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Sommaire de la page,

1 - La Grande Peur et amplification des "bruits" (juillet 1789)

2 - Marat, figure du diable ou apôtre des droits humains? & le N°1 du Moniteur patriote (août 1789)

3 - Chronologie du 15 juillet au 31 décembre 1789 et sources complémentaires, dont la nuit de l'abolition des privilèges, du 4 au 5 août.

4 - Le nouveau Paris et les adieux à l'année 1789, Louis-Sébastien Mercier


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La Grande Peur
et amplification des « bruits » (rumeurs)




Insurrection paysanne, émigration des Princes et des Courtisans
de leurs Châteaux de Campagne brulés en août 1789.

Estampe de Philippe-Joseph Maillart (Crédit musée Carnavalet)


« Devenue un classique, La Grande Peur de 1789 occupe une place à part dans l’œuvre de Georges Lefebvre. Par son importance et son écho, bien sûr, mais aussi par ses objectifs, sa méthode et sa forme. D’une certaine manière, le livre est hybride. Par l’ampleur des dépouillements, le foisonnement des faits (« pas d’histoire sans érudition », affirmait-il) et la force des analyses, il se rattache aux Paysans du Nord » Depuis au moins avril-mai en région parisienne se répandait la rumeur que des « brigands » attaquaient les campagnes en détruisant les cultures. Ce qui avait pu être des révoltes populaires, voire des bandes criminelles ayant pu profiter de cette période incertaine n’était pas totalement chimérique, mais fut grossi à l'extrême. Mais avec pas beaucoup d’éléments fondés, il est tout à fait possible d’avoir utiliser les "ragots" pour affoler les populations et en particulier les bourgeoisies citadines. La contre-révolution n’a pas commencé après la chute de Louis XVI, elle était en mouvement dès les commencements, au soir du 14 juillet ou le lendemain. Et en matière de mythes ou de roman national, on ne peut se contenter de quelques symboles, l’année 1789 est de janvier à décembre conséquente et décisive sur les suites.

Du 20 juillet au 6 août se propagea des « bruits » (des rumeurs) dans toute la France sur des menaces de pillards armés par milliers. S’il y a eu des demeures et des châtelains malmenés, des bâtisses incendiées, voire des occupants tués, les destructions connues concernèrent principalement des actes, c’est-à-dire des documents, des pièces administratives en rapport avec les justices, les municipalités (Strasbourg) ou les paroisses locales. Le rejet du régime induisit des haines fortes, ce qui semblait évident au regard des frustration passées, tout dépendit de comment la sénéchaussée ou le bailliage, c’est-à-dire les autorités locales avaient agi sous l’ancien régime.

J’ai pu recueillir, il y a déjà pas mal d’années deux témoignages, sans avoir pu confirmer leurs validités sur deux lieux à quelques kilomètres de distance. Un premier château avait été l’objet de quelques paillardises villageoises et dans une autre localité du Saintonge très reculée en raison de sa présence en pleine forêt, fut l’objet d’un massacre. Tous les nobliaux locaux périrent dans les flammes, les habitants attendirent un soir qu’une fête soit organisée. Les villageois de cette petite localité saintongeaise empêchèrent tout le monde de sortir et bloquèrent les issues et y mirent le feu. Ce témoignage m’a été livré par un paysan aujourd’hui disparu, il ne disposait pas d’éléments de datation des faits précis, mais il avait conservé quelques anciens documents et gardé en mémoire ce qui lui avait été transmis par tradition orale. L’ouest de la France a connu des endroits de très grandes misères, ce village devait vivre principalement de la cueillette et si ceci n’est que du domaine d’une hypothèse non construite, les faits ont pu se dérouler au cours de l’année 1789, rien de plus. De son côté la fameuse « Grande Peur » comme effet a surtout servi la création des milices bourgeoises, ou futures Gardes nationales.

« Durant la Révolution, les deux départements charentais ont connu d'importants troubles agraires, tant avec la « Grande Peur » de 1789, qu'avec les agitations anti-féodales des années 1790, 1791 et 1792. A la fin de juillet 1789, tandis que la révolution municipale agite les villes, la « Grande Peur » jette l'alarme dans les campagnes. Georges Lefebvre situe précisément à Ruffec, en Angoumois, la panique originelle qui affecte une partie du Poitou et de l'Angoumois. Le 28 juillet, des mendiants, mal accueillis par la petite ville, repartent en proférant des menaces, ce qui provoque aussitôt la peur. L'alerte se répand vers le sud jusqu'à Mansle et Angoulême et de là elle s'oriente dans deux directions : série d'alarmes continue de suivre la Charente, une vers Jarnac, Cognac et Saintes, tandis que la peur s'élance également vers le sud, gagnant Barbezieux, puis Baignes et enfin Montendre. En quelques heures se produit une grande mobilisation dans les villes, où la milice bourgeoise se prépare, organise des patrouilles et demande des renforts. Dans les campagnes, les rassemblements revêtent une ampleur extraordinaire et les paysans armés de haches, de fourches et de bâtons se réunissent devant l'église au son du tocsin. Les vieilles solidarités communautaires conduisent presque naturellement à s'organiser rapidement pour faire face au danger venu de l'extérieur et qui menace le pays. Les peurs retombent vite et les troupes paysannes demeurent pacifiques, même quand elles représentent, comme à Angoulême, 3.000 hommes armés et désœuvrés.

La Saintonge méridionale est cependant le siège d'incidents plus sérieux, révélant à la fois la peur d'une réaction nobiliaire, la contestation des impositions royales et l'hostilité aux pré́rogatives seigneuriales. A Baignes, le 30 juillet 1789, les villageois, venus en masse pour porter secours à la ville, s'en prennent à la maison du directeur des Aides, brûlent les meubles et les papiers, maltraitent les commis. Le seigneur local, le comte de Montauzier, qui tente de s'interposer, est menacé à son tour, insulté et contraint, devant notaire, de renoncer à tous ses droits féodaux et de signer un acte affirmant qu'il soutiendra le tiers état. Deux jours plus tard, le 31 juillet, à Sousmoulins, un peu plus au sud, entre Chevanceaux et Montendre, 300 à 400 hommes armés, à la nouvelle des incidents de Baignes, marchent sur le château de M. de Bonnevin, baron de Sousmoulins. Le châtelain, personnage très riche et qui avait fait refaire récemment ses terriers, doit en passer par toutes les exigences des paysans : il doit faire descendre ses girouettes, renoncer à tous ses droits féodaux et remettre, sous la menace des fusils, tous les titres originaux concernant les terres. Les émeutiers concrétisent dans ces deux séries d'incidents leur animosité contre les seigneurs et leur vieille haine anti-fiscale.

Dans les trois années qui suivent, les flambées de violences paysannes sont telles que l'on a pu parler de « jacqueries ré́volutionnaires », concernant pour l'essentiel les campagnes de la Charente-Inférieure (aujourd'hui, Maritimes).

Source : Gallica-Bnf - Revue de la Saintonge et de l'Aunis :
Bulletin de la Société des archives historiques, pages 82 et 83. 1993.

Si ces deux exemples ont été retenus, plus l'apport de la Revue de Saintonge et de l'Aunis pour sa confirmation, pour mes exemples ce n’est pas pour leur précision, mais parce que révélateur de dizaines, centaines, voire milliers de révoltes dans tout le pays dans le courant de l’année 1789. Sans qu’il soit possible d’avoir à ce sujet tous les foyers par province. Ce qui a pu se passer après le 20 juillet allait surtout amplifier la rumeur publique en marche depuis au moins avril-mai sur « les bandes de voyou » s’attaquant aux villes. « Ces foules révolutionnaires, les historiens du XIXe siècle les décrivent le plus souvent comme un ramassis de violents, une foule-enfant facile à manipuler pour des « meneurs », mais aussi une foule innocente capable de bonté sitôt qu’elle n’est plus enragée, aveugle, ivre de son danger même » (Michelet). Dès 1790, Burke a stigmatisé « une bande de voyous et d’assassins qui puaient le sang » ; moins d’un siècle après, Taine expose comment de la foule naît « le barbare, bien pis l’animal primitif, le singe grimaçant, sanguinaire et lubrique, qui tue en ricanant ». Tuer se changerait alors en « idée fixe », thème repris par le docteur Le Bon en 1895 (Psychologie des foules) puis 1912 (La Révolution française et la psychologie des révolutions). » (Michel Biard et Hervé Leuwers, La Grande Peur et foules révolutionnaires de G. Lefebvre)



Ainsi se forma une organisation spatiale, à sa base était la commune, qui devenait ainsi un espace politique à part entière, et dans ce contexte, cet ensemble fédératif favorisa l'unification du pays. Une mobilisation citoyenne qui servit de pression sur l’autorité royale, et elle mobilisa rapidement des troupes et des hommes en arme, comme à Paris et dans le Sud-est quelques semaines avant la capitale. A savoir quand se déroulèrent les événements, les agressions contre les pouvoirs locaux, les émeutes furent surtout antérieures à la prise de la Bastille. L’après 14 juillet a été surtout sous le coup d’une grande panique, la force de la rumeur du « fabuleux » comme dit un rapport. Ce qu’écrivit la Sénéchaussée de Ruffec en date du 11 Août 1789, le Juge-Sénéchal de la Juridiction au duc de la Rochefoucauld, député à Paris :

« Le 28 du mois dernier, à 7 heures du matin, un homme vint nous dire qu’il avait vu 16 personnes dans la forêt de Ruffec avec des sabres et habillées en hussards. Nous avions appris la veille que du côté de Niort, des brigands avaient brûlé et pillé en plusieurs endroits... Nous ne doutâmes pas un instant que ce ne fussent les mêmes qui s’étaient réfugiés en forêt de Ruffec. A cette nouvelle, les femmes crièrent : « les voici, nous sommes perdus », elles fermèrent leurs portes, s’armèrent de pierres et montèrent dans leurs chambres. Les 4 compagnies bourgeoises nouvellement formées prirent les armes... Nous fîmes plusieurs perquisitions dans la forêt de Ruffec et ne trouvâmes personne... Mais ce faux bruit se répandit aussitôt à plus de 20 lieues, on disait Ruffec pillé et brûlé. En moins de 2 heures, plus de 10.000 hommes déterminés arrivèrent armés de fusils, de broches et de faux... Ils montèrent la garde la nuit craignant toujours que ces brigands que l’on assurait être cachés dans la forêt, ne surviennent inopinément. Cependant comme on a fait partout des perquisitions, on regarde aujourd’hui ces bruits comme fabuleux. »

Source : Association de généalogie de Charente et du Poitou
Le journaliste Mercier a été peut être par certains aspects extravagant, la nature de ses intuitions furent souvent d’une grande justesse. Il annonça certains changements politiques et il a su venir les orages jusqu’à la restauration monarchique (1815). Mercier avait très bien compris les mécanismes et la puissance de la presse, elle tint un rôle essentiel notamment en matière de désinformation ou d’amplification des rumeurs. Si à la Renaissance l’impact de l’imprimerie a été indéniable, au moment de la Révolution cette nouvelle liberté de publier et d’écrire sans en référer à la censure allait être un moteur pour une large expression, mais avoir aussi ses dérives propagandistes et en faveur d’un retour de l’absolutisme. Il émergeait ainsi toute une nouvelle génération de journaux et de rédacteurs, de Marat en passant par Hébert, ou Mirabeau et Brissot, la palette politique a été bien plus étendue, et le couple royal favorisa la presse qui ne lui était pas hostile. Les publications sans réelles couleurs politiques furent plutôt rares ou relevaient de ce que l’on nomme une presse spécialisée, qui pouvait être littéraire ou scientifique.

Toutefois la grande majorité des parutions, pour certaines de courtes durées, le ton était hautement politisé, et le contenu, soit favorable ou hostile aux événements en cours, trouvait son lectorat. Au point que certaines tribunes et auteurs sont devenus de véritables références. C’est aussi des genres différents ou des accroches stylisées, un journaliste comme Hébert, qui s’adressait en particulier aux plus humbles, celui-ci était loin d’être un auteur vulgaire. S’il usa du mot « foutre » à toutes les sauces, ce fut un mélange astucieux de langage populaire et une très bonne connaissance du langage et de ses expressions, rien n’a ou presque n'a été fortuit. Marat dans un autre style plus classique représenta la voix de la colère. Même s’il fait encore frémir dans les chaumières, il a été un ardent combattant pour les droits humains dans la première étape révolutionnaire. Hébert était plus sur le thème de la brocarde, de jouer avec les mots, Marat fut un analyste en temps réel. C’est assez paradoxal tous ces "affreux" révolutionnaires, si décriés comme une engeance sanguinaire, ils allaient peu à peu et avec l’appui des forces populaires menés à la République et à la conquête de nouveaux droits, et à un nouvel exercice de la citoyenneté.

Par ailleurs, a l'examen de l’impact auprès de la population mène souvent à cette question, mais comment faisait-on pour lire ou s’acheter le journal dans un pays peuplé très majoritairement de pauvre et d’illetrés? Beaucoup de ces nouveaux titres ont pu faire l’objet de placardage. A Paris tout au long du siècle certains murs croulèrent sous le poids du papier et l’on se réunissait sur les places pour lire ou se faire lire les nouvelles et échanger. Cela devint un rituel important pour des populations désireuses de s’informer et la demande a été forte. Selon les milieux, on pouvait aussi disposer de journaux en correspondance à sa classe sociale ou ses opinions. Cela pouvait être de simple feuille, des sortes de tract pas toujours dans un français très rigoureux, la palette et les choix étaient riches, ils permirent à quelques parutions de se diffuser à plus de 50.000 exemplaires par jour. Cette révolution à la marge fut incontournable.


S'organisèrent autour des titres de presse, des rédactions, toutes en lien avec une officine politique ou sous la houlette des chefs politiques, où journalistes et députés se confondaient. Tous ceux cités jusqu’à présent eurent tous un mandat électif. Et un des débats de cette année sur le mandat d’un député, lettre à ses « Commettants » de Mirabeau illustra aussi de comment on allait passer d’un mandat impératif à un mandat au nom de l’intérêt général. Où l’assemblée fit du mandat un lien représentatif, mais plus soumis aux injonctions qui vinrent d’une base pas toujours conforme, ou dans l'esprit de ses mandataires.  

« LES CONSÉQUENCES » selon Albert Mathiez

« Les suites de la victoire populaire furent immenses : le parti aristocrate écrasé, dans toute la France une explosion de joie et de colère contre les privilégiés, les paysans brûlant les châteaux pour détruire les chartriers, la grande Peur, l'armement des bourgeois formant partout des gardes nationales à l'exemple de la garde parisienne pour se protéger contre les « brigands » et aussi contre les aristocrates, de nouvelles municipalités élues surgissant révolutionnairement sous le nom de comités permanents à côté des anciennes municipalités fermées et jalouses, bref la Révolution s'emparant du pouvoir sur tout le territoire, enfin la première émigration et la nuit du 4 août ».

     Les grandes journées de la Constituante, A. Mathiez

Texte de Lionel Mesnard


Jean-Paul Marat, la figure du diable

ou apôtre des droits humains?
Il a été une des figures intellectuelles les plus marquantes de la Révolution. Marat est finalement peu connu, bien que célèbre et bien au-delà de la France, probablement le plus honni de tous les révolutionnaires. A lui seul, il est une légende, mythifiée de son vivant. Sa mort donna lieu à des rites et des processions dans Paris. Voici de nouveau un Helvète, à descendance française, italienne et espagnole, Marat naquit dans le canton de Neufchâtel et il fut un adepte du philosophe Rousseau. Il mit en exergue dans sa première parution le Moniteur Patriotique en août 1789, sa devise en entête de ses propos : Donner sa vie à la vérité. Il fut notamment un auteur critique d’Helvétius et de Voltaire, et écrivit un éloge à Montesquieu. Il est devenu député seulement à partir du 9 septembre 1792, difficile de trouver des hommes de presse qui n’eurent pas un rôle actif dans l’organisation des lois et de la vie publique (droits humains, dont celui des Noirs, sur les lois criminels, etc.).

Son premier séjour à Paris date de 1762 à 1765, c’est à ce moment qu’il se forma sur le tas à la médecine, puis allait vivre jusqu’en 1775 en Angleterre et aux Pays-Bas (Provinces-Unies), puis acheva ses études avant de revenir et exercer auprès du comte d’Artois de 1777 jusqu’en 1787, et il ouvrit un cabinet dès 1780 dans la capitale. Ses métiers, il en eut plusieurs à commencer par être précepteur, puis médecin et vétérinaire dont il obtint, 10 ans plus tard en Écosse un diplôme universitaire, et commença assez tôt à écrire un roman sur « le jeune comte de Potowski », puis sur la philosophie et aussi la médecine. Entre autres, il rédigea un ouvrage sur les maladies vénériennes ou la syphilis, un des sujets médicaux centraux depuis au moins la moitié du XVIIIe siècle.

Ensuite Marat travailla sur des questions de physique expérimentale sur le feu, sur l’optique et les énergies médicales électriques, cela entraîna l’enthousiasme de Benjamin Franklin
l’inventeur du paratonnerre (!) présent à une des ses expériences. Mais ses travaux furent rejetés par l’Académie des sciences de Paris et il ne put entrer ou exercer à visage découvert, il perdit certains revenus conséquents, tout en conservant une partie de sa clientèle. Certains écrits eurent tendance à le montrer sous l’angle d’un rebouteux, ou sous l'angle d’un vulgaire guérisseur, en clair un farfelu, si ce n’est un escroc et non comme un homme de science. Qu’il ait cherché à s’anoblir avant la révolution était le signe d’un opportunisme plutôt évident et dans la norme, mais pas de quoi soulever des montagnes...

De toute façon, il n’existe pas un pan de sa vie connue, qui n’a pas été l’objet de critiques, pas toujours fondées et fort peu équilibrées. Il est encore le « diable » de la Révolution par excellence et sur qui se concentra des haines et délires farouches, le représentant comme la figure de l’archange de la mort ou le diable personnifié, alors qu’il a été une grande plume et un journaliste engagé, voire un des rares théoriciens du mouvement social et politique de son époque. Qu’il ait pris des positions radicales n’est pas étonnant, il allait avoir un rôle d’aiguilleur auprès des populations faubouriennes où il fut connu comme le loup blanc. Qu’il ait été rejeté par diverses factions politiques et que son assassinat soit venu d’un de ces groupes, n’est pas un fait sorti de l’oubli, mais on a plutôt la volonté de mettre au pinacle sa meurtrière, Charlotte Corday. Un acte terroriste, pour reprendre une terminologie actuelle, qui tua quelques hommes de la révolution ou attenter à leurs jours, comme celui quelques mois avant sa fin tragique, le meurtre de Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau en janvier 1793.

Mort en juillet 1793, son corps fut mené au Panthéon, de-là naissait un culte populaire se limitant principalement à la région parisienne. L’après neuf Thermidor (fin juillet 1794) participa de la légende noire et ne plus vraiment le quitter en dehors d’études historiques sérieuses se basant sur ses écrits et sa place dans la dynamique révolutionnaire. Il est mieux perçu outre-Rhin et apprécié par les contemporains Allemands, ce qui est une surprise quand on sait la perception moyenne des Français à son sujet. Néanmoins sur la toile, l’on trouve quelques sites mettant en avant le journaliste, l’écrivain et acteur réel du processus, comme l’une des figures incontournables des premières années.

La question n’est pas d’aimer ou pas, mais une fois de plus de gratter les dorures mythiques. L’objet n’étant pas de le réhabiliter, sauf à remarquer un grand patron de presse et un des hommes les plus intègres du mouvement révolutionnaire. Du moins, il ne fut pas en recherche de son enrichissement personnel, nous sommes loin du couple pathétique de Danton et Mirabeau qui se vendirent délibérément, et son engagement ne louvoyait pas au gré des circonstances. S’il exista une conscience et bien le petit peuple parisien ne se trompa pas et a bien reconnu son défenseur.

Il a été facile de lui mettre les massacres de septembre 1792 sur le dos, alors que rien n'a jamais vraiment prouvé sa participation directe aux actes commis, et son état d’esprit ou ce qu’il a pu écrire correspondit trait pour trait aux intentions de la majorité républicaine en arme qui s'empara du pouvoir, qui se souleva contre les traîtres à la nation, le 10 août. Vers le 15 septembre après la boucherie, il fit même une sorte de mea culpa expliquant que ces termes passés et écrits n’avaient pas pour but d’engager des massacres de masse, mais de toucher à la tête de la contre-révolution. Il faudrait presque le consacrer comme le « vilain canard », à en oublier son rôle moteur comme combattant et défenseur des droits de l’Homme et du citoyen.

Son texte, ci-après, du début août 1789 pointait toutes les contradictions dans sa préfiguration écrite la première déclaration universelle des droits humains et livrait
une analyse synthétique et juste, comme on peut s’attendre d’un journaliste. Ce à quoi il s’employa et constitua divers médias écrits et imprimés pour faire circuler les idées nouvelles issues des Lumières. Aujourd’hui si assombries, si on se réfère à certaines propagandes des années récentes. La question que soulève la Révolution française est la place de l’exagération et du jugement de valeur. C’est-à-dire, la place des projections sur tel ou tel acteur déconsidéré, ou ramené à ce qui nous concerne au tableau de David et de l’homme mort dans sa baignoire assassinée par une militante "pro-Girondine". Ce crime s’est avéré être surtout le fruit des désaccords, qui allaient réapparaître très rapidement entre républicains ou démocrates après le 10 août, entre les sociaux et les libéraux, sans parler des convaincus des dernières heures, et surtout les anguilles, sources de cette machine qui allait entraîner la perte d’une génération exceptionnelle au milieu des médiocres et/ou d'opportunistes sans vergognes.

Comme Marat mourut avant les vagues d’exécution qui concernèrent entre autres une centaine de députés, ou ce que l’on nomma comme la "Terreur". Il est impossible de lui faire porter la moindre responsabilité, hors de septembre 1792. Ce qui mériterait de savoir qui sont les responsables des actes criminels, mais ce n’est le but de l’objet présent. C’est une des formes d’anachronisme les plus absurdes, elle consiste à faire porter à un mort des événements passés. On se trimbale de la sorte des projections qui n’aident pas à connaître l’apport de Marat. Sans pour autant non plus en faire une icône, ce qu’il devint avant qu’il ne porte tous les péchés de la Révolution avec quelques autres. Je ne m’aventurerais que très peu sur les portraits psychologiques, pour la simple raison que tout cela est plus que contestable.

Quelques traits de caractère n’expliquent pas en quoi cela a pu avoir comme conséquence sur des événements, sauf à analyser ses mots, ses pensées, ou dans quel bain à évoluer le jeune Jean-Paul... Le calvinisme et sa rigueur morale, plus un père défroqué sont des indices qui pourraient dans ce cas aussi servir à explication. J’aurais pu faire une description psychologique sur des aspects paranoïaques de sa personnalité, mais à ce petit jeu qui sait s’il n’y avait pas quelques raisons de l’être… Qu’importe, faisons lui grâce d’avoir su porter une attention particulière aux plus humbles et être leur porte-voix ! Il serait peut-être temps de le ramener au sein du Panthéon? ce qui restera impossible, sa dépouille est passée par perte et fracas ou à la chaux vive après 1794.

Note de Lionel Mesnard


LE MONITEUR PATRIOTE n°1
Jean-Paul Marat  (Publié le 11 août 1789)

Vitam impendere vero. (Donner sa vie à la vérité)
« La déclaration des droits de l’Homme et du citoyen devait sortir du comité chargé du plan de constitution. L'empressement de faire preuve d’un beau zèle vient d'en arracher quelques ébauches à la plume de plusieurs membres de ce comité. Un plus noble dévouement à la patrie, dans des circonstances aussi critiques aurait dû engager les commissaires à le rédiger en commun ; par là ils auraient prévenu la perte d’un temps précieux qu’entraîneront nécessairement la refonte et la rédaction de leur projet particulier ; peut être encore auraient-ils évité les inconséquences et les omissions cruelles qui les déparent ; défaut trop ordinaire d’un travail fait à la hâte sur des matières mal digérées.

A peine ces projets annoncés d’avance avec art ont-ils vu le jour, que la vive curiosité qu'ils excitaient a été suivie d'un mécontentement général. Et de fait, quand on les examine avec l'intérêt que le sujet inspire, qu'y trouve-t-on? des maximes décousues de morale et de jurisprudence, des inductions métaphysiques et alambiquées, mais en vain y cherche-t-on les grandes vues du philosophe qui a longtemps médité sur les droits de l'Homme & du citoyen, observé de près le jeu de la machine politique, fait une étude particulière des différents gouvernements de la terre, saisi leurs défauts essentiels et leurs vices d'organisation, qui depuis tant de siècle font le malheur du genre humain. Tels sont les projets devinés à montrer à la France la base de constitution qui doit faire à jamais son bonheur.

Je ne dirai qu'un mot de celui de M. Target : c’est un tissu d'apophtegmes de morale et de jurisprudence, énoncés à la manière des oracles pour en faciliter l’intelligence au vulgaire, qu'ils doivent instruire.

Le projet de M. Mounier offre une suite d'adages à peu près semblables. En traitant des devoirs de l’Homme et du citoyen, il fonde les derniers sur le désir du bonheur et il ne dit pas un mot des premiers. Chemin faisant, il entrelarde les maximes sur les droits, de maximes sur les devoirs. Mais comme rien n'est raisonné dans ces projets, ou n'y trouve la raison de rien. Les conséquences y sont sans principes et si leur ensemble forme l'arbre des connaissances politiques du comité chaque maxime est une branche séparée du tronc.

Tous deux partent de l’idée générale que le bonheur des peuples est le but du pacte Social ; aussi arrivent-ils tous deux à des résultats aussi vagues que mal amenés.

Qui ne voit combien il était essentiel, dans une déclaration des droits, de remonter à la source. Un seul membre du comité, M. l’abbé Sieyès, est entré à cet égard dans la carrière. Peut-être aurait-il atteint le but, s'il avait assez médité son sujet, pour pouvoir descendre dé la hauteur des spéculations métaphysiques à la portée des lecteurs de bon sens. Quoiqu'il en soit, observons ici qu'en essayant de donner une base à la société, ils ont tous également fait preuve d'efforts impuissants; et réclamons hautement les droits de l'humanité, en faveur de cette classe nombreuse d'infortunés, que l’on dédaigne, repousse, maltraite et opprime en tous lieux que l'on a toujours comptée pour rien dans tous les gouvernements de la terre et que l'un de nos restaurateurs de l'empire exclut impitoyablement du pacte social, au moment même où il présente à l'Homme et au citoyen le tableau de leurs droits. Nous ne ferons point à son coeur procès de cet oubli, nous lui rendons même la justice de croire qu'il s'empressera de joindre sa voix à la nôtre, pour plaider la cause de ces malheureux devant l’Assemblée nationale, et prévenir un oubli important, qui flétrirait aux yeux des sages le monument éternel qu'elle va élever à l'honneur de la nature humaine, au bonheur de la France.

A son projet de déclaration des droits de l'Homme & du citoyen, M. Mounier a joint le premier  chapitre de la constitution sur les principes du gouvernement français, où le comité s’attache à recrépir cet odieux monument de barbarie en lui laissant tous ces défauts, dont tant de tyrans ont abusé pour nous opprimer depuis le commencement de la monarchie.

Relevons ici quelques-unes des dispositions illusoires, dangereuses, honteuses, alarmantes, que contient cet échafaudage, et qui doivent le faire rejeter avec indignation par tout bon Français.

A l'article 14 des droits, M. Meunier reconnaît « que pour prévenir le.despotisme et assurer l’empire de la loi, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doivent être distincts, parce que leur réunion dans les mêmes mains mettrait ceux qui en seraient les dépositaires au-dessus de toutes les lois et leur permettrait d'y substituer leur volonté ». Mais bientôt oubliant lui même ce principe de toute vérité, il le dément d'une manière révoltante ; car il prétend, à l’article 1 du premier chapitre de la constitution, « que le pouvoir législatif doit être exercé par l’assemblée des représentants de la nation conjointement avec le monarque, dont la sanction est nécessaire pour l'établissement des lois. A l’article 2, il assure que le pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans les mains du roi ».

« A l'article 4, il dit bien que le pouvoir judiciaire ne doit jamais être exercé par le roi : mais il lui attribue, article 28, la nomination à tous les emplois civils ». Or, si les magistrats font à celui qui les nomme comme le pense tout politique judicieux, le roi ne dispose-t-il pas alors des jugements et des lois?

A, ces trois pouvoirs, qui seuls constitueraient le despotisme le plus redoutable, il réunit « la nomination et tous tes emplois ecclésiastiques et militaires, la dispensation de toutes les grâces, et récompenses et dignités (article 28) ; le choix absolu des ministres et des membres du conseil (article 24) la composition et la disposition illimitée de toutes les forces de terre et de mer, et le dépôt du trésor public. »

Pour contenir cet excès de puissance, c'est en vain que le comité environne les peuples de l’égide des lois. Que pourraient d'aussi frêles barrières contre la fourbe (Ndr la supercherie) d'un Louis XI, d'un Richelieu, d'un Mazarin ; contre l’audace d'un Charlemagne, d'un Louis XIV? ce que peuvent les conditions d'un traité contre les entreprises d'un monarque injuste et ambitieux, qui a la force en main. Laisser au prince une puissance sans bornes, et prétendre apurer la liberté publique, c'est vouloir, par de vains sons, retenir le cours d’un torrent impétueux; c'est ignorer les, premiers éléments de la politique, les premiers traits de l’Histoire. Le comité donne au monarque toutes les prérogatives que la couronne a usurpées sous les trois races de nos rois ; il les sanctifie aux yeux du vulgaire ; Louis XVI serait donc infiniment plus puisant que ne l'ont été Charles IX, Henri III, Louis XIII, Louis XIV. Or, si ces prérogatives constituent le même gouvernement sous lequel nous avons gémi pendant quinze siècles, par quel pouvoir magique le comité de rédaction prétend-il nous garantir déformais des cruelles atteintes du despotisme, et nous empêcher d'en être écrasés?

Les contradictions les plus étranges ne sont pas rares dans le triste plan du comité. En l’examinant avec soin, on ne fait ce qu'il faut admirer le plus, des concessions illusoires que t'en y fait à la nation ou de l'art avec lequel on retire d'une main ce qu'on semble accorder de l'autre. A l’article 9, on établit que « les citoyens de toutes les classes peuvent être admis à toutes les charges et emplois ; » puis à l’art. 24, on fait le roi « maître absolu du choix de ses ministres et des membres de son conseil. » Enfin, à l'article 23, on lui remet « la nomination à tous les emplois ecclésiastiques, civils et militaires ». D'après cela, où est l'homme assez neuf pour ne pas savoir sur quelle classe de citoyens doit toujours tomber le choix. Que gagnerions- nous donc à cette belle concession? A la ridicule ordonnance près, qui sous M. de Ségur coupa le nerf de l'armée, il n'est point de lois en France qui déclare un plébéien inhabile à pour posséder un emploi, puisque les emplois s'y vendent presque tous à l'enchère. Eh! qui ne voit que les citoyens de tous rangs ne pourraient aspirer aux charges, qu'autant qu'elles seraient à la nomination de la commune.
Enfin, le comité de rédaction attribue au roi, art. 21 « le droit de céder à une puissance étrangère une partie quelconque du territoire soumis à son obéissance, ou d'acquérir une domination nouvelle, sous le consentement du corps législatif ». Ô Français! nation trop confiante, auriez-vous imaginée qu'au moment même où la victoire vient de couronner votre généreuse audace, et ou le sang des traîtres à la patrie fume encore, ces dignes députés donneraient à votre chef le droit de disposer de vous comme d'un vol troupeau, et qu'eux-mêmes vous chargeraient de fers, en paraissant ne travailler qu'à vous rendre libres? Qu'ils vantent avec emphase le bienfait de la liberté dont vous allez jouir. Est-il digne d'être acheté au prix de votre sang, si, après ravoir acquis, un maître étranger peut vous traiter en esclaves? Et ce sont vos mandataires, vos défenseurs! … Que feraient-ils de plus s'ils étaient vos mortels ennemis? Sans doute leurs intentions sont pures mais que penser de leurs lumières, et quelle confiance avoir dans leurs vues? A juger la constitution qu’ils nous préparent, par cette esquisse, est-il un vrai citoyen qui ne frémisse d'horreur? Ils s'applaudissent de leur travail : ah s'ils pouvaient en sentir les suites affreuses! tremblants qu'on ne vint à les confondre avec les ennemis de l’état, ils redouteraient l'indignation publique, ils en frissonneraient d'épouvante et d'effroi.

Il en coûte à nos coeurs de rendre ces observations publiques, mais il n'y a point à balancer, il s'agit du salut de la patrie et nous sacrifions au devoir.

Examiner avec sollicitude le travail du comité de rédaction, en éplucher chaque article, ramener sans les commissaires aux vrais principes, leur tracer le plan d’une constitution juste, sage et libre, seule faite pour assurer le bonheur de la France, et seule propre à remplir ses vœux, est la  tâche que nous nous imposons dans ces moments d'alarme où les ennemis de la patrie sont encore sur pied, où chaque jour voit éclore quelque nouveau trait de perfidie, où mille faux patriotes cherchent à la plonger dans une fatale sécurité. »
Source : Gallica-Bnf - Le Moniteur patriote de Jean-Paul Marat - édité en août 1789

Chronologie
du 15 juillet jusqu'à la fin de l'année 1789
Louis XVI sort de l'Assemblée nationale à Versailles, le 15 juillet - estampe de J.F. Janinet

Suite du mois de juillet...

Mercredi 15 juillet : A Versailles, au sein du château à huit heures du matin, le duc François de Larochefoucauld-Liancourt annonce à Louis XVI au saut du  lit, que la veille, les Parisiens ont pris la Bastille. Au sein du compte-rendu des débats, il est expliqué que « l'Assemblée nationale, trop profondément affectée et trop vivement inquiète sur les malheurs publics, pour arrêter ses pensées sur d'autres objets, n'a pas pu suivre le plan ordinaire de ses délibérations et au lieu de commencer, comme les autres jours, par la lecture des adresses, on a mis en délibération quel parti il y avait actuellement à prendre pour rétablir la tranquillité dans Paris. Plusieurs membres de l'Assemblée ont fait différentes propositions. Quelques-uns ont présenté des projets d'adresse au Roi. » Honoré de Mirabeau propose comme adresse : « Sire, Henri IV, lorsqu'il assiégeait Paris, faisait passer secrètement les blés à la capitale ; et aujourd'hui, en temps de paix, on veut réduire cette même ville aux horreurs de la famine sous le nom de Louis XVI. » Le roi se rend à l'Assemblée à midi, lui déclare sa confiance et annonce l'éloignement des troupes. Il est raccompagné dans l'enthousiasme général. Au début de l'après-midi, une députation de 60 députés se rend à I‘Hôtel-de-Ville de Paris, pour annoncer la démarche du roi. Dans la capitale, c'est une « Révolution municipale », M. Bailly devient le nouveau et premier Maire de Paris effectif depuis Etienne Marcel. La désignation du maire serait le fruit d'une acclamation générale des citoyens présents ce jour à l'hôtel-de-ville, avec la députation de l'Assemblée constituante.  De même, M. de Lafayette prend la tête de la milice parisienne comme commandant-général. Un Te Deum d'action de grâce est joué à la cathédrale Notre-Dame. Au Havre, la population s’empare de la tour François 1er.

16 juillet : Heurt à l'Assemblée, entre le comte de Mirabeau dit le fils et M. Mounier, à propos d'un projet d'adresse du premier pour demander au monarque le renvoi des ministres. Le roi fait annoncer le rappel de Necker, renvoie les troupes à leurs casernes, et son intention d'aller à Paris. Il est fait une déclaration de la noblesse et du clergé, ils renoncent aux mandats impératifs et au vote par ordre. L'assemblée des électeurs décide la démolition de la Bastille. S'ensuit la formation de comités permanents et de milices dans de nombreuses villes de province. A Paris, M. Bailly éccrit à M. Moreau de Saint-Méry : « On m'a dit que l'élection si flatteuse pour moi (celle du 15 juillet) doit être confirmée par une véritable élection : cela me paraît naturel. » Ce qui n'aura aucune suite, quant à sa désignation. En même temps, le nouvel édile de la capitale va présenter à l'Assemblée nationale sa nomination...



Hôtel-de-Ville, arrivée du roi le 17 juillet 1789


17 juillet : A Paris, le colon de la Martinique Moreau de Saint-Méry, devenu président de l'Assemblée des Electeurs de la ville et M. Bailly, nouveau maire de la capitale accueillent Louis XVI et l'haranguent. Puis le roi est accueilli à l'intérieur de l’Hôtel de Ville de Paris, il reçoit des mains de Lafayette une cocarde tricolore. Le roi, au cours de sa réception, fait savoir lors de conversations particulières, à Bailly d'abord, puis à Lafayette, qu'il confirme leur nomination. Dans le lot d'une centaine de personnes de l'Assemblée nationale se trouve Maximilien Robespierre venu dans le cortège avec le roi depuis Versailles, et qui en profite pour faire une visite guidée : « J'ai vu la Bastille, j'y ai été conduit par un détachement de la brave milice bourgeoise qui l'avait prise ». 

Suite du 17 juillet : Les grands du royaume fuient la France, comme Condé, le comte d'Artois, ce dernier part pour Turin en Italie, commence ainsi les débuts de l'émigration. Deux villes notoires accueilleront les contre-révolutionnaires : Coblence (ou Coblentz) et Mayence en Allemagne. A Saint-Germain-en-Laye, il éclate une émotion populaire, le meunier Sauvage est accusé d'accaparement et décapité. A Rouen s’installe une nouvelle municipalité.

18 juillet : Ile de France, il éclate une émeute à Poissy, le fermier Thomassin est sauvé de justesse. L'Assemblée décide d'envoyer une députation sur place. A Paris, Lafayette s'adresse directement aux soixante districts, il écrit qu'il se doit d' « observer que le général des milices parisiennes a été nommé par une acclamation, bien flatteuse sans doute, mais qui n'a pas le caractère légal de la volonté des citoyens, d'où doit émaner tout pouvoir. Je désire, Messieurs, que mes concitoyens se choisissent régulièrement un chef. » (Source : Actes de la Commune de Paris pendant la Révolution,. Introduction, page XV ; Sigismond Lacroix, Paris 1894)

Dimanche 19 juillet : A Nantes, le château des ducs de Bretagne, ou la "Bastille nantaise" est prise d'assaut par plusieurs centaines de révolutionnaires, et le commandant de cette place forte ne fait aucune résistance, on ne déplore aucune victime ; dès le lendemain est élu un nouveau maire, M. Christophe-Clair Kervégan. A Paris, éclate une émeute dans le quartier Saint-Germain, deux députés sont pris à partie. Dans la capitale et jusqu'au 23/08, 57 des 60 districts parisiens formalisent la désignation du maire du Paris et du général-commandant de la milice.

20 juillet : Débuts de la Grande Peur (jusqu'au 6 août) avec des révoltes dans toute la Franche-Comté, les paysans s’attaquent aux châteaux et brûlent les actes seigneuriaux, s'ensuit la constitution de municipalités et de Gardes nationales dans toute la France, et l'extension de la « révolution municipale », plus l'expansion des milices bourgeoises.
En Normandie, la garnison de Caen est chassée par la foule, et à Rouen, deux métiers de tissage britannique sont détruits. A l'Assemblée, la motion de Lally-Tolendal proposant une proclamation pour appeler le Peuple à l'ordre et au respect des lois reçoit une vive opposition de MM. Buzot, Mirabeau et Robespierre : « Il faut aimer la paix, mais aussi il faut aimer la liberté. Avant tout, analysons la motion de M. de Lally. Elle présente d'abord une disposition contre ceux qui ont défendu la liberté. Mais y a-t-il rien de plus légitime que de se soulever contre une conjuration horrible formée pour perdre la nation? L'émeute a été occasionnée à Poissy sous prétexte d'accaparement ; la Bretagne est en paix, les provinces sont tranquilles, la proclamation y répandrait l'alarme et ferait perdre la confiance. Ne faisons rien avec précipitation : qui nous a dit que les ennemis de l'Etat seront encore dégoûtés de l'intrigue? ». (Source : Archives Parlementaires - Bib. Stanford) M. Lally-Tolendal « a été  fortement  attaqué  par  MM.  Robespierre,  Buzot  (député d'Evreux) et Gleizen (député de Rennes). »  (Source : Mercure de France du 27/07)

21 juillet : De graves émeutes éclatent à Strasbourg, quand est appris la prise de la Bastille, l'hôtel-de-ville est mis à sac et de nombreux documents administratifs sont détruits. Et de même à Lille, le commandant est lapidé, les maisons saccagées. A Cherbourg, devant l’émeute le maire doit quitter la ville. A Versailles,
le député Sieyès à l'Assemblée déclare au sujet des citoyens passifs, qui selon lui ne peuvent devenir actifs, c'est-à-dire les femmes, les enfants, les pauvres et les étrangers, « ceux qui ne contribueraient en rien à soutenir l'établissement public, ne doivent point influer sur la chose publique ». Reprise des spectacles à Paris, il y est joué la Partie de chasse d'Henri IV, qui est une comédie en 3 actes et en prose, du défunt M. Charles Collé.

22 juillet : Cette journée est considérée comme un prélude à la Grande Peur. (Cahiers de L'Institut d'Histoire de la Rév. française)  A Paris, Louis Bertier de Savigny,
Intendant de la Ville (préalablement arrêté à Compiègne), et son beau-père M. Joseph François Foullon sont exécutés devant l'Hôtel-de-Ville par la foule. Et il est procédé à l'arrestation du commandant militaire de la région francilienne, Pierre-Victor de Bezenval, près de la capitale, il échappe à un lynchage et il est conduit en prison. En Normandie, à Falaise, le marquis de Ségrie renonce à ses droits féodaux devant l'ire et par crainte d’une émeute ; à Ballon, en pays Normand, le lieutenant du Mans et le seigneur du village sont assassinés par des paysans.

23 juillet : La proclamation proposée par M. Lally-Tolendal (ci-contre) le 20/07 est enfin adoptée, avec des amendements. Des députés, des électeurs du Tiers demandent à l'Assemblée la création d'un tribunal pour les crimes de lèse-nation. Le marquis de Lafayette veut donner sa démission de commandant-général de la milice, les districts parisiens lui demandent de rester.

24 juillet : Arrêt de l'assemblée générale des Electeurs de la Commune : toute publication doit porter le nom de l'auteur ou de l'imprimeur, les colporteurs d'écrits non signés seront emprisonnés. M. de Beaumarchais fait don de 12.000 livres pour les pauvres du faubourg Saint-Antoine.

25 juillet : A l'Hôtel-de-Ville, il se tient la première réunion de l'assemblée provisoire des Représentants de la Commune de Paris, élue le 24, soit 120 membres, ou 2 élus par district.

26 juillet : En Bourgogne, dans le Mâconnais se produit une révolte paysanne. Le député et abbé Maury est arrêté à Péronne (bailliage de Picardie). Le lendemain, l’Assemblée demande sa libération. Celui-ci en tant qu'élu du Tiers s'opposera à l'émancipation politique des Juifs au sein de la Constituante, en 1789 et 1790, et il sera nommé évêque en 1792 par Rome.

27 juillet : A l'Assemblée M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre déclare :
« La nation a voulu être libre, et c'est vous qu'elle a chargés de son affranchissent! Le génie de la France a précipité, pour ainsi dire, la marche de l'esprit public ; il a accumulé pour vous, en peu d'heures, l'expérience que l'on pouvait à peine attendre de plusieurs siècles. Vous pouvez, Messieurs, donner une constitution à la France ; le Roi et le peuple la demandent ; l'un et l'autre l'ont méritée. » Et il est procédé au Résultat du dépouillement des cahiers.


Principes avoués
Art. 1er. Le gouvernement français est un gouvernement monarchique.
Art. 2. La personne du Roi est inviolable et sacrée.
Art. 3. Sa couronne est héréditaire de mâle en mâle.
Art. 4. Le Roi est dépositaire du pouvoir exécutif.
Art. 5. Les agents de l'autorité sont responsables.
Art. 6. La sanction royale est nécessaire pour la promulgation des lois.
Art. 7. La nation fait la loi avec la sanction royale.
Art. 8. Le consentement national est nécessaire à l'emprunt et à l'impôt.
Art. 9. L'impôt ne peut être accordé que d'une tenue d'Etats généraux à l'autre.
Art.,10. La propriété sera sacrée.
Art. 11. La liberté individuelle sera sacrée.

Questions sur lesquelles l'universalité des cahiers ne s'est point expliquée d'une manière uniforme.
Art. 1er. Le Roi a-t-il le pouvoir législatif, limité par les lois constitutionnelles du royaume?
Art. 2. Le Roi peut-il faire seul des lois provisoires de police et d'administration, dans l'intervalle des tenues des États généraux?
Art. 3. Ces lois seront-elles soumises à l'enregistrement libre des cours souveraines?
Art. 4. Les Etats généraux ne peuvent-ils être dissous par eux-mêmes ?
Art. 5. Le Roi peut-il seul convoquer, proroger et dissoudre les Etats généraux?
Art. 6. En cas de dissolution, le Roi est-il obligé de faire sur-le-champ une nouvelle convocation.
Art. 7. Les Etats généraux seront-ils permanents ou périodiques?
Art. 8. S'ils sont périodiques, y aura-t-il, ou n'y aura-t-il pas une commission intermédiaire?
Art. 9. Les deux premiers ordres seront-ils réunis dans une même Chambre?
Art. 10. Les deux Chambres seront-elles formées sans distinction d'ordre?
Art. 11. Les membres de l'ordre du clergé seront-ils répartis dans les deux autres ordres?
Art. 12. La représentation du clergé, de la noblesse et des communes sera-t-elle dans la proportion d'une, deux et trois?
Art. 13. Sera-t-il établi un troisième ordre, sous le titre d'ordre des campagnes?
Art. 14. Les personnes possédant charges emplois ou places à la cour, peuvent-elles être députées aux Etats généraux?
Art. 15. Les deux tiers des voix seront-ils nécessaires pour former une résolution?
Art. 16. Les impôts ayant pour objet la liquidation de la dette nationale, seront-ils perçus jusqu'à son entière extinction?
Art. 17. Les lettres de cachet seront-elles abolies ou modifiées?
Art. 18. La liberté de la presse sera-t-elle indéfinie ou modifiée?

Ps : suivent les premiers débats sur la constitution et un projet de déclaration des droits de l'homme en société de M. Target. Présenté au comité de constitution.
Source : Bib. de Stanford - Archives Parlementaires, tome VIII, pages 284 et 285


28 juillet : A Versailles, à la Constituante un député de Franche-comté fait le récit des atrocités perpétuées par un aristocrate, M. de Mémay, conseiller au Parlement de Besançon. Celui-ci a piégé un grand nombre de citoyen en proposant un festin, et avec la complicité de ses domestiques, par la suite, il les a poussé dans un piège mortel en employant des explosifs et il a occasionné la mort de plusieurs personnes et des blessés. Il est depuis en fuite. Une information parue dans Le Patriote François, de Jacques-Pierre Brissot, dans le n°1, ce jour, composé de 4 pages. Et il fait état de la liberté de la presse « enfin rendue » dans son premier numéro autorisé. Ses premières tentatives datent de mars-avril et mai. (Source : BNF-Gallica)

29 juillet :
En Alsace, dans le Sundgau, les paysans attaquent les châteaux, puis les populations juives. A Paris, encore un retour de Necker et le dernier : il entre dans l'Assemblée portée par l’enthousiasme, et il est décidé que tous les votes se feront à la majorité simple. Aussi la chambre des députés autorise le droit de pétition à titre individuel et le texte signé par son auteur, car ne pouvant être fait à titre collectif. Il est décidé d'un réglement à l'usage de l'Asssemblée nationale.

Chapitre premier, Du président et des secrétaires :
1° Il y aura un président et six secrétaires.
2° Le président ne pourra être nommé que pour quinze jours ; il ne sera point continué, mais il sera éligible de nouveau dans une autre quinzaine.
3° Le président sera nommé au scrutin, en la forme suivante. Etc.
30 juillet : Dans la capitale, M. Necker est reçu à l'hôtel-de-ville par l'assemblée des Electeurs et par l’assemblée des 120 représentants, il obtient la libération de M. Bézenval et un arrêté d'amnistie générale. Réactions très vives des districts, surtout celui de l'Oratoire, et provoque l’effervescence, l'assemblée des Electeurs reporte son arrêté.

31 juillet : L'Assemblée approuve l'arrêté des Électeurs revenant sur l'amnistie. Robespierre, lui demande la punition des crimes, comme un « droit de la Nation » et il déclare :
« Je réclame dans toute leur rigueur les principes qui doivent soumettre les hommes suspects à la nation à des jugements exemplaires. Voulez-vous calmer le peuple? parlez-lui le langage de la justice et de la raison. Qu'il soit sûr que ses ennemis n'échapperont pas à la vengeance des lois, et les sentiments de justice succéderont à ceux de la haine. » Et selon le compte-rendu : MM. Bouche et Pétion de Villeneuve professent les mêmes principes et les mêmes sentiments. Tous regardent le projet d'arrêté de M. Target comme suffisant.

VIII - Le mois d’août 1789

Samedi 1er août : Il paraît un nouveau périodique se nommant L'Observateur (de 4 à 8 pages si avec un supplément, et édité environ tous les 2 jours), Ses rédacteurs sont le journaliste Gabriel Feydel et l'écrivain Choderlos de Laclos, ils sont proches de MM. Bailly et Lafayette et le ton du journal est plutôt à la satire (130 numéros jusqu'au 12 octobre 1790). A la Constituante, sous la présidence du duc de Liancourt, le compte-rendu précise que « l'on annonce des députations des représentants de la commune de Paris, des villes d'Orléans, de Sens et de Dieppe. Quelques membres sont des représentations contre l'abus de l'admission des députations, qui faisaient perdre à l'Assemblée un temps précieux qu'elle devait aux travaux de la constitution. » M. Pétion de Villeneuve « s'élève contre » et à son tour Mirabeau, va dans le même sens et conclue : « Quant à la proposition de ne plus admettre les députations des provinces, j'espère qu'elle ne peut pas même être mise en question. Nous n'avons pas plus le droit que le désir de refuser les avis, les consultations, les communications de nos commettants ; et s'il pouvait s'élever dans notre sein de telles prétentions, l'opinion publique les aurait bientôt mises à leur place ». M. Regnault garde le silence, et sa motion n'a aucun succès. Puis l'on discute à l'Assemblée à savoir, si la déclaration des droits précèdera-t-elle la constitution? Une députation des électeurs signale l'extrême fermentation de Paris et demande l'institution rapide d'un tribunal pour juger des crimes contre la Nation. Grave émeute à Lyon, la milice bourgeoise de cette ville fait une expédition « pleine de succès » contre les « brigands » des environs. A Valenciennes, deux paysans pendant les émeutes sont pendus.



2 août : Dans la nuit du 2 au 3, à Saint-Denis, le lieutenant-maire de la ville est massacré par la foule, pendant une distribution de pain aux pauvres. (Gravure de J.F. Janinet, ci-dessus)

3 août : En début des débats de la Constituante, le duc de Liancourt annonce que le vote de samedi a élu pour président des séances M. Thouret, qui prend sa place, fait une courte intervention, puis démissionne, et M. de Liancourt est invité par l'Assemblée à reprendre ses fonctions en attendant une prochaine élection. Pétion de Villeneuve propose une nouvelle distribution de la parole en deux listes pour les textes proposés, avec les intervenants qui sont pour et ceux qui sont contre, pour éviter ainsi des échanges à ne plus en finir ou se répétant. Puis les débats s’engagent sur les troubles des campagnes. Pour y remédier, M. Salomon, au nom du comité des rapports, propose que l'Assemblée nationale, « informée que le  paiement des  rentes, dîmes, impôts, cens, redevances seigneuriales, est obstinément refusé, déclare« qu'aucune raison ne peut  légitimer les suspensions des paiements d'impôts et de  tout  autre  redevance, jusqu'à ce qu'elle ait prononcé sur ces différents droits ». Certains  députés disent que l'Assemblée n'a pas de preuves légales des  désordres. M. Desmeuniers, député du Tiers-état de Paris, remarque « que les faits n'étant point constatés, il ne convient pas à l’Assemblée de faire une déclaration sur des objets douteux ». En toute fin des échanges, le projet de déclaration est renvoyé au comité de rédaction.


La nuit du 4 août 1789 et fin des féodalités !



Légende : Nuit du 4 août 1789 ou le délire patriotique

Ci-après il s'agit d'un récit du 4 au 5 août 1789 d'Adrien Duquesnoy, avocat lorrain, député du Tiers à la Constituante à Versailles, élu de mai 1789 à septembre 1791. Puis il deviendra maire de la ville de Nancy jusqu'en 1792. Ses écrits sont extraits de son Journal, qu’il a tenu au jour le jour une partie de son mandat.

La nuit du 4 août est un des événements majeurs de l'année 1789, ce regard de l'intérieur mérite attention, mais ce n'est que le point de vue d'un député se qualifiant de révolutionnaire, mais monarchiste. Toutefois, il existe peu de témoignages pris dans le vif, en dehors de la presse présente. Cependant en raison des horaires tardifs, les habitants de Versailles devaient dormir poings fermés... pourtant quelle effervescence dans la salle des Menus-Plaisirs !

La séance d'hier matin (le 4 août, à l'Assemblée constituante commença à 9 heures sous la présidence de la Rochefoucauld-Liancourt) s'est ouverte par la lecture de quelques adresses et du procès-verbal des séances précédentes, puis on a repris la discussion sur la question de savoir s'il y aurait ou non une déclaration des droits de l'homme. Je n'analyserai pas les divers discours qui ont été tenus ; presque tous rentrent dans le même sens, ont le même objet.

Buste de M. Adrien Duquesnoy par Houdon ci-contre


L'Assemblée, fatiguée de cette multitude de harangues, demandait à aller aux voix, lorsque M. Camus a proposé d'ajouter aux mots déclaration des droits ceux de déclaration des devoirs. Cela a donné lieu à de nouvelles discussions ; on lui a observé avec raison qu'il n'y a pas de droits sans devoirs, que des droits supposent le respect pour les droits d'autrui.

On ajoutait que la déclaration des droits de l'homme fixait ses droits, la constitution et la législation ses devoirs, etc., etc. Toutes ces observations ont été inutiles, il a opiniâtrement voulu qu'on délibérât sur cet amendement. II a été rejeté, mais cet entêtement a occasionné une perte immense de temps, et l’on a remarqué avec peine que M. Camus soutenait avec une espèce d'acharnement une proposition à laquelle le clergé semblait mettre un haut prix. On a délibéré alors s'il y aurait ou non une déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et l'affirmation a été arrêtée presque unanimement. On va voir dans quelle forme elle sera rédigée.

La discussion avait été interrompue par l'arrivée d'une lettre du Roi dont voici la copie :

« Je crois, Messieurs, répondre aux sentiments de confiance qui doivent régner entre-nous en vous faisant part directement de la manière dont je viens de remplir les places vacantes dans mon ministère. Je donne les sceaux à M. l'archevêque de Bordeaux, la feuille des bénéfices à M. l'archevêque de Vienne, le département de la guerre à M. de la Tour du Pin-Paulin, et j'appelle dans mon Conseil M. le maréchal de Beauvau. Les choix que je fais dans votre Assemblée même vous annoncent le désir que j'ai d'entretenir avec elle la plus constante et la plus amicale harmonie. »

Signé : « Louis. »

« A Monsieur le Président, Je vous envoie, Monsieur, une note que, comme président, vous lirez de ma part à l'Assemblée nationale. »

A mesure que le président lisait la lettre, les noms étaient successivement applaudis ; la lettre l'a été beaucoup elle-même quand on l'a unie, et certes avec raison. Nous avons donc un ministère populaire, un ministère nommé par la voix du peuple ; jamais cela n'était arrivé.

Le bon archevêque de Vienne est plein d'années et de vertus, c'est un homme bon, simple, c'est un ancien prélat ; l'archevêque de Bordeaux est l'ami de M. Necker depuis quinze ans. Il est un des créateurs des administrations provinciales, il est un des auteurs de la révolution actuelle, et personne, peut-être, n'y a plus contribué que lui, puisqu'il a entraîné les curés pour se réunir aux communes.

Le comte de la Tour du Pin-Paulin est parfaitement étranger à toutes les intrigues ; il est étranger à ce pays-ci, il est agréable à l'armée, il est âgé, il a bien fait la guerre. Le maréchal de Beauvau est l'homme le plus vertueux de la cour, il est ami de M. Necker. Quelles espérances que les travaux de l'Assemblée nationale seront secondés par le Roi ! La nation sera libre, sans doute, mais elle le sera plus tôt encore que si un ministère pervers était venu retarder, contrecarrer ses opérations.

Il m'est impossible de m’occuper d'autre chose que de la séance du soir (nuit du 4 août). Qu'on se rappelle qu'elle avait pour objet la lecture de l'arrêté qui avait été voté la veille pour tâcher de calmer les provinces. Dès qu'il a été lu, le vicomte de Noailles s'est levé et a dit que le seul motif des peuples pour dévaster les châteaux est le fardeau onéreux des rentes et prestations seigneuriales, reste odieux de féodalité ; il a insisté pour qu'on les déclarât rachetables, il a, été applaudi avec transport.

Le duc d'Aiguillon a appuyé cette motion et y a donné de nouveaux motifs ; puis le duc du Châtelet a déclamé avec violence contre les abus de la féodalité, on l'a applaudi à plusieurs reprises ; plusieurs, nobles ont exigé qu'on en fit une déclaration expresse.

L’évêque de Nancy s’est levé et a appuyé pour lui personnellement la motion de MM. De Noailles, d'Aiguillon et du Châtelet ; il a invité tout le clergé à faire de même, en observant que le produit du rachat des rentes ne devait pas tourner au profit îles titulaires actuels des bénéfices, mais être placé pour faire un capital appartenant au bénéfice.

L'évêque de Chartres, l'archevêque d'Aix ont successivement appuyé cette opinion, puis tout le clergé s'est levé, puis toute la noblesse.

L'évêque de Chartres a déclaré qu'il renonçait aux droits de chasse, tout le clergé, toute la noblesse, l'ont suivi ; puis M. de Saint-Fargeau a demandé que non seulement que tous les privilèges pécuniaires fussent abolis pour l'avenir, mais que tous les privilégiés fussent imposés, à dater du 1er janvier de cette année 1789, dans la même forme et sur les mêmes rôles que les autres individus ; puis on a voté la suppression des colombiers et garennes, puis les curés ont offert la suppression du casuel. Les banalités, l'admission à toutes les places : c'était un délire, une ivresse.

Le marquis de Blacons a demandé l'abandon des privilèges de toutes les provinces ; la Bretagne a donné l'exemple ; les barons de Languedoc ont renoncé à leurs droits de baronnie ; l'Artois, la Bourgogne, la Lorraine, etc., etc. Puis l'archevêque de Paris a proposé un Te Deum dans la chapelle du Roi, le duc de Liancourt une médaille pour perpétuer cet événement éternellement mémorable, et, sur la motion du comte de Lally, Louis XVI a été proclamé « restaurateur de la liberté française ».

Jamais, sans doute, aucun peuple n'a offert un tel spectacle ; c'était à qui offrirait, donnerait, remettrait aux pieds de la nation :

- moi, je suis baron de Languedoc, j'abandonne mes privilèges ;
- moi, je suis membre des états d'Artois, j'offre aussi mon hommage ;
- moi, je suis magistrat, je vote pour la justice gratuite ;
- moi, j'ai deux bénéfices, je vote contre la pluralité des bénéfices.

Plus de privilèges des villes ; Paris, Bordeaux, Marseille, y renoncent. Grande et mémorable nuit! On pleurait, on s'embrassait. Quelle nation! quelle gloire, quel honneur d'être Français!

L'Assemblée a duré jusqu'à deux heures du matin. Elle se reforme aujourd'hui à midi pour entendre l'arrêté rédigé et faire au Roi une députation.

Nous avons fait dans six heures ce qui devait durer des mois, ce qui nous effrayait ; quel puissant moyen de faire taire les incendiaires et les déclamateurs! Il m'est impossible d'écrire ; je suis trop agité par tous les sentiments.

A deux heures, on a apporté une lettre des trois nouveaux ministres, pleine de témoignages de respect pour l'Assemblée. Ils déclarent qu'ils n'exerceront aucune fonction publique que de son agrément.

On chante le Te Deum dans tout le royaume.

Source : Gallica-Bnf, Journal d’Adrien Duquesnoy
du 3 mai 1789 au 3 avril 1790, tome 1, pages 264 à 268
 Publié pour la Société d'histoire contemporaine en 1898.


Nuit du 4 août :
L’Assemblée nationale vote l’abolition du régime féodal et de certains droits seigneuriaux sur la chasse, mais le roi ne signera pas. Voilà ce qu'en dit le compte-rendu : « La séance s'était étendue bien avant dans la nuit, quand M. le président, après avoir pris le vœu de l'Assemblée, suspend le cours de ces déclarations patriotiques, pour en relire les chefs principaux, et les faire décréter par l'Assemblée, sauf la rédaction ; ce qui est exécuté sur l'heure à l'unanimité, sous la réserve exigée par les serments et les mandats de divers commettants. » (Bib. de Stanford - Arch. Parlementaires, tome VIII)

Suivent les articles arrêtés :
  • Abolition de la qualité de serf et de la mainmorte, sous quelque dénomination qu'elle existe.
  • Faculté de rembourser les droits seigneuriaux.
  • Abolition des juridictions seigneuriales.
  • Suppression du droit exclusif de la chasse, des colombiers, des garennes.
  • Taxe en argent, représentative de la dîme.
  • Rachat possible de toutes les dîmes, de quelque espèce que ce soit.
  • Abolition de tous privilèges et immunités pécuniaires.
  • Egalité des impôts, de quelque espèce que ce soit, à compter du commencement de l'année 1789, suivant ce qui sera réglé par les assemblées provinciales.
  • Admission de tous les citoyens aux emplois civils et militaires.
  • Déclaration de l'établissement prochain d'une justice gratuite, et de la suppression de la vénalité des offices.
  • Abandon du privilège particulier des provinces et des villes. Déclaration des députés qui ont des mandats impératifs, qu'ils vont écrire à leurs commettants pour solliciter leur adhésion.
  • Abandon des privilèges de plusieurs villes, Paris, Lyon, Bordeaux, etc.
  • Suppression du droit de déport (perception du revenu d'un diocèse par son évêque pour une durée limitée) et vacat (droits de succession), des annates (impôts du pape), de la pluralité des bénéfices.
  • Destruction des pensions obtenues sans titres.
  • Réformation des jurandes
  • Une médaille frappée pour éterniser la mémoire de ce jour
Il est précisé en plus qu'il sera joué un « Te Deum solennel, et l'Assemblée nationale en députation (se rendra) auprès du Roi, pour lui porter l'hommage de l'Assemblée, et le titre de Restaurateur de la liberté française, avec prière d'assister personnellement au Te Deum. Les cris de vive le Roi! les témoignages de l'allégresse publique, variés sous toutes les formes, les félicitations mutuelles des députés et du peuple présent, terminent la séance. Avant de la lever, M. le président lit une lettre qui lui est écrite par MM. Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, Le Franc de Pompignan archevêque de Vienne, et M. le comte de La Tour-Du-Pin, appelés par le Roi au ministère. (...) La séance est suspendue à deux heures après minuit, et continue à demain midi. »

Source : Bib. de Stanford - Archives Parlementaires, tome VII, du 5/05 jusqu'au 15/09/1789

5 août : A l'Assemblée, à la présidence siège M. Le Chapelier, à la fin des échanges  M. le comte de Montmorency fait la lecture de l'arrêté, tel qu'il a été libellé par le comité de rédaction. Le projet d'arrêté stipule,
« considérant,

1° Que dans un État libre, les propriétés doivent être aussi libres que les personnes ;
2° Que la force de l'Empire ne peut résulter que de la réunion parfaite de toutes les parties, de l'égalité des droits et des charges ;
3° Que tous les membres privilégiés, et les représentants des provinces et des villes se sont empressés de faire, comme à l'envi, au nom de leurs commettants, entre les mains de la nation, la renonciation solennelle à leurs droits particuliers et à tous leurs privilèges ; Et il est suivi de 19 articles faisant loi reprenant les arrétés de la nuit !

6 août : A la Constituante, le député Buzot déclare que les biens du clergé sont à la nation et l'on continue de parler des droits de chasse.

7 août : De retour à Paris, M. l'abbé d'Eymard, député Alsacien, ainsi que pour M. de Rohan, exprime ses regrets de n'avoir pu pas se rendre plus rapidement à l'Assemblée et l'explique en raison des troubles survenus en Alsace. Le Garde des sceaux expose à l'Assemblée les « malheurs publics » et M. Necker demande un emprunt de 30 millions. Il est décidé dans la capitale d'un arrêté de la Commune pour faire cesser les attroupements sé́ditieux.

8 août : A la Constituante, une députation de la ville de Saint-Denis se présente à la barre pour obtenir le pardon de ceux qui ont assassinés le maire le 2 août à Saint-Denis. La requête est prise en considération par le Président de la séance. Une députation des habitants de la Guadeloupe, introduite à la barre, présente une pétition qui a pour but de : 1°) fixer le nombre de députés à l'Assemblée nationale pour l'île ; 2°) déterminer les formes de l'élection ; 3°) d'accepter provisoirement les députés présents en attendant leur confirmation ou leur invalidation. Le Président renvoie l'examen de la pétition au comité de vérification. Plus tard, sur la question du crédit le député Buzot demande :
« Pourquoi répéter ici les emprunts? Oubliez-vous que c'est la forme la plus onéreuse et la plus dangereuse qu'un gouvernement obéré puisse mettre en usage? Avez-vous oublié que le gouvernement n'a cessé d'emprunter? 60.000.000 aux notaires, 24.000.000 à la caisse d'escompte, 89.000.000 d'anticipations, 69 millions de retard dans les rentes ; en un mot, car je ne puis suivre tous ces emprunts accumulés, un total de 369.000.000 dont il est redevable, qu'il a empruntés de force ou de gré! »

Dimanche 9 août : Toujours à l'Assemblée constituante, sur l'emprunt, Pétion de Villeneuve refuse,
« Le projet de voter un emprunt sous notre caution individuelle ne peut pas être admis. Nous violerions en cela l'esprit de nos mandats, quoique nous parussions en observer la lettre. Plusieurs membres de l'Assemblée pourraient ne vouloir pas se soumettre à la solidarité ; d'ailleurs, les prêteurs ne se soucieraient pas d'être forcés de courir après leur gage, et l'emprunt serait manqué ; il doit donc être fait au nom et sous la garantie de la nation. C'est à nous de le voter librement, et de surveiller par un comité l'emploi des deniers pour qu'ils ne soient employés qu'à des besoins indispensables. Je propose donc l'établissement de ce comité ; ce sera un sûr moyen de tranquilliser nos commettants et d'inspirer de la confiance. L'intérêt proposé par le ministre me paraît illégal. C'est en s'écartant de la loi que le gouvernement a causé tous nos malheurs, et a sans cesse accru la masse excessive de nos dettes. » L'Assemblée décrète l'emprunt de 30 millions à̀ 4,5 % : 2,6 millions seront souscrits.

10 août :
A la chambre des députés à Versailles (jusqu'en octobre), il est débattu de la dîme, l'impôt sur les récoltes prélevées par l'Église catholique apostolique et romaine, et qui peut être dénommée comme gallicane dans une voie autonome du saint Siège.

11 août : A Versailles, le roi « Mande et ordonne à tous les officiers et gardes de ses capitaineries de continuer leurs fonctions pour le fait seulement de la conservation des moissons et récoltes ; enjoint aux maréchaussées de s'y réunir, aux milices bourgeoises d'y veiller, et aux troupes réglées de prêter main-forte sur la réquisition des officiers de police. Et sera la présente ordonnance imprimée et affichée partout ou besoin sera, à ce qu'aucun n'en ignore.
» (Signé, Louis) Dans la capitale, Jean-Paul Marat fait imprimer le numéro un du Moniteur patriote. Ce qui devait être un de ses premiers périodiques rapidement sans suite. Le Parlement de Paris prend son dernier acte de jugement, et selon l'origine du condamné à mort. M. Louis Tonnelier de la ville de Château-Landon incarcéré depuis 1787 à la Conciergerie, il se voit condamné à être roué vif en place publique sur le marché de Château-Landon, c'est-à-dire, « à avoir les bras, jambes, cuisses, reins rompus vifs, par l'exécuteur de haute justice ; » suite à son procès, son appel est au final rejeté. (Histoire parlementaire de la Révolution française, tome 3, page 48, MM. Buchez et Roux, 1834)

12 août : En Normandie, des émeutes éclatent à Caen, le major Belzunce est mis à mort par le peuple pour avoir insulté la cocarde tricolore. Le comité municipal démissionne le lendemain.


13 août : A Versailles, les membres de l'Assemblée se rendent chez le roi pour assister au Te Deum en mémoire de la nuit du 4 août. M. Le Chapelier, président, s'adresse là Louis XVI, et accepte le titre de restaurateur de la liberté française. Parution du 1er numéro du Journal d’État et du Citoyen de Louise-Félicité de Kéralio-Robert, première femme dirigeant une entreprise de presse. Elle publiera dans d'autres titres dont le Mercure national et  s'investira en faveur de la République.

14 août : Une Lettre à M. Grégoire, député de Nancy est adressée par les députés de la nation juive de Bordeaux. L'abbé Henri Grégoire (ci-contre en portrait) avait été l'auteur au mois d'avril-mai 1789, d'une « Motion en faveur des Juifs, précédée d'une notice historique, sur les persécutions qu'ils viennent d'essuyer en divers lieux, notamment en Alsace, et sur l'admission de leurs députés à la barre de l'Assemblée nationale. » (Source : Gallica-Bnf)


15 août : En ce jour férié et de l'Assomption (de Marie, mère de Jésus), Louis XVI dans son carnet de notes journalières, il écrit :
« Bain, la grand-messe. vêpres, la procession et le salut. » Le roi avait le jour du 14 juillet noté : « Rien. » (Source : Archive.org, Louis Nicolardot, Journal de Louis XVI, page 136, Paris-1873)



Bateau de poudre arrêté au port Saint-Paul, estampe de Jean-Louis Prieur (Musée Carnavalet)

16 août : A Paris, la découverte et l'arrêt d'un bateau de poudre au port Saint-Paul provoque des émeutes.


17 août : M. Stanislas de Clermont-Tonnerre, monarchiste en faveur d'une nouvelle constitution (appelé monarchien) est élu à la tête de l'Assemblée par ses pairs. Il sera à nouveau président des séances le 12 septembre en battant deux de ses concurrents : MM. Pétion de Villeneuve et Redon
, et pour 15 jours dans un premier temps (système de rotation des présidences avec vote, ainsi que pour les secrétaires chargés des comptes-rendus).

18 août : Belgique, à
Liège, le prince-évêque est chassé par la population, qui s'empare de l'hôtel-de-ville et de la citadelle, la montée du prix du pain et la faim à l'origine de ce mouvement. A Paris, réunion de 3.000 garçons tailleurs en face des Tuileries (actuel musée du Louvre), pour demander 40 sous par jour, et de garçons perruquiers aux Champs-Élysées.

19 août : A Paris, en opposition à la Société des Amis des Noirs créée en 1788, est fondé à l'hôtel de Massiac, le club du même nom, par de riches colons de l'île de Saint-Domingue.

20 août : A Versailles, l'Assemblée commence l'examen de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, par son préambule et les trois premiers articles, dont le 1er article qui stipule que : Les hommes naissent libres et demeurent égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
» La déclaration des droits sera adoptée en totalité le 26 août.

21 et 22 août : Dans la capitale, la disette commence à se faire sentir et les boulangers rationnent le pain. Le jour suivant,
« Paris n'a offert, la journée du 22, rien de bien particulier ; il y a eu, comme les jours précédents, des débats dans les districts, sur la nomination des officiers pour la milice bourgeoise, et M. de La Fayette a bien de la peine à les accorder. Les Architectes-Ingénieurs, chargés de la démolition de la Bastille, présentèrent à ce général de la milice citoyenne les boulets trouvés dans les murs, et lancés par l'armée du grand Condé, sous la minorité de Louis XIV. » (Il est fait référence à la Fronde, 1648-1650)  « Mon Général, le présent que nous vous offrons est le seul digne de vous : ce n'est ni de l'or ni des pierres précieuses, c'est du fer, ce sont des boulets trouvés dans les mines de l'antre du désespoir et des cachots de la douleur et du despotisme sont les plus nobles trophées que l'on puisse dédier au héros-citoyen, que la liberté publique a trouvé pour défenseur dans les deux mondes » (Source : Gallica-Bnf, Supplément aux Révolutions de Paris, page 6)

23 août : Devant la Constituante le député et pasteur Rabaut de Saint-Etienne déclare à la tribune : « Ainsi, Messieurs, les Protestants font tout pour la patrie ; et la Patrie les traite avec ingratitude : ils la servent en citoyens ; ils en sont traités en proscrits : ils la servent en hommes que vous avez rendu libres ; ils en sont traités en esclaves. Mais il existe enfin une Nation Française, et c’est à elle que j’en appelle, en faveur de deux millions de Citoyens utiles, qui réclament aujourd’hui leur droit de Français. Je ne lui fais pas l’injustice de penser qu’elle puisse prononcer le mot d’intolérance ; il est banni de notre langue, où il n’y subsistera que comme un de ces mots barbares et surannés dont on ne se sert plus, parce que l’idée qu’il représente est anéantie. Mais, Messieurs, ce n’est pas même la Tolérance que je réclame ; c’est la liberté ». Jean-Paul Marat publie un Projet de Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, suivi d'un plan de Constitution juste, sage et libre, qu'il adresse au comité des cinq de l'Assemblée, en charge de préparer le préambule de la Constitution. (Source : Gallica-Bnf)

Lundi 24 août : A l'Assemblée sise à Versailles, Robespierre déclare, « Vous ne devez pas balancer de déclarer franchement la liberté de la presse. Il n'est jamais permis à des hommes libres de prononcer leurs droits d'une manière ambiguë ; toute modification doit être renvoyée dans la Constitution. Le despotisme seul a imaginé des restrictions : c'est ainsi qu'il est parvenu à atténuer tous les droits... Il n'y a pas de tyran sur la terre qui ne signât un article aussi modifié que celui qu'on vous propose. La liberté de la presse est une partie inséparable de celle de communiquer ses pensées. » La liberté de la presse est reconnue et met fin à la censure préalable. Parution du premier numéro de la Chronique de Paris, ce quotidien est fait par MM. Aubin-Louis Millin de Grand-Maison et l'abbé Noël François, directeurs de la publication et avec pour contributeurs et collaborateurs : Nicolas de Condorcet, Joseph Delaunay, Rabaut Saint-Étienne, et Jean-François Ducos. « Avis au public : Ce journal paraît depuis lundi. Il rend compte de tout ce qui se passe d’intéressant dans la Capitale. On y trouve les nouvelles publiques et particulières, l’analyse de toutes les nouveautés politiques et littéraires, la notice des Pièces de théâtre des différents Spectacles, les débuts, les anecdotes les plus piquantes, la nécrologie des hommes célébrés, le cours des effets publics, l’annonce des spectacles, etc. » (Source : Gallica-Bnf)

25 août : A Versailles, les élus de Paris et M. de Lafayette sont reçus avec un certain dédain par la reine Marie-Antoinette.

Mercredi 26 août : Depuis Versailles, l'Assemblée vote de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, ci-contre.

De leur côté, les Juifs de Paris remettent une adresse à la Constituante :
« convaincus de la necéssité où sont tous les habitants d'un grand empire à se soumettre à un plan uniforme de police et de jurisprudence. » et ils renoncent aux "privilèges" (ou Lettres patentes) d'avoir des représentants propres désignés par l'Etat. (Source : Persée, Philippe Sagnac - Les juifs et la Révolution, 1789-1791)

L'assemblée municipale adopte le projet de règlement de la Garde nationale de Paris. il est célébré un messe en musique à l'église Saint-Sulpice, où l'on interprète un Te Deum. En Normandie, 45 villages autour de Condé-sur-Noireau forment une alliance défensive. 


27 août : Dans un mémoire lu à l'Assemblée, M. Necker demande un second emprunt de 80 millions à 5%. A Paris, est organisé un attroupement de gens de maison, pour demander le renvoi des domestiques étrangers. Le décret de la Chambre impériale de Wetzlar condamne la révolution de Liège.

28 août : A Versailles, ouverture des débats sur la constitution, le député Mounier lit son plan.

29 août : Parution du premier numéro du Journal des débats et des décrets, de huit pages consacrées à l'Assemblée nationale et qui deviendront rapidement quotidiennes. Le périodique est imprimé à Versailles chez M. Baudouin, qui a racheté le titre au député du tiers de la sénéchaussée de Clermont, M. J.F. Gaultier de Biauzat, avocat. Le journal était né de la volonté d'informer ses administrés Clermontois et en tira un bénéfice de popularité. Il sera racheté en 1795 par M. Bertin et édité jusqu'en 1805 avant de changer de nom. (Disponible sur le site Retronews de la Bnf)

30 août :
Paris : La discussion du veto provoque des mouvements de mécontentements. Aux jardins du Palais-Royal, le marquis de Saint-Huruges est nommé au café de Foy pour conduire une députation chargée de signifier aux partisans du veto leurs vœux. La députation est escortée de 1.500 citoyens, mais la garde nationale l’empêche de passer.

31 août :
La municipalité de Paris ferme trois des cinq ateliers de charité destinés aux sans-travail ou bras-nus. L'abbé Fauchet prononce son deuxième discours de sur la Liberté française devant les districts réunis du faubourg Saint-Antoine. Les députés des Juifs de Metz, des trois Évêchés, de Lorraine et d'Alsace demandent à l'Assemblée d'avoir les mêmes droits civils que les citoyens français : « Il n'y a aucun inconvénient à nous laisser ce que nous avons été jusqu'à ce jour, il y en aurait de grands, au contraire, à changer notre existence. » (Source : Persée, M. Ph. Sagnac, Les Juifs et la Révolution)

IX – Le mois de septembre 1789


Mardi 1er septembre :
Versailles, à l'Assemblée constituante, Honoré-Gabriel de Mirabeau se prononce en faveur du veto absolu (ainsi que dans son journal Le courrier de Provence) ; en soirée, l'abbé Grégoire demande à ce que le débat soit consacré à la situation des Juifs, ce qui est lui est accordé. Dans la capital, il est pris un arrêté de la Commune contre les attroupements, celle-ci organise de nombreuses patrouilles au Palais-Royal, et le café de Foy est fermé. Un autre arrêté́ empêche les colporteurs de crier aucun autre écrit que les décrets de l'Assemblée et les actes officiels.

Discours de Mirabeau
SUR LE VETO (1)



Buste de Mirabeau sculpté par Henri Frédéric Iselin (crédit Ch. de Versailles)

« Messieurs, dans la monarchie la mieux organisée, l'autorité royale est toujours l'objet des craintes des meilleurs citoyens ; celui que la loi met au-dessus de tous devient aisément le rival de la loi. Assez puissant pour protéger la Constitution, il est souvent tenté de la détruire. La marche uniforme qu'a suivie partout l'autorité des rois n'a que trop enseigné la nécessité de la surveiller. Cette défiance, salutaire en soi, nous porte naturellement à désirer de contenir un pouvoir si redoutable. Une secrète terreur nous éloigne, malgré nous, des moyens dont il faut armer le chef suprême de la nation, afin qu'il puisse remplir les fonctions qui lui sont assignées.

Cependant, si l'on considère de sang-froid les principes et la nature du gouvernement monarchique, constitué sur la base de la souveraineté du peuple ; si l'on examine attentivement les circonstances qui donnent lieu à sa formation, on verra que le monarque doit être considéré plutôt comme le protecteur des peuples que comme l'ennemi de leur bonheur.

Deux pouvoirs sont nécessaires à l'existence et aux fonctions du corps politique : celui de vouloir et celui d'agir. Par le premier, la société établit les règles qui doivent la conduire au but qu'elle se propose, et qui est incontestablement le bien de tous. Par le second, ces règles s'exécutent, et la force publique sert à faire triompher la société des obstacles que cette exécution pourrait rencontrer dans l'opposition des volontés individuelles.

Chez une grande nation, ces deux pouvoirs ne peuvent être exercés par elle-même ; de là, la nécessité des représentants du peuple pour l'exercice de la faculté de vouloir, ou de la puissance législative ; de là, encore, la nécessité d'une autre espèce de représentants pour l'exercice de la faculté d'agir, ou de la puissance exécutive. Plus la nation est considérable, plus il importe que cette dernière puissance soit active; de là, la nécessité d'un chef unique et suprême, d'un gouvernement monarchique dans les grands Etats, où les convulsions, les démembrements seraient infiniment à craindre, s'il n'existait une force suffisante pour en réunir toutes les parties et tourner vers un centre commun leur activité .

L'une et l'autre de ces puissances sont également nécessaires, également chères à la nation. Il y a cependant ceci de remarquable : c'est que la puissance exécutive, agissant continuellement sur le peuple, est dans un rapport plus immédiat avec lui ; que, chargée du soin de maintenir l'équilibre, d'empêcher les partialités, les préférences vers lesquelles le petit nombre tend sans cesse au préjudice du plus grand, il importe à ce même peuple que cette puissance ait constamment en main un moyen sûr de se maintenir.

Ce moyen existe dans le droit attribué au chef suprême de la nation d'examiner les actes de la puissance législative, et de leur donner ou de leur refuser le caractère sacré de la loi. »

Mirabeau cherche à établir que l'alliance nécessaire entre le prince et le peuple n'est durable qu'à ce prix ; cependant ce veto ne devra exister que lorsque la Constitution sera définitivement votée. Il ne méconnaît pas les objections graves qu'on peut faire, mais elles disparaissent devant cette vérité que le prince, s'il n'était armé du droit de veto serait contraint de recourir aux coups de force. (2)

« Le prince est le représentant perpétuel du peuple, comme les députés sont ses représentants élus à certaines époques. Les droits de l'un, comme ceux des autres, ne sont fondés que sur l'utilité de ceux qui les ont établis.

Personne ne réclame contre le veto de l'Assemblée nationale qui n'est effectivement qu'un droit du peuple confié à ses représentants, pour s'opposera toute proposition qui tendrait au rétablissement du despotisme ministériel. Pourquoi donc réclamer contre le veto du prince, qui n'est aussi qu'un droit du peuple confié spécialement au prince, parce que le prince est aussi intéressé que le peuple à prévenir l'établissement de l'aristocratie? Mais, dit-on, les députés du peuple dans l'Assemblée nationale n'étant revêtus du pouvoir que pour un temps limité, et n'ayant aucune partie du pouvoir exécutif, l'abus qu'ils peuvent faire de leur veto ne peut être d'une conséquence aussi funeste que celui qu'un prince inamovible opposerait à une loi juste et raisonnable.

Premièrement, si le prince n'a pas de veto qui empêchera les représentants du peuple de prolonger, et bientôt après d'éterniser leur députation? (c'est ainsi, et non, comme on vous l'a dit, par la suppression de la Chambre des pairs que le Long Parlement renversa la liberté politique de la Grande-Bretagne.) Qui les empêchera même de s'approprier la partie du pouvoir exécutif qui dispose des emplois et des grâces? Manqueront-ils de prétextes pour justifier cette usurpation? les emplois sont si scandaleusement remplis! les grâces si indignement prostituées!

Secondement le veto soit du prince, soit des députés à l'Assemblée nationale, n'a d'autre vertu que d'arrêter une proposition; il ne peut donc résulter d'un veto, quel qu'il soit, qu'une inaction du pouvoir exécutif à cet effet. »

Mirabeau énumère les principales objections que l'on pourrait faire à cette prérogative du veto et s'efforce de les réfuter.

« Passez de cette considération aux instruments du pouvoir qui doivent être entre les mains du chef de la nation. C'est à vingt-cinq millions d'hommes qu'il doit commander ; c'est sur tous les points d'une étendue de trente mille lieues carrées que son pouvoir doit être sans cesse prêt à se montrer pour protéger ou défendre : et l'on prétendrait que le chef, dépositaire légitime des moyens que ce pouvoir exige, pourrait être contraint de faire exécuter des lois qu'il n'aurait pas consenties! Mais par quels troubles affreux, par quelles insurrections convulsives et sanguinaires voudrait-on donc nous faire passer pour combattre sa résistance? Quand la loi est sous la sauvegarde de l'opinion publique, elle devient vraiment impérieuse pour le chef que vous avez armé de toute la force publique : mais quel est le moment où l'on peut compter sur cet empire de l'opinion publique?

N'est-ce pas lorsque le chef du pouvoir exécutif a lui-même donné son consentement à la loi et que ce consentement est connu de tous les citoyens? N'est-ce pas uniquement alors que l'opinion publique la place irrévocablement au-dessus de lui, et la force, sous peine de devenir un objet d'horreur, à exécuter ce qu'il a promis? Car son consentement, en qualité de chef de la puissance exécutive, n'est autre chose que l'engagement solennel de faire exécuter la loi qu'il vient de revêtir de sa sanction. Et qu'on ne dise pas que les généraux d'armée sont dépositaires de très grandes forces et sont néanmoins obligés d'obéir à des ordres supérieurs, quelle que soit leur opinion sur la nature de ces ordres. Les généraux d'armée ne sont pas des chefs héréditaires ; leur personne n'est pas inviolable ; leur autorité cesse en la présence de ceux dont ils exécutent les ordres : et si l'on voulait pousser plus loin la comparaison, l'on serait forcé de convenir que ceux-là sont, pour l'ordinaire, de très mauvais généraux, qui exécutent des dispositions qu'ils n'ont pas approuvées. Voilà donc le danger que vous allez courir. Et dans quel but? »

La nation sera donc plus tranquille et courra moins de risques de retourner au despotisme (comme la Suède par exemple) si le roi est pourvu du droit de veto.

« Par une suite de ces considérations puisées dans le cœur humain et dans l'expérience, le roi doit avoir le pouvoir d'agir sur l'Assemblée nationale, en la faisant réélire. Cette sorte d'action est nécessaire pour laisser au roi un moyen légal et paisible de faire à son tour agréer des lois qu'il jugerait utiles à la nation, et auxquelles l'Assemblée nationale résisterait. Rien ne serait moins dangereux ; car il faudrait bien que le roi comptât sur le vœu de la nation, si, pour faire agréer une loi, il avait recours à une élection de nouveaux membres, et quand la nation et le roi se réunissent à désirer une loi, la résistance du corps législatif ne peut plus avoir que deux causes : ou la corruption de ses membres, et alors le remplacement est un bien ; ou un doute sur l'opinion publique, et alors le meilleur moyen de l'éclairer est, sans doute, une élection de nouveaux membres.

Je me résume en un seul mot, messieurs : annualité de l'impôt, responsabilité des ministres ; et la sanction royale, sans restriction écrite, mais parfaitement limitée de fait, sera le palladium de la liberté nationale, et le plus précieux exercice de la liberté du peuple. »

Note :

1. Le projet de Constitution proposait de donner au roi un droit de veto sur les décisions de l'Assemblée. Trois partis s'étaient formés : les uns proposaient le veto absolu ; les autres le veto suspensif ; d'autres enfin étaient d'avis de donner à l'Assemblée la toute-puissance. Mirabeau prit la parole en faveur du veto suspensif.

2. Annotations de Joseph Reinach en gras et en italique.

Source : Gallica-BnF, Joseph Reinach, L'Éloquence française
depuis la Révolution jusqu'a nos jours
, pages 4 à 9, éditeur Delagrave (Paris, 1894)


2 septembre : A Versailles, sont lus les discours de MM. Barnave et de Target en faveur du veto suspensif. A Paris, il est procédé à l'arrestation de M. de Saint-Huruge au Palais-Royal et des patrouilles saisissent brochures et journaux.

3 septembre : A l'Assemblée, le débat sur le véto continue.

4 septembre : A la Constituante,
le député Mounier fait un rapport au nom du du comité de la constitution et un discours sur les deux chambres et le veto absolu.

5 septembre : A l'Assemblée, le débat sur le véto continue, avec des interventions de MM. Mounier, Piéton et Thouret. Louis XVI demande aux évêques de faire des prières publiques pour favoriser le retour au calme.

6 septembre : Versailles, l'épouse du comte d'Artois émigre, Marie-Thérèse de Savoie accompagnée de sa suite rejoint son mari à Turin (Royaume de Sardaigne).



Dons patriotiques des femmes en blanc, estampe de Nicolas Ponce

7 septembre :
À l'Assemblée, 11 femmes et filles d'artistes, vêtues de blanc, viennent offrir leurs bijoux : commencement des « dons patriotiques » Ils seront réguliers et en général en début des séances parlementaires, après la lecture du compte-rendu de la veille et de l'ordre du jour, qui peuvent être suivis d'Adresses ou des pétitions avec ou sans députation.

8 septembre : A Versailles, Louis XVI reçoit
l'ambassadeur du royaume de Sardaigne, une rencontre non mentionnée dans son carnet mensuel.

9 septembre : Le maire de Troyes, M. Claude Huez est accusé d'avoir empoisonné les farines, il est mis à mort, son cadavre traîné dans les rues.

10 septembre : L'Assemblée décide que le corps législatif ne sera composé que d'une chambre ou mono-caméral ; elle discute une adresse de la ville de Rennes qui déclare traîtres à la patrie ceux qui acceptent le veto, et création d'un comité pour la réforme de la jurisprudence criminelle.

11 septembre : La Constituante refuse d'entendre la délibération du Conseil du roi sur le veto. À l'issue d'une séance tumultueuse, le vote en faveur du « veto suspensif » est accordé au roi par 673 voix contre 325. Ce qui fut un compromis entre le veto irrévocable et pas de veto du tout. Des "partis" ou coalitions font jour, au moins cinq se forment.

Siégent, à partir de la droite de l’hémicycle  :


- Les « Noirs », le camp des contre-révolutionnaires (libéraux conservateurs ou monarchistes), regroupant les ultras de la noblesse et du clergé comme l’abbé Maury, Cazalès, le comte de Montlozier, le vicomte de Mirabeau (l'oncle). Ils étaient environ 300 députés.
- Les « Monarchiens » ou « Anglomanes » on retrouve, MM. Malouet, Mounier, et Clermont-Tonnerre, Lally-Tolendal, qui prônent une monarchie constitutionnelle à l’anglaise et pour deux chambres. (environ 300 membres)

Siégent, du centre à la gauche de l’hémicycle :
- Le « parti dit national », avec Sieyès et Honoré de Mirabeau, plus que jamais ambiguë au sein d'une tendance fluctuante et mouvante, représentative de son centre de gravité au début … et le secrétaire de Mirabeau est un certain Danton (élu seulement en 1792, ou hormis son district, il est impliqué dans les transactions sonnantes et trébuchantes entre Louis XVI et Mirabeau). C'était le groupe le plus imposant au commencement.
- Les « Patriotes » unis dans un triumvirat : Duport, Alex-Lameth et Barnave qui se détachera du centre, comme des minoritaires.
- Les « Minoritaires » ou les « Démocrates », avec Robespierre, Buzot, l’abbé Grégoire, Prieur de la Marne, Pétion de Villeneuve.
12 septembre : A Paris, parution du premier numéro du Publiciste parisien puis rapidement L’Ami du Peuple de Marat, journaliste, ci-contre en gravure (Source : Gallica-Bnf). La Société des Citoyens de Couleur, colons américains est créée. A l'Assemblée, il est décidé que la législature sera de 4 ans. Démission du comité de constitution composé de MM. Mounier, Lally, Clermont-Tonnerre (il est toutefois élu président de l'Assemblée), Bergasse, Talleyrand, Sieyès. À Orléans, émeute, un convoi de grain est attaqué, des habitants de Saint-Sauveur et d’Olivet tentent d’entrer en ville pour piller les boulangeries. La révolte est réprimée par la garde nationale, 90 tués.


13 septembre : A Versailles, il éclate une révolte de la faim, la foule veut pendre un boulanger et dévaste sa maison. A Orléans un meneur est pendu, en guise de protestation les gens du peuple ont retiré leurs cocardes. Le pape, Pie VI, écrit à Louis XVI qu’il veut éviter une rupture avec la France.

14 septembre : Le faubourg Saint-Antoine va en procession pour̀ Sainte-Geneviève, portant un modèle de la Bastille en carton haut de quatre pieds (environ 1 mètre et 20 cm). A Tréguier, l’évêque publie un mandement contre les droits de l’homme et l’abolition de la féodalité.

15 septembre : L'Assemblée décrète la personne du roi inviolable et sacrée, et discussion sur la succession de la couronne. La disette à Paris, les boulangeries sont assiégées. Camille Desmoulins publie son Discours de la Lanterne aux parisiens :

« Quels remerciements ne vous dois-je pas? Vous m'avez rendu à jamais célèbre et bénie entre toutes les lanternes. (...) Il cherchait un homme, j'en ai trouvé 200 mille. (...) Chaque jour je jouis de l'extase de quelques voyageurs Anglais, Hollandais ou des Pays-Bas, qui me contemplent avec admiration ; prise qu'une lanterne ait fait plus en deux jours que tous leurs héros en cent ans. »
Source : Gallica-BnF, 68 feuillets

16 septembre : A Paris, sur la base d'un rapport de l'avocat Jacques-Alexis Thuriot de la Rosière, l'assemblée des représentants de la commune décide de rassembler en un seul endroit les papiers ou archives de la Bastille ;
« considérant que ces papiers sont infiniment importants, qu'il est essentiel de les examiner, d'en faire l'analyse et même de la rendre publique ».

17 septembre : Charles-Henri d'Estaing, commandant de la garde citoyenne de Versailles, engage la municipalité à requérir un régiment pour le maintien de l'ordre.

18 septembre : La lettre du roi, contenant ses observations critiques sur les décrets du 4 août, provoque le mécontentement de l’Assemblée. Motion de Volney, elle demande l'élection d'une nouvelle assemblée, « véritablement nationale ». Et le colon et propriétaire à Saint-Domingue, M. Moreau de Saint-Méry (en portrait ci-contre) est admis comme député de la Martinique à la Constituante. A Paris, le libraire Luchet du Journal de la Ville est assiégé par des garçons boulangers, lui reprochant d'avoir publié que le pain contenait de la chaux.

19
septembre : Les 60 districts de Paris élisent la nouvelle assemblée générale des représentants de la Commune. A Versailles, à l'Assemblée la motion de Volney, à laquelle s'oppose Mirabeau, est renvoyée. Le président redemande au roi la promulgation des arrêtés du 4 août. A Rouen, la puissante machine à filer d'un filassier est démantelée, et sa boutique mise à sac.

20 septembre : En Martinique, à Saint-Pierre et Fort-Royal (Fort-de-France) sont organisées des fêtes patriotiques, où sont portées des cocardes tricolores. Le comte de Vioménil, le nouveau gouverneur de l'île depuis avril est dans un premier temps réticent aux manifestations patriotiques.
(Source : Manioc, J. Lucrèce, Histoire de la Martinique, page 97)

21 septembre : A la Constituante, sous la présidence de M. Clermont-Tonnerre, à la séance du matin, celui-ci lit la lettre que lui a remis la vieille le roi :
« sur la demande faite à Sa Majesté d'ordonner la promulgation des arrêtés des 4 août et jours suivants, et de revêtir de sa sanction le décret porté par l'Assemblée nationale, le 18 du courant, concernant les grains. » Sa réponse est :

« Vous m'avez demandé, le 15 de ce mois, de revêtir de ma sanction vos arrêtés des 4 août et jours suivants ; je vous ai communiqué les observations dont ces arrêtés m'ont paru susceptibles ; vous m'annoncez que vous les prendrez dans la plus grande considération, lorsque vous vous occuperez de la confection des lois de détail qui seront la suite de vos arrêtés. Vous me demandez en même temps de promulguer ces mêmes arrêtés : la promulgation appartient à des lois rédigées et revêtues de toutes les formes qui doivent en procurer immédiatement l'exécution ; mais comme je vous ai témoigné que j'approuvais l'esprit général de vos arrêtés et le plus grand nombre des articles en leur entier, comme je me plais également à rendre justice aux sentiments généreux et patriotiques qui les ont dictés, je vais en ordonner la publication dans tout mon royaume. La nation y verra, comme dans ma dernière lettre, l'intérêt dont nous sommes, animés pour son bonheur et pour l'avantage de l'État ; et je ne doute point, d'après les dispositions que vous manifestez, que je ne puisse, avec une parfaite justice, revêtir de ma sanction toutes les lois que vous décréterez sur les divers objets contenus dans vos arrêtés. J'accorde ma sanction à votre nouveau décret du 18 de ce mois, concernant les grains. »

Versailles, ce 20 septembre 1789,
signé, LOUIS. Cette réponse est reçue avec acclamation et reconnaissance.

Source : Bib. de Stanford - Archives Parlemenataires, tome IX, page 53

22 septembre : A Versailles est voté l'article premier de la Constitution : «
Le gouvernement français est monarchique. Il n'y a point en France d'autorité supérieure à la loi ; le roi ne règne que par elle. » A Paris, les districts de la Trinité, des Petits-Pères et des Cordeliers  demandent l'éloignement des troupes. Le compositeur M. Johann C. Vogel - décédé en 1788 - est interpréte en public avec son opéra en français Démophon, une oeuvre musicale très prisée durant la Révolution et l'Empire.

23 septembre : A la Constituante sont promulgués des décrets sur le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif et il est procédé à la suspension de la collation des bénéfices ecclésiastiques.

24 septembre :
À l'Assemblée, M. Jacques Necker présente un tableau déplorable de la situation des finances et du crédit, et demande une contribution au quart du revenu. (Source : Persée.fr, Rapport de M. Necker, premier ministre des finances, sur l'état annuel des finances)

Vendredi 25 septembre : La Constituante débat sur la dédicace de l'édition des Œuvres de Voltaire par M. Palissot, et décide de ne recevoir aucune dédicace. Un décret annonce la suppression de la gabelle et fixant le prix du sel à 6 sols la livre. Le n°15 de l'Ami du peuple est dénoncé à l'assemblée de la Commune, pour fausses inculpations contre son administration.

26 septembre : A l'Assemblée est accepté le plan de M. Necker, vote de la contribution volontaire au quart du revenu. Départ de Paris de Thomas Jefferson, ambassadeur ou ministre des Etats-Unis, il est nommé au poste de Secrétaire d'état dans son pays.

27 septembre : Paris, il est organisé une bénédiction des drapeaux de la garde nationale parisienne à Notre-Dame, et l'on y joue un Te Deum solennel. A l'Assemblée, c'est  le troisième discours de l'abbé Fauchet sur la Liberté française.

28 septembre : En
Alsace, les Juifs sont mis sous la protection de la loi. A Paris les religieux de Saint-Martin-des-Champs font l'offrande des biens de l'ordre de Cluny. J.P. Marat via L'Ami du peuple dénonce la Commune de Paris.

29 septembre : A Versailles, à la Constituante, le rapport
de M. Thouret est déposé sur la division territoriale et administrative du royaume. En Martinique, cette fois, c'est le Gouverneur M. de Vioménil qui organise des fêtes à Fort-Royal et fraternise avec les planteurs et les "libres de couleurs" (souvent des métis). (Source : Manioc, J. Lucrèce, Histoire de la Martinique, page 97)

30 septembre : Dans la capitale, la Commune décide de la libre circulation des imprimés.

X – Le mois d’octobre 1789

Jeudi 1er octobre :
A l'Assemblée, à la séance du matin, l'article 4 de la constitution
est adopté sur le consentement des repreésentants de la Nation à l'impôt et à l'emprunt : « Aucune contribution en nature ou en argent ne peut être levée, aucun emprunt direct ou indirect ne peut être fait autrement que par un décret exprès des représentants de la nation. ». Ensuite M. Jacques Necker présente la rédaction de son plan de finances. Le soir à Versailles est donné à l'Opéra royal, un banquet en l'honneur de l'arrivée du régiment de Flandre pour plus de 200 convives organisé par les Gardes du corps. Durant le banquet la famille royale vient saluer, la reine tenant par la main le dauphin. L'on boit beaucoup de vin, l'on trinque à la famille royale, qui lors de son passage est ovationnée, et l'orchestre joue : Ô Richard, Ô mon Roi d'André Gétry (Extrait du Ballet de l’Opéra Royal par le Concert Spirituel Choeur et orchestre de M. Hervé Niquet, 6 minutes). Et la présence et la circulation de cocardes blanches signes des Gardes du corps ou noires en faveur de Marie-Antoinette sera très mal accueilli par les Parisiens, le bruit de cette agape sera très mal perçu, quand le pain vient à manquer.

2 octobre : La Constituante, à nouveau demande au roi l'acceptation des décrets du 4 août et la déclaration des droits.
Dans la capitale, le banquet des gardes du corps et du régiment de Flandre provoque la colère à cause des propos contre-révolutionnaires, ainsi la circulation de la rumeur enfle, le banquet devient une orgie dans la presse patriotique. Et Marat, Danton et Desmoulins appelleront à marcher sur Versailles.

3 octobre : Il est décrété l'autorisation du prêt à intérêt (ancienne usure), à un taux fixé par la loi.
Les Annales patriotiques et littéraires et affaires politiques de l'Europe, ce journal libre est rédigé par une Société d'écrivains patriotes et dirigé par M. Louis-Sébastien Mercier, qui publie ce jour son premier numéro sur 4 pages. Ce journal va paraître jusqu'en 1794. (Source : Gallica-Bnf)

4 octobre : A Paris, il est pris un arrêté au district des Cordeliers, signé par Georges Danton dénonçant «
l’orgie », et enjoignant à Motier de Lafayette d'aller à Versailles demander le départ du régiment de Flandre. Dans la Chronique de Paris (page 202, n°51) on apprend que : « Dans la nuit du 4 au 5 du courant, il a été commis à Versailles un vol très-considérable, qu’on évalue à 300.000 livres. On soupçonne un nommé Courciel, laquais, né près Besancon en Franche-Comté. On promet 200 louis aux personnes qui pourraient découvrir le coupable. »

Lundi 5 octobre : A la prison de Bicêtre, le prisonnier J.C.G. le Prévôt de Beaumont (1726-1823, ci-contre en gravure), avocat de profession, ancien secrétaire du clergé de France a été mis sous clef du temps de Louis XV pendant vingt-deux ans, dans plusieurs géoles (la Bastille et Vincennes entre autres) ou lieux pour les insensés d'île de France comme Charenton. Son crime, avoir dénoncé au moins un "pacte de famine", au Parlement de Rouen, qui aurait été concerté entre MM. Laverdy, de Sartine, Boutin, Amelot, J.P.C. Lenoir, Vergennes, etc., etc. Ce dernier est rendu ce jour à la liberté .

5 et 6 octobre : Marche des femmes de Paris sur Versailles, le général Lafayette est à la traîne et plutôt chahuté. M. de Lafayette, parti de Paris, avec le consentement de la Ville, sa marche est composée d’un corps d'armée de près de 15.000 hommes de la Garde nationale parisienne. Le lendemain matin, il fait mettre toute la troupe en rang de bataille sur la Place D’arme. Il est tombé une forte pluie une partie de la nuit et se produisent des averses dans la matinée du 6 octobre. Vers 1 heure du matin, les députés retournent à l'Assemblée au son du tambour. Dans la nuit, le roi accepte enfin les décrets du 4 août et la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. A 6 heures, éclatent de violents incidents devant le château, qui est envahi par le peuple ; des Gardes du corps sont poursuivis et tués dans les appartements et le parc. Après l'intervention de la Garde nationale, le roi annonce au balcon son choix de se rendre à Paris. Les Parisiennes dont les Dames de la Halle, 3 à 4.000 femmes selon L.S. Mercier ramènent ainsi le roi dans la capitale, pour y faire sa résidence principale. Les époux royaux sont escortés par la Garde nationale, et d’une partie du régiment de Flandre. L'Assemblée se déclare inséparable du roi. Sont de retour dans la capitale : « le boulanger, la boulangère et le petit mitron », c'est-à-dire, le roi, la reine et le dauphin. Après le 14 juillet, cela a été la deuxième plus grande manifestation populaire de l'année.


Stanislas Maillard (*) porte-parole des Parisiennes
devant la Constituante à Versailles

   Stanislas Maillard (*)

A peine M. Target finissait de parler, qu'une députation d'un très-grand nombre de citoyennes de Paris, déjà arrivées à Versailles, se présente à la barre. Maillard est à leur tète, et porte la parole.

Maillard :
« Nous sommes venus à Versailles pour demander du pain, et en même temps pour faire punir les gardes du corps qui ont insulté la cocarde patriotique. Les aristocrates veulent nous faire périr de faim. Aujourd'hui même on a envoyé à un meunier un billet de 200 livres, en l'invitant à ne pas moudre, et en lui promettant de lui envoyer la même somme chaque semaine.

L'Assemblée pousse un cri d'indignation, et de toutes les parties de la salle, on lui dit : Nommez !

Maillard : «  Je ne puis nommer ni les dénoncés, ni les dénonciateurs, parce qu'ils me sont également inconnus ; mais trois personnes que j'ai rencontrées le matin dans une voiture de la cour m'ont appris qu'un curé devait dénoncer ce crime à l'Assemblée nationale.

Une voix s'élève alors à la barre, et désigne M. l'archevêque de Paris. L'Assemblée entière s'empresse de répondre que ce prélat est incapable d'une pareille atrocité.

Maillard : « Je vous supplie, pour ramener la paix, calmer l'effervescence générale et prévenir des malheurs, d'envoyer une députation à MM. les gardes du corps, pour les engager à prendre la cocarde nationale, et à faire réparation de l'injure qu'ils ont faite à cette même cocarde.

Plusieurs membres s'écrient que les bruits répandus sur les gardes du Roi sont calomnieux. Quelques expressions peu mesurées, échappées à l'orateur, lui attirent alors une injonction du président de se contenir dans le respect qu'il doit à l'Assemblée nationale. Le président ajoute que tous ceux qui veulent être citoyens peuvent l’être de leur plein gré, et qu'on n'a pas le droit de forcer les volontés.

Maillard : « Il n'est personne qui ne doive s'honorer de ce titre ; et s'il est, dans cette diète auguste, quelque membre qui puisse s'en croire déshonoré, il doit en être exclu sur-le-champ.

Toute la salle retentit d'applaudissements, et une foule.de voix répètent : Oui, oui, tous doivent l'être, nous sommes tous citoyens ! Au même instant, on apporte à Maillard une cocarde nationale de la part des gardes du corps. Il la montre aux femmes comme un gage de leurs dispositions pacifiques, et toutes s'écrient : Vive le Roi ! vivent les gardes du corps !

Maillard : « Je suis bien loin de partager les soupçons qui agitent tous les esprits ; mais je pense qu'il est nécessaire, pour le bien de la paix, d'engager Sa Majesté à prononcer le renvoi de ce régiment qui, dans la disette cruelle qui afflige la capitale et les environs, augmente les malheurs publics, ne fût-ce que par l'augmentation nécessaire qu'il occasionne dans la consommation journalière.

L'Assemblée décide que M. le président se rendra à l'instant vers le Roi, avec ceux de MM. les députés qui voudront l'accompagner, pour lui demander non-seulement l'acceptation pure et simple de la déclaration des droits et des dix-neuf articles de la Constitution, mais pour réclamer aussi toute la force du pouvoir exécutif sur les moyens d'assurer à la capitale les grains et les farines dont elle a besoin.

M. le président se transporte chez le Roi, avec la députation, sur les cinq heures du soir.
(*) Stanislas Maillard, héros de la Bastille... !

Source : Bib. de Stanford - Archives Parlementaires, 5 octobre 1789, tome IX, page 343

Les 5 et 6 octobre 1789
selon l'Almananach des patriotes français
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« Nous avons déjà parlé de l'insulte faite à la cocarde (le 4 octobre, Orgie à l'opéra de Versailles), nous n'avons pas ajouté qu'on avait amené le dauphin dans la salle du banquet ; ce qui avait provoqué ce mouvement d'enthousiasme qui a eu des suites si funestes.

Les femmes arrivèrent lundi (5 octobre) à Versailles vers une heure. Le district de Saint-Antoine les suivit bientôt. Le roi était à la chasse. Dès qu'il eut appris leur arrivée, il se rendit au château. Toutes les grilles étaient fermées. Le régiment de Flandres & les Gardes du roi étaient en ligne sur la place d'armes. On ne laissa entrer qu'un petit nombre de femmes. Le roi les reçut avec cette bonté qui lui est si naturelle, & embrassa même la plus jolie.

Cependant les femmes du dehors voulurent forcer les lignes. Un Garde du-Corps eut l'imprudence de faire feu. Une d'entre elles fut tuée. Ce meurtre fut bientôt vengé fur deux gardes-du Corps; trois furent grièvement blessés; cinq démontés : les autres fe retirèrent : A six heures.du soir, une division de la Milice nationale, qui demandait à grands cris, dans la place de l'hôtel-de-ville, d'être conduite à Versailles, partit enfin sous les ordres de M. de La Fayette, qui avait reçu ceux de la commune. Elle était composée d'environ douze mille hommes, & d'un nombre infini de volontaires armés de crocs, de piques, de fourches, etc. Elle traînait avec elle vingt-deux canons. Un grand nombre de femmes portant des piques, de gros bâtons, des épées, même des fusils, les accompagnaient. Quelques unes tiraient elles-mêmes les plus petits canons. Cette troupe arriva entre onze heures & minuit dans l'avenue de Versailles.

M. de la Fayette reçut alors un courrier du roi pour l'instruire de ses intentions paternelles & pacifiques; & lui dire que le prince demandait à le voir. La Milice parisienne demeura sous les armes. La Milice de Versailles se joignit à elle ; & le régiment de Flandres, commandé par le Marquis de Lusignan, un des plus respectables membres de notre minorité, se mit à la suite de la première compagnie de nos grenadiers.

Le roi assura M. de La Fayette que la Garde nationale aurait à l'avenir la garde de sa personne, & qu'il était prêt à lui donner toutes les marques d'estime & de confiance que son zèle avait droit d'attendre. Une partie de cette Milice passa la nuit dans les églises. Vers les six heures du matin, des gardes du roi arrêtés par le peuple, ayant tenté de s'échapper en poignardant ceux qui les détenaient, furent à l'instant massacrés, & ce sont leurs têtes sanglantes qui, portées dans Paris, ont renouvelé des scènes d'horreur qui déshonoreraient, s'il était possible, la cause de la liberté.

Pendant la nuit, plusieurs femmes ont pénétré dans la salle de l'Assemblée nationale, & ont témoigné leurs vives inquiétudes sur les desseins antipatriotiques de la majorité. M. de La Fayette ayant fait connaitre au roi qu'il ne pourrait faire cesser la défiance & les alarmes des habitants de Paris qu'en se fixant au milieu d'eux, sa majesté, toujours prête à donner à ses fidèles sujets de nouvelles preuves de son amour, décida sur-le-champ de s'établir au château du Louvre avec toute la famille royale.

C'était un spectacle vraiment nouveau que ces troupes nombreuses de femmes, de soldats, de citoyens armés, qui se succédaient sans cesse, portant des rubans, des branches d'arbres, des pains au bout de leurs baïonnettes, & des portions de l'habit ou de l'armure des Gardes du corps; mais ce qui frappa davantage, ce fut l'arrivée du roi.

M. Bailly, accompagné des représentants de la commune, fut lui porter les clefs de la ville, & lui prononça un discours suivant : « Sire, c'est un beau jour que celui où votre majesté vient dans fa capitale avec son auguste épouse, avec un prince qui sera bon & juste comme Louis XVI. » Etc.

Source : Google-livres, Almanach des Patriotes
ou précis des révolutions de 1789, pages 21 à 30
Chez Lagrange libraire, vis-à-vis du Palais Royal (Paris, 1790)



LES CONSÉQUENCES DE L'ÉMEUTE

« L'émeute s'était surtout faite contre les monarchiens. Leur chef, Mounier, qui présidait l'Assemblée, n'ayant pu persuader Louis XVI de quitter Versailles le 5 au soir, ne songea plus qu'à soulever les provinces contre Paris. Il partît pour le Dauphiné mais n'y rencontra que froideur et hostilité. La province approuva le fait accompli. Les parisiens heureux de posséder le roi multipliaient en son honneur les protestations d'amour et de fidélité, protestations dont la sincérité était accrue par les avantages remportés : la sanction des décrets du 4 août et de la déclaration des droits. La Révolution semblait assurée du lendemain. » (Albert Mathiez - Les Grandes journées de la Constituante)


LA SITUATION APPRÉCIÉE
 PAR MARIE-ANTOINETTE
Les deux lettres suivantes du 7 et 10 octobre furent écrites par la reine à l'ambassadeur d'Autriche M. Mercy  :
Dessin de la reine, ci-contre


7 octobre : « Je me porte bien, soyez tranquille. En oubliant où nous sommes et comment nous y sommes arrivés ; nous devons être contents du mouvement du peuple, surtout ce matin, j'espère, si le pain ne manque pas, que beaucoup de choses se remettront. Je parle au peuple; milices, poissardes, tous me tendent la main. Je la leur donne. Dans l'intérieur de l'hôtel de ville, j'ai été personnellement très bien reçue. Le peuple ce matin, nous demandait de rester, je leur ai dit de la part du Roi, qui était à côté de moi, qu'il dépendait d'eux que nous restions ; que nous demandions pas mieux ; que toute haine devait cesser; que le moindre sang répandu nous ferait fuir avec horreur. Les plus près m'ont juré que tout était fini. J'ai dit aux poissardes d'aller répéter tout ce que nous venions de leur dire. Je suis désolée que nous soyons séparés. Mais il vaut bien mieux que vous restiez où vous êtes pendant quelque temps. Vous aurez de mes nouvelles le plus souvent que je pourrai. Adieu, comptez à jamais sur tous mes sentiments pour vous ». Dans la capitale, on se bouscule aux Tuileries pour voir le roi et la reine qui sont acclamés. A Versaillles, l'Assemblée se tient toujours à la salle des Menus Plaisirs, mais c'est plutôt la panique, 200 élus demandent l'obtention de passe-ports pour la capitale.

8 octobre : A Paris, suite à un mandat d'arrêt provenant du Châtelet, Jean-Paul Marat s'échappe pendant l'intervention de la Garde nationale à son domicile et se cache. Son journal de 8 à 16 pages, l'Ami du Peuple, ne paraît plus du 9 octobre au 4 novembre, puis du 25 novembre au 18 décembre de cette fin d'année (hormis deux numéros : 26 novembre et 11 décembre). Voici ce qu'en dit la Chronique de Paris (page 183), ce jour :
« Quelques membres de la commune voulaient qu’on mit M. Marat, auteur de l'Ami du Peuple, en prison, à cause de l'extrême hardiesse de cette feuille. M. le maire leur a rappellé les vrais principes de la liberté de la presse, et il a été décidé que ceux qui se croiraient calomniés par M. Marat, intenteraient contre lui une action juridique. » (Source : Gallica-Bnf)

9 octobre : Louis XVI fait une Proclamation
: Et informe « Que c'est au milieu d'eux  (les Parisiens) qu'Elle (sa majesté le roi) annonce à tous les habitants de ses Provinces, que lorsque l'Assemblée Nationale aura terminé le grand ouvrage de la restauration du bonheur public. Elle réalisera le plan qu'Elle a conçu depuis longtemps, d'aller sans aucun faste visiter ses Provinces, pour connaître plus particulièrement le bien qu'Elle y peut faire, et pour leur témoigner dans l'effusion de son cœur, qu'elles lui sont toutes également chères. Il se livre d'avance à l'espoir de recevoir d'elles ces marques d'affection et de confiance qui seront toujours l'objet de ses voeux, et la véritable source de son bonheur. Le Roi se flatte encore que cette déclaration de sa part engagera tous les habitants de ses Provinces à seconder par leurs encouragements, les travaux de l'Assemblée Nationale, afin qu'à l'abri d'une heureuse Constitution, la France jouisse bientôt de ces jours de paix et de tranquillité dont une malheureuse division la prive depuis si longtemps. » A Paris, signé LOUIS. (Source : Gallica-Bnf, 2 pages) A la Constituante, il est décidé de mettre fin à la torture avec par exemple l'article 3 qui stipule : « On ne condamnera plus au fouet, et nul ne sera flétri d'un fer chaud, s'il n'est condamné aux galères perpétuelles. »

10 octobre :
Deuxième lettre de la reine : « L'Assemblée va venir ici, mais on dit qu'il y aura à peine 600 députés. Pourvu que ceux qui sont partis calment les provinces au lieu de les animer sur cet événement-ci, car tout est préférable aux horreurs d'une guerre civile ». (Source : Les grandes journées de la Constituante – Le roi et l’Assemblée à Paris – Albert Mathiez)

11 octobre : Dans la capitale à l'église des Petits-Pères, les Dames de la Halle font chanter un Te Deum, les enfants du duc d'Orléans y assistent.

12 octobre : l'Assemblée arrête la formule de promulgation des lois : Louis XVI n'est plus roi de France et de Navarre, il devient, « par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l'Etat, roi des Français ». Requête de Marat à l'Assemblée, il se plaint de la violation de son domicile. Il est aussi question de la Lettre de M. de Polverel sur les États de Navarre en raison de son mémoire sur le sujet
. (Source : Persée.fr)  Le comte d’Artois, émigré depuis juillet, demande à l’empereur Joseph II d’intervenir en France.

13 octobre : A la Convention, c'est le début de la discussion sur les biens du clergé ; discours de MM. Maury, Camus, et Barnave.
A Alençon, troubles et arrestation du vicomte de Caraman. Dans le quotidien la Chronique de Paris (page 202, N°51), il est question de M. Marat qui « a dit-on, écrit au district des Carmes que c’était à lui qu’il avait réservé l’honneur de le protéger. Le district n’est probablement pas ambitieux ; car il a refusé cet honneur. Le district des Cordeliers, sur la lettre qui lui a été adressée par le sieur Marat, auteur de l'ami du peuple, par laquelle il réclame sa protection, a déclaré qu’il défendrait de tout son pouvoir les auteurs de son arrondissement, des voies de fait, sauf à ceux qui se trouveront offensés dans leurs personnes ou dans leur honneur, à se pourvoir par toutes les voies de droit. Cet arrêté nous paraît infiniment sage, non pas que nous approuvions les calomnies de M. Marat, nous en deviendrions les complices ; mais c’est dans les tribunaux et par les moyens de droit, que les offensés doivent en obtenir réparation. » (Source : Gallica-Bnf)

14 octobre : L'Assemblée accorde au duc d'Orléans un passe-port pour l’Angleterre.
Les Planteurs résidant à Paris font admettre trois de leurs représentants MM. Moreau de Saint-Merry, le comte de Dillon et le Chevalier de Perpigna. Les débats s'engagent sur la division du royaume en départements. Mirabeau lit un projet de loi martiale. Le soir, se présentent à la demande des députés de la Lorraine plusieurs envoyés juifs des provinces des Trois-Evêchés, d'Alsace et de Lorraine soient admis à la barre. L'autorisation est accordée, intervient alors M. "Besr-lsam-Besr" ou M. Berr Isaac Berr (nom mal orthographié par le compte-rendu de l'Assemblée), juif est-il indiqué à la suite de son patronyme : « Messeigneurs, c'est au nom de l'Eternel, auteur de toute justice et de toute vérité ; c'est au nom de Dieu qui, en donnant à chacun les mêmes droits, a prescrit à tous les mêmes devoirs ; c'est au nom de l'humanité outragée depuis tant de siècles par les traitements ignominieux qu'ont subis, dans presque toutes les contrées de la terre, les malheureux descendants du plus ancien de tous les peuples, que nous venons aujourd'hui vous conjurer de vouloir bien prendre en considération leur destinée déplorable. (...) Puisse le voile d'opprobre qui nous couvre depuis si longtemps se déchirer enfin sur nos têtes! que les hommes nous regardent comme leurs frères ; que cette charité divine, qui vous est si particulièrement recommandée, s'étende aussi sur nous  qu'une réforme absolue s'opère dans les institutions ignominieuses auxquelles nous sommes asservis, et que cette réforme, jusqu'ici trop inutilement souhaitée, que nous sollicitons les larmes aux yeux, soit votre bienfait et votre ouvrage. » (Archives parlementaires, tome IX, pages 444 à 449 avec l'annexe)

15 octobre : Dernière séance de l’Assemblée nationale à Versailles. Le comte de Mirabeau envoie une note secrète au roi (son frère est député et vicomte, surnommé "
Mirabeau-Tonneau"). Devant la multiplication des demandes de passe-ports, l'Assemblée décrète qu'ils ne seront délivrés que pour des causes urgentes et pour un temps déterminé.

16 octobre : Arrivée du député Mounier à Grenoble.

17 octobre : A Rouen, la faim pousse les ouvriers à saccager six filatures. En Martinique, l'assemblée coloniale s'oppose aux volontés du Roi et elle décide, que des députés des paroisses élus en proportion des votants, se réuniraient en Assemblée générale coloniale pour nommer deux représentants à l'Assemblée nationale et favorise les deux villes de Saint-Pierre et Fort Royal. (Source : Manioc, J. Lucrèce, Histoire de la Martinique, page 97)

18 octobre : A Paris, le roi passe en revue une division de la Garde nationale.
Malgré la pluie, il s’est rendu ce matin à pied sur les Champs-Elysées, accompagné d’une garde d’honneur de 500 hommes et il a parcouru tous les rangs avec de M. de Lafayette. En Bretagne, à Lannion, la foule s’empare d’un convoi de blé destiné à Brest.

19 octobre : Fondation du club des Jacobins, il devient officiellement la Société des Amis de la Constitution. Les premières salles provisoires et les séances de l'Assemblée constituante ont lieu dans la capitale dans un premier temps à l'Archevêché, dans la chapelle.

20 octobre :
Le journaliste Antoine-Joseph Gorsas annonce le changement du titre de son journal : Le Courrier de Paris dans les Provinces et des Provinces à Paris, le n°1 « Les circonstances qui me forcent à changer le titre de cet ouvrage périodique, n’ont peut-être jamais été plus capitales, et jamais titre, peut-être, n’a été adopté plus à propos. La correspondance de nos Provinces à Paris est déjà, mais encore va devenir DE LA PLUS GRANDE importance, et  je commence cette espèce de nouvelle carrière avec le même esprit de patriotisme qui ne cessera de m’animer. »

21 octobre : Le vote de la loi martiale
est probablement le fait le plus marquant de cette fin d’année riche en innovation administrative. Cette loi sera la porte ouverte à des répressions sanglantes. Maximilien Robespierre dit non au vote de la loi martiale, visant à réprimer les attroupements populaires. A Paris, à 8 heures du matin le nommé Denis François, boulanger, sis rue de la Juiverie ou rue du Marché-Palu (cela dépend des témoignages, mais elles se trouvaient toutes deux au sein de ce qui est devenu depuis le XIXe siècle la rue de la Cité, en 1834), district de Notre-dame (île de la Cité), est enlevé de sa boutique par une foule. Il est conduit à l'hôtel-de-Ville, où il se voit accusé d’avoir chez lui des pains pourris ; la fureur populaire sans attendre que la justice soit rendue l'arrache à ses juges, et il est pendu à un réverbère (ou lanterne) place de Grève. Sa tête au bout d'une pique est promenée dans les rues et sa femme est humiliée par la foule. Cette dernière sera reçue par le couple royal aux Tuileries, et le boulanger François inhumé six jours plus tard.

22 octobre : A l'Assemblée, vote en faveur du suffrage (censitaire) par les citoyens « actifs » malgré les oppositions de Grégoire, Duport et Robespierre. Aux élections prochaines, le corps électoral sera composé de 4.298.360 citoyens actifs ou électeurs et pouvant être élus, pour environ trois millions de citoyens « passifs », qui pourront assister aux réunions et faire des propositions, mais sans être éligible. Une députation de « citoyens libres et de couleur des colonies » vient réclamer à l’Assemblée l'égalité des droits politiques.

23 octobre : A Paris, s'élève une protestation d'habitants du district de Saint-Martin-des-Champs contre la loi martiale.

24 octobre : La Révolution trouve écho en pays Brabant (au nord de la Belgique) où Joseph II l'empereur d’Autriche est déclaré déchu. L'on publie le Manifeste des insurgés Belges, ainsi l'empereur Joseph II perd toute autorité sur les Pays-bas autrichienś.

25 octobre : Le comte de Mirabeau, s'adresse à son oncle, capitaine de vaisseau : « J'ai toujours pensé comme vous, mon cher oncle, et maintenant beaucoup plus que jamais, que la royauté est la seule ancre de salut qui puisse nous préserver du naufrage ».

26 octobre : Pierre-Louis Roederer est élu député du Tiers à l'Assemblée pour le bailliage de Metz ; en remplacement de M. Poulet dont l'élection a été invalidée.

Jeudi 27 octobre : Dans la région d'Anvers se déroule bataille de Turnhout, la ville assiégée par les armées impériales du Saint-Empire et défendue par les troupes belges de M. Van der Mersch, la cité est attaquée. Au bout de quelques heures c'est la déroute. Ainsi commence peu à peu au fil des semaines la Révolution brabançonne qui donnera lieu aux éphémères Etats-Unis de Belgique (fin le 2 décembre 1790). En France depuis Versailles, Louis XVI sanctionne favorablement la loi martiale du 21 octobre contre les attroupements.

28 octobre : A l'Assemblée, il est rendu compte des voeux ecclésiastiques et des courriers reçus à ce sujet de religieux au comité des rapports. M. Target demande l'ajournement du fond, et présente le décret suivant : « l'Assemblée ajourne la question sur l'émission des vœoeux, et cependant, et par provision, décrète que l'émission des vœoeux sera suspendue dans les monastères de l'un et de l'autre sexe. » Plusieurs députés du clergé demandent un temps de débat plus long, mais le décret proposé est adopté. Puis M. le maire de Paris fait état d'un événement arrivé ce matin à Vernon (à 85 kilomètres de distance, actuel département de l'Eure) :
« Le sieur Planter, habitant de cette ville, chargé des approvisionnements de Paris, a été saisi par le peuple, qui a voulu le pendre. La corde a cassé deux fois ; ce citoyen n'est pas mort, et l'on s'efforce en ce moment à le soustraire aux fureurs de la populace. Des troupes vont être envoyées à son secours ; mais elles ne peuvent arriver qu'à cinq heures. Une lettre de l'Assemblée pourrait rétablir le calme et sauver le sieur Planter. Il ne s'agit pas seulement de garantir la vie de ce citoyen, il faut encore ordonner une punition exemplaire pour réprimer des fureurs qui s'étendent sur tous les approvisionneurs. » L'Assemblée donne son aval au juge de Vernon, et de répondre vite, et celui-ci se concertera avec le pouvoir exécutif pour l'exécution des lois. La séance est levée à quatre heures (du soir). Un nouveau journal à caractère révolutionnaire est publié, il se nomme le Courrier de l'Assemblée nationale, mais n'aura que quatre numéros connus ou conservés.

29 et 30 octobre : La Constituante confirme le vote censitaire, pour être éligible, il faut être contribuable, disposer de certains revenus pour pouvoir voter ou être élu. L’on distinguera ainsi les citoyens « passifs » et « actifs ». Le décret du « Marc d’argent » est accepté, pour être éligible, un citoyen actif doit être propriétaire foncier et contribuable pour au moins un marc d’argent. Pétion et Prieur de La Marne s’y opposeront à leur tour. Le 30, si les débats sont pour beaucoup autour des biens du clergé, le député du Tiers de Paris, Jean-Baptiste Target fait une motion sur l'instruction publique :
« L'instruction! C'est la législation des esprits ; elle fait descendre sur le peuple la sagesse de ses représentants ; elle éclaire quand la loi commande ; elle plie les mœurs ; elle accommode les idées aux besoins de la révolution ; elle donne aux décrets qu'il faut observer, la puissance des pensées que l'esprit humain produit de lui-même et qu'il embrasse comme son propre ouvrage ; enfin, dans le temps des intrigues, des fausses rumeurs, des séductions accumulées, des maximes pernicieuses, c'est l'instruction qui doit venir au secours de la vérité outragée et ramener la paix : elle renverse également les projets des esclaves et des despotes. Le moment est donc venu où notre premier devoir est d'instruire. »

31 octobre : En Corse, un certain lieutenant Napoléon Buonaparte se trouve parmi les émeutiers d’Ajaccio. Une Garde nationale s’y organise.
Dans le périodique le Courrier de l'Assemblée nationale (n°IV, page 8) : « On écrit de Vernon (Normandie) que le calme y est parfaitement rétabli, et qu’on amène à Paris pour y être jugés, cinq hommes qui étaient au nombre des auteurs de l’émeute arrivée dans cette ville. On mande qu’il a été arrêté à Rouen dix mille sacs de bled destinés pour la capitale ; cette nouvelle paraît assurée sur des témoignages qui ne sont aucunement suspects. »




Paris, une vue depuis Chaillot

XI - Le mois de novembre 1789

Dimanche 1er novembre : Au sein du cirque national du jardin du Palais-Royal se tient une grande salle, qui en cette soirée sert à un concert qualifié de spirituel, où est jouée une symphonie de Joseph Haydn, suivi de plusieurs concertistes, et la soirée ouvre à partir de 6 heures du soir.

2 au 7 novembre : L'Assemblée décréte que les biens du clergé sont mis à disposition de la Nation, par 568 voix pour et 346 contre, l’Etat met ainsi la main sur 10% des richesses de la nouvelle nation en marche. Le 3 et jours suivants, Il est décrété que les Parlements du royaume (13 en tout) ne peuvent plus agir et sont suspendus, au cours du mois. Des contestations s’ensuivront à Rouen. Les députés ne peuvent devenir ministres, contre l'avis de Mirabeau. Une discussion est engagée sur le découpage des départements.

4 novembre : A Paris, M. Bailly écrit à M. de Lafayete pour que soit protéger par un détachement le convoi de blé en provenance de Picardie. Le district des Petits-Augustins désigne des commissaires pour vérifier  la quantité de farine et des fournées prévues pour cette nui
t chez les boulangers. Le soir, au théâtre Français (Comédie française), c'est la première représentation de Charles IX ou la Saint Barthélemy, avec le comédien François-Joseph Talma, de Marie Joseph Chénier, et la tragédie en cinq actes avec une salle pleine remporte un grand succès. Cette pièce présente pour la premiere fois un roi de France massacrant son peuple, du jamais vu et entendu sur scène. Au bout de trente-trois représentations, la pièce sera interdite par Louis XVI à la demande d'évêques effrayés par un tel spectacle. Mirabeau s'opposera à la censure. (Source : Gallica-Bnf, Alfred Copin, Talma et la Révolution, édité en 1888)

5 novembre : En Corse, à Bastia éclatent des troubles entre l'armée et les citoyens. A Paris, les députés examinent un plan d'organisation et d'administration
de Paris et de la police, selon M. Dupont de Nemours « Alors on saura que Paris, inférieur en territoire, mais supérieur en contributions et en population aux plus grandes provinces du royaume, vaut et pèse autant et plus qu'aucune de ces provinces. Alors la ville de Paris ne sera plus regardée comme une simple municipalité ; elle sera un des éléments principaux de l'organisation de l'Etat, et ce ne sera que de ce moment qu'elle deviendra véritablement capitale du royaume, non par une simple accumulation de maisons, mais par la constitution qui lui sera donnée. Nous examinerons dans le paragraphe suivant quelle doit être la forme que la dignité de département oblige de donner en effet à la constitution de Paris, afin qu'il n'y ait dans son sein aucune autorité supérieure à celle de sa municipalité que celle de l'Assemblée nationale et celle du Roi. » L'Ami du Peuple ou le Publiciste Parisien (n°29) est de nouveau publié depuis le 8/10, Marat après avoir remarqué que l'on avait tenté, en son absence, de lui ravir le nom de son périodique :

« J'ai dévoilé, longtemps avant l'événement la Conjuration prête à éclater le cinq de ce mois, et j'ai quelques titres à la confiance publique. Dieu nous préserve de quelque Conjuration nouvelle qui remette la Nation dans les fers! Les bons Citoyens ne doivent cesser d'y veiller. Pour confondre les ennemis de la Patrie plus que jamais ligués contre elle, il est indispensable que les bons Citoyens de chaque District s'assemblent sans délai, et chassent sans miséricorde de tous les Comités, les gens, suspects et les Citoyens connus pour n'avoir pas fait preuve de patriotisme et de probité ; il est indispensable qu'ils les récomposent ensuite d'un très-petit nombre de membres intègres et indépendants ; seul moyen de purger l'Hôtel-de-Ville. L'Hôtel-de-Ville purgé ; le talisman du ministère tombera, l'Assemblée Nationale marchera comme elle le doit. Ses Décrets funestes sur le veto, sur le droit à la couronne, par la grâce de Dieu, sur la loi martiale seront révoqués (N'est-il pas étrange que M. le Comte de Mirabeau ait participé à ces trois décrets funestes?) ; la constitution sera ce qu'elle doit être ; l'abondance renaîtra avec la paix et le bonheur. »

6 novembre : A la chambre des députés,
« M. de Mirabeau, qui avait la parole pour ce matin, a parlé longtemps sur la nécessité de remédier aux malheurs que peuvent produire, et que produisent déjà dans toutes les branches du commerce la disparition de notre numéraire, soit par son exportation continuelle à l'Etranger, soit par les accaparements et thésaurisations particulières. » Et il est discuté de la dette des Etats-Unis et de la possibilité de transfèrer une partie de la créance en envoi de blé par bateau.

7 novembre : Devant les jeux de pouvoirs au sein de l'Assemblée nationale, le député Adrien Duquesnoy note dans son Journal, après avoir cité quelques figures connues (MM. Mirabeau, Barnave, Target, etc.) :
« Quel que soit l'art avec lequel on la déguise, l'ambition perce toujours ; ses manoeuvres n'échappent pas aux hommes un peu habitués à observer, et l'Assemblée s'est fort, bien aperçue qu'en voulant faire inviter les ministres, on n'avait eu d'autre objet que de les faire renvoyer. Mais on a bien mieux encore déjoué la petite ruse des ambitieux ; M. Lanjuinais (député de la Sénéchaussée de Rennes) a proposé que, pendant la session actuelle, aucun membre ne pût accepter, non seulement aucune place au ministère, mais aucune autre place, charge, pension, etc. Cette proposition a été accueillie avec transport, et elle devait l'être. » (Source, Gallica-Bnf, tome II, pages 23 et 24)

8, novembre : A Paris, Après un dîner chez la comtesse de Flahaut, M. Gouverneur Morris, étasunien, lit
« une proposition du comte de Mirabeau, dans laquelle il dépeint avec vérité la terrible situation du crédit dans ce pays-ci ; mais il ne réussit pas aussi bien à trouver le remède qu'à révéler la maladie. Cet homme sera toujours puissant dans l'opposition, mais ne sera jamais grand dans l'administration. Je crois son intelligence affaiblie par la perversion de son cœur. Il est un fait que bien peu de gens soupçonnent, c'est que l'esprit ne peut être sain là où la morale ne l'est pas. » (Source : Archive.org, Journal de Gouverneur Morris, page 127, éditions Plon, Paris-1901)

9 novembre : Dans la capitale, a lieu l'installation et les premières séances de l'Assemblée constituante à la salle du Manège, rue des Tuileries (le bâtiment était dans l'axe actuel de la rue de Rivoli).

10 novembre : A Paris, en fin de journée, Gouverneur Morris se rend
« à la représentation de Charles IX, tragédie sur le massacre de la Saint-Barthélémy. Il est extraordinaire qu'une telle pièce soit représentée dans un pays catholique : l'on y voit un cardinal excitant le roi à violer ses serments et à massacrer ses sujets, puis, dans une réunion des assassins, bénissant leurs épées, les absolvant de leurs crimes et leur promettant le bonheur éternel, et tout cela avec les splendeurs de la religion établie. Un murmure d'horreur parcourt l'auditoire. Il y a plusieurs tirades s'appliquant à l'époque actuelle, et je crois que cette pièce, si elle parcourt les provinces comme c'est probable, portera un coup fatal à la religion catholique. Mon ami l'évêque d'Autun (Talleyrand) a fortement contribué à la détruire, en attaquant les biens d'église. Il n'y eut sûrement jamais de nation marchant plus vite à l'anarchie : elle n'a plus ni loi, ni morale, ni principes, ni religion. » (Source : Archive.org, Journal de Gouverneur Morris, page 130, éditions Plon, Paris-1901)

11 novembre : A Paris, Danton signe un arrêté dans le district des Cordeliers, où il est demandé aux représentants de la commune de prêter serment sous peine de révocation

12 et
13 novembre : A la Constituante, il est décrété une municipalité dans chaque ville ou bourg du pays, soit environ 42.000 communes. M. Lachèze est désigné comme secrétaire de l'Assemblée (sic). La journaliste Félicité-Louise de Keralio suite à une demande auprès du Garde des sceaux, M. Jérôme Champion de Cicé, d'ouvrir une librairie, elle reçoit une réponse négative, parce que c'est une femme. Le lendemain, un décret ordonne la déclaration des biens de l'Eglise catholique devant les juges royaux et municipaux.

14 novembre : M. Necker à l'Assemblée lit son Mémoire, qui a pour but la conversion de la caisse d'escompte en banque nationale, son texte est renvoyé au Comité des finances. Premiers inventaires : un décret ordonne à tous les monastères et chapitres dans lesquels existe une bibliothèque, de déposer aux greffes des sièges royaux ou des municipalités voisines, les états et catalogues de leurs livres et manuscrits, d’assurer la garde des collections et de prévenir toute soustraction d’ouvrage (
sanctionné par le roi le 27 novembre). A l'Académie royale des Sciences, lors d'une séance, M. Lavoisier a fait un exposé sur comment fondre et préparer le platine pour les Arts, M. Condocert a fait l'éloge de M. Granjean la Fouchy, ancien secrétaire de l'académie en présence de M. Bailly maire de Paris, et a terminé par cet adage : « Plus l'homme est éclairé, plus il est libre. » (Source : Chronique de Paris n°84, du 15/11 - Gallica-Bnf)

15 novembre :
Lyon, un corps de volontaires s'est formé pour mettre un arrêt aux « brigandages, qui répandent une terreur profonde dans la population, et contre lesquels les milices régulières sont impuissantes. La terreur n'est pas moindre, à Paris, non plus que l'activité des brigands. Mais, dans la capitale, le vol organisé se couvre d'un prétexte patriotique. Des citoyens, pleins de zèle pour la chose publique et pour les intérêts du Trésor, arrêtent les passants dés deux sexes qui portent des bijoux, et les leur arrachent, après leur avoir reproché leur mauvais civisme. Ces bijoux devaient être remis au président de l'Assemblée pour la souscription nationale. Des événements fort graves se passent en Brabant. On lance un manifeste proclamant la déchéance de l'empereur Joseph Il, frère de Marie-Antoinette, et repoussant le joug de la maison d'Autriche. » (Source : Gallica-Bnf, Le Matin, 15 novembre 1889, rubrique QUATRE-VINGT-NEUF, page de une)

16 novembre : A la chambre des députés, c'est l'adoption de quatre articles au projet relatif à la formation des assemblées primaires, M. le Président, M. Jacques-Guillaume Thouret, avocat de profession, a décrété les articles suivants :
1° Chaque district sera partagé en divisions, appelées cantons, d'environ quatre lieues carrées, lieues communes de France ;
2° Que dans tout canton il y aura au moins une assemblée primaire ;
3° Que lorsque le nombre des citoyens actifs d'un canton ne s'élevera pas à 900, il n'y aura qu'une assemblée dans ce canton ; mais, quand il s'élevera au nombre de 900, il s'en formera deux de 450 chacune au moins ;
4° Chaque assemblée tendra toujours à se former, autant qu'il sera possible, au nombre de 600, qui sera le taux moyen, de telle sorte néanmoins que s'il y a plusieurs assemblées dans un canton, la moins nombreuse soit au moins de 450. Ainsi, au delà de 900, mais avant 1.050, il ne pourra y avoir une assemblée complète de 600, puisque la seconde aurait moins de 450 ; de ce nombre 1.050, et au delà, la première assemblée sera de 600, et la dernière de 450 au plus. Si le nombre s'élève à 1.400, il n'y en aura que deux, une de 600 et de l'autre de 800 ; mais à 1.500, il s'en formera une de 600 et deux de 450, et ainsi de suite, suivant le nombre des citoyens actifs de chaque canton. On propose de délibérer sur l'article suivant : « Chaque assemblée primaire députera au district à raison d'un membre sur deux cents votants. »
17 novembre : La ville de Gand est libérée par les patriotes belges des troupes de l'Empire germanique de Joseph II. Dans la capitale, à la salle des Manèges, il est question du projet de constitution concernant les bases de la représentation nationale, voici ce qu'en dit M. Pétion de Villeneuve : « La combinaison des trois bases est une idée ingénieuse, beaucoup plus subtile que solide. Les deux bases factices qu'on veut réunir à la population donneront lieu à une inégalité certaine dans la représentation. La représentation est un droit individuel ; voilà le principe incontestable qui doit déterminer à admettre uniquement la base de la population, On vous a dit que cette base variera, tandis que celle du territoire est invariable ; mais vos divisions territoriales seront nécessairement inégales en étendue ; la différence de leur valeur respective sera encore une autre source d'inégalité. Ainsi, cette base immuable sera immuablement inexacte et injuste. La base de la contribution n'est pas plus convenable. En donnant une représentation à la fortune, vous blessez tous les principes, et dans votre supposition même vous êtes encore injustes, puisque vous n'accordez pas de représentation aux impositions indirectes. N'espérez pas, en combinant ces éléments vicieux, parvenir à un sage résultat. Vous n'avez pas même l'avantage de simplifier l'opération. En effet, pour donner à la population le tiers que vous lui réservez dans la représentation, il en faudra connaître la totalité. Si vous adoptez cette base unique, cette connaissance suffirait seule à l'organisation d'un système aussi juste que simple. La population changera, dit-on ; vous changerez vos propositions avec elle, et tous les dix ans vous pourrez réparer les erreurs que l'expérience vous aura dénoncées. » La constitution ou ce qui concerne en particulier la représentation nationale entre dans ses premiers débats. Engagés en septembre avec l'adoption d'un article premier, les échanges iront jusqu'à une adoption complète des textes soumis en septembre 1791, dont voilà les premiers articles en cours d'adoption, susceptibles d'évoluer au cours des mois qui vont s'écouler :

Art. 1er. La population sera la base unique et immuable de la représentation nationale.
Art. 2. L'Assemblée nationale sera composée de 700 membres.
Art. 3. La totalité de la population du royaume sera divisée en sept cents parties.
Art. 4. Chaque département enverra à l'Assemblée nationale autant de députés qu'il aura de sept cents parties de la population totale du royaume, ce qui sera à peu près un député par trente-six mille individus.
Art. 5. Il y aura dans chaque département autant de districts que le département aura de députations.
Art. 6. Chaque district nommera son député à l'Assemblée nationale.
Art. 7. La population de chaque district sera à peu près de 36.000 individus, et de 6,000 citoyens actifs. S'il arrivait quelques variations dans la population de chaque district, l'assemblée provinciale rétablirait l'équilibre et le niveau pour l'élection seulement des députés à l'Assemblée nationale.
Art. 8. La population de chaque district étant à peu près de 6.000 citoyens actifs, l'assemblée d'élection de chaque district sera composée de 120 électeurs à peu près.
Art. 9. Chaque assemblée primaire enverra à l'assemblée d'élection de son district un député sur 50 citoyens actifs, ce qui formera le nombre de 120 électeurs.
Sources : Archives Parlementaires, Standford, tome X, du 12/11 au 24/12 1789
18 novembre : Dans la capitale, « On s'entretient d'une manifestation royaliste faite au théâtre de Monsieur par les dames de la Halle, à la première représentation duSouper de Henri IV. On y boit à la santé du roi ; toutes ces dames se lèvent, poussent des cris, elles sautent sur la scène, et esquissent un pas de ballet. Ces mêmes dames avalent chanté des couplets devant l'Assemblée nationale. » (Source : Gallica-Bnf, Le Matin, 18 novembre 1889, rubrique QUATRE-VINGT-NEUF, page de une)

19 novembre : Le premier acte fédératif et le ralliement du Dauphiné à la France, il se tient au petit bourg de l'Etoile, près de Valence. Il est le fait des députés de vingt communes se déclarant comme
« soldats de la Patrie, armés. »

20 novembre : A l'Assemblée, M. Necker vient présenter un plan pour la création d'une banque. Le comte de Mirabeau d'entrée de jeu s'y oppose.

21 novembre : Sept jours avant M. Necker déclarait avoir besoin de 170 millions de livres et comme une urgence. De son côté, ce jour même, M. Lavoisier présente à l'Assemblée le bilan de la Caisse d'escompte accusant un trou de 27,5 millions de livres. M. J.J. Mounier démissionne de son siège de député du Dauphiné.

22 novembre : Dans la région du Poitou, face à des inquiétudes de famine et lors de deux réunions (la première s'était tenue le 7 novembre),
les municipalités portuaires de Saint-Gilles et de Croix-de-Vie ont tenu : « des séances communes, auxquelles » elles ont convoqué « les négociants et principaux habitants, afin de discuter les propositions du Comité de Nantes, relativement à la réception des blés à embarquer pour l'approvisionnement de cette ville. » (...)  « Considérant que les achats de grain froment multipliés, pour être expédiés par ce port tant pour le Comité de Nantes que pour ailleurs, en ont déjà porté le prix à 400 livres le tonneau, beaucoup trop cher pour le peuple, et qu'il est à craindre que la continuation des achats n'en augmente encore le prix, ce qui deviendrait inquiétant et donnerait lieu de craindre des suites fâcheuses que, pour les éviter, nous pensons que tout bon habitant résidant à Saint-Gilles, à Croix-de-Vie et aux environs, doit être invité à prendre l'engagement de n'acheter aucun blé froment au-dessus de 400 livres le tonneau, mesure de Saint-Gilles ; que les orges, seigles et gaboreaux, les aliments de la portion du peuple la moins aisée, doivent être conservés. » Et les municipalités prendraient des mesures si ces décisions n'étaient pas respectés. (Source : Gallica-Bnf, Ch.-L. Chassin, La préparation de la guerre de Vendée, 1789-1793. Tome 1, page 83)

23 novembre : A Rennes et ses alentours le refus de l'impôt est fort, le Comité provisoire interdit les attroupements et il protège les commis des Fermes (en charge de collecter l'impôt). A Paris, c'est la parution d'un nouveau titre de presse du matin avec le Journal universel, ou Révolutions des royaumes, proche des idées de Lafayette et du duc d'Orléans, son rédacteur et directeur est M. Pierre Jean Audouin (fin du quotidien en 1795).

24 novembre : Naissance du « Moniteur universel ou Gazette nationale », journal de référence, il sera publié jusqu'en 1869.

25 novembre : A la Constituante, il est décrété que :
« Toutes les fonctions municipales sont électives ; tous les citoyens actifs, habitant la commune, concourront à leur élection ; le chef du corps municipal prendra le nom de maire. Les assemblées ne pourront se former par métiers, professions ou corporations, mais par quartiers ou arrondissements. Les élections municipales se feront au scrutin de liste. Ainsi sont définitivement abolies, non seulement les anciennes divisions territoriales qui résultaient du droit féodal, mais encore toutes les divisions intérieures qui parquaient les citoyens par professions ou suivant les antiques coutumes. L'origine du pouvoir, des fonctions, de la loi, réside désormais dans une addition d'unités absolument égales entre elles. Le royaume est découpé par des lignes arbitraires qui enferment des départements, des districts, des communes ou communautés, comme on disait alors, et les citojens compris dans ces limites concourent aux mêmes votes. Mais ils pourraient aussi bien voter avec les voisins, puisque l'uniformité logique a été substituée à la diversité issue de la tradition. » (Source : Gallica-Bnf, Le Matin, 25 novembre 1889, rubrique QUATRE-VINGT-NEUF, page de une)

26 novembre :  A Paris, le procureur du roi au Châtelet, après avoir mené un réquisitoire, porte plainte contre le sieur Jean-Jacques Rutledge (ou Rutlidge, journaliste et franco-irlandais),
« pour s'être immiscé, sans mandat, dans l'administration de l'approvisionnement de Paris. » (Source : Gallica-Bnf, A. Tetuey, Sources manuscrites de l'histoire de Paris pendant la Rév. française. Tome 1, page 133)

27 novembre : Supplique et pétition des citoyens de couleur des isles et colonies franc̜aises, sur la motion faite à l'Assemblée, par M. de Curt, député de la Guadeloupe. Accompagné du texte, signé au Comité des Citoyens de couleur, par MM. Joly ; Raimond, aîné ; Ogé, jeune ; Du Souchet de S.-Réal ; Honoré de S.-Albert ; Fleury ; tous commissaires et députés des citoyens de couleur des îles et colonies françaises
. (Source : Gallica-Bnf, 15 pages)

28 novembre : C'est la naissance du journal de Camille Desmoulins :
Les Révolutions de France et de Brabant, parution jusqu'au 12 décembre 1791. A l'Assemblée M. Tremblay du Rubelle présente son mémoire sur la destruction de la mendicité : « On peut se rappeler à ce sujet qu'en 1778 il y avait à Amiens un nombre considérable de pauvres ; on y forma le projet de détruire la mendicité ; on fit une quête dans la ville, et l'on en annonça la distribution : le jour même que les magistrats publièrent la défense de mendier dans les rues, les mendiants disparurent; et dans la crainte d'être arrêtés, retournèrent à leurs travaux. Le pauvre valide ne manque le plus souvent de subsistance que parce qu'il se refuse au travail, ou qu'il ne peut pas s'en procurer : un peu de surveillance peut empêcher l'un et l'autre ; c'est donc de l'ordre qu'il faut en cette partie, et non de l'argent. Mais pour ôter toute ressource aux gens de mauvaise volonté de continuer à vivre dans leur dangereuse oisiveté. » 

29 novembre : A l'Etoile, près de Valence, a lieu la première fédération des Gardes nationales de France (12.000 hommes), entre celles du Vivarais et du Dauphiné.

30 novembre : La Corse devient partie intégrante de la France, le député Salicetti contribue à sa promulgation comme entité du royaume. Depuis Londres Pasquale Paoli, réfugié en Angleterre depuis 20 ans écrira le 20 décembre de cette même année : « C'est avec un transport de joie bien vive que j'ai appris ce que l'Assemblée nationale a fait pour ma Patrie. En admettant la Corse parmi les provinces de la France, elle a trouvé le moyen le plus infaillible d'attacher les habitants de cette île au gouvernement français ; en faisant rentrer dans cette île nos compatriotes expatriés, elle attache à la Constitution un nombre considérable d'individus qui la défendront jusqu'à la dernière goutte de leur sang. » Louis XVI sanctionnera (il ne s'agit pas de sanctionner une faute), c'est-à-dire approuvera le texte favorablement en janvier de l'année 1790 par Lettres patentes.



L'ancien Palais-royal du Louvre fin XVIIIe siècle

XII - Le mois de décembre 1789

Mardi 1er décembre : Une émeute se déroule à Toulon, le comte de Rioms est envoyé en prison avec quatre autres officiers. A l’Assemblée, M. Joseph Guillotin (1738-1814) propose l'égalité des peines pour tous les citoyens et la décapitation « par l'effet d'un simple mécanisme » face au discours de l'abbé Maury en faveur des supplices traditionnels. Vous pouvez consulter à ce sujet les propositions de M. Guillotin, dont l'adoption ce jour du 1er article : Articles sur les lois criminelles, dont l'Assemblée nationale a ordonné l'impression le premier décembre 1789, pour être discutés dans la séance du 2 (Source : Gallica BnF, 3 feuillets).

2 décembre : L'astronome
M. de Lalande « annonce dans une communication faite à l'Académie des sciences, que l'astronome anglais M. HershelI ; avec son télescope de vingt-pieds, a nettement distingué la tranche de l'anneau de Saturne, qu'il a découvert deux nouveaux satellites de Ia curieuse planète, dont l'un débordait sur l'anneau comme un grain de chapelet enfilé dans un ruban de soie. » (Source : Gallica-Bnf, Le Matin, 2 décembre 1889, rubrique QUATRE-VINGT-NEUF, page de une)

3 décembre : La Constituante refuse la création d'un Comité colonial, suite à une discussion sur les « gens de couleur » et sur la base d’une motion de l’abbé Grégoire. Le peintre Claude Vernet connu pour ses marines décède à l'âge de 75 ans dans la capitale.
Au Mans, c'est l'exécution des trois meurtriers du comte de Montesson.

4 décembre : Ile Bourbon (la Réunion), une circulaire du gouverneur David Charpentier de Cossigny aux commandants de quartiers, les invite à convoquer les habitants en assemblées paroissiales, pour constituer une assemblée coloniale et désigner un député pour aller à Paris et veiller aux intérêts de la colonie.

5 décembre :  Les bois de l’Est et de l’Ouest de la capitale, de Boulogne et de Vincennes sont saccagés par des paysans, s’ensuivent 87 arrestations. Selon Marat, il dépose un mémoire au comité municipal des recherches : Dénonciation faite au tribunal du public, par M. Marat, l'Ami du Peuple, contre M. Necker, premier ministre des Finances. (Source : Gallica-Bnf) Selon Jean-Paul Marat, il est arrêté, ou ce qu'il a écrit dans sa dénonciation de Necker se voit décréter d’accusation pour calomnie.

7 décembre : A Paris, Le paysan magistrat, de M. Collot d'Herbois
, la comédie en cinq actes et en prose est représentée pour la première fois au théâtre de la Nation. (Source : Gallica-Bnf)

8 décembre : A la  Maison de Bicêtre, sise à Gentilly, dans le sud de la capitale, un groupe d'une trentaine de prisonniers arrivent à faire s'écrouler un pan de mur, ce qui permet de passer au travers et de prendre la fuite, mais les fuyards sont rapidement arrêtés et remis au cachot. (Source :
Gallica-Bnf Paul Bru, Histoire de Bicêtre, page 65, 1890 Paris)

9 décembre : La Constituante décide la création des départements dans un processus fédératif, et non fédéraliste (à ne pas confondre). Les décrets seront fixés le 26 février 1790.

10 décembre : A Bruxelles, c'est début de l'insurrection des patriotes belges avec distribution de cocardes à la sortie de la messe (Révolution brabançonne).

11 décembre : A l'Assemblée, les forêts se trouvent sous la sauvegarde de la Nation.

12 décembre :
La ville de Bruxelles est libéré par les patriotes Belges. A Paris, le journaliste Marat, arrêté, il comparaît à l’Hôtel-de-Ville pour absence de preuve pour une de ces dénonciations, il est rapidement relâché par Lafayette. A Marseille, la loi martiale est proclamée.

13 décembre : Fortes agitations
à Senlis, suite à un drame perpétué par un horloger fou, M. Louis Michel Rieul Billon, qui par vengeance organise un attentat, l'on dénombre 25 morts et quarante-et-un blessés.

14 décembre : A la chambre des députés est décrétée la loi sur l'organisation des communes (wikisource), à l'article 2, les anciens officiers et membres municipaux seront remplacés par un vote désigant un maire
et son conseil, ainsi qu'un procureur pour les villes de plus de 10.000 âmes chargé de défendre leurs intérêts, désignés au sein des citoyens actifs avec au moins 3 membres (moins de 500 habitants), par quartier ou arrondissement à l'article 7. Pour la capitale, « attendu son immense population, elle sera gouvernée par un règlement particulier, qui sera donné par l'Assemblée nationale, sur les mêmes bases et d'après les mêmes principes que le règlement général de toutes les municipalités du royaume. » Il est précisé à son 50ème article que : « Les fonctions propres au pouvoir municipal, sous la surveillance et l'inspection des assemblées administratives, sont :

- De régir les biens et revenus communs des villes, bourgs, paroisses et communautés ;
- De régler et d'acquitter celles des dépenses locales qui doivent être payées des deniers communs ;
- De diriger et faire exécuter les travaux publics qui sont à la charge de la communauté ;
- D'administrer les établissements qui appartiennent à la commune, qui sont entretenus de ses deniers, ou qui sont particulièrement destinés à l'usage des citoyens dont elle est composée ;
- De faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics.

15 décembre : Motion de M. Godard, l'un des représentants de la Commune, faite à l'assemblée générale de la Commune sur l'étendue et l'organisation du département de Paris :
« Paris était à la vérité un gouffre, qui dévorait tout ; tous les hommes riches du Royaume y faisaient leur séjour ; toutes les grandes places y étaient exercées ; toutes les affaires s'y traitaient. Mais tout reflue aujourd'hui dans les Provinces : un nombre infini de places va y être créé ; toutes les affaires se traiteront se termineront sur les lieux ; nous n'aurons plus ici ni financiers qui s'enrichissaient de l'argent des Provinces, ni bénéficiers opulents à qui l'argent des Provinces était envoyé dans une quantité incalculable. La Révolution que Paris a faite est donc toute entière au profit des Provinces ; et l'on pourrait dire que Paris seul y perdrait, si la liberté qu'il gagne n'était pas une conquête qui réparât ses autres pertes. (...) Je conclus donc à l'admission du Plan de M. l'abbé de Syeyes. Paris doit être dans un Département. Paris doit être ou avoir lui-même un Département. » (Source : Gallica-Bnf, pages 15 et 16)

16 et 17 décembre :  A la Constituante, il est décrété que les troupes françaises seront recrutées par engagement volontaire et la conscription ou la mobilisation des citoyens est rejetée. Il est proposé que les prêtres puissent se marier. Le lendemain, Jacques Necker envoie un nouveau rapport à l'Assemblée sur les finances.

18 décembre : La commune de Paris
« a fait du colportage une profession privilégiée ; elle a réduit le nombre des colporteurs à trois cents, et les a astreints à se munir d'une plaque et d'une autorisation. Cette mesure, si contraire aux principes de l'abolition des privilèges et de la liberté du travail, soulève une vive rumeur dans le monde des gazetiers. On se plaint que déjà la presse soit soumise à un régime d'exception. On fait un tableau lamentable des douze ou quinze cents colporteurs privés de leur gagne-pain. Mais ies malins font remarquer que l'ordonnance est sans date, et, par conséquent, non valable. C'est une de ces tentatives sans suites aont la Commune de Paris est coutumiére. » (Source : Gallica-Bnf, Le Matin, 18 décembre 1889, rubrique QUATRE-VINGT-NEUF, page de une)

19
décembre : L'Assemblée décrète la vente des bien domaniaux et ecclésiastiques jusqu'à hauteur de 400 millions. A noter, la naissance des assignats et la mise en oeuvre pour la même somme, pour répondre aux paiements des domaines.

20 décembre : Depuis Londres, Pasquale Paoli fait part d'une lettre exprimant sa joie des décrets du 30 novembre sur la Corse intégrée au royaume français (lire la citation au 30 novembre). Dans la capitale, l'Hôtel de Ville fait part de ses inquétudes et prévient des transports de farine du prieuré de Saint-Matin-des-Champs (les locaux sont devenus trop petits pour que tous les sacs de farines  y soient entreposés) aux magasins de l'Ecole Militaire. A l'annonce de la programmation de la pièce le 28/12, L'Esclavage des Nègres, un drame en 3 actes, au théâtre de la Nation, les milieux coloniaux s'agitent et font publier chaque jour des articles contre l'auteure, Olympe de Gouges (ou de Gouge). Elle-même fait publier, ce jour, un article dans la Chronique de Paris
(4 pages quotidiennes, plus une page supplément recto-verso - page 474) pour promouvoir son spectacle révisité. (Source Gallica-Bnf)

      Messieurs (*),

« Voici la neuvième année que j’essayai de peindre, dans un drame, toute la rigueur de l’esclavage des noirs. Il n’était point alors question d’adoucir leur sort et de préparer leur liberté. Seul, j’élevai la voix en faveur de ces hommes si malheureux et si calomniés. A l’impression, l’intérêt du sujet fit oublier la médiocrité de l’auteur.

Ce drame présenté à la Comédie Française, il y a quelques années, et que j’avais mal-à-propos intitulé, l’heureux naufrage, a essuyé plus d’une tempête. Echappé aux écueils et aux vents contraires de l’autorité, il vogue maintenant avec liberté vers la scène, sous ce titre ; l’esclavage des noirs.

Si je n’avais à craindre que la faiblesse de mes talents et la puissance de mes ennemis, l’époque actuelle du rétablissement de la liberté semblerait me promettre quelqu’indulgence pour un ouvrage qui la défend ; mais ne suis-je pas encore en bute à tous les protecteurs, fauteurs du despotisme américain (1), sans compter encore etc. etc. etc...? Que mon sexe obtienne au moins du public, le jour de la première représentation, le même intérêt qu’il a accordé à l’auteur de Charles IX. Je dois dire encore que je n’ai pas puisé le dialogue de ce drame dans les événemens du jour, et que j’ai consacré ma part d’auteur à augmenter la contribution patriotique, dont j’ai eu la première idée dans une brochure imprimée depuis quinze mois.

Si cette pièce pouvait avoir la même fortune que Figaro ou Charles IX, en vérité, messieurs, je n’en serais pas fâchée pour ma gloire et pour la cause patriotique. »

Note :

(*) Le portrait d'Olympe de Gouges en peinture est possiblement de Rose-Adélaïde Ducreux, qui ne signait pas ses oeuvres (1761-1802)

(1) On sait qu’ils viennent de publier un libelle sanglant contre la Société des Amis des Noirs : mais ils se sont bien gardés d’y nommer M. de La Fayette, M. le duc de la Rochefoucauld, etc. qui se font cependant honneur d’être comptés parmi les amis des noirs.
  
De Gouges


Paris, ce 19 décembre 1789

21 décembre : M. le marquis Charles de la Villette, ami et protecteur de Voltaire, rédige dans la Chronique de Paris un article (page 478, n°119), où il propose d'élever un monument à Voltaire dans la basilique Ste Geneviève, en face, précise-t-il, du tombeau de Soufflot (architecte, grand inspirateur du néo-classicisme) et il termine par cet éloge : « Descartes renversa la philosophie d'Aristote ; Voltaire a renversé le fanatisme et les préjugés. Le premier, en généralisant les nombres, invente l’algèbre, et fournit à l’esprit humain le fil qui le conduit dans le labyrinthe des hautes sciences ; le second devient la lumière de son siècle, et fait passer dans les âmes cette tolérance universelle, cette haine du despotisme qui a servi de levain à notre glorieuse révolution. Et quand l’un repose parmi les morts sous les voûtes ogives d’une église gothique, l’autre mérite de recevoir l’hommage des vivants dans un temple de gloire, où l’on admire ces chapitaux corinthiens, et ces belles colones, image de son immortalité. » A l'Assemblée M. Bertrand Barrère de Vieuzac, député des Etats de Bigorre fait des propositions Sur la nécessité faire de ce pays d'Etats un département? (22 pages), il souhaite entre autres que la ville de Tarbes devienne le chef lieu et en explique les raisons.  (Sources  : Gallica-Bnf)

22 décembre : A la Constituante, les femmes sont exclues du droit de vote. La loi sur la division du royaume en département est approuvée, il en existera 83. M. Guillotin soumet les plans sur la réorganisation des ateliers de charité et de subsistance des pauvres, et lecture du
rapport de M. Thouret sur le pouvoir judiciaire. Par décret, la surveillance des établissements charitables est confiée à l'administration civile.

23 décembre : A l’Assemblée, Stanislas de Clermont-Tonnerre défend les droits de citoyenneté des protestants, des comédiens, des juifs et du bourreau. En faveur d'une monarchie constitutionnelle, il est l'un des artisans de l'émancipation des Juifs et a laissé pour cette journée la formule suivante : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et accorder tout aux Juifs comme individus ; il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique ni un ordre ; il faut qu’ils soient individuellement citoyens. Mais, me dira-t-on, ils ne veulent pas l’être. Eh bien! S’ils veulent ne l’être pas, qu’ils le disent, et alors, qu’on les bannisse. Il répugne qu’il y ait dans l’État une société de non-citoyens et une nation dans la nation. » et précise que « l’état présumé de tout homme domicilié dans un pays est d’être citoyen. » Robespierre dans le même sens intervient sur la question des comédiens, il n'approuve pas l'idée qu'ils soient l'objet d'une loi spécifique, et sur la question des Juifs il déclare :
« On vous a dit sur les juifs des choses infiniment exagérées et souvent contraires à l'histoire. Comment peut-on leur opposer les persécutions dont ils ont été les victimes chez différents peuples? Ce sont au contraire des crimes nationaux que nous devons expier, en leur rendant les droits imprescriptibles de l'homme dont aucune puissance humaine ne pouvait les dépouiller. On leur impute encore des vices, des préjugés, l'esprit de secte et d'intérêt les exagèrent. Mais à qui pouvons-nous les imputer si ce n'est à nos propres injustices? Après les avoir exclus de tous les honneurs, même des droits à l'estime publique, nous ne leur avons laissé que les objets de spéculation lucrative. Rendons-les au bonheur, à la patrie, à la vertu, en leur rendant la dignité d'hommes et de citoyens ; songeons qu'il ne peut jamais être politique, quoiqu'on puisse dire, de condamner à l'avilissement et à l'oppression, une multitude d'hommes qui vivent au milieu de nous. Comment l'intérêt social pourrait-il être fondé sur la violation des principes éternels de la justice et de la raison qui sont les bases de toute société humaine? » Décès de l'abbé Charles de l'Épée, fondateur de l’institut des sourds-muets, il sera enterré au cimetière Saint-Roch. Les États de Flandre se déclarent comme « nation indépendante » de l'Empereur d’Autriche.

24 décembre :
Dans la capitale, se produit l'arrestation du marquis de Favras, accusé de comploter pour l'évasion du roi et pour une tentative d'assassinat sur MM. Bailly et Lafayette, il est aussi l’ancien garde du corps de Mirabeau. A la Constituante, contre discours de M. Maury sur les droits civiques des comédiens et des juifs. Honoré-Gabriel de Mirabeau prend parti dans son journal Le Courrier de Provence : « On ne peut leur refuser l'exercice de tous les droits nationaux. » Cependant les Protestants et les comédiens deviennent des citoyens à part entière suite aux interventions de Robespierre, Roederer et Clermont-Tonnerre. Les Juifs restent néanmoins exclus du décret par l'Assemblée en ces termes : « qu'elle n'entend rien préjuger relativement, aux Juifs, sur lesquels elle se réserve de prononcer. » Sinon, il est arrêté que les non-catholiques peuvent à présent postuler à des emplois publics. Ce même jour des comédiens du théâtre de la Nation s'adressent directement par courrier sur leur droit à la citoyenneté, au président de l'Assemblée en ces termes :

« Monseigneur, Les Comédiens français ordinaires du Roi, occupant le théâtre de la Nation (la Comédie française), organes et dépositaires des chefs-d'œuvre dramatiques, qui sont l'ornement et l'honneur de la scène française, osent vous supplier de vouloir bien calmer leur inquiétude. Instruits par la voix publique qu'il a été élevé, dans quelques opinions prononcées à l'Assemblée nationale, des doutes sur la légitimité de leur état, ils vous supplient, Monseigneur, de vouloir bien les instruire, si l'Assemblée a décrété quelque chose sur cet objet, et si elle a déclaré leur état incompatible avec l'admission aux emplois et la participation aux droits de citoyen. Des hommes honnêtes peuvent braver un préjugé que la loi désavoue, mais personne ne peut braver un décret, ni même le silence de l'Assemblée nationale sur son état. Les Comédiens français, dont vous avez daigné agréer l'hommage et le don patriotique, vous réitèrent, Monseigneur, et à l'auguste Assemblée le vœu le plus formel de n'employer jamais leurs talents que d'une manière digne de citoyens français et ils s'estimeraient heureux si la législation réformant les abus qui peuvent s'être glissés sur le théâtre daignait se saisir d'un instrument d'influence sur les mœurs et sur l'opinion publique. »
Les Comédiens ordinaires du Roi. Signé, Dazincourt, secrétaire.

Source : Gallica-Bnf,  Le théâtre de la Révolution 1789-1799,
Henri Welschinger, page 42 à 44, éditions Charavay frères, Paris,1880

25 décembre : A Paris, se produit l'arrestation du marquis de Favras.
Olympe de Gouges reçoit des menaces via une lettre anonyme : « Je crois pouvoir vous dire, au nom de tous les colons, que depuis longtemps, leurs mains leur démangent de se saisir d'un ami des Noirs. » Depuis Rome, l'ancien gouverneur de Saint-Domingue (1753-1757), Joseph, Hyacinthe, François de Paule de Rigaud de Vaudreuil, en exil depuis le 14 juillet, s'adresse par lettre (n°15) au comte d'Artois (petit frère du roi et futur Charles X) sur la situation en Europe (extraits) :

 

Le Comte de Vaudreuil
(1740-1817), peinture d'Elisabeth Vigée-Lebrun de 1784

« On a la nouvelle que l'Empereur (d'Autriche) est retombé malade et est en grand danger. On dit aussi que l'Angleterre arme à force et a ouvert un emprunt de cent millions ; que le marquis de Lansdowne va rentrer dans le ministère, et que la puissance de M. Pitt baisse tous les jours. Je ne mets pas en doute (quoi qu'on vous en ait dit) que l'argent des Anglais ne soit le principal moteur de la révolution que nous avons éprouvée, et de celle du Brabant. Ils ne nous ont pas pardonné la guerre d'Amérique, et je sais que le marquis de Lansdowne, autrefois lord Shelburne, avait une correspondance très-suivie avec l'abbé Morellet et plusieurs autres chefs de la démocratie ; que son fils, lord Wycombe, a été à Paris pendant tout le temps de la révolution, et animait tous nos jeunes gens, voyait tous les gens de lettre du parti, et rendait compte de tout à son père.

Si, après cela, le marquis de Lansdowne rentre dans le ministère, tout est éclairci, et voilà le chemin qu'il aura pris pour y arriver. Dans ce cas, la Prusse, la Hollande sont du secret, et nous avons à redouter, peut-être à espérer, une attaque prochaine. Je dis peut-être à espérer, car qui sait si la menace d'un envahissement n'ouvrirait pas tous les yeux, ne ranimerait pas tous les coeurs français, et ne ramènerait pas à l'autorité légitime et nécessaire? Nos héros de paix disparaîtraient ; nos législateurs iraient se cacher dans des trous, et la noblesse française volerait à la défense de la patrie ralliée sous notre Roi. Vous nous montreriez le bon chemin, et nous vous y suivrons avec valeur et succès. Si nous succombions, l'honneur du moins serait sauvé, au lieu que notre avilissement actuel n'est pas supportable.
On dit encore que le maréchal de Broglie arrive à Turin très incessamment. »

Source : Correspondance intime du comte de Vaudreuil
et du comte d'Artois pendant l'émigration : 1789-1793 (en l'état)


26 décembre : A Paris, Monsieur, frère du roi, futur Louis XVIII répond devant la Commune parisienne aux accusations de complicité avec Favras. A la Constituante, il est ordonné aux généraux de proclamer « la souveraineté du peuple » dans tout le pays rassemblé en une seule unité légale. M. le duc de Mailly, député de Péronne, donne sa démission et M. de Folleville, dont les pouvoirs ont été vérifiés est admis pour le remplacer.

27 décembre : Dans la capitale, M. Gouverneur Morris, un des pères de la constitution des Etats-Unis, note dans son journal que
« sur M. de Favras a été trouvée une lettre de Monsieur (frère du roi), semblant prouver qu'il y était intimement mêlé ; il s'était immédiatement rendu chez Monsieur   avec la lettre qu'il lui avait remise, disant qu'elle n'était connue que de lui et de M. Bailly ; qu'en conséquence il n'était pas compromis. Monsieur avait été ravi de cette information ; hier matin, cependant, il l'avait envoyé chercher, et, au milieu de ses courtisans, avait parlé en termes irrités d'une note qui avait circulé la veille au soir, l'accusant d'être à la tête du complot. La Fayette répondit qu'il ne connaissait qu'un moyen d'en découvrir les auteurs, c'était d'offrir une prime, et c'est ce que l'on allait faire, Monsieur déclara alors son intention d'aller à l'Hôtel de Ville l'aprè̀s-midi, et en conséquence l'on fit des préparatifs pour le recevoir; il vint et prononça le discours que nous avons vu, discours écrit par Mirabeau qu'il regarde comme une canaille. » (Source : Archive.org, Journal de Gouverneur Morris, page 158, éditions Plon, Paris-1901)

Lundi 28 décembre : A l'Assemblée, un décret ordonne aux intendants et aux administrations provinciales de rendre compte de leurs gestions. Dans la soirée,
il s'agit de la première représentation à la Comédie Française de L'esclavage des nègres, (Source : Gallica-Bnf) drame en trois actes, récit en prose, une pièce de théâtre rédigée par Olympe de Gouges il y a plusieurs années, dont une partie a été remaniée par ses soins. Voici ce qu'elle a adressé à la Chronique de Paris (page 506, n°126) et a publié ce même jour : « Messieurs, Au moment où je vais être jouée, j’apprends qu'il se forme contre ma pièce un parti redoutable. Je n'ai pourtant point développé, dans mon drame, des principes incendiaires et propres à armer l’Europe contre les colonies. Rassurez, je vous prie, par la publicité de cette lettre, des personnes prévenues, qui, si elles viennent à la Comédie Française, sentiront qu’il ne faut pas toujours juger sévérement un ouvrage par le titre qu’on lui donne. » (Source : Gallica-Bnf)

29 décembre : La chambre des députés refuse un don de 900.000 livres envoyé par des Genèvois, dont un certain Étienne Clavière pour alléger le fardeau de la dette. La Chronique de Paris (page 511, n°127) fait état de la pièce de Me de Gouges, jouée hier, L'Esclavage des Nègres, en ces termes : « La représentation a été très-tumultueuse. Les amis des noirs et des planteurs ont perdu également des efforts que l’ouvrage ne méritait pas ; il n’a point eu de succès, et ne peut être dangereux ni utile. Comme le spectacle était à tout moment interrompu, un plaisant a fait la motion de ne siffler que dans les entractes. Nous ne ferons aucune réflexion. Nous répéterons seulement, avec Piron, qu’il faut de la barbe au menton pour faire un bon ouvrage dramatique. »

30 décembre : Le tribunal de police a condamné le sieur Cheradame entrepreneur de l'enlèvement des boues et immondices de Paris, à 300 livres d’amende pour contravention aux réglements. (Source : Gallica-Bnf, la Chronique de Paris, page 516, n°128)

Jeudi 31 décembre :
À l'Assemblée, les Dames de la Halle font leur compliment de nouvelle année, et les Juifs dits Portugais font une adresse à cette dernière sur leurs inquiétudes (au nom des 245 familles de Bordeaux qui bénéficient d'un statut propre et discordant avec les autres "nations juives" du royaume).

à suivre...

Le nouveau Paris de Sébastien Mercier
et
Adieux à l'année 1789 !



Perspectives ponts de Paris depuis l'île de la Cité
« On eût dit que cette révolution était l'ouvrage de quelque homme d'un génie extraordinaire, d'une tête vaste à physionomie antique, enfin de quelque esprit au-delà des limites ordinaires ; point du tout. Nous avons été tous ce que Marivaux, qui en était, appelait « les grands médiocres », et voilà pourquoi peut-être la chose a mieux été. Il n'y a pas d'erreur plus dangereuse que celle d'un homme de génie. Du moins nos fautes ont été réparables et la machine ne s'est pas écroulée entre nos mains ; tour à tour battus et battants, nous n'avons eu ni chef ni dictateur, et dans la mêlée sanglante les scélérats ont péri avec quelques gens de bien. Après une bataille, on enterre les morts. »

Paris pendant la Révolution ou le Nouveau Paris, L.S. Mercier,
chapitre XI : Il n’y a qu’à ! édité en 1862


Avec Adieux à l’année 1789 extrait d’un fascicule de quelques feuillets et accompagné d’une courte missive de Fribourg, Louis Sébastien Mercier fit une très belle déclaration de patriotisme et résuma à sa manière l’année écoulée. Ce texte court de 8 feuillets a été rédigé par l’un des journalistes les plus en vue de la Révolution française. Mercier est connu encore de nos jours pour ses Tableaux de Paris. Des ouvrages qui permettaient de se promener dans la capitale au dix-huitième siècle, sorte d’ancêtre du guide touristique. C'est-à-dire des promenades au fil des quartiers, des rues et places de la ville, et il apportait ainsi une foultitude de détail sur les petits métiers, les gens du commun et leur quotidien. Il exista deux éditions de ses tableaux dont l’une fut publiée plus tardivement vers 1800 et se nomma Le Nouveau Tableau de Paris.

Le terme qui pourrait le mieux lui correspondre est le terme de fantasque, sa plume décapante est venue bousculer l’ordre de la syntaxe, capable de tout et son contraire. A l’exemple du mouvement, il déborda de toutes les cases. Mercier a puisé dans toute sorte d’information, il a pu écrire des choses judicieuses, ou dignes d’intérêts et à côté des réalités. Notre auteur pouvait reprendre des colportages ou des faits grossis à l’extrême comme « l’arrêt de mort de huit mille Français » pour les massacres de septembre 1792 à Paris. Quand le nombre total des prisonniers toutes raisons confondues étaient de 2.500 pour les lieux concernés, et que seule la moitié périrent. Et ce n’est pas la seule invraisemblance, car il faut souligner son engagement et des prises de positions très contradictoires, selon ses évolutions politiques.

Si notre auteur se désigne sous le terme de républicain, difficile de le contester sur ce point. Sauf qu’après son enfermement intervenant après la chute de Robespierre, il a connu des relations politiques très discordantes avec les premières heures. Il n'a pas été pas le seul, est-ce dû à des rencontres en prison? à des amitiés avec d’anciens opposants? l’âge aidant? « Je ressemble, au Sicambre Clovis, je suis tenté de brûler ce que j'ai adoré et d'adorer ce que j'ai brûlé ». Ce fut un étrange mélange avec sa cohésion personnelle et Septembre 1792 allait rester gravé dans sa mémoire et ne put que le pousser à des oppositions de natures souterraines.

Pour le reste, il faudrait une étude plus complète de son parcours et de ses ambiguïtés. « Journaliste depuis les premiers temps de la Révolution, et le créateur, on peut le dire, d'une des formes du journalisme, celle de la chronique politique et littéraire, Mercier se servit à la fois de sa plume et de ses ciseaux en composant son nouvel ouvrage (Le Nouveau Paris), recueillant à droite et à gauche dans les feuilles de ses confrères, utilisant d'anciens articles de lui, imprimés ou manuscrits, des notes de portefeuille, des pensées écrites en courant pendant la fièvre des années précédentes. Il est résulté de cet amalgame l'ouvrage le plus singulier, plein de beautés, de lueurs, d'incohérences, de contradictions et de répétitions » (Histoire de Paris pendant la révolution ou Le Nouveau Paris, par L.S. Mercier - Introduction (présumée) de l’éditeur Poulet Malassis). Et qui
illustre parfaitement son œuvre.

Louis Sébastien Mercier a été à la fois dramaturge d’une cinquantaine de pièces et écrivain (de l’An 2440, le Nouveau Paris, etc.), et a tenu un rôle important au sein de la presse parisienne. Ami du journaliste Jean-Louis Carra, un des grands inspirateurs de la journée 10 août 1792, tous les deux ont été à l’origine de la création du périodique : Les Annales patriotiques et littéraires en octobre 1789. La publication du journal cessa en 1796 et il participa à d’autres titres de presse. Quand commença la révolution Mercier entrait dans la cinquantaine et il était déjà célèbre, il a été un témoin clef et aussi un acteur du processus révolutionnaire. Il se rangea en 1793 du côté des "Girondins" et se fit arrêter après la pétition du 31 mai 1793 avec soixante-douze autres parlementaires proches de la Gironde, mais il échappa à la guillotine.

Note de Lionel Mesnard

Adieux à l’année 1789 !
  Louis Sébastien Mercier,  auteur du Tableau de Paris
« Adieu mémorable Année, et la plus illustre de ce siècle! Année unique, où les augustes Français ramenèrent dans les Gaules l'égalité, la justice, la liberté, que le despotisme Aristocratique tenait captives! Adieu, Année immortelle, qui avez fixé un terme à l'avilissement du Peuple ; qui l’avez ennobli, en lui révélant des titres dont l'original était égaré! Adieu, très glorieuse Année, par le courage et l'activité des Parisiens, par la mort de haut, puissant et magnifique Clergé, par le décès de dame puissante, hautaine Noblesse, morte en convulsion!

Merveilleuse Année! le patriotisme est sorti, tout armé, de vos flancs généreux ; et c'est lui qui a mis tout à coup à leur place une foule de Citoyens éclairés, qui a fait éclore des talents inconnus, et qui a donné enfin à l'Europe attentive et étonnée de grandes leçons, dont elle profitera sans doute. Année incomparable! Vous avez vu finir le Gouvernement d'épouvantable mémoire, qui avait une si étroite accointance avec la Bastille, sa première favorite et la femelle la plus grosse et la plus monstrueuse qu'on ait jamais vu, morte d'une attaque subite et violente ; et c’est par-là qu'on vit le même jour mes braves et heureux Compatriotes sauver l’Assemblée Nationale (qu'on allait couper à boulets rouges), briser les chaînes de l'esclavage et épouvanter le glaive du despotisme, que le Prince de Lambesc avait déjà fait étinceler ; le glaive perfide placé dans la main de troupes étrangères, et qui (quoi qu'on en dise) voulait nous immoler pour épargner le soin de nous payer.

Que d'événements inattendus renferme cette Année! Dans l'espace de quelques mois, on a réparé les malheurs et les fautes de plusieurs siècles; l'homme a recouvré sa dignité première, et ce système de féodalité, d'oppression, qui outrageait l'humanité et la raison, est anéanti ; un Roi Citoyen et honnête homme a préféré son Peuple à sa Cour ; et en voulant la régénération de la France, il a su élever son âme à la hauteur de sa puissance ; qu'il sait toujours persuadé de cette grande vérité, que la Cour est l'ennemie née du Royaume, et conséquemment de la gloire des Rois.

J'entends le Peuple des Campagnes qui bénit l'Année de la révolution : le gibier détruit restituera à la terre le tiers des arbres et des moissons. La déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen a levé le voile qui cachait la vérité, et a fait cesser les prestiges d'optique ; tous les hommes aiment la liberté ; mais les plus prudents sont ceux qui l'ont mile sous la protection des Lois et non sous celle des Monarques.

Je vous offre mon encens, auguste Année! vous avez changé mon Paris, il est vrai ; il est tout autre aujourd'hui, mais encore un peu de temps , et il fera le séjour de la liberté e du bonheur : j'y respire déjà l'air des montagnes de la Suisse ; j'y suis soldat, non comme un dogue guerrier lancé par un despote colère ou fantasque, mais comme un Citoyen qui donnera sa vie avec joie pour la vraie cause de la Patrie ; depuis trente ans, j'avais un pressentiment secret que je ne mourrais point sans être témoin d'un grand événement politique ; j'en nourrissais mon âme et mes écrits : voilà du nouveau pour ma plume ; je vous en rends grâce trois fois, bienfaisante Année ! si mon Tableau est à refaire, l'on dira du moins un jour : En cette Année les Parisiens ont montré au Trône et au Ciel trois cents mille bras armés en quarante-huit heures ; ils n'ont pas voulu laisser détruire leur Ville ; ils ont fait un mouvement, et ce mouvement s'est communiqué à la France, au reste de l'Europe : tant le Peuple est : une puissance , et même la seule puissance : ce qu'il faut que les Souverains sachent enfin.

Grande Année! vous serez l’Année régénératrice, vous en porterez le nom ; l'histoire célébrera vos hauts faits, vous fuyez pour vous enfoncer dans le temps : adieu , puisqu'il est impossible à nos vœux d'allonger votre terme ; mais dites bien du - moins à ma chère fille l’Année 2440, que nous courons au-devant d'elle de toutes nos forces ; que nous précipiterons notre marche pour l'atteindre et pour l'embrasser; sans flatterie, vous lui ressemblez beaucoup, chère fugitive ; j'ai cru même un instant qu'il n'y avait qu'à changer la date de la naissance; mais votre cadette (n'en soyez point jalouse, rare et surprenante année,) aura encore plus de charmes, d'esprit et de beauté que vous, parce que le patriotisme est: une vertu qui s'accroît et se fortifie par l'exercice, parce qu'il faut encore rêver la félicité publique, afin d'en bâtir l'édifice immuable ; parce qu'enfin le chef-d'œuvre de l'esprit humain n'est pas de faire de belles Lois, mais de les mettre à exécution.

Adieu, Année sans pareille dans notre histoire, Moi qui fus libre bien avant les jours de notre liberté, puis-je manquer d'être fidèle à votre souvenir? Non, chaque jour je remercierai l'Etre Suprême de m'avoir fait voir l'aurore du soleil de la liberté ; il va luire sur ma Patrie, armé de tous ses rayons. Montesquieu, Rousseau, Diderot, Mably, Helvétius, Voltaire, Turgot et Thomas, sont dans la tombe ; ils n'ont point vu les jours étonnants, les jours de gloire que leur génie avait préparés. Oh! de quelles louanges n'auraient-ils pas salué le Peuple Français régénéré : c'était, hélas! à leur organe, et non au mien, qu'il appartenait de chanter ces vertus patriotiques, qui ont devancé mon attente tardive et surpassé mes espérances ; mais j'écrirai du moins ce que j'ai vu, afin que de tels événements ne sortent point de la mémoire des hommes nés et à naître ; afin qu'ils apprennent, dans tous les temps et dans tous les lieux, qu'il ne tient qu'à leurs bras et à leurs têtes de détruire toute espèce de tyrannie, qu'il ne faut que vouloir, et que Dieu (qui aime également toutes ses créatures pétries du même limon) protège visiblement toute insurrection généreuse ; parce que l’empire des lois descend de son trône éternel ; c'est, sans contredit, le plus grand bienfait qu'il ait accordé à l'intelligence humaine, et elle répondra aux magnifiques desseins de son auteur, en humiliant le superbe, le méchant, et en rompant, à force ouverte, les complots impies, sanguinaires, tramés contre la liberté de l'homme. Adieu, tumultueuse, mais très chère et très aimable Année…….. ».

Extrait d'une Lettre de Fribourg en Suisse du 13 Décembre

« Les Français fugitifs qui se sont répandus dans nos cantons, ne cessent de nous alarmer sur le sort futur de la France, et de nous annoncer la destruction de la nouvelle Constitution. Ils parlent d'une confédération entre les Rois d'Espagne, de Sardaigne, l'Empereur et les Russes ; ils disent qu'au printemps prochain, des armées entreront en même temps dans le Royaume de tous côtés, par mer et par terre. On débarquera trente mille Russes, comme gens non suspects aux catholiques, et on n'admettra pas les troupes protestantes ».
Source : Gallica-Bnf, Adieux à l'année 1789, L-S. Mercier, édité entre 1790 et 1795

Suite sur la Révolution française...
La loi martiale du 21 octobre 1789

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