce triomphe est
incertain ; elle voit que les armées de Léopold sont insuffisantes pour
ses propres besoins que ses finances sont délabrées ; que sa volonté
est chancelante; elle sait que les princes confédérés n'ont ni la
puissance, ni les moyens, ni la bonne foi nécessaires pour assurer le
succès de cette coalition commencée. La cour sait qu'elle a un appui
certain dans Léopold ; mais elle sait aussi qu'il est impossible de
calculer les effets de la guerre, les effets d'un embrasement
universel. Elle voit en frémissant qu'au premier coup de canon, le
Brabant peut s'ébranler et renverser sont ancien régime, elle sait que
Vienne mécontente peut profiter de ce moment pour manifester son
mécontentement ; et qui répond à notre cour que le trône de Léopold
n'en sera pas renversé?
Qui lui répond que l'audace des troupes françaises s'arrêtera à son
gré? Qui lui répond que les Français ne franchiront pas les bornes
qu'elle leur posera? Qui lui répond que, quand les Français le
respecteraient, les étrangers n'osassent pas l'outrepasser? Quand Louis
XVI assembla les notables, prévoyait-il la chute de la Bastille? Quel
est donc le mortel auquel il est donné de pouvoir lire dans l'avenir,
et marquer à la révolution le temps et le pays où elle doit s'arrêter?
Les volcans sont préparés partout ; encore une fois il ne faut qu’une
étincelle pour l'explosion universelle. Ce n’est pas au patriotisme à
en craindre les suites y elle ne menace que les trônes. Les cours de
l'Europe ne voient que trop bien les suites de la révolution Française
; elles voient bien que les rois sont mûrs, et leur politique doit être
de retarder le moment où le fruit doit tomber. Or la guerre
accélérerait ce moment, ils doivent donc l'éviter. Mais en même temps
qu'ils sont forcés de l'éviter, ils doivent affecter de ne pas la
craindre ; ils doivent affecter des hauteurs avec la France, chercher à
la tracasser, semer la discorde dans son sein, l'épouvanter au-dehors
par des ligues impossibles à réaliser ; et ils savent bien cette
impossibilité; mais qu'importe? S'ils ont excité la terreur, ils auront
réussi ; leur espoir a été déçu.
Cette manœuvre a été sans succès, et pourquoi? Parce que les rois ont
mal jugé la France et l'esprit de la liberté. Ils ont cru, d'après des
journaux aristocratiques (et ils ne lisent que ceux-là), d'après les
récits mensongers de vils flatteurs, que la France était sans soldats,
sans argent, sans moyens, et ils l'ont insultée avec éclat ; ils ont
cru que la France était dirigée par une poignée de factieux, et cette
poignée est composée de 25 millions d'hommes ; ils ont cru que l'amour
de la liberté n'était qu’un vain mot, qu'il céderait à la crainte, et
ils ont insulté à cet esprit de liberté.
Repoussés avec fermeté, les voilà forcés de. rétrograder, forcés de
rendre hommage à votre indépendance , d'obéir à vos réquisitions. Que
voyez-vous dans cette conduite? Ineptie et châtiment à côté de
l'insolence ; fermeté et succès à côté de la justice. Je vous
l'ai déjà dit, messieurs, qu'importe à une grande nation les petits
calculs de quelques individus P., que lui importe de savoir ce; qu'ils
veulent ou ce qu'ils ne veulent pas ; de connaître tous les fils des
intrigues qui agitent leurs cabinets, toutes les passions des scélérats
ou des femmes corrompues qui les dirigent ? Une grande nation ne doit
avoir sous les yeux que deux grands objets, les principes et la force.
Cependant je dois résoudre une objection qui m'a été faite.
Si les cours de France et de Vienne, m'a-t-on dit, ne veulent pas la
guerre à présent, c'est qu'elles ne sont pas préparées ; elles ne la
veulent que pour le printemps. - J'y consens ; mais qu'en conclure?
Qu’il faut la faire à présent. Nous sommes sûrs du succès, en attaquant
les premiers; tous les avantages nous attendent sur le terrain ennemi ;
tous les désastres nous suivront dans nos foyers : aussi, messieurs,
tout,ce qu'on peut dire sur cette question, peut se réduire à ce triple
point de vue : - ou l'Empereur veut la guerre, ou il ne la veut qu'au
printemps , ou il ne la veut pas du tout.
S'il la veut, il faut le prévenir ; s'il ne la veut qu'au printemps
prochain, il faut encore hâter de le prévenir i s'il ne la veut pas du
tout, il faut le forcer, en la lui déclarant, à nous donner toutes les
satisfactions qui peuvent dissiper nos inquiétudes, et nous mettre à
portée de terminer cette guerre de préparatifs. Donc, dans tous les
cas, la guerre est nécessaire.
On voit maintenant que nous ne sommes pas libres de vouloir ou de ne
pas vouloir la guerre. Elle n'est pas offensive de notre part, car nous
sommes attaqués ; notre sûreté est en danger, si la ligue se réalise;
et si elle ne se réalise pas, elle nous cause des inquiétudes
dispendieuses. On a prétendu qu'il valait mieux avoir cette guerre
au-dedans de la France qu'au-dehors. C'est dire qu’il vaut mieux avoir
chez soi le feu, la peste, et tous les maux possibles, que de les
prévenir, et de les repousser chez ses ennemis ; c'est oublier ce qu'on
doit à ses concitoyens des frontières, sur la tête desquels on appelle
toutes ces calamités.
On a dit qu'on voulait bien la guerre, mais la guerre du peuple, et non
pas la guerre des armées soldées. Cette idée est grande, mais est-elle
exécutable, est-elle salutaire au peuple? C'est dire qu'on veut
arracher tout le peuple à ses foyers, à ses affaires ; c'est dire qu'on
a partout des moyens pour l'alimenter et l'armer ; c'est dire qu'on a
besoin de cette croisade innombrable de millions d'hommes pour
repousser quelques milliers d'hommes ; c'est dire qu'avec une foule
d'hommes courageux, mais qui n'ont pas l'habitude des armes, qui n'ont
pas de chefs expérimentés, on est plus sûr du succès qu'avec des
troupes disciplinées, armées, habituées à la fatigue ; c'est, en un
mot, envoyer le peuple à la boucherie. J'ai comme tout autre, admiré
l'apostrophe de M. Robespierre ; mais je lui dirai, d'après lui-même,
que le destin des empires ne se règle pas d'après des figures de
rhétorique.
Le pouvoir exécutif, chargé de diriger la guerre, épouvante: on
voudrait l’avoir hors de ses mains. Certes, les craintes qu'on a du
pouvoir exécutif sont en général bien fondées ; elles tiennent, à sa
nature, à sa formation. Le peuple n'a point de prise sur le ministère,
et c'est un vrai crime dans ceux qui ont révisé la constitution d'avoir
ôté au peuple son influence à cet égard ; ils ont, dans cette partie ,
semé l'anarchie , semé les défiances. Cependant cette constitution est
jurée , il faut lui obéir: elle met dans la main du roi la direction de
l'armée ; elle doit y rester , mais en la surveillant, mais en
éclairant tous ses faits. Il faut donc que l'armée soit organisée
suivant les décrets, se conforme à la discipline décrétée, obéisse aux
généraux nommés par le roi. Il faut, ou marcher ainsi, ou briser la
constitution.
On a dit et répété que la guerre mettrait dans la main du pouvoir
exécutif de grandes forces, qu'il pourrait en abuser. Et j'ai déjà
répondu qu'on insultait à nos soldats, à nos volontaires nationaux.
J'ai répondu que la cour pourrait séduire quelques généraux, quelques
officiers, mais qu'elle ne séduirait pas les soldats, nos gardes
nationales. J'ai cité Bouillé, désertant seul, Arnold, désertant seul.
J'ai dit que les grandes trahisons étaient désormais impossibles, et
j'aime à croire que les terreurs de M. Robespierre seraient désavouées
dans nos camps.
On a dit qu'on voulait cantonner et camper les soldats pour les ramener
plus facilement à l’idolâtrie pour le chef suprême de l'armée. Et ces
camps sont formés depuis longtemps, et cette idolâtrie ne se manifeste
point, et ceux qui ont visité les camps savent que le soldat aime la
liberté, la révolution par dessus tout. Et ceux qui connaissent l'effet
rapide des progrès de la raison, l'influence des papiers et de
l'opinion publique qui s'éclaire chaque jour, voient que cette
idolâtrie pour un homme touche bientôt à son terme.
On nous a dit qu'il valait mieux, au lieu de s'occuper de guerre,
remettre l'ordre dans l'intérieur, éclairer les finances, etc. etc. Et
tous ces lieux communs étaient et sont encore aujourd'hui précisés par
le ministère. Il nous a aussi observé avant-hier, que la guerre la plus
heureuse entraînait les plus grandes calamités. Il est très singulier
de voir aujourd'hui M. Robespierre, marchant sur la même ligne que le
ministère, soutenir cependant qu'il est en sens inverse, et prétendre
que ceux-là seuls le soutiennent qui le combattent.
Comme M. de Lessart, il nous dit : ce que répondrez-vous au pouvoir
exécutif quand il vous dira, quand il vous prouvera, par des actes
authentiques, que les princes ont dissipé les rassemblements. Quel
prétexte légitime vous reste-t-il pour faire la guerre? Certes, nous
n'accuserons pas, malgré ces rapprochements, M. Robespierre d'être de
concert avec le ministère; mais qu'il veuille bien croire au moins que
ce concert n'existe pas entre ce ministre et ceux qui le combattent
ouvertement, qui dénoncent avec vigueur les vices et les abus de son
administration. Cette idée me ramène à quelques insinuations sur la
pureté de mes intentions, qui déparent les discours de M. Robespierre.
Elles lui sont étrangères, j'aime à le croire ; car je l'ai vu, j'ai
connu son âme, et la méchanceté n'en approcha jamais. S'il existe des
poisons déguisés dans ses discours, je ne les attribuerai qu'aux
suggestions d'hommes contre lesquels il n'est pas assez armé de
défiance.
M. Robespierre, se flatte de pouvoir prononcer avec liberté sur les
ministres, parce qu'il ne spécule ni pour lui, ni pour ses amis. Et moi
aussi, je puis prononcer librement ; car non seulement je ne spécule
point sur le ministère, mais j'ai renoncé même à toute espèce de
commerce avec les hommes que j'avais connus avant leur élévation au
ministère. Si, au milieu des confidences de l'amitié, j'ai pu
quelquefois laisser entrevoir le vœu que je formais de voir élever au
ministère des patriotes éclairés, ce vœu est-il donc un crime si grand,
qu'il fallut violer les épanchements de l'amitié, et le dénoncer avec
éclat? Devons-nous donc être condamnés à n'avoir jamais que des
ministres ignorants ou corrompus? Veut-on donc condamner le
gouvernement à une inaction éternelle, et le peuple français à sa
ruine? Car tel est le point où nous mènent ceux qui ne veulent pas voir
élever des patriotes au ministère. Quoi ! si la cour balançait entre un
Jacobin et un modéré, ce serait un crime que de désirer de voir pencher
la balance pour notre frère, et surtout pour un homme qui a rendu les
plus grands services à la cause de la liberté!
Un patriote élevé au ministère, ou soutient la cause du
peuple, ou la trahit ; s'il la soutient, il contribue à la prospérité
publique; s'il la trahit, l'opinion publique n'est-elle pas là pour le
dénoncer?
M. Robespierre me reproche encore d'avoir expédié des brevets de
patriotisme à deux ministres. Il m'a mal lu ; j'ai dit qu'un ministère
plébéien devait se combiner avec les patriotes pour écraser les
aristocrates et avec les modérés, pour écraser les patriotes. Quel
brevet de patriotisme! Partant de cette supposition, il s'écrie : comme
les routes du patriotisme sont devenues, pour M, Brissot, douces et
riantes!
Libelles, menaces, poignards, et ce qui est plus douloureux encore,
attaques obliques, de l'amitié surprise, voilà les fleurs qui ornent la
route que je parcours. L'insinuation est l'arme des méchants ; elle ne
convient donc point à un patriote. Si j'ai dévié des principes , si je
suis coupable, que M. Robespierre articule un fait positif ; je l’en
somme lui et tous ceux qui m'entendent. J'ai ma conscience pour moi;
elle seule m'a soutenu dans tous les combats que j'essuie depuis
quelque temps; mais je l'avoue, cette consolation m'abandonne, en me
voyant, non pas ouvertement déchiré, mais effleuré avec un air de
mystère, par un homme qui a droit à l'estime publique. Il ne cesse
depuis quelque temps de vous annoncer la révélation de grandes,
conspirations.
Qu'il ose enfin soulever le voile ; qu'il éclaire de grands jours ces
noirs complots; qu'il ose dire si j'y trempe, me voilà prêt à répondre
; qu'il cesse enfin de faire errer le glaive des dénonciations sur un
homme qui comme lui, à le droit de se dire : integer vitae scelerisque
purus (L’homme dont la vie est pure tiré d’une ode d’Horiace). Oui,
messieurs, cette tête est comme la sienne l'exécration des partisans
de la tyrannie ; elle doit tomber avec la liberté, car les tyrans, ne
pardonnent point aux hommes à principes, parce que ces hommes sont
invariables… Mais je rougis de me traîner si longtemps sur des
dénonciations.
Cependant je dois dire un mot du crime capital qui me parait avoir le
plus violemment excité la haine de mes adversaires ; c'est de ne pas
déchirer chaque jour et le roi et ses ministres, et les généraux, et
surtout M. Lafayette, Messieurs, la dénonciation m'a toujours paru une
arme trop précieuse pour la prostituer à chaque minute. Les sauveurs
des ministres sont précisément leurs éternels dénonciateurs ou ceux qui
les dénoncent sans preuves.
Faits importants, preuves irrésistibles, voilà ce que j'ai toujours cru
essentiel de réunir en dénonçant les ministres. Depuis mon entrée à la
législature, j'ai prononcé huit discours; qu'on m'en cite un seul où je
n'aie pas énergiquement démasqué les intrigues, les abus, les divers
ministres! A-t-on depuis détruit un seul fait? Qu'on lise ma
dénonciation sur les colonies ; et les colons et leurs protecteurs les
ministres ont-ils osé répliquer? C’est ainsi messieurs, qu’on honore,
qu'on rend utiles les dénonciations. Ah ! défions-nous de ces hommes
emportés, qui ne parlent que de poignards, de sang, de gibets, et pour
les moindres fautes : ceux-la décrient et desservent le peuple, et
fortifient la cause des ministres.
Voulez-vous connaître les signes auxquels on doit distinguer, parmi ces
déclamateurs, les vrais amis du peuple de ses ennemis? De l'énergie, et
point de fureurs; de la surveillance, et point de calomnie; des faits,
et point d'hypothèse; des preuves, et non des soupçons; du caractère
surtout, c'est-à-dire une forte persévérance dans un parti dicté par la
raison seule; et ce mot vous apprendra à vous défier de ces hommes qui
parcourent rapidement les extrêmes, brisent les statues qu'ils ont
élevées, déchirent aujourd'hui ce qu'ils ont encensé la veille. Le vrai
patriotisme n'a point cette légèreté ni ces inconséquences.
C'est d'après ces principes que j'ai dirigé ma conduite à l'égard de M.
Lafayette. Je le voyais une fois tous les mois avant la St.-Barthélemy
du 17 juillet; je le voyais, et, c'était pour soutenir en lui quelques
souffles de la liberté, et c’était pour l'empêcher de se livrer aux
séductions d'hommes qui avaient juré notre ruine. Le ciel m'est témoin
que jamais je n'eus d'autres intentions; que jamais aucune vue
intéressée ne flétrit mes démarches. Je l'ai vu surtout au moment où un
événement inespéré pouvait imprimer à la constitution française un
grand caractère qui lui manquait, le seul qui en aurait corrigé tous
les défauts. Je croyais Lafayette assez grand pour s'élever à la
hauteur de sa destinée, et assez fort pour nous élever à la nôtre. Il
me le promit, il me trompa. J'ai rompu publiquement avec lui, et depuis
je ne l’ai pat revu.
Lorsque quelque acte public l'a ramené au tribunal de l'opinion
publique, je l'ai traité avec la justice qu'on doit à tout étranger ;
il l'était, il le sera toujours pour moi. Depuis, il s'est retiré dans
la solitude ; pourquoi aurais-je eu l’inhumanité de l'y poursuivre, le
persécuter, alors qu'il n'était plus qu'un homme privé ? Il en sort, il
est nommé; je ne fais qu'un voeu, c’est pour qu'il efface, par une
conduite patriotique les taches qui ensanglantent sa vie politique.
Est-ce donc là un voeu criminel? Il est vrai, j'avoue cette faute, je
n'ai point envoyé dans son camp des brochures contre lui, je n'arme
point ses soldats de poignards contre lui, je ne les excite point à la
désobéissance. Les soldats sont nos frères, sont patriotes ;
reposons-nous sur eux. Si Lafayette est traître, il sera bientôt
démasqué et puni ; s'il sert bien sa patrie, n'est-ce pas un crime
national que d'exciter ses, soldats à lui désobéir?
En voilà sans doute assez, messieurs, pour vous éclairer sur ma
conduite et sur mes démarches, sur les principes qui me dirigent. Ce ne
sont point des mots, ce sont des faits, écrits partout, répétés dans
tous mes écrits, et dans ma conduite depuis quatre ans. Si je me suis
trompé dans la question de la guerre, c'est au moins dans la droiture
de mon âme ; j'aurai alors payé un tribut à la fragilité humaine ; mais
je déclare qu’avant d'exposer mon opinion, j'ai pris toute.la
précaution pour me garantir de l'erreur. J'ai étudié les meilleurs
ouvrages, suivi les évènements avec constance. et je me rassure eu
voyant que les hommes, les plus célèbres, que les meilleurs
patriotes partagent mon opinion; Si M. Robespierre ne tremble pas
d'être presque seul de la sienne, comment serais-je timide en
m'appuyant sur des colonnes aussi bien éprouvées ?
Les évènements arrivent à mon secours, les électeurs ont plié;
l'empereur pliera, j'ose le prédire; donc on aura bien fait de déployer
une , grande force pour le soumettre à reconnaître nos droits , et pour
ôter cet appui aux mécontents. L'empereur pliera, et nous soumettrons
de même tous ces vains potentats qui ont osé nous braver parce que nous
étions désunis; et alors la prospérité accompagnant la paix, nous
portera à ce degré d'élévation où tout peuple libre doit arriver
infailliblement.
Maintenant, messieurs, je me suis expliqué, mon âme est satisfaite;
elle ne conserve ni haine ni même de ressentiment. Je n'ai pu
persévérer à haïr même les scélérats qui m'ont le plus déchiré ; comment
haïrais-je un patriote que j'estime, qui n'est qu'égaré par des
impulsions étrangères, et qui, j'aime à le croire, va s’empresser de
terminer un combat scandaleux, et funeste à la cause de la liberté.
La société a arrêté l'impression de ce discours ; dans sa séance du 20
janvier 1792. Antonnelle, député à l'Assemblée nationale et président;
Broussonnet et Albitte, députés; Boisguyon, Bancal, Al. Méchin et
Rousseau, secrétaires. »
|
|
|
0
Louis-Marie Prudhomme,
et « les Révolutions de Paris »
& extraits de l'hebdomadaire du 21 au 28 janvier 1792
|
Journaliste et rédacteur en chef dans un périodique considéré comme
l’un des titres de presse les plus radicaux de la première révolution
et de la seconde pour l’année 1792, Louis Marie Prud’homme d’abord
favorable a été plus tard un des contributeurs de la légende noire avec
ses mémoires publiés en 1797. Néanmoins il faut le classer dans la
catégorie des « patriotes » sincères, bien que ce registre soit assez
flou pour y mettre toutes les parties en présence, des royalistes aux
républicains. Son apport sur le comportement des Parisiens dans la
crise du sucre et du café de la fin janvier 1792, qu’Albert Mathiez
estima à une semaine sans pouvoir l’authentifier totalement,
s’il y a bien eu pillage des entrepôts, il ne fut recensé aucun mort. Et
l’on découvrait une facette des relations entre la population et les
soldats relativement complices ou ces derniers comprenaient la grogne populaire et
savaient y faire. Suivi de l’intervention du nouveau maire de Paris, le
climat s’apaisa un temps.
Le cumule des tensions de 1790 et 1791 contre le camp des « démocrates
» face aux mesures impopulaires imposa à la population de se taire
et une censure des mots sous la menace de la loi martiale, trouvait à
nouveau source avec cet événement sur plusieurs journées, et penser que
l’économique tout comme les lois eurent peu de place dans les esprits,
c’était faire fausse route. De quoi s’étonner du peu de place accordé à
cette plume, non pas pour ses qualités littéraires, mais pour sa
manière d’interpréter des faits, dont on présume sa présence sur les
lieux ou ayant recueilli des témoignages. Prudhomme n’a pas été exempt
des violences qui se produisirent en septembre, mais il participa de
l’outrance des colères, et il ne fut pas le seul à y plonger.
L’historien n’est pas juge et encore moins partie, même si les opinions
sont vivaces, elles ne peuvent entrer que dans un cadre analytique. De
plus ce mouvement concerna toutes les catégories de la population
et l’on trouvait là une unité entre artisans et ouvriers qui ne fit
aucun doute.
De la difficulté de pouvoir dire que tel personnage n’est pas à prendre
en considération, les opinions peuvent changer, la facilité de vouloir
mettre les uns et les autres dans des cases en oublierait le caractère
très aléatoire des parcours de vie. Un élément des mythes, déjà
constaté sur d’autres périodes historiques plus récentes, les « sans
cases », ils sont souvent les plus nombreux et déroutants. Cela évite
de chercher les pures et les impures, mais d’approcher mieux la vérité
historique avec une somme de considération suffisamment large pour ne
pas l’enfermer à son tour dans un préjugé idéologique.
Note de Lionel Mesnard
|
De par le peuple : 0
Deux millions de sucre à vendre,
à 30 sous la livre (*)
Extraits de l'hebdomadaire du 21 au 28 janvier 1792, n°133
«
Car il faut être de bon compte, est-il juste qu'une population
laborieuse et indigente de 600 mille âmes le prive d'un comestible
quelconque, parce qu'il plaira à une douzaine d'individus vindicatifs
ou rapaces de fermer leurs magasins, ou de centupler leurs bénéfices?
Et puisque ces propriétaires le mettant fans façon au-dessus des régies
de l'honnêteté et des principes de l'humanité, peut-on avoir le courage
de faire un crime au peuple de se placer un moment au-dessus des lois
impuissantes de la société civile ? Quand un loup s’est glissé le long,
d'une claie où sont parqués des moutons, le berger et le chien
doivent-ils donc respecter dans la personne de ce loup le droit que
tous les êtres ont de le fixer sur tel point du sol qui n'est point
occupé avant eux? Le chien commence par étrangler le loup, si celui-ci
persiste à guetter le moment de surprendre l'agneau imprudent ou sa
mère, et le berger ne s'avise pas de dire au chien : pourquoi chasser
ce loup ou lui faire du mal? La terre lui appartient comme à notre
troupeau : quand nos moutons changeront de pâturages, s'il en étrangle
quelques-uns, à la bonne heure ; mais jusque-là, il faut le laisser
tranquille ; d'ailleurs, sa présence contient notre bétail et l'empêche
de trop manger et de se donner une dysenterie. » (…)
On veut nous donner de l'occupation dans nos propres foyers, et
rompre cette unité qui jusqu’à présent, malgré quelques nuages, a régné
entre les citoyens armés et ceux qui ne le sont pas; on cherche à nous
rendre suspects ceux de nos magistrats en qui nous
avons le plus de confiance ; on désire amener le maire de Paris à la
nécessité d'une proclamation de la loi martiale. Attendons-nous à voir
succéder de nouveaux accaparements de bled à ceux de sucre et autres
comestibles. Le peuple lésé dans ses plus chers
intérêts, et poussé à bout, on voudrait bien fournir au roi un nouveau
prétexte pour fuir une cité où les droits d'asile et de propriété sont
impunément violés.
Plusieurs jours avant l'incendie des prisons de la Force, l'inquiétude
du peuple s'était déjà manifesté sur les accaparements du sucre ; il
s'est permis quelques voies de fait,répréhensibles sans doute ; mais il
faut être juste ; ces excès ne lui sont pas naturels. D'obscurs
scélérats, lâchés au milieu de lui, l'aigrissent dans toutes les places
publiques, en lui exagérant ses maux. On commence par gagner les
femmes. Dès le samedi, plusieurs d'elles insultèrent quelques corps de
garde ; elles y avouèrent que des gens, à elles inconnus, leur avaient
monté la tête. Dimanche, vers la brune, il y eut, au faubourg
Saint-Germain, de petits rassemblements d'hommes, la plupart armés d'un
bâton ferré ; ils disparurent assez vite, à la vue des patrouilles. Le
faubourg Saint-Marceau (ou Saint-Marcel) fit quelques mouvements
qui n'eurent point de suite. La présence du maire leur fit bientôt
convertir des murmures vagues en une adresse au corps municipal, et une
pétition à l’assemblée législative.
Le peuple d'abord n'en voulait qu'aux dépôts de sucre venus à fa
connaissance ; mais les accapareurs ayant profité de la nuit pour vider
les lieux, la multitude le porta chez les épiciers les mieux
approvisionnés. Le faubourg et la rue Saint-Antoine se remplirent de
monde, visiblement mélangé d'individus suspects ; mais la majorité
était de bonne foi. Les rues Saint-Martin et des Lombards parurent les
principaux foyers de ce que les ennemis de l’ordre qualifièrent
d'émeute populaire ; partout où la garde nationale et la gendarmerie
montrait de la fermeté et de la douceur tout ensemble, il n'y eut point
de voies de fait. Le peuple se paya les bonnes raisons qu'on lui
administra, autrement qu'au bout des baïonnettes ; mais il résista aux
menaces et aux gestes hostiles ; il donna à ce sujet une leçon un peu
sotte au commissaire de la section des Gravilliers, et par contrecoup
au commandant de bataillon de Saint-Nicolas-des-Champs.
Le commissaire voyant un rassemblement, réclama la loi ; mais en même
temps il ordonna à la troupe de volontaires, dont il était accompagné
de charger et faire feu. Les citoyens soldats n’en firent rien et la
foule se dissipa; mais le commissaire ayant été reconnu le lendemain,
rue du Cimetière Saint-Nicolas, on s'empara de sa personne; et déjà la
corde fatale lui était jetée sur le cou, quand, par un heureux concours
de circonstances, le commandant du bataillon de la Trinité, à la tête d
un détachement, accourut au bruit, et arriva assez tôt pour lui sauver
la vie; mais le peuple était tellement ulcéré de la conduite prévôtale
du commissaire, qu'il s'en prit au commandant lui-même. Il lui arracha
son hausse-col, le saisit de son épée, la brisa devant lui, lui déchira
l'uniforme national, et enfin le traîna dans le ruisseau. Les
grenadiers qu'il commandait le ramenèrent chez lui, sans avoir pu lui
sauver ce châtiment populaire. Avis à tous les officiers municipaux et
militaires, qui auraient la prétention, de singer Bouillé devant Metz,
Lafayette et Bailly au champ de Mars.
Dans le faubourg Saint-Antoine, une patrouille se conduisit bien
généreusement. Menacée de mauvais traitements, elle quitta les armes,
et repoussa, à force égale, les citoyens trompés qui lui faisaient
résistance. On ne manquera pas de saisir cette nouvelle occasion de
calomnier le peuple de Paris; on ne manquera pas de publier qu'il
outragea tout à la fois la justice et l'humanité, qu'il porta l’effroi
chez plusieurs épiciers, plus que lui victimes des accapareurs : déjà
même les plus riches d'entre ces négociants ont pris entre eux un
arrêté injurieux pour le peuple, pour les magistrats et pour la garde
nationale ; ils s'engagent à se rendre solidaires pour réparer les
dommages que le pillage aura pu causer dans leurs boutiques, comme pour
insinuer qu'il n'existe plus à Paris de lois, ni de force capables de
protéger les propriétés (1). »
Notes de l’auteur :
(*) Au mois de novembre 1539, François Premier rendit une ordonnance
contre les accaparements, dont voici le texte : « Seront appréhendées
au corps les personnes des monopoleurs, accapareurs de marchandises,
et leurs biens et denrées confisqués et vendus sur la place publique,
au profit de l'état ». Charles Quint mit cette loi en vigueur dans
toute la Flandre, en 1548 à l'époque de la renaissance du commerce.
(1) Nous adoptons volontiers la définition du comte de Lauraguais : «
La propriété est la possession légitime d’un bien acquis légitimement…
(…) celles qui méritent le plus d’exciter l’indignation publique, sont
les richesses accaparées ».
La municipalité de Paris, aux citoyens
Plan routier de Paris et de ses faubourgs par M. Jean Lattre - 1792
Du mardi 24 janvier 1792, an quatrième de la liberté,
«
Citoyens! on vous égare ; on veut vous entraîner à
votre perte. Depuis longtemps les ennemis de notre liberté cherchent à
occasionner un grand bouleversement ; ils se croient arrivés à leur
but ; ils seront trompés dans leur attente. Ralliez-vous, serrez-vous,
et regardez de sang-froid le piège qui vous est tendu.
Le sucre s'est élevé subitement à un prix excessif. Le peuple souffre
de sa cherté, et nous en gémissons ; il cherche un remède à ses maux,
et il croit le trouver dans des demandes tumultueuses ; il s'assemble
en foule autour des magasins qui recèlent des marchandises dont il a
besoin ; il veut en fixer lui-même le prix. Tous ces attroupements
partiels occasionnent une fermentation générale ; les mauvais citoyens
se glissent dans ces groupes, échauffent les esprits? commandent le
pillage, et veulent ainsi déshonorer le peuple, pour qu'on ait le
prétexte de le calomnier, et de sévir contre lui.
À quoi peuvent conduire ces désordres? A la disette et au
renchérissement de toutes les denrées. Croyez-vous que tant qu'ils
dureront ces désordres, celui qui a des marchandises au-dehors, ose les
faire entrer à Paris ? Non ; la crainte du pillage et de la
dilapidation l’arrêtera.
Que peut obtenir le peuple par la violence? Un approvisionnement
momentané, et à bas prix; mais une fois cet approvisionnement consommé,
il manquera de ce qui lui est essentiellement nécessaire, on le paiera
au poids de l’or; et si les malveillants portaient le peuple à former
de pareilles demandes pour toutes espèces de denrées, une disette
générale affamerait Paris.
Citoyens, ouvrez les yeux, voyez l'abîme où l’on vous plonge ;
gardez-vous de porter les coups les plus funestes à cette constitution
que vous avez créée, que vous avez jurée, et qui doit assurer votre
bonheur. »
|
|
|
|
|
Cet espace
d'expression citoyen
n'appartient à aucune organisation politique, ou entreprise
commerciale. Le contenu est sous la
responsabilité de son créateur, en tant que rédacteur.
|
|
Adresses et courrier : |
|
|
Courrier
électronique |
lionel.mesnard(AT)free.fr
|
|
|
|
|
Archives des vidéos en ligne :
|
Dailymotion - Pantuana.tv - Youtube |
|
|
|
|
|
|
|