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Sommaire de la deuxième partie :
1 - La République des dupes?
2 - Le Premier siège de Paris, la guerre au fil des jours : octobre
3 - La nuit du 31 octobre
4 - Le Premier siège de Paris, la guerre au fil des jours :  novembre
5 -  Le Premier siège de Paris, la guerre au fil des jours :  décembre
6 - Jules Ferry et l'approvisionnement

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La République des dupes?


Soldats Prussiens lors du siège de Paris

« Parmi les. plus tristes souvenirs des derniers jours de l’Empire, il en était un qu'il ne fallait à aucun prix évoquer, c'était le plébiscite, cette abdication de la volonté d'un peuple dans les mains d'un homme, cette impardonnable lâcheté si promptement châtiée par l'invasion. Le plébiscite nous avait précipités dans l’abîme, avait couvert la France de ruines et de désolations. Il fallait mettre en oubli ce lugubre souvenir. »

Gustave Flourens, Paris livré, 1871.
L’étude des deux sièges est particulièrement compliquée. Ce qui émerge des écrits de Gustave Flourens, le porteur du flambeau révolutionnaire, est qu’un reversement d’attitude prit forme dans le contexte de l’après 31 octobre 1870. Un raidissement du pouvoir survint, pour beaucoup dépassé par la situation politique et militaire. Les tractations engagées par Adolphe Thiers jusqu’alors n’avaient rien produit, malgré les annonces d’un refus de tout cessez-le-feu. La lutte « à outrance » contre l’occupation constituait une façade plus langagière, qu'effective. De son côté, Bismarck refusait tout accord ou se référait à son prisonnier pour les négociations, jusqu'à faire connaître le contenu des échanges diplomatiques et les faire publier. L’empereur normalement déchu, il fallait trouver un moyen d’être reconnu, quitte à mentir et utiliser l’affichage comme piège à gogo. L’imprimerie nationale allait tourner à plein régime pour répondre à une belle opération de mystification.

Voilà que germait l’idée d’un nouveau plébiscite pour le 3 novembre, convoqué en si peu temps, quand jusqu’alors c’était impossible… Il ne fut pas question d’un, mais de deux scrutins d’un coup, une élection nationale et des communales. Le second référendum plébiscitaire de l’année avait été envisagé par Jules Favre et son initiateur Jules Trochu dans les traces de Napoléon III, en l'état le seul interlocuteur pour un armistice avec la Prusse. Quel gage alors fallait-il apporté tout en conservant le pouvoir? Tel fut le dilemme de nos bons bourgeois gouvernants, du moins la partie fuyante, ce que nomma comme une trahison Gustave Flourens au sujet du vice-président du gouvernement provisoire Jules Favre, qui aurait dû organiser dès octobre deux scrutins, dont l’adoption d’une assemblée constituante.

Ce plébiscite devint un moyen astucieux pour noyer le poisson de la défaite, calmer en apparence les ardeurs républicaines de Paris, et les plus de 500.000 voix obtenues sur uniquement deux départements par le oui, contre un peu plus de 50.000 permirent de jouer sur deux tableaux. L’un consistant à continuer à discourir et endormir les Parisiens, et pas seulement, l’autre de devenir l’interlocuteur privilégié et protecteur de l’ordre et du bien public… Parler d’ordre dans ce désordre était assez cocasse, mais l’idée d’une révolution avait de quoi inquiéter l’occupant. Les diplomaties européennes et les pays neutres, en particulier les britanniques n’appréciaient guère cette invasion territoriale, qui rebattait les cartes diplomatiques des grands équilibres. Et cette guerre pouvait menacer la
Hollande du côté germain, ou bien la  Belgique du côté français, une création anglaise et le Benelux représentait une zone tampon entre les deux empires continentaux voisins et des alliés.

Une chose est aussi surprenante, le rôle des marines de guerre. Les Prussiens restèrent bien sagement dans leurs ports de la Baltique, sous blocus, à part une bataille remportée par les Français, l’on retrouva des corps actifs de la marine bien plus occupés à Paris en 1871 que sur un front maritime. Avec une des flottes les plus puissantes de l’époque, il y a de quoi se demander où les étaient les Amiraux? Les discours opportunistes du camp conservateur, pas vraiment libéral dans ses intentions, et leurs grosses contradictions, eurent surtout des failles à tenir une résistance, tout en vantant sous les bombardements l’épreuve et le courage des Parisiens, qu’ils dupèrent sans vergogne.

Mais les Parisiens, n'étaient pas incapables d’analyser ce qui se passait presque sous leurs yeux. Des personnalités comme Félix Pyat, journaliste, allait en faire l’amère expérience, sous le coup des cohortes haineuses. Le mot « traître » devenait une arme des séides réactionnaires pour traquer toute forme de critique. La reprise en main n’allait pas tarder et les répressions politiques reprendre leurs cours habituels, quand ces derniers avaient cru avec la république sortir de la clandestinité.

On en oublierait le général président, Jules Trochu, plus apte à l’échec militaire, que la capacité à engager un plan de résistance, mais le pouvait-il? Son incapacité, soit à traiter une capitulation qui aurait pu éviter dès le 19 septembre des pertes inutiles, ce qui était l’aboutissement pour Bismarck, aurait pu éviter que se consolide son plan d’unification interne, faute d’ennemi. Cela aurait pu permettre si besoin de réorganiser l’armée plus au sud. L’opérette républicaine du 4 septembre ou transmission des pouvoirs en 24 heures a été un leurre, et ceux qui restèrent à Paris se virent coupés du reste du monde. Une bouilloire sur le feu avec ses deux millions d’habitants, dont les réfugiés des alentours de la capitale, soit environ 150.000 personnes.

La singularité de cette guerre est dans le nombre d’erreurs, qui ajouter aux conjurations des officiers supérieurs, à l’exemple de Bazaine à Metz, mais pas seulement, le front de la Loire et son armée ont connu les mêmes avanies avec le général Louis d’Aurelle de Paladines, ou tergiversations. Qui sera en mars 1871 catapulté chef de la garde nationale parisienne par Thiers, après avoir volontairement reculé devant l’ennemi, puis relâché des prisonniers. Cela faisait beaucoup en une si courte période. Et explique la démonstration critique, formulée par Henri Guillemin en 1971, lors du centenaire de la Commune. Après avoir étouffé toute velléité républicaine et surtout révolutionnaire dans les grandes villes de province, il suffisait d’agiter la peur et inventer de fausses menaces, dans un ordre peu moral, celui de l’hypocrisie, du mensonge et de la dissimulation. 

Dans cette absence d’objectivité des points de vue, les faits parlent d’eux-mêmes, alors comment énoncer une bonne part du vrai? « L’objectivité en histoire, ce n’est pas possible. Pourquoi? Parce que c’est considérer les faits comme des objets. Comment voulez-vous que l’on considère une histoire humaine, une aventure humaine ; quelque chose (ou cause) qui nous concerne tous ? » H. Guillemin, historien et spécialiste du XIXe siècle cite aussi Chateaubriand dont la formule est celle d’un connaisseur : « Faîtes attention à l’Histoire que l’imposture se charge d’écrire ». Tout est-il dit ? (1)

Dernier point au sujet de Gustave Flourens, dont vous trouverez sa biographie sur le Maîtron en ligne, fut professeur d'anthropologie au Collège de France à sa réouverture dans les années 1860 , et a professé
sur les "races humaines". Une approche qui était à l'époque empreinte de préjugés raciaux et féconde en théorisations racistes et racialistes, qui n'ont normalement plus cours aujourd'hui ou seraient sanctionnés par la loi pour son contenu infâmant. Et les préjugés sur les Auvergnats pour exemple, étaient tout aussi présents voire prégnant avant ce tournant de fin de siècle, comme la xénophobie (terme apparu en 1890)  à l'encontre des Italiens, etc.. Les choses vont malheureusement prendre, après la crise économique de 1873 une tournure inquiètante.

Difficile de parler de sciences humaines, les balbutiements de l'antropologie a été un scientisme partagé par de nombreux "intellectuels" de leur temps, ainsi qu'un nombre non négligeable d'athée, et il importe de pouvoir en saisir les nuances. L'objet n'est pas de dédouaner Flourens ou d'autres, mais de savoir faire la part des choses, à moins de vouloir limiter tout travail historique sur cette époque confuse et trouble en la matière, et par ailleurs le rôle et l'histoire du mouvement ouvrier français ne peut se réduire à une vision pervertie du monde se réduisant aux mythes éculés de l'aryen et du sémite. Un système qui participa d'une hierarchisation du genre humain, "thèse" d'Ernest Renan, qui en ce domaine est peu l'objet d'attaques, pourtant chantre du républicanisme par excellence? L'érudition n'étant pas toujours à l'écoute de la raison... Le fait colonial participa de cette idée que la civilisation qualifiée de française allait apporter aux "indigènes" les progrès du monde moderne, ce qui a de quoi déconcerter et demande une certaine prise de distance. Il n'y a en ce domaine aucun tabou à avoir, mais faut-il et toujours le replacer dans son contexte, il en va pareillement de pouvoir différencier la haine anti-juive réactionnaire et le rejet des élites juives au sein des classes populaires, et à l'échelle de l'Europe.

Par ailleurs, j'ai entendu il n'y a pas longtemps des propos assez révélateurs des incuries présentes, que la Commune de Paris n'avait pas d'intellectuels dans ses rangs? Ce qui est une très grosse méprise, même si l'emploi du mot intellectuel est plus tardif, les professions intellectuelles ne sont pas à sous estimer, les frères Reclus, Elie et Elisée, Jules Vallès, Flourens bien sûr, et d'autres figures lettrées, sans compter les enseignants, les journalistes et les ouvriers typographes, tout un monde où le travail demande des aptitudes propres et qui n'ont pas manqué à l'appel de la liberté avec l'apparition de nouvelles publications en direction de la classe ouvrière, ainsi que des bibliothèques. Comme il existe toujours de grosses similitudes avec les temps présents, et sans tomber dans l'anochronisme, l'année Terrible et ce qui va suivre jusqu'à l'enclenchement de la première guerre mondiale, il y a là probablement de fortes raisons d'y apporter une plus grande importance. Entre autres, avec un krash boursier en 1873,
l'émergence du "populisme" ou le phénomène boulangiste dans les années 1880 et les différents scandales financiers, qui ont défrayé les chroniques et/ou situations périlleuses devant une extrême-droite royaliste vent debout et déterminée à reprendre le pouvoir !

L'Histoire est une chose un peu plus subtile, que des flux de logorrhées et propos de comptoir, et si la naissance de la troisième République a débuté dans des conditions catastrophiques, elles disparaitra de même un mois de juillet 1940 avec les pleins pouvoirs à Philippe Pétain et aux mains d'un fascisme tricolore.


Notes :

(1) L'affaire Bazaine est présenté par Henri Guillemin, en trois parties de 18 minutes pour la TSR - Archives de la Radio Télévision Suisse (1962). Le général Achille Bazaine sera condamné à mort en 1873, mais prendra la fuite pour l'Espagne où il échappera à son domicile à une tentative d'assassinat d'un patriote français commis voyageur, en 1887 à Madrid, et décèdera l'année suivante.
Nota bene : La phrase citée de Simone Weil, décédée en 1943, sur « l’histoire officielle » par Henri Guillemin est une phrase en réalité de Camus dans un projet de préface pour « L’enracinement », un des ouvrages de la philosophe publiés après sa mort. La formule « Croire en l’histoire officielle, c’est croire des meurtriers sur parole » lui est généralement attribuée faussement et varie d’un mot avec celle Guillemin, qui reprend le terme de « criminel ». Et au sujet l’interrogation de Simone Weil, elle porte sur le dogme de la pensée du progrès (?) : « C'est d'ailleurs seulement parce que l'esprit historique consiste à croire les meurtriers sur parole que ce dogme semble si bien répondre aux faits. »

La guerre au fil des jours : octobre 1870


Défense de Chateaudun,  chute de la ville le 18 octobre 1870

Samedi 1er. Des combats ont lieu à Drancy. M. Thiers après quelques heures d’arrêt à Tours part pour Vienne.


2/10. Le Journal des Débats annonce avec plusieurs jours de retard les capitulations de Strasbourg et de Toul. Juliette-Lambert, épouse d'Edmond Adam engagé dans la garde nationale fait référence  ce jour à un article de Louis Blanc : « Le meeting de Londres a produit un grand effet. Il a paru une lettre de Louis Blanc au peuple anglais, très-belle de style, mais que je trouve exclusive. L'auteur l'a écrite uniquement pour nos voisins d'outre-Manche. Par quelle anomalie Louis Blanc, le novateur, aime-t-il ce pays de traditions qui s'appelle l'Angleterre? Les plus grands esprits ont leurs contradictions. » (sic)


3/10. Le Gouvernement décrète que la statue de la ville de Strasbourg, place de la Concorde, devra, être coulée en bronze et pourvue d’une inscription pour sa défense héroïque. « La conspiration est flagrante en province. Elle s'ourdit à Paris dans l'ombre et le mystère, avec toutes les ressources de l'astuce et du jésuitisme.  La calomnie se déchaîne comme en 1848. Nous savons ce que c'est le marchepied de l'échafaud, le prélude de la proscription. (…) « Car, la République, nous ne l'avons pas plus aujourd'hui qu'en 1848. Nous ayons son masque sur la face de la contre-révolution. Ce masque pèse à ceux qui le portent, et il leur tarde de le jeter. Il nous tarde aussi de l'arracher à nos adversaires, et de les regarder au visage. Ce jour-la sera le grand jour. » (La patrie en danger, Auguste Blanqui). Du côté Allemand, le grand-duc de Bade demande à être intégré à la Confédération de l'Allemagne du Nord.


4/10 Deux ballons décollent de la capitale, le Ferdinand-Flocon et le Galilée depuis la gare du Nord et la gare d'Orléans (Austerlitz depuis). Le premier après un parcours de 392 kilomètres achève sa trajectoire en Loire-Atlantique. L'autre dirigeable après 88 kilomètres est intercepté par les prussiens en Eure-et-Loir. A Belfort, face aux menaces de bombardements, le maire invite la population de la ville à faire des provisions d'eau pour parer aux incendies. Le colonel Aristide Denfert-Rochereau, dit le Lion de Belfort, commandant de la place forte, annonce par une déclaration publique, qu'il fera « tout pour tenir l'ennemi le plus éloigné possible » et conclue « que l'ennemi entreprend une opération plutôt politique que miltaire, et que la faute qu'il commet par cette diversion, doit profiter à la délivrance de notre Parie et au Salut de la République. »


5/10. Le roi de Prusse Guillaume 1er et Bismarck établissent leurs quartiers au château de Versailles et commencent à rédiger la proclamation de l'Empire allemand. Devant l'hôtel de ville, Gustave Flourens organise un défilé de plusieurs milliers d’hommes en armes, croyant intimidé le Gouvernement. A Marseille, le colonel Chenet reçoit l’autorisation de former un corps francs, qu’il nomme guérilla française d’Orient, son objectif former une compagnie de 500 hommes capables d’intervenir sur un autre terrain que les armées allemandes depuis Sedan. Il sera en conflit direct avec Garibaldi à qui il imputera l’échec de Dijon (s’y dérouleront plusieurs batailles, et il est question des premiers affrontements). A Tours Adolphe Crémieux devient à la place de l'amiral Forichon (Orléaniste), ministre interimaire de la guerre quelques jours. En attendant Léon Gambetta, remplira les fonctions en plus de son portefeuille à l'Intérieur et sera appelé le dictateur...


6/10. Des combats se déroulent à Bondy. Dans son ouvrage sur le siège Juliette Adam écrit que le périodique « La Vérité publie en grosses lettres un numéro à sensation, pour dire que la République rouge est proclamée à Lyon, que Crémieux l'accepte, que l'amiral Fourichon a donné sa démission, que Bazaine a capitulé, que nous avons été dé́faits à Orléans et en Normandie. L'émotion est terrible, la consternation générale ; il me semble, que j'ai reçu un coup de casse-tête dans la maison Piétri. »


7/10. A Marseille, Garibaldi débarque pour aider la République à combattre les Prussiens, « Je viens donner à la France ce qui reste de moi (…) J'étais trop malheureux quand je pensais que les républicains luttaient sans moi ». Départ depuis Montmartre à 11 heures du matin décolle le ballon de Léon Gambetta avec M. Eugène Spuller, avocat (pour réorganiser la défense depuis Tours, qui le secondera). Ils s’envolent avec le ballon l'Armand-Barbès (propriété des télégraphes) sous les yeux de Victor Hugo éblouis (cf. Choses vues, carnets de pendant le siège) et atterrira près de Montdidier dans la Somme. Le commandant Théodore Sapia, membre de la Garde mobile, tente avec son bataillon du 146e bataillon de marcher sur l'Hôtel-de-Ville, sa tentative échoue et il est procédé à son arrestation. A Paris, des femmes réclament le droit de prendre les armes. Ce qui ne sera obtenu que sous la Commune. Gustave Fourens adresse un courrier au général Tamisier : « Monsieur le Général, En présence de l'obstination mise par le GDN à ne donner satisfaction à aucune de nos légitimes réclamations, j'ai du donner ma démission des fonction de major de Rempart que je remplissais au 2e secteur » (...) puis précise après la formulation d'usage et avoir signé, « Ma réélection immédiate faite par le Régiment tout entier indique suffisamment combien nous sommes, tous unanime à réclamer le salut de la France, par les voies que j'ai indiquées. » (Musée Carnavalet) A Toulouse, le journal La Dépêche (du Midi) sort son premier numéro. On annonce officiellement, depuis Berlin, que 400 maisons ont été brûlées dans Strasbourg, et 1.700 habitants tués ou blessés, plus 8.000 sans abri et il a été estimé à 180 millions de francs les dégâts causés. Il sera adressé 22.000 Thalers en don depuis Berlin. Des attaques sont menées à hauteur du parc de la Malmaison.

Le voyage tumultueux de Léon Gambetta



« Poussés par un vent très faible du sud-est, les aérostats ont laissé Saint-Denis sur la droite, mais à peine avaient-ils dépassé la ligne des forts, qu'ils ont été assaillis par une fusillade partie des avant-postes prussiens, quelques coups de canon ont été aussi tirés sur eux. Les ballons se trouvaient alors à la hauteur de six cents mètres, et les voyageurs aériens ont entendu siffler les balles autour d'eux. Ils se sont alors élevés à une altitude qui les a mis hors d'atteinte; mais, par suite de quelque accident ou de quelque  fausse manœuvre, le ballon qui portait le ministre de  l'intérieur s'est mis à descendre rapidement, et il est venu prendre terre dans un champ traversé quelques heures avant par des régiments ennemis, et à une  faible distance d'un poste allemand. En jetant du lest, il s'est relevé, et a continué sa route. Il n'était qu'à deux cents mètres de hauteur lorsque, vers Creil, il a reçu une nouvelle fusillade, dirigée sur lui par des  soldats wurtembergeois. En ce moment, le danger  étant grand ; heureusement les soldats ennemis avaient leurs armes en faisceaux ; avant qu'ils les eussent saisies, le ballon, allégé de son lest, remontait à huit cents mètres ; les balles ne l'ont pas plus atteint que la première fois, mais elles ont passé bien près des voyageurs, et M. Gambetta a eu même la main  effleurée par un projectile. L'Armand Barbès n'était pas au terme de ses aventures. Manquant de lest, il ne se maintint pas à une  élévation suffisante ; il fut encore exposé à une salve  de coups de fusil partie d'un campement prussien,  placé sur la lisière d'un bois, et alla, en passant par dessus la forêt, s'accrocher aux plus hautes branches  d'un chêne où il resta suspendu ; des paysans accoururent, et, avec leur aide, les voyageurs purent  prendre terre, près de Montdidier, à 3 heures moins un quart. Un propriétaire du voisinage passait avec sa voiture, il s'empressa de l'offrir à M. Gambetta et à ses compagnons, qui eurent bientôt atteint Montdidier, et se dirigèrent sur Amiens. Ils y arrivèrent  dans la soirée et y passèrent la nuit ».

Joseph Reinach et Gambetta, Dépêches, circulaires, décrets, proclamations et discours de Léon Gambetta du 4 septembre 1870 au 6 février 1871, édition de G. Charpentier, Paris 1886.

8/10. Le Comité central républicain organise une manifestation populaire pour demander l'élection de la Commune parisienne, ils font face à des gardes nationaux des bataillons des quartiers bourgeois, plus nombreux, et dans le peu de monde mobilisé se trouve une certaine Louise Michel, institutrice, la profession détestée de M. Thiers selon Henri Guillemin.

 

9/10. Après avoir pu trouver des lignes de chemin de fer depuis la Somme et arrivé à bon port, Léon Gambetta s'adresse aux citoyens des départements à Tours : « La Révolution avait trouvé Paris sans canons et sans armes. » (…) « La famine! Prêt aux dernières privations, le peuple de Paris se rationne volontairement tout les jours, et il a devant lui, grâce aux accumulations de vivres, de quoi délier l'ennemi pendant de longs mois encore. Il supportera avec une mâle constance, la gêne et la disette, pour donner à ses frères des départements le temps d'accourir et de le ravitailler. Telle est, sans déguisement ni détour, la situation de la capitale de la France. Citoyens des départements, cette situation vous impose de grands devoirs, premier de tous, c'est de ne vous laisser divertir. » (Dépêches, etc., et Discours de Gambetta, Joseph Reinach). Rome devient la capitale de l’Italie. Gustave Flourens adresse une lettre à Rochefort ministre : « Ne restez pas plus longtemps avec des traîtres, lui disait-il, ne devenez pas davantage complice de Trochu, le plus inepte et le plus funeste des temporisateurs. » Le lendemain paraissait la réponse de Rochefort : « J'ai fouillé dans les sous-sols les plus impénétrables de ma conscience, j'en suis sorti convaincu que je devais continuer de siéger au gouvernement. » Il fut envisager suite à ce billet dans le Rappel l'arrestation de Flourens. Rochefort inquiet de l’avoir impliqué se rendit « dans la nuit l'avertir de se mettre en sûreté. Le lendemain, d'ailleurs, ils changèrent d'avis. » A Tours, arrivée de Giuseppe Garibaldi accompagnés de ses fils Riciotti et Menotti auprès du gouvernement hors de  Paris.

 

10/10. Réception d’une dépêche de Gambetta par pigeon voyageur dans la capitale assiégée, qui annonce son arrivée à Montdidier. Flaubert écrit à George Sand : « Les bêtises de la République dépassent celles de l'Empire. Se joue-t-il en dessous quelque abominable comédie? Pourquoi tant d'inaction? » 


11/10. On se bat aux abords d’Orléans et l’entrée du faubourg de la ville est bombardée. A Paris, la démission est officialisée du préfet de Police, M. de Kératry, suite à la manifestation du 8 octobre, à la demande du général Trochu. Le Gouvernement n’a pas voulu engager des poursuites judiciaires contre Flourens et la fermeture des clubs, par crainte d’un soulèvement. Le nouveau préfet de police désigné est M. Edmond Adam. La ville d’Orléans est conquise par les troupes bavaroises. Léon Gambetta préconise de « faire de la France une grande guérilla » et nomme Charles de Freycinet comme délégué du ministre auprès du département de la Guerre, un des hommes clef du dispositif. Il aura en charge l'organisation et coordination des armées du Nord, de l'Est et de la Loire. Dans sa séance du jour de l’Académie de médecine, il est approuvé un rapport sur le lait pour le ministre de l’agriculture et du commerce, il est précisé que « Paris n’a pas à craindre la disette » avec ses 3.000 vaches, mais précise après, que ce n’est toutefois pas déjà suffisant pour les deux millions d’habitants…

 

12/10. Le comte de Kératry avec deux secrétaires prend place dans un ballon (le Jules Favre, n°1, dont l’aéronaute est M. Godard, père), depuis la gare d’Orléans (d’Austerlitz) avec 175 kilogrammes de courriers à destination de Brillon, près de Bar-le-Duc dans la Meuse (250 kilomètres).


13/10. Il est confié à Garibaldi  l’armée des Vosges, un rafistolage de troupes parsemées dont des volontaires républicains espagnols, italiens les plus nombreux et autres diverses nationalités. Le quartier général est fixé à Dôle dans le Jura. Le général Trochu organise sa première sortie de la capitale et opère une tentative de percée, qui échoue. Des combats pour la deuxième fois font rages près de Châtillon, le comte Picot de Dampierre commandant le 1er Bataillon des Gardes mobiles de l'Aube meurt à Bagneux. Le général d’Aurelle de Paladines se voit attribuer le commandement de l’armée de la Loire, celui-ci hésite à monter au front. Paladines tergiversera pendant plus d’une semaine devant des troupes ennemies inférieures en nombre.



Le château de Saint-Cloud est ravagé par un incendie.

 

14/10. Arrivée à Paris du colonel anglais Robert Loyd Lindsay, cofondateur de la Société nationale britannique d'aide aux malades et aux blessés, il vient avec 500.000 francs du produit de la souscription recueillie en Angleterre pour les Français blessés. (une brève paraîtra le 16 octobre sur la remise de ce don, journal Le Temps, n°3418).


15/10. Gambetta déclare aux citoyens de Tours : « A Paris, le peuple, de jour en jour plus héroïque, prépare le salut de la France par l'ordre admirable qu'il maintient dans la cité, par les privations qu'il s'impose joyeusement ; car, détail qui n'a rien de vulgaire dans la grandeur de la situation où nous sommes, c'est par la viande de cheval qu'il commence le siège, réservant pour les derniers jours les troupeaux vivants dans ses murs ». (Dépêches, circulaires, etc., et discours de Gambetta). A Paris, il est publié la liste des causes de décès avec les principales maladies, voici les données médicales du 9 au 15 octobre : Variole, 311 ; scarlatine, 15 ; rougeole, 12 ; fièvre typhoïde, 54; érysipèle, 11 ; bronchite, 55 ; pneumonie, 64 ; diarrhée, 72 ; dysenterie, 26 ; choléra, 2 ; angine couenneuse, 9 ; croup, 5 ; affections puerpérales, 10 ; ce qui donne 647 décès. Les semaines suivantes la mortalité augmentera fortement dans la population civile ou non mobilisée.


17/10. M. Edmond Villetard, rédacteur du Journal des Débats et grand sympathisant de M. Thiers apporte son éclairage sur les : « Les journaux de MM. Blanqui, Félix Pyat et Delescluze prennent difficilement leur parti de l'échec du mouvement tenté en vue d'installer à l'Hôtel-de-Ville MM. Delescluze Félix Pyat et Blanqui. Le Réveil cherche à se consoler par l'espoir de convertir peu à peu ses adversaires « Le flot monte sans bruit, dit-il, mais il monte sans cesse, et nous ne sommes pas bien sûrs qu'avant quelques jours, les hommes d'Etat et les écrivains qui ont si fort combattu nos idées à ce sujet ne crieront pas aussi, et beaucoup plus fort que nous Vive la Commune ! La Patrie en danger se venge en foudroyant tous les jours les rédacteurs qui résistent aux volontés du peuple car personne n'ignore que M. Blanqui, arrangeant à son usage le mot de Louis XIV, se dit chaque matin avec la plus parfaite conviction "Le peuple, c'est moi." Quant au Combat, qui fond habilement le jacobinisme de 1793 avec le romantisme de 1830 et le mysticisme de l'école de M. Michelet, tantôt ce journal, coiffant le bonnet rouge de Marat, s'élève contre les libérâtres et nihilistes, les exploiteurs, les pourris et les ventrus, ces éternels mangeurs au budget ». (…) « Pendant que les échos des clubs et les feuilles révolutionnaires donnaient aux riches, aux bourgeois lieu de croire que les habitants des quartiers populeux, en proie aux idées anarchiques et aux passions haineuses de quelques démagogues, perdaient tout sens moral et tout respect des droits acquis, dans l'autre ville, dans celle où l'on travaille des mains et où l'on connaît de trop près les privations matérielles, on pouvait s'imaginer, en entendant raconter les bruyantes folies de quelques dissipateurs, que le Paris des "riches" n'avait plus ni honneur ni dignité, ni humanité ni patriotisme. Nos malheurs ont rapproché ces deux classes, qui allaient bientôt devenir deux castes ennemies. On a vu aussitôt qu'il y avait des deux côtés autant d'amour pour la patrie, autant de désir de tout sacrifier pour sauver le pays. C'est au moins un service que nous auront rendu les ennemis qui nous ont fait tant de mal»


18/10. A Paris, la viande est rationnée à 100 grammes par jour et par personne (à l’époque la ration moyenne était de l’ordre de 400 grammes). Cinq mille Prussiens battent l'Armée de la Loire à Châteaudun (1.800 Prussiens morts). C’est l’entrée après une journée de combats des armées prussiennes dans la ville de Châteaudun détruite, les attaques prennent la direction de Chartres, qui tombera aussi les jours suivants.

 

19/10. Léon Gambetta adresse une dépêche à Jules Favre (portrait ci-contre) et termine par « Nous avons la conviction que la prolongation inattendue de votre résistance et les préparatifs militaires de jour en jour plus considérables des départements déconcertent les envahisseurs et commencent à les exaspérer. La sympathie de l'Europe, les bruits de médiation par la voie anglaise ou russe circulent avec une intensité croissante. Il faut faire à la Prusse une guerre de ténacité, et nous la forcerons à reconnaître qu'en prolongeant elle-même la guerre, elle n'augmente pas ses bonnes chances, et qu'au contraire elle les compromet. Nous vous avons envoyé de bien nombreux émissaires, et ce n'est pas notre faute si vous ne recevez pas plus souvent de nos nouvelles. »

20/10. Les Châtiments de Victor Hugo sont disponibles à la vente. Il paraît le n°1 du journal socialiste, politique et industriel La Sentinelle Armée, le seul et dernier numéro.

 

21/10. Le général Trochu, au doigt levé, sans véritable plan opère une nouvelle sortie sur Malmaison et Montretout, il entame le combat puis fait reculer ses troupes sur les Forts. Auguste Vacquerie dans le Rappel s’inquiète d’une dépêche de Léon Gambetta à Jules Favre en ces termes : « La dépêche de "Gambetta à Jules Favre" que nous publions plus bas, ne nous fait pas éprouver la satisfaction qu'elle paraît causer au gouvernement. » (…) Ah çà ! pourquoi donc M. Gambetta est-il allé là-bas? Nous nous imaginions que c'était pour être énergique, pour infuser du sang jeune dans l'honorable sénilité du gouvernement de Tours, pour improviser la levée en masse, pour lâcher la guerre à outrance, pour fabriquer des fusils, pour faire rugir les canons, pour casser les reins aux Prussiens pendant que Paris leur sauterait à la gorge. Nous ne voulons pas croire que ce soit pour demander de plus près aide et protection à la lâcheté européenne, et pour espérer qu'à force de voir la France tendre la main à leur porte, la Russie et l'Angleterre finiront par avoir pitié de cette mendiante. »

 

22/10. Charles Hugo rédige un article dans le Rappel du jour intitulé, La clef de la maison : « La France est vaincue, abandonnée, et, pour ainsi dire, inaperçue de l'Europe entière, sans armée régulière, sans canons à longue portée, sans fusils à tir rapide, sans généraux, sans argent, et, par suite du blocus de Paris qui l'isole des départements, sans adhérence avec elle-même. (…) Elle n'a plus ni le prestige de son nom, ni la puissance de ses armes, ni le point d'appui de son unité matérielle, ni la certitude de son lendemain. Mais, telle qu'elle est, quoique vaincue, ruinée et envahie, elle est toujours reconnaissable à son héroïsme ; elle a encore pour elle l'évidence du droit violé, l'investiture du progrès humain, l'obstination d'une résistance désespérée à la barbarie triomphante et la majesté du malheur immérité. En un mot, jamais sa cause n'a été plus grande. C'est pour cela que M. Jules Favre a le tort de la plaider. » Son père, Victor, note dans son carnet : « Nous mangeons du cheval sous toutes les formes. J’ai vu à la devanture d’un charcutier cette annonce : Saucisson chevaleresque. »

 

23/10.  Le rédacteur, Yves Guyot à la rubrique Journée politique signale que le citoyen Mottu a été destitué en tant que maire du 11e arrondissement, « pour avoir voulu substituer l'enseignement laïque à l'enseignement clérical », et celui-ci a fait parvenir le courrier suivant :

Lettre de Jules Alexandre Mottu

« 
Des maires de Paris, et je m'honore de Compter parmi eux, s'inspirant des sentiments qui animent la plus grande partie de la population de leurs arrondissements, ont substitué dans les écoles communales, l'enseignement laïque à l'enseignement congréganiste ; ils croyaient qu'un état laïque ne pouvait patronner et payer que des instituteurs pourvus de certificats de capacité délivrés par lui ; ils croyaient également que dans les écoles où les élèves pouvaient appartenir aux églises catholique, protestante, israélite, la foi de chacun devait être respectée, et qu'aux familles seules appartenait le soin de faire donner à leurs enfants l'instruction religieuse de leur choix, c'est-à-dire de les conduire à l'église, au temple, à la synagogue, ou de s'abstenir si l'abstention leur convenait. C'est ce respect des individualités et de leurs tendances spirituelles qui m'a fait adopter cette mesure si sévèrement jugée par plusieurs journaux d’enlever, dans les classes réservées uniquement à l'enseignement pédagogique, certains emblèmes qui semblaient engager à l'avance la foi des élèves. Certes, c'était trop d'audace de la part de ces maires républicains, et le martyre des congréganistes fut immédiatement dénoncé. Les écoles professionnelles, d'où tout enseignement religieux est exclu et dont cependant l'excellente organisation, l'utilité pratique ont été reconnues de tout le monde, semblaient inspirer cette réforme ; de la, grande colère des ultramontains, des anciens bonapartistes et feu sur toute la ligne. Que les congrégations fondent, si elles le veulent, des établissements privés ; c'est le seul droit qu'une République peut leur accorder, si toutefois elles se soumettent, pour l'exercer, aux exigences de la loi commune. »
Le Rappel, du jour

24/10. Le décret d'Adolphe Crémieux (en photo) est publié et donne la nationalité française aux « indigènes juifs » d’Algérie au sein des circonscriptions administratives (30.000 personnes sont concernées) et les « indigènes musulmans », bien que reconnus « sujet français » en 1865 restaient sous tutelle coloniale et de l’armée, exclus de l’acquisition de la nationalité de droit, ou de fait pour raison religieuse (le statut de l’indigénat sera plus tardif). Le Gouvernement de la Défense nationale est aussi à l'origine de la reconnaissance de trois circonscriptions administratives dans la colonie, hors des pouvoirs militaires, sous autorité civile, qui pourront chacune élire un député.



25/10. Charles Hugo, sous le titre de La République insultée, exprime sa perception de la presse conservatrice et réactionnaire ou anti-républicaine : « Il n'est pas de jour que, dans une certaine presse qu'on peut diviser encore en presse royaliste et en presse bonapartiste, la République ne soit, non-seulement attaquée, mais insultée. L'attaque est sourde, habile, détournée, hypocrite. Elle affecte de dénaturer le sens des mots en enveloppant, par exemple, dans la dénomination de « communistes » les partisans de la Commune. Elle prodigue les funestes conseils en prônant, avec une sorte d'aménité pateline, comme notre plus précieuse ressource, le "rationnement des vivres par leur cherté". Elle déguise, sous forme d'admonestation patriotique, la plus dangereuse et la plus dissolvante propagande, et elle empapillotte sa haine de pédantisme et de science. » (…) « Elle est académique, et toute sa rhétorique se résume dans ces deux conclusions également fausses et perfides - Dénoncer Hébert et recommander Malthus. L'insulte est éhontée et scandaleuse. Plus expéditive qu'en 1848, elle n'attend pas même la guerre civile pour accuser la République. Après être prudemment restée muette pendant les jours qui ont suivi le 4 septembre, un beau matin, le lendemain de la manifestation anodine et avortée du 8 octobre dernier, elle s'est échappée, furieuse, de sa cachette, et la voici qui, comme en 48, au beau temps de la Foire aux idées et du Lampion, parle net, aboie haut, se rue dans les carrefours et mord les passants aux jambes. » (Le Rappel, du jour)

 

26/10. Dans la nuit, Garibaldi est arrivé à Besançon. Gambetta y est aussi depuis peu, ils se rencontrent un long moment. A l’issue de cet entretien Garibaldi reçoit l’ordre de prendre le commandement des francs-tireurs dispersés dans les environs et en Côte d’Or. Garibaldi qui aura la charge avec ses fils de l'Armée des Vosges, ils disposeront tout au plus de 3.800 soldats, difficile de parler d'un corps d'armée... Et le père général n'était pas au haut de sa forme physique. Dans la capitale Gustave Flourens, et le capitaine de Croêz, décident d’aller voir Henri Rochefort. En se rendant à Belleville, le ministre est interrogé sur la situation de l’armée et il répond : « Il y a peu d’espoir » (…) « Nous ferons même bien de ne pas compter sur les secours de la province, de ne compter que sur nous-mêmes. Bazaine surtout nous donne de l'inquiétude. Depuis la proclamation de la République, il n’a pas  répondu à une seule de nos dépêches. Il parait même qu'en ce moment, il a envoyé à Versailles un général traiter de la reddition de Metz, au nom de l'empereur Napoléon III. » Rochefort rajouta : « Ne dîtes rien de cela, » mais Flourens prévient Félix Pyat. Stupéfait par la nouvelle, il demande - « En êtes-vous bien sûr? » Flourens lui explique la rencontre avec Rochefort. - « Eh bien, il faut le publier, notre devoir de bons citoyens est de le faire savoir immédiatement au peuple, afin qu’il avise. » Ils écrivent ensemble le billet du lendemain pour le journal le Combat. (Paris livré, G. Flourens)


27/10. Le journal, Le Combat de Félix Pyat demande « s'il est vrai que le gouvernement retienne une dépêche lui annonçant que le maréchal Bazaine » a bien capitulé à Metz? l’information est démentie par le gouvernement, le lendemain.


28/10. A la rubrique sur les informations à Paris, le Journal des Débats, sans citer la moindre source et de pouvoir en établir, trouve « invraisemblable » la reddition du maréchal Bazaine à Metz, et il est fait état d’un journal prussien en français Le nouvelliste de Versailles, qui serait le probable propagateur, car à la solde de Bismarck. Félix Pyat fait un entrefilet au sein de la rubrique fait vrai, sûr et certain, sur la trahison du maréchal Bazaine et la capitulation de Metz. Des citoyens se déclarant « républicains » choqués, outrés par cette annonce se jettent sur les kiosques du Boulevard (Bastille-Madeleine) et brûlent le journal Le Combat. « Cet homme est vendu aux Prussiens ; il accuse Bazaine qui défend la France. - Où  est son journal ?  - Rue Tiquetonne. - Allons-y briser ses  presses. » Ou bien l’on entend des mouchards ou sbires de Jules Favre criés :  « J'ai une  balle dans mon fusil, elle sera pour Pyat, il faut faire un bon exemple de tous ces agents de Bismarck ! » prévenu de la tournure, Félix Pyat et Ferdinand Gambon s’éclipsent des locaux par une sortie dérobée. Il se met à courir le bruit que Pyat est un « mouchard » à la solde des Prussiens, puis les bureaux du périodique sont l’objet d’une attaque et les employés présents dans les locaux sont traités avec rudesse. Jules Favre rédige une déclaration lyrique. : « Le glorieux Bazaine qui tenait l’épée de la France d'une main si ferme et si loyale ! », tout en sachant la trahison de celui-ci, un pieux mensonge? (Paris livré, G. Flourens) Des francs-tireurs s’emparent du Bourget et tiennent 48 heures sous le pilonnage des bombes prussiennes.


Suite à la chute de la ville de Metz, Gambetta déclare :caricature du maréchal Bazaine

« Français ! Elevez vos âmes et vos résolutions à la hauteur des effroyables périls qui fondent sur la patrie. Il dépend encore de nous de lasser la mauvaise fortune et de montrer à l'univers ce qu'est un grand peuple qui ne veut pas périr, et dont le courage s'exalte au sein même des catastrophes. Metz a capitulé. Un général sur qui la France comptait, même après le Mexique, vient d'enlever à la patrie en danger plus de cent mille de ses défenseurs. Le maréchal Bazaine a trahi. Il s'est fait l'agent de l'homme de Sedan, le complice de l'envahisseur, et, au milieu de l'armée dont il avait la garde, il a livré, sans même essayer un suprême effort, cent vingt mille combattants, vingt mille blessés, ses fusils, ses canons, ses drapeaux et la plus forte citadelle de la France, Metz, vierge, jusqu'à lui, des souillures de l'étranger. »

Source : Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889
 d'Adolphe Robert et Gaston Cougny


29/10. Entrée des Prussiens dans Metz. Charles Hugo dans le Rappel s’interroge sur « la province des campagnes »? « Et Paris craint d’exprimer ainsi sa pensée : Les villes sont héroïques. Les campagnes sont lâches. »


30/10. C’est le retour à Paris de M. Thiers avec sous le coude une proposition d'armistice, concertée entre l'Angleterre, la Russie, l'Autriche et l'Italie, et ayant, dit-il, pour objet le ravitaillement de la capitale. Le Bourget est repris par les Prussiens. Gambetta proclame au Peuple français : « Metz a capitulé. Un général sur qui la France comptait, même après le Mexique, vient d'enlever à la patrie en danger plus de deux cent mille de ses défenseurs. Le maréchal Bazaine a trahi ! » (Dépêches, etc., et Discours de Gambetta, Jospeh Reinach). Première bataille de Dijon.

 

Lundi 31/10. Le Gouvernement annonce enfin la nouvelle de la capitulation de Metz. De son côté Thiers, s’en va conférer avec les représentants de la Prusse sur les propositions relatives à l'armistice. Le docteur Robinet, maire du 6e arrondissement (et son adjoint, M. Rousselle) somme le gouvernement « de repousser l'armistice et de décréter la levée en masse des Parisiens, sinon de donner sa démission ». A trois heures de l’après-midi, l'Hôtel de Ville est occupé par les tirailleurs de Belleville de Gustave Flourens, celui-ci tente une proclamation de la Commune, et attend Auguste Blanqui. Raoul Rigault et des gardes nationales des quartiers populaires s’emparent de la Préfecture de Police ; jusque-là, l’insurrection est presque victorieuse. Les membres du gouvernement sont à peu près tous retenus et gardés à vue, et c’est dans une assez grande confusion et palabres, qu’il est annoncé la démission des ministres, d’un nouveau gouvernement, après avoir été proposé M. Dorian à la tête d’un nouveau pouvoir... qui ne vint pas…. Finalement depuis la caserne Lobau s’infiltre par les sous-sols, des gardes nationales appelées à la rescousse (des quartiers bourgeois), parviennent jusqu’à l’hôtel municipal : « C’est l’armée catholique qui a gagné par une trappe la bataille de l’Hôtel de Ville. Que l’Univers (journal clérical) illumine ! » (Blanqui, La patrie en danger). A trois heures du matin, le gouvernement est délivré, et regagne sa liberté de mouvement. Un drôle de soulèvement de 12 heures, qui se termine avec la promesse de Jules Favre de la tenue des élections municipales, le 5 décembre, un plébiscite est appelé en peu de jours, et les agitateurs « communistes » ne sont pas poursuivis. (Lire à ce sujet, La nuit du 31 octobre, ci-après)

Journal Le Temps du 31/10 : « On lit dans le Journal de Paris On a beaucoup parlé de la mystérieuse mission confiée à M. de Kératry. Il circule à ce sujet une version que nous ne voulons pas reproduire dans tous ses détails, avant d'avoir pu la contrôler ; mais nous pouvons dire dès à présent que, d'après cette version, l'objectif de la mission de l'ancien préfet de police était bien l'Espagne. La combinaison que M. de Kératry aurait été chargé de soumettre à l'examen du cabinet de Madrid ne serait pas moins qu'un vaste plan d'alliance, dans lequel les Etats-Unis joueraient un rôle important ».


Le maire de Paris fait placarder dans la nuit l'affiche suivante :
« Citoyens, Aujourd'hui, à une heure, les maires provisoires des 20 arrondissements, réunis à l'Hôtel de Ville de Paris, ont déclaré à l'unanimité que dans les circonstances actuelles, et dans l'intérêt du salut national, il est indispensable de procéder immédiatement aux élections municipales. Les événements de la journée rendent tout à fait urgente la constitution d'un pouvoir municipal autour duquel tous les républicains puissent se rallier. En conséquence, les électeurs sont convoqués pour demain mardi, 1er novembre, dans leur section électorale, à midi. Chaque arrondissement nommera, au scrutin de liste, quatre représentants. Les maires de Paris sont chargés de l'exécution du présent arrêté. La garde nationale est chargée de veiller à la liberté de l'élection. Vive la république! »
Fait à l'Hôtel de Ville, le lundi 31 octobre 1870. M. Dorian, président de la commission des élections. V. Schœlcher est vice-président de la commission des élections. Les signataires : Etienne Arago, maire de Paris. Ch. Floquet, Henri Brisson, Ch. Hérisson et Clamageran, adjoints.

A la même date du 31 octobre. Victor Hugo note dans son carnet : — Échauffourée à l’Hôtel de Ville. Blanqui, Flourens et Delescluze veulent renverser le pouvoir provisoire Trochu — Jules Favre. Je refuse de m’associer à eux. Prise d’armes. Foule immense. On mêle mon nom à des listes de gouvernement. Je persiste dans mon refus. Flourens et Blanqui ont tenu une partie des membres du gouvernement prisonniers à l’Hôtel de Ville toute la journée. — À minuit, des gardes nationaux sont venus me chercher pour aller à l’Hôtel de Ville, présider, disaient-ils, le nouveau gouvernement. J’ai répondu que je blâmais cette tentative, et j’ai refusé d’aller à l’Hôtel de Ville. — À trois heures du matin, Flourens et Blanqui ont quitté l’Hôtel de Ville et Trochu y est rentré. On va élire la Commune de Paris.

La Nuit du 31 octobre 1870


Gustave Flourens sur la table

La nuit du 31 octobre, selon les angles et les points de vue politiques, peut-être diversement appréciée. Les comptes-rendus de cette soirée houleuse narrent un grand cafouillage, ou apportent une information précise et sérieuse, alors qui choisir? Fallait-il faire une synthèse de deux textes? Quand un texte de 15 pages (1), un article bien fouillé, au demeurant respectable, mais s’il s’agit d’une soupe au service des « honnêtes gens », est-ce suffisant? Si ce texte conformiste est mis en balance avec une synthèse et une analyse de la situation, il ne fait pas de doute que la perception de Gustave Flourens, qui tint à partir de ce jour-là un rôle de bouc émissaire, permet de saisir ce que le superficiel dissimule comme violence sociale, et non-dits. Mémoire ou racontar d’une nuit agitée, l’histoire sous sa plume est autrement plus éclatante, ou parlante et fait comprendre qu’il s’en fallut de peu, ce qui donne une fois de plus raison à Karl Marx (cf. La guerre civile en France).


J’ai voulu lui donner tort, ce texte m’a convaincu, et sa qualité première loin des visions grossières et insultantes trimballés par les communeux chez les « gens de biens ». Seul gros souci qu’il faut en prendre en compte, ce sont les commentaires xénophobes, et ils valent pour toutes les sociétés européennes et classes sociales, surtout en temps de guerre, les mauvaises passions refleurissent toujours sur le tas de fumiers du nationalisme, ou ce qu’il a de plus primaire. Un déchirement le plus souvent voulu entre les peuples, par leurs propres gouvernants, l’ennemi fédère et le nationalisme le plus outrancier prospère.


Sur la violence sociale, si des petites envies vous prennent de lire certains textes purement réactionnaires et conforment à la mystification des événements, à partir de ce jour du 31 octobre, je peux vous assurer qu’il y a de quoi avoir la nausée. Il exista même, presque ou déjà Le livre noir de la Commune ou l’Internationale dévoilée (dès 1871 !), mais si vous voulez vous convaincre que la « populace », la « multitude » était ou reste un groupe nuisible, Maxime Du Camp, ami de Flaubert, a été probablement un des meilleurs narrateurs de l’exécration portée aux classes miséreuses et pauvres. Ces dernières se révoltèrent avec bien plus de dignité et respects des autres, de l’argent public, que les rampants et grassouillets bourgeois « républicains » ou pas, de service à la sauce Favre et compagnie, et ce qu’ils laissèrent pour bouillie infâme aux générations futures.


Les personnes atypiques, faute de case à leur offrir dans la césure entre ceux du 4 septembre et ceux du 31 octobre. C’est-à-dire entre républicains bourgeois et républicains révolutionnaires qui tentèrent l’arrivée d’un nouveau pouvoir, républicain? Cela fait pas mal de gens à ne pas négliger, qui ont pu échapper aux récits du roman national, qui en ce domaine s’est apparentée à un grand vide ; ou bien, une accumulation de fausseté assez déroutante. Ce qui étonne, ce n’est pas tant la cloison sociale et urbaine, ce sont les relations qui ont pu s’établir, ou pas, comme cercles d’amitiés et politiques, sauf à comprendre que le petit milieu parisien se connaissait fort bien, et que les détestations interindividuelles ont aussi beaucoup compté. Et que certains élus bourgeois comme MM. Dorian, Schoelcher, et des personnalités comme Edgar Quinet très mal-en-point, celui-ci allait finir en civière à Bordeaux en février 1871, sans parler du père et des 2 fils Hugo, qui furent des plus honorables dans des circonstances très difficiles pour les Parisiens.


Jean-Baptiste Millière (ci-contre en photo) a été élu chef du 208e bataillon sous le premier siège, puis conseiller municipal du 20e arrondissement à partir d’octobre, et le 26 mars 1871 conseiller dans le 11e arrondissement. Il sera membre de la Commission exécutive sous la Commune, au nombre des délégués de « l’Alliance républicaine des départements ». Directeur de la Marseillaise depuis 1869 sous la direction d’Henri Rochefort, avocat et journaliste, proche de Victor Hugo, qui fut un des rares à le nommer. Il a été élu député de la Seine et fusillé le 20 mai 1871 devant le Panthéon. Gustave Flourens le précéda (20 avril), Millière connut aussi la prison de Mazas l’année précédente, durant deux mois


                          Nuit du 31 octobre : Le commandant Millière


Le calme s'étant rétabli, à l'arrivée de Flourens, dans la salle où se trouvait le gouvernement, des voix s'élevèrent de tous côtés : « La déchéance des traîtres, l'arrestation immédiate! » Flourens monta sur la table, afin de se faire entendre de tous, et de là répondit ceci : « Qu'il était convaincu plus que personne de la nécessité d'en finir immédiatement avec les traîtres, qu'il allait les garder à vue, en attendant l'arrivée d'une force suffisante pour s'emparer d'eux et de l'Hôtel de Ville. » Il donna lecture des noms acclamés pour constituer le comité provisoire, chargé de veiller aux élections de la Commune. En même temps, il envoya ordre aux quatre cents tirailleurs de prendre possession de l'Hôtel de Ville, ce qui ne s'effectua pas sans difficulté tant la foule était compacte, tant il était difficile à une troupe de se mouvoir à travers ces flots de citoyens.

 

Sans perdre une minute, Flourens s'assit à la table, et se mit au travail. Il envoya d'abord prier tous les membres du Comité provisoire de salut public, qui pouvaient se trouver dans d'autres pièces de l'Hôtel de Ville, de vouloir bien venir se joindre à lui, ou de lui désigner un autre lieu de réunion qui leur conviendrait mieux. Puis il dicta à des citoyens de bonne volonté une notification des événements qui venaient de se passer, adressée à la population parisienne. Il envoya à l'Imprimerie nationale copie de cette notification, avec ordre de la placarder de suite dans tout Paris. Il en envoya vingt autres copies, une à chaque mairie, afin que la bonne nouvelle se répandit immédiatement partout.

 

Quarante tirailleurs, étant entrés par son ordre dans la salle, gardèrent à vue le gouvernement déchu. En ce moment arriva l'un de ses collègues, Millière. Celui-ci rédigea « un ordre à la force publique » d'arrêter Jules Favre et ses complices. Il présenta cet ordre à Flourens, en lui demandant de le signer. Celui-ci refusa. Où était la force publique dont disposait Millière pour mettre cet ordre à exécution? Donner des ordres, sans avoir la force de les faire exécuter, rien n'est moins révolutionnaire. Une feuille de papier avec deux signatures peut sauver une nation, si cette feuille de papier représente à la fois la responsabilité de ceux qui commandent et l'obéissance immédiate de ceux qui exécutent. Sinon, cette feuille de papier n'est que ridicule


Que Flourens eût signé. (en photo) Qu'en serait-il arrivé? Millière, avec cette signature, aurait-il fait obéir la gendarmerie et la police, aurait-il trouvé d'autre force disponible en ce moment que les quatre cents tirailleurs amenés par Flourens? Cette force suffisait tout au plus à garder le vaste Hôtel de Ville ; elle ne pouvait se partager en deux moitiés, dont l'une serait restée à son poste, dont l'autre aurait conduit les prisonniers à Mazas.



Quant à l’idée de séquestrer, dans une autre chambre de l'Hôtel de Ville, Jules Favre et compagnie, idée émise aussi par Millière, nous ne la discuterons même pas. Qu'ils fussent gardés dans une chambre de droite ou de gauche, du premier étage ou du second, en quoi cela pouvait-il changer le résultat de la journée ?

 

Ah! si Millière avait amené son bataillon complet de douze cents hommes, comme Flourens avait amené son bataillon de marche de quatre cents, avait fait entrer ses douze cents hommes dans l'Hôtel de Ville, puis avait dit à son collègue : « Vous, avec vos tirailleurs, gardez l'Hôtel de Ville ; moi, avec mon bataillon, je vais conduire les traîtres à Mazas, » Flourens aurait donné toutes les signatures voulues, voyant une entreprise sérieuse et qui devait réussir, non pas un vain simulacre d'énergie, bon tout au plus à se ménager ensuite une facile apologie. Est-il besoin de le dire? Flourens voulait l'arrestation des traîtres beaucoup plus encore que ne pouvait la vouloir Millière, et il a plus fait que lui pour l’assurer.

 

Le bataillon de Millière vint plus tard se ranger en bataille sur la place de Grève. Millière alla lui parler. Loin de le faire entrer dans l'Hôtel de Ville et d'agir énergiquement à sa tête, comme c'était son devoir de bon citoyen, il le renvoya. « Il ne voulait pas, dit-il, l'exposer plus longtemps au danger. » N'y étions-nous pas exposés à ce danger, nous tous qui restions à notre poste ? Ce bataillon, pour peu que son chef l'y eût invité, n'était-il pas prêt à courir les mêmes périls que nous , sans s'inquiéter plus que nous ne le faisions de ces périls. Le commandant Millière, sans doute, n'avait pas sur son bataillon une influence morale suffisante pour oser lui proposer de concourir au renversement des traîtres ; il aura craint d'éprouver de la résistance, de trouver de l'opposition parmi les citoyens auxquels il avait l'honneur de commander. C'est pourquoi il s'est abstenu de faire marcher sur l'Hôtel de Ville cette force qui aurait déterminé le succès de la journée, c'est pourquoi il a renvoyé son bataillon à Ménilmontant, au lieu de le mettre aux ordres de la volonté populaire.


Millière a sans doute rendu des services sérieux à la cause populaire ; Millière a d'excellentes qualités ; mais il n'est pas homme d'action. Il l'avait déjà prouvé à Flourens, le 7 février, lors de l'arrestation de Rochefort : placé au bureau, derrière Flourens qui présidait, non-seulement il ne l'aida point dans sa tentative d'insurrection, mais il dissuada même plusieurs citoyens d'y prendre pari. Il courut aux bureaux de la Marseillaise, véritable souricière, où il se fit arrêter.


Quiconque était compromis dans l'élection de Rochefort devait éviter soigneusement de se rendre à ces bureaux ce soir-là ; y aller, c'était se constituer prisonnier dans les mains de la police. Millière a mieux encore prouvé à Flourens, dans la soirée du 31 octobre, qu'il n'était pas homme d'action.

 

Il l’a prouvé aussi à son bataillon. C'est pourquoi il a senti la nécessité d'écrire une brochure apologétique de sa conduite, il y accable d'éloges, d'eau bénite de cour, ce bataillon qui pouvait décider du succès de la Commune, et ne l’a point fait par le manque de fermeté de son chef. Cela est bien. Ce qui est mieux encore, c'est de rejeter sur Flourens, prisonnier d'État alors et qui ne pouvait répondre, le blâme de l’insuccès, de tromper ainsi l'opinion publique. Si l'on n'a pas réussi au 31 octobre, c'est la faute de Flourens. Premier grief. Flourens devait signer l'ordre d'arrestation déjà signé par Millière. Nous venons de voir que cette signature ne pouvait produire aucun effet utile, et que Flourens, voulant agir sérieusement et non pas faire du charlatanisme, a eu raison de ne pas la donner.

 

Second grief. Flourens était entouré de ses tirailleurs qu'il aurait dû employer uniquement à combattre les mobiles de Trochu. Millière ignore que Charles Ferry, à la tête de gardes nationaux réactionnaires, a essayé par deux fois pendant cette soirée d'arrêter Flourens. Si celui-ci n'avait pas eu constamment une escorte de dix à douze tirailleurs, il se serait vu arrêté dès six heures du soir. Il n'aurait pu, à force de fermeté et de calme, éviter l'effusion du sang républicain que désirait tant la réaction, les nouvelles journées de juin dont Trochu et Jules Favre n'attendaient que le prétexte.

 

Troisième grief. Flourens avait pris à lui seul toute la direction du mouvement. Il est vrai que Millière constate lui-même un peu plus loin combien est inexacte cette assertion. Dès que ses collègues, ou plutôt quelques-uns de ses collègues, furent arrivés, Flourens s'empressa d'agir en commun avec eux. Seulement, comme il était le premier rendu à son poste, comme les minutes pressaient, il crut ne pas devoir les attendre les bras croisés, mais agissant.


Flourens n'a eu qu'une pensée et qu'une tactique dans toute cette soirée du 31 octobre : mettre hors d'état de nuire au peule les traîtres, en les arrêtant. Employer à ce service toutes les forces disponibles qu'il avait sous la main, c'est-à-dire les quatre cents tirailleurs, en attendant d'autres forces plus considérables, convoquées par lui, et capables d'assurer le plein succès de cette opération. Ces forces plus considérables ne s'était pas rendues à son appel, il a dû céder devant le nombre, mais avec beaucoup de dignité, et en ne quittant la place qu'avec les honneurs de la guerre. Millière au contraire, comme le prouve son mémoire, n'avait aucun plan arrêté. Tantôt il insiste énergiquement sur l'absolue nécessité de garder prisonniers les traîtres. Tantôt, se contredisant lui-même, il ne voit pas cette nécessité, du moment où leur déchéance a été acclamée, et propose de les mettre en liberté. Hélas! n'a-t-il pas vu quel détestable usage ils ont fait de cette liberté?


          Fraude du 106e bataillon - Guet-apens du souterrain - Convention


(Le ministre de la guerre) Picard ayant fait battre le rappel, la garde nationale s'en émut fort peu. Les citoyens, qui ne voulaient pas prendre parti contre le gouvernement, sentaient, trop bien, en ce moment de surexcitation, qu'ils ne devaient pas le soutenir. Ils comprenaient combien était prussienne la politique de ceux qui, ayant laissé prendre Metz, engageaient, à l'occasion de ce désastre, Paris à se rendre. Un seul bataillon, qui revenait de la garde aux remparts, consentit à marcher contre le salut de la patrie. C'était le 106e commandé par M. Ibos, bataillon du faubourg Saint-Germain qui renfermait bon nombre de marguilliers (Laïc chargé de la garde et de l'entretien d'une église). Deux compagnies, cependant, plus éclairées et plus sages, ayant su ce qu'on leur demandait de faire, s'y refusèrent, et, protestant énergiquement, abandonnèrent leur commandant à quelque distance de l’Hôtel de Ville.

 

Avec les compagnies qui lui restaient, M. Ibos arriva à la grille gardée par les tirailleurs. Ceux-ci lui refusèrent rentrée. « Vive la Commune! » s'écrièrent jésuitiquement ces marguilliers. Les tirailleurs, croyant avoir affaire à un bataillon républicain venu pour les aider, leur ouvrirent la grille. Une fois entré, grâce à cette trahison, M. Ibos laissa au rez-de-chaussée une partie de ses forces, et monta avec deux compagnies dans la salle où était Flourens. Voyant qu'il y avait là une quarantaine de tirailleurs seulement : « A bas la Commune ! » crient de toutes leurs forces les hypocrites. Ils menacent Flourens de mort. Celui-ci s'efforce de leur tenir tête, et méprise leurs menaces. Ibos monte sur la table, ses hommes envahissent la salle, débordent les tirailleurs. Pendant qu'Ibos occupe l'attention de Flourens en gesticulant, un suisse d'église, homme de haute taille et de forte corpulence, saisit le petit Trochu dans ses bras, l'enveloppe dans sa capote, lui met son képi de simple garde sur la tête, cache le képi galonné du général, et se sauve comme un voleur, avec quelques-uns de ses camarades.

 

Profitant du désordre qu'amène cet incident, Jules Ferry, peu remarqué en ce moment, s'enfuit à la suite du général. Flourens, parvenant à se débarrasser d'Ibos qui lui a masqué cette scène rapide, saute derrière la table à temps pour empêcher ses autres prisonniers de fuir. Il fait fermer la porte, et repousser les autres compagnies d'Ibos qui accouraient pour délivrer Jules Favre. Le capitaine Greffier nommé par Flourens, commandant de l'Hôtel de Ville, met en arrestation Ibos, fait expulser le 106e bataillon par les tirailleurs, s'empare de toutes les issues, place des tirailleurs aux fenêtres.

 

La nuit tombait. Quoique Trochu fût délivré par celte trahison et cette surprise, la situation des républicains n'était pas encore mauvaise. Le devoir de Flourens était de se maintenir à l’Hôtel de Ville, même y fut-il assiégé par tous les mobiles bretons de Trochu. Au matin, Paris, en s'éveillant, aurait appris que quelques braves tenaient ferme le drapeau de l’indépendance communale contre les janissaires (soldats « ottomans ») du dictateur Trochu. Tous les faubourgs auraient pris les armes et seraient venus au secours des républicains.

 

Pour accomplir ce devoir de résister à outrance, Flourens n'avait et n'a jamais eu à sa disposition que ses quatre cents tirailleurs. Cela lui suffisait. Deux compagnies d'un autre bataillon sont restées à l'Hôtel de Ville jusqu'à minuit ; voyant alors que nous étions cernés et qu'il n'y avait plus de lutte possible; elles sont parties. Des cinq bataillons de Belleville, un seul est venu sur la place de Grève, y a passé quelque temps, puis est parti sans même être entré à l’Hôtel de Ville, et sans avoir rien fait. Même remarque pour les trois ou quatre autres bataillons républicains qui sont venus, à divers moments de la soirée, prendre position sur la place, et qui, croyant notre victoire assurée, sont repartis tranquillement.

 

Quant à la foule qui avait longtemps stationné sur la place, elle s'était peu à peu dissipée. Mouillés par une pluie fine et pénétrante, affamés, fatigués par une longue journée d'émotions, les citoyens étaient rentrés chez eux manger du pain, se coucher, raconter à leurs femmes le triomphe de la cause populaire. Ils croyaient tout fini. Ils se rappelaient le 4 septembre, où l'invasion de la Chambre avait décidé le succès. Ils ne réfléchissaient pas qu'à ce moment la force publique était aux mains de Trochu, et que Trochu trahissait l'Empire, était d'accord avec Jules Favre. Quelle différence au 31 octobre, où le mouvement n'était soutenu par aucune force organisée !


Pendant qu'une partie des sacristains d'Ibos délivrait Trochu, quelques-uns de leurs camarades virent passer un petit vieillard, d'apparence frêle, mais à regard énergique et à cheveux blancs vénérables. « Voilà Blanqui ! » (en portrait) s'écria l'un d'eux. Aussitôt ces misérables se précipitent lâchement sur ce vieillard désarmé, l’accablent de coups, lui arrachent les cheveux, lui serrent la cravate jusqu'à l'étrangler, et le laissent pour mort sur une banquette. Il leur vient une idée. N'osant l’achever là, ils l’enlèvent : « Place à un malade, messieurs ; laissez passer un malade ; » et ils emportent hypocritement Blanqui respirant à peine, comme s'ils voulaient lui porter secours, le reconduire chez lui.

 

Averti par Jaclard de cette infamie, Flourens envoie des tirailleurs dégager Blanqui. Celui-ci arrive, boit un verre d'eau, et se met immédiatement au travail. Ce verre d'eau est la seule chose que Blanqui ait prise à l’Hôtel de Ville dans la nuit du 31. Flourens y a bu un verre de vin et mangé un morceau de pain que son ami Greffier lui avait apportés ; Blanqui a refusé de partager ce frugal repas. Et cependant le parti des calomniateurs quand même, le parti jésuite, persuadera aux provinciaux qu'on a fait des orgies dans cette nuit-là à l'Hôtel de Ville, et cela se répétera peut-être encore dans cent ans. Quant aux tirailleurs, ils mangèrent le dîner des mobiles, dont ils occupaient la place, et certes ils y avaient bien droit.

 

Ranvier vint joindre ses collègues Millière, Blanqui et Flourens. Plus tard vinrent aussi Mottu et Delescluze. On se mit à l'œuvre. Le plus urgent était de convoquer les bataillons républicains par ordres réguliers, afin d'assurer le libre fonctionnement du nouveau pouvoir intérimaire, afin de défendre l'Hôtel de Ville. C'est ce qui fut fait. On envoya également des citoyens dévoués prendre possession des mairies, ordonner la stricte fermeture des portes, afin que la trahison des généraux ne pût livrer Paris aux Prussiens. On songea aussi à mettre dans les forts des délégués chargés d'en prendre le commandement, de les faire sauter plutôt que de les rendre.

 

Le travail avançait. Les choses prenaient une tournure régulière. Les tirailleurs de garde ne laissaient plus entrer, ni sortir personne, sans un laisser passer signé des membres du comité provisoire. Cependant, rentré à son état-major, Trochu avait envoyé en tous sens aides de camp, estafettes, ordres sur ordres, dépêches sur dépêches. En cinq heures, il avait réuni des forces considérables, des forces qui auraient suffi, et au-delà, à nous épargner la honteuse catastrophe du Bourget, à faire même la trouée à travers les Prussiens. Ces forces s'acheminaient vers l'Hôtel de Ville; dès onze heures et demie, elles commençaient à prendre position sur la place de Grève. En même temps, Jules Ferry, à la tête de gardes nationaux réactionnaires, voulait forcer l’entrée de la salle Saint-Jean. Ces gardes nationaux frappaient, à grands coups de crosses de fusils, sur la porte, ce qui n'émouvait guère les tirailleurs. A l'intérieur, on barricadait le passage et l’on étayait la porte avec les voitures de gala de M. Haussmann renversées. La petite garnison de l’Hôtel de Ville se préparait à tenir bon, et voyait, avec le plus grand calme, se masser autour d'elle les forces écrasantes de l'ennemi.

 

Vers une heure et demie du matin, tandis que Flourens travaillait paisiblement avec ses collègues, les tirailleurs lui amènent un sergent de mobiles bretons avec quatre hommes qu'ils viennent de faire prisonniers dans une cave. Ils étaient assis tranquilles auprès du feu, quand ils avaient vu ce sergent soulever une trappe. Cet Hôtel de Ville est machiné comme un dessous de scène; on n'y rencontre que trappes et souterrains, on n'y voit que fausses portes. Ceux qui y jouent l'odieuse comédie de tromper le peuple ont voulu, en cas de surprise, se ménager des issues pour la fuite. Flourens fait désarmer et mettre en arrestation le sergent breton. Mais, hélas ! cet homme n'était que l'avant-garde de deux bataillons qui, en ce moment même, pénétraient par les caves dans l'Hôtel de Ville.

 

Flourens ignorait complètement l'existence du souterrain qui relie l'Hôtel de Ville à la caserne Napoléon située derrière. Personne ne lui en avait parlé dans la soirée. Prévenu, il l'aurait fait inonder d'eau. La situation des républicains changeait tout à fait. Ce n'étaient pas seulement deux bataillons de Bretons, c’était l'armée entière de Trochu qui pouvait maintenant les tourner par cette voie. L'ennemi était maître de la place. II ne restait plus qu'à éviter une effusion de sang inutile, dangereuse pour la cause, qu'à laisser le gouvernement déchu faire l’appel au peuple, qu'à délivrer les prisonniers après avoir reçu d'eux promesse formelle, garantie sur leur honneur, de mettre aux voix librement et sincèrement la Commune, qu'à se retirer enfin dignement, avec les honneurs de la guerre.

 

Excités par le lieutenant-colonel de mobiles qui commandait à l'Hôtel de Ville lors de l'envahissement, et qui les avait guidés à travers le souterrain, excités aussi par deux de leurs officiers, ennemis acharnés des républicains, les mobiles étaient prêts à faire feu. On vint le dire à Flourens. Il commanda avec beaucoup de prudence et de fermeté, donna ordre de se replier sur le grand escalier. Puis, il alla trouver Dorian. Celui-ci, quoique membre du gouvernement déchu, avait été acclamé par le peuple en même temps que Flourens. On pouvait donc s'entendre avec lui dans un but de conciliation, afin d'éviter la guerre civile.

 

Dorian était dans le bureau du maire de Paris. Dès que Flourens lui eut dit de quoi il s'agissait, Dorian, plein de zèle patriotique : « Marchez, je vous suis. » Arrivés dans la cour, ils avancèrent seuls en parlementaires. Les mobiles bretons, l'œil hagard et menaçant, le pouce sur la détente, baïonnettes croisées, étaient massés dans le passage de la salle Saint-Jean. Ils étaient si troublés qu'ils ne voulaient rien entendre. Ce ne fut qu'à force de leur crier : « Faites venir votre commandant. Voici un ministre qui a des ordres à lui donner, » que Flourens parvint à entrer en relations avec eux. Enfin, le commandant consentit à venir ; Dorian lui parla avec fermeté, lui ordonna d'attendre, sans engager aucune lutte, ce qui allait se décider.

 

Millière, Ranvier, Delescluze, Blanqui et Flourens convinrent de ceci avec Dorian : « que le gouvernement dit de la défense nationale s’engageait librement, sur son honneur à laisser faire le lendemain, sous la présidence de Dorian et de Schœlcher, les élections de la Commune, et deux jours, après celle d'un gouvernement nouveau, que, pour éviter l’effusion du sang et la guerre civile, les acclamés du 4 septembre et ceux du 31 octobre allaient sortir ensemble de l’Hôtel de Ville et retourner chacun à leur domicile sans que l’un des deux partis pût ensuite, à l’occasion de cette soirée, inquiéter l'autre. » Millière et Dorian se chargèrent de porter ces conditions à Jules Favre qui les accepta librement, sans qu'aucune pression ait été exercée sur lui.

 

Il ne restait plus qu’à exécuter cette convention. Ceux qui l'avaient conclue, allaient le faire. Mais, des citoyens qui étaient demeurés jusqu'alors autour du gouvernement déchu, surexcités par le danger de la situation et ne comprenant pas cette situation, s'y opposèrent énergiquement. Ils se serraient autour de Jules Favre, et ne voulaient pas le laisser partir. Le leur enlever était difficile en ce moment où un accident malheureux aurait fait tant de tort à la cause républicaine. On usa de tous les moyens de persuasion, et pendant que l’on perdait le temps en ces discussions inopportunes et stériles, l'Hôtel de Ville s'emplissait d'ennemis. Les mobiles bretons en avaient ouvert une porte à Jules Ferry, qui parvint enfin à y pénétrer avec ses gardes nationaux réactionnaires.

 

Se présentant en parlementaire, Ferry vint dire ceci à Flourens : « Quittez l’Hôtel de Ville et rendez-nous vos prisonniers. Toute résistance est impossible, nous amenons quarante mille hommes qui vous entourent. - Nous n'avons pas attendu votre sommation, lui répondit Flourens, pour conclure une convention avec vos collègues. Cette convention, nous sommes en train de l'exécuter. »

 

En ce moment, fît irruption une bande de réactionnaires très animés, baïonnettes aux fusils. Afin de prévenir toute lutte, Flourens prit avec lui le général Tamisier. « Respectez votre général, » cria-t-il à ces gardes nationaux. Tamisier leur adressa une petite allocution qui les calma. Puis Jules Favre et ses collègues se sauvèrent avec quelques amis par une porte de derrière. Tamisier, donnant le bras à Blanqui, descendit. Ayant rallié ses tirailleurs, Flourens partit à leur tête pour Belleville, à travers les flots épais de mobiles. Il était quatre heures du matin. Sans doute, Jules Ferry avait exagéré, il n y avait pas quarante mille hommes sur la  place. Mais, il y en avait bien vingt mille.

 

Seule opération militaire réussie par Trochu pendant tout le siége. A vingt mille soldats contre quatre cents républicains! Et encore, si les républicains n'avaient pas été tournés par un souterrain, jamais il ne leur aurait repris l’Hôtel de Ville. Ce qu'il n'a pu leur reprendre, c'est le serment de ses collègues, c'est l'honneur de Jules Favre qui avait juré la Commune et qui a donné le plébiscite.


Note :

(1) « Quand l'histoire impartiale viendra rendre un verdict souverain, elle trouvera deux coupables : Flourens, dont l'arrivée a renversé toutes les combinaisons pacifiques, et qui a mérité le blâme des partisans comme des adversaires de la Commune : l'autre, Blanqui, qui a continué en 1870 son rôle déplorable de 1848, et que la République peut à bon droit compter parmi ses plus dangereux ennemis. » LA NUIT DU 31 OCTOBRE 1870 - Imprimerie LEFEBRE, passage du Caire, 87-89,  PARIS 1870.
Source : Paris Livré, Gustave Flourens, chapitres VII et VIII, pages 143 à 154.

La guerre au fil des jours : novembre 1870


Entrée des troupes allemandes dans Thionville, le 25 novembre 1870

Mardi 1er. A Paris, le gaz manquerait dit-on, et il n’y aura plus bientôt d’éclairage public? Le Siècle remarque que « M. Thiers est arrivé aujourd'hui à Paris ; il s'est transporté sur-le-champ au ministère des affaires étrangères. » (le Quai d’Orsay) et informe que le ministère de l'intérieur lui a transmis  « la pièce suivante, qui vient d'être affichée dans Paris. L'affiche publiée hier, pendant que les membres du gouvernement étaient gardés à vue, annonce des élections matériellement impossibles pour aujourd'hui et sur l'opportunité desquelles le gouvernement veut connaître l'opinion de la majorité des citoyens. En conséquence, il est interdit aux maires, sous leur responsabilité, d'ouvrir le scrutin. La population de Paris votera, jeudi prochain, par oui ou par non, sur la question de savoir si l'élection de la municipalité et du gouvernement aura lieu à bref délai. Jusqu'après le vote, le gouvernement conserve le pouvoir et maintiendra l'ordre avec énergie. » (Le Siècle, du 2/11) Un décret appelle à voter le 3 décembre sur cette question : « La population de Paris maintient-elle, oui ou non, les pouvoirs du gouvernement de la Défense nationale? ». Au château de Versailles, se tiennent les premiers entretiens entre Thiers et Bismarck. « Le parti républicain devait se réjouir de la journée du 31. Par sa fermeté il avait évité la guerre civile, il avait obtenu pacifiquement qu'il fût fait droit à toutes ses réclamations. La République était sauvée. Il suffisait pour cela que le gouvernement tint sa promesse sacrée ; remît au suffrage populaire la libre élection des magistrats, restituât au peuple sa souveraineté usurpée. Par l'astuce et la déloyauté de Jules Favre tout cela fut changé. Remis de sa peur, ce méchant homme chercha par quels moyens il pourrait éluder son engagement et conserver le pouvoir. Il accumula mensonges sur mensonges, calomnies sur calomnies, trahisons sur trahisons, il couvrit les murailles de Paris d'infâmes placards, pleins de provocations à la guerre civile et d'outrages révoltants contre les républicains. » (Paris Livré, G. Flourens)

 

Mercredi 2/11. Débute le siège de la place forte de Belfort. Henri de Rochefort-Luçay (en photo) donne sa démission comme membre du Gouvernement, M. Adam préfet de police fait de même, le quotidien Le Gaulois se demande au sujet d’Henri Rochefort : « où est-il ? » : « En voyant l’impudent manque de foi des gouvernants, tous les honnêtes gens qui avaient accepté des fonctions publiques depuis le 4 septembre, tous les hommes qui avaient souci de leur dignité donnèrent leur démission. Rochefort avait déjà donné la sienne. Edmond Adam, préfet de police ; Floquet, adjoint de la mairie centrale, et bon nombre de délégués aux mairies d'arrondissements l’imitèrent. Ils furent remplacés par des réactionnaires, par des gens qui avaient toute honte bue, et auxquels le parjure, pourvu qu'il fût au pouvoir et donnât des places, ne déplaisait point. » (Flourens, Paris Livré, page 160)

Le journal Le Siècle du 3/11, à la rubrique : Journée d’hier

« On ne s'occupe plus, à cette heure, que de la question relative au vote de la Commune, Mais, cette fois, on commence avec connaissance de cause la note du Journal officiel, ainsi que les affiches du ministre de l'intérieur et signées par M. Jules Favre, annonçant que les électeurs sont convoqués jeudi, afin de déclarer s'il y a lieu de procéder à des élections immédiates. Les discussions ne sont guère moins animées que dans la matinée. Aux fenêtres de l'Hôtel de Ville, on n'aperçoit absolument personne. Hier, dans la bagarre deux, ou trois carreaux ont été brisés aux fenêtres qui se trouvent au-dessous de l'horloge. L'aspect de la place Lobau est tout différent dans l'après-midi. Le 38e bataillon de la garde nationale, composé des habitants de Passy, occupe tout l'espace où se tient ordinairement le marché aux Fleurs. Les piétons et les voitures ne circulent que devant la grille de l'Hôtel de Ville ou sur la chaussée en avant des deux casernes. Le 203e bataillon garde toujours de ce côté l'intérieur de la mairie de Paris. Vers deux heures, un détachement, composé d'une cinquantaine de gardes nationaux, appartenant au 202e bataillon, guidon en tête, traverse le pont Saint-Michel et se dirige vers l'Hôtel de Ville, afin de demander le vote immédiat pour la Commune. »

Jeudi 3/11. Au sujet de la bataille du Bourget, Jules Trochu déclare : « Une troupe a manqué de vigilance et s'est laissé surprendre. » M. Cresson est nommé comme le nouveau préfet de police (jusqu’à sa démission le 11 février 1871). Se tient le scrutin plébiscitaire en vertu du décret du 1er novembre : « pour le maintien du gouvernement » à Paris, sans précision du nombre d’inscrits : sont pour 321.373 (372.000) voix, contre 53.585 (56.000) bulletins dépouillés, seul le 20e arrondissement a voté majoritairement contre. L’on vote aussi à Saint-Denis, à Sceaux, en Seine-et-Oise et Seine-et-Marne, plus de 41.000 OUI et environ 2.300 NON et il manque selon le quotidien Le Gaulois 3 communes suburbaines, non précisées (Le Gaulois du 5/12/1870). Le général Clément Thomas est nommé commandant supérieur de la garde nationale de Paris. « Plébiscite du 3 novembre » titre à la une : « Chacun sait bien que nous ne sommes et ne serons jamais des républicains (sic). Pas plus le lendemain que la veille, nous ne commettrons cette capitulation de sacrifier nos consciences à notre sécurité et nos opinions à nos craintes. Mais avant d'être journalistes nous sommes citoyens ; et de même qu'à l'époque du plébiscite nous avons fait cette concession à l'ordre d'exhorter nos amis à voter OUI sans prêcher d'exemple… » (Le Figaro, du 4 décembre).

 

Ci-contre les résultats dans le journal le Gaulois 



Vendredi 4/11. Plusieurs journaux annoncent qu’Henri Rochefort est revenu sur sa démission du Gouvernement, c’est une fausse nouvelle, « le fait est inexact » rectifie le Rappel. Edouard Lockroy rédige un billet au sujet du Bourget dans le Rappel : « Une "troupe" occupe un village. Elle se laisse surprendre. On la taille en pièces et on la fait prisonnière. Est-ce la faute de la "troupe"? Est-ce la faute des officiers supérieurs - ou subalternes - qui commandent? Il me paraît extraordinaire, incroyable, merveilleux que ce soit la faute de la "troupe". (…) M. le général Trochu, à la fin de sa proclamation, parle des "ennemis de l'intérieur". Qu'il sache bien que nous n'en avons pas de plus cruels et de plus odieux que ceux qui laissent massacrés nos soldats. » Dans l'église du Bourget, 150 morts sont trouvés par des ambulanciers et les pertes s'élèvent à 1.200 hommes. Monsieur Thiers quitte Paris pour dormir à Versailles et ensuite se rendre à Tours.


Samedi 5/11. Elections des maires d’arrondissements : Charles Mottu le défenseur de l’école laïque est finalement élu après avoir été démis dans le 11e arrondissement, Charles Delescluze est élu au premier tour maire du 19e, de même Georges Clemenceau dans le 18e ; Victor Hugo est battu dans le 15e face à M. Corbon ; M. Henri Martin est élu maire dans le 16e et M. Desmarest dans le 9e, etc. Et démission de maire de la capitale, avant la date du scrutin, et selon les souhaits d’Etienne Arago. Les Châtiments de Victor Hugo sont lus au Théâtre de la Porte Saint-Martin, en présence de MM. Rochefort et Louis Blanc invités dans la loge d’Auguste Vacquerie.


Dimanche 6/11. La Prusse refuse le ravitaillement de Paris, le gouvernement repousse l'armistice à l'unanimité. Tandis que Thiers et Favre prolongeront les discussions d’un armistice avec Bismarck. Ce matin, à huit heures et demie dans le jardin du Palais-Royal, la 10e batterie de l'artillerie de la garde nationale est passée en revue. Les trois armées de Paris sont placées sous le commandement des généraux Clément Thomas, Ducrot et Trochu. M. Edouard Prampain donne une idée du quotidien de la ville assiégée : « Dans Paris, spectacle plus étrange encore. Des femmes en deuil font queue aux portes des boucheries, attendant sous la pluie ou la bise l'unique ration du jour. Les hommes ont des képis, des vareuses et des bottes, et les bottes ne sont pas un luxe vu l'état d'abandon des rues et des boulevards. De rares omnibus sur les grandes voies ; plus de brillants équipages, plus de voitures aux stations, plus de trains sifflant dans les gares. Les chevaux traînent les canons ou garnissent les abattoirs ; les gares sont devenues des ateliers énormes : là, on moud le blé, on gonfle les ballons, on blinde les wagons-batteries... Avec la nuit, un voile lugubre descend sur la ville assiégée ». (Souvenir de Vaugirard, journal au jour le jour des deux sièges, 1886) Se tiennent les élections des maires en ballottage dans la capitale. Gabriel Ranvier est vainqueur dans le 20e après ballottage devant MM. Millière et Flourens ; M. Dubail est élu face M. Ollive après ballottage, et un deuxième vote dans la journée pour 7 arrondissements.

 

Lundi 7/11. On peut lire dans le Rappel que Jules Favre se serait rendu hier matin à Versailles comme écho de la presse. Le Journal Officiel donne les chiffres du vote de l’armée de terre au plébiscite du général Trochu, le oui remporte 236.623 voix, le non 9.053 votants et le J.O. ne prend pas en compte les abstentions. (sur environ 550.000 votants…), de quoi présumer un vote comme d’un seul homme et appuyés par des consignes? Les élections des adjoints ont lieu dans chaque arrondissement, voici les résultats incomplets :

1er arrondissement sont élus adjoints aux maires locaux : MM. Emile Meurizet, Adolphe Adam, Jules Méline. - 4e élus : MM. Châtillon, Collon. - 5e élus : MM. Collin, Thomas, Jourdan. - 6e élus : MM. Jocon, Albert Leroy. - 8e élus : MM. Denormandie, Belliard, Aubry. - 9e élus : MM. Emile Ferry, Alfred André, Gustave Nart. - 10e élus : MM. Emile Brelay, Murat. - 11e élus : MM. Blanchon, Poirier, Tolain. 13e Ballottage. - 14e Élu : M. Héligon. - 16e Élus : MM. Marmottan, Chaudet, Seveste. - 17e Ballottage. - 20e, Élus : MM.Flourens, Millière, Lefrançais.

Mardi 8/11. Verdun capitule. A Paris, l’on dénombre 247.000 soldats. Dans Les On-Dit du Rempart, rubrique du journal le Rappel composé de quelques brèves, il est rédigé que : « - Les artistes de l'Opéra se sont constitués en société pour donner à leurs risques et périls des concerts qui auront lieu le jeudi et le dimanche. - Le 116e bataillon possède un remarquable orchestre militaire, formé en grande partie d'artistes des théâtres de Paris. Plusieurs fois par semaine, cet orchestre va exécuter différents morceaux sur la place de l'Europe, et chaque fois un nombreux auditoire assiste à ce concert. - Depuis quelques jours, la foule s'arrête sur le boulevard Rochechouart, devant une boucherie où l'on vend du chat et du chien. Les bêtes à vendre sont accrochées à la devanture, enguirlandées de feuillage. Les mobiles du Loiret qui campent sur le boulevard Rochechouart, en achètent un assez grand nombre pour leur "popote" quotidienne. C'est à tort qu'il a été annoncé que les rues de Paris pourraient venir à manquer d'éclairage. - Le gaz avec l'économie qu'on en fait aujourd'hui, suffira encore longtemps à la consommation, et toutes les mesures sont prises pour qu'il soit remplacé, dès qu'il sera besoin, par d'autres appareils déjà préparés. - La partie de la butte Montmartre qui regarde Paris est depuis quelques jours livrée de nouveau à la circulation. Les curieux s'y pressent en foule. Il ne reste plus que les abords des deux batteries de marine qui soient défendues par des factionnaires. »

                   Déclaration aux citoyens belges résidant à Paris :

« Compatriotes, Nous avons suivi tous le conseil donné par notre comité belge, qui l'avait reçu du gouvernement provisoire, et nous sommes entrés dans les bataillons de la garde nationale de notre quartier. Nous sommes donc en ce moment, prêts à faire notre devoir pour aider à sauver la France, qui généreusement est venue à notre secours en 1831. Nous pouvons, si vous le voulez, faire encore plus que de payer de notre personne, et je viens faire appel à votre patriotisme en vous rappelant la devise de notre pays (l'union fait la force), devise avec laquelle on peut tout obtenir. Vous savez, citoyens, que la République manqué d'artillerie ; apportons donc chacun notre obole pour lui offrir un canon. Nous sommes nombreux, et malgré l'état de gêne dans lequel nous nous trouvons presque tous, il nous sera facile, chers compatriotes, d'avoir un canon dont le nom rappellera notre dévouement à la République française. La souscription restera ouverte pendant dix: jours, à partir du 10 courant, de dix heures dut matin à cinq heures du soir, chez le citoyen, 
»

M. Ch. Chavée, au 224, faubourg Saint-Denis,
lieutenant de la 4e compagnie du 167e bataillon

Mercredi, 9/11. A Coulmiers (Loiret) l’armée de la Loire remporte une victoire, les troupes prussiennes se retirent d’Orléans. Dans la région parisienne des combats sont menés, les armées de Paris sont aux avants postes à Arcueil et Cachan. Il se déroule au large de la Havane une bataille maritime entre les marines Prussiennes et Françaises, à noter que Paul Lafargue est né à Cuba. Le Rappel dément une information du journal Paris selon laquelle, Victor Hugo se serait rendu à l’Académie pour recevoir 82.000 francs pour un arriéré de traitement de son exil. Et il est fait état d’un trafic : « Ces jours derniers, on était étonné de voir figurer sur les cartes des principaux restaurateurs des perdrix, lièvres, faisans, chevreuils, etc. Il paraît que des Prussiens des avant-postes s'étaient abouchés avec des maraudeurs auxquels ils fournissaient du gibier en échange de tabac et de cigares. Les maraudeurs se servaient de charrettes à légumes pour introduire les grosses pièces. Ce libre-échange aurait été découvert sous la forme d'un cochon qui avait coûté cinq kilos de tabac. » Rubrique consacrée au journal Officiel du Rappel : A dater de ce jour, la viande de mulet sera taxée comme la viande de cheval, et information surprenante : « Le préfet de police vient de supprimer l'emploi de commissaire spécial attaché au cabinet, avec des attributions exclusivement politiques et secrètes. Cet emploi, créé par décret du 23 juin 1866, sur la proposition du préfet Piétri, avait été confié au sieur Lagrange. Depuis le 4 septembre, il était occupé par M. Raoul Rigault, dont la démission a été demandée et vient d'être acceptée. Institué et organisé sous l'empire, ce service n'a plus aucune raison d'être, et la police doit reprendre le rôle honorable d'instrument défensif de l'ordre public, le seul qui lui convienne dans un pays libre. »

Et les résultats des élections des adjoints locaux dans les arrondissements après ballottage sont,


Au deuxième tour : 3e arrondissement, nombre de votants, avec 6001 voix. Mousseron, élu, 3781 voix. Chavagnat, 1593. - 4e, votants : 4123. Docteur Loiseau élu, 2268 voix, Créhange, 2650. 6e, votants : 5,007. Lauth, élu, 3447 voix. Beudant, 1149. - 12e, Votants : 3408. Denizot, élu Dumas, élu; 2233. Turillon, élu, 2,059. Millière, 1830. Colin, 1646. Vertut, 1403. Meynard, 1190. Duchêne, 1105. - 13e, votants : 4091. Combes, élu, 2154 voix. Bouvery,(?), élu 2081. Melliet, élu, 2006. Bezançon, 1949. Duval, 1943. Chardon, 1860. - 14e, votants : 4743. Nègre, élu, 4294. Perrin, élu, 1290. Rouillard, 1,021. Delbort, 966. -17e, votants : 4437. Le docteur Villeneuve, élu, 2390 voix. Cacheux, élu, 1885. Malon, élu, 1787. Rigault, 1437. Mestais, 1325. Goudounèche, 1065. - Robin, 1000. Poulet, 613. Chotel, 381.

Jeudi 10/11. Les Allemands refusent tout armistice. Le général Charles-Denis Bourbaki, ancien officier bonapartiste, est changé de commandement, il passe à la tête de l’armée de la Loire pour former l’armée de l’Est. Le citoyen Charles Mottu maire du 11e arrondissement adresse la lettre suivante au Rappel : « Citoyen rédacteur, L'élection des municipalités dans les divers arrondissements entraîne l'obligation de procéder à la nomination, par le suffrage universel, du maire de Paris. A quand cette élection? Je crois qu'il serait bon de demander au gouvernement de donner immédiatement satisfaction à l'opinion publique à cet égard. » Et un lecteur, ancien sous officier durant la guerre civile aux Etats-Unis réagit à l’indiscipline des troupes : « Lors de la grande guerre d'Amérique, la République ne regardait pas aux dollars. Elle: payait tous ses soldats à raison de 13 dollars et 15 dollars par mois. La nourriture était proportionnée à la solde. Les spiritueux étaient bannis des camps ; tout colporteur de brandy, ou whisky, pris au milieu des troupes, était impitoyablement fusillé. Chez nous, que voyons-nous? Des hommes, des pères de famille armés, recevant 1 francs 50 par jour! Avec cette chétive somme, l'homme ne peut se nourrir ; il boit des poisons que le marchand de vins lui livre ; il s'abrutit petit à petit, privé de nourriture substantielle ! »

 

11/11. Gambetta annonce au général Tochu après deux jours de combats la reprise par le Général de Paladines d’Orléans, et fait état d’un peu moins de 2.000 morts dans les rangs français. Après un article de Louis Blanc faisant des propositions de paix par voie diplomatique, Edouard Lockroy pose La question des départements ? : « Une chose sert les journaux "pacifiques" : c'est l'obscurité où le gouvernement persiste à nous laisser sur ce qui se passe dans les départements. Ils en concluent que, s'il ne nous donne pas de nouvelles, c'est que les nouvelles sont mauvaises. Et ils les empirent. Ecoutez : D'abord, nous ne devons pas compter sur la province ; elle ne se lève pas ; elle ne viendra pas plus à notre secours qu'elle n'est allée au secours de Strasbourg et de Metz ; Paris, réduit à Paris, finira nécessairement par succomber ; dès lors, à quoi bon nous entêter, et verser inutilement des flots de sang? En faisant la paix tout de suite, nous aurons de meilleures conditions : la Prusse ne demande que deux milliards, plus tard elle en demandera cinq ; elle se contente de l'Alsace, il lui faudra aussi la Lorraine ; etc., etc. Ensuite, la province, séparée de Paris, s'accoutume à en être indépendante. Lyon et Marseille n'obéissent plus. La France se désagrège. Cette grande unité, qui a fait notre force et qui la referait, s'en va morceau à morceau. Le bloc tombe en poussière. Les départements s'arrachent les uns des autres et retournent chacun à leur nature. Les uns sont monarchiques, les autres, républicains »

 

12/11. Dans la capitale est publié un bulletin sur la mortalité pour la semaine du 6 au 12 novembre : l'on y dénombre 1.885 décès, 112% de plus qu'en temps normal.

 

13/11. A Paris, la ration de lard, cheval ou poisson sec est fixé par tête à 30 grammes, et il possible d’avoir 200 grammes de pois, riz ou lentilles tous les 3 jours... jusqu’alors le pain n’est pas encore rationné, mais sa qualité vire au « pain noir ». Il n’y a que le commerce de luxe qui échappe aux mesures et le trafic se développe, pour qui a les moyens, ou une minorité des Parisiens.

 

14/11. Un pigeon apporte les dépêches réduites par la photographie microscopique (microfilm). Jules Favre, ministre de l’Intérieur annonce la reprise de la ville d’Orléans aux Parisiens, ce qui provoque une certaine réjouissance de la population au sein de laquelle la nouvelle circule promptement.

 

15/11. Jules Ferry est nommé maire de Paris en remplacement d'Étienne Arago (jusqu’en juin). Des combats se déroulent à Vitry-sur-Seine. Le grand duché de Bade et de la Hesse rejoignent la Confédération de l'Allemagne du Nord. Suivront, le 23 novembre, la Bavière et le 25,  le Wuntemberg.

 

16/11. La ville de Soissons capitule après trente-sept jours de bombardements. On apprend à la rubrique Les On-Dit du Rempart que « La confection des ballons ne se fait plus à l'Elysée-Montmartre, mais à la gare d'Orléans. Plus de cent ouvrières, sous la direction de M. Godard, sont employées à coudre les fuseaux à l'aide de machines. En outre, des douaniers et des marins sont occupés à fabriquer des cordages et à vernir la toile des ballons. Trois aérostats sont dans ce moment-ci en construction : l'Union des peuples, le Volta et le Jacquard. » (Le Rappel, du jour)

 

17/11. Edouard Lockroy dans le Rappel du jour : « Ils voulaient la paix, il y a trois jours! Ils demandaient la paix, la paix à tout prix. Ils acceptaient d'avance toutes les exigences de M. de Bismark, ils étalaient au grand soleil, impudemment, leur gigantesque poltronnerie. Ils demandaient la paix, tous ces anciens officieux, foudres de guerre autrefois; ils démontraient par A plus B que la Prusse était irrésistible et invincible, qu'il fallait s'incliner devant elle, se rendre à discrétion, se mettre à genoux. Ils demandaient la paix; ils souhaitaient la honte, ils réclamaient le déshonneur. Leur platitude naturelle se donnait carrière. Leur sottise triomphait. Ils osaient parler, tout haut, de cette colique qu'ils nomment "le bon sens" »

 

18/11. A Paris, à la salle des Folies Dauphine, rue Mazet (6e), il est organisé une « soirée patriotique » (...) « au profit des victimes de l'héroïque Châteaudun. M. Gatineau, président du comité patriotique, parlera de cette noble cité, et de sa défense. M. Noël Parfait, vice-président, dira des vers de Victor Hugo. M, le colonel Grégoire fera une conférence sur le fort et le faible de la Prusse et sur les moyens pratiques de la vaincre. Cet officier a étudié le militarisme allemand pendant douze années, tant en Prusse que dans les autres pays rhénans. Des morceaux de chant et de poésie seront dits par des artistes de Paris. Des affiches donneront le programme attrayant de la soirée ».


19/11. A Châtillon-sur-Seine, Ricciotti Garibaldi inflige une défaite aux soldats Prussiens du général Werder.

 

20/11. Au fort de Nogent, l’armée de Paris livre bataille. Yves Guyot rédige un billet dans le Rappel  : « M. de Flavigny s'est rendu hier à Versailles, au camp prussien. Il était porteur de la moitié de la somme de cinq cent mille francs donnée par l'Angleterre aux blessés des deux armées, ainsi que d'une quantité considérable de linge et de charpie, de même provenance. Il a été reçu avec une extrême courtoisie et invité à dîner par le prince royal, qui lui a manifesté la plus vive admiration pour la résistance héroïque de Paris, et lui a formellement déclaré que la Prusse entendait ne pas se déshonorer par le bombardement de cette « incomparable ville ». Il a seulement ajouté que la Prusse était forcée par l'inexorable nécessité de sa situation politique et militaire, de s'emparer de Paris et de ne signer la paix qu'aux Tuileries. »

 

21/11. Ernest Lefèvre rédige un article pour le Rappel : Les Locataires congédiés, et il traite du comportement des propriétaires et des inquiétudes des locataires  :

                               Les Locataires congédiés


« On sait que le décret du 30 septembre a accordé aux locataires un délai de trois mois pour payer les termes de loyer échus au 1er octobre. C'était là une mesure de simple équité, et la plus modérée, à coup sûr, de toutes celles que pouvait suggérer le caractère exceptionnel des événements que nous traversons. Il paraît cependant que certains propriétaires n'ont pas su s'y résigner sans regrets. Leurs locataires ont le décret pour eux, mais ils s'ingénient à les dégoûter d'en profiter. Celui-ci commence des poursuites; il sait bien qu'elles n'aboutiront pas, mais il espère qu'elles intimideront; celui-la veut que son locataire travaille pour lui, et que ce qu'il devra lui-même serve à acquitter ce qui lui sera dû ; cet autre récrimine, se plaint, se fâche, et met en œuvre ces mille petits mauvais procédés qui deviennent si douloureux à la longue, et qui finiraient sans doute par triompher même de celui qui aurait la loi pour lui - s'il n'avait que la loi, et si sa résistance ne tenait pas, hélas ! à cet argument qu'on ne réfute pas : le manque de ressources. (…)

 

Mais certains propriétaires ont imaginé quelque chose de plus grave. Ils se sont dit qu'après tout, - si le décret autorise leurs locataires à ne pas payer actuellement le terme échu en octobre, - et si, comme cela arrivera nécessairement, la mesure est étendue au terme qui court actuellement, - il n'existe du moins aucune loi qui les oblige à loger leurs locataires indéfiniment. Et ils leur ont envoyé des congés pour le terme de janvier. (…) Cela est si simple qu'il nous paraît impossible que ces messieurs l'ignorent; et nous craignons que sous leur congé il n'y ait encore qu'un acte - sinon de rancune - au moins d'intimidation. Quoi qu'il en soit, la situation est cruelle. Elle appelle l'attention du législateur. Si ces locataires sont expulsés parce qu'ils n'ont pas payé leur ancien propriétaire, où en trouveront-ils un nouveau?

 

Sommes-nous donc destinés à voir, le 8 janvier, des familles entières jetées dans la rue? Et pendant que les maris seront dans les compagnies de guerre ou aux remparts, faudra-t-il, de par le bon plaisir de quelques hommes plus soucieux de leurs écus que de la misère publique, que les femmes et les enfants soient sans asile et sans abri? Les droits des propriétaires, même en temps de paix, sont souvent exorbitants. En temps de guerre, en temps de siège, il faut moins que jamais qu'ils soient barbares. Nous demandons que le gouvernement, qui seul a le pouvoir législatif, avise à cette situation. (…) Mais si cela n'est pas fait tout de suite, il sera bientôt trop tard. Les logements peuvent, aujourd'hui ou demain, être reloués à d'autres. Alors il y aurait un conflit insoluble entre, deux locataires, dont l'un aurait le droit de ne pas sortir et dont l'autre aurait le droit d'entrer. »

22/11. Rubrique Journal du Siège de Paris : « Les forts du Sud continuent de tirer sur les travaux exécutés par l'ennemi à Châtillon. Des mouvements de troupes considérables ont été exécutés par les Prussiens. Hier, à Cournay-sur-Marne, l'ennemi s'est avancé et à dirigé sur nos avant-postes des feux de peloton, auxquels nous avons répondu par une fusillade prolongée. Le fort de Rosny, qui n'avait pas encore tiré, a ouvert, vers deux heures, des décharges qui ont fait du mal à l'ennemi. Les francs-tireurs se sont portés jusqu'à Chelles et ont attaqué la ligne défensive des Prussiens. Ils leur ont tué quelques hommes et sont venus en bon ordre reprendre leurs positions. A Saint-Denis, nos troupes sont prêtes à une grande attaque et demandent instamment à reprendre la revanche du Bourget ». (Le Rappel du 24/11)

 

23/11. Au Journal Officiel, le général Trochu, gouverneur de Paris : « Aux noms des défenseurs de Paris à qui leur belle conduite devant l'ennemi a mérité l'honneur d’une citation à l'ordre du 19 novembre, il faut ajouter les suivants, omis par suite de l'insuffisance des renseignements officiels : Garde nationale de la Seine, 12e bataillon carabiniers : - De Vresse, capitaine a vaillamment conduit sa campagne au combat, dans la journée du 21 octobre, où il a refoulé l'ennemi de Joinville-le-Pont, sur Champigny. - Prulière, sous-lieutenant, blessé ; est toujours resté à la tête de ses hommes, qu'il enlevait par son exemple. - Maltère, caporal ; blessé bravement au premier rang. Garde mobile de la Seine : 12e bataillon. - Baroche, chef de bataillon ; probablement tué à la tête de sa troupe, le 30 octobre. On n'a pu recueillir d'information certaine au sujet de la mort du commandant Baroche; mais les avant-postes prussiens l'ont annoncée, en rendant témoignage de la vaillance de cet officier supérieur. »

 

24/11. Capitulation de Thionville en Moselle, et des combats ont lieu à Bondy. A Paris décède Isidore Ducasse alias le comte de Lautréamont à 24 ans sans qu'on sache les raisons de sa mort et ce qu'est devenu son cadavre. Juliette épouse Adam  écrit ce jour  : « Ce matin, je suis folle de joie, folle d'espérance ! Je lis et je relis la dépêche de Gambetta à Jules Favre, et je bénis le grand patriote qui nous l'envoie. Si Gambetta, un républicain, sauvait notre France ! Quand on doute de lui, de sa vaillance, je n'en doute pas, moi. » A la fin du mois novembre la mobilisation n'était pas encore terminée, après un trimestre de combats, et rien ne pouvait signaler une amélioration, une belle espérance de Me Adam, mais un peu vaine.

 

Vendredi, 25/11. Dans la capitale, le thermomètre tombe à moins huit degrés centigrade. Le Théâtre-Français donne, à deux heures « une matinée dramatique et littéraire, d'un intérêt exceptionnel. La partie dramatique consistera dans le cinquième acte d'Hernani, avec Mlle Favart, et dans le dernier acte de Lucrèce Borgia, avec Mme Laurent et Taillade. La partie lyrique se composera de vers de Victor Hugo, dits par Mmes Favart, Victoria Lafontaine, Marie Laurent, etc., et par MM. Lafontaine, Coquelin, etc. ». A la rubrique les On-Dit du Rempart : « Les promeneurs habituels du Jardin des Plantes constatent, non sans amertume, que le nombre des bêtes "bonnes à manger" diminue chaque jour, principalement les bêtes à cornes ». Et « Les trente sous par jour du garde national doivent-ils être considérés comme un salaire ou comme un secours? N'a-t-on le, droit de les toucher qu'à partir de l'élection du chef de bataillon, comme des ouvriers qui devraient travailler gratis tant que le patron manquerait à l'atelier? Il y a six semaines, que la 8e compagnie du 137e réclame la solde de ses premiers huit jours d'exercice, et, au lieu d'argent, reçoit cette réponse : que le commandant du 137e n'ayant été élu qu'après ces huit jours, et la solde étant, d'ailleurs, un secours qui s'accorde ou se retire à volonté, la réclamation ne saurait être prise en considération. Or, 1 fr. 50 pour une compagnie de deux cents hommes, pendant huit jours, représentent 2.400 francs, et 18,000 francs pour le bataillon, s'il se trouve tout entier dans le cas de la 8°. Où est cet argent? Evidemment au Trésor, qui s'empressera de le délivrer à des hommes que la pauvreté, le besoin, seuls forcent d'insister sur leur droit. » (Le Rappel, du 25/11)

 

26/11. A Paris, la pénurie est presque totale par défaut d’approvisionnements, et les prix des aliments de toutes sortes flambent. En Côtes d’or, « vers cinq heures du soir, commençait la retraite de l'armée prussienne battue à Prenois, elle était poursuivie de près par l'année des Vosges qui la pourchassa jusqu'aux portes de Dijon, où elle arriva vers neuf heures et demie du soir. La panique était à son comble dans l'armée prussienne à Dijon : les voitures étaient déja attelées, on se préparait à évacuer cette ville. Qu’arriva-t-il? Garibaldi effectivement était arrivé devant les portes de Dijon, et après une bataille livrée, une marche de 16 kilomètres à la poursuite de l'ennemi, sans prendre de dispositions, sans donner de repos aux hommes, le général lança quelques compagnies de francs-tireurs sur la ville, en les faisant appuyer par quelques bataillons de mobiles. Ces francs-tireurs furent reçus par une furieuse décharge de mousqueterie ; mais le tir, grâce à l'obscurité, était trop haut et n'atteignit personne : ils pénétrèrent dans les premières maisons du faubourg. (…) L'armée prussienne, commandée par Werder, qui avait déjà plié bagage, reprit l'offensive et à quatre heures du matin, se mettait à la poursuite de l'armée des Vosges débandée. » (Robert Middleton, journaliste, Garibaldi, ses opérations à l'armée des Vosges, Garnier frères, Paris 1872)

 

28/11. En région parisienne, la bataille de Champigny se prépare, à sa tête le général Ducrot, au soir de son côté le contre-amiral Sassey s'empare avec 3.000 marins du plateau d'Avron. Dans la capitale, pour l’application du décret concernant le subside alloué aux femmes des gardes nationaux, celles-ci devront en « faire la demande, il sera établi des listes nominatives qui devront être closes irrévocablement samedi prochain. Ces listes seront dressées sur la déclaration des intéressés par les soins des officiers trésoriers suivant les instructions qui leur seront données aux mairies. Le paiement du subside aura lieu tous les 4 jours. »


29/11. La bataille de Champigny s’engage ou presque, au moment de traverser la Marne, celle-ci est en crue subite et empêche son franchissement, suite à la rupture d'un barrage par les troupes ennemies vers une heure du matin selon le général Vinoy. Le contre-amiral Pothuau reprend la ville de Choisy-le-Roi. Juliette épouse Adam rédige à ce jour que : « Toute la nuit le canon tonne avec une précipitation  sinistre. On voit de mon balcon l'éclair des coups. Le boulevard, malgré l'économie de son éclairage, — le charbon commence à manquer, — est animé jusqu'à une heure du matin ; il semble à tous que l'action sera décisive. Deux cent mille hommes, paraît-il, sont sortis de Paris ».



30/11. La bataille de Champigny dans l'actuel département du Val-de-Marne commence à six heures du matin (regarder la vidéo) et vont s'opposer 130.00 soldats dont 70.000 Prussiens et 60.000 Français. Un des événements du jour est l'attaque du plateau de Villiers par les généraux Ducrot et Trochu ; les généraux Renault et Ladreit de la Charrière sont mortellement blessés.

La bataille de Champigny du 30 novembre au 2 décembre (6 minutes)


La guerre au fil des jours : décembre 1870


La Queue à la boucherie
, tableau de Clément-Auguste Andrieux

Jeudi 1er/12. Ministère de l’agriculture et du commerce prévient qu’à partir de ce jour « il ne pourra être vendu ni cheval, ni âne, ni mulet sans que le vendeur en ait fait au préalable la notification à la mairie dans laquelle l’animal a été recensé. Cette déclaration à la mairie n'est pas obligatoire pour les chevaux vendus à l’Etat au marché aux chevaux. »


2/12. Le matin à Loigny-la-Bataille en Eure-et-Loir, « les troupes françaises se lancent à l’assaut des positions prussiennes. Malgré leur vaillance, les combattants français sont repoussés à la fin de la matinée. Un petit groupe de soldats français dirigé par le commandant Fouchier reçoit l’ordre de se réfugier dans le cimetière de Loigny pour retarder l’avancée prussienne. En début d’après-midi, le 17e corps du général de Sonis apparaît sur le champ de bataille. Le général fait déployer son artillerie. Pour la première fois de la journée, les canons français répondent aux Prussiens. Vers 16 heures, le feu de l’artillerie ennemie provoque un vent de panique dans les rangs français. De nombreux soldats fuient et laissent le reste de l’armée sans protection. Pour empêcher l’anéantissement, le général de Sonis charge à la tête de 800 hommes (dont 300 Volontaires de l’Ouest). Les troupes prussiennes sont bousculées, ce qui permet au reste de l'armée de se retirer sans pertes. » Le général de Sonis sera le ledemain retrouvé mort le corps gelé sur le champ de bataille. C'est à Loigny-la-Bataille que se trouve le musée de la guerre de 1870. D'autres combats se déroulent à Orléans et au hameau de Montmesly (Créteil) en région parisienne.


3/12. Après 5 jours de mouvements des troupes, se confirme l’échec du général Ducrot dans sa tentative de passer ou de tenter une ouverture dans le front par Champigny (sur Marne). Son armée se replie sur Vincennes, et suscite une vive émotion dans la capitale assiégée, et l'on dénombre 12.000 morts dans les 2 camps. La ville de Paris est autorisée par le Gouvernement à prélever une nouvelle somme de 5 millions de francs pour des travaux, ou des secours sur les 63 millions existants. Et un demi-million de franc sera employé à l’usage de la population pour des chauffages ou « fourneaux économiques » pour les Parisiens.


Dimanche, 4/12. A Paris, à huit du soir au club de la Délivrance, salle Valentino, se tient une conférence de M. Timothée Trimm sur le feu grégeois, les expériences sont menées par M. Decanis, l’un des inventeurs.


5/12. Le chef d’état-major Helmut von Moltke (en peinture) annonce qu'Orléans est reprise au gouverneur de Paris. A Orléans, nouvelle occupation de la ville. La Bourse de Paris, dans une rubrique du Journal des Débats, il est à lire: « Nous avons eu une bonne semaine ». Alexandre Dumas (père) décède à 70 ans suite à une attaque d'appoplexie à Puys près de Dieppe. Ce même jour, c'est aussi l'entrée des troupes prussiennes dans la ville normande.


Mardi, 6/12. Actes d'indiscipline des tirailleurs de Belleville, Gustave Flourens est arrêté à Créteil et traduit en conseil de guerre à la demande du général Clément Thomas. Le général commandant de la garde nationale de la Seine a pris cette décision suite à un rapport du 4/12 dans lequel, « le commandant Lampérière déclare que parti avec un effectif de 457 hommes, son bataillon est réduit aujourd'hui de 61 gardes, rentrés à Paris avec armes et bagages, sans permission. Ce bataillon, ajoute le commandant, par son indiscipline et les éléments qui le composent, est, devenu complètement impossible. Indiscipline et incapacité dans une partie des officiers et des sous-officiers voilà, mon général, les principales causes de notre désorganisation. Formé en dehors de toutes les lois qui régissent la garde nationale, ce bataillon s'est montré indigne des privilèges qu'il a obtenus, et n'est qu'un mauvais exemple pour les troupes qui l'environnent. Ces hommes, pour la plupart, se sont refusés à prendre le service de la défense. Je demande donc que ce bataillon soit rappelé à Paris et dissous. » On commence à pêcher les poissons du bassin des Tuileries.

 

7/12. Il est annoncé par le Gouvernement la mort du général Renault, « tué l’épée à la main à le tête de son corps d’armée », ainsi que la prise en charge de ses obsèques aux Invalides. Le maire du 9e arrondissement, M. Desmarest fait appel à des vêtements et couvertures pour les pauvres à déposer à la mairie locale à partir de 9 heures du matin, rue Drouot.

 

8/12. Il est conclu un accord entre les Etats du Sud et la Confédération de l'Allemagne du Nord sur la future constitution Allemande. A Tours, la délégation du gouvernement est transférée à Bordeaux. Dans la soirée Gustave Flourens est envoyé à la prison de Mazas.

 

9/12. Le journaliste P. David du Journal des Débats informe que : « C'est en vertu d'un ordre émanant de l'état-major de la garde nationale que M. Gustave Flourens a été arrêté dans une rue de Créteil pendant la soirée du mardi 6 décembre. Ainsi que nous l'avons dit dans notre précédent Numéro, l'ex-major de rempart du bataillon de Belleville avait été écroué à la Conciergerie mercredi matin, vers deux heures. Hier, M. le juge d'instruction Quérenet, en apprenant l'arrestation de M. Flourens, s'est rendu à la maison de justice afin d'interroger celui-ci sur les faits concernant les scènes de désordre qui se sont produites le 31 octobre à l'Hôtel-de-Ville, scènes auxquelles l'inculpé a pris une part active, comme on sait. On assurait au Palais que M. Gustave Flourens s'était refusé à fournir des explications au magistrat instructeur. Sur l'ordre du juge d'instruction M. Flourens a été transféré hier soir de la Conciergerie à la maison d'arrêt cellulaire de Mazas, où il a été écroué sous l'inculpation de s'être rendu coupable, le 31 octobre, d'excitation à la guerre civile, de séquestration arbitraire et de menaces sous condition. »

 

10/12. Edmond Villetard rédacteur au Journal des Débats signe un article, où il dénonce les activistes du 31 octobre : « Si profond politique que soit M. de Bismarck, il s'est entièrement trompé à cet égard sur notre compte ; (…) Il voulait apprendre aux nouveaux sujets du roi Guillaume à obéir aux rois et à leurs ministres en leur montrant le squelette de la pauvre France dévorée par l'hydre de l'anarchie et voici que la disparition de la Patrie en danger, morte faute de lecteurs, le désarmement des tirailleurs de Belleville accompli sans difficulté, et l'arrestation de M. Gustave Flourens opérée sans que personne s'en soit seulement occupé une minute, montrent à la France et aussi aux Bavarois et aux Wurtembergeois que l'hydre dont on nous menaçait était un monstre de baudruche gonflé d'air. La leçon est bonne ; nous espérerons que tout le monde en fera son profit, et que pour nous en particulier, une fois débarrassés des Prussiens, nous ne nous laisserons plus confisquer vingt ans ni même vingt jours notre liberté par la peur d'un spectre rouge, bon tout au plus pour effrayer des enfants. » (sic)

 

Dimanche 11/12. Emile Zola quitte Marseille pour Bordeaux, pour intégrer le gouvernement.


12/12. AUX HABITANTS DE PARIS : « Hier, des bruits inquiétants répandus dans la population ont fait affluer les consommateurs dans certaines boulangeries. On craignait le rationnement du pain. Cette crainte est absolument dénuée de fondement. La consommation du pain ne sera pas rationnée. Le gouvernement a le devoir de veiller à la subsistance de la population; c'est un devoir qu'il remplit avec la plus grande vigilance. Nous sommes encore fort éloignes du terme où les approvisionnements deviendraient insuffisants. La plupart des sièges ont été troublés par des paniques. La population de Paris est trop intelligente pour que ce fléau ne nous soit pas épargné. » Signataires : JULES FAVRE, JULES FERRY, JULES SIMON, EUGÈNE PELLETAN, ERNEST PICARD, GARNIER-PAGËS, EMMANUEL ARAGO.

 

13/12. La ville de Blois est occupée. Les chemins de fer sont interrompus entre Le Mans et  Tours et entre Tours et Angers.

 

14/12. Mort de l'acteur Didier-Seveste, tué en combattant. Capitulations de Phalsbourg (Moselle) et de Montmédy (Meuse).

 

Jeudi 15/12. A la date de ce jour et publié le lendemain, le Journal des Débats signale que : « Les bruits les plus douloureux circulaient depuis ce matin dans Paris. On disait Amiens et Rouen occupés par l'ennemi, et on ajoutait que la délégation provinciale du gouvernement ne siégeait plus à Tours. Ces nouvelles auraient été apportées par des pigeons et des journaux étrangers arrivés à Paris. Elles sont malheureusement confirmées. »

 

16/12. Le ballon parti hier de Paris, à quatre heures du matin, a atterri dans le duché de Nassau ; à son bord, et comme voyageur M. Lucien Morel, auteur pour la presse du Voyage au travers des lignes prussiennes.


17/12. Sur la situation des grains, un Avis du ministère limite incroyable pour son temps de réaction et la formulation, se voit signé par M. Magnin : « Le ministre de l’agriculture et du commerce est informé que, malgré la réquisition générale qui a été faite par le décret du gouvernement du 29 septembre dernier, des blés, des farines, gerbes en grain et seigles existant dans l'enceinte de Paris on dans la banlieue, les déclarations prescrites n'ont pas été faites par tous les détenteurs de ces denrées. Le ministre croit devoir rappeler de nouveau que la réquisition dont il s'agit ne comporte aucune exception, et que les personnes qui ne s'y sont pas soumises sont passibles de la peine de la confiscation de leur marchandise, en vertu de la loi du 19 brumaire an III. Ceux qui n'auraient pas encore déclaré les quantités de blés, farines, gerbes et seigles qu'ils possèdent sont invités à faire cette déclaration au bureau des subsistances, 60, rue Saint-Dommique, dans le délai de deux jours à partir de la publication du présent avis, dernier délai, après lequel, il ne sera plus sursis dans aucun cas à l'application rigoureuse de la loi. » (Le journal des Débats, du 18/12)

 

18/12. Les boucheries de Paris ne vendent plus que du cheval, la disette s’amplifie, le combustible et l'éclairage font défaut, il meurt 5.000 personnes par semaine. Absence totale de nouvelles du dehors. Le Journal officiel annonce qu'à partir du 19 décembre à midi toutes les portes seront fermées. Bataille de Nuit-Saint-Georges en Côtes d’or.

 

19/12. Il est enregistré moins dix-huit degrés centigrades, la Seine est gelée, le sol recouvert de neige.

 

20/12. La Confédération de l'Allemagne du Nord devient l'Empire Allemand. Le préfet de police, M. Cresson promulgue une ordonnance concernant l'abattoir de La Villette sur les « animaux amenés », contresigné par le ministre M. Magnin de l’agriculture et du commerce. Ci-contre  le  drapeau de l'Empire ou du 2ème Reich Allemand (1871-1918).

 

21/12. Il fait un froid terrible, c'est un jour de défaite pour le général Trochu lors de la bataille de Paris se déroulant au Bourget. Durant la nuit se produit la mort du général Blaise en repoussant une attaque dirigée par l'ennemi contre Ville-Evrard.



22/12. Le froid se maintient, le thermomètre chute à moins 13 degrés. Montée de l’irritation des Parisiens contre le général président Jules Trochu, qui échappe de peu à des projectiles ennemis du côté de Drancy, « puis a continué au pas » à suivre les manoeuvres. On constate dans l'armée jusqu'à 980 cas de congélation, le général Trochu organise après sa tournée d’inspection au fort d'Aubervilliers un conseil de guerre. A Bordeaux, Zola devient secrétaire de M. Glais-Bizoin, ministre.

 

Vendredi 23/12. Le ministère de l’agriculture et du commerce diffuse un Avis et annonce qu’ : « à trois heures précises, (…) fera vendre en vente publique, à la halle aux cuirs et rue Santeuil, environ trois mille cuirs frais de chevaux provenant des abatages faits pour le compte de l'administration. S'il est extrêmement important dans une grande ville de remédier à toutes les causes d'insalubrité qui se produisent chaque jour, ce!a est surtout une nécessité dans une ville assiégée. Dans une de ses dernières conférences à l’Ecole de Pharmacie, M. le professeur Riche a insisté d'une façon particulière sur l’aération, la désinfection et l’assainissement des logements. Tout le monde connaît les procédés d'aération, inutile de les rappeler ici. Un des désinfectants par excellence est le chlorure de chaux. Le Génie civil s'est préoccupé, non seulement de la défense, mais aussi de la salubrité. Un honorable fabricant a cherché les moyens pratiques d'arriver à l'assainissement de Paris en ce qui concerne les habitations privées. Par ses soins, 7.500 kilogrammes de chlorure de chaux ont été récoltés et mis à la disposition des commerçants à la condition que ceux-ci ne vendraient pas cette substance plus de 1 franc le kilogramme. Plusieurs ont répondu à son appel, et bientôt les habitants de Paris pourront se procurer cette utile substance dans leurs quartiers respectifs L'acide phénique et les poudres phéniquées peuvent aussi rendre de bons servicesEntremise : MM. Aube et Ch. Nathan, courtiers assermentés. »


24/12. Messes de minuit au gré des froids et maigre pitance pour les habitants de la capitale, hormis les restaurants de la haute bourgeoisie où l’on sert de l’antilope… Camille Pelletan, rédige un article sur le réveillon chrétien : « Voici Noël, la fête chrétienne, la douce fête de la famille, la fête des enfants, la grande fête allemande. L'air est froid dehors; il neige ou il gèle. Qu'importe? Les cloches sonnent à toute volée, et le soir, les branches de sapin, toutes couvertes de flammèches, toutes chargées d'anges et de sucreries, s'allument, scintillent et flamboient joyeusement. Or, cette année-ci, on célébrera la fête d'une manière inusitée. Si l'on prie, on priera pour ceux qui meurent d'une balle ou d'un éclat d'obus. L'Allemagne ne se réjouira pas; elle a le cœur trop serré et trop anxieux : ses fils, grelottant, ont faim, ont froid, tuent et tombent, à Paris, à Orléans, à Dijon; et parmi les enfants, pour qui c'est la grande fête, combien sont orphelins aujourd'hui! Combien le seront demain! Ce sont les habits de deuil qui conviennent ; Noël, cette année, est le jour des morts. » (Le Rappel, du 26/12)

 

Dimanche, 25/12. Le Journal des Débats précise, que lors de la nuitée de Noël, « que les troupes ont cruellement souffert pendant la dernière nuit, que de nombreux cas de congélation se sont produits, et que le travail des tranchées a dû être arrêté par suite de la dureté du sol, qui est gelé jusqu'à 50 centimètres de profondeur. Il a donc fallu, tout en gardant les positions acquises, faire rentrer l'excédant des troupes, en attendant des temps meilleurs. Ce désastreux résultat de l'abaissement de la température n'était que trop facile à prévoir. C'est un malheur dont personne ne porte la responsabilité et qui ne peut être attribué qu'à la mauvaise fortune qui semble s'acharner sur nos armes. »

 

Lundi, 26/12. Le général président Trochu propose sa démission. Le rédacteur de presse et partisan d’une république conservatrice et soutien d’Adolphe Thiers, M. Edmond Villetard (de Prunières) écrit dans le Journal des Débats, du jour : « Nous trouvons ce matin à la fin de la dernière colonne de la dernière page du Combat (du publiciste Félix Pyat) la note suivante qui ne doit point passer inaperçue, malgré la place modeste qu'elle occupe parmi les avis divers : « Le club des Révolutionnaires de la rue de Charonne, 100, informe les présidents des différents clubs de Paris qu'il se réunira dimanche 25 courant, à sept heures du soir, pour prendre des mesures de salut public. Il fait savoir à ces présidents qu'il a préparé une liste des noms qui seront appelés à prendre ces mesures. En conséquence, il les invite à préparer aussi une liste pour s'entendre au moyen des délégués qu'ils nous enverront. » Y aurait-il trop d'indiscrétion à demander aux révolutionnaires du n°100 de la rue de Charonne si les mesures de salut public qu'ils veulent prendre n'auraient pas par hasard un peu trop de ressemblance avec celles qu'ils ont déjà prises le 31 octobre et que la garde nationale a si rapidement déjouées? Nous les prévenons en tout cas que le public ne s'est nullement réconcilié depuis deux mois avec les auteurs de l'attentat qui a excité dans Paris une si légitime et si vive indignation. On peut se contenter de rire des révolutionnaires de la rue de Charonne tant qu'ils se bornent à constituer un comité de salut public en chambre le jour où ils voudraient reparaître sur la place de l'Hôtel-de-Ville, la partie saine de la garde nationale, qui forme l'immense majorité, leur prouverait qu'elle commence à se lasser de cette plaisanterie ».


27/12. La navigation sur la Seine est bloquée par des grosses plaques de glace à la sortie du port, les bateaux doivent glisser dessus pour s’en extraire. Se tiennent les obsèques aux Invalides du général Blaise en présence de membres du gouvernement (Favre, Simon, Picard, etc.), et Monseigneur G. Darbois, archevêque de Paris « a donné l’absoute ». Le plateau d’Avron et le fort de Rosny sont bombardés par les armées Prussiennes.


                     


28/12. Au petit matin, les soldats Français abandonnent leur position et retirent l’artillerie, puis il est procédé à l’occupation du plateau d'Avron par les troupes allemandes à environ dix kilomètres de la capitale, et les forts situés à l'Est sont bombardés.


29/12. Aujourd’hui le feu a redoublé, l’ennemi a ouvert le feu sur Bondy et continue ses pilonnages sur les forts de Rosny, Nogent et Noisy.

 

30/12. Les deux éléphants du Jardin des Plantes, Castor et Pollux sont abattus. Les bombardements continuent sur les mêmes positions durant la journée.

 

Samedi 31/12. Le Conseil de guerre décide qu'avant de se rendre, qu'il doit être effectué une ultime « opération offensive ».


Jules Ferry et l'approvisionnement

C'est ce que voulait Jules Favre. De cette anarchie sortait la ruine de Paris et la sécurité de sa dictature. Périsse Paris, vive Jules Favre ! Toujours la vieille maxime jésuitique : divisez pour régner. Et à ce poste important de maire de Paris, qui a-t-il mis? Une nullité complète, son fidèle séide, M. Jules Ferry. Le mal qu'a fait ce dernier est immense. Il n'a jamais eu qu'un mérite, ne pas offusquer Jules Favre. L'incapacité, l'incurie et l'inhumanité personnifiées, voilà Jules Ferry tout entier. Un homme qui n'a jamais rien su prévoir. Les farines s'épuisent, mais il y a encore des grains en magasins. Ces grains, il faudrait les moudre à l’avance, pour que les boulangeries ne chôment pas, ni les estomacs non plus. L'enfant de dix ans comprendrait cela. Un beau matin, les boulangers ne reçoivent plus de farine, « Où y a-t-il donc des moulins, s'écrie Jules Ferry, pour moudre nos grains? Vite, des moulins, trouvez-moi des moulins !» Paris souffre patiemment, croyant ces souffrances nécessaires à la République. Cependant, après trois jours passés presque sans pain, après trois jours d'angoisse et de famine, on ose un peu réclamer. Ferry rédige une longue et verbeuse proclamation en deux colonnes, où il ne tarit pas d'éloges sur lui-même, sur sa prévoyance et sa perspicacité.


L'hiver, il faut du bois pour se chauffer. C'est ce que tout le monde sait, le suisse de M. de la Palisse le savait, Jules Ferry l'ignore. Vous verrez le dernier commandant de place forte assiégée s'assurer qu'il y a des provisions de bois en suffisance dans toutes les caves ; s'il n'y en a pas assez, faire couper du bois vert, et le mettre sécher. Les froids arrivent, Paris tout entier grelotte, M. Jules Ferry, prend sa bonne plume. Ce jour-là il a marché sur un poète, sur un Legouvé quelconque, il est d un lyrisme effréné. Il annonce aux Parisiens : « que les dures nécessités de la guerre l'obligent à un cruel sacrifice. Cette couronne d'ombrages et de verdure qui fait le charme et la joie des environs de Paris, il va l'abattre. Il va l'abattre, avec discernement, sur une grande échelle. » On ne pouvait plus poétiquement parler de bûches.

Mais, malheureux, vos bûches sont vertes. Comment les faire brûler dans ces petits poêles en fonte qui sont l’unique moyen de chauffage des ouvriers parisiens, des deux tiers de la population. Comment attendre quatre ou cinq jours que vous les ayez abattues. Nous souffrons de la faim, il faut bien cuire nos aliments ; nous souffrons du froid, nos greniers sont si glacés. Désespérés, plusieurs s'en vont prendre ces planches qui servaient de clôtures aux terrains vagues et indiquaient les futures rues d'Haussmann. On saisit ces malheureux, on les emprisonne. Nous avons vu à Mazas de pauvres pères de familles, condamnés à six mois de prison par les juges inamovibles de l’Empire qui siègent au Palais de Justice, pour avoir pris le morceau de bois destiné à cuire un peu de soupe à leurs petits enfants. Sans doute ce sont là « ces gredins » dont parle Trochu dans une de ses premières lettres aux Parisiens : « cette classe spéciale de gredins qui n'aperçoivent dans les malheurs publics que l’occasion de satisfaire des appétits détestables. »

Nous craignons beaucoup, M. lé général Trochu, que, malgré toute votre sagacité, vous n'ayez fait une grave erreur, et que cette classe spéciale de gredins, qui voient dans les malheurs publics l'occasion de satisfaire des appétits détestables, ne soit pas où vous pensez. Nous irions la chercher dans les palais de tous ceux que le siège a enrichis, fonctionnaires et spéculateurs, plutôt que dans les greniers où n'a pas cessé d habiter la misère. Nous aimerions mieux avoir pris une planche pour chauffer nos enfants, et expier ce crime à Mazas, nous aimerions mieux être le « repris de justice qui a volé une planche, et que vous flétrirez à cause de cela pendant le reste de sa vie, que d'être l'honnête homme » qui a livré Paris !

Le gredin, c'est celui qui nous a laissé mourir de faim et de froid par incurie. Le gredin, c'est celui qui a pris dans nos forêts du bois nous appartenant, ne coûtant que la peine d'être coupé, et qui nous l'a ensuite vendu si cher. Comment vouliez-vous, M. Jules Ferry, qu'avec nos trente sous de gardes nationaux nous puissions acheter le bois vendu par vous trois francs ? Le gredin, c'est celui qui a souffert que de malheureux soldats blessés pour nous défendre, fussent déposés dans des locaux humides, étroits, malsains, sous des hangars en planches, couchés sur des grabats infects. Tandis que le mot « ambulance » décorait tant de palais. Indigne spéculation, on écrivait « ambulance » sur sa maison pour la protéger contre le pillage si complaisamment annoncé par Trochu et Favre, et auquel personne, excepté eux, n'a songé dans Paris. Ces deux hypocrites s'y sont très bien pris pour diviser la population, afin de la gouverner et de la trahir plus aisément. On mettait à toutes ses fenêtres, on mettait sur son toit le drapeau international de Genève, pour indiquer la présence de blessés et se protéger contre le bombardement. Peine perdue, les Prussiens auraient eu trop à faire s'ils avaient dû, avant de tirer un obus, s'inquiéter de tant de drapeaux. Mais on ne recevait presque pas de blessés. Deux ou trois pour la grimace. De vastes salons restaient déserts et inutiles, tandis que régnait sous les hangars un encombrement meurtrier.

Une Commune républicaine aurait développé dans tout Paris un immense esprit de fraternité, aurait occupé les femmes à soigner les blessés au lieu de les laisser oisives, aurait employé tous les logements inoccupés. Disciple du jésuite Jules Favre, député des couvents du faubourg Saint-Germain, M. Ferry s'inquiétait fort peu des blessés. Il s'inquiétait surtout de ne pas déplaire, en occupant leurs hôtels, à ses amis du « noble faubourg. » Ceux-ci ont eu pourtant le mauvais goût de ne pas le réélire.

Tous les actes administratifs de M. Ferry portent au plus haut point le cachet de l'injustice, de l'imprévoyance et de l'ineptie. Il ne sait jamais prendre une mesure complète, décisive, vraiment utile. Toujours des demi-mesures, toujours il tâtonne ; toujours il est surpris, hésitant, et capricieux, tyrannique en même temps. Sa maladresse dépasse toutes les bornes ; et, s'il ne cherche pas, de parti pris, à inquiéter la population ; au moins il fait tout ce qui est nécessaire pour cela.

Ses rationnements des subsistances sont le comble de l’impéritie. Il attend toujours le moment, où l’on va périr par le manque d'une subsistance, pour s'apercevoir qu'il est temps de la rationner. Un jour, il déclare que le pain ne sera jamais rationné, le lendemain il réduit à 500 grammes la portion de chacun. On s'effraye, on réclame, on trouve à juste titre cela insuffisant. « Mettons que je n'ai rien dit, répond Ferry. Oui, décidément cela est à refaire. Nous allons vous rationner sur d'autres bases. » Et pourtant sa provision de grains et de farines n'a point changé, elle ne s'est pas accrue d’un gramme. S'il y avait nécessité la veille, pour sauver Paris, de ne manger chacun que 500 grammes de pain, il y avait nécessité bien plus forte encore le lendemain. En réalité, M. Jules Ferry n'a jamais su ni ce qu'il y avait de blés dans Paris, ni dans quel but il rationnait le pain, ni à combien de grammes chaque habitant devait être rationné. Il n’a fait que sottises sur sottises.

Le Journal officiel de la République française qui a enregistré, jour par jour, la série des méprises, des mécomptes et des déconvenues de ces grands hommes, serait grotesque. S'il n'était lugubre. Chaque numéro est en contradiction formelle avec le numéro précédent. Messieurs Jules Ferry, et Jules Favre décommandent le lendemain ce qu'ils avaient commandé la veille. Ou bien leurs décrets sont tellement obscurs el inintelligibles, qu'il faut les faire suivre de commentaires destinés à en élucider le texte. L'historien de cette dictature bâtarde sera obligé de deviner le Journal officiel comme on devine énigmes et rébus.
Paris livré, Gustave Flourens, chapitres X et XI, pages 163 à 167


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L'armistice et l'humiliation

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