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Sommaire du troisième volet :
1 - Littérature et Histoire, les raisons de cette étude ?
2 - Le Premier siège de Paris, la guerre au fil des jours : janvier
3 - Le Premier siège de Paris, la guerre au fil des jours : février
4 - Documents et annexes

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Littérature et Histoire, les raisons
de cette étude de la guerre franco-prussienne ?


Dessin de Georges Pilotell dans Caricature n°3 du 18/02/1871

Peut-être ne lui sera-t-il pas donné d'assister à ce beau jour ; mais qu'importe? Quand tant de générations se sont éteintes avant nous dans la misère et la servitude, sans même entrevoir l'espérance, la plainte est-elle permise à ceux de nous qui tombent avant l'heure? L'honneur d'avoir combattu et souffert pour la démocratie est leur meilleure récompense. Ils peuvent s'endormir en paix. D'autres récolteront ce qu'ils ont semé.

                       Charles Delescluze, De Paris à Cayenne, préface page 18, publié en 1872
Je n’ai jamais été très attiré par l’histoire du XIXe siècle, j’y suis venu en reculant… Si je préfère les Temps dits modernes, on ne peut pas rayer cette centurie d’un trait (1814-1914), et plutôt que d’en dégoûter d’autres, il m’a fallu dépasser certaines lectures passées, en particulier scolaires et romanesques, qui m’ont tenu longtemps à distance de son contenu historique, seul avait trouvé très tôt écho : la Commune de Paris et les écrits de Marx. Depuis j’ai pu constater, comment il était difficile d’échapper à des réalités pas si lointaines, d’autant plus que nombre d’auteur et acteur politique de ce siècle ont tous plus ou moins été des historiens. A commencer par Guizot, et son homologue Thiers, ou bien Lamartine avec l'objectif de séduire les ouvriers, sinon Louis Blanc, etc. L’usage de l’Histoire à des fins politiques n’est pas en soit une nouveauté, et certains ne s’en sont pas privés. Louis Blanc est assez peu connu ou évoqué par rapport à d’autres figures historiques, malgré une station de métro et une rue dans la capitale, si l’historien de la Révolution française n’a pas été le nec plus ultra du genre, il a été un acteur politique important, entre radicalisme et socialisme, assez prolixe et qui a laissé en son temps des textes politiques novateurs et une certaine idée de la République sociale et démocratique. Un radical qui allait à la racine des choses... a-t-il pu écrire.

J’ai donc été amené à entreprendre une recherche sur les quatre dernières décennies, grossièrement du second Empire jusqu’à l’Affaire Dreyfus. Les surprises n’ont pas manqué, dans une historiographie conséquente, l’abondance de la lecture n’en facilite pas toujours la mise en mot, un complexe bien normal dans ma situation, je ne vise pas à devenir Chateaubriand, je me contenterai de transmettre quelques vérités historiques. Je ne cherche pas, non plus à brouiller les cartes, quoiqu’il soit difficile de contourner les littérateurs de ce siècle. Aussi géniaux qu’ils soient, il faut savoir résister à leurs fantasmagories, comprendre leurs implications ou pas. Et il importe de bien distinguer les sources littéraires, ce qui touche à la romance, des données et faits de nature historique.

Cependant, il existe un pan de littérature, avec Emile Zola et Guy de Maupassant, qui peut restituer des impressions, plus que des faits de ce dernier tiers de siècle, sombre, voire ambiguë, volage ou bien dans un regard assez tranchant ou goguenard (amusé). Pour Zola, je conseille un texte de 1867, Mes haines : « La haine soulage, la haine fait justice, la haine grandit », cet écrit est d’une violence rare, prémonitoire sur les déchirements à venir, et pourrait-il paraître aujourd'hui? Pour le déroulement guerrier, il existe la Débâcle, le dix-neuvième tome des Rougon-Macquart, qui traite de la bataille de Sedan. Si j'ai aussi cité Maupassant, c'est surtout une affaire de goût, le naturalisme de Zola peut rebuter, les nouvelles ou romans de l'auteur de Boule de suif sont de superbes descriptions de la société française, c'est plus léger. Lui-même avait été mobilisé dans l'intendance à Rouen (la même ville où vécu Flaubert depuis son enfance), tandis que Zola cherchait à se placer.

Le but visé, était de mieux cerner le mouvement ouvrier, certaines de ses constructions politiques, en particulier les blanquistes, mais aussi les conditions d’existence en temps de guerre et les revendications sociales, politiques et réalités autres, ainsi donner à connaître l’antériorité de la Commune de Paris. Nous, nous limiterons à ce qu’a pu nommer Victor Hugo : L’Année Terrible, publiée en 1872, cet ouvrage s'étend de la période allant d’août 1870 à juillet 1871, de ses impressions et inspirations poétiques, de même Choses vues ont été extraits de ses carnets de note : Pendant le siège de Paris, l’assemblée de Bordeaux, Mort de Charles, etc. Ces notes apportent un éclairage utile, ainsi que des éléments de sa correspondance. En 1870, c’est aussi la publication des Châtiments durant le siège de Paris, beaucoup de littérature, mais les périodiques sont l’outil essentiel pour entrer de plein fouet dans un quotidien riche en rebondissement, notamment ce qui relève d’une presse d’opinion, majoritairement conservatrice. Et depuis les assouplissements des dernières années, il faut compter sur l’existence de pas moins de 140 journaux, dont la naissance en 1869 du Rappel, salué par tous les républicains de progrès de l’époque.

C’est probablement Hugo père qui m’a réconcilié avec le XIXe siècle, est-il besoin de le présenter? Il appartient aux grands noms de l’histoire des Hommes, chantre de l’universel, normalement sans distinction de genre sexué, bien qu’en ce domaine, il soit difficile de le citer en exemple. La domination masculine impliquant un état peu reluisant des comportements des mâles, sous couvert de bonne mœurs et un monde de petits et grands bourgeois très feutrés, les non-dits étaient légions, à commencer par la sexualité. Dans son cas, un rapport à caractère maladif, mais il ne s’agit pas d’en tracer le portrait pathologique, et encore moins psychologique. Hugo a été un des opposants les plus farouche du second Empire, jusqu’à l’excès, avec le présumé neveu de Napoléon 1er, qui lui donna comme surnom celui de Napoléon, le petit et autres amabilités, dont il ne se priva pas à son encontre en publiant un pamphlet portant ce titre, et qui continue à lui coller à la peau (ou ce qu’il en reste…).

Contrairement à Victor Hugo, on peut se passer d’estime pour le premier des Bonaparte, et  concernant Napoléon III, il n'a pas été le pire des dirigeants de son temps, ce ne fut pas non plus un exemple, mais bel et bien un autocrate, avec des fêlures qui peuvent le rendre moins intransigeant et plus tolérant que le fut son aïeul. Mais tout aussi prompt à la surveillance de ses concitoyens, à faire taire ses opposants jusqu’au bagne de Cayenne (Charles Delescluze y séjourna), à user et abuser de la censure. Sinon à se lancer corps et âmes dans des guerres meurtrières, au plus bas ou presque avec 20.000 morts au Mexique du côté français. Les plans impérialistes sur le continent américain n’ont pas manqué, mais ont surtout échoué sous les Bourbons, tout comme avec la famille Bonaparte régnante.

Sinon, un état des choses indéniablement liés à des processus d’enrichissements assez considérables, qui structurèrent pour longtemps la haute finance du pays, confortèrent les grandes fortunes ou ce que l’on nomma les «
deux cent familles » et les « maîtres des forges ». Pour les plus connus depuis la Révolution pour certains, les familles Wendel, Perrier, Schneider, les frères Pereire, et j’en passe sur les anciens et aussi son lot de nouveaux riches. L’empereur ou l’imposteur de 1851 a été très décrié, à commencer par ceux qu’il avait poussé à l’exil, juste retour des choses, mais Napoléon III est à l’origine d’une impulsion industrielle dans les régions, timide, mais toujours dans le sens du poil électoral. Et si lui ou ses proches ont été souvent été guidés par la débauche du luxe, le goût de la fête et l’argent facile. Les seules opérations immobilières de la capitale, sous la houlette d’Haussmann suffisent à en saisir l’ampleur et les richesses cumulées, tout comme le chemin de fer, des entreprises privées à forte plus value.

Cette étude de l’Année Terrible n’est qu’une tentative de mise à plat, quand vous commencez à traiter un sujet, vous ainsi êtes amené à élargir votre questionnement et comprendre que la patience est en ce domaine un atout. Pour ce qui est de la guerre 1870-1871 et le premier siège, nous ne manquons pas d’ouvrages ou références. La somme du tout demande néanmoins une bonne respiration et digestion. Il faut rester très prudent sur certaines sources livresques, dans l’après de l’année de 1870, il a existé une véritable entreprise de manipulation des contenus historiques. Et attention au piège des classements politiques, gauche/droite, bien qu’ils soient présents et à prendre en considération, le classement « centre-gauche » des libéraux conservateurs, et orléaniste (ou louis-philippard) dans le cas de Thiers, peut faire rire. Ce qui est moins drôle, c’est comment certains criminels ont eu droit aux honneurs, et à quel point les campagnes françaises assurèrent les majorités et la stabilité de régimes mi-chèvre mi-choux avant que les républicains et les forces du mouvement social deviennent majoritaires. Toute une série d'interrogations à avoir sur le terme « revanchard » et toutes ces expressions perdues d'un langage fleuri, plus un poids de la morale dont on ne devine pas toujours le carcan.

Je n’ai pas cherché à tout développer les tenants de la guerre de 1870-71, je l’ai pour beaucoup découverte grâce aux textes disponibles sur le site Gallica-Bnf, toutes les sources ne renvoient pas à tous les périodiques et ouvrages cités, mais sont consultables notamment à la rubrique Presse et revues. Et j’ai voulu à travers la presse de septembre 1870 à février 1871, les textes officiels et certains écrits de l’époque relater son quotidien. J’ai choisi un angle de vue particulier, pour mettre en avant les tendances républicaines les plus progressistes, sans chercher à mettre une opinion au-dessus d’une autre. La séparation était surtout sociale, non pas un système de caste, mais une répartition au sein de la bourgeoisie française dès plus inégale, et que Victor Hugo a su saisir et mettre en mot et en idée.

Caricature du général Vinoy, ci-contre



Qu’est-ce que l’histoire du vaincu ou des vaincus, quand un état s’écroule, et renvoie une nation, ses concitoyens à son histoire passée pour beaucoup mythifiée et à ses échecs? Je ne suis pas des générations, qui ont été éduquées, parfois élevées dans une aversion certaine de l’Allemagne, mais juste la première qui a pu échapper aux dogmatiques nationalistes, bien conscient des maux d'un temps qu'il faut souhaité dépassé. Souvent à titre individuel pour des raisons intimes et personnelles, qu’il n’y a pas à juger, il en était ainsi. Il n’existe pas de paramètre, ou de graduation pouvant mesurer la nature du patriotisme, mais de très nombreuses familles ont pu garder un souvenir traumatisant des guerres avec notre voisin germanique. La perte d’un proche ou de plusieurs familiers ont pu être des marqueurs indélébiles, et chacun avec son lot d’horreur. Il n’y a pas de statistiques ou grands travaux sur les exactions guerrières de 1870, cependant la brutalité des troupes d’occupations ont été réélles, et ce conflit par bien des aspects est annonciateur des crimes de guerre futurs et de ce qu’il y a de plus néfaste dans le réveil des nationalismes sur fond d’impérialisme (toujours très actif ou en pleine mutation).

Les relations entre Victoria et Napoléon III furent plutôt bonnes, la reconnaissance de la reine Victoria sous Louis Philippe avait permis de tisser les premiers liens amicaux entre les deux nations, après moultes guerres et des siècles durant, s'était opéré un changement, le Royaume-Uni n'était plus l'ennemi héréditaire d'antan. Ce qui avait aidé à dessiner de nouvelles relations diplomatiques, un peu en avance sur l’entente cordiale de 1904 ou dans le prolongement de cette entente, elle aussi cordiale depuis 1843, avec la réception au château d'Eu de la souveraine britannique en territoire français. Si l’on fait le décompte des conflits du monde contemporain avec notre voisin frontalier Allemand, qui avait été un véritable puzzle de petits et grands états avec 350 entités politiques et administratives, près de vingt ans auparavant. Si l'on doit remonter le cours de l'époque contemporaine, les relations depuis 1792 et de ses suites jusqu’à la chute du premier Empire entre 1813 et 1815 et jusqu’en 1818 avec une première occupation ont alimenté des deux côtés du Rhin des mythes et surtout des haines nationalistes. Les aversions mutuelles ne purent que s'accentuer avec la guerre de 1870-71 jusqu’en 1873 avec la fin de l’occupation du Nord et de l'Est du pays, et jusqu’en 1918 avec l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine ; sans omettre les deux guerres mondiales au XXe siècle. Au final, trois occupations partielles ou quasi entières de l’hexagone, qui ont laissé des traces mémorielles, et, pour les combats ou malheurs des temps dans chaque village, ville, des monuments de toutes tailles et des plaques commémoratives, ou des gisants de soldats tombés au front.

Quels enseignements peut-on tirer et que dire de cette guerre mise entre parenthèse du récit national à la faveur de la revanche? Est-ce que la seule évocation de la construction européenne depuis les années 1950 peut y répondre? Cela peut commencer par le partage des mémoires, mais en raison de mes lacunes en allemand, je ne pourrais y ajouter des apports du "vainqueur" ou d'historiens d'outre-Rhin. Ce n’était pas l’objet de cette étude, qui a pour but de proposer une approche des ces 6 mois particuliers à cheval sur deux années que traversèrent les Parisiens, mais pas seulement. A souligner que les journaux de la devenue région Grand Est, depuis quelques années, proposent une lecture des événements et relaient des conférences locales intéressantes et des expositions, notamment dans le cadre des journées du patrimoine en septembre 2020. Il y aura probablement de nouveaux ouvrages, des conférences. Mon souci n’est pas de commémorer, mais de transmettre une petite part de cette période agitée, sous un angle, social et politique.

Peinture de J.J Henner L'Alsace elle attend, ci-contre



Le seul élément d’interrogation sur le vainqueur, c’est que si l’Allemagne n’a pas été une grande puissance coloniale, du moins comparable à la France, ou à la Grande-Bretagne. Ce que l'on sait moins, mériterait des recherches, les Prussiens ont su exporter leurs méthodes militaires outre-atlantique. De quoi rester un peu pantois devant certaines tenues militaires et casques à pointe des armées subcontinentales, notamment dans le cône Sud avec des marches militaires bien mal inspirées. L’on pourrait parler de clichés, s’il n’y avait un fil et une continuité, l’art de la guerre, c’est de tuer. Quand les républicains et Hugo prêchaient la paix, ce dernier s’étonnait lui-même d’appeler à la guerre, avant que ne vienne se greffer une guerre civile.

Cent cinquante ans après, je ne sais quel accueil va recevoir cette guerre et il n’est pas sûr que cela passionne les foules. Toutefois la perspective du cent cinquantième anniversaire de la Commune de Paris est une occasion d’enrichir ce que j’ai pu faire et ce qui reste à mettre en ligne, mais avec d’autres points de vue et des éléments nouveaux complémentaires.

 A suivre...?

Ps : Au registre des sources, notamment iconographiques, les dessins de Georges Pilotell proviennent du site Paris-Musée et sont libres de droit, comme toutes les images ou reproductions utilisées.

   Lionel Mesnard, le 3 août 2020

La guerre au fil des jours : janvier 1871


Versailles, proclamation de l'empire Allemand le 18 janvier 1871

Nous reprenons le cours des événements avec les deux dernières chronologies détaillées des mois de janvier et février 1871, avec même sur les derniers jours les minutes des mobilisations parisiennes, après le confinement qu'imposa l'attaque militaire prussienne avec un bombardement intensif, dont fait part Juliette Adam jusqu'à son départ de la capitale.  A noter que de nombreux Parisiens profitèrent de la fin des hostilités pour sortir de la ville, un bon demi million de personnes rejoignirent leurs proches en province, ou se mirent à l'abri des suites? En toute fin, car il en faut une... vous trouverez les documents et annexes, et des liens avec des vidéos ou des audios en relation.

Dimanche 1er. La ville de Bondy est bombardée, des bombes ennemies s’abattent sur le fort de Rosny. C’est la naissance légale ou l’existence juridique de l’Empire Allemand, et effective jusqu’en 1918. Un mot de Gambetta : « A chacun sa responsabilité devant l'histoire. » (Dépêches, etc., et Discours de Gambetta, Joseph Reinach).

 

Lundi 2/01. L’état d’esprit du Journal des Débats politiques et littéraires du jour : « Les premiers jours de l'année 1871 ne se distinguent en rien des derniers jours de l'année 1870. C'est le même froid triste, le même ciel gris, les mêmes grondements des canons prussiens qui continuent à tirer sans grand effet sur nos forts. Le gouvernement nous met en garde, dans le Journal Officiel contre notre trop grand empressement à croire sans examen aux nouvelles les plus invraisemblables, et conclut en nous exhortant à ne pas désespérer. Qu'on nous permette à notre tour de joindre nos conseils à ceux du gouvernement. La presse parisienne presque tout entière, irritée par le bombardement de nos forts et de notre banlieue, invite nos chefs militaires à sortir de ce qu'elle appelle leur inaction, et à aller livrer bataille à l'ennemi. Rien ne nous semble plus dangereux que ces conseils, et l'on ne saurait trop souhaiter que le général Trochu ne cède pas à cette pression»


Louis Blanc écrit à Victor Hugo,

L. Blanc termine par : « Je le répète, ce qu'il faut c'est ceci : croire à la patrie. Voilà, voilà ce qui doit nous sauver. Et de quel éclat souverain ne rayonnera pas alors notre cher pays ! La grandeur même de ses revers épiques et leur foudroyante succession seront portés au compte de sa gloire ; car vaincre après tant de défaites et en quelque sorte à force de défaites, est-il rien de plus imposant? Combien elles sont dignes de mépris les victoires qui, dues à la supériorité du nombre, à la ruse, à la force, ne développent chez le peuple qui les a remportées que l'orgueil, la cruauté, la rapacité des races conquérantes ! Ce qui est digne d'admiration, c'est la défaite noblement subie et vaillamment réparée, parce qu'elle atteste la présence et le triomphe de toutes les vertus qui sont l'honneur de l'espèce humaine : le calme dans le malheur, la persévérance stoïque, la fermeté d'âme, une résolution d'airain, et, avec la volonté de ne jamais fléchir, le pouvoir de ne jamais désespérer. Les véritables marques de l'invincibilité sont là. Or, la gloire n'est pas de vaincre, mais d'être invincible. »
                                                                                                 Le Rappel, du jour

3/01. Capitulation de Mézières dans les Ardennes. Juliette Adam participant des ventes de charité en faveur de l'Oeuvre du Travail des femmes, dit avoir été souvent en présence de  Me James de Rothschild et « a été frappée de la grande et calme lucidité que Me de Rothschild apporte dans la bienfaisance. Sa bonté, a ̀force de cœur et de générosité, parvient à être immense, même lorsqu'on la proportionne et la mesure aux facilités d'une immense fortune. » Le siège de Paris - Journal d'une Parisienne, de Juliette Adam, née Lambert, 1873

 

4/01. Protestation des cinq Académies (française ; des inscriptions et belles-lettres ; des sciences ; des beaux-arts ; des sciences morales et politiques), contre l'arrestation du baron Thénard, agronome connu pour sa lutte contre le philloxéra de la vigne grâce au sulfure de carbonate (pour sa notoriété), le savant est conduit comme otage en Allemagne.

 

5/01. Les rue de Paris sont verglacées, les déplacements difficiles et « Ce matin, à huit heures vingt minutes, au moment où les premiers rayons du soleil d'hiver commençaient à dissiper le brouillard, des détonations lointaines retentirent roulant sourdement de colline en colline. Nous montâmes au sommet du bâtiment Joly. A l'horizon, sur un arc de cercle passant par Châtillon, Meudon, Sèvres et Saint-Cloud, des panaches de fumée blanche jaillissent de huit points à la fois. Huit batteries puissantes, démasquées pendant la nuit tiraient à volonté sur Issy, Vanves, Montrouge et le Point-du-Jour. » (Edouard Prampain, Souvenir de Vaugirard, page 84) Les canons de l’artillerie Prussiennes ouvrent le feu sur les forts du sud parisien, les projectiles des batteries ennemies arrivent pour la première fois dans l'intérieur de Paris avec une forte puissance de feu, sont relevés des décombres plus de 350 morts et 200 bâtiments sont détruits. Dans la nuit du 5 au 6, le Comité central républicain et ses délégués des 20 arrondissement, soit environ 140 hommes se réunissent, rue de la corderie (3e). Ils y rédigent le texte de la deuxième Affiche rouge : « Le grand peuple de 89, qui détruit les Bastilles et renverse les trônes, attendra-t-il dans un désespoir inerte, que le froid et la famine aient glacé dans son cœur, dont l'ennemi compte les battements, sa dernière goutte de sang? — Non! La population de Paris ne voudra jamais accepter ces misères et cette honte. Elle sait qu’il en est temps encore, que des mesures décisives permettront aux travailleurs de vivre, à tous de combattre. »  L'affiche sera placardée après impression dans les rues de la capitale le 7/01 (Lire le texte complet avec ses signataires)

 

6/01. Après une nuit de bombardement, plus de 3.000 bombes ont éclaté autour du jardin du Luxembourg et des Plantes. Proclamation par voie d’affiche et de presse du général Trochu dans laquelle il déclare : « Au moment où l’ennemi redoute ses efforts d'intimidation on cherche à égarer les citoyens de Paris par la tromperie et par la calomnie. On exploite, contre la défense, nos souffrances et nos sacrifices. Rien ne fera tomber les armes de nos mains. Courage, confiance, patriotisme. Le gouverneur de Paris ne capitulera pas. ». Le gouverneur militaire de Paris, le général Scmitz fait le bilan des bombardements : « Pendant la nuit dernière, le feu de l'ennemi a été d'environ trente coups à l'heure, contre les forts du sud, y compris Montrouge et même Bicêtre du côté de Nogent, il a cessé à partir de trois heures du matin pour reprendre très vivement à huit heures. A partir de cette heure, il a recommence sur toute la ligne et ne nous a pas causé de dommages sérieux. Les batteries extérieures de l'enceinte ont pris part à la lutte et ont riposté vigoureusement aux attaques acharnées de l'artillerie ennemie. Les projectiles qui sont tombés dans la ville, en assez grand nombre, n'ont causé aucune émotion. La fermeté, le calme de la population et de l'armée soumises à ce bombardement sont à la hauteur des circonstances, et les procédés d'intimidation et employés par l'ennemi ne font que grandir leur cour que chacun s'inspire des grands devoirs que la patrie impose aux défenseurs de Paris. » (Journal des Débats, du 7/01)


7/01. Le bombardement ne cesse dans la capitale et Juliette Adam remarque que : « Les histoires les plus navrantes circulent. Dans la nuit du 5 au 6, il y a eu beaucoup de morts. Une mère, en rentrant chez elle, n'a retrouvé que des lambeaux de ses deux enfants. Au quatrième étage d'une maison, une famille a été broyée, père, mère, jusqu'à la nourrice, et une petite fille de six mois est restée suspendue dans son berceau à quelques millimètres du précipice ouvert par l'obus. »

 

8/01. Dans la nuit du 8 au 9, des monuments et des maisons sont atteints par des projectils. Un obus éclate dans le dortoir de l'établissement Saint-Nicolas, rue de Vaugirard, il tue cinq enfants et en blesse gravement six autres.

 

9/01. L'armée de l'Est du général Bourbaki attaque à Villersexel en Haute-Saône. A Paris, Juliette Adam apprend  « des bonnes nouvelles de la province envoyées par Gambetta, et je ne les ai pas comprises ! Je ne percevais qu'une chose : les sons (des obus), parce qu'ils ajoutaient à ma souffrance. »



11/01. Le Gouvernement décrète que « tout citoyen atteint par les bombes prussiennes est assimilé au soldat frappé par l’ennemi », et les familles susceptibles de toucher une pension. La fabrication du pain de luxe est interdite (Le pain de luxe contenait de la levure mélangée au levain, du sel et du lait, il était fabriqué depuis le XVIIe siècle ou dénommé « le pain de la reine » Marie de Médicis).


12/01. Au Mans, les Prussiens battent l’armée de la Loire après 3 jours de combats. Elphège Demorieux, jeune notable et héritier de la banque de son pére s'était engagé dans les francs-tireurs locaux, blessé ce jour à la bataille du Mans, il décède « le lendemain matin, sur la commune, à « La Haganière ». Il n'avait pas encore tout à fait 27 ans. » (Ouest-France en 2018) au sujet d'un  boulevard  portant son nom et peu connu des Mançeaux. 

 

13/01. A la sortie de la réunion d’un club, un jeune homme, rue d’Arras affirme que  « La situation est désespérée, mais la Commune fera appel au courage, à la science, à l’énergie, à la jeunesse ; elle repoussera les Prussiens avec une indomptable énergie, mais qu’ils acceptent la République sociale, nous leur tendrons la main et nous marquerons l’ère du bonheur des peuples. » (Louise Michel, La Commune, page 112).

 

14/01. Richard Wallace (philanthrope anglais, son nom a été donné à des fontaines de la capitale) propose à M. Jules Favre d'ouvrir une souscription en faveur des familles  qui ont été obligées de quitter leur domicile en raison des destructions et s'inscrit pour 100.000 francs. Le lendemain il fera remettre à l'administration municipale une nouvelle somme de 20.000 francs pour les pauvres. Les troupes de Garibaldi arrivent à Dijon, ville ouverte depuis le départ des armées du nouvel empire.

 

15/01. Défaite de l'armée de l'Est à Héricourt en Haute-Saône. Juliette épouse Adam signale  qu'elle est « broyée, vaincue par la douleur. Je n'ai vu personne depuis une semaine. Impossible de dormir, de reposer même un instant. Les Parisiens n'ont pas dormi depuis dix jours. Le bombardement est effroyable. Comme j'ai bien fait de ne pas garder ma fille auprès de moi! Les femmes de Paris, qui assistent au siége, payeront chacune, un jour ou l'autre, le tribut de souffrances que je viens d'acquitter ». Le département de l'Orne est investi par les troupes germaniques, se déroule ce jour la  bataille d'Alençon. La ville tombera le lendemain et fera 600 morts et plus de 5.000 blessés.

 

16/01. Le bombardement de Paris détruit les serres du Jardin des Plantes. Juliette Adam (en photo) dans son Journal fait référence au général Pierre Schmitz, chef d'état major du gouverneur (militaire) de Paris, « fécond en entraves lorsqu'on projette une sortie. M. Trochu, ce matin, a répondu dans l'Officiel aux accusations qui circulent sur le général Schmitz. Cette réponse est piteuse. M. Trochu y affecte desin dignations de réactionnaire, il en parle le sot langage, il en écrit le mauvais style, il en emploie les rengaînes, comme celle-ci, qui est bien usée : « Je ne recherche que l'approbation des honnêtes gens ! »


17/01 A Londres se tient une conférence diplomatique de première importance, elle intervient à la suite de la conférence de Vienne (Autriche) de 1869, en voici son Protocole : « Les Plénipotentiaires réunis aujourd’hui en Conférence, reconnaissent que c’est un principe essentiel du droit des gens qu’aucune Puissance ne peut se délier des engagements d’un Traité, ni en modifier les stipulations, qu’à la suite de l’assentiment des Parties contractantes, au moyen d’une entente amicale. » Il ne sera plus possible  aux pays signataires d'un traité de s'en défaire sans l'accord des parties contractantes, ce qui favorisera la Grande-Bretagne et la stabilité des accords, un petit tour de passe-passe face à l'Empire Russe et ses entorses au droit international.


18/01. A Versailles, Guillaume Ier organise son couronnement comme empereur d'Allemagne et lance la proclamation de l’Empire Allemand (sa fondation légale est en décembre). Arrêté du maire de Paris annonçant qu'à partir du 19, les boulangers ne devront distribuer du pain qu'aux porteurs d'une carte alimentaire. Le pain sera rationné à raison de 300 grammes par jour et par personne (quand la ration moyenne normale était du double au triple en temps de paix dans les foyers ouvriers). Il est pris un arrêté réquisitionnant les combustibles, comestibles, denrées, liquides de toute nature, laissés par les personnes qui ont quitté Paris, ainsi que les logements des personnes absentes (pour l’accueil des réfugiés des villes et villages autour de Paris, environ 150.000 personnes à nourrir et loger).


19/01. Se déroulent les combats de Montretout et de Buzenval, c’est l’ultime sortie malheureuse de l'armée de Paris en direction de Versailles. Au final, Jules Trochu ordonne la retraite et l’on recense 4.000 morts, dont un tiers de gardes nationaux. Lors de ces affrontements décède à 27 ans, le peintre Henri Regnault, à Rueil Malmaison. Il est atteint par une balle qui le foudroie, et Gustave Lambert, hydrographe et explorateur est blessé. Ce dernier décédera huit jours après de ses plaies.


20/01. Les dernières nouvelles du front de l’Ouest : « Nous avons appris à quelques heures d'intervalle, d'abord l'insuccès des efforts tentés hier sur le plateau de la Bergerie, puis l'échec du général Chanzy devant le Mans. Car ce que le Journal officiel de ce matin, par un de ces euphémismes qu'on croyait spéciaux aux ministres du second empire, qualifiait de temps d'arrêt dans le progrès de nos armées de l'Ouest, est devenu ce soir une défaite qui, au lieu de nous arrêter purement et simplement, nous a obligés à reculer du Mans à Laval. » (Journal des débats politiques et littéraires, du 21/01) A Paris, Jules Trochu et Favre rassemblent les maires d’arrondissements de la capitale en vue de l'armistice, la grande majorité se prononce contre.


L’enterrement du colonel François de Rochebrune tombé à Rueil se déroule sur le boulevard Richard Lenoir et Almicare Cipriani, venu l’an dernier apporté ses services à la République est présent à ses funérailles, il nous dit que :


« Partout on entendait dire qu’il fallait se débarrasser de ceux qui avaient trahi jusqu’à ce jour. On parlait de s’emparer du corps de Rochebrune et de marcher à l’Hôtel-de-Ville. Le temps avait manqué pour avertir les membres de la légion garibaldienne, de la ligue républicaine et de l’Internationale, disséminés dans tous les bataillons de la garde nationale ; une poignée d’hommes résolus se trouvaient au rendez-vous, mais poignée d’autant plus insuffisante que ceux en qui la foule avait confiance se trouvaient en prison. L’enterrement de Rochebrune se passa donc sans aucun incident, si ce n’est que je vis de Boulen, lequel m’apercevant voulut me donner une poignée de main en m’appelant un brave, je refusai en lui répondant : - Cela se peut, mais vous ne pouvez pas le savoir, car vous vous êtes caché ; vous êtes un traître. Pour en finir avec ce misérable, je dirai que quelques jours après, je le rencontrai de nouveau ; à ma grande stupéfaction je le vis décoré de la légion d’honneur et colonel : c’était le prix de sa trahison. Un autre aussi fut décoré, c’est le capitaine D… qui n’avait pas paru tout le temps de la bataille. Voilà les deux seuls fuyards que j’aie vus à Montretout, ils furent faits chevaliers de la légion d’honneur. »

                                                                    

                                                                   Louise Michel, La Commune, Chapitre IV


21/01. Les clubs, les comités de vigilance et des délégués des gardes nationales décident d’une manifestation devant l’hôtel municipal (siège du Gouvernement). Jules Trochu tient une Conseil de guerre, puis il démissionne de ses fonctions au sein du gouvernement militaire de Paris. Dans la nuit du 21 au 22 la prison de Mazas est forcée, les émeutiers délivrent Gustave Flourens et sept autres détenus politiques, suite de la répression du 31 octobre 1870 : « Trente-cinq hommes de garde nationale seulement formaient le poste de la prison. Sur la menace de faire feu, le chef de poste a laissé entrer trois délégués. A peine dans la cour de la prison, les délégués tirèrent trois coups de feu. On entendit, du bruit dans l'intérieur de la prison.  Le chef de poste ayant voulu expulser les délégués, la foule, profitant de l'ouverture des portes, pénétra dans la prison, força le directeur à donner les clefs. » (Le Journal des Débats, du 23/01)

Dimanche, 22/01. Dans la matinée, un certain nombre de gardes nationaux du 101e bataillon essaient de s'emparer de l'Hôtel de Ville, ils sont repoussés par les mobiles de la Vendée et la garde républicaine sur les ordres de Gustave Chaudey. Le rédacteur en chef du Siècle et adjoint au maire de la capitale, alors que les affrontements vont se passer presque sous ses fenêtres, celui-ci reçoit les délégués du bataillon. Pendant ce temps, une fusillade éclate sur la place de l’Hôtel-de-Ville, Chaudey devient l’exécutant des basses oeuvres de MM. Trochu et Favre. : « Les héroïques enfants de la Vendée se sont montrés aussi résolus dans la défense de la société que dans la défense de la patrie, et ils ont promptement fait justice de cette poignée de misérables qui ne trouvent un instant de bravoure que contre leurs compatriotes et qui ne savent verser que le sang français. L'armée, la garde nationale et la garde mobile ont rivalisé de zèle pour réprimer cette odieuse agression. » (Journal des Débats, du 23/01). M. Chaudey sera un des dits otages, ou selon Reclus Elie, le prévenu de la Commune (et fusillé le 23 mai). Il n’y a plus de farine dans la capitale, la commission de l’alimentation s’est trompée dans ses prévisions, donc plus de pain à fabriquer (cf. texte sur Jules Ferry de G. Flourens). Le général Vinoy déclare de son côté : « Un crime odieux vient d'être commis contre la patrie et contre la République. Il est l'œuvre d'un petit nombre d'hommes qui servent la cause de l'étranger. (…) C'est la cité tout entière qui réclame la répression sévère de cet ameutât audacieux et la ferme exécution des lois. Le gouvernement, ne faillira pas à son devoir.  La garde républicaine et la garde nationale occupent la place et les abords de l’Hôtel municipal. Le général Trochu démissionne et le général Vinoy devient gouverneur de Paris. Sur le Boulevard, au passage du général Clément Thomas et de son état-major, un passant s’écrie : « Voilà les fainéants qui passent » et rajoute « Vive la république démocratique et sociale ! », il se fait arrêté pour ses propos. L'armée de Bourbaki bat retraite sur Pontarlier dans le Doubs.


Lundi 23/01. Jules Favre part à Versailles, pour discuter les conditions d'un armistice avec Otto von Bismarck. La ville de Dijon est attaquée depuis deux jours par 4.000 soldats allemands, les troupes de l'Armée des Vosges de Garibaldi sortent victorieuses de cet affrontement.


24/01. Favre rencontre Bismarck, ce dernier exige le désarmement de Paris et le versement d’un tribut de 20 millions de francs. « Oui tout est perdu, fors l’honneur. (…) C'est au moment où ils viennent de terminer les gigantesques préparatifs de guerre auxquels ils travaillent depuis tant d'années, qu'on les provoque avec une armée de trois ou quatre cent mille hommes, qui n'a rien derrière elle, ni réserve, ni dépôt, ni approvisionnements, rien, rien. L'histoire le dira et les générations futures refuseront d'y croire. » (Lettre du Colonel Charles de Meffray à Ernest Picard)


25/01. Les troupes de Garibaldi sont victorieuses à Dijon. Commence l'incendie de Saint-Cloud par les Allemands, et le gouvernement donne son aval aux exigences de Bismarck. Capitulation de Longwy en Meurthe-et-Moselle.



Vendredi 26/01. A Versailles, Jules Favre cède aux exigences de Bismarck :

-  Il  doit être procéder à l'élection d'une assemblée devant ratifier la paix.
- Les forts qui entourent la capitale doivent être livrés.
- Les soldats français dans la capitale doivent être désarmés.
- Les Allemands pourront entrer dans Paris.
- La municpalité parisienne doit verser 200 millions de francs.

L'armistice est prévu pour une durée de trois semaines, pendant lesquelles seront négociés les préliminaires de paix. (lire le document dans les annexes) A partir de minuit, le feu est suspendu, normalement des deux côtés, pour 21 jours. A Besançon, le général Bourbaki fait une tentative de suicide, son adjoint Justin Clinchant le remplace à la tête de l'armée de l'Est.


27/01. Une proclamation du gouvernement informe la population qu'il a entamé des négociations ayant pour base la conclusion d'un armistice. Pendant que les Parisiens commençaient à poser les armes, la capitulation était « définitivement arrêtés et, provisoirement, un armistice a été conclu. De part et d'autre le feu devait cesser à minuit. Dans les forts et sur les bastions de l'enceinte, les derniers coups de canon sont partis à sept heures du soir ; mais les Allemands ne nous ont pas fait grâce d'un obus. A minuit sonnant, Meudon, Châtillon, Bagneux tiraient encore. Il fallait bien épuiser les munitions des batteries maintenant inutiles. »


     
Bismarck, Favre et Thiers à Versailles

Samedi 28/01. Un armistice, dont la durée est fixée à vingt et un jours est signé à Versailles par Jules Favre et Bismarck. Il est mis en œuvre un service postal pour les lettres non cachetées entre Paris et les départements, par l'intermédiaire du quartier général prussien. « Nous, républicains, nous n'avons rien de commun  avec les hommes du 4 septembre, qui se disent si impudemment républicains, avec ces jésuites politiques, les plus odieux imposteurs qui aient jamais trompé  l'humanité. Nous continuons d'espérer plus fermement que jamais le triomphe de nos sublimes principes d'égalité sociale, de fraternité entre tous les peuples, entre tous les hommes ; nous sommes sûrs de l’avenir. » (G. Flourens, Paris livré) Lire le protocole de désarmement de la capitale dans les documents annexes.

 

Dimanche 29/01. Les conditions de l’armistice sont affichées dans la capitale, il doit être payé 200 millions de francs dans les 15 jours à venir, et les Prussiens occupent la ville de Saint-Denis, plus tous les forts ceinturant Paris. « Une capitulation ! Voilà donc où ont abouti tant de sacrifices, tant de privations courageusement supportées, tant de sang répandu. Paris succombe mais vaincu par la faim, non par la force des armes. Après cinq mois de siège, après vingt-huit jours de bombardement, les forts qu'il remet à ses vainqueurs ont jusqu'à la fin riposté, pavillon haut. Durant cette longue période de blocus et de combats, il y a eu des fautes, il y a eu des crimes ; mais aussi que d'héroïsmes, que de vertus ! Pesez bien, vous trouverez la balance égale et vous direz avec l'histoire : Gloria victis! (gloire aux vaincus) » (Souvenir de Vaugirard, page 93) Gambetta par un envoi de télégramme ordonne d’obéir à Garibaldi et de respecter le traité d’armistice.

 

30/01. Les premiers convois de ravitaillement sont dirigés sur Paris. Victor Schoelcher démissionne de son poste d’officier. Antoine Brunel, commandant du 36e bataillon de la garde nationale est arrêté au 228 boulevard Voltaire, avec Joseph Piazza, commandant du 85e bataillon, à leur quartier général, pour avoir tenté un soulèvement contre l’armistice. Edmond Adam, mari de Juliette se trouve sur la liste des députés de Paris.

 

31/01. Léon Gambetta condamne l’armistice, et dit « on a signé à notre insu ».


La guerre au fil des jours : février 1871

Mercredi 1er. Harcelés par les armées allemandes et sans possibilités autre, l’armée de l’Est, dite de Bourbaki, acculée passe en Suisse. Le général Clinchant son second est interné un temps, après avoir conclu un accord avec le général helvète Hans Herzog, qui stipulait le dépôt des armes à la frontière, de plus de 87.000 soldats. Article 1 : « L'armée française demandant à passer sur le territoire suisse, déposera ses armes, équipements et munitions en y pénétrant ». (Convention de Verrières).

 

2/02. Louis Blanc aux électeurs : « L'Assemblée qui va être nommée aurat-elle à se prononcer seulement sur la paix ou la guerre? C'est au peuple souverain que la question s'adresse. A lui d'y répondre, si cela lui convient, en limitant d'avance les pouvoirs de ses mandataires. Cette limitation peut-être bonne ou mauvaise, sage ou imprudente, utile ou funeste ; mais qu'elle soit l'exercice d'un droit inhérent à la souveraineté du peuple, nul ne saurait le nier ou même le mettre en doute, sans outrager le suffrage universel, sans porter atteinte aux principes constitutifs de tout régime démocratique. » (Le Rappel, du jour)


3/02. Dans la capitale, à midi, devant le Conseil de guerre, 27 rue du Cherche-Midi (6e), sont jugés le colonel Piazza et le général Brunel de la garde nationale et ils sont défendus par maîtres Gatineau et Folliet.



4/02. Une proclamation du Gouvernement est adressée pour défendre l'ensemble de ses actes pendant la durée du siège. M. Dorian prend l’intérim du ministère du commerce. C’est l’arrivée en gare du Nord du premier convoi de vivres envoyées d'Angleterre. Depuis Marseille, Léon Gambetta reçoit un télégramme de Bismarck envoyé au Préfet de Marseille, lui rappelant la convention de l'armistice. Par voie d'affiche (ci-contre), Gambetta adresse sa réponse au chancelier : « Citoyen nous le disions il y a quelques jours, que la Prusse comptait pour satisfaire son ambition sur une assemblée, où grace à la briéveté du délai et aux difficultés matérielles de toutes sortes, auraient pu entrer les complices et les complaisants de la dynastie déchue, les alliés de M. Bismar(c). » (...) « L'insolente prétention du ministre prussien d'intervenir dans la constitution d'une assemblée française est la justification la plus éclatante  des mesures prises par le Gouvernement de la République. » (...) et l'affiche se termine par « Citoyens (....) Aux urnes! On ne répond à de telles insolences qu'avec des votes, en attendant qu'on le fasse avec des fusils. Républicains, Votons! Votons tous! »


5/02. Quelques piques de Charles Hugo sur les candidatures libérales : « Il est une singulière espèce de républicains qui poussent subitement entre les monarchies et les gouvernements provisoires. En 1848, ces républicains-là s'appelaient les républicains modérés ; sous le ministère Ollivier, ils se sont appelés un moment les "honnêtes gens" ; aujourd'hui, ils s'appellent les républicains libéraux. » (…) « Leurs comités ressemblent à la devanture de Chevet, avec ses fruits hâtifs et ses tubercules prématurés. Dans le sol de la liberté, M. Cochin est une truffe, et M. Melon de Pradou est une primeur. » (Le Rappel, du jour).


Lundi 6/02. Gambetta donne sa démissionne du Gouvernement et son nom apparaîtra en tout petit dans l'Officiel. Il germe l’idée d’un rassemblement des gardes nationales parisiennes, un 1er rassemblement est organisé au Cirque d’Hiver (11e), à l’appel d’un journaliste et d’un commerçant : MM. De la Pommeraye et Courty. Suite à cette rencontre, il est donné rendez-vous le 15 du mois, pour la convocation des délégués des gardes nationaux de tous les arrondissements.

Ci-contre un avis du comte Renard (sic), préfet de la Meurthe indique avoir été prévenu par l'occupant de la tenue des élections...



7/02. Le journal Le Rappel présente ce jour une liste de candidats républicains très hétéroclite et pour Auguste Vacquerie : « Paris doit être la capitale de l'Assemblée. Et alors il y aura ici le Paris rendu et humilié que l'ennemi possède, le Paris d'aujourd'hui livré par l'abominable incapacité du général Trochu et de ses complices, le Paris désarmé et gisant, - mais il y aura là-bas le Paris debout, le Paris d'hier - et de demain, le Paris de toujours, le Paris de Voltaire et de Danton, le porte-flambeau, l'allumeur d'idées, le casseur de couronnes, et on verra que sa défaite n'est qu'une apparence et qu'il est toujours celui qu'il était, et tous reconnaîtront dans ce vaincu d'un roi le dompteur de la monarchie, dans cet opprimé le protecteur des opprimés, dans ce prisonnier de la Prusse le libérateur du monde. Et les départements respecteront Paris. Et ce sera autant leur intérêt que le sien. Car une médecine qui croirait fortifier les membres en coupant la tête serait tout juste aussi raisonnable qu'une décentralisation qui croirait fortifier les départements en les décapitant de Paris. »


8/02. Élection des membres de l'Assemblée nationale : « Le 8 février furent faites les élections de l'Assemblée nationale qui devait siéger à Bordeaux. La France eut à nommer 750 représentants, au scrutin de liste. Un tiers du pays vota sous les yeux des envahisseurs prussiens. Ces élections se firent dans les conditions les plus détestables pour l'honneur de la France et le salut de la République, dans les conditions les plus propres à donner une majorité monarchiste, soumise à Bismarck, capable de lui céder tout ce qu'il voudrait prendre en France, capable de signer une paix honteuse. » (Flourens, Paris livré, page 214) Edouard Lockroy au sujet du vote  : « Voici le grand jour. Le sort de la France va se décider. Ce vote d'aujourd'hui la peut perdre et pour longtemps. Ce vote la peut ressusciter. Dernière et suprême bataille! Que Paris livré, vaincu, humilié, se lève tout entier encore une fois, qu'il saisisse la seule arme qu'on lui ait laissée en ce désastre : le coin de papier qui porte le nom de ses représentants! Ô citoyens, pas d'abstention ! pas de découragement! pas de faiblesse! La revanche commence. Nos ennemis ont brisé nos armées ; ils tiennent nos forts ; ils nous écrasent. Les royalistes conspirent et s'unissent à eux. Ô citoyens, jetons-leur la République à la face. » (Le Rappel du 9/02)

Une dépêche du commandant du 2e secteur, le général Callier au général Trochu et aux ministres de l’Intérieur et de la Guerre, etc :


prévient qu’« Une (nouvelle) affiche rouge d'un comité central révolutionnaire et socialiste, uni aux représentants des clubs et des comités électoraux des vingt arrondissements de Paris, a été apposée sur les murs des secteurs. C'est un réquisitoire contre le gouvernement, il conclut à la mise en accusation du gouvernement par la prochaine Assemblée, laquelle devra demander la guerre et donner sa démission plutôt que de traiter des conditions de la paix. L'affiche est signée, pour le comité : — Le président, Raoul Rigault ; les assesseurs, Lavalette et Tanguy ; le secrétaire, Henri Verlet. Elle se termine par la liste des candidats à la députation. Le premier nom est Gambetta. »

Résultats par groupes, environ 750 sont élus députés au suffrage universel masculin, quelques rares députés internationaux siègeront sur les 43 présentés et seront amenés à démissionner. Garibaldi bien qu’élu sera rejeté comme un mal propre, parce que non Français (bien que né à Nice et nouvel élu du cru, ce même 8 février les Niçois rejettent l'idée de rejoindre la France en élisant en plus 2 élus séparatistes). Guiseppe Garibaldi sera renvoyé et non admis à la tribune.


1 - Les Orléanistes : 31,70 %, 214 sièges, ils sont favorables au comte de Paris, Philippe d’Orléans (Louis-Philippe II).

2 - Les Légitimistes : 26,96 %, 182 sièges, ce sont les partisans du comte de Chambord, alias Henri V, petit-fils de Charles X, ils sont pour la restauration de la monarchie absolue (les ultras ou réactionnaires).

3 - Les Républicains « modérés » : 16,59 %, 112 sièges, les fameux Jules : Grévy, Ferry, Favre, Simon, représentants de la « gauche républicaine » (mais ancré à droite) ;

4 - Les « Libéraux » : 10,67 %, 72 sièges, dont Adolphe Thiers, Jean Say, plus des ralliés orléanistes, le tout qualifié de centre gauche (avec un fort penchant conservateur et plus) ;

5 - Républicains  « radicaux » : 5,63 %, 38 sièges, dont Léon Gambetta, Georges Clemenceau, les républicains « radicaux » sont les seuls à vouloir poursuivre la guerre (Ils siégent à l'extrême gauche dans l'hémicycle, préfiguration des partis dits radicaux) ;

6 - Les Bonapartistes : 2,96 %, 20 sièges, notamment dans ses fiefs des Charentes et Corse, les derniers bastions politiques.

9/02. 10 nouveaux trains de ravitaillement sont arrivés par le chemin de fer, ce qui porte à 37 trains venus à Paris jusqu'à ce jour par la gare du Nord. Les 37 trains de marchandises étaient composé de 1.638 wagons : 4.909.558 kilogrammes de farine;  187.068 kil. de riz; 271.292 kil. de biscuits ; 432.750 kil. de salaisons ; 282.162 kil. de denrées diverses ; 47.675 kil. de poisson ; 314.278 kil. de bétail ; 1.840.000 kil. de combustible.

 

10/02. Le rationnement du pain cesse d'avoir lieu. La Ville de Paris a négocié un emprunt de 200 millions pour le paiement de la contribution de guerre. Juliette Adam s'exclame inquiète : « - Tiens, dis-je à Me Ménard, il y a eu un accident horrible à Saint-Nazaire. Vingt mille kilos de poudre ont sauté avec un train. Voilà à quoi sert la poudre maintenant, à tuer de pauvres voyageurs ! Si encore c'étaient des Prussiens !... Heureusement que, pour aller à Cannes, il est impossible de passer par Nantes et Saint-Nazaire ; sans cela... ».


11/02. Est nommé préfet de police par intérim M. Choppin, lui-même chef de cabinet (jusqu’au 15 mars).


12/02.  A Bordeaux, Zola cesse de travailler pour le ministre. Juliette Adam quitte la capitale avec le jeune fils d'Henri Rochefort, Octave son protégé. Le curé de Cuchery dans la Marne, l'abbé Miroy est fusillé par les prussiens.

 

13/02. Le cessez-le-feu est effectif dans l’Est du pays.

 

14/02. A Bordeaux, réunion de la nouvelle Assemblée nationale (ci-contre en illustration) dite des ruraux pour son vote massif pour les conservateurs et réactionnaires.




15/02. Vers la naissance du premier Comité central : Au Tivoli-Wauxhall (disparu), dans l’ancienne rue de la douane (rue Léon Jouhaux, 10e) se réunissent les délégués des gardes nationales des arrondissements, à l’exception du 1er et 2; le comité provisoire est composé des représentants suivants :  Génotel (3e arrondissement), Alavoine (4e), Manet (5e), Frontier (6e), Badois (7e), Soleyrole (8e), Mayer (9e), Arnold (10e), Piconel (11e), Audoynaud (12e), Soncial (13e), Da Costa (14e), Manson (15e), Pé (16e), Weber (17e), Trouillet (18e), Lagarde (19e), Adolphe Bouit (20e). Les jours suivants on cause dans les groupes locaux, l’idée de se fédérer est bien accueillie pour rassembler le plus grand nombre, la Fédération des gardes nationaux républicains est elle-même prête à la fusion dans une grande fédération parisienne.


16/02. La place forte de la ville de Belfort se rend (illustration ci-contre). Albert Sorel au sujet de la guerre dans son histoire diplomatique stipule sur la reddition : « Quoi qu'il en soit, il fallut céder, et le 15 février, la convention de délimitation fut signée. C'est ainsi que Belfort, dont la reddition aurait pu, le 28 janvier, contribuer à sauver l'armée de l'Est, fut remis à l'ennemi le 16 février. Paris n'avait pas su, en temps utile, choisir entre l'armée et la place ; on perdit à la fois l'une et l'autre. » (...) Et « peut donc être, à juste titre, considérée comme le dernier acte diplomatique du gouvernement de la Défense nationale. » (page 208) Le Journal Officiel annonce que l’armistice qui devait expirer au 19 est prorogé jusqu’au 24 février, et plus si les conditions l’exigent. A Bordeaux l’Assemblée continue à vérifier les pouvoirs des élus, il en reste 214 à examiner avant la fin de la séance, qui se termine à deux heures du matin. Il est aussi posé la question de savoir si les préfets doivent être élus?



17/02. Thiers est élu chef du pouvoir exécutif de la nouvelle Assemblée nationale. Les maires et adjoints de Paris, réunis à l'Hôtel de Ville, votent des remerciements au lord-maire de Londres et aux Anglais, à l'occasion du ravitaillement de Paris. La commission des Election de la Seine est composée de MM. Dubail, président, maire du 10e, Seveste, adjoint au maire du 16e, etc ; se sont réunis « à l'Hôtel de ville, salle Saint-Jean, à l'effet de procéder au recensement général des votes émis le 8 février par les électeurs du département de la Seine, pour l'élection de quarante-trois députés a l’Assemblée nationale. » (…) « Les procès-verbaux des sections électorales ont été examinés. Il a été fait lecture du décret du 29 janvier 1871, convoquant les électeurs pour la nomination de l’Assemblée nationale, ainsi que des divers autres décrets se rattachant aux opérations électorales, et des lois en vigueur. Il a été ensuite procédé au recensement général des votes, dont les résultats sont consignés au tableau qui est demeuré ci-joint annexé, avec cette observation que le nombre des électeurs inscrits du département de la Seine est de 547.858, dont le huitième, exigé par la loi du 15 mars 1849, pour être élu, est de 68.482. »

Votants totaux : 328.970 ; députés élus  et voix obtenues : Louis Blanc. 216.530 Victor. Hugo 213.686. Gambetta 202.399. Garibaldi 200.23. Quinet 199.472. Rochefort 165.67. Saisset 154.379. Delescluze 154.14. Joigneaux 153.265. Schoelcher 149.994. Félix Pyat 145.872. Henri Martin 139.420. Pothuau 139.280. Gambon 136.249. Lockroy 134.585. Dorian 128,480. Ranc 126,533. Malon. 117.483. Brisso 115.594. Thiers 103.226. Sauvage 102.672. Martin Bernard 102.366. Marc Dufraisse 101.688. Greppo 101.018. Langlois 95.851. Frébault 95.322. Clémenceau 95.144. Vacherot 94.621. Floquet. 93.579. Jean Brunet 91.914. Cournet. 91.656 Tolain 89.132. Littré 87.868. Jules Favre. 81.722. Arnaud (de l'Ariège) 79.955. Léon Say. 76,675. Ledru-Rollin 75.784. Tirard 75.207. Razoua 74.415 Ed. Adam. 73,245. Millière 73.121. Peyrat 72,480. Farcy 69,968.
                                                                                                    Journal Officiel
, du jour
18/02. Auguste Vacquerie au sujet de Garibaldi « Mais savez-vous que c'est odieux, ce que vous avez fait à Garibaldi! Lui à qui la France avait pris sa ville natale, il était accouru au danger de la France ; lui que vous aviez empêché d'entrer à Rome, il avait voulu empêcher les Prussiens d'entrer à Paris ; lui sur qui les chassepots avaient "fait merveille" à Mentana, il avait eu la générosité de secourir ses assassins! Vous l'aviez vu s'offrir tout entier, risquer plus que sa vie, risquer son prestige et sa gloire acquise dans un effort déjà impossible; son héroïsme magnanime avait accepté les conséquences de l'incapacité de vos généraux; il était venu faire quelque chose de plus grand que de vous sauver, il était venu périr avec vous ! » (Le Rappel, du jour). Les chemins de fer de l’Est rétablissent le service aux voyageurs entre Paris et Argentan (départ à 7h02 et arrivée à 12h48…).



Garibaldi et ses fils en uniforme


Victor Hugo à Paul Meurice


Bordeaux, 18 février.

Cher Meurice, voici ma première minute de loisir, elle est pour vous, pour Mme Meurice, pour Auguste Vacquerie. Ah! que vous me manquez tous! Vous manquez à mon coeur, vous manquez à ma conscience, vous manquez à mon esprit. Jamais je n'ai eu plus besoin de vous qu'en ce moment où je ne vous ai plus. Je ne sais si cette lettre vous parviendra. Le caprice prussien est impossible à prévoir aussi bien qu'à limiter. Enfin, nous voilà ici. Rude, voyage. Victor vous l'a décrit et vous l'a conté. Arrivés à Bordeaux le 14 à 2 heures, pas de logis, tous les hôtels pleins ; à 10 heures du soir nous ne savions pas encore où nous coucherions. Enfin nous sommes sous des toits et même chez des hôtes sympathiques. Maintenant, de vous à moi, la situation est épouvantable.

L'Assemblée est une Chambre introuvable; nous y sommes dans la proportion de 50 contre 700. C'est 1815 combiné avec 1851 (hélas! les mêmes chiffres un peu intervertis). Ils ont débuté par refuser d'entendre Garibaldi, qui s'en est allé. Nous pensons, Louis Blanc, Schoelcher et moi, que nous finirons, nous aussi, par là.

Il n'y aura peut-être de ressource devant les affreux coups de majorité imminents, qu'une démission en masse de la gauche, motivée. Cela resterait dans le flanc de l'Assemblée et la blesserait peut-être à mort. Nous avons réunion de la gauche tous les soirs. Nous faisons, Louis Blanc et moi, d'énormes efforts pour la grouper. Beaucoup d'entente et une forte discipline nous permettraient peut-être de lutter. Mais obtiendrons-nous cette entente? Pas un journal pour nous. Nous sommes en l'air. Aucun point, d'appui. Le Rappel, publié ici, rendrait d'immenses services. Un de vous devrait venir. Pour juger cette situation, il faut la voir. A Paris vous ne vous en doutez pas. Que je suis loin de ces charmants jours de votre hospitalité. J'avais des bombes au-dessus de la tête, mais j'étais près de votre coeur.

19/02. A l’Assemblée après des remerciements et une brève introduction, M. Thiers annonce la formation du gouvernement : « Permettez-moi de vous énumérer les noms, les attributions des collègues qui ont bien voulu me prêter leur concours : M. Dufaure, ministre de la justice ; Jules Favre, ministre des affaires étrangères ; M. Picard, ministre de l'intérieur ; M. Jules Simon, ministre de l'instruction publique ; M. de Larcy, ministre des travaux publics ; M. Lambrecht, ministre du commerce ; M. le général Le Flô, ministre de la guerre ; M. l'amiral Pothuau, ministre de la marine. « Dans cette énumération manque le ministre des finances. Ce choix est déjà arrêté dans la pensée du conseil ; mais l'honorable membre auquel sera attribué ce département n'étant point encore à Bordeaux, je n'ai pas cru devoir livrer son nom à la publicité. Vous avez remarqué sans doute que je ne me suis chargé d'aucun département ministériel, afin d'avoir plus de temps pour ramener à une même pensée, entourer d'une même vigilance toutes les parties du gouvernement de la France. Sans vous apporter aujourd'hui un programme de gouvernement, ce qui est toujours un peu vague, je me permettrai de vous présenter quelques réflexions sur cette pensée d'union qui me dirige, et de laquelle je voudrais faire sortir la reconstitution actuelle de notre pays. » André Léo au sujet de Benoît Malon adresse un article élogieux : « Je vous donne les renseignements que vous désirez sur Benoît Malon, avec d'autant plus d'empressement que j'apprends qu'il est en ce moment même l'objet d'ignobles attaques. L'année dernière déjà, dans le Rappel, j'ai proclamé toute mon estime pour lui ; je serai heureuse qu'une nouvelle voix s'élève pour le venger de ceux qu'offusquent nécessairement de nobles et simples droitures comme la sienne. » (Le Rappel, du jour)


Victor Hugo à Paul Meurice


Bordeaux, le 19 février.

J'ajoute quelques lignes en hâte. Vous savez que le peuple de Bordeaux m'a fait, le lendemain de mon arrivée, une ovation magnifique. Cinquante mille hommes dans la Grande Place ont crié : « Vive Victor Hugo! » Le lendemain, l'Assemblée a fait garder militairement la Grande Place par de l'infanterie, de la cavalerie et de l'artillerie. Comme j'avais crié : « Vive la République ! » et que le peuple avait multiplié ce cri par cinquante mille bouches, l'Assemblée a tremblé. Elle s'est déclarée insultée et menacée. Cependant je n'ai pas soulevé d'incident, je me réserve pour le jour décisif.

C'est l'avis de la réunion de la gauche, où siègent Louis Blanc, Schoelcher, Joigneaux, Martin-Bernard, Langlois, Lockroy, Gent, Brisson, etc., et qui m'a nommé son président. Hier, on a agité des questions très graves : le futur traité Thiers/Bismarck, l'intolérance inouïe de l'Assemblée, lé cas probable d'une démission en masse. On croit l’Assemblée capable de ne vouloir entendre aucun orateur de la gauche sur le traité de paix. Il va sans dire que je remplirai là les suprêmes devoirs. Ce matin, le président du Cercle national de Bordeaux est venu mettre ses salons à ma disposition. La sympathie de la ville pour moi est énorme. Je suis populaire dans la rue et impopulaire dans l'Assemblée. C'est bon. Et je vous serre dans mes bras.

20/02 : Le général Jules Trochu demande sa mise en disponibilité, et refuse le grade de maréchal et la décoration qui lui sont proposés par Thiers. Après son dernier échec de sortie en direction de Versailles (bataille de Buzenval), il tire le constat des échecs face aux Prussiens de manière retentissante, et sa popularité a fondu comme neige au soleil. Victor Hugo écrira en juin : « Trochu, participe passé du verbe trop choir ».

 

21/02. En première page du Journal des Débats du jour, il est annoncé le retour à Paris de M. Thiers et de son ministre de l’intérieur et précise que « le ministre des affaires étrangères a écrit à M. de Bismarck que M. Thiers se rendrait, aujourd'hui à Versailles pour conférer avec lui. A ce propos, un journal du soir assure que le Moniteur prussien de Versailles attaque vivement le nouveau chef du pouvoir exécutif, en déclarant que la Prusse, loin de songer à faire à la France des conditiions en direction de Versailles de paix plus douces que celles dont il a été question au début, serait plutôt disposée a les aggraver. Si le fait était vrai, il faudrait en conclure que la Prusse est mécontente de voir le gouvernement entre les mains de M. Thiers. Mais alors dans quelles mains fallait-il le remettre? » A Berlin sont publiés des rapports officiel, selon l’agence Havas et ils créditent : « les pertes totales des Français s'élèvent, en janvier, à 350.000 hommes avec 860 pièces d'artillerie de campagne. Dans ce chiffre sont compris 24.000 hommes da Chanzy, 12.000 de Roye, 10.000 de Faidherbe et 30.000 de Bourbaki. Ne sont pas compris les 80.000 qui se sont retirés en Suisse, mais bien les 150.000 qui se trouvent à Paris. La perte totale, en janvier, des Allemands, s'élève à 10.000 hommes. »

 

22/02 Le Journal Officiel informe que M. Thiers a passé la journée avec M. Otto Bismarck à Versailles et l’armistice est prorogée jusqu’au 26. A Paris est affiché une déclaration du maire de Paris, Jules Ferry : « L’Administration du Chemin de fer du Nord, généreusement et patriotiquement inspirée, a voulu faire à la population parisienne une part dans les approvisionnements de combustibles qui lui arrivent journellement… Elle a cédé au Gouvernement une certaine quantité de Charbon de terre, qui permettra de satisfaire à des prix plus modérés que ceux que détermine la rareté de la matière, aux besoins les plus pressants des services publics et de l’industrie. La Mairie de Paris s’est chargée de la distribution… »

 

23/02. Le Times reçoit de Versailles dans la soirée le télégramme suivant : « M. de Bismarck a déclaré qu'il ne consentirait à une nouvelle prorogation de l'armistice, demandée par les Français que si la paix était conclue. Si les conditions ne sont pas acceptées, les hostilités reprendront dimanche à minuit. Cependant, si la paix parait probable, un délai pourrait être accordé. Les batteries des forts ont été tournées contre Paris. » Selon le Journal des Débats, les membres de l'Assemblée du parti légitimiste ont formé un groupe de 220 députés inscrits et la gauche « est divisée en deux fractions, comprenant l'une cent et l'autre cinquante membres ». Du Préfet de police au président du gouvernement, ministre de l'intérieur et Général en chef et maire de Paris : « Il a été décidé hier dans les clubs que de grandes manifestations auraient lieu sur la place de la Bastille. Je fais consigner la garde républicaine. »

 

24/02 : Dans la capitale, au Wauxhall-Tivoli (10e), une assemblée générale est organisée des gardes nationales parisiennes (GNP) et deux motions sont adoptées, l’une porte sur le refus de rendre les armes et l’autre sur le rejet de la capitulation devant les Prussiens. 2.000 personnes sont présentes et soutiennent l’idée d’une Fédération, qui est vivement soutenue par les présents, et sont à l’unanimité adoptés des statuts par les délégués, plus une motion refusant toute forme de désarmement et jusqu’à l’usage de la force si nécessaire. Le Comité central est enfin sur les rails… Il se tient aussi une grande manifestation à la Bastille auxquels les participants se joignent.

 

25/02. Les dépêches du Préfet de police au président du gouvernement à diverses autorités, une première dépêche est envoyée à midi 35 minutes : « Les groupes persistent, mais peu nombreux et plutôt composés de curieux. La situation est toujours exploitée contre les gardiens de la paix. Les comptes-rendus des clubs d'hier soir sont fort mauvais. » A 2 heures de l’après midi : « Les manifestations s'accentuent dans un mauvais sens, on poursuit et maltraite les femmes bien vêtues, les sergents de ville sont obligés de se cacher. Il faut prendre ses précautions. » 45 minutes après : «  La foule a grossi à la Bastille, on compte trois mille personnes en armes ; députations nombreuses déposant des couronnes. (Numéros des bataillons : 206e, 65e et 137e). » Le général Callier depuis la Bastille décide de ne pas intervenir.

Le Préfet de police à 3 heures 17 minutes envoie cette nouvelle appréciation :


« La foule est toujours assez nombreuse. Beaucoup de curieux. On voit un certain nombre d'uniformes militaires. Les députations de la garde nationale se succèdent toujours sur la place, quelques compagnies en corps et tambours en tète. On signale comme ayant pris part à la manifestation trente hommes et un clairon portant un uniforme semblable à celui des chasseurs à pied et ayant sur leurs képis le numéro 137. Quelques discours, cris de : Vive la ligne ! Vive la République ! A bas les traîtres ! » Trois quart d'heure après : « Les journaux avancés du matin contiennent une convocation de la garde mobile de la Seine pour aujourd'hui 2 heures, place Saint-Vincent de Paul, à l'effet de se rendre à la Bastille. » A 6 heures du soir : « La foule est toujours considérable place de la Bastille. Les députations continuent à apporter des couronnes. Deux mille mobiles de la Seine ont défilé, précédés de deux fourriers portant une grande couronne noire. La foule crie : Vive la mobile ! Vive la République ! » 50 minutes après : « Toujours même foule ; à chaque couronne déposée, des clairons de la garde nationale sonnent aux champs, et on crie : Vive la République ! », etc. Et à 9 heures 45 minutes du soir : « La place de la Bastille se vide peu à peu. La manifestation tourne à la parade et paraît exciter peu à peu le dégoût des assistants. »

                                                          

                                                             Les prussiens à Paris et le 18 mars, C. Yvriarte

                


Photo de soldats de la garde nationale pendant le siège


Dimanche 26/02. A Versailles les préliminaires de paix sont signés. (Le traité définitif sera signé à Francfort le 10 mai). Le préfet de Police après avoir adressé une première dépêche à 11 heures 47 du matin signalant peu de monde place de Bastille, une heure après : « La foule augmente depuis onze heures place de la Bastille. Toujours les mêmes détachements de la garde nationale, les mêmes couronnes. Rien d'hostile, on remarque des marins dans la cohue. (L'un d'eux vient de couronner le génie de la Liberté.) On a arboré le drapeau rouge. » Puis, il est annoncé qu’un agent a été pris par des manifestants et jeté à l’eau. A cinq heures du soir, place Wagram une foule résolue et calme décide de ne pas laisser les canons à l’ennemi, des soldats de divers bataillons commencent après quelques bousculades avec leurs gardiens à embraquer les pièces d’artillerie. Pendant qu’à la Bastille la manifestation s’amplifie, à 6 heures trente du soir, l’on signale l’arrivée de canons sur la place tirés par des hommes, une demi-heure après il est question d’ « une levée en masse ».

A Belleville à neuf du soir, il est signalé une forte mobilisation de bataillons en arme, 2.000 hommes sont réunis boulevard de Belleville et le mot d’ordre est de se rendre place du Château d’Eau (descente présumée du faubourg du Temple). Le Préfet de Police à M. Thiers, etc, « On vient d'enlever les canons du parc de la Muette, on les traîne au Trocadéro et au champ de Mars. La réunion de la Marseillaise (le journal) a résolu d'opposer la force à l'entrée des Prussiens, elle attend des ordres du Comité central de la rue de la Corderie. » Le Général Callier à M. Thiers, etc, « Les bataillons se rassemblent en armes et disent vouloir s'opposer à l'entrée des Prussiens. L'animation est grande, le mouvement essentiellement patriotique et uniquement dirigé contre l'ennemi. La prolongation de l'armistice suspendra ce mouvement ; mais il est certain qu'il se reproduira si les Prussiens doivent entrer dans Paris. N'y a-t-il pas là un danger véritable, et n'y aurait-il pas lieu d'en tenir compte dans les négociations? » (Les prussiens à Paris et le 18 mars, C. Yvriarte)  Dans la nuit libération de la prison Sainte Pélagie d’Antoine Brunel et Joseph Piazza (fusillé le 24 mai), comandants de bataillon des gardes parisiennes.

Texte de la convention dite du 26 février 1871, publiée au Journal officiel  du lendemain : 


PROLONGATION DE L'ARMISTICE : Entre les soussignés (Bismarck, Thiers et Favre), munis des pleins pouvoirs de l'Empire d'Allemagne et de la République française, la convention suivante a été conclue.


- ARTICLE Ier. Afin de faciliter la ratification des préliminaires de paix conclus aujourd'hui entre les soussignés, l'armistice stipulé par les conventions du 28 janvier et du 15 février dernier est prolongé jusqu'au 12 mars prochain.

- ARTICLE II. La prolongation de l'armistice ne s'appliquera pas à l'article IV de la Convention du 28 janvier, qui sera remplacé par la stipulation suivante, sur laquelle les soussignés sont tombés d'accord : La partie de la ville de Paris, à l'intérieur de l'enceinte comprise entre la Seine, la rue du Faubourg Saint-Honoré et l'avenue des Ternes, sera occupée par des troupes allemandes, dont le nombre ne dépassera pas trente mille hommes. Le mode d'occupation et les dispositions pour le logement des troupes allemandes dans cette partie de la ville seront réglées par une entente entre deux officiers supérieurs des deux armées, et l'accès en sera interdit aux troupes françaises et aux gardes nationales armées pendant la durée de l'occupation.

- ARTICLE III. Les troupes allemandes s'abstiendront à l'avenir de prélever des contributions en argent dans les territoires occupés. Les contributions de cette catégorie dont le montant ne serait pas encore payé seront annulées de plein droit ; celles qui seraient versées ultérieurement, par suite d'ignorance de la présente stipulation, devront être remboursées. Par contre, les autorités allemandes continueront à prélever les impôts de l'État dans les territoires occupés.

- ARTICLE IV. Les deux parties contractantes conserveront le droit de dénoncer l'armistice à partir du trois mars selon leur convenance, et avec un délai de trois jours pour la reprise des hostilités, s'il y avait lieu. Fait et approuvé à Versailles, le 26 février 1871.

27/02. Pas de réunion de l’Assemblée à Bordeaux ce jour et la gauche radicale tente de se mettre d’accord sur le refus de céder une partie du territoire, ne permettant pas aux fractions de s’entendre, à l’issue de la rencontre Léon Gambetta demande d’attendre le résultat des négociations, et M. Thiers est attendu dans la nuit dans la capitale girondine. A Paris, à une heure 30 minutes du matin, le Préfet au Président du gouvernement, etc. : « Les gardes nationaux se réunissent toujours au square du Temple et se dirigent par petits groupes vers les Champs-Elysées. Le but du mouvement est toujours d'empêcher l'armée ennemie d'entrer dans Paris. » 

Du ministre de la marine au Président, etc. à 4 heures 30 minutes matin : « Trois mille hommes rassemblés sur la place de la Concorde et venus par le boulevard de la Madeleine et la rue Royale montent les Champs-Elysées et marchent en bon ordre ; ils poussent le cri de Vive la République ! Il n'y a rien de menaçant dans leur allure, mais on sent qu'il y a évidemment organisation. » Le Préfet à diverses autorités : « J'apprends par un exprès que Sainte-Pélagie est attaquée ; on est en train d'enfoncer les portes. Le poste ne résiste pas. » A 5 heures 25 minutes du matin : « Le factionnaire de la caserne de la Cité vient de voir passer à peu près huit cents gardes nationaux armés ; ils emmènent avec eux les prisonniers de Sainte-Pélagie, dont je viens de vous annoncer l'attaque. Le mouvement s'étend sur la rive gauche. Une prise d'armes a eu lieu dans le 5e arrondissement ; les gardes armés se sont portés sur le 13e arrondissement. »


Le Préfet au général en chef, à 7 heures du matin : « Le général commandant le 2e secteur est fait prisonnier dans son secteur ; on a coupé les fils télégraphiques ; les gardes nationaux, partout où ils se présentent, invoquent le même prétexte : ils veulent des cartouches pour s'opposer à l'entrée des Prussiens. » Le général commandant le 4e secteur au général en chef à 9 heures 25 minutes : « Des gardes nationaux viennent de remonter les pièces du bastion 36 sur leurs affûts et réarment le rempart. Six pièces viennent d'être mises en batterie devant la porte de la Chapelle. On insulte les factionnaires des poudrières, on les violente et on leur demande de livrer les clefs. » Le général commandant le 5e secteur au commandant en chef, à 11 heures matin : « L'enlèvement des pièces continue ; le fait se passe sans violences : les postes d'artillerie de la garde nationale sont de connivence ; on n'a pas la force nécessaire pour s'opposer aux envahissements. Depuis hier, cinq bataillons de garde nationale du secteur ont été convoqués : aucun n'a répondu. » Le général commandant le 4e secteur au commandant en chef, 15 minutes après :  « Je ne puis employer que la persuasion pour arrêter l'excès de zèle des gardes nationaux. Je n'aurais pas, du reste, d'autres moyens à ma disposition. Le 129e bataillon s'est dispersé tranquillement. »


Le Préfet de police au Président du gouvernement à 11 heures 55 minutes matin : « L'entrée des Prussiens dans Paris exaspère la population. Place des Vosges, on semble disposé à une insurrection. » Le Major de place au 7e secteur à une heure de l’après-midi : « Sur l'ordre du général en chef, je commande les 15e et 17e bataillons pour les mettre à la disposition du Président du pouvoir exécutif au ministère des affaires étrangères. » Une demi-heure après un échange du ministre de la marine au ministre des affaires étrangères : « Des groupes nombreux de gardes en armes se forment sur la place de la Concorde. Le bataillon qui garde le ministère de la marine n'est plus réuni. Le Président du pouvoir exécutif est-il en sûreté? » Le Préfet de police au général Callier, trente minutes plus tard : « Les bataillons continuent leur mouvement par le boulevard Richard-Lenoir, les boulevards des Amandiers et de Ménilmontant, celui du Prince-Eugène. Il y en a déjà d'arrivés à la hauteur de l'Arc de triomphe. Ils montrent le plus grand acharnement contre les sergents de ville ». Au sein de l’état-major militaire, une information précise que quatre  officiers de la garde nationale sont venus sans troupe : « avec la note suivante : - Comité central de la garde nationale. - Le capitaine Dehoux, de la 4e du 87e, rassemblera immédiatement la compagnie pour aller prendre au Ranelagh, à Passy, les canons qui y sont. »


Du ministère de l’Intérieur au général en chef et au préfet de police à 1 heure 30 minutes de l’après-midi : « On me signale tentatives de pillage sur ateliers Warral Midgleton, avenue Trudaine, n°9. Les canons en magasin sont le prétexte. » Le général commandant du 5e secteur au général Vinoy, au Louvre, quarante minutes après : « Toutes les pièces de 7 qui restaient ce matin au parc de la place Wagram ont été enlevées il y a une heure par notre artillerie et transportées aux Invalides ; mais des gardes nationaux appartenant à toute espèce de bataillons, surexcités par des meneurs, se présentent de nouveau pour enlever ou briser les caissons, et je n'ai pas de moyen de m'opposer. Je regrette que le bataillon du 35e ait été si vite retiré ce matin de son poste du parc Wagram. »


Secrétaire général préfecture de police à préfet de police, aux affaires étrangères à 2 heures 55 : « Une foule de deux mille personnes, rue Turbigo, escortait une voiture contenant trois individus reconnus pour être des sujets prussiens ; on criait : A l'eau ! et on avait réellement l'intention de se défaire d'eux, car on les conduisait sur le quai Valmy. Un officier du 107e bataillon s'est opposé ; il a proposé de les conduire place de la Corderie du Temple, au Comité central, pour être jugés. La foule les a entraînés de ce côté. » Le Secrétaire général au préfet police, et aux affaires étrangères : « Trois canons sont amenés par des femmes sur la place de la mairie, à Montmartre, quatre autres dans la rue Legendre. Des gardes mobiles de Paris, officiers en tête, ont passé sur le boulevard de Clichy avec quatre pièces de canon, se dirigeant sur le centre de Paris. Le 61e et le 123e bataillon de Montmartre sont partis pour Passy avec armes et cartouches. Le 129e bataillon a destitué son commandant, qui résistait, et en a nommé un autre. Les arrestations arbitraires continuent. Barberet occupe la mairie du 18e arrondissement à midi et demi, avec des hommes du 79e bataillon. Le 132e se dirige vers la Bastille avec ses canons et l'état-major en tète ».


Préfet de police à Président du conseil, au général en chef, un peu plus de deux heures après : « Quinze cents mobiles de la Seine, d'autres disent trois mille, convoqués par le Vengeur rue Lafayette, se sont rendus de là à la Bastille clairons en tête, pour défiler autour de la colonne. Peu d'officiers, abstention de quelques sous-officiers et caporaux. Ils doivent aller à l'École militaire délivrer les marins, et à la caserne de la Pépinière. »


Ministère de l’Intérieur au général en chef , dépèche de 5 heures 35 minutes : « Les gardes nationaux qui ont occupé la gare de la Chapelle font rétrograder les trains ; ils les fouillent et font des arrestations. » Ministère de la Marine au général Vinoy, trente minutes après : « Les mobiles de Paris ont forcé la caserne de la Pépinière et cherchent à entraîner les matelots vers la place de la Bastille. J'écris au commandant de faire tout son possible pour retenir nos matelots ; mais je ne dispose d'aucune force. »


Préfet police, aux ministres, au général en chef, etc. à 6 heures 52 minutes : « Neuf canons ou mitrailleuses sont en batterie sur la place du Château-Rouge, tournés vers les remparts et gardés par des gardes nationaux et des artilleurs de la garde nationale, et des soldats du 110e de ligne. Les officiers sont partis pour chercher des munitions boulevard Ornano et dans les rues adjacentes. » (Les prussiens à Paris et le 18 mars, C. Yvriarte)

                                        

                            

                              Défilé des troupes d'occupation sur les Champs Elysées le 28 février 1871

Mardi 28/02. Pendant la nuit du 27 au 28 il y a beaucoup d’agitation à Paris, il existe une forte concentration aux alentours des Champs Elysées et l’on s’attend à l’entrée imminente de l’armée prussienne. Du général commandant du 3e secteur au général Vinoy, une dépêche à une heure 10 minutes du matin : « M. Frey, ingénieur mécanicien, impasse Rebeval, 23, a six mitrailleuses et un petit canon en magasin. Il est menacé à son tour. Quelle réponse lui faire? » Réponse du général Vinoy 10 minutes après : « Enlevez les manivelles! » (sic). Dans certains quartiers, le tocsin est sonné, pendant que 15.000 gardes nationales de Belleville, La Chapelle, Ménilmontant, Montmartre, Montrouge, etc., se dirigent vers le palais de l’Industrie, puis se rendent place Wagram où se trouve « un immense parc d’artillerie ». A l’annonce de la nouvelle de la signature parvenant dans la capitale tout se calme selon le Journal des Débats et les pièces d’artillerie sont depuis hors d’atteintes des armées d’occupation. Édition de l’Affiche Noire du comité provisoire des Gardes nationales qui demande à ne pas manifester contres les troupes allemandes.

Le Préfet de police à 12 heures 40 minutes : « La réunion de la Marseillaise, contenant quatre mille personnes, vient de se terminer. Les résolutions suivantes y ont été arrêtées : - On se rendra d'abord place des Vosges, convertie en parc d'artillerie, pour garder les canons ; on s'assurera des portes de Paris et s'emparera ce matin à six heures de l'hôtel de ville et de la préfecture de police. Un sieur Darras est nommé général en chef. Les assistants se sont séparés pour aller prendre leurs armes ; un sieur Digoux a promis de rapporter immédiatement vingt mille cartouches. On formera un comité de salut public dans le 19e arrondissement, et il servira de modèle aux autres, qui fonctionnent sous la direction d'un comité central. » Le secrétaire général de la préfecture de police, au Préfet, aux Affaires étrangères à 3 heures 25 minutes : « Les gardes nationaux du 12e arrondissement prennent les armes; le 73e a formé les faisceaux sur l'avenue Daumesnil. Les hommes prétendent avoir reçu mission de rétablir l'ordre et de s'opposer à l'entrée des Prussiens dans l'arrondissement. Ces gardes nationaux prétendent avoir trouvé à la gare de Lyon trente et un canons cachés. On signale, rue de l'École, puis rue Mazarine, des passages de forts détachements de gardes nationaux, marins, mobiles ; ils crient "Aux armes!". Vingt-quatre pièces d'artillerie traînées par des gardes nationaux sont passées dans la rue de Grenelle Saint-Germain. Les concierges des rues du faubourg du Temple sont prévenus que les gardes nationaux viendront pendant la nuit chercher, de gré ou de force, les hommes valides pour les contraindre à marcher. A Montmartre les barricades s'élèvent ; grand mouvement de canons. On visite toutes les gares, on enlève les dépôts de fusils des différents corps constitués au moyen des employés. » A la gare de l'Est il est constaté de même des infractions...


Le Préfet de police au général Vinoy, à 6 heures du soir : « Les poudrières du Panthéon sont-elles gardées? Plusieurs avis disent qu'elles sont menacées comme les autres dépôts de munitions de Paris. » Le général Hubert Callier, au  général Vinoy, 10 minutes après : « J'ai la satisfaction de vous annoncer que les trois millions de cartouches que j'avais dans mes poudrières sont complètement transportées au Panthéon. » Le général commandant le 4e secteur au général 15 minutes après : « Plusieurs bataillons du 18e arrondissement ont le projet de relever cette nuit le poste de la mairie de cet arrondissement, fort de quatre-vingts hommes, et d'employer la violence en cas de refus. Le chef du poste paraît disposé à se défendre, il demande des cartouches et du renfort. Faut-il entrer dans cette voie? Je ne pourrais du reste disposer que des compagnies de ce bataillon; on ne peut nullement compter sur les autres bataillons en cette circonstance. »


Le Commissaire de la gare du Nord au Préfet de police, à 6 heures 35 minutes : « La Compagnie m'informe que demain, à six heures, des piquets du 125e bataillon seront postés aux portes de la gare de la Chapelle pour fermer aux ouvriers (onze cents) l'entrée des ateliers, et sans doute pour entraîner ces derniers avec eux. » Le Maire de Paris au ministère de l’Intérieur, etc., au même moment : «  Le service de la voie publique m'informe officiellement que les gardes nationaux du 18e arrondissement ont construit plusieurs barricades boulevard Ornano, d'autres entre la rue Myrrha et la rue Labat, rue Dejean, place du Château-Rouge, fermant la rue Custine et la rue Poulet ; une cinquantaine de bouches à feu sont placées entre les barricades et dans les terrains Versigny, rue Poteau-Brémond, boulevard Ornano, rue Levis, rue Dejean. » Du secrétaire général préfet de police au préfet, etc. : « Des gardes nationaux armés viennent de se présenter à la porte du boulevard du Palais, demandant qu'on leur remette les mitrailleuses. Le poste de la garde républicaine a croisé la baïonnette. Nous prenons nos mesures de défense. » (Les prussiens à Paris et le 18 mars, C. Yvriarte)

Un certain nombre de journaux légalistes refuseront de publier le lendemain face à l’occupation de Paris, le Journal des Débats suspend deux numéros avant de republier le vendredi 3 mars. Lire aussi l'annonce du gouvernement sur l'occupation de la capitale à partir du 1er mars dans les documents annexes.

Dans cette lutte contre la Prusse, l'essor du peuple a été constamment réprimé par ses maîtres. Il n'a pu rien faire que se faire tuer obscurément et inutilement.

                                                G. Flourens, Paris livré, épilogue, page 224


Documents et annexes

               PROTOCOLE du 28 janvier 1871 : DÉSARMEMENT DE PARIS


Lignes de démarcation des deux armées. Reddition des forts et des redoutes. Remise de l'armement et du matériel.

 

Article 1er.  Lignes de démarcation devant Paris. Les lignes de démarcation seront formées du côté français par l'enceinte de la ville. Du côté allemand, 1° sur le front sud : la ligne partant de la Seine, à l'extrémité nord de l'île Saint-Germain, longera l'égout d'Issy et continuera entre l'enceinte et les forts d'Issy, de Vanves, de Montrouge, de Bicêtre, d'Ivry, en se tenant à une distance d'environ cinq cents mètres des fronts des forts, jusqu'à la bifurcation des routes de Paris au Port-à-l'Anglais et d'Alfort.

 

2° Sur le front est : Depuis le dernier point indiqué, la ligne traversera le confluent de la Marne et de la Seine, longeant ensuite les lisières de l'ouest et du nord du village de Charenton pour se diriger directement à la porte de Fontenay en passant par le rond-point de l'obélisque. Puis la ligne se dirigera vers le nord jusqu'à un point à 500 mètres à l'ouest du fort de Rosny et au sud des forts de Noisy et de Romainville, jusqu'à l'endroit où la route de Pantin touche au bord du canal de l'Ourcq. La garnison du château de Vincennes sera d'une compagnie de deux cents hommes et ne sera pas relevée pendant l'armistice.

 

3° La ligne continuera jusqu'à 500 mètres au sud-ouest du fort d'Aubervilliers le long de la lisière sud du village d'Aubervilliers et du canal Saint-Denis, traversant ce dernier à 500 mètres au sud de la courbe, gardant une distance égale au sud des ponts du canal et se prolongeant en droite ligne jusqu'à la Seine.

 

4° Sur le front ouest : A partir du point où la ligne indiquée touche à la Seine, elle en longera la rive gauche en amont jusqu'à l'égout d'Issy. De légères déviations de cette ligne seront permises aux troupes allemandes autant qu'elles seront nécessaires pour établir leurs avant-postes de la manière qu'exige la sûreté de l'armée.

 

Art. 2. Passage de la ligne de démarcation. Les personnes qui auront obtenu la permission de franchir les avant-postes allemands ne pourront le faire que par les routes suivantes : Route de Calais. Lille. Metz. Route de Strasbourg, porte de Fontenay. Bâle. Antibes. Toulouse. Puis enfin sur les ponts de la Seine, comprenant celui de Sèvres dont la reconstruction est permise. Pont de Neuilly. Asnières. Sèvres. Saint-Cloud.

 

Art. 3. Reddition des forts et redoutes. La reddition s'opérera dans la journée du 29 janvier 1871, à partir de 10 heures du matin, et de la manière suivante : Les troupes françaises auront à évacuer les forts et le territoire neutre, en laissant dans chacun des forts le commandant de place, le garde du génie, le garde d'artillerie et le portier consigne. Aussitôt après l'évacuation de chaque fort, un officier de l'état-major français se présentera aux avant-postes allemands, afin de donner les renseignements qui pourraient être demandés sur ce fort, ainsi que l'itinéraire à suivre, afin de s'y rendre. Après la prise de possession de chaque fort et après avoir donné les renseignements qui pourront lui être demandés, le commandant de place, le garde du génie, le garde d'artillerie et le portier consigne rejoindront à Paris la garnison du fort.

 

Art. 4. Remise de l'armement et du matériel. Les armes, pièces de campagne et le matériel seront remis aux autorités militaires allemandes dans un délai de quinze jours, à partir de la signature de la présente convention, et déposés, par les soins des autorités françaises, à Sevran. Un état d'effectif de l'armement et du matériel sera remis par les autorités françaises aux autorités allemandes avant le 4 février prochain. Les affûts des pièces qui arment les remparts devront être également enlevés avant celle époque. Versailles, 26 janvier.

 

Le chef d'état-major général de l'armée de Paris, DE VALDAN. Le chef d'état-major général des armées allemandes, DE MOLKTE.


                       PROLONGATION DE L'ARMISTICE : 26 février 1871


Entre les soussignés munis des pleins pouvoirs de l'Empire d'Allemagne et de la République française, la convention suivante a été conclue :

 

Article 1er. Afin de faciliter la ratification des préliminaires de paix conclus aujourd'hui entre les soussignés, l'armistice, stipulé par les conventions du 28 janvier et du 15 février dernier, est prolongé jusqu'au 42 mars prochain.

 

Art. 2. La prolongation de l'armistice ne s'appliquera pas à l'article IV de la convention du 28 janvier qui sera remplacé par la stipulation suivante, sur laquelle ; les soussignés sont tombés d'accord. La partie de la ville de Paris, à l'intérieur de l'enceinte, comprise entre la Seine, la rue du faubourg Saint-Honoré et l'avenue des Ternes, sera occupée par des troupes allemandes dont le nombre ne dépasser et, pas trente mille hommes. Le mode d'occupation et les dispositions pour le logement des troupes allemandes dans cette partie de la ville, seront réglés par une entente entre deux officiers supérieurs des deux armées, et l'accès en sera interdit aux troupes françaises et aux gardes nationales armées pendant la durée de l'occupation.

 

Art. 3. Les troupes allemandes s'abstiendront à l'avenir de prélever des contributions en argent dans les territoires occupés. Les contributions de cette catégorie. dont le montant ne serait pas encore payé, seront annulées de plein droit ; celles qui seraient versées ultérieurement par suite d'ignorance de la présente stipulation, devront être remboursées. Par contre, les autorités allemandes continueront à prélever les impôts de l'État dans les territoires occupés.

 

Art. 4. Les deux parties contractantes conserveront le droit de dénoncer l'armistice à partir du trois mars, selon leur convenance et avec un délai de trois jours pour la reprise des hostilités s'il y avait lieu.

 

Fait et approuvé à Versailles, ce 26 février 1871, V. BISMARCK. A. THIERS, JULES FAVRE.



Préliminaires du TRAITÉ DE PAIX : 26 février 1871


Le chef du pouvoir exécutif de la République française propose à l'Assemblée nationale le projet de loi dont la teneur suit : L'Assemblée nationale, subissant les conséquences de faits dont elle n'est pas l'auteur, ratifie les préliminaires de paix dont le texte est ci-annexé et qui ont été signés à Versailles, le 26 février 1871, par le chef du pouvoir exécutif et le ministre des affaires étrangères de la Répuque française, d'une part ; Et, d'autre part, par le chancelier de l'Empire germanique, M. le comte Otto de Bismarck-Schonhausen; le ministre d'État et des affaires étrangères de S. M. le roi de Wurtemberg, et le ministre d'Etat représentant S. A. R. le grand-duc de Bade ; Et autorise le chef du pouvoir exécutif et le ministre des affaires étrangères à échanger les ratifications.

 

Le chef du pouvoir exécutif de la République française, A. THIERS. Pour le ministre des affaires étrangères absent, J. DUFAURE. Délibéré en séance publique, à Bordeaux, le premier mars mil huit cent soixante et onze. Le président : Jules GRÉVY. Les secrétaires : DE BARANTE, N. JOHNSTON, CASTELLANE.

 

Teneur des préliminaires de paix, dont lecture a été faite à l' Assemblée nationale et dont l'instrument authentique reste déposé aux archives du ministère des affaires étrangères.

 

Entre le chef du pouvoir exécutif de la République française, M. Thiers, et le ministre des affaires étrangères, M. Jules Favre, représentant la France, d'un côté, Et, de l'autre part, le chancelier de l'Empire germanique, M. le comte Otto de Bismarck-Schonhausen, muni des pleins pouvoirs de S. M. l'Empereur d'Allemagne, roi de Prusse; Le ministre d'État et des affaires étrangères de S. M. le roi de Bavière, M. le comte Otto de BraySteinburg; Le ministre des affaires étrangères de S. M. le roi de Wurtemberg, M. le baron Auguste de Waechter ; Le ministre d'État, président du conseil des ministres de S. A. R. Mgr le grand-duc de Bade, M. Jules Jolly; Représentant l'Empire germanique; Les pleins pouvoirs des deux parties contractantes ayant été trouvés en bonne et due forme, il a été convenu ce qui suit pour servir de base préliminaire à la paix définitive à conclure ultérieurement :

Article 1er. — La France renonce en faveur de l'Empire allemand à tous ses droits et titres sur les territoires situés à l'est de la frontière ci-après désignée :

 

La ligne de démarcation commence à la frontière nord-ouest du canton de Cattenom, vers le grand-duché de Luxembourg; suit, vers le sud, les frontières occidentales des cantons de Cattenom et Thionville; passe par le canton de Briey en longeant les frontières occidentales (…) jusqu'à la frontière de l'arrondissement de Sarrebourg au sud de Garde.

 

La démarcation coïncide ensuite avec la frontière de cet arrondissement jusqu'à la commune de Tanconville, dont elle atteint la frontière au nord ; de là elle suit la crête des montagnes entre les sources de la Sarre blanche et de la Vezouse jusqu'à la frontière du canton de Schirmeck, (…) aux limites méridionales des communes de Bourgone et de Froide-Fontaine, et atteindre la frontière suisse, en longeant les frontières orientales des communes de Jonchery et Delle. L'Empire allemand possédera ces territoires à perpétuité en toute souveraineté et propriété. Une commission. internationale, composée de représentants des hautes parties contractantes, en nombre égal des deux côtés, sera chargée, immédiatement après l'échange des ratifications du présent traité, d'exécuter sur le terrain le tracé de la nouvelle frontière, conformément aux stipulations précédentes.

 

Cette commission présidera au partage des biens-fonds et capitaux qui jusqu'ici ont appartenu en commun à des districts ou des communes séparés par la nouvelle frontière; en cas de désaccord sur le tracé et les mesures d'exécution, les membres de la commission en référeront à leurs gouvernements respectifs. La frontière, telle qu'elle vient d'être décrite, se trouve marquée en vert sur deux exemplaires conformes de la carte du territoire formant le gouvernement général d'Alsace, publiée à Berlin en septembre 1870 par la division géographique et statistique de l'état-major général, et dont un exemplaire sera joint à chacune des deux expéditions du présent traité. Toutefois, le tracé indiqué a subi les modifications suivantes, de l'accord des deux parties contractantes : dans l'ancien département de la Moselle, les villages de Maireaux-Mines, près de Saint-Privat-la-Montagne, et de Vionville, à l'ouest de Rezonville, seront cédés à l'Allemagne; par contre, la ville et les fortifications de Belfort resteront à la France avec un rayon qui sera déterminé ultérieurement.

 

Art. 2. La France payera à S. M. l'Empereur d'Allemagne la somme de cinq milliards de francs. Le payement d'au moins un milliard de francs aura lieu dans le courant de l'année 1871, et celui de tout le reste de la dette dans un espace de trois années, à partir de la ratification des présentes.

 

Art. 3. L'évacuation des territoires français occupés par les troupes allemandes commencera après la ratification du présent traité par l'Assemblée nationale, siégeant à Bordeaux. Immédiatement après cette ratification, les troupes allemandes quitteront l'intérieur de la ville de Paris, ainsi que les forts situés sur la rive gauche de la Seine, et, dans le plus bref délai possible fixé dans une entente entre les autorités militaires des deux pays, elles évacueront entièrement les départements du Calvados, de l'Orne, de la Sarthe, d'Eure-et-Loir, du Loiret, de Loir-et-Cher, d'Indre-et-Loire, de l'Yonne, et, de plus, les départements de la Seine-Inférieure, de l'Eure, de Seine-et-Oise, de Seine-et-Marne, de l'Aube et de la Côte-d'Or, jusqu'à la rive gauche de la Seine.

 

Les troupes françaises se retireront en même temps derrière la Loire, qu'elles ne pourront dépasser avant la signature du traité de paix définitif. Sont exceptées de cette disposition la garnison de Paris, dont le nombre ne pourra pas dépasser quarante mille hommes, et les garnisons indispensables à la sûreté des places fortes. L'évacuation des départements situés entre la rive droite de la Seine et la frontière de l'est par les troupes allemandes, s'opérera graduellement après la ratification dn traité de paix définitif, et le payement du premier demi-milliard de la contribution stipulée par l'article 2, en commençant par les départements les plus rapprochés de Paris, et se continuera au fur et à mesure que les versements de la contribution seront effectués. Après le premier versement d'un premier demi-milliard, cette évacuation aura lieu dans les départements suivants : Somme, Oise, et les parties des départements de la Seine-Inférieure, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, situés sur la rive droite de la Seine, ainsi que la partie du département de la Seine et les forts situés sur la rive droite. Après le payement de deux milliards, l'occupation allemande ne comprendra plus que les départements de la Marne, des Ardennes, de la Haute-Marne, de la Meuse, des Vosges, de la Meurthe, ainsi que la forteresse de Belfort avec son territoire, qui serviront de gage pour les trois milliards restants, et où le nombre des troupes allemandes ne dépassera pas cinquante mille hommes. Sa Majesté l'Empereur sera disposée à substituer à la garantie territoriale, consistant dans l'occupation partielle du territoire français, une garantie financière si elle est offerte par le gouvernement français dans des conditions reconnues suffisantes par Sa Majesté l'Empereur et roi pour les intérêts de l'Allemagne. Les trois milliards dont l'acquittement aura été différé porteront intérêt à cinq pour cent à partir de la ratification de la présente convention.

 

ART. 4. Les troupes allemandes s'abstiendront de faire des réquisitions, soit en argent, soit en nature, dans les départements occupés. Par contre, l'alimentation des troupes allemandes qui resteront en France aura lieu aux frais du gouvernement français, dans la mesure convenue par une entente avec l'intendance militaire allemande.

 

ART. 5. Les intérêts des habitants des territoires cédés par la France, en tout ce qui concerné leur commerce, et leurs droits civils, seront réglés aussi favorablement que possible lorsque seront arrêtées les conditions de la paix définitive. Il sera fixé à cet effet un espace de temps pendant lequel ils jouiront de facilités particulières pour la circulation de leurs produits. Le gouvernement allemand n'apportera aucun obstacle à la libre émigration des habitants des territoires cédés, et ne pourra prendre contre eux aucune mesure atteignant leurs personnes ou leurs propriétés.

 

ART. 6. Les prisonniers de guerre qui n'auront pas déjà été mis en liberté par voie d'échange, seront rendus immédiatement après la ratification des présents préliminaires. Afin d'accélérer le transport des prisonniers français, le gouvernement français mettra à la disposition des autorités allemandes, à l'intérieur du territoire allemand , une partie du matériel roulant de ses chemins de fer, dans une mesure qui sera déterminée par des arrangements spéciaux, et aux prix payés en France par le gouvernement français pour les transports militaires.

 

ART. 7. L'ouverture des négociations pour le traité de paix définitif à conclure sur la base des présents préliminaires aura lieu à Bruxelles immédiatement après la ratification de ces derniers par l'Assemblée nationale et par S. M. l'Empereur d'Allemagne.

 

ART. 8. Après la conclusion et la ratification du traité de paix définitif, l'administration des départements devant encore rester occupés par les troupes allemandes sera remise aux autorités françaises; mais ces dernières seront tenues de se conformer aux ordres que le commandant des troupes allemandes croirait devoir donner dans l'intérêt de la sûreté, de l'entretien et de la distribution des troupes. Dans les départements occupés, la perception des impôts, après la ratification du présent traité, s'opérera pour le compte du gouvernement français et par le moyen de ses employés.

 

ART. 9. Il est bien entendu que les présentes ne peuvent donner à l'autorité militaire allemande aucun droit sur les parties du territoire qu'elles n'occupent point actuellement.

 

ART. 10. Les présente sseront immédiatement soumises à la ratification de l'Assemblée nationale française siégeant à Bordeaux et de Sa Majesté l'Empereur d'Allemagne.

En foi de quoi, les soussignés ont revêtu le présent traité préliminaire de leurs signatures et de leurs sceaux. Fait à Versailles, le 26 février 1871. V. BISMARCK. A. THIERS. Jules FAVRE. Les royaumes de Bavière et de Wurtemberg, et le grand-duché de Bade, ayant pris part à la guerre actuelle comme alliés de la Prusse et faisant partie maintenant de l'Empire germanique, les soussignés adhèrent à la présente convention au nom de leurs souverains respectifs.


Versailles, 26 février 1871. Comte DE BRAY-STEINBURG. Baron DE WAECHTER. MITTNACHT, JOLLY.


        PROCLAMATION DU GOUVERNEMENT ANNONÇANT L'OCCUPATION DE PARIS

                                               POUR LE 1er MARS, du 27/02/1871


« Le gouvernement fait appel à votre patriotisme et à votre sagesse ; vous avez dans les mains le sort de Paris et de la France elle-même. Il dépend de vous de les sauver ou de les perdre. Après une résistance héroïque, la faim vous a contraints de livrer vos forts à l'ennemi victorieux ; les armées qui pouvaient venir à votre secours ont été rejetées derrière la Loire. Ces faits incontestables ont obligé le gouvernement et l'Assemblée nationale à ouvrir des négociations de paix. Pendant six jours, vos négociateurs ont disputé le terrain pied à pied ; ils ont fait tout ce qui était souverainement possible pour obtenir les conditions les moins dommageables. Ils ont signé des préliminaires de paix qui vont être soumis à l'Assemblée nationale. Pendant le temps nécessaire à l'examen et à la discussion de ces préliminaires, les hostilités auraient recommencé et le sang aurait inutilement coulé sans une prolongation d'armistice. Cette prolongation n'a pu être obtenue qu'à la condition d'une occupation partielle et très momentanée d'un quartier de Paris. Cette occupation sera limitée au quartier des Champs-Elysées. Il ne pourra entrer dans Paris que trente mille hommes, et ils devront se retirer dès que les préliminaires de paix auront été ratifiés, ce qui ne peut exiger qu'un petit nombre de jours. Si cette convention n'était pas respectée, l'armistice serait rompu : l'ennemi, déjà maître des forts, occuperait de vive force la cité tout entière ; vos propriétés, vos chefs-d'oeuvre, vos monuments, garantis aujourd'hui par la convention, cesseraient de l'être. Ce malheur atteindrait toute la France. Les affreux ravages de la guerre, qui n'ont pas encore dépassé la Loire, s'étendraient jusqu'aux Pyrénées. Il est donc absolument vrai de dire qu'il s'agit du salut de Paris et de la France. N'imitez pas la faute de ceux qui n'ont pas voulu nous croire, lorsqu'il y a huit mois nous les adjurions de ne pas entreprendre une guerre qui devait être si funeste. L'armée française, qui a défendu Paris avec tant de courage, occupera la rive gauche de la Seine pour assurer la loyale exécution du nouvel armistice. C'est à la garde nationale à s'unir à elle pour maintenir l'ordre dans le reste de la cité. Que tous les bons citoyens qui se sont honorés à sa tête et se sont montrés braves devant l'ennemi reprennent leur ascendant, et cette cruelle situation d'aujourd'hui se terminera par la paix et le retour de la prospérité publique. »


Adolphe Thiers, Chef du pouvoir exécutif et Jules Favre, ministre des Affaires étrangères




Pour un beefsteak est une chanson écrite
le 15 octobre 1870 par Emile Deureux au sujet du premier Siège de Paris.

J’entends des fous parler de résistance,
De lutte à mort, de patrie et d’honneur !
Mon ventre seul exige une vengeance :
Sous le nombril j’ai descendu mon cœur.
Libre aux manants de rester patriotes,
Et de mourir sous les feux ennemis ;
Moi, j’aime mieux la sauce aux échalotes…
Pour un beefsteak, messieurs, rendons Paris.
Moi, j’aime mieux la sauce aux échalotes…
Pour un beefsteak, messieurs, rendons Paris.

Interprète : Armand Mestral dans l’album La Commune en chantant
(à écouter ou téléchager ici - format mp3)


Documents :
Audios et vidéos en ligne
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- Qui a voulu la guerre? les femmes dans la tourmente, France Culture, le cours de l'histoire, 2020, durée 51 minutes.

Odile Roynette, maître de conférences en histoire contemporaine, chercheure associée à l'Université Bourgogne-Franche-Comté et Yannick Ripa, professeure en histoire politique et sociale de l’Europe du XIXème s. Paris 8. Et Valérie Hannin, directrice du magazine L'Histoire.

- 1870, vers l'année terrible, France Culture, le cours de l'histoire, 2020, durée 51 minutes.

Avec Eric Anceau, maître de conférence à Sorbonne Université. Il est spécialiste de l’histoire politique et sociale de la France et de l’Europe au XIXe s. ainsi que le biographe de Napoléon III.


- Alain Badiou lit Victor Hugo, France Culture, Les nuits de FC, 1985, durée 54 minutes.

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