|
|
Cliquez ci-dessus pour revenir à la page d'accueil
|
Sommaire de la page,
1 - La loi martiale du 21 octobre
1789, & L'assassinat du boulanger Denis François à Paris (le même jour)
2 - Journal de M. Adrien Duquesnoy sur la journée du 21 octobre à l'Assemblée nationale, et la pendaison du boulanger Denis François
3 - Mémoires du commandant-général Lafayette au sujet du 21 octobre?
4 -
La loi martiale à l'Assemblée : Interventions du
garde des sceaux et des députés &
vote de la loi avec ses articles
|

|
|
|
|
|
|
- La loi martiale du 21 octobre 1789

illustration du XIXe siècle de M. Lorsay
sur Denis François (l'homme avec une perruque) en prise avec la foule
&
l'assassinat du boulanger Denis François
|
Résumé : « Un
boulanger fut pendu et décapité par le peuple sur la place de Grève à
Paris, le 21 octobre 1789. Aussitôt après, l'Assemblée nationale
constituante institua la loi martiale. À première vue, cette action
nous apparaît comme un lynchage cruel de la part d'émeutiers, mais il
s'agissait d'une sanction sociale contre eux. Les députés de la
Constituante décidèrent de traiter la violence du peuple par la force,
c'est-à-dire la loi martiale. Le peuple et les députés suspectèrent un
complot caché derrière cet assassinat du boulanger. Cependant il y eut
entre les deux une divergence de vue sur ce « complot », quant à ses
instigateurs. » (Me Riho Hayakawa)
Me Riho Hayakawa, doctorante au moment de la rédaction, celle-ci retrace en
une vingtaine de pages les différents aspects de cette émeute contre un
boulanger parisien et apporte de nombreuses informations sur ce qui
pourrait représenter un micro événement qui allait avoir des répercussions
conséquentes, accélérant une décision à l’Assemblée par le vote
d’une loi martiale qui conduisit à quelques massacres légaux.
Majoritairement dans la presse, cette loi fut bien accueillie, à
quelques exceptions, dont celle de Marat. Il semble que le prétexte de
l’assassinat a servi à accélérer le mouvement, il n’y a eu aucune
opposition du garde des sceaux et le roi signa sans usage de son «
veto suspensif ».
Mirabeau entre deux eaux comme à son habitude resta toutefois perplexe,
tout en reconnaissant le bien fondé, l’art du double discours et une
manière d’annuler les contestations, en condamnant mollement à la fois
la loi martiale et la mise en place d’un Tribunal national, tout en
reconnaissant la nécessité. Au sein de l’Assemblée, Buzot, Duport et
Robespierre s’y opposèrent, ce dernier parla de conjuration. Mais comment
ne pas y voir une manœuvre habile? La fin de ce débat donna à loi un
caractère effectif, parce que les décrets étaient prêts et votés, au
point
que les émeutes de Rouen à l’ordre du jour en point suivant s'invita à
l’occasion pour se saisir de cette loi anti-attroupement. Le contenu de
la loi a été particulièrement sévère et parle d’elle-même. (en bas de page)
Cette loi d’exception votée suite à la venue des femmes à Versailles
tombait à merveille, cette loi a été aussi insufflée à
l’origine par Lafayette, et il s’en servit pour réprimer dans la capitale et à
Nancy. Il s’agit plus d’une défiance que d’une confiance que le garde
des Sceaux dans ce moment accorda aux députés. Marat l'a désapprouvée aussi : « On serait surpris de même qu'il ait été décrété contre
des infortunés qui s'attroupent pour avoir du pain, si on ignorait que
le malheureux événement du jour n'en a été que le prétexte ». Et il a
ajouté : « On a profité de l'émeute de la veille (celle du 21
octobre) pour faire sentir la nécessité de reprendre la discussion
de cette motion ». Ainsi, Marat, comme Robespierre, pensait
que l'on avait profité de l'assassinat de François pour instituer la
loi martiale ». (Me Riho Hayakawa) Et, qu’ils aient des raison de s'en inquièter
!
Je vous laisse juge ou de quoi analyser de près les événements avec un
document du district de résidence du boulanger François qui vivait sur
l’île de la Cité, avec un procès-verbal des commissaires de
l’Hôtel-de-Ville et les comptes-rendus de l’Assemblée du 21 octobre
avec en
prélude l’intervention d’une députation de la commune de Paris avec à
sa tête M. Bailly son Maire, depuis le 15 juillet. Qui le doit en parti
d’être à ce poste grâce au général Lafayette, devenu le chef des gardes
nationales parisiennes ou « milices nationales », (ou parce qu'il
n'avait
pas encore de statut juridique établi). Vous trouverez aussi son apport
sur l’historiographie et diverses approches, et des éléments sur le
boulanger François. Je vous renvoie donc vers les travaux de Me Riho
Hayakawa : Sur l’assassinat du boulanger Denis François (Annales historiques de la Révolution française, n°333, 2003. pp. 1-19 –
Persée)
Notes de
Lionel Mesnard
- 0
- L'assassinat du boulanger Denis François
Relation de l’assassinat commis en la
personne du Sieur François, Maître Boulanger, rue du Marché-Palu, le 21
Octobre 1789

Gravure - Pendaison de Denis François à la lanterne, 21 octobre 1789
Extrait
du Registre du Comité du District de Notre-dame, du mercredi 21 octobre
1789
«
Sur la réquisition de MM. Tanneveau et Coetlosquet, nommés par
l'Assemblée des Représentants de la Commune, par son Arrêté de ce jour
(Expédition duquel a été remise au Comité) à l'effet de prendre des
informations sur l'événement malheureux arrivé ce matin au sieur
François, boulanger de ce district , et sur lа conduite antérieure.
(Ndr la rue du Marché-Palu se situait sur l’île de la cité, elle
n’existe plus)
Le Comité atteste que ledit sieur François a, dans tous les temps, bien
mérité du Public, soit par les soins qu'il s'est donné pour se procurer
des farines, soit par les fournitures abondantes qu'il a fait
journellement, et sans interruption, notamment depuis le premier
octobre, présent mois. Que, d'après les visites journalières qu'un des
Membres du Comité est chargé de faire chez chacun des boulangers du
district, il a été reconnu que ledit sieur François montrait le plus
grand zèle et la plus grande activité, et qu'il a effectivement, à
plusieurs fois, approvisionné les autres boulangers du voisinage; que
ledit François a toujours engagé les Garçons à le seconder, et à tout
faire, á son exemple, pour fournir au Public, au tant qu'il serait en
leur pouvoir, annonçant même qu'il, voulait ignorer s'il perdait ou non.
Que le rapport du
Commissaire atteste que le jour d'hier, le sieur
François avait reçu quatorze sacs de farine ; qu'il en a cédé trois au
sieur Patrigeon et un au sieur Messelier, tous deux boulangers, et
qu'il devait faire dix fournées, de soixante pains chacune. Que, ce
jourd'hui, il a été constaté par les déclarations des garçons dudit
sieur François, que ce dernier, lorsqu'il a été conduit â
l'Hôtel-de-Ville, avoir délivré six fournées, et que la septième était
au four, laquelle a été distribuée au Public, en présence des
Commissaires du District, à onze heures du matin. Atteste, en outre, le
Comité, d'après les renseignements. par lui pris, que, lors qu'on est
entré chez ledit sieur François, après avoir forcé la garde qui était
chez lui, ainsi qu'après la perquisition la plus exacte faite par la
multitude, il ne s'est trouvé que trois pains de quatre livres, dont un
rassis, un de douze livres cuit de la nuit dernière, et un de deux
livres pareillement cuir de la nuit dernière, avec environ dix
douzaines de petits pains frais destinés pour MM. de l'Assemblée
nationale, lesquels pains ont été pillés.
Pour Extrait conforme au Registre - Signée, Lenleps, Secrétaire.
Ce jourd'hui, 21 octobre 1789, par devant nous Jacques Guillot de
Blancheville, et Louis-Claude-Charles-Denys Dameuve fils, qui ont passé
la nuit au Comité de la Police, & Jean Philippe Garran de. Coulon,
invité d'hier à faire aujourd'hui le service depuis sept heures du
matin jusqu'à trois heures, a été amené sur les huit heures et demie du
matin, le sieur François. Boulanger, rue du Marché-Palu, du district de
Notre-dame, plusieurs femmes, et quelques hommes l’ont accusé d'avoir
caché le pain, d'une partie de sa fournée.
Nous en avons entendu plusieurs que nous ont attesté le même fait en
étant néanmoins partagés sur la quantité des pains cachés, les uns
disant qu'il n'y en avait qu'une douzaine d'autres, qu'il y en avait
trente ou davantage, quelques uns d'entre eux nous ont montré des
pains qu'ils ont déclaré avoir trouvés, chez lui et qui nous ont paru
cuits de la veille.
Nous avons aussi interrogé le boulanger y qui nous a dit que ces pains
avaient été cachés par ses garçons, sans sa, connaissance ; qu'il avait
toujours cuit une grande quantité de fournées y qu'il était déjà à la
cinquième ce matin ; qu'il en aurait davantage s'il avait eu plus de
bois sec, qu'il avait encore vingt-huit sacs de farine chez lui.
Nous l'avons fait sortir pour délibérer, au même temps sont survenus
plusieurs Bourgeois du district, dont sieur Boucher, Libraire du
Châtelet et un Commissaire du district de Notre-dame, lesquels nous ont
déclaré que ce boulanger était le plus honnête du quartier ; qu'il
avait cuit, presque tous les jours dix fournées, qu'il empruntait même
le four d'un pâtissier, son voisin, pour faire sécher son bois.
On nous a alors annoncé qu'une grande quantité du
Peuple remplissait la place et se portait à l'Hôtel-de-Ville, en criant
que ce boulanger devait être pendu à la Lanterne. M. Guillot de
Blancheville, Président, a engagé les personnes présentes à sortir sur
la place, pour rendre témoignage à l'honnêteté de ce boulanger, et il
nous a proposé de passer dans la grande salle pour pouvoir parler plus
facilement au Peuple.
A peine étions nous
arrivés que le Peuple, monté
dans l'Hôtel-de-Ville, s'est adressé à M. Guillot de Blancheville, qui
a été menacé personnellement de répondre, sur sa tête du Boulanger que
ces gens ne voyaient pas alors ils se sont ensuite jetés sur le
boulanger en poussant les Gardes-Nationales qui nous le conduisaient ;
nous avons voulu calmer le Peuple, et nous, Garran de Coulon et
Dameuve, sommes descendus avec le boulanger qu'on entraînait nous avons
invité les Gardes-Nationales à pied et à cheval de retenir le Peuple en
criant de toutes nos forces. qu'il fallait qu'on jugeât le boulanger
pour savoir s'il était, coupable ; que plusieurs citoyens de son
district lui rendaient le plus, honorable témoignage.
Nous, Garran de Coulon, sommes aussi arrivés aux deux tiers de la
place, quoi qu'on nous repoussât en nous menaçant de la manière la plus
forte, de nous faire subir le même sort, et qu'on nous eut même donné
des coups de poing, tandis que d'autres Citoyens tâchaient de nous
ramener à l'Hôtel-de-Ville, pour nous garantir des menaces et des
mauvais traitements : pendant ce tems-là, le sieur François a été pendu
à la Lanterne ; Nous, Garran de Coulon, sommes remontés à
l’Hôtel-de-Ville, et nous nous sommes tous trois retirés au Bureau des
Passes Ports où nous avons dressé le présent Procès-verbal. »
Signé
par MM. Garran de Coulon, Guillot de Blancheville et Dameuve fils.
|
Source : Relation de l'assassinat commis en la personne du
sieur François - Google.com - libre de droits |
|
|
|
|
|
Journal de M. Adrien Duquesnoy :
Sur la journée du 21 octobre à l'Assemblée nationale
et la pendaison du boulanger Denis François
|
|
0
Note de présentation : M.
Adrien Duquesnoy, député lorrain du Tiers, raconte le récit des
événements survenus à Paris le 21 octobre 1789 et les délibérations du
jour
de la Constituante avec la loi martiale. Il faut rester prudent quant à
la véracité du témoignage, au sujet du meurtre, de son déroulement, il n'y était pas, c'est
ce que l'on a pu lui raconter,
peut-être lire, a lui-même un peu biaisé les faits, et sa mise en cause des habitants du faubourg
Saint-Antoine, mais aussi du faubourg Saint-Marcel est probablement
fausse. Il y a des doutes à avoir, à l'idée que l'on traversait près de la
moitié de Paris pour acheter du pain? Il s'agissait possiblement
d'habitants de son quartier ou de l'île de la Cité, non moins populaire
que les faubourgs du nord-est et sud-est de la capitale. Pour ce qui
est de l'Assemblée, sa synthèse de la journée parlementaire est fiable,
même s'il y apporte ses propres jugements, parfois incisifs, il y était
présent et ses conclusions sont en rapport avec ce qui a pu s'y
dérouler. Il faut remarquer un certain talent à l'auteur pour écrire et
décrire. Il aura d'ici plusieurs mois son propre journal : L'Ami des
Patriotes. Et il a aussi collaboré à certains journaux durant son
mandat jusqu'en septembre 1791.
Note de Lionel Mesnard
|
|
Source : Révolutions de Paris, Gravure : auteur inconnu, imprimerie Prudhomme
Légende : Le nommé François Denis, rue de la Juiverie (actuelle rue de la Cité) fut enlevé
de sa boutique par une foule de séditieux conduit à la Ville, où on l'a
accusé d'avoir chez lui des pains pourris : la fureur du peuple sans
attendre que la justice fut rendue arrache cet innocent de devant ses
juges et des scélérats le pendirent au fatal réverbère.
|
« Le
trouble vient de recommencer ici. Le défaut de subsistances, vrai ou
supposé, en est encore la cause ou le prétexte. Il est certain, au
moins, qu'hier le pain était assez abondant pour que les boulangers le
portassent dans les maisons, et aujourd'hui on ne peut en avoir la
quantité nécessaire.
Quoi qu'il en soit, le peuple du faubourg Saint-Antoine (car c'est
toujours là où commencent les mouvements) s'est porté en foule dans la
maison d'un boulanger ; on assure qu'on a trouvé chez lui 60 ou 80
pains moisis, cachés dans sa cave ; d'autres assurent qu'il n'en avait
qu'une dizaine, très frais, qu'il réservait pour ses pratiques
habituelles ; on l'a saisi, on l'a entraîné à l'Hôtel de ville. Il
paraît que là la commune a donné l'ordre de le mener au Châtelet, mais
que la garde soldée s'y est refusée (ce fait cependant a encore besoin
de confirmation).
Ce qui est très certain, c'est qu'une femme a traîné ce boulanger hors
de la salle de la commune, l'a mené à la lanterne, lui a elle-même
passé la corde au cou, et qu'un homme monté sur le fer l'a hissé ; puis
on lui a froidement coupé la tête, qu'on a lavée, peignée ; on l'a
placée au bout d'une pique, on l'a couverte d'un bonnet de coton, on a
attaché sa veste sous le col, et on l'a, dans cet état, promenée dans
tout Paris. Le peuple voulait même entrer aux Tuileries pour faire voir
cette tête au Roi ; heureusement qu'on a eu le moment de tourner le
pont et d'empêcher de pénétrer.
Il est arrivé au comte Auguste de la Marck un événement affreux ; il
allait dans son carrosse à l'Assemblée, il a été rencontré par ceux qui
portaient cette tête ; ils la lui ont présentée par la portière et lui
ont demandé de l'argent pour ceux qui l'avaient coupée ; il leur a
donné un louis, et ils l'ont laissé continuer sa route. Au moment où on
pendait ce malheureux, on arrêtait quatre autres boulangers, qu'on a
conduits à la ville ; j'ignore leur crime, ou plutôt les accusations
dont on les charge.
L'assemblée s'étant formée, des députés de la commune se sont fait
annoncer ; ils ont rendu compte de ces faits, et ils ont demandé qu'on
pourvût aux subsistances de la ville et qu'on fit une loi contre les
attroupements. Dès qu'ils ont été retirés, M. Barnave a proposé de
décréter qu'on ferait des recherches contre les auteurs des troubles et
qu'on fît sur-le-champ une loi martiale contre les attroupements.
Plusieurs personnes ont parlé sur cette motion. M. Pétion de Villeneuve
a proposé de créer sur-le-champ le tribunal qui doit juger des crimes
de lèse-nation; il s'est fort étendu sur le vice du décret qui attribue
ces fonctions au Châtelet de Paris ; il voulait que ce tribunal fût
tiré du sein même de l'Assemblée (ce qui a été universellement
improuvé).
M. Robespierre a beaucoup parlé d'une conjuration qui existe contre la
liberté publique. « On avait les preuves, il ne faut plus que les
recueillir. » Il s'est fortement élevé contre la loi martiale ; mais,
s'il faut dire ce que je pense du discours de M. Robespierre, il est
fait pour les habitants du faubourg Saint- Antoine, pour leur plaire et
se mettre sous leur protection, et point du tout pour l'Assemblée,
encore moins pour la nation, qu'elle représente. Un membre de la
noblesse a demandé que M. Robespierre fût tenu de remettre à
l'Assemblée les preuves qu'il pouvait avoir de l'existence de la
conjuration dont il parlait, mais ce membre ne faisait pas attention
qu'à la vérité M. Robespierre soutenait avec force qu'il existait une
conjuration, mais qu'il voulait qu'on en recherchât les preuves.
Au milieu d'une foule de détails, de débats, de discussions,
d'amendements, de suppositions contraires, il était impossible de se
reconnaître. Cependant on a tiré de ce chaos un décret, dont voici
toutes les dispositions et à peu près les termes :
« Arrêté que le
comité de constitution se retirera à l'instant pour rédiger un projet
de loi martiale qui puisse être décrété dans le jour ; que le comité
des recherches sera tenu de faire toutes recherches et informations
contre les auteurs des troubles et émotions populaires ; que le comité
de police établi dans l'Hôtel de ville de Paris sera tenu de remettre
au comité des recherches tous les renseignements qu'il a pu ou pourra
se procurer sur cet objet ; que le comité de constitution s'occupera
d'un projet d'organisation du tribunal qui doit juger les crimes de
lèse-nation et qu'il rendra compte de ce projet lundi prochain [26
octobre] ; que provisoirement et jusqu'à ce que ce tribunal soit en
activité, le Châtelet de Paris sera autorisé à juger en dernier ressort
les criminels de lèse-nation ; que les ministres du Roi déclareront
positivement quels sont les moyens et les ressources que l'Assemblée
nationale peut leur fournir pour assurer les subsistances du royaume,
et notamment de la ville de Paris, afin que, l'Assemblée nationale
ayant fait tout ce qui est en son pouvoir, elle puisse compter que les
lois seront exécutées, et que les ministres soient garants de leur
inexécution. »
La dernière partie de ce décret a été proposée par M. de Mirabeau et
rédigée par lui ; il est bien aisé de comprendre qu'elle est relative
aux plaintes que font sans cesse (et sans doute avec fondement) les
ministres du Roi de ce qu'ils sont, par l'anéantissement de la
puissance exécutrice, dans l'impossibilité de faire transporter les
grains d'un lieu du royaume à l'autre.
Ce décret pris, le
comité de constitution s'est séparé ; il a rapporté peu après un projet
de loi martiale ; il a passé avec quelques amendements ; en voici le
précis :
« Dans tous les cas d'attroupements, les officiers municipaux se
transporteront sur le lieu, et demanderont aux personnes assemblées
pourquoi elles se réunissent ; ils leur proposeront de nommer six
d'entre elles pour porter leur pétition, leur demande, aux corps ou aux
magistrats à qui ils ont à faire, et ils ordonneront aux autres de se
retirer paisiblement dans leurs domiciles. En cas de refus de nommer
six personnes ou de se retirer, l'officier municipal dira : La loi
martiale est publiée, les attroupements sont défendus, que les bons
citoyens se retirent ; on va faire feu. Il répétera trois fois cette
déclaration, en annonçant à chaque fois si c'est la première, la
deuxième ou la troisième ; alors on fera feu. Les auteurs de l'émotion
seront punis de mort, etc. »
La loi a passé unanimement, elle paraît sagement rédigée et renfermer
toutes les conditions qu'on peut raisonnablement exiger d'un acte de
cette nature.
Pendant que le comité de constitution s'occupait de la rédaction de
cette loi, la commune a envoyé une nouvelle députation pour en presser
la publication par urgence des circonstances, qui étaient telles
qu'elle ne répondait pas que dans deux heures la loi ne devînt pas
indispensablement nécessaire.
Avant de parler du reste de la séance, il faut jeter un regard sur les
événements d'aujourd'hui, en rechercher les causes et prévoir les
effets qui peuvent en résulter. J'ignore absolument s'il existe, au
sujet des subsistances, des manœuvres telles que quelques personnes se
plaisent à l'annoncer, à l'affirmer très positivement, mais sans en
donner de preuves. J'ai dit dans le numéro précédent ce que je pensais
des causes de la disette qui tourmente Paris. Il est évident que, tant
que cette ville immense n'aura pas sa subsistance assurée pour huit
jours au moins, les insurrections seront à craindre, parce que la
disette pourra les occasionner, les justifier. Rien, il faut en
convenir, n'excuse les cris, les mouvements, les violences du peuple
comme la faim qu'il éprouve.
Certainement, il
est difficile de concevoir comment Paris a pu passer avec cette extrême
rapidité de l'abondance qui y régnait hier à la disette qu'on y éprouve
aujourd'hui. Des gens que je crois instruits assurent qu'il y a du blé
et de la farine en quantité suffisante pour plusieurs jours ; on dit
qu'il en est arrivé hier quelques mille sacs. D'ailleurs, on parle de
farine jetée dans la Seine, de pain trouvé aux filets de Saint-Cloud,
etc. L'esprit ne peut s'arrêter à aucun point ; on va de conjectures en
conjectures, et on ne sait que croire. Il ne me paraît pas douteux, à
moi personnellement, qu'il existe, indépendamment de la disette des
subsistances, indépendamment des causes générales de trouble et de
fermentation, un principe de mouvement dont le foyer se trouve au faubourg Saint-Antoine et au faubourg Saint-Marceau. Quels en sont les moteurs, quelles sont leurs vues? je l'ignore absolument.
On en accuse tantôt M. le duc d'Orléans, tantôt le comte de Mirabeau,
un jour les Anglais, un autre le parlement, celui-ci les aristocrates,
celui-là les démagogues. Tous peut-être ont tort, tous peut-être ont
raison, et plusieurs personnes concourent peut-être à produire un
mouvement semblable dont elles espèrent un effet différent. Quant aux
suites, elles me paraissent beaucoup moins immédiatement dangereuses
que plusieurs personnes le croient.
On se persuade trop communément que ce désordre n'aura pas de terme,
qu'il ne s'arrêtera pas. Il n'est que trop vrai que ceci devient la
guerre de ceux qui n'ont pas à dîner contre ceux qui en ont, la guerre
des non-propriétaires contre les propriétaires. Sans doute, s'il
existait entre les premiers une partie bien liée, un projet bien
combiné, il serait impossible aux derniers de leur résister, mais cette
circonstance heureusement n'est pas possible.
Quelles seront donc les suites de l'état actuel des choses? bonnes, si
la loi martiale s'exécute, si la garde nationale fait feu sur le peuple
attroupé ; - affreuses, si la garde refuse le service. Voilà ce dont il
n'est pas permis de douter, et il semble que voilà à quoi se réduit la
question. La garde nationale tirera-t-elle sur les attroupements
lorsqu'elle en recevra l'ordre? Dans l'état terrible de tension où sont
les ressorts, il faut un coup violent pour rétablir l'ordre. Il faut
une explosion marquée, il faut qu'il périsse plusieurs des personnes
qui s'attroupent, ou que le peuple écrase la garde nationale et
l'Assemblée, rompe tous les freins, renverse tout, pour que l'ordre
sorte à la longue du chaos profond où une telle convulsion
précipiterait la France ; et malheureusement cet ordre ne serait que le
sommeil de la mort, celui du despotisme. Il n'est pas très sûr, au
reste, que la garde nationale soldée se détermine à tirer sur le
peuple, et peut-être prendrait-elle le parti opposé ; on conçoit à cet
égard quelques inquiétudes, et elles ne sont pas tout à fait sans
fondement. Il est impossible que l'occasion ne se présente pas bientôt
de lever les doutes à cet égard.
Je sais bien qu'il est à ce mal deux remèdes très puissants, tous deux
dangereux, mais dans des proportions différentes. Si le comte de
Mirabeau n'entre pas dans le ministère, il est à craindre qu'il ne se
serve de ses sectateurs, de ses moyens immenses, pour s'y faire
appeler. Il faudrait peut-être braver rapidement toutes les
considérations qui semblent l'en éloigner, l'y introduire et lui
laisser le soin de sauver l'État. Je crois fermement qu'alors, s'il y
avait un danger, ce serait celui de lui voir donner trop
d'accroissement à la puissance royale, et employer à l'établissement du
despotisme toutes les ressources dont il a fait usage pour l'anéantir.
Le second remède est la destruction des districts ; mais cette
opération est très peu facile. Ils sont le foyer d'où partent tous les
incendies qui consument Paris ; ils sont si bizarrement composés, ils
ont des prétentions si diverses et si opposées!
60 villes entre elles s'entendraient mieux que les 60 districts de Paris.
Cette destruction ne peut être l'ouvrage que de l'Assemblée nationale,
mais osera-t-elle l'entreprendre? j'en doute, elle est d'une faiblesse,
d'une lâcheté désolante ; elle est, elle devient essentiellement
mauvaise, l'Assemblée! J'en ai pour preuve le choix des membres qui
composent aujourd'hui le comité des recherches, tous connus par leur
caractère violent, leurs principes exagérés ; il est étonnant que l'on
manque de courage au point de ne point donner sa voix en secret à
l'homme qu'on estime, et qu'on lui préfère celui qu'on craint, qu'on
hait et qu'on méprise.
Le décret rendu par
l'Assemblée présente plusieurs dispositions très importantes, mais
celles qui méritent le plus d'attention sont l'annonce d'un tribunal
chargé de juger les crimes de haute félonie, et l'attribution
provisoire au Châtelet de Paris du jugement en dernier ressort. Il est
certain qu'on ne peut se dispenser de créer, d'organiser ce tribunal,
qui devient indispensablement nécessaire. Ou, comme je le crois, la
conspiration dont on parle n'existe pas, ou elle existe. Au premier
cas, il faut le prouver clairement au peuple et aux gens qui se font de
cette chimère un épouvantail à chanvrière pour porter la terreur dans
les esprits faibles ; il faut de plus disculper évidemment beaucoup de
bons, d'honnêtes citoyens, injustement soupçonnés et compromis, et leur
rendre un repos qu'ils n'auraient pas dû perdre.
Si la conspiration
existe, il est évident qu'il faut en punir les auteurs. Mais il est des
crimes bien importants à punir, ce sont ceux des scélérats qui se
servent du peuple comme d'un misérable jouet et qui en font
l'instrument de leur ambition personnelle. Pauvre peuple ! il ne sait
guère par qui il est conduit, ni pourquoi il agit; jouet éternel des
passions des riches et des grands, il croit qu'ils s'occupent de son
bonheur, tandis qu'ils ne pensent qu'à eux! L'attribution au Châtelet a
aussi quelques dangers, si elle doit durer longtemps ; le peuple n'a
plus une grande confiance dans ce tribunal, il prétend que les
criminels entrent par une porte et sortent par l'autre, c'est pour cela
qu'il veut les pendre lui-même ; mais cette attribution ne sera pas de
durée.
Le garde des sceaux
n'a pas attendu qu'on lui lit part officiellement du décret qui ordonne
qu'il sera mandé. Il est venu lui-même à l'Assemblée, et son discours,
fait avec beaucoup d'adresse, est à peu près tel que je l'avais prévu.
Cependant, en général, on est loin d'en être content, on l'improuve.
Les gens à caractère ferme voudraient qu'il eût dit à l'Assemblée que
les ministres du Roi sont responsables et non mandables, et qu'il ne
fût pas venu ; mais il aurait fallu alors que tous les ministres
vinssent avec lui et donnassent sur-le-champ leur démission, tous
ensemble. Mais ils ne l'ont pas fait, ils n'ont pas osé, quoiqu'on leur
ait conseillé; ils n'ont point de caractère.
On assure que le comte de la Tour du Pin se retire. Les concurrents
qu'on met à sa place sont MM. de Liancourt et de Montesquiou.
Chaque jour apprend de nouvelles anecdotes sur le voyage du Roi à Paris
; elles sont encore précieuses à recueillir. On m'assure positivement
qu'il a été longtemps délibéré si Sa Majesté ne se mettrait pas au
milieu de 400 gardes du corps et ne se sauverait pas ainsi partout où
il le pourrait, la Reine avec lui. On ajoute que les voitures étaient
prêtes, mais que la garde nationale de Versailles les a empêchées de
partir. On prétend que c'est la Reine seule qui a fait renoncer au
projet de partir à cheval. Lorsque M. de la Fayette est entré chez le
Roi, elle lui a demandé s'il y avait sûreté pour elle à Paris. Il a
gardé le silence ; elle a répété trois fois cette question ; à chaque
fois point de réponse. « Je vous entends, il faut que j'y aille ; je ne
dois pas quitter le Roi. »
On sait que le château de Versailles est disposé de manière que le Roi
peut descendre par deux escaliers pour monter en voiture. Ordinairement
la Reine donnait l'ordre et indiquait l'escalier qu'elle voulait. On
s'attendait qu'elle choisirait le grand escalier, et l'on avait amené
au pied le corps d'un de ses gardes; cet escalier était teint de sang.
Lorsque M. de la Briche a été lui demander l'ordre, elle a répondu
qu'elle n'en avait plus à lui donner ; elle l'a renvoyé au Roi, qui,
par bonheur, a choisi le petit escalier. La Reine sent toute l'étendue
des services que lui a rendus M. de la Fayette : sans lui elle
n'existerait plus.
On frissonne
d'horreur quand on lit dans les papiers publics qui racontent
l'insurrection de lundi [5 octobre] : « Il y a six gardes du corps tués
; pas un citoyen n'a péri. »
|
Source : Gallica-Bnf, Journal d'Adrien Duquesnoy
Tome I, pages 457 à 466 - du 3 mai 1789 au 3 avril 1790. Publié en 1898. |
|
|
|
|
Les mémoires du commandant-général
Gilbert de Lafayette au sujet du 21 octobre ?
Gravure de La Fayette par René Duchemin
«
Lorsque, après les événements du 6 octobre, le roi vint s'établir avec
sa famille dans la capitale, il fut suivi bientôt après par l'Assemblée
nationale, pour laquelle on disposa une salle à l'Archevêché, en
attendant que celle du Manège fût prête à la recevoir. C'est
là que le 19 octobre, anniversaire de la capitulation de Cornwallis à
Yorktown (1781), le maire et le commandant-général, avec une députation
de la commune se présentèrent à la barre de l'Assemblée pour lui offrir
leurs respects.
Les journaux du temps rendent compte des applaudissements qui les
accueillirent, du discours de M. Fréteau, président de l'Assemblée, et
des flatteuses expressions dont furent honorés, au nom des
représentants de la nation, les deux chefs civils et militaires de la
capitale. « M. de Mirabeau, dit le Journal de Paris,
ne prévint pas, mais exprima les voeux de l'assemblée ; il n'y eut
point de délibération sur un tel sujet, mais des acclamations ; à peine
on a pu entendre les remerciements par lesquels le maire et le
commandant de la milice nationale ont répondu aux remerciements de leur
patrie. »
Bailly et Lafayette reportèrent à la commune et à la garde nationale les éloges qu'ils recevaient de l'Assemblée. Nous donnons ici le discours de Mirabeau
parce qu'il peint éloquemment la situation des chefs populaires dans
ces grandes circonstances, et le droit qu'ils ont à l'appui des vrais
amis de la liberté.
« Messieurs, la
première de nos séances dans la capitale n'est-elle point la plus
convenable que nous puissions choisir pour remplir une obligation de
justice, et je puis ajouter, un devoir de sentiment?
Deux
de nos collègues, vous le savez, ont été appelés par la voix publique à
occuper les deux premiers emplois de Paris, l'un dans le civil, l'autre
dans le militaire. Je hais le ton des éloges, et j'espère que nous
approchons du temps où l'on ne louera plus que par le simple exposé des
faits. Ici les faits vous sont connus. Vous savez dans quelle
situation, au milieu de quelles difficultés vraiment impossibles à
décrire, se sont trouvés ces vertueux citoyens. La prudence ne permet
pas de dévoiler toutes les circonstances délicates, toutes les crises
périlleuses, tous les dangers personnels, toutes les menaces, toutes
les peines de leur position dans une ville de sept cent mille
habitants, tenus en fermentation continuelle à la suite d'une
révolution qui a bouleversé tous les anciens rapports ; dans un temps
de troubles et de terreurs, où des mains invisibles faisaient
disparaître l'abondance, et combattaient secrètement tous les soins,
tous les efforts des chefs pour nourrir l'immensité de ce peuple,
obligé de conquérir, à force de patience, le morceau de pain qu'il
avait déjà gagné par ses sueurs.
Quelle administration! quelle époque où il faut tout craindre et tout
braver ; où le tumulte renaît du tumulte ; où l'on produit une émeute
par les moyens qu'on prend pour la prévenir ; où il faut, sans cesse,
de la mesure, et où la mesure paraît équivoque, timide, pusillanime ;
où il faut déployer beaucoup de force, et où la force paraît tyrannie ;
où l'on est assiégé de mille conseils, et où il faut les prendre de
soi-même ; où l'on est obligé de redouter jusqu'à des citoyens dont les
intentions sont pures, mais que la défiance, l'inquiétude,
l'exagération rendent presque aussi redoutables que des conspirateurs ;
où l'on est réduit, même dans les occasions difficiles, à céder par
sagesse, à conduire le désordre pour le retenir, à se charger d'un
emploi glorieux, il est vrai, mais environné d'alarmes cruelles ; où il
faut encore, au milieu de si grandes difficultés, déployer un front
serein, être toujours calme, mettre de l'ordre jusque dans les plus
petits objets, et n'offenser personne, guérir toutes les jalousies,
servir sans cesse et chercher à plaire comme si l'on ne servait point!
Je vous propose, Messieurs, de voter des remerciements à ces deux
citoyens, pour l'étendue de leurs travaux et leur infatigable
vigilance. On pourrait dire, il est vrai, que c'est un honneur
réversible à nous-mêmes, puisque ces citoyens sont nos collègues. Mais
ne cherchons point à le dissimuler, nous sentirons un noble orgueil, si
l'on cherche parmi nous les défenseurs de la patrie et les appuis de la
liberté, si l'on récompense notre zèle en nous donnant la noble
préférence des postes les plus périlleux, des travaux et des sacrifices.
Ne
craignons donc point de marquer notre reconnaissance à nos collègues,
et donnons cet exemple à un certain nombre d'hommes qui, imbus de
notions faussement républicaines, deviennent jaloux de l'autorité au
moment même où ils l'ont confiée, et lorsqu'à un terme fixé, ils
peuvent la reprendre ; qui ne se rassurent jamais, ni par les
précautions des lois, ni par les vertus des individus ; qui s'effraient
sans cesse des fantômes de leur imagination, qui ne savent pas qu'on
s'honore soi-même en respectant les chefs qu'on a choisis ; qui ne se
doutent pas assez que le zèle de la liberté ne doit point ressembler à
la jalousie des places et des personnes ; qui accueillent trop aisément
tous les faux bruits, toutes les calomnies, tous les reproches. Et
voilà cependant comment l'autorité la plus légitime est énervée,
dégradée, avilie ; comment l'exécution des lois rencontre mille
obstacles ; comment la défiance répand partout ses poisons ; comment,
au lieu de présenter une société de citoyens qui élèvent ensemble
l'édifice de la liberté, on ne ressemblerait plus qu'à des esclaves
mutins qui viennent de rompre leurs fers et qui s'en servent pour se
battre et se déchirer mutuellement.
Je crois donc, Messieurs, que le sentiment d'équité qui nous porte à
voter des remerciements à nos deux collègues est encore une invitation
indirecte, mais efficace, une recommandation puissante à tous les bons
citoyens de s'unir à nous pour faire respecter l'autorité légitime,
pour la maintenir contre les clameurs de l'ignorance, de l'ingratitude
ou de la sédition, pour faciliter les travaux des chefs, leur
inspection nécessaire, l'obéissance aux lois, la règle, la discipline,
la modération, toutes ces vertus de la liberté. Je pense enfin que cet
acte de remerciaient prouvera aux habitants de la capitale que nous
savons, dans les magistrats qu'ils ont élus, honorer leur ouvrage, et
les respecter dans leur choix. Nous unirons, dans ces remerciements,
les braves milices, dont l'intrépide patriotisme a dompté le despotisme
ministériel ; les représentants de la commune et les comités des
districts, dont les travaux civiques ont rendu tant de services
vraiment nationaux. »
Le 21 octobre, le
maire et une députation de la commune annoncèrent à l'Assemblée
nationale qu'un boulanger venait d'être assassiné par une émeute
populaire, et demandèrent le prompt achèvement de la loi martiale.
Pendant ce mouvement excité contre le boulanger François, il s'en
déclarait un autre au faubourg Saint-Antoine, dont l'objet était de se
réunir au faubourg Saint-Marceau pour réduire le prix du pain, et pour
s'introduire dans les couvents sous prétexte d'y prendre des fusils.
La garde nationale, en dissipant ces séditions, arrêta l'assassin du
boulanger et le principal instigateur du faubourg. Tous deux furent
jugés et pendus le lendemain. L'assemblée des représentants de la
commune prit un nouvel arrêté contre les trames et complots qui
s'opposaient au rétablissement de l'ordre public ; l'assemblée
nationale décréta la loi martiale. La crainte d'une plus grande
fermentation fut telle qu'on renouvela l'injonction aux habitants de
Paris d'illuminer jusqu'à nouvel ordre les portes et le premier étage ;
mais le dévouement des soldats citoyens réprima ces éléments de
sédition.
On voit par un discours du commandant-général, adressé aux officiers de
la garde nationale réunis chez lui, qu'il ne cherchait pas à se
populariser par des flatteries, et on y trouve l'origine des compagnies
de grenadiers et chasseurs, se dévouant eux-mêmes à un service de tous
les jours, de toutes les heures, qui ne pouvait pas s'allier avec les
occupations de la plus grande partie de la garde nationale, quoique
pourtant celle-ci ait fait, pendant les premières années de la
révolution, d'admirables sacrifices de son temps et de ses intérêts
pécuniaires.
« Nous sommes perdus,
disait-il à cette réunion d'officiers, si le service continue de se
faire avec une aussi grande inexactitude. Nous sommes les seuls soldats
de la révolution; nous devons seuls défendre de toute atteinte la
famille royale; nous devons seuls établir la liberté des représentants
de la nation ; nous sommes les seuls gardiens du trésor public. La
France, l'Europe entière ont les yeux fixés sur les Parisiens. Un
mouvement dans Paris, une atteinte portée par notre négligence à ces
corps sacrés, peuvent nous déshonorer à jamais, et nous combler de la
haine des provinces. Je vous demande donc, Messieurs, au nom de la
patrie, que vos troupes citoyennes se lient plus solennellement que
jamais à moi, par le serment de sacrifier jusqu'à leurs intérêts
personnels à un service exact et assidu, si nécessaire dans les
circonstances actuelles.
Proposez à vos bataillons ce nouveau serment, que je vous prie de ne
leur faire prononcer qu'avec la plus grande réflexion. S'il n'est pas
possible que la totalité s'y engage, faites en sorte de former, par
bataillon, une compagnie de grenadiers et une de chasseurs ; mais que
ce petit nombre de soldats de la constitution jure, en se formant, de
sacrifier tout pendant quatre mois ; d'être sur pied tous les jours, à
toutes les heures, si le bien public l'exige. Je préférerai un petit
nombre d'hommes dont, à tous les instants, je pourrai m'environner, à
un grand nombre qu'il me serait impossible de rassembler.
Je vous prie d'observer néanmoins, Messieurs, que je ne prescris rien.
Je laisse tout à votre prudence, et je vous prie de me faire connaître,
sous trois ou quatre jours, le résultat de vos délibérations
respectives, afin que, d'après elles, je puisse prendre un parti.
Réfléchissez, Messieurs, sur notre situation réellement alarmante par
l'inexactitude du service dont j'accuse avec peine nombre de soldats
citoyens.
Ma tête ne tient à
rien ; mais je jure de défendre la constitution française à laquelle
nous travaillons, et je tiendrai plus à mon serment qu'à ma vie. »
Source : Gallica-Bnf, Mémoires, correspondance et manuscrits
du général La Fayette publiés par sa famille, tome II, pages 372 à 377
|
|
|
|
0
La loi martiale à l’Assemblée
nationale

Assemblée constituante - sise Salle
du Manège (mais pas avant le 9 du mois de novembre)
|
L'Assemblée
nationale doit veiller à la sûreté de tous les citoyens ;
c'est par les attroupements qu'elle est le plus compromise. Je propose
de rendre une loi martiale, pour les éviter. Je demande l'ajournement
de ma motion à lundi, parce que je reconnais la nécessité de suivre
l'ordre du jour. Je m'étonne qu'on attache aux libelles la plus légère
importance ; la calomnie retombe sur celui qui la fait, l'honnête homme
ne la craint jamais. (M. de Custine, Assemblée nationale du 10
octobre)
Les débats du 21 octobre se sont déroulés dans la chapelle au sein
du Palais de l'Evêché de Paris, sur l'île de la cité, qui a disparu en 1830.
Compte-rendu de la séance du 21 octobre :
« Après la lecture desdites adresses, plusieurs députés des
représentants de la commune de Paris, qui s'étaient déjà fait
annoncer ont été introduits. L'un d'eux a pris la parole, et a fait part
à l'Assemblée d'un grand malheur arrivé à l'occasion d'un nommé
François, boulanger, rue du Marché-Palu, district de Notre-dame, qui a
été amené devant eux sur les huit heures et demie du matin, par
plusieurs femmes et hommes qui l'accusaient d'avoir caché dans sa
boutique plusieurs pains. Il a également fait part à l'Assemblée du
contenu en l'interrogatoire qu'ils avaient fait subir à ce boulanger,
des bons témoignages que plusieurs bourgeois du district s'étaient
empressés de rendre sur son compte, des sages précautions qu'ils
avaient prises pour calmer le peuple qui se portait en foule sur la
place de Grève, et qui demandait à grands cris que ce boulanger fût
pendu, des violences et excès commis par le peuple sur plusieurs
membres du comité de la police.
Il a ajouté enfin que, malgré les
précautions prises, les bons témoignages en faveur de l'accusé et son
innocence, le peuple avait forcé les gardes nationales, enlevé et pendu
ledit François, boulanger; que ce même peuple paraissait disposé à
enlever et à pendre aussi deux autres boulangers détenus dans les
prisons du Châtelet, et qu'il était instant que l'Assemblée nationale
s'occupât des moyens les plus propres à assurer les subsistances
nécessaires à la capitale et au royaume, et à décréter dès à présent,
et sans se déplacer, une loi contre les attroupements, en observant à
l'Assemblée que sans cette loi il n'était plus au pouvoir de la commune
et de la garde nationale de Paris de contenir les attroupements qui
devenaient tous les jours plus alarmants. La députation s'est retirée
après avoir déposé sur le bureau un extrait en due forme du
procès-verbal qui avait été dressé à l'occasion de ce malheureux
événement, tous les districts et à la garde nationale d'employer tous
leurs moyens et toutes leurs forces pour saisir les premiers fauteurs
de ce délit, et de rédiger une loi martiale qui serait aujourd'hui même
portée à la sanction.
M.
Barnave. J'observe que l'Assemblée s'éloignerait du terme de ses
pouvoirs si elle faisait l'arrêté demandé par le préopinant. En se
rappelant le fait énoncé du malheureux boulanger, ilparaît certain que
la crise actuelle ne provient pas d'une disette
effective, et que la cause qui a produite doit être sévèrement
recherchée. Il serait peut-être à propos que l'Assemblée ordonnât au
comité des recherches de se concerter avec le comité de police de la
commune pour découvrir les manœuvres coupables qui occasionnent ces
mouvements. L'Assemblée ne peut non plus se refuser à rendre une loi
martiale, qui serait exécutée dans tout le royaume. |
|
 |
Divers membres réclament la priorité, les uns pour le projet présenté
par M. le comte de Mirabeau, les autres pour celui de M. Target.
L'Assemblée décide que les deux motions seront réunies
et qu'elles
auront la priorité sur les autres. En conséquence, il est décrété :
1° Que le comité de Constitution se réunira sur-le-champ pour s'occuper
de la rédaction d'un projet de loi contra les attroupements, qui puisse
être décrété ce jour même, et présenté incontinent à la sanction royale ;
2° qu'il sera enjoint au comité des recherches de faire toutes
recherches et informations nécessaires pour découvrir les auteurs des
troubles et manœuvres qui peuvent avoir lieu contre la tranquillité publique et le salut de l'Etat ;
3° qu'il sera pareillement enjoint au comité de police établi à
l'hôtel-de-Ville de Paris, de fournir au comité des recherches tous les
renseignements qui pourront lui être parvenus ou lui parvenir sur cet objet ;
4° que le comité de Constitution proposera lundi prochain à l'Assemblée
un plan pour rétablissement d'un tribunal chargé de juger les crimes de
lèse-nation, et que provisoirement et jusqu'à ce que ce tribunal ait
été établi par l'Assemblée nationale, le Châtelet de Paris est autorisé
à juger en dernier ressort les prévenus et accusés de crimes de
lèse-nation, et que le présent décret qui lui donne cette commission
sera aussi présenté à la sanction royale ;
5° que les ministres du Roi déclareront positivement quels sont les
moyens et les ressources crue l'Assemblée nationale peut leur fournir
pour les mettre en état d'assurer les subsistances du royaume et
notamment de la capitale, afin que l'Assemblée nationale ayant fait
tout ce qui est à sa disposition sur ce sujet, puisse compter que les
lois seront exécutées, ou rendre les ministres et autres agents de
l'autorité garants de leur inexécution.
Une nouvelle députation de la commune de Paris est introduite à la
barre et demande qu'il plaise à l'Assemblée de hâter la rédaction de la
loi qu'elle a sollicitée contre les attroupements, en ajoutant qu'il
avait été reconnu qu'une accélération de deux heures pouvait être très
utile eu égard aux circonstances. Cette nouvelle députation remet sur le bureau
une délibération des représentants de la commune de Paris, conçue en
ces termes :
« L'assemblée générale des représentants de la commune de Paris,
délibérant sur la nécessité de s'opposer aux émeutes et attroupements
dont elle est instruite et d’empêcher l’effet des moyens que les
ennemis du bien public emploient pour troubler l’ordre et la
tranquillité de la capitale, a arrêté que le marquis De Saiseval,
Molieur, d’Aval, Lefèvre et Anson se transporteraient sur le champ à
l’AN, pour le supplier de vouloir bien à l’instant porter la loi contre
les attroupements ».
Signé Bailly
(Maire) – Blondel (Président) – Vigée, secrétaire.
M. Champion de Cicé, Garde des sceaux du roi et
archevêque de Bordeaux intervient à son tour .
Messieurs, je viens vous offrir les éclaircissements que vous pouvez
désirer, et qui sont relatifs aux fonctions qui m'ont été confiées par
le roi. Devenu dépositaire du sceau de la loi, sans avoir cessé d'être
membre de cette Assemblée, ma première parole a été pour professer
hautement la responsabilité des ministres ; et je verrai toujours avec
satisfaction qu'il me soit permis de' faire connaître les principes et
les actes de mon administration, non seulement à l'Assemblée nationale,
mais même à chacun de ses membres. Si, malgré mon extrême attention à
me conformer à vos décrets, il m'échappait quelque erreur, elle serait
involontaire, et je m'empresserais de la rétracter.
Les
éclaircissements que vous attendez de moi, Messieurs, ont pour
objet divers décrets de cette Assemblée, ou plutôt la manière dont ils
ont été sanctionnés ou publiés. Et d'abord je prendrai la liberté de
vous observer que les conditions désormais nécessaires pour constituer
une loi, et pour la rendre exécutoire, n'ont été déterminées par vous
que dans les articles de Constitution que vous avez décrétés, et que le
Roi a accepté purement et simplement à Versailles, le lundi 5 octobre.
C'est depuis cette époque, et d'après les dispositions décrétées par
vous, que les ministres du Roi ont pu connaître la loi à laquelle ils
étaient soumis. Depuis cette époque, vous n'avez présenté à la sanction
du Roi que les décrets des 8 et 9 octobre, portant réformation de
quelques points de la jurisprudence criminelle. J'ai pris aussitôt les
ordres du Roi; et en conséquence des lettres patentes, portant sanction
de ce décret, ont dû être adressées à tous les tribunaux du royaume. Je
dis que ces lettres patentes ont dû être adressées aux tribunaux, parce
que l'envoi aux tribunaux, et la publication quelconque des loiscn'est
pas une fonction de mon office, mais de MM. les secrétaires d'Etat.
Mais, vous le savez, mon zèle n'a rien négligé pour qu'une loi aussi
intéressante reçût partout une prompte et facile exécution. (…)
Il vous l’a accordée purement et simplement ainsi que vous
l'avez désiré; et c'est tout ce qu'il nous était possible de proposer à
Sa Majesté, puisque votre demande était bornée à cette acceptation. Le
décret sur la gabelle a été sanction purement et simplement et dans son
entier; mais le premier ministre des finances a cru devoir proposer d'y
annexer un règlement dont l'objet est de prescrire les moyens
d'exécution de votre décret. Par exemple, il fallait bien, après avoir
ordonné que le sel serait désormais débité au poids et non à là mesure,
déterminer le temps indispensable pour garnir les greniers des
ustensiles nécessaires à la pesée, et fixer l'époque où le sel devra
être débité au poids.
C'est ainsi que dans le même règlement, le Roi se
réserve de faire incessamment les dispositions convenables pour la
suppression des commissions de Valence, Saumur et Reims. Cette
suppression devait être opérée par des lettres patentes adressées aux
cours des aides, et c'est ce qui a été exécuté. Je crois, Messieurs, vous avoir donné les éclaircissements que vous
attendiez de moi, et surtout vous avoir prouvé de plus en plus la
pureté des sentiments des ministres du Roi.
Vous l'avez proclamé le
restaurateur de la liberté française à l'instant même où vous daigniez
le remercier du choix de ses nouveaux conseils. Il le sera, n'en doutez
pas, Messieurs, pourvu qu'il ne rencontre pas après nous des ministres
qui osent à la fois tromper le meilleur des rois, et ne pas respecter
les droits sacrés des peuples.
M. le Président. L'Assemblée nationale prendra en considération les éclaircissements que vous venez de
lui soumettre. M. le Garde des sceaux se retire
(ci-contre)
|
|
 |
M. Target, membre du comité de
Constitution, fait lecture du projet de
loi contre les attroupements, tel qu'il vient d'être rédigé par le
comité.
M. de la Galissonnière propose de mander tous les
ministres pour leur ordonner d'empêcher, par les mesures les plus efficaces, les accaparements dans les
provinces, les exportations, et de favoriser la circulation intérieure.
Il pense qu'il faut aussi mander MM. Bailly et de Lafayette, et leur
enjoindre de se servir de tous leurs moyens pour réprimer les désordres
de la capitale.
M. Ricard de Séalt. La loi martiale demandée ne
sera pas suffisante; les gens puissants trouveront moyen d'y échapper. Saisissez ce moment pour créer un
tribunal qui jugera les crimes de lèse-nation ; mais il faut qu'il soit
nouveau pour inspirer le respect nécessaire à la tranquillité de ses
fonctions, qu'il soit pris dans votre sein, et composé d'un membre de
chaque généralité; il aura un président, deux procureurs généraux ;
jugera en dernier ressort, et ses arrêts seront signés par le Roi.
M. Glezen. La motion de M. Barnave est susceptible
d'un amendement. Il faut dire qu'il est enjoint au comité de police de se concerter avec le comité des
recherches, et non au comité des recherches de se concerter avec le
comité de police.
M. Pétion de Villeneuve. Quelque affligés que nous soyons de
l'état de
la capitale, nous devons l'être aussi de notre position. On nous engage
à veiller aux subsistances de Paris; nos seuls moyens consistent à
rendre les décrets nécessaires. On a rendu le comité de subsistances
inutile ; nos décrets n'ont pas été exécutés. Il serait dangereux que
le peuple crût que nous pouvons exercer une surveillance qui est hors
de nos fonctions ; bientôt il nous rendrait responsables des événements.
Faisons-lui connaître que nous avons rendu les décrets qui dépendaient
de nous, et que c'est au pouvoir exécutif de veiller à leur exécution.
J'adopte la motion de M. Barnave amendée par M. Glezen.
M.
Buzot. Il ne suffit pas d'effrayer le peuple par des lois sévères,
il faut encore le calmer. Créons le tribunal demandé ; annonçons
qu'ainsi que ses ennemis, des citoyens seront punis. Des promesses
vaines aigrissent le peuple ; la loi martiale seule pourrait exciter une
sédition. Ce tribunal augmentera nos forces et le zèle des bons
Français à nous offrir lis renseignements nécessaires à leur vengeance.
Je demande que le comité de Constitution présente lundi un projet sur
la formation de ce tribunal. |
|
 |
M. Duport propose, afin d'allier la tranquillité avec la liberté,
et de
prévenir la nécessité de ces mesures terribles, d'ajouter un autre
article qu'il rédige ainsi : « Au premier attroupement apparent il
sera, par les officiers municipaux, demandé aux personnes attroupées la
cause de leur réunion et le grief dont elles demandent le redressement;
elles seront autorisées à nommer six personnes pour exposer leur
réclamation et présenter leur pétition. Après cette nomination, les
personnes attroupées seront tenues de se séparer sur-le-champ, et de se
retirer paisiblement. »
M. Robespierre. Ne
serait-il donc question dans cette discussion que
d'un fait isolé, que d'une seule loi?.... Si nous n'embrassons pas à la
fois toutes les mesures, c'en est fait de la liberté ; les députés de la
commune vous ont fait un récit affligeant ; ils ont demandé du pain et
des soldats. Ceux qui ont suivi la Révolution ont prévu le point où
vous êtes : ils ont prévu que les subsistances manqueraient; qu'on vous
montrerait au peuple comme sa seule ressource : ils ont prévu que des
situations terribles engageraient à vous demander des mesures
violentes, afin d'immoler à la fois, et vous et la liberté. On demande
du pain et des soldats, c'est dire : le peuple attroupé veut du pain ;
donnez-nous des soldats pour immoler le peuple. On vous dit que les
soldats refusent de marcher... eh! peuvent-ils se jeter sur un peuple
malheureux dont ils partagent le malheur? Ce ne sont donc pas des
mesures violentes qu'il faut prendre, mais des décrets sages, pour
découvrir la source de nos maux, pour déconcerter la conspiration
qui
peut-être dans le moment où je parle ne nous laisse plus d'autres
ressources qu'un dévouement illustre. Il faut nommer un tribunal
vraiment national. Nous sommes tombés dans une grande erreur, en croyant que les
représentants de la nation ne peuvent juger les crimes commis envers la nation. Ces crimes, au
contraire, ne peuvent être jugés que par la nation, ou par ses
représentants, ou par des membres pris dans votre sein. Qu'on ne parle
pas de Constitution quand tout se réunit pour l'écraser dans son
berceau. Des mandements incendiaires sont publiés, les provinces
s'agitent les gouverneurs favorisent l'exportation sur les
frontières... Il faut entendre le comité des rapports ; il faut entendre
le comité des recherches, découvrir la conspiration, étouffer la
conspiration... Alors nous ferons une Constitution digne de nous et de
la nation qui l'attend.
M. de Cazalès. Je demande que le préopinant donne
les notions qu'il a
sur la Constitution; sinon il est criminel envers le public et
l'Assemblée.
M. le comte de Mirabeau. On demande une loi
martiale et un tribunal. Ces deux choses sont nécessaires; mais
sont-elles les premières déterminations à prendre? Je
ne sais rien de plus effrayant que des motions occasionnées par la
disette; tout se tait et tout doit se taire, tout succombe et doit
succomber contre un peuple qui a faim ; que serait alors une loi
martiale, si le peuple attroupé s'écrie : Il n'y a pas de pain chez le
boulanger? Quel monstre lui répondra par des coups de fusil? Un
tribunal national connaîtrait sans doute de l'état du moment et des
délits qui l'ont occasionné ; mais il n'existe pas; mais il faut du
temps pour l'établir; mais le glaive irrésistible de la nécessité est
prêt à fondre sur vos têtes. La première mesure n'est donc, ni une loi
martiale, ni un tribunal. J'en connais une. Le pouvoir exécutif se
prévaut de sa propre annihilation ; demandons-lui qu'il dise de la
manière la plus déterminée quels moyens, quelles ressources il lui faut
pour assurer les subsistances de la capitale ; donnons-lui ces moyens,
et qu'à l'instant il en soit responsable.
M.
Duport (ci-contre). Le tribunal ne peut être composé de membres de cette
Assemblée; vous l'avez décidé, vous ne pouvez le former à demeure que
quand vous aurez créé tous les tribunaux. Chargez provisoirement le
Châtelet de juger les crimes de lèse-nation, avec les adjoints qui lui
ont été donnés. Ce tribunal a déjà toute la dignité de la vertu, toute
la force que donne la confiance du peuple. La loi martiale, publiée
dans les provinces, influera sur les subsistances. Faites sanctionner
ce soir et celte loi et l'attribution au Châtelet.
|
|
 |
M. le duc de la Rochefoucauld. J'adopte la loi martiale et la
proposition de M. de Mirabeau. Je ne pense pas que les crimes de
lèse-nation puissent être jugés par le Châtelet, à raison de son
organisation. Le comité de Constitution rendra compte incessamment de
son travail sur le tribunal demandé.
M. Milscent. Avant de venger le peuple, il faut le (aire
subsister.
Mandez tous les ministres pour qu'ils rendent compte de ce qu'ils ont
fait pour prévenir la détresse de la capitale.
M. le Président. Voici, Messieurs, un fait relatif à
l'opinion de M.
Milscent. Informé des inquiétudes de tous les citoyens, je me suis
rendu chez M. Necker, et j'ai appris que le comité de police des
représentants de la commune avait cessé toute communication avec le
ministère. »
|
- M. le Président met aux voix les articles

- Gravure - Ca ne durera
pas toujours
Voici le texte adopté : « L'Assemblée nationale, considérant que la
liberté affermit les empires, mais que la licence les détruit; que,
loin d'être le droit de tout faire, la liberté n'existe que par
l'obéissance aux lois; que si, dans les temps calmes, cette
obéissance
est suffisamment assurée par l'autorité publique ordinaire, il peut
survenir des époques difficiles, où les peuples, agités par des causes
souvent criminelles, deviennent l'instrument d'intrigues qu'ils
ignorent ; que ces temps de crise nécessitent momentanément des moyens
extraordinaires pour maintenir la tranquillité publique et conserver
les droits de tous, a décrété la présente loi martiale.
Art. 1er. Dans le cas où la tranquillité publique sera en péril, les
officiers municipaux des lieux seront tenus, en vertu du pouvoir qu'ils
ont reçu de la commune, de déclarer que la force militaire doit être
déployée à l'instant, pour rétablir l'ordre public, à peine d'en
répondre personnellement.
Art. 2. Cette déclaration se fera en exposant à la principale fenêtre
de la Maison-de-Ville, et en portant dans toutes les rues et carrefours
un drapeau rouge ; et en même temps les officiers municipaux requerront
les chefs des gardes nationales, des troupes réglées et des
maréchaussées, de prêter main-forte.
Art. 3. Au signal seul du drapeau, tous attroupements, avec ou sans
armes, deviendront criminels, et devront être dissipés par la force.
Art. 4. Les gardes nationales, troupes réglées et maréchaussées
requises par les officiers municipaux, seront tenues de marcher
sur-le-champ, commandées par leurs officiers, précédées d'un drapeau
rouge, et accompagnées d'un officier municipal au moins.
Art. 5. Il sera demandé par un des officiers municipaux aux personnes
attroupées, quelle est la cause de leur réunion et le grief dont elles demandent le
redressement; elles seront autorisées à nommer six d'entre elles pour
exposer leur réclamation et présenter leur pétition, et tenues de se
séparer sur-le-champ et de se retirer paisiblement.
Art. 6. Faute par les personnes attroupées de se retirer en ce
moment, il leur sera fait, à haute voix, par les officiers municipaux,
ou l'un d'eux, trois sommations de se retirer tranquillement dans leurs
domiciles. La première sommation sera exprimée en ces termes :
Avis
est donné que la loi martiale est proclamée, que tous attroupements
sont criminels ; on va faire feu : que les bons citoyens se retirent. A
la deuxième et troisième sommation, il suffira de répéter ces mots : On
va faire feu : que les bons citoyens se retirent. L'officier municipal
annoncera à chaque sommation que c'est la première, la seconde ou la
dernière.
Art. 7. Dans le cas où, soit avant, soit pendant le prononcé des
sommations, l'attroupement commettrait quelques violences ; et
pareillement, dans le cas où, après les sommations faites, les
personnes ne se retireraient pas paisiblement, la force des armes sera
à l'instant déployée contre les séditieux, sans que personne soit
responsable des événements qui pourront en résulter.
Art. 8. Dans le cas où le peuple attroupé, n'ayant fait aucune
violence, se retirerait paisiblement, soit avant, soit immédiatement
après la dernière sommation, les moteurs et instigateurs de la
sédition, s'ils sont connus, pourront seuls être pour¬ suivis
extraordinairement, et condamnés, savoir : à une prison de trois ans,
si l'attroupement n'était pas armé, et à la peine de mort, si
l'attroupement était en armes. Il ne sera fait aucune poursuite contre
les autres.
Art. 9. Dans le cas où le peuple attroupé ferait quelques violences,
et ne se retirerait pas après la dernière sommation, ceux qui
échapperont aux coups de la force militaire, et qui pourront être
arrêtés, seront punis d'un emprisonnement d'un an s'ils étaient sans
armes, de trois ans s'ils étaient armés, et de la peine de mort s'ils
étaient convaincus d'avoir commis des violences. Dans le cas du présent
article, les moteurs et instigateurs de la sédition seront de même
condamnés à mort.
Art. 10. Tous chefs, officiers et soldats de la garde nationale, des
troupes et des maréchaussées, qui exciteront ou fomenteront des
attroupements, émeutes et séditions, seront déclarés rebelles à la
nation, au Roi et à la loi, et punis de mort ; et ceux qui refuseront
le service à la réquisition des officiers municipaux seront dégradés et
punis de trois ans de prison.
Art. 11. Il sera dressé, par les officiers municipaux, procès-verbal,
qui contiendra le récit des faits.
Art. 12. Lorsque le calme sera rétabli, les officiers municipaux
rendront un décret qui fera cesser la loi martiale, et le drapeau rouge
sera retiré et remplacé, pendant huit jours, par un drapeau blanc.
L'Assemblée charge M. le Président de présenter incessamment et dans le
jour le présent décret à la sanction royale. On passe ensuite à l’ordre
du jour, touchant certains rapports déjà annoncés sur plusieurs
affaires urgentes. »
NB : Dans les documents parlementaires de l'université de Stanford, il n’a pas été précisé
le nombre de votants, les votes des députés se faisaient par appel nomminal et à voix haute, semble t-il.
|
|
Promugaltion sur les places publiques
de la capitale, le 22 octobre 1789
|
|

Légende : Cette
cérémonies se fit dans un grand appareil et au son des trompettes, un
député de la Ville fit lecture de la Loi étant accompagné des
Héros-d'Armes et d'une nombreuse escorte de la Garde Nationale, tant à
cheval qu'à pieds : suivie d'une musique militaire.
|
Source : Bib.de Stanford - Archives Parlementaires, séance du 21 octobre 1789
|
|
|
|
|
|
Cet espace d'expression citoyen
n'appartient à aucune organisation politique, ou entreprise
commerciale. Le contenu est sous la
responsabilité de son créateur, en tant que rédacteur.
|
|
Adresses et courrier : |
|
|
Courrier
électronique |
lionel.mesnard(AT)free.fr
|
|
|
|
|
Archives des vidéos en ligne :
|
Dailymotion - Pantuana.tv - Youtube |
|
|
|
|
|
|
|