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      Sommaire de la page 3, année 2012,

1 - Les Amérindiens résistent, mais restent sérieusement menacés en Amérique Latine
2 - La solitude de l'Amérique Latine,  discours à Stockholm, Gabriel Garcia-Marquez
3 -
Le Venezuela face aux présidentielles 2012, Guillermo Almeyra
4 - Bilan du président Hugo Chavez, 13 ans après en République Bolivarienne
5 - Le «problème Mapuche» du Président chilien Sebastián Piñera et la loi HINZPETER
6 - Colombie, quand la guerre est à ce point absurde, comment la relater ?
7 - “Les ONDES contre LES BALLES” Radios du CAUCA en Colombie, RSF
8 - Pérou, non au projet minier Conga, lettre au Président Humala, Hugo Blanco
9 - La Chine propose une alliance stratégique au Mercosur, Raul Zibechi
10 -
Le MERCOSUR suspend le Paraguay et fait un grand pas vers l’intégration !
11 - Coup d'état institutionnel au Paraguay, Fernando Lugo démis de ses fonctions

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Les Amérindiens résistent,
mais restent sérieusement menacés
en Amérique Latine



par Lionel Mesnard, le 23 octobre 2012

Tout à chacun peut avoir pour image l’Indien et son carquois de flèche et ce qu’il peut conditionner comme préjugés ou uniformisation du jugement. Dans ce cas, il devient difficile de  toucher à la complexité du genre humain et de comprendre qu’un Awa, un Inuit, un Mapuche, un Maya, un Navajo a aussi des droits et qu’il est un sujet à part entière de ce monde et non pas un objet de curiosité.


La lutte du pot de terre contre le pot de fer

Le danger est de renvoyer des humains à leurs appartenances ethniques, pire à des apparences primitives, voire à être des cas d’exception (la marge), ou à n’être qu’un objet photographique pour touriste en goguette ou un témoignage d’un passé perdu. Tous ces groupes humains sont réels, vivent dans les mêmes temps que vous et moi, à la différence qu’ils sont les premiers exposés aux crises de toutes sortes, et en premier lieu économiques et sociales et climatiques.

Environ 370 millions de personnes sur la planète appartiennent à ce que l’on nomme les peuples originaires, natifs, premiers ou autochtones, dont 70% pour le seul continent asiatique. Le terme « indigène » est le plus utilisé en espagnol, mais il renvoie à d’autres histoires coloniales et peut prêter à un amalgame historique qui n’a pas lieu. Pareillement pour le terme « ethnie », il provient de la science du même nom et n’a pas grand-chose à voir avec l’usage abusif dont il est fait.

Pour le seul continent américain, les peuples originaires sont encore majoritaires dans des pays comme la Bolivie et le Guatemala. Si dans certains pays américains, ils ne sont plus que des groupes minoritaires, c’est en raison du génocide colonial opéré par la  couronne espagnole au sud, plus tardivement au nord par les colons européens.

L’idée n’est pas de défendre une position culturaliste, de jouer les apprentis anthropologues, mais de chercher ce qui fait lien entre des cultures antagoniques, où les voix du progrès pourraient être communes, à la condition de partager une idée commune du progrès. Mais cela demande aussi à entendre des populations, en dehors des représentations classiques et à prendre en compte l’oralité, non pas comme un défaut de « civilisation », mais comme un outil de transmission du savoir.

L’on doit aussi s’interroger sur certaines formes du pouvoir dans les sociétés premières, sur le rôle de l’initiation au sein des collectivités Amérindiennes ou « indigènes », sans pour cela avoir besoin de les mimer et se parer de plumes, ni même de partager leurs croyances.

Le problème majeur est que depuis la conquête espagnole et portugaise au 15ème siècle, l’on retrouve depuis toujours des populations asservies, méprisées, et soumises de nos jours à des impératifs économiques et financiers voraces ou droits humains et rentabilité ne font pas bon ménage.

En Colombie, 63 pour cent des amérindiens vivent dans la misère, soit au-dessus d’une moyenne déjà importante d’un Colombien sur deux vivant dans la pauvreté. Au chili, là où les Mapuches avoisinent 50 pour cent de la population dans la région d’Araucanie, les paramètres économiques et sociaux sont aussi mauvais, et met bonne dernière une région ou règne des exploitations forestières, agricoles et minières très juteuses en valeur ajoutée et fondée au 19ème siècle sur une colonisation des terres par l’état chilien distribuée à quelques familles possédantes.

Deux exemples, parmi beaucoup d’autres sur la  nature de l’oppression toujours aussi vivace que subissent les Amérindiens. Si, des avancés au Canada et aux Etats-Unis ont pu ces dernières décennies être constatées, les conflits opposants les états américains du centre, du sud du continent et le Mexique aux populations autochtones, mettent toujours en danger ces derniers.


Le mythe du « bon sauvage » ou de « l’indien » rusé ou fourbe…


Quand nous abordons le continent américain, nous partons d’entrée de jeu sur une équivoque, avec le terme  « indien ».  Ce mot très commun provient d’une erreur datant depuis que Colomb a mis les pieds sur le sol des Antilles, ou d’après ses calculs, il devait avec ses navires aborder les côtes de l’Inde. Il n’en fut rien, mais le terme est resté accolé et demeure une méprise. Surtout, cela ne met pas en relief les populations natives, qui de nord en sud sont diverses et variées.

Ce qui a été et reste en parti un domaine, où les bonnes âmes en sont encore à avoir pour représentation l’image du « bon Indien ou sauvage », la question des peuples originaires ou dits « indigènes » est un sujet très actuel. S’ils n’étaient pas entraînés dans le tourbillon de la globalisation marchande, s’ils n’étaient pas eux-mêmes les premiers à subir un diktat économique en tout lieu de la planète, et surtout s’ils n’étaient pas une partie de notre monde contemporain, il y aurait de quoi se moquer de ses représentations à cent lieu du réel et ayant la peau dure.

Petit exemple de littérature de la fin du 19ème siècle est un récit de l’histoire de Lautaro (1), chef Mapuche. Au 16ème siècle, il stoppa la colonisation espagnole (regarder l'image en une). Si vous lisez ce texte, vous aurez l’impression de retrouver un récit similaire à un Western hollywoodien, rien que le dessin représentant le texte est à lui seul un pastiche… « Lautaro n'attend que ce moment. A la tète des débris de son premier corps, dont les hommes ont eut le temps de se reconnaître, il se jette dans la mêlée avec un élan tel que toute la ligne araucane s'enlève a sa suite et culbute les Espagnols qui rétrogradent en toute bête vers la gorge abrupte, comptant s'y établir... ».

Ce qui peut étonner, c’est que cette représentation perdure et peut être pas obligatoirement là où, l’on pourrait s’y attendre. C’est à Bogota, que je fus interloqué. Les amérindiens de Colombie ne représentent que deux pour cent de la population. Ils vivent majoritairement hors des grandes agglomérations urbaines.

En pleine période de noël 2008, je découvrais dans un parc de la capitale, un groupe que nous qualifierons de folklorique (musiques, danses et costumes), mais n’ayant aucun lien avec les populations originaires du pays. Stupéfaction et hasard des promenades, cette approche folklorique et festive mêlant une musique plutôt proche des autres pays andins (Bolivie, Pérou) et des costumes d’amérindiens du nord, n’étaient pas totalement le fait du hasard.

Mais de comment notre connaissance se limite souvent à des stéréotypes, à des clichés ridicules. Et que cela fonctionne ! Cette représentation de « l’indien » peut aller jusqu’à un langage méprisant, pour ne pas dire raciste au sein de la société colombienne et ses voisins andins. Ce qui ne veut pas dire pour autant, que tous les colombiens agissent de la sorte, mais quand le langage imagé tient lieu à certaines représentations communes, comme la ruse, la fourberie en des terminologies vulgaires, voire insultantes. On comprend alors que les stratégies de fuite ou de préservation des amérindiens face à l’envahisseur se sont transformées dans le discours dominant à assimiler « l’indien » comme quelque chose échappant à la norme imposée ou admise.

Ce double paradoxe du langage et des représentations n’aide pas à prendre l’ampleur du problème et des questions non seulement faisant appel à la mémoire historique, et qui plus est l’application de droits spécifiques. La loi Taubira sur la traite négrière en France reconnaît aussi le génocide des Amérindiens, ce qui semble évident ou logique de la part d’une ancienne élue de la Guyane française (aujourd’hui Ministre de la Justice), où vivent quelques milliers d’originaires.

Rares ceux qui au sein de la République font références à ces français de l’outremer, néanmoins ces dernières années certains travaux historiques sur les populations premières ou originaires ont donné lieu à un certain intérêt de la part des Antillais, en Guadeloupe notamment ou s’est ouvert le musée Edgar Leclerc mettant en évidence des fouilles archéologiques et certaines pièces datant de 500 ans avant J.C.

Sur la nature du génocide des Amérindiens, il faut avoir à l’esprit qu’au début de la Conquête espagnole, les populations continentales sont tout aussi nombreuses qu’en Europe, il est estimé entre 70 et 100 millions d’âmes vivant des territoires Inuit dans le Nord canadien à l’Araucanie des Mapuches.

Si les maladies, ou infections diverses ont eu un rôle notoire dans l’extermination des populations autochtones, les guerres, les famines, l’esclavage ou l’exploitation des Amérindiens a donné lieu sur plusieurs siècles à un nombre de morts qui dépasse l’entendement. Le chiffre le plus significatif est celui de la Conquête de l’Ouest  (aux Etats-Unis) au 19ème siècle, où vivaient 10 millions d’hommes et de femmes, qui à la fin de ce même siècle n’étaient plus que 500.000. Autre chiffre, ce que l’on nomme « les mines du diable » en Bolivie (les mines de Potosi) ont coûté la vie à 6 au 8 millions d’êtres pendant la période coloniale espagnole.

Dire ou écrire que les Amérindiens ont surtout succombé essentiellement à des épidémies est une énormité. Certes certaines maladies ont provoqué de graves crises sanitaires, mais pas seulement. Du moins, elles n’expliquent pas comment en un siècle, on passe à moins de dix millions d’âmes sur l’immensité des territoires de l’Espagne.


Sur la nature de l’échange, petit aparté sur Claude Lévi-Strauss


En Colombie, il existe 82 langues originaires, pour un bon nombre en voie d’extinction. Et dans l’ensemble du continent américain, il existe une diversité très importante du détroit de Bering à la Terre de Feu. L’objet n’est pas de faire un recensement des peuples et cultures Amérindiennes, mais de bien comprendre, que s’il y a une apparenté et des traits communs, il ne suffit pas de mettre des plumes aux amérindiens, pour faire couleur locale… Par exemple, les bijoux des femmes Mapuches du Chili peuvent faire penser à ceux des femmes Kabyles.

Ce qui est manifestement plus intéressant, c’est de pouvoir porter un œil sans a priori, et de se questionner, non seulement sur ce qu’ils endurent encore de nos jours, et comment nous pouvons échanger et nous enrichir mutuellement. Le premier à être allé dans ce sens fut Claude Lévi-Strauss. Il n’est pas certain que les anthropologues soient toujours les plus aptes à répondre, mais dans la démarche de ce dernier, l’observation, l’échange et la compréhension ont eu un rôle moteur dans son œuvre et ses recherches.

Les échanges qu’a pu établir Lévi-Strauss (à une époque où les contacts étaient encore rares en Amazonie brésilienne), et les apports en sciences humaines de ce dernier notamment dans ce que fut le structuralisme en anthropologie. Il est indéniable que la figure du « bon sauvage » a pris de sérieuses rides.

Levi-Strauss constatera que le savoir du « sauvage » est loin d’être mineur, depuis on a pu se rendre compte que dans le domaine de la médecine, de l’astronomie, de la musique, …, nous sommes face à des savoirs savants et une connaissance échappant pour bonne part aux urbains « lettrés » que  nous sommes. Et puis nous pouvons nous interroger sur l’oralité comme facteur de transmission à ne pas négliger, souvent minorer par les sociétés ou l’écrit domine.

Le plus étonnant avec Claude Lévi-Strauss, c’est que pendant qu’il développait sa pensée structuraliste, il ait pu aussi en discuter avec un chef amérindien du Brésil et avoir communément les mêmes fondements théoriques.  Depuis les universités ont formé pas mal d’anthropologues et rien n’assure que ce soit toujours pour le meilleur.

Un reportage, il y a 2 ou 3 ans sur France 3, sur la remontée du détroit de Magellan, se pencha furtivement  sur une population amérindienne du sud du Chili. L’interviewé, une autochtone montra un agacement certain. Comme étant d’une population très restreinte en nombre, elle avait du coup des escouades d’anthropologues à sa porte. On devine un sujet de thèse à la clef, quand cela tourne à un manque d’égard et de respect du sujet à observer.

C’est pourquoi une approche par l'interculturel ne se fait pas sur un coup de tête et nécessite de ne pas heurter les personnes, sources de conflits et d’incompréhensions mutuels, quand l’objet est tout autre. Et le mouvement qui s’accentue depuis une trentaine d’année vers une organisation des peuples originaires est bien plus souhaitable, qu’une thèse risquant de rester dormir dans une bibliothèque universitaire.

Toutefois, il ne s’agit pas de lancer l’opprobre sur l’anthropologie en général, parent pauvre de la recherche, mais de lier par l’échange et la connaissance de nouveaux rapports. Et écrire à ce sujet peut y contribuer.

Il faut se méfier des discours culturalistes visant à enfermer, ethniciser nos repères, nous parlons d’hommes et de femmes vivant au 21ème siècle. Face au modèle dominant, l’organisation capitaliste de notre monde, les peuples originaires sont trop souvent les premières victimes. L’exploitation forestière, minière ou agricole donne lieu à de nombreux conflits en Amérique Latine.

Par ailleurs, le dérèglement climatique entraîne des manques d’eau, des sécheresses, de mauvaises cultures et bon nombre de projets de multinationales provoquent des désastres écologiques considérables par l’appauvrissement ou la surexploitation des sols et sous-sols.


Résistance à l’économie de l’absurde et résistances amérindiennes.


Déforestation, usage de produits toxiques pour extraire les minéraux, produits végétaux OGM ou cultures inappropriés aux sols comme la palme africaine ou l’eucalyptus, destruction des sources d’eau par un usage disproportionné ou ne tenant pas compte des besoins pour chaque humain d’accéder à une source d’eau potable, l’on retrouve souvent aux premières loges les populations originaires, vivant le plus souvent en dehors des grands centres urbains.

Cela pour dépendre au final, du marché mondial par la production et l’exportation à outrance des matières Premières et être tributaire d’une économie dévastatrice. Et dernier point pouvant illustrer cette logique de barbares ou de voyous est dans le vol des terres où ce sont par millions d’hectares qu’ici où là dans le monde sont usurpés à leurs propriétaires d’origines et aux peuples autochtones.

Penser que ces problèmes de peuples « indigènes » sont lointains, qu’ils n’ont aucune conséquence sur nos vies, ou pire qu’ils sont incapables de sortir de leur sous-développement, c’est abdiquer face aux réalités de notre monde. Ils ont les mêmes problèmes que vous et moi, à une différence importante, nous sommes heureux le matin de boire un café, un chocolat ou un thé manger une banane, un ananas, sans se soucier de sa provenance, mais sans saisir l’enjeu alimentaire dans l’actuelle organisation économique des marchés.

Quand des pays comme la Colombie sont amenés à exporter leurs produits à l’exemple du café, l’on sait moins que sur le marché intérieur il devient quasi impossible de se procurer un café de qualité. Tout est concentré sur l’exportation et aux Colombiens de boire le restant de seconde zone, et peu importe s’il existe une demande intérieure. Il en va  de même au Venezuela avec les fruits, ces exemples donnent à réfléchir aussi sur l’intérêt d’avoir du raisin chilien, quand nous en produisons en Europe.

Dernier exemple des absurdités à souligner, c’est le cas de la quinoa (c’est un oléagineux). C’est un aliment important pour les andins et il se voit aujourd’hui sur nos tables, quand parallèlement ses prix montent en flèche pour les locaux et provoque une raréfaction du produit au sein même des pays producteurs comme le Pérou. Au même titre les agros carburants participent à l’augmentation des prix sur les denrées alimentaires, cette économie de l’absurde, nous laissant entrevoir une grave crise alimentaire.

Actuellement les réserves alimentaires mondiales se limitent à 45 jours et il serait temps de revoir les règles du jeu. D’un côté, les grandes entreprises de l’agro-alimentaire sont subventionnées par milliards, et de l’autre, on ne permet plus à des millions de paysans de vivre dignement, parce que l’on ne leur accorde pas des revenus réguliers et stables. En plus, l’on opère des changements alimentaires en imposant un modèle aseptisé de consommation.

C’est cette confrontation avec ce qui a lieu avec les racines de notre monde, qu’il importe aujourd’hui de sortir d’une vision étroite, d’élaborer de nouveaux échanges et de tendre si possible l’oreille à celles et ceux qui sont les premières victimes des déséquilibres de notre économie monde. Au jeu du plus fort, il va de soit que les plus faibles sont les perdants. Pour autant, des résistances se construisent jour après jour, et ce malgré des lois d’exception.

Le Chili a hérité d’une constitution datant de 1992 et du Général et dictateur Pinochet et rien n’a changé depuis la fin de la dictature, et cette nation va jusqu’à détenir un système électorale quasi unique en son genre (le vote binominal).  Pour leur part, les communautés Mapuches les plus actives agissent pour que soient rendues leurs terres (sachant que 99,8% du territoire Mapuche d’origine est aux mains des familles des colons, ou de grandes entreprises forestières et même du clergé chilien pour seulement 50.000 hectares).

Le bras de fer entre l‘état chilien et les communautés Mapuches a donné lieu des emprisonnements abusifs et au titre d’une loi d’exception pour des faits terroristes. Non seulement les autorités judiciaires ou policières produisent des faux et en plus, les peines encourues sont alourdies au titre de terrorisme, et l’on se retrouve à la clef avec des condamnations de 10 ans à plus de vingt années de prison.

Les Mapuches sont connus pour une résistance qui date d’au moins les tentatives de l’Empire Inca de mettre la main sur l’ancienne nation Araucane. Néanmoins, une région comme l’Araucanie au Chili est militarisée pour contrecarrer toute autonomie de droit et ne surtout pas remettre en cause les grandes propriétés terriennes.

Ces dernières années, c’est au moins 300 prisonniers politiques Mapuches qui ont été incarcérés pour des violences montées de toutes pièces. Un texte de loi comme la convention 169 de l’OIT devrait permettre une plus grande autonomie, la restitution de terres et une obligation de consultation à tout problème pouvant toucher les peuples originaires. L’état chilien continu à s’asseoir sur les droits essentiels des originaires. Récemment cela donné lieu à la condamnation de deux jeunes Mapuche par le tribunal de Temuco à onze ans ferme, malgré des déclarations policières contradictoires.

L’usage du mot terroriste est aussi une constante en Colombie, surtout s’il tend à désigner un adversaire politique, et permet ainsi de faire pression sur les quidams, dans rappelons-le un pays en guerre depuis des décennies. La peur c’est aussi une politique, quand il s’agit d’imposer… un ordre de terreur.

Ces vingt dernières années, le conflit a été particulièrement meurtrier dans les campagnes colombiennes. Ces dernières semaines ce sont les Nasa-Paez qui sont élevés contre la présence de l’armée régulière et la guérilla des FARC sur leurs territoires ancestraux. Depuis 2010, l’on recense 256 morts par homicide chez les amérindiens de Colombie et le déplacement de 10.000 personnes en raison du conflit armé.

Paradoxe, la constitution colombienne de 1991 reconnaît des droits propres ou particuliers en plus de la Convention 169 et pourtant rien n’a vraiment changé en ce domaine. Bien que minoritaires, les amérindiens et en particulier dans le département du Cauca ont aussi de solide base de résistance et d’organisation.

Une première, un débat s’est enfin ouvert entre l’état les représentants du CRIC (Conseil Représentatif des Indigènes du Cauca). Le président Santos s’est donné deux mois de réflexion pour répondre aux attentes de paix exprimés. Qui sait une petite lueur d’espoir… Mais tant que les armes l’emporteront, nous devrons comptabiliser les morts. Comme c’est le cas tous les jours en Colombie.


Note :


(1) UN HÉROS MAPUCHÉ, par G. de Wailly - REVUE JOURNAL DES VOYAGES ET DES AVENTURES DE TERRE ET DE MER, tome XXI, année 1892 (juillet-décembre), numéro 784 (Texte disponible sur le site de la BNF : Gallica)

Ce texte est protégé par les droits d’auteurs

et ne peut être diffuser sans autorisation




"La solitude de l’Amérique Latine"
*
Discours à la réception du Prix Nobel de Littérature 1982
Discours à la réception du Prix Nobel de Littérature 1982



par Gabriel García Márquez, année 1982



Antonio Pigafetta, un navigateur florentin qui a accompagné Magellan lors du premier voyage autour du monde, a écrit lors de son passage par notre Amérique méridionale une chronique rigoureuse qui paraît cependant une aventure de l’imagination. Il a raconté qu’il avait vu des cochons avec le nombril dans le dos, et quelques oiseaux sans pattes dont les femelles couvaient dans les dos du mâle, et d’autres comme des pélicans sans langue dont les becs ressemblaient à une cuiller. Il a raconté qu’il avait vu une créature animale avec une tête et des oreilles de mule, un corps de chameau, des pattes de cerf et un hennissement de cheval. Il a raconté que le premier natif qu’ils ont trouvé en Patagonie ils l’ont mis en face d’un miroir, et que ce géant exalté a perdu l’usage de la raison par la frayeur de sa propre image.

Ce livre bref et fascinant, dans lequel se perçoivent déjà les germes de nos romans d’aujourd’hui, n’est pas beaucoup moins le témoignage le plus étonnant de notre réalité de ces temps. Les Chroniqueurs de l’Amérique nous ont légué d’autres irracontables. Eldorado, notre pays illusoire si convoité, a figuré dans de nombreuses cartes pendant de longues années, en changeant de lieu et de forme selon l’imagination des cartographes. A la recherche de la fontaine de la Jeunesse Éternelle, la mythique Alvar Núñez Cabeza de Vaca a exploré huit ans durant le nord du Mexique, dans une expédition folle dont les membres se sont mangés entre eux, et seuls cinq des 600 qui l’ont entreprise sont arrivés. L’un des nombreux mystères qui n’ont jamais été élucidés, est celui des onze mille mules chargées de cent livres d’or chacune, qui un jour sont sortis du Cuzco pour payer le sauvetage d’Atahualpa et qui ne sont jamais arrivées à destination. Plus tard, pendant la colonie, se vendaient à Carthagène, quelques poules élevées dans des terres d’alluvion, dans les gésiers desquelles se trouvaient des petits cailloux d’or. Ce délire doré de nos fondateurs nous a poursuivis jusqu’il y a peu. À peine au siècle passé la mission allemande chargée d’étudier la construction d’un chemin de fer interocéanique dans l’isthme du Panama, a conclu que le projet était viable à condition que les rails ne fussent pas faits en fer, qui était un métal peu abondant dans la région, mais qu’ils soient faits en or.

L’indépendance de la domination espagnole ne nous a pas mis à l’abri de la démence. Le général Antonio López de Santana, qui a été trois fois dictateur du Mexique, a fait enterrer avec des funérailles magnifiques sa jambe droite qu’il avait perdue dans la dite Guerra de los Pasteles. Le général Gabriel García Morena a gouverné l’Équateur pendant 16 ans comme un monarque absolu, et son cadavre a été veillé vêtu de son uniforme de gala et sa cuirasse de décorations assis dans le fauteuil présidentiel. Le général Maximiliano Hernández Martínez, le despote théosophe du Salvador qui a fait exterminer dans un massacre barbare 30 mille paysans, avait inventé un pendule pour vérifier si les aliments étaient empoisonnés, et a fait couvrir d’un papier rouge l’éclairage public pour combattre une épidémie de scarlatine. Le monument au général Francisco Morazán, érigé sur la place la plus grande de Tegucigalpa, est en réalité une statue du maréchal Ney achetée à Paris dans un dépôt de sculptures usées.

Il y a onze ans, l’un des poètes insignes de notre temps, le Chilien Pablo Neruda, a illuminé cette enceinte avec son verbe. Dans les bonnes consciences de l’Europe, et parfois aussi dans les mauvaises, ont fait irruption depuis ce temps-là avec plus de force que jamais les nouvelles fantomatiques de l’Amérique Latine, cette patrie immense d’hommes hallucinés et de femmes historiques, dont l’entêtement sans fin se confond avec la légende. Nous n’avons pas eu un instant de calme. Un président prometheique retranché dans son palais en flammes est mort en se battant seul contre toute une armée, et deux catastrophes aériennes suspectes et jamais éclaircies ont tranché la vie d’un autre au cœur généreux, et celle d’un militaire démocrate qui avait restauré la dignité de son peuple. Il y a eu 5 guerres et 17 coups d’État, et a surgi un dictateur luciférien qui au nom de Dieu mène le premier ethnocide de l’Amérique Latine de notre temps. Pendant ce temps, 20 millions d’enfants latinoaméricains mouraient avant d’atteindre l’âge de deux ans, ce qui est plus que tous ceux qu’ils sont nés en Europe depuis 1970. En raison de la répression il y a presque 120 000 disparus, c’est comme si aujourd’hui on ne savait pas où sont passés tous les habitants de la ville d’Uppsala. De nombreuses femmes enceintes ont été arrêtées ont mis au monde dans des prisons argentines, mais on ignore encore le destin et l’identité de ses enfants, qui ont été donnés en adoption clandestine ou enfermés dans des orphelinats par les autorités militaires. Pour ne pas vouloir que les choses continuent ainsi près de 200 000 femmes et hommes sont morts sur tout le continent, et plus de 100 000 ont péri dans trois petits pays volontaristes de l’Amérique centrale, Nicaragua, Salvador et Guatemala. Si c’était aux États-Unis, le chiffre proportionnel serait d’un million 600 morts violentes en quatre ans.

Du Chili, un pays aux traditions hospitalières, a fui un million de personnes : 12 % pour cent de sa population. L’Uruguay, une nation minuscule de 2,5 millions d’habitants qui se considérait comme le pays le plus civilisé du continent, a perdu dans l’exil un citoyen sur cinq. La guerre civile au Salvador a causé presque un réfugié toutes les 20 minutes depuis 1979. Le pays qu’on pourrait faire avec tous les exilés et émigrés forcés d’Amérique Latine, aurait une population plus nombreuse que la Norvège.

J’ose penser, que c’est cette réalité extraordinaire, et pas seulement son expression littéraire, qui cette année a mérité l’attention de l’Académie Suédoise des Lettres. Une réalité qui n’est pas celle du papier, mais qui vit avec nous et détermine chaque instant de nos innombrables morts quotidiennes, et qui soutient une source de création insatiable, pleine de malheur et de beauté, de laquelle ce Colombien errant et nostalgique n’est qu’un parmi d’autres plus distingué par la chance. Poètes et mendiants, musiciens et prophètes, guerriers et racaille, toutes les créatures de cette réalité effrénée nous avons eu très peu à demander à l’imagination, parce que le plus grand défi fut pour nous l’insuffisance des ressources conventionnelles pour rendre notre vie croyable. C’est cela, amis, le nœud de notre solitude.

Donc si ces difficultés nous engourdissent, que nous sommes de son essence, il n’est pas difficile de comprendre que les talents rationnels de ce côté du monde, extasiés dans la contemplation de leurs propres cultures, sont restés sans méthode valable pour nous interpréter. Il est compréhensible qu’ils insistent pour nous mesurer avec le même étalon avec lequel ils se mesurent eux même, sans rappeler que les épreuves de la vie ne sont pas égaux pour tous, et que la recherche de l’identité propre est si ardue et sanglante pour nous qu’elle le fut pour eux. L’interprétation de notre réalité avec des schémas étrangers contribue seulement à nous rendre de plus en plus méconnus, de moins en moins libres, de plus en plus solitaires. Peut-être l’Europe vénérable serait plus compréhensive si elle essayait de nous voir à travers son propre passé. Si elle se rappelait que Londres a eu besoin 300 ans pour construire sa première muraille et de 300 autres pour avoir un évêque, que Rome s’est débattu dans les ténèbres de l’incertitude pendant 20 siècles avant qu’un roi étrusque ne l’implantât dans l’histoire, et qu’encore au XVIe siècle les suisses pacifiques d’aujourd’hui, qui nous enchantent avec leurs fromages doux et leurs montres impavides, ensanglantèrent l’ Europe comme soldats de fortune. Encore à l’apogée de la Renaissance, 12 000 lansquenets à la solde des armées impériales pillèrent et dévastèrent Rome, et tuèrent à coups de couteau huit mille de ses habitants.

Je ne cherche pas à incarner les illusions de Tonio Kröger, dont les rêves d’union entre un nord chaste et un sud passionné exaltaient Thomas Mann il y a 53 ans dans ce lieu. Mais je crois que les Européens d’esprit éclairant, ceux qui luttent aussi ici pour une grande patrie plus humaine et plus juste, pourraient mieux nous aider s’ils révisaient à fond leur manière de nous voir. La solidarité avec nos rêves ne nous fera pas sentir moins seuls, tant que cela ne se concrétise avec des actes de soutien légitime aux peuples qui assument l’illusion d’avoir une vie propre dans la répartition du monde.

L’Amérique Latine ne veut pas ni n’a de quoi être un fou sans arbitre, ni n’a rien de chimérique dans le fait que ses desseins d’indépendance et d’originalité deviennent une aspiration occidentale. Cependant, les progrès de la navigation qui ont réduit tant de distances entre nos Amériques et l’Europe, semblent avoir augmenté en revanche notre distance culturelle. Pourquoi l’originalité qu’on nous admet sans réserves dans la littérature nous est refusée avec toute sorte de suspicions dans nos si difficiles tentatives de changement social ? Pourquoi penser que la justice sociale que les Européens d’avant garde essaient d’imposer dans leurs pays ne peut pas aussi être un objectif latinoaméricain avec des méthodes distinctes dans des conditions différentes ? Non : la violence et la douleur démesurées de notre histoire sont le résultat d’injustices séculières et d’amertumes innombrables, et non un complot ourdi à 3 000 lieues de notre maison. Mais nombre de dirigeants et penseurs européens l’ont cru, avec l’infantilisme des grands-parents qui ont oublié les folies fructueuses de leur jeunesse, comme si n’était possible un autre destin que de vivre à la merci des deux grands propriétaires du monde. Telle est, amis, l’ampleur de notre solitude.

Cependant, face à l’oppression, au pillage et à l’abandon, notre réponse est la vie. Ni les déluges ni les pestes, ni les famines ni les cataclysmes, ni même les guerres éternelles à travers des siècles et des siècles n’ont réussi à réduire l’avantage tenace de la vie sur la mort. Un avantage qui augmente et s’accélère : chaque année il y a 74 millions de naissances de plus que de décès, une quantité de vivants nouveaux comme pour augmenter sept fois chaque année la population de New York. La majorité d’ entre eux naissent dans des pays avec moins de ressources, et parmi ceux-ci, bien sûr, ceux d’Amérique Latine. En revanche, les pays les plus prospères ont réussi à accumuler assez de pouvoir de destruction comme pour anéantir cent fois non seulement tous les êtres humains qui ont existé jusqu’à aujourd’hui, mais la totalité des êtres vivants qui sont passés par cette planète d’infortune.

Un jour comme celui d’aujourd’hui, mon maître William Faulkner a dit dans ce lieu : « Je me refuse à admettre la fin de l’homme ». Je ne me sentirais pas digne d’occuper cet endroit qui fut le sien si je n’avais pas pleine conscience de ce que pour la première fois depuis les origines de l’humanité, la catastrophe colossale qu’il se refusait à admettre il y a 32 ans est maintenant rien plus qu’une simple possibilité scientifique. Devant cette réalité saisissante qui à travers tout le temps humain a du paraître une utopie, les inventeurs de fables que tous nous croyons nous nous sentons le droit de croire que n’est pas encore trop tard pour entreprendre la création de l’utopie contraire. Une nouvelle et triomphante utopie de la vie, où personne ne peut décider pour les autres jusqu’à la forme de mourir, où vraiment soit vrai l’amour et soit possible le bonheur, et où les lignées condamnées à cent ans de solitude ont enfin et pour toujours une deuxième chance sur la terre.

à Stockholm en Suède, le 10 décembre 1982




Le Venezuela face aux présidentielles de 2012



par Guillermo Almeyra, le 2 septembre 2012


Bien sûr, gagner les prochaines élections et conserver la présidence de la République mais aussi la majorité à l’assemblée est évidemment la principale condition pour continuer le processus bolivarien. Chávez doit gagner – et il le fera – pour porter un nouveau coup à la droite affaiblie et à la pression des États-Unis qui reprendra une fois la bataille électorale étasunienne terminée, que gagne Barack Obama ou, avec encore plus de raison, si gagne le caverneux Mitt Romney.

Mais la droite, qui dispose de l’appui de plus d’un tiers de l’électorat, n’est pas composée seulement par des oligarques et des fascistes. De vastes pans de la classe moyenne et même des ouvriers voteront aussi pour elle parce qu’ils sont mécontents à cause de l’insécurité, la corruption dans l’appareil étatique, l’imposition de candidats au sein PSUV (qui manque d’indépendance et qui est un instrument bureaucratique gouvernemental) et de l’aspect vertical dans l’adoption de toutes les décisions. Ces ouvriers et gens de la classe moyenne pauvres ne sont pas des contre-révolutionnaires ni des agents de l’impérialisme, comme leurs candidats et principaux dirigeants, mais ils sont conservateurs et néolibéraux, et donc le processus bolivarien, au lieu de les mettre dans le même sac que ceux qui travaillent pour revenir au passé, devrait essayer de les gagner à sa cause ou de les neutraliser, pour les séparer de ceux qui aujourd’hui les conduisent à la catastrophe.

Ceux qui votent pour Chávez ne sont pas, en même temps, aveugles devant les problèmes dérivés de la corruption, du verticalisme, de la bureaucratie, de la conduite militaire d’un processus qui exige, en revanche, la plus vaste participation décisive de la population, la pleine discussion des diverses options possibles pour les grands problèmes, le contrôle populaire des travaux et des institutions. Parmi eux il y a des centaines de milliers qui se sont mobilisés, ont fait les grèves qui ont été réprimées et s’opposent à la forme d’élection des candidats, souvent autoritaires et des bureaucrates, et à l’asphyxie de la démocratie de base, mais, cependant – pour une maturité politique, – ils voteront Chávez contre la droite nationale et internationale sans se laisser tromper par la propagande pseudo-gauchiste des loups déguisés en agneau qui suivent Cardiles.

Les élections devraient être l’occasion de favoriser leur auto organisation et leur politisation, parce que la base du chavisme est la garantie de préservation du processus bolivarien, de même qu’elle fut la force qui a battue dans les rues les putschistes par sa mobilisation quand le coup d’Etat a viré Chavez.

Au lieu de présenter une candidature indépendante et antichaviste, comme celle d’Orlando Chirino , syndicaliste combattif, séparant les socialistes des chavistes, la gauche révolutionnaire aurait dû travailler aux côtés des chavistes partisans du socialisme pour renforcer l’auto organisation des travailleurs et, quand la droite aurait été battue, présenter bataille dans de meilleures conditions contre le verticalisme et les bureaucrates et technocrates qui attendent la disparition de Hugo Chávez pour contrôler l’appareil étatique. Parce que les grandes batailles se livreront après octobre.

D’un côté, parce que l’échec électoral de la droite lui laisse seulement le chemin du coup d’Etat (qu’elle ne peut pas faire aujourd’hui) ou de l’assassinat de Chávez et l’oblige à courtiser la droite bureaucratique chaviste pour le postchavisme. En effet, l’autre possibilité – une invasion depuis la Colombie – est restée jusqu’à maintenant écartée ou reléguée par le triomphe de la diplomatie cubaine et vénézuélienne qui a pacifié la frontière colombienne-vénézuélienne, après avoir ouvert le chemin pour la paix entre le gouvernement de Bogotá et les FARC et l’ELN, ce qui sert comme prétexte aux militaires de droite colombiens et aux États-Unis pour toutes les provocations et, en même temps, on encourage le retour sur leurs terres de centaines de milliers de paysans déplacés, qui s’affronteront aux paramilitaires et aux narcos.

D’un autre côté, parce que Chavez, par son décisionisme n’a pas permis le développement d’une équipe révolutionnaire qui peut le remplacer, et au contraire, il a donné du pouvoir aux conservateurs et aux gens de droite qu’il considère loyale à sa personne, comme Diosdado Cabello et d’autres. Le bonapartisme ouvre toujours le chemin à la transition bureaucratique vers la contre-révolution ; c’est pourquoi, pour éviter ce danger, la victoire électorale devra donner les bases pour que le peuple vénézuélien crée et développe son propre pouvoir de base face à ceux qui veulent seulement l’avoir comme masse de manœuvre et le remplacer.

Les élections sont un mélange entre un processus démocratique et légal de résolution des conflits, une lutte aigue de classes déguisée et à moitié pleine, et une bataille au sein même du processus bolivarien entre une caste bureaucratico-technocratique qui prend appui dans le gouvernement, Hugo Chavez qui agit d’une manière bonapartiste et, enfin, la pression populaire pour construire des éléments de pouvoir populaire. L’évolution du prix mondial du pétrole, qui détermine les marges dont dispose le gouvernement de Chavez et l’évolution de la santé du commandant lui même, sont deux éléments incontrôlables et qui continueront d’avoir un grand poids dans l’évolution du processus bolivarien après les élections d’octobre. Parce que si le prix du pétrole tombait à cause d’une moindre consommation mondiale due à la crise, la bataille pour la distribution des revenus entre les différentes classes et secteurs va s’aiguiser et, si la maladie du président s’intensifiait en 2013, la lutte pour le remplacer mettrait à l’ordre du jour une alliance entre la droite chaviste et le secteur le plus négociateur de l’opposition pour contrôler le pouvoir dans une espèce de coup d’État non sanglant et bureaucratique. C’est pourquoi il est fondamental d’utiliser les élections pour semer des idées socialistes, pour augmenter la politisation et la conscience des travailleurs et du peuple, construire un pouvoir populaire en luttant pour le triomphe de Chavez mais sans se subordonner au chavisme bureaucratisé.


Source : El Correo & le journal La Jornada au Mexique
Traduit de l’espagnol par Estelle et Carlos Debiasi
http://www.elcorreo.eu.org/





Bilan du président Hugo Chavez,
13 ans après en République Bolivarienne



par Lionel Mesnard, le 18 août 2012


Il est utile en présentation de ce texte de préciser que le but n’est pas de faire un bilan exhaustif de la présidence vénézuélienne. L’objet n’est pas d’appuyer une politique qui est avant tout du ressort des Vénézuéliens. Sans haine ou violence, on peut comprendre, que si nous pouvions envisager un modèle étatique parfait, nous pourrions enterrer en trois coups de pioche, la question du dépérissement de l’état et de l’émancipation humaine. Mais sur le fond nous en sommes loin, les urgences sociales étaient d’abord de remplir les ventres et les esprits.

Hugo Chavez est soit adulé ou détesté, il est rarement l’objet d’un point de vue équilibré, ou plus exactement une analyse critique pouvant laisser place à ce en quoi son arrivée au pouvoir a eu de positif et de négatif. Cette idée au demeurant sympathique selon laquelle les journalistes sont objectifs, il n’est pas difficile d’affirmer l’inverse à la lecture de ce qui a pu s’écrire dans la presse francophone sur le chavisme ces dix dernières années.

L’objectivité dans le domaine politique est un leurre, chaque camp argumentant contre l’autre. Les positions s’en tiennent en général à des positions offensives ou défensives, très souvent caricaturales. Le Pour ou contre domine, quand il serait intéressant, de se pencher sur les forces et les faiblesses du régime bolivarien.

Si l’objectivité à tout d’un vœu pieu, la critique est plus à même de servir une approche plus sincère, sans avoir la prétention d’incarner la vérité, mais plutôt de cerner certains problèmes de fond. La question n’est pas vraiment de savoir si Hugo Chavez est un bon ou un mauvais président, mais plutôt de savoir ce qu’il a fait ou n’a pas fait ; de pouvoir tirer un bilan des années écoulées, ceci depuis le 6 décembre1998.

Oui ou non, des progrès sociaux et économiques ont-ils eu lieu ? Dans un pays où depuis des lustres, les politiques publiques sont défaillantes. La question est aussi de savoir d’où vient le Venezuela et pourquoi Chavez a fait irruption sur la scène publique en 1992, jusqu’à devenir une personnalité connue mondialement ?

Si l’on ne fait pas l’effort de comprendre ce qu’a pu connaître au vingtième siècle le Venezuela, il y a de fortes chances d’en tirer des conclusions hâtives et sévères, et pour piège d’objecter les réalités difficiles du passé de ce pays. Si le Venezuela et contrairement à d’autres nations latino-américaines n’a pas connu de dictature depuis 1957. Toutefois il a connu de très graves crises économiques à partir des années 1980 et même une guérilla active au début des années 1970.

Cette nation a été comme bien d’autres un enjeu entre l’ancien bloc soviétique et les Etats-Unis. Et quoi que veuille le président vénézuélien, même en fronçant le sourcil, il se retrouve en parti satellisé et à la remorque des pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud).


1 - Hugo Chavez et la société du spectacle…


Hugo Chavez se représentera donc pour un nouveau mandat de 6 ans comme président de la République vénézuélienne en octobre prochain (initialement prévu en décembre). Une occasion de faire un bilan depuis son investiture en février 1999, ou il n’a fait que susciter des approches contradictoires : ses partisans le tenant comme un demi-dieu et ses opposants pour le représentant du diable sur terre. Dans les deux cas, nous nous éloignons, non pas du personnage haut en couleur que la presse nous présente, mais de son rôle dans ce qu’il dénomme la révolution bolivarienne.

Nous disposons aujourd’hui d’un certain recul, quasiment treize ans à la tête des institutions de son pays et un bilan dans son ensemble respectable, mais ou l’inflation de mesures n’a pas vraiment touché à l’édifice capitaliste. Il en va de ce que l’on peut entendre par Socialisme, mais son idée de la transition, ou du passage au socialisme ressemble plus à un républicanisme social qu’à autre chose. La marque d’une radicalité tant affichée est un jeu pour et avec les organes de presse. Une des grandes qualités de Chavez réside en sa connaissance du monde médiatique et son goût de la mise en scène.

Il n’y a pas à reprendre cet exécrable proverbe « qui aime bien châtie bien ». Mais si l’on a pu avoir la chance de le découvrir un peu ou par le biais de ses apparitions télévisées ; l’homme est chaleureux, extraverti. Il une capacité à tenir en haleine son auditoire comme nul autre. Il existe un élément que peu d’hommes politiques savent faire, mais qui est un atout indéniable, c’est sa capacité à vous faire partager l’instant présent comme un moment historique. Si vous avez des convictions de gauche, et même avec des doutes, il y a de grandes chances d’être pris dans l’enthousiasme du discours.

S’il n’a pas su transformer certains aspects inégalitaires de la société vénézuélienne, il s’en tire haut la main par rapport à ses prédécesseurs, notamment ceux se réclamant de la gauche «sociale-démocrate». Les ADECOS (1) ont depuis quasiment disparus de la scène politique. Il faut réaliser que le Venezuela n’est pas qu’une bulle médiatique, mais surtout un pays, avec une histoire plus que difficile et très loin de nos normes, ou ne serait-ce que du point de vue d’un Argentin ou d’un Chilien.

Pensez cette nation dans les mêmes termes que les nôtres, c’est l’assurance de se tromper. Oui, il y a un Chavez énervant, qui peu parfois étonné et agacé dans ses prises de position. Il a nourri le pire comme le meilleur, en référence à ses alliés au sein de l’ONU et son objectif d’intégration régionale.

C’est assez compliqué de relater un monde ou la pensée « magique » tient autant de place que la pensée dite rationnelle. Ce paradoxe peut prêter à sourire, mais il n’a rien de drolatique, et si le phénomène irrationnel est moins perceptible chez nous, il n’en est pas pour autant totalement absent.

Faire d’un homme l’incarnation d’un pays entraîne inévitablement à inventer des histoires à dormir debout, et au Venezuela les croyances ont un rôle à ne pas négliger. Elles régissent l’imaginaire collectif, et Hugo Chavez apparaissant à la mi-avril 2002 un crucifix à la main, peu de temps après l’échec du coup d’état (le 11 avril 2002) fut un tournant alimentant au sein des classes populaires, la légende.

D’autres pourraient parler d’une adhésion des milieux les plus déshérités pour des raisons exclusivement sociales et économiques, ce qui a été une réalité et la sortie progressive, d’une misère qui atteignait 70 à 80 % de la population en 1989 (aujourd’hui 30 %). Pour autant le rapport des Vénézuéliens au mirage consumériste ou ce que Marx appelait le fétichisme de la marchandise n’a pas évolué, et dans une économie où la rente pétrolière prédomine, il semble normal que ceux qui n’ont pas eu accès à cette illusion veuillent aussi y accéder.

Hugo Chavez atteint et semblant guéri d’un cancer recueille encore un soutien massif, il se situe à 53 ou 58 % dans les sondages et son opposant à la présidentielle Henrique Capriles étant à six ou plus de dix points derrière. Et c’est justement à travers de ce prisme que l’on voit bien comment Chavez su jouer de sa maladie. Il a suffi qu’il prenne de la distance avec la vie des médias, pour qu’il soit encore plus que présent dans les esprits.

Son absence a nourri toutes les rumeurs, pendant que s’organisaient dans tout le pays les comités pour les élections à venir. Néanmoins ses problèmes de santé sont sérieux et un certain manque d’information sur le sujet alimentent des doutes et son lot d’affabulation. Il va de soit que c’est une bagarre qu’il mène contre la maladie. Cela a tout d’une figure christique de l’homme qui peut mourir à la tâche. Le Pater Nostra qui dans toute son essence se sacrifie pour ses ouailles, et quoi que nous pensions, ça marche à plein tube… au Venezuela.

Toutefois, Peut-on envisager moins de petites chroniques haineuses, d’assertions sur la «dictature chaviste», ou ce qui l’apparentait à un populisme souvent réducteur ? Il y a peu de chance que cela change. Il en est ainsi depuis l’arrivée du président Chavez au pouvoir. Ses partisans sont convaincus qu’il est le meilleur, ses opposants pensent le contraire. Normal. Les clivages sur la personne de Chavez sont nombreux, et ce qui peut s’apparenter, à un pour et un contre, n’explique pas vraiment pourquoi il est une figure de ce nouveau siècle.  Ce que l’on peut lire à son sujet ne facilite pas un bilan serein ou équilibré de son action.

L’objet en soit n’est pas d’en tirer un satisfecit ou une critique à boulets rouges. L’idolâtrie ou le rejet n’aident en rien à comprendre ce qui a pu se passer de 1999 à 2012 sous la gouverne d’Hugo Chavez Frias au Venezuela. Qu’on le veuille ou non, son nom est entré dans l’histoire, il aura marqué la décennie 2000 – 2010 comme nul autre. Il n’est pas exempt de critiques, de plus, il faut pouvoir distinguer ce qu’il a pu faire en interne et ses prises de positions à l’international. Les contradictions chez Hugo Chavez sont nombreuses et ses penchants autocratiques brouillent un peu la réalité des faits.

Chavez a exercé un pouvoir très personnel tout au long des mandats, mais il l’a toujours fait dans le respect des lois de son pays. Mais gouverner un pays par décret, et disposer d’une Chambre des Députés d’une lenteur assez déconcertante et sans réel moyen de faire appliquer les lois, tant l’outil public est sclérosé par le véritable mal de ce pays : la corruption. Il existe un véritable déséquilibre entre un pouvoir pyramidal centré autour de la seule personnalité du chef, et ce qui a été mis en oeuvre comme pouvoir participatif, plus transversal mais dépendant du pouvoir central.

Si, Hugo Chavez a parlé maintes fois de Simon Bolivar et s’en est inspiré, il a probablement contribué à être inaudible au-delà des mondes latinos américains. Cela ne pouvant contribuer qu’à faire des anachronismes et ne pas restituer le fond des problèmes, est-ce que les Vénézuéliens vivent mieux, qu’avant son arrivée à la présidence ?

Si Chavez a pu provoquer certaines bonnes âmes et pour des raisons multiples, il aurait fallu comprendre pourquoi au Venezuela, il a connu jusqu’à présent un tel succès, et connaît une telle influence en Amérique Latine, et au-delà ?  S’il a pu glaner un certain succès d’estime, ou du moins se maintenir au pouvoir, c’est avec l’appui de la population souvent la plus humble. On pourrait même croire qu’il est sorti d’une pochette-surprise, tant il a porté haut des espoirs enfouis et jusqu’à son arrivée au pouvoir des acquis sociaux et économiques quasi impossibles ou envisageables.


2 - Un peu d’Histoire… pour mieux comprendre


Pour cela, il faut regarder en arrière et ce qui se produisit avec les révoltes de la famine en 1989 dans tout le pays. Et souligner en gras le rôle du gouvernement « social-démocrate » de Carlos Andres-Perez dans la répression qui s’en suivit jusqu’en 1991 dans les quartiers populaires (environ 3.000 morts et de nombreux cas de tortures). 70 à 80% de la population vivait dans une misère crasse, quant à l’autre bout de la chaîne une seule famille détenait à elle seule 15% de la richesse du pays.

Finalement au fil de ces années, il s’est construit une épopée Chavez, soit comme l’incarnation du mal absolu, soit du bien total. Il va de soit que Chavez, homme politique de son état n’a pas à être analysé de la sorte, et le bien et le mal en politique est une approche souvent morale et quelque peu caricaturale ou désuète. Ce qui importe, ce sont les résultats sociaux et économiques et l’évolution de la société vénézuélienne de ces dernières années. Avec un léger trait d’humour noir, on pourrait affirmer que le bilan est « globalement positif »…

Il serait un peu simpliste de penser en lieu et place d’une nation, notamment si l’on ne prend pas en compte les réalités d’une société très antagonique sur le plan social. Et dans cette architecture Hugo Chavez a permis que se lèvent certains carcans. Il a libéré une parole jusqu’à là muette.  Parce que fondamentalement la question est de savoir d’où vient la société vénézuélienne ? Plus exactement ce qu’a subi cette société au XIX° et XX° siècle comme pesanteurs et inégalités.

Si l’on prend en compte à lui seul le siècle dernier, on peut avoir du mal à comprendre les barrières sociales et intellectuelles. Il y a lieu de saisir le rôle du pétrole dans une société de quelques millions d’individus (3 millions en 1926), qui ne va qu’accentuer les déséquilibres entre très riches et très pauvres. En passant d’un modèle principalement latifundiste, le pays bascule d’une économie agricole à une économie de la rente pétrolière. Sans qu’il soit vraiment possible une industrialisation et dans ce domaine faut-il disposer d’une élite, ou plus exactement de gens diplômés et expérimentés.

Au début du vingtième siècle, Juan Vicente Gomez, dictateur de son état était un analphabète détestant tout ce qui pouvait se référer à la culture notamment écrite. Il n’hésitera pas à faire détruire les archives présidentielles et a procédé a des autodafés publics. En 1945, le pays forme quelques dizaines d’universitaires par an, ou les études de droit sont dominantes, laissant peu de place à d’autres domaines, sauf à la médecine et aux études théologiques. En plus, cette société est ossifiée dans un rapport social ou domine des relations quasi féodales ou racistes. Comme dans beaucoup pays latino-américains, l’église catholique romaine impose sa morale et voit d’un mauvais œil toute remise en cause de l’ordre établi.

Il faudra attendre les années 1960 pour voir enfin un service public de l’éducation se construire, c’est sous la mandature de Rómulo Betancourt que sont engagés certaines grandes réformes et s’améliora les conditions de vie au Venezuela. Mais si le passage à la démocratie sera dans un premier temps une dynamique positive, l’on touchera néanmoins à certaines limites, voire impasses notamment concernant la redistribution des terres.

Il sera bien entrepris une réforme sur les terres par une redistribution aux petits exploitants, elle se traduira au final comme un échec et touchera peu la structure des grandes propriétés et du foncier au Venezuela. Sur le plan politique, ce que l’on dénomme l’acte de « Punto Fijo » en 1959 va permettre la construction d’un système bipartisan ou domine les chrétiens-démocrates du COPEI et les « sociaux-démocrates » d’Alliance Démocratique.

Si l’argent du pétrole va permettre au début des années 1970 un essor, c’est en raison de l’envolée des prix, et c’est à cette époque que Carlos Andres Perez dit CAP devient Président pour la première fois et nationalise les pétroles vénézuéliens (PDVSA). Il laissera le pays à la fin de son mandat exsangue. Ses projets vont ruiner et endettés le Venezuela et l’on devine les conséquences sur les populations les plus pauvres. Ce même CAP suivra en 1989 les injonctions du FMI, en 1993 il sera démis de son mandat pour enrichissement personnel, il finira par prendre l’exil et décédera en 2010 en Floride.

En 1992, se produiront deux tentatives coup d’état, l’une en février, l’autre en octobre. Le lieutenant-colonel Chavez participera à la première tentative du complot visant à déchoir CAP de ses fonctions. Chavez fit partie d’une fraction de l’armée qui n’acceptait pas un régime corrompu, et la gestion du pays par le président Carlos Andres Perez. En charge de transmissions mobiles, le jeune officier va se trouver immobilisé sous un pont à Caracas, ne comprenant pas vraiment pourquoi, rien ne passe...

Chavez prouvera une certaine impréparation à l’événement, mais grâce à une courte intervention télévisée, il va devenir populaire, un recours. Avec son acte de reddition à la télévision d’environ 30 secondes, il marquera les esprits. S’il va connaître la prison, c’est aussi sa popularité qui va croître, au point que le successeur chrétien-démocrate de CAP, Rafael Caldera fini par l’amnistié peu après son élection, lui et ses comparses en 1994, c’est-à-dire les membres du MBR-200 (Mouvement Bolivarien Révolutionnaire).

Chavez créera le Mouvement pour la Cinquième République et gagnera sans surprise en décembre 1999 les élections présidentielles. Rapidement Il engagera une assemblée constituante et mettra à l’approbation des électeurs une Cinquième République Bolivarienne. Il reçoit l’agrément de 70% des consultés et remet en jeu son mandat présidentiel dans la même foulée, pour un nouveau mandat. À son accession au pouvoir comme président, Hugo Chavez est encore assez lointain des thèses actuelles. Sur l’échiquier politique mondial, il se reconnaît dans la troisième voie de Blair et Clinton.


3 - Hugo Chavez Président élu du Venezuela

En décembre 1999 se produisent de très fortes inondations dans l’Etat de Vargas, l’on sort des décombres près de 50.000 morts et d’innombrables réfugiés. Cette tragédie met en lumière la question des sols et surtout l’organisation urbaine du pays. Les principales victimes sont issues des milieux défavorisés et la question du relogement y sera centrale. Ce qui aurait pu apparaître comme une évidence, le relogement des familles va faire face à une lourdeur bureaucratique certaine. Et une des grandes failles  du régime, c’est de n’avoir pas pris en compte la dimension urbaine, qui pour évidence rassemble 93% de la population.

Selon certaines statistiques, le Venezuela à l’arrivée de Chavez se place comme le 8° pays le plus corrompu du monde. La ville de Caracas était classée comme la troisième ville la plus dangereuse d’Amérique du Sud, les quartiers populaires faisaient face aux urgences du quotidien. La misère y était très forte et les conditions de vie étaient plus que difficiles.

« En 1999 au début du gouvernement bolivarien, la société vénézuélienne ne reconnaît qu’une seule forme d’organisation sociale : le capitalisme. Presque toutes les relations humaines sont marquées par des arguments mercantiles. La classe politique jouissait d’une grande impopularité et d’un grand manque de confiance après quarante ans de pillage. Le moral des professionnels, techniciens ou travailleurs et travailleuses, se détériorait progressivement à chaque malade mal soigné, à chaque famille frappée par la misère, à chaque enfant déscolarisé, à chaque personne âgée laissée pour compte, à chaque fois que quelqu’un avait un besoin impossible à satisfaire faute d’argent. (…) Du volontarisme des premières années qui procurait de l’aide de façon peu planifiée, on est passé à la résolution des problèmes de manière intégrale, structurelle. Ce fait montre les signes d’une maturation politique du processus. De plus, le pays a commencé à changer. Le temps du processus constituant (1999) a réveillé la ferveur nationale pour débattre de son destin. La participation a commencé à prendre sa place et la courte expérience gouvernementale a commencé à porter ses fruits par la maturation des cadres de la révolution. »(1)

Nul doute qu’Hugo Chavez ait construit une stratégie, et tout comme bon stratège a su épouser un temps certaines attentes pour mieux sans défaire. Le Chavez très consensuel des deux premières années va muter vers des approches plus radicales, du moins il abandonnera le terreau d’origine pour engager une révolution citoyenne. C’est sur la nature de la révolution que nous pouvons nous interroger sur ses portées ou ses erreurs.

L’idée d’un processus participatif des citoyens va se trouver consolider face à une opposition hétéroclite et jusqu’au-boutiste. Dans un premier temps s’élaboreront des projets autogérés au sein des quartiers populaires, là ou les besoins urgents se faisaient sentir, et surtout là où la population s’organisa face à la désertion des services publics.

« Sous le gouvernement de Chavez - bien que le pays ait continué à s'appauvrir - cette tendance s'est retournée au cours de la dernière période. En conséquence, le pays a fait des progrès significatifs dans la récupération du contrôle sur sa richesse naturelle la plus importante. (…) Ces conclusions ont été tout à fait confirmées par les événements que le pays a vécu en avril 2002. Le coup d'état manqué laisse en arrière une situation très fluide et le destin final de la politique pétrolière n'est pas résolu. Alí Rodríguez Araque, qui était alors Secrétaire Général de l'OPEP, a accepté d'assumer la Présidence de PDVSA en tant que candidat d'un consensus politique (…). Le gouvernement Chávez devra délimiter les trois rôles de l'Etat, sous leurs aspects politiques et institutionnels: son rôle souverainiste, son rôle de propriétaire des richesses naturelles et enfin en tant qu'unique actionnaire de PDVSA. Parallèlement, il faudra définir un nouveau rôle pour le secteur privé, national et étranger. » (2)

Avec l’élection de G. Walter Bush en décembre 2000 s’engage un tournant dans les relations diplomatiques. Il est clair que Chavez va devenir la cible des milieux les plus conservateurs et réactionnaires aux Etats-Unis et aussi en Espagne sous la gouverne de Juan Manuel Aznar. Du moment où il va vouloir mettre la main sur les revenus pétrolier et gazier et revoir les contrats, il va prendre de plein fouet non seulement les critiques les plus violentes, mais surtout la volonté de le faire tomber en interne.

Hugo Chavez va devenir l’homme à abattre. sans qu’il eût même prononcé le mot socialisme. Étonnement, il va résister face à de gigantesques manifestations et à une grève qui entraînera le patronat et la centrale syndicale CTV (Confédération des travailleurs du Venezuela) à bloquer l’activité du pays.

Il restera de la période 2001 à 2003, une opposition très virulente, les tenants de l’ancienne 4e République ne voulaient pas voir disparaître certains de leurs privilèges, et ils ne voulaient surtout pas que l’on touche aux raisons de la misère. Mais Chavez et son équipe vont se maintenir, si ce n’est renforcer l’aide aux quartiers et villages défavorisés. La demande y sera forte, elles vont devenir connues sous le nom des Missions (éducatives et éducatives, sociales et économiques, et sanitaires).

Fait étonnant et qui marquera, c’est la place que vont prendre progressivement jouer les médias, le président vénézuélien va y apporter une grande  importance. Ce qui est indéniable c’est le rôle des télévisions privées dans la participation au coup d’état du 11 avril 2002, ce n’est pas en soit une première que des journaux, radios ou télévisions en Amérique Latine prennent position en faveur de la destitution d’un président légitimement élu.

La Société Interaméricaine de Presse est un concentré de groupements puissants, plutôt conservateurs et proches des oligarchies locales, et qui fait un peu la pluie et le beau temps en matière de diffusion de l’information outre-atlantique. Mais pas seulement, si l’on prend en compte le rôle d’un journal comme El Mercurio au Chili, qui servit de lien entre les chrétiens-démocrates chiliens et vénézuéliens, et appuiera le coup d’Etat au Chili en 1973 (Source : Le journal vénézuélien Ultimas Noticias, année 2006).

À partir du coup d’état de 2002, il est évident qu’un tournant social et politique s’engagea. La mobilisation populaire a mis un arrêt à quelques fantoches qui s’étaient accaparés le pouvoir, elle sera essentielle dans les changements futurs.


4 – Hugo Chavez candidat éternel ?

Les accents dogmatiques sembleraient irriter Chavez, il s’est en 2011 attaqué au sectarisme ou à certains délires de ses partisans. On ne peut que constater un tournant souhaitable, en particulier dépasser une ligne interclassiste et par la même une redéfinition du contrat social. Son appel aux classes moyennes et au secteur privé n’a rien eu de très surprenant. Mais par ailleurs, les envolées lyriques du grand frère Adam Chavez laissent un certain froid dans le dos quand au respect de l’état de droit et de la démocratie.

C’est à partir d’une base sociale plus élargie  que Chavez avait gagné autrefois, et la perte de certains alliés de gauche ont fait du PSUV (Parti Socialiste Unifié du Venezuela), un outil de campagne puissant et pouvant toucher plus de quarante pour cent des électeurs.  Mais qui risquerait à l’échéance 2012 des présidentielles ne pas être suffisant  pour construire un nouveau mandat et disposer des voix nécessaires à sa réélection.

Le patenté « dictateur » est aussi obligé d’observer certaines règles qui organisent nos démocraties, comme la démocratie vénézuélienne. Et il doit repartir à la reconquête d’une base plus élargie et qui plus est plus représentative. On n’aide pas un pays à lutter contre la pauvreté, le manque d’écoles pour ensuite constater un poids non négligeable des classes intermédiaires, ce que l’on peut qualifier de petites classes moyennes.

Chavez n’a pas su fédérer l’ensemble du salariat, la misère a véritablement diminué et de manière massive, mais il n’a pas su s’agréger toutes les forces vives du pays. Et s’il décide de combattre certaines caricatures en expliquant qu’il n’a pour vœux de tout privatiser, et comme il l’a fait jusqu’à présent avec le but de contrôler les leviers-clefs de l’économie. L’on peut être stupéfait de croire que certains vénézuéliens puissent imaginer une économie à la « Cubaine », surtout quand celle-ci entrain de changer et de s’ouvrir au système privé.

Il s’agit d’un débat passionnant sur le rôle de l’état, la place de l’individu et du collectif. Le tout privatisé et le tout étatique ont produit leurs lots de désastre, et malgré tout les cris d’orfraie que l’on a pu entendre sur le Venezuela, nous sommes loin d’une économie à la Soviet. Il est à noter une très grande faiblesse de l’impôt sur le revenu, et comme il est important de le souligner le Venezuela est un pays qui à quelques mécanismes prêts ne diverge pas vraiment des règles du capitalisme mondial.

On pourrait plaisanter sur le fait que Chavez se « social démocratise », sauf qu’il a tourné le dos à sa gauche « sociale-démocrate ». Les partis Podemos et Patria Para Todos qui avaient participé à la construction d’une nouvelle République Bolivarienne, « révolutionnaire » si besoin était, n’appartiennent plus à la majorité chaviste.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce terme de révolutionnaire ou de social-démocrate. Mieux vaut se préoccuper de ce qui fait urgence au Venezuela. Et certaines mesures en faveur de la construction de logements neufs et les questions urbaines sont des indices. Il reste du travail et une politique d’ampleur à mener, visant à l’amélioration qualitative des conditions de vie de tous les Vénézuéliens.

Il semblerait que le temps est au réalisme et qu’à force de se prendre le réel de pleine face, il serait peut-être temps de faire un bilan équilibré sur la personne du président vénézuélien. Il a fait, ou du moins lui et les siens ont permis de sortir de l’apathie une bonne part de la population. Contrairement à notre morosité ambiante en Europe, les indices de confiance en l’avenir au Venezuela se porte bien et montre un optimisme marqué.

Il va de soit que tout ceci change radicalement des années 1980 et 1990. Il faut surtout remarquer l’effort fourni dans le domaine scolaire, pour simplement comprendre que plus les Vénézuéliens seront instruits (autrefois plus que souffrants en ce domaine), plus il sera possible à la population de prendre son avenir en main et lutter contre les inégalités et certains abus du pouvoir.


5 - Hugo Chavez chantre du socialisme du XXI° siècle ?


Contre toute attente et à l’encontre du discours dominant, Hugo Chavez est un radical-socialiste qui s’ignore et qui au final ne sait plus ou il en est de son puzzle idéologique. Si, à l’international, le président est  à classifier comme ayant des accents autoritaires ou autocratiques, en interne il a su poser certaines bases républicaines en matière de redistribution sociale, mais il a plutôt échoué dans sa réforme de l’état et le mise en œuvre de services publics fonctionnels.

Si la stratégie de contournement a fonctionné en l’existence des missions sociales, médicales, éducatives et culturelles. L’état protecteur ou providence lui reste toujours aussi fragile. Il est indéniable qu’en 10 ans, le travail éducatif et l’accès à la formation ont été largement favorisés, du jamais vu en matière de construction et d’ouvertures d’universités (7 entre 2002 et 2006). Mais 10 ans face à tant de décennies de retard, cette courte période ne comblera pas certains fossés sociaux et économiques, et l’on doit imputer à la corruption un rôle non négligeable.

Toutefois il ne serait pas juste d’imputer cette réalité seulement à la présidence de Chavez. La corruption est presque un sport national, surtout si vous montez dans les hautes sphères politiques ou économiques du pays. Ce qui relève d’un véritable problème, et qui est loin d’être un problème mineur. La corruption ronge le pays depuis fort longtemps, et l’on pourrait s’amuser à faire un parallèle avec Simon Bolivar qui s’attaqua en son temps en prônant la mort pour qui détournait un peso.

Non, Chavez n’a pu nettoyer les écuries d’Augias, car cette réalité est chronique et touche toutes les sphères de la société. Face à un problème qui touche la justice, la police, ou ce qui ressemble de loin ou de près à une bureaucratie, des pratiques illégales prédominent encore dans la vie quotidienne. Et la famille du président Chavez a su en profiter, en se fondant dans une nouvelle nomenclature du pays, ce que l’on dénomme la bourgeoisie bolivarienne.

La présidence de Chavez a su apporter une impulsion dans un pays qui était amorphe, pour autant il n’a pas su jusqu’à présent prévoir un après. Il se voit toujours président jusqu’en 2031, et c’est vieux slogan qu’il nous ressert. La question reste de savoir s’il sera réélu en 2012 ? Ou va-t-il pouvoir encore se maintenir sur deux décennies, c’est un peu toute la question ?

Il va lui falloir rassembler un camp pas très homogène, et Chavez est le seul à pouvoir y répondre. On a beau, penser à quelques ministres méritants, mais il n’y a pas vraiment de relève, et il est difficile de s’asseoir sur un héritage ou la présidentialisation à outrance se fait en défaveur des masses. 

L’enjeu est-il vraiment de savoir si Chavez va être réélu ou bien quelles politiques seront menées pour les années à venir  ; quels objectifs et comment les atteindre? Il faut aussi pouvoir disposer d’outils de contrôle concernant l’avancée des réformes et leurs  mises en œuvres. Et c’est une des grandes défaillances, le Venezuela manque d’expertises et l’on mesure mal si les missions sont un acquis ou un grand sparadrap sur des services publics défaillants ?

Il n’a pas su maîtriser l’inflation et le Venezuela a dû faire face en imprimant du papier-monnaie, le passage au bolivar fort n’a été qu’un nuage de fumé, les prix n’ont cessé de grimper, même si les salaires ont été réévalué et notamment le salaire minimum et le temps de travail réduit (de 44 à 40 heures). L’économie solidaire et sociale n’a pas pu supplanter l’économie marchande (ce qui n’a rien de surprenant), et il y aurait à redire sur le fonctionnement social des coopératives.

Le mal fondamental de ce pays est son organisation mono productive autour du pétrole et des hydrocarbures. Et là aussi en ce domaine, les avancés sont encore timides, notamment concernant le développement d’une agriculture pouvant répondre à la demande interne. Un pays qui reste dépendant à 80% de son alimentation, il y a un défi restant à accomplir, et déterminant pour son avenir. Il est sympathique de dénoncer les «Yankees»,  mais quand on dispose de Coca-Cola comme principal importateur d’eau en bouteille, il reste du travail sur la planche.

Si Chavez a prononcé un très beau discours sur l’échec des négociations de Copenhague sur le climat, il ne faudrait pas oublier qu’il est le président d’une nation qui en Amérique Latine contribue pour bonne part au réchauffement du sous-continent. Pour diverses raisons, la consommation énergétique des Vénézuéliens n’a rien à envier aux pays de l’hémisphère nord.


6 - A quelques semaines du scrutin ?


La future élection au mois d’octobre 2012 au Venezuela est l’occasion de tirer un bilan des années Chavez. Rarement un homme a joué et usé ou rusé de la bipolarité des points de vue. Vu comme le sauveur suprême auprès de ses partisans, ou comme un monstre pour ses opposants, il est difficile d’échapper aux écrits de la propagande ou de la contre-propagande. Et les camps adverses sont très prolifiques dans ce domaine.

Nos références, notre connaissance de l’histoire du continent européen en ses courants socialistes sont inappropriées pour saisir le décalage entre les deux continents. Le discours de Chavez que cela plaise ou non est un mixage idéologique, parfois indigeste, et il incombe de le restituer dans une dimension historique et politique, latine et américaine ; plus en rapport à une histoire des nationalismes et des outrances du pouvoir en Amérique Latine. Mais n’en déplaise à ses détracteurs, Chavez n’est pas un dictateur, c’est un autocrate bien assis sur un trône de président, pour reprendre un terme plus classique, un «caudillo» mais élu démocratiquement.

Quand à ce point un homme peut épouser ou incarner l’âme «révolutionnaire» de Caracas à Buenos-Aires, mieux vaut le voir avec le spectre de Juan Manuel Peron, que celui d’Ernesto Che Guevarra. Il appartient encore moins à une appartenance  communiste ou internationaliste, sauf si l’on prend pour cadre la décomposition de la révolution cubaine. De la rhétorique, beaucoup de bavardage télévisuel, mais le verbe ne suffit pas à expliquer les manques, les failles du régime bolivarien et ses accointances avec les pires régimes de ce bas monde.

Oui indéniablement, cela va mieux socialement au Venezuela. Il faut arriver à distinguer Chavez  en interne dont le bilan est respectable, du sulfureux qu’il traîne régulièrement à vouloir tenir une posture anti étasunienne systématique. Il a toutefois accordé sa préférence à Barak Obama pour la présidentielle de novembre 2012, et bien qu’il ait menacé plusieurs fois de couper le robinet pétrolier avec les Etats-Unis, il ne l’a jamais fait et ne le fera jamais. Chavez n’est pas suicidaire, il sait jouer des discours.

Le Mouvement de l’Unité Démocratique (MDU)  est une alliance hétéroclite allant de Bandera Rosa, (un groupuscule d’extrême gauche) à des groupements franchement droitiers comme ceux de Justicia Primera ou du COPEI (parti chrétien-démocrate). Il est donc possible de ne pas tenir compte des restes du COPEI et d’Alliance Démocratique («sociaux-démocrates»), s’ils représentaient 90 pour cent des voix, ils récoltent au mieux 10 pour cent des suffrages et ne pèsent plus grand chose sur le plan national.

Avec Chavez, le paysage politique s’est recomposé en pour et contre, et il est laissé assez peu de place à la critique. Du moins ce qui a pu être des vœux n’a pas laissé place à l’essentiel du côté chaviste, la pluralité. De l’autre versant, en 2006, nous avions Manuel Rosales comme prétendant, aujourd’hui Henrique Capriles porte étendard du MDU, et cela ne change rien à la donne. L’opposition se donne une nouvelle apparence, mais sur le fond il est impossible qu’elle est avec un candidat aux dents blanches, la capacité de faire diversion. Rien en l’état n’est joué et il peut devenir le prochain président.

A souligner, dans le vide béant, de ce qui peut toucher au Venezuela, il n’existe pas une mais des approches critiques à gauche. Libertaires ou anarchistes, autogestionnaires, trotskystes, membres du PCV, syndicalistes, universitaires et intellectuels critiques, Etc. Ils ne sont à ne pas confondre avec le MDU (4) ou le PSUV. Sauf qu’ils ne sont pas vraiment connus de ce côté de l’Atlantique. De plus, ils ne disposent pas des mêmes moyens de communication, mais il est possible, si on le souhaite, d’échapper un tant soit peu, à la propagande de l’état Bolivarien. Elle est très active et uniforme sur Internet et la sphère francophone.

Puisse-t-il qu’un peu d’analyse s’empare de ce débat présidentiel sur le Venezuela, au temps de Chavez !

Notes :


(1) Les ADECOS sont les partisans ou membres de l’Alliance Démocratique, membre de la deuxième internationale socialiste.

(2) d’Haiman El Troudi, ingénieur, écrivain, planificateur, chercheur et enseignant, a occupé diverses charges dans le gouvernement révolutionnaire vénézuélien

(3) Le pétrole subverti http://www.mps-bfs.ch/Ecran/vene14.htm

(4) en version originale, Mesa de la Unidad Democratica (MDU)


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Répression en Aracaunie et loi HINZPETER :
Le «problème Mapuche»
du Président chilien Sebastián Piñera



par Lionel Mesnard, le 3 août 2012


1/ Violences policières dans la région d’Araucanie

Depuis l’adoption du projet de loi Hinzpeter au Chili, ou projet de loi 78, début juillet 2012, la répression des mouvements sociaux et notamment Mapuche s’accentue. En effet si cette loi vise à criminaliser de prime abord les mouvements étudiants, des répercutions seront inévitables, sur les luttes menées par les Mapuches, ou pour n’importe quel syndicaliste comme représentant social et lors de ses activités revendicatives.

Actuellement à Santiago depuis 8 jours des femmes Mapuches sont présentes au sein du bâtiment de l’Unicef, notamment en charge de l’enfance. Cette occupation est survenue suite à ce qui s’est déroulé à Temuco (région d’Araucanie) le 23 juillet, où trois mineurs ont été blessés lors de heurts violents.

Les femmes demandent à l’Unicef de solliciter auprès du gouvernement le retrait des forces policières des communautés Mapuches en Araucanie. Depuis que trois enfants ont été blessés, par des tirs de chevrotine provenant des carabiniers, le 23 juillet passé. Benjamín Vicuña, acteur argentin et ambassadeur pour l’Unicef est venu sur place avec des membres de la CODEPU (1). « Nous sommes ici pour écouter, prendre la mesure et dire qu’en mon nom ou celui de l’Unicef, nous sommes préoccupés par la violence dans la région (de l’Araucanie). Par ailleurs, l’Unicef a jusqu’à présent désapprouvé cette occupation, mais n’a pas fait appel à une expulsion.

En quelques jours dans la capitale de l’Araucanie, les manifestations organisées par des communautés Mapuches ont toutes donné lieu à des arrestations brutales, un mapuche de 70 ans a fini à l’hôpital dans un état préoccupant (le 30 juillet). En trois actions ou manifestations, dont l’occupation d’un séminaire à Temuco, l’on a dénombré 27 arrestations de militants Mapuches et plusieurs blessés parmi les manifestants.

Cet usage abusif de la force n’a rien de surprenant, le président Sébastián Piñera, ce même mois de juillet a décidé de renforcer les moyens et le nombre de policiers en Araucanie, et ce sous les applaudissements ou l’approbation des propriétaires terriens et notables locaux, ou ce que, peut produire de conservatisme comme appui à des méthodes toujours plus violentes. Le clergé local par l’intermédiaire de l’évêque de Temuco, Monseigneur Manuel Camilo Vial a déclaré, que ni l’argent, ni des carabiniers (policiers) supplémentaires  aideraient à régler les difficultés avec les Mapuches (29 juillet). Peu de jours avant quatre prêtres chiliens demandaient (via la presse pontificale) que s’ouvre un dialogue avec les communautés Mapuches.

« Le mardi 24 juillet, le président Sébastián Piñera a convoqué les autorités policières et le procureur de la Nation, à un sommet sur la sécurité, ce qu’il a dénommé «le problème mapuche». Dans cette instance a été décidé d’augmenter la dotations des carabiniers et de la police d’enquête (PDI) dans la région de l’Auraucanie, ou seront envoyés une plus grande quantité de véhicules et instruments répressifs (…). À notre jugement, c'est une réponse immorale et irraisonnable aux demandes légitimes de restitution de terres ancestrales qui ont été usurpés au peuple Araucan (Mapuche). Les actions de récupération de terres dans lesquelles des groupes impliqués d'Araucan ont été vus sont une réaction devant l'abus des entreprises privées et l'échec des politiques de dialogue avec les représentants de l'État chilien, après des promesses multiples inaccomplies et non respectueuses des droits fondamentaux. »  (Source CODEPU)




2/ La loi HINZPETER, tout manifestant aura la tête tranchée…

Le vote intervenu à la chambre des députés, début juillet 2012, approuvant la loi Hinzpeter a provoqué  une levée de bouclier de la part des associations et ONG. Si cette loi était appliquée, il y aurait des atteintes graves aux droits de tout chilien, qui pouvant encourir 3 ans de prison, pour le simple fait de manifester pacifiquement.

Quelques exemples du texte de la Hinzpeter visant à la limitation du droit de manifester, les situations (ci-après) ou pourraient s’ensuivre une condamnation pénale :

« Paralyser ou interrompre quelque service public que ce soit, comme les services hospitaliers ou d’urgence, et ceux de l’électricité, des combustiles, de l’eau potable, des communications ou des transports. »

« Envahir, occuper ou piller les habitations, les bureaux, les établissements commerciaux, industriels, d'enseignement, religieux et autres, qu'ils soient privés, ou municipaux. »

«  Empêcher ou gêner la libre circulation des personnes ou des véhicules sur les ponts, dans les rues, sur les chemins, ou autres biens similaires d’usage public. »

«  Ceux qui auront incité, promu ou organisé les désordres ou autres actes de force ou de violence qui touchent la réalisation d'un des faits signalés au premier point [paralyser ou interrompre un service public, donc], à partir du moment où ils les auront prévus, se verront appliquer une peine de [541 jours à 3 ans de prison]. »

« Les protestations étudiantes ont suscité de la part du gouvernement un nouveau projet de loi basé sur la terreur, appelé “Loi Hinzpeter”, qui vise à criminaliser le mouvement étudiant. Cette loi menace tous les mouvements sociaux au Chili. » (Extrait de la déclaration de la CONFédération des Etudiants CHiliens). Face à la volonté politique et sécuritaire affichée du Président Chilien, il en va d’une mobilisation contre des atteintes à la liberté d’expression au Chili.

Aussi et au vu des déclarations et épreuves de forces intervenues récemment contre des manifestants mapuches à Ercilla ou à Temuco (Araucanie), il ne peut que s’exprimer, une fois de plus, une forte réprobation de la violence de l’Etat chilien à l’encontre du mouvement social Mapuche.

Nous ne pouvons qu’être inquiet de ces bruissements de bruits de botte, au pays où l’on fêtait encore un homme comme Pinochet (en juin 2012 à Santiago). Cela en dit long sur une transition démocratique (de 20 ans...) qui s’essouffle, car reprenant les pires aspects de l’ultra droite chilienne et pouvant faire craindre une accentuation de la répression contre tout ce qui n’est pas aux ordres du pouvoir.


Note :


(1) CODEPU http://www.codepu.cl : Corporación de Promoción y Defensa de los Derechos del Pueblo

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Alerte au Cauca en Colombie,
quand la guerre est à ce point absurde,
comment la relater  ?



Par Lionel Mesnard, le 22 juillet 2012


Que se passe-t-il dans le département du Cauca en Colombie ?


C’est toute la question que l’on peut se poser sur les aspects conflictuels de ce pays. Le Cauca est un révélateur de ce qui ne fonctionne pas, et ne pouvant pas fonctionner. Tant que la guerre agira. L’absurde est le propre de la guerre, c’est ce que nous pouvons comprendre suite à ce qui s’est déroulé en juillet 2012 en Colombie dans le Cauca. D’un côté des hommes en arme activant au nom des raisons de l’état colombien et ne faisant pas mieux que les paramilitaires de tous les bords, alors qu’ils devraient normalement être un rempart contre les bandes criminelles. Sauf que bien souvent l’armée nationale participe directement ou indirectement à la violence exercée sur les populations civiles du cru.  Les troupes du ministère de la défense déployées ainsi ne sont en fait qu’un problème de plus, là où elles auraient pu être une solution évidente pour toutes personnes vivant dans un Etat de droit.

L’armée colombienne n’a démontré en rien son efficacité depuis des lustres et en premier lieu dans son secours aux Colombiens, à part rajouter du chaos au chaos. Cet état de fait conduit à la mort régulière de civils ne demandant qu’une chose, vivre en paix et pas sous la mitraille. De l’autre côté de la barricade, face aux bandes armées et aux ratés successifs du pouvoir colombien, les premiers concernés, les habitants du Cauca, quand ils voient leurs gamins enrôler dans la guérilla, ou quand la drogue devient la route de l’enrichissement, (surtout des pontes paramilitaires). Alors faute de ne pouvoir véritablement cultiver son lopin de terre et d’envisager un développement plus harmonieux, des hommes et des femmes du Cauca, pour certains vivant depuis toujours de leurs sols n’arrivent pas à faire valoir leurs droits les plus essentiels.

Si nous assimilions la France à la Colombie, il faudrait imaginer des villes en état de siège, Paris bunkerisé et quelques départements ruraux à feu et à sang et des familles paysannes déambulant de région en région. Parce que ne pouvant plus vivre dans leurs villages ou leurs hameaux, car devant fuir devant les violences de la guerre. Un exode ayant conduit 4 à 5 millions de colombiens depuis vingt ans à abandonner souvent leurs seuls biens, quand ce n’est pas de laisser sur place quelques parents morts ou quelques survivants.


Le face à face sécuritaire d’Alvaro Uribe et de Juan Manuel Santos

Quand, le 6 juillet 2012, par tribune de presse, l’ancien président Alvaro Velez déclarait, rien de moins que « la guerre » à l’actuel Président Juan Manuel Santos, rien ne présumait dans les colonnes de nos journaux d’une telle activité du conflit se déroulant dans le département du Cauca au sud-ouest de la Colombie. Et rares étaient ceux qui faisaient part d’une nouvelle mobilisation des populations originaires à l’exemple de ce qui a pu se dérouler déjà en 2008 (1) sous l’égide du CRIC (Conseil Représentatif  des Indigènes du Cauca). Cette fois-ci, c’est la deuxième communauté amérindienne du pays, la population Nasa-Paez. qui manifeste son trop plein dans la région ou localité de Turibio (au nord-est du département du Cauca),

Hasard des discours ou révélateur du climat politique au sein de la droite colombienne, Alvaro Uribe est venu surenchérir sur l’usage de la force et user de son art de la provocation et du cynisme. « Alvaro Uribe estime que Santos a abandonné sa politique de « sécurité démocratique » et ainsi mis en danger la vie des Colombiens. Il lui reproche aussi de n’avoir rien fait pour tenter de protéger ses proches des foudres de la justice, notamment Andres Felipe Arias, alias Uribito. C’est bien au lancement d’un nouveau mouvement d’opposition à Santos qu’Uribe a procédé, annonçant une candidature à la présidentielle pour 2014 de l’un de ses proches, la constitution lui interdisant de se présenter lui-même (…). » (Source du blog Regards Latinos de Patrick Bèle).

Du coup, Juan Manuel Santos, bien que n’ayant pas abdiqué pour autant, celui-ci ayant continué à renforcer les affrontements armés contre les FARC depuis le début de l’année, notamment dans le nord-est du pays dans le département de l’Arauca (frontalier du Venezuela) et d’autres lieux du pays. L’actuel occupant du Palais présidentiel ne pouvait pas, ne rien faire, face à des propos visant à invalider sa politique de sécurité militaire. Le 11 juillet, le président Santos accompagnés de ses ministres et d’un dispositif médiatique important se rend à Toribio pour y tenir un conseil de son  gouvernement et présenter les acquis économiques et « sociaux » de son action depuis 2 ans, pour date anniversaire de sa prise de fonction.

Toribio, centre de la Colombie pour quelques heures



Toribio en rouge sur la carte


Toribio est une localité de 26.000 habitants perchés dans la Cordillère des Andes et au nord-est du département du Cauca, et qui va être du 11 juillet au 19 juillet 2012 un centre de tensions de différentes natures, mais pas le seul lieu dans le département à connaître une forte intensité guerrière. Le président colombien arrivera avec son équipée par hélicoptères, sans que pour cela ne cesse vraiment les affrontements avec les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC). Ce ne fut rien d’autre qu’un petit coup d’éclat entre quelques balles présumées perdues entre les rotatives. Néanmoins, le président a pu faire bonne figure devant un public, certes heureux de le voir, mais ne pouvant pas comprendre à quoi rimait ce spectacle. Juan Manuel Santos voulu rencontrer les représentants du CRIC, ils refusèrent l’invitation. Il du se limiter à une petite assistance de rock star avant de tenir discours devant ses ministres caméra à l’appui. Et apparemment, il ne se doutera pas que sa présence allait mettre en avant les déséquilibres prégnants du département du Cauca .

Le 13 juillet, le CIRC porte assistance à 1500 personnes déplacés à El Mango au sud du département du Cauca. « Selon l'équipe du CICR qui a procédé à l'évaluation des infrastructures civiles après les affrontements, 74 maisons ont été gravement endommagées et sont inhabitables. Beaucoup d'autres ont subi des dommages structurels, mais peuvent être réparées. L'école et deux salles communautaires ont également été endommagées durant les affrontements. » En tout, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) va recenser le déplacement de 6.450 personnes en 10 jours dans le Cauca, en raison des affrontements entre militaires et guérilleros.

Le département du Cauca est depuis trop longtemps un lieu d’affrontement militaire, où s’oppose l’armée nationale, les milices ou paramilitaires d’extrêmes droites et les FARC. Se trouve au milieu la population civile et notamment les Afro-colombiens et les Amérindiens. Depuis des années, ces derniers essaient de faire respecter les principes à la fois de la constitution et leurs droits normalement alloués par la loi colombienne. Le 14 juillet, une centaine d'amérindiens Nasa-Paez rejoignent le sommet des Torres, au-dessus de Toribio, au lieu dit, El Berlin ou se tient un fortin militaire.

La résistance indigène dans le Cauca

En s’en prenant à la force publique, les autorités Nasa et aussi le CRIC vont pouvoir ainsi exprimer leur exaspération en demandant aux militaires de l’armée nationale de quitter les lieux. Une idée qu’ils expliquent à qui veut les entendre depuis un an. Six hommes en uniforme seront délogés de leurs postes à El Berlin. Il en est de même pour les FARC prenant la région de Toribio pour cible de nouveau et depuis plusieurs mois. Suite à diverses actions des Nasa du 14 juillet au 18 juillet, l’on dénombrera 4 militaires des FARC et 30 soldats retenus de l’armée nationale par la seule force des poignés par les populations résistantes du coin. Suite à ces actes de résistance quatre manifestants, trois amérindiens et un métis ont été assignés le 20 juillet devant la justice pour lien avec les FARC. Ce malgré la protestation d’un chef Nasa condamnant cet amalgame, quand sur les quelques jours d’échauffourées, il sera dénombré zéro blessé parmi les forces de l’ordre.

Ce que les Amérindiens de Colombie veulent faire entendre, dont 3.000 d’entre eux se sont mobilisés et ont manifesté durant ces jours derniers, c’est qu’ils ne veulent plus d’armes sur leurs territoires. Symboliquement les armes saisies sont enterrées et mélangées à du sel pour qu’elles ne fassent plus usages. « Les Indiens (Nasa) exigent le départ de ceux qu’ils désignent dans leur langue comme « les hommes portant le fer ». Depuis le début de cette année, le village de Toribio a été visé une quinzaine de fois par les explosifs des FARC, 2.500 personnes ont fui les combats le week-end dernier dans la région.» (Source du journal la Croix). Il est rarement fait mentions des amérindiens Nasa-Paez. Ils rassemblent une population de 120.000 personnes dans le Cauca. En 2005, la communauté des Nasa-Paez avaient eu à faire avec les FARC, et elle s’était retrouvé entre deux feux suite à la venue de militaires envoyés par Bogota, tout en manifestant de leur côté avec des drapeaux blancs pour la paix. Depuis ils ont toujours cherché à mettre à distance les armes préférant leur bâton de parole ou d’autorité (2).

Le prix du sang et des larmes


Finalement, une fois de plus les populations locales payent le prix du sang, à signaler deux morts dont un jeune manifestant de vingt ans et il a été a recensé 32 blessés au sein des populations autochtones, notamment avec les forces spéciales de l’ESMAD, et en moins de 3 semaines près de 9000 personnes ont dû se déplacer en raison de l’intensification du conflit. Sur le terrain des voix se sont élevées pour demander le retrait de toutes les forces militaires, notamment le CRIC (Conseil Représentatif  des Indigènes du Cauca). Qui a tout mis en œuvre pour qu’un dialogue soit enfin ouvert et en dehors de tout artifice médiatique. Le constat est que si l’on veut la paix, il serait peut-être temps de faire taire toutes les armes. Sinon le massacre continuera silencieusement son œuvre et loin du regard des médias et de l’état central. Quand en Colombie, ils n’agissent pas pour brouiller les cartes et servir une propagande assez classique.

Au titre des exactions, les populations originaires du Cauca subissent à la fois les FARC, les paramilitaires d’extrêmes droites et l’armée nationale, car plus on concentre de forces et plus les violences augmentent, sans parler des effets du trafic de drogue (source de financement de tous les paramilitaires). Quand les locaux se mobilisent, c’est-à-dire le plus généralement des petits paysans, ils le font les mains nues ou avec des  bâtons (de parole), ce qui aux dires des autorités nationales ressemble à des actes terroristes. Et cet argument de terrorisme renvoyé à leur face est une vieille ritournelle, que le pouvoir a abusé jusqu’à la corde, pour vouloir faire passer de modestes paysans pour une bande de terroristes en puissance. Or, il n’en est rien, surtout quand on tente d’amalgamer des mouvements de résistances pacifiques et sociaux à la guérilla des FARC.

En 2008 les manifestations pacifiques parties du Cauca et à l’appel du CRIC et de son porte-parole Madame Aida Quilcue avaient été la cause au sein des manifestants de nombreux blessés par armes à feu et d’une  bonne dizaine de morts ayant succombés à des impacts divers comme des grenades, des balles, ou objets catapultés avec de la grenaille et provenant des membres de la bien connue ESMAD. Toutefois s’organisa une Minga d’un type spécifique, consistant à ressembler les forces vives du Cauca, tous mouvements sociaux confondus. Plusieurs milliers de personnes se rendirent du Cauca à Bogota sur le chemin de la parole et ainsi manifester les souffrances des populations indigènes colombiennes. Il s’en était suivi peu de temps après l’assassinat de l’époux d’Aida Quilcue, porte-parole du CRIC, en des raisons criminelles qui jusqu’à présent n’ont pas été élucidées. 

La Colombie dans la tourmente

« À ces phénomènes subtils, clefs dans la solution d'une guerre de tant d'années, peu d'attention est prêtée aux stratégies militaires ou concernant l'investissement appliqué au pied de la lettre (…). La meilleure preuve de cela est le voyage présidentiel : malgré ses annonces, Juan Manuel Santos n'a pas réussi à dialoguer avec les indigènes. Il n'est pas le premier président de passage. En attendant cela ne change pas, la guerre sans fin du Cauca va continuer. » (Source la conclusion de l’édito sur « la Guerre sans fin dans le Cauca » par  l’hebdomadaire colombien SEMANA). Entre les intérêts d’un état qui ne pensent qu’investissements pour bonne part financiers au détriment des vivants, et des bandes armées rompues à toutes les manipulations agissant autour du trafic de drogue, comment est-il possible de faire entendre des voix franchement divergentes ? Qui plus est des paroles de paix ?

C’est toute la problématique que posent les mouvements sociaux Amérindiens en Colombie, bien qu’ils soient minoritaires à l’échelle du pays, et considérés comme la dernière roue du carrosse à bien des égards, quand on ne parle pas d’ignares ou d’attardés mentaux. Le CRIC est une organisation sociale importante, de plus elle nous évite l’analyse incontournable de la politique en Colombie sous le feu des camps adverses en présence. Les seuls dangers notables pour l’existence de tous en Colombie sont les hommes en arme. Une occasion d’écrire et faire part aussi des communautés de paix qui résistant sans arme sur le territoire colombien font de leur possible pour éloigner le tir des canons. Et l’occasion d’informer sur les conséquences que le conflit a en plusieurs points du pays.

Nous débutions l’année 2012 sur des augures de paix (3), nous voilà de nouveau confronté à la triste réalité colombienne. A noter que quelques de plumes francophones ont permis de mieux comprendre ce qui se passe là-bas ces derniers temps, peu à peu certains journalistes prennent conscience, que la guerre fait appel à un traitement propre, ce qui n’est pas vraiment le cas de la presse française ou francophone pour la Colombie, qui souvent use de l’AFP, sans mettre en relief les vrais problèmes, pour ne pas dire le sordide de la chose. Les déclarations du journaliste français Roméo Langlois (31 mai 2012) à la fin de sa capture aux mains des FARC déclarait à la presse colombienne que, le plus en danger n’était pas lui, mais ce qu’il allait advenir des civils colombiens à ses côtés, montrant aux caméras le visage de ceux qui l’accueillerent à sa libération avec le souriant visage de ce pays. Et vous êtes invités à lire le témoignage d’une journaliste Belge, après les notes de bas de page.


Un bal macabre sans fin ?


C’est ouvert le 20 juillet ce qui ressemble à un début de dialogue entre l’état central et les représentants autochtones du Cauca. Enfin, même si Juan Manuel Santos a rappelé qu’il ne bougerait en aucun cas les positions de ses troupes, le dialogue est toujours la meilleure des thérapies en temps de guerre. « L'objectif est de "porter la voix du mouvement indigène auprès du gouvernement", afin d'envisager une table ronde avec le gouvernement la semaine prochaine, a indiqué à la presse Feliciano Valencia, l'un des chefs indiens. Ce dialogue s'effectue notamment en présence du coordinateur de l'ONU en Colombie, Bruno Moro, qui se trouve depuis mercredi dans le Cauca, a précisé à l'AFP un porte-parole de l'institution internationale. Les militants indigènes ont notamment fixé comme condition au gouvernement qu'il renonce à toute poursuite contre les manifestants. » (Agence France Presse)

Ce bras de fer qui se joue entre Bogota et les paysans amérindiens, noirs et métis du Cauca est une affaire à prendre avec sérieux. Bogota connaît les capacités de mobilisations du CRIC et à tout intérêt à construire un dialogue. Ce sont les lois du pays qui l’imposent, et ce de manière constitutionnelle depuis 1991. Si le président Santos tient à se démarquer de son prédécesseur, lui voilà une occasion de montrer que le temps d’Alvaro Uribe est bien fini, et que le seul bruit de ses casseroles devrait amener l'ancien président à se faire tout petit et discret. Une fois de plus, la paix est dans l’esprit du plus grand nombre en Colombie, mais les agités de la gâchette et de la peur vont continuer à sévir. Et, rien vraiment ne prépare à clore ce bal très macabre, ou le décompte des victimes est sans fin comme la guerre.


Notes :


(1) Deux Vidéos sur Pantuana TV sur le Cauca et la Minga de 2008.

(2) Le bâton de Parole ou d’autorité est un objet rituel des amérindiens en Colombie, il signifie que celui qui le prend à quelque chose à dire et demandant écoute, attention et respect. Il invite à préparer son intervention, à faire l’effort de conscientisation, de clarification. Il n’autorise pas à parler sur l’autre, il autorise seulement à parler de soi dans le registre du témoignage d’une idée, d’un ressenti, d’un fait, d’un sentiment, ou d’une croyance

(3) Lire sur ce site l'article "Une perpective de Paix en Colombie (et le paramilitarisme d'extrême droite) ?" de 2012.

(4) « Témoignage de Laurence Mazure », correspondante pour La Libre.be (Belgique)., ci-après


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et ne peut être diffuser sans autorisation


L’urgente nécessité de couvrir la guerre en Colombie




par Laurence Mazure, juin 2012

« Il faut espérer qu’il y ait des journalistes qui aillent aussi avec la guérilla pour montrer un peu ce que les combattants ont à dire, parce que ce conflit-là n’est pas couvert" : ces paroles de Roméo Langlois, prononcées le 30 mai au moment de sa libération après 32 jours passés aux mains des FARC, nous rappellent ce qui devrait être la base normale de notre travail. Or ce n’est pas le cas, comme j’ai pu le constater au cours des dernières années, en tant que correspondante de La Libre en Colombie.

Déjà, il faut rappeler que ce conflit armé qui ravage depuis plusieurs décennies la Colombie et déstabilise sa région, ne se réduit pas aux seules forces de sécurité gouvernementales d’un côté, et aux FARC de l’autre. Les armées paramilitaires et aujourd’hui néo-paramilitaires, les groupes mafieux dédiés au contrôle de la chaîne de production et de vente de la drogue (cocaïne, mais aussi héroïne, avec l’explosion des cultures de pavots), les alliances ad hoc des uns avec les autres, y compris dans le cas des forces de sécurité, les stratégies de survie de populations rurales abandonnées de l’Etat et utilisées par tous les acteurs du conflit, multiplient les visages d’une guerre dont il est impossible de parler en termes simplistes, comme le voudrait le traitement rapide et "people" qui tend à prédominer dans l’information.

La couverture des actions de guerre qui se déroulent journellement dans le pays requiert de pouvoir passer d’un groupe à l’autre. Mais le degré de stigmatisation des très rares journalistes comme Jorge Enrique Botero, qui ont couvert le conflit à partir des rangs de la guérilla, est difficilement imaginable : menaces de mort, insultes et absence totale de solidarité de la part des journalistes des grands médias locaux proches de l’establishment qui, le plus souvent, ne traitent le conflit qu’à partir du discours officiel du gouvernement et de l’armée. Ceux qui remettent en question ce point de vue unilatéral sont assimilés à la guérilla : la suspicion est jetée sur eux au travers de la sempiternelle question "qu’est-ce que vous faisiez là ?", alors que le terrain est là où notre métier exige que nous nous trouvions. Le lynchage médiatique de Langlois par les tweets de l’ex-président Uribe, les insultes et propos haineux à son égard par les lecteurs des plus grands quotidiens colombiens, encore en ligne aujourd’hui, témoignent d’une hostilité bien organisée qui n’a pas alarmé les modérateurs des publications concernées.

L’autre approche du conflit porte sur les violations des droits humains et des conventions de Genève. Là aussi, le travail se fait en se rendant sur l’incontournable terrain pour parler avec les familles des victimes de disparitions forcées, exécutions sommaires, tortures, ainsi que les personnes sujettes au déplacement forcé. Hollman Morris est un journaliste colombien qui a assumé cette approche, et ce, au prix de menaces de mort et persécutions contre lui et sa famille, émanant, entre autres, des services secrets colombiens (1). Cette situation vient d’une scission profonde : d’un côté, les grands groupes médiatiques et des journalistes, locaux et parfois étrangers, qui reprennent le discours officiel et passent sous silence tout ce qui ne s’inscrit pas dans cette vision. De l’autre, les nombreux médias communautaires et alternatifs qui, dans les villes comme dans les zones rurales, sont ceux qui connaissent le mieux le conflit économique, social et armé, et aident les journalistes indépendants, locaux ou étrangers, à accéder à ce fameux terrain.

En Colombie, que ce soit auprès des victimes, avec les troupes régulières, ou celles de la guérilla, l’exigence de notre travail de journaliste reste la même : rendre visible ce que la guerre cherche à maintenir dans l’ombre.

(1) La Libre a suivi les différentes tentatives de censure et judiciarisation exercées contre ce journaliste au cours des années 2009/2010 durant le mandat de l’ex-président Uribe. »





“LES ONDES CONTRE LES BALLES” :
LES RADIOS INDIGÈNES DU CAUCA en Colombie




par Reporters Sans Frontières, le 10 AOÛT 2012

Après celles de 2004 et 2008, la troisième Minga – mobilisation - des peuples indigènes de Colombie est convoquée ce 10 août 2012 sous le mot d’ordre : “Pour la défense de la Terre Mère, 520 ans de résistance”. Reporters sans frontières a choisi cette date pour rendre publics le compte-rendu et le film de la mission conduite dans le département du Cauca à la fin du mois de juillet dernier par la correspondante colombienne de l’organisation, Fabiola León Posada, et le documentariste italien Simone Bruno.

Reçue une première fois, en 2010, par les représentants des radios communautaires affiliées au Conseil régional indigène du Cauca (CRIC), Reporters sans frontières a voulu manifester une vigilance particulière vis-à-vis de ces dernières, alors que les combats entre l’armée et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie ont repris en intensité depuis juillet dernier.

Vecteurs cruciaux de cohésion d’une population et de transmission d’une culture, les radios communautaires constituent également un gage contre l’isolement de populations prises dans les feux croisés d’un interminable conflit armé, et stigmatisées des deux côtés de la ligne de front. Deux de ces radios – Voces de Nuestra Tierra à Jambaló et Nasa Estéreo à Toribío – ont dû récemment suspendre leurs activités. La première a vu son antenne détruite, le 3 juillet. Ses journalistes et animateurs nous ont apporté leur témoignage au cours de la mission.

Loin d’être des victimes “collatérales” des belligérants, les populations indigènes en sont des cibles désignées. La menace vient tout autant d’une armée qui les soupçonne de “collusions avec la guérilla”, que de la guérilla qui voient en elles des “collaborateurs de l’État”. Ce climat s’est encore alourdi avec les nouveaux avertissements de groupes paramilitaires, les Aigles Noirs et les Rastrojos, qui ont promis, le 28 juillet dernier, un vaste “nettoyage social” [sic] dans la région du Nord Cauca. Ces mercenaires de la terreur pourraient être les auteurs de l’assassinat sous les yeux de sa famille, le 14 octobre 2010, du leader communautaire et homme de radio Rodolfo Maya Aricape, crime resté impuni à ce jour.

Dans le contexte de recrudescence des affrontements constatés dans le département du Cauca et affectant directement l’espace de communication des populations indigènes, Reporters sans frontières continue de réclamer :

Une aide publique et internationale - à laquelle elle compte prendre part dans la mesure de ses moyens - à la reconstruction des médias communautaires affectés par les combats.

La sécurisation des espaces de communication et de rassemblement dont doivent disposer les communautés.


Le cessez-le-feu et la protection des populations civiles à l’écart des combats.

Résumé du rapport


Dans son rapport (version intégrale à lire en espagnol), Reporters sans frontières revient sur les manœuvres d’intimidation, attentats et sabotages qui ont particulièrement affecté le milieu des radios communautaires. Ce document tente également de restituer le processus de consolidation des réseaux de communication indigènes de cette région, à mesure que le conflit armé y a gagné en intensité.

C’est en 1971 qu’est institué le CRIC, autour duquel se fédèrent différentes instances représentant les peuples Nasa, Misak, Yanacona, Totoró, Kokonuco et certains groupes paysans. La population indigène du département est aujourd’hui estimée à plus de 250 000 personnes réparties entre 77 communautés locales nommées resguardos. L’essor des radios communautaires prend racine avec le projet Nasa, initié en 1980 par le prêtre indigène Alvaro Ulcué, assassiné le 10 novembre 1984 selon toute vraisemblance par des agents de l’État. Le projet s’articule autour de quatre thèmes centraux : l’autonomie territoriale, l’exercice d’un gouvernement local, la consolidation de l’identité, le vide de gouvernement national. Plusieurs initiatives locales, portant sur les domaines de la santé, de l’environnement, de la famille, de la spiritualité ou encore de l’éducation (qui inclut elle-même la communication) voient alors le jour dans le sillage du projet Nasa

C’est à cette même époque que la guérilla, depuis longtemps présente, remporte une offensive à Toribío. Malgré la résolution de Vitoncó, en 1985, réclamant la démilitarisation des territoires indigènes, cet épisode marque le déclenchement d’une violence sans issue dans le département du Cauca, qui prend encore de l’ampleur dans les années 2000 avec l’implantation des blocs paramilitaires “Calima”, “Farallones” et “Liberté”, issus des Autodéfenses unies de Colombie (AUC).

Malgré le danger devenu permanent, les interruptions d’activité, les confiscations régulières d’équipement et les difficultés économiques, les radios communautaires deviennent avec le temps le lieu stratégique de mobilisation dans les resguardos. Comme nous l’expliquent leurs représentants rencontrés lors de la mission, elles accompagnent et relaient tous les “plans de vie des communautés, donnent de l’écho aux mingas locales - dont celles des femmes ou des jeunes – et constituent un support indispensable d’expression collective lors des assemblées communautaires. Les antennes indigènes du Cauca n’en continuent pas moins de porter des revendications politiques de longue date et de longue haleine qui expliquent qu’elles représentent, pour les belligérants, des cibles militaires prioritaires.

Les affrontements armés du mois de juillet ont ramené au premier plan le mot d’ordre d’autonomie régionale. Les communautés l’ont notamment manifesté lorsque leur garde indigène est parvenue à déloger des soldats en faction sur le Cerro Berlín, à Toribío, le 17 juillet. La confrontation a fait 22 blessés. Mais la préoccupation des populations indigènes porte également sur la couverture donnée à l’événement par les principaux médias du pays. Condamnant un traitement biaisé et défavorable aux communautés, le CRIC a adressé, le 26 juillet, une lettre ouverte à dix-sept directeurs de chaînes, radios ou publications d’audience nationale. Le courrier attend sa réponse. Comme l’offre de dialogue auprès du gouvernement.

 
Source : Reporters Sans Frontières http://fr.rsf.org/




Pérou : « Non au projet minier Conga ! »
& Lettre au Président Humala



par Hugo Blanco, le 5 juillet 2012


La campagne « Non au projet minier Conga ! » a été lancée en France à l’issue de la réunion-débat « Conga no va ! - Agua si, oro no ! » réalisée le 10 février 2012 à la Maison de l’Amérique Latine à Paris. Les associations organisatrices de la réunion – Casa de Santa Fe en Paris, Tierra y Libertad, Colectivo de Peruanos en Francia et France Amérique Latine.

L’entreprise minière Yanacocha dont les propriétaires majoritaires sont NEWMONT MINNING et BUENAVENTURA prévoit avec son projet CONGA la destruction de 5 lacs de la zone alto-andine de CONGA située à plus de 3500 mètres d’altitude dans le département de Cajamarca au nord du Pérou. Deux des lacs seront vidés pour extraire l’or et deux seront vidés pour être utilisés comme réservoir des déchets miniers. Cela va affecter l’écosystème fragile de bofedales, zone de pâturages humides qui absorbent l’eau et nourrissent les nappes phréatiques et sont sources de dizaines de rivières qui irriguent les riches vallées de Cajamarca. En effet, Cajamarca est le premier département producteur de lait du pays. En plus, l’eau sera polluée par les déchets miniers pour la consommation humaine et du bétail.

Yanacocha a déjà un lourd passif dans la région de Cajamarca et le projet Conga ne fait que menacer une fois de plus les populations de Cajamarca. En 2000, du mercure (tombé d’un camion) a été déversé sur une longueur de 40 km, en polluant le village de Choropampa : ses habitants continuent aujourd’hui encore à mourir des conséquences de l’absorption du minerai.

Le peuple de Cajamarca s’est soulevé en novembre dernier contre le projet et la réponse du gouvernement a été de promulguer l’état d’urgence. Du jamais vu depuis 30 ans ! Des paysans ont été blessés et l’un d’eux reste paralysé à vie.

Sous la pression, le gouvernement a levé l’état d’urgence mais veut faire passer son projet en faisant appel. Des ordonnances provinciale et régionale ont déclaré non viables les Mines Conga, nous demandons le respect de ces ordonnances par le gouvernement de Ollanta Humala et de son premier ministre Valdez (NDR - Valdez n'est plus 1er Ministre), son homme fort.

Nous réclamons un processus de zonification écologique et économique régional. Nous dénonçons la répression et la criminalisation de la protestation sociale qui prétend taire les justes réclamations de nos peuples et nie la persécution dont font l’objet les dirigeants et défenseurs de l’environnement qui, en risquant leurs vies, défendent nos eaux. Sous la pression, le gouvernement a levé l’état d’urgence mais veut faire passer son projet en faisant appel à des « experts étrangers » qui devraient rendre le projet « viable ». Et ce malgré la glorieuse Marcha del Agua du 1er au 10 février 2012 où des milliers de Péruviens ont manifesté leur rejet dudit projet.

L’eau est un droit de l’homme fondamental

La législation actuelle de l’Etat péruvien ne reconnaît pas l’eau potable et son traitement comme un droit de l’homme. Le Congrès de la République doit modifier la Constitution en vue de permettre que l’eau potable et son assainissement soient reconnus comme un droit de l’homme fondamental comme stipulé par la résolution de l’ONU du 28 juillet 2010 et que l’approvisionnement de l’eau ne soit pas privatisé.

Interdiction de l’activité minière à base de cyanure et de mercure


Le cyanure est une des substances toxiques les plus dangereuses au monde et c’est pour cette raison que dans de nombreux pays son usage a été interdit ou très strictement encadré. En revanche au Pérou, le cyanure est la principale substance utilisée par le secteur minier aurifère qui se vend comme une industrie « responsable ». Les crimes écologiques liés à l’emploi de cyanure et de mercure dans l’activité minière doivent cesser une fois pour toutes !

Monsieur le Président de la République du Pérou,


Par la présente, je m’adresse à vous pour vous manifester ma plus grande préoccupation en ce qui concerne les évènements autour du projet CONGA et à la réponse militarisée que vous avez donnée à la population de Cajamarca qui s’oppose à ce projet.

Pendant votre campagne électorale, Monsieur le Président, vous aviez affirmé vouloir respecter le droit à l’eau de la population de Cajamarca avec votre appel « Eau oui, or non ». Mais, après votre élection, vous avez changé d’opinion pour « nous voulons l’or et l’eau » . Avec tous mes respects, je voudrais vous faire part de deux réflexions à ce sujet.

En premier lieu, qui sont représentés par le « nous voulons » ? Certainement pas la population de Cajamarca et tous les Péruviens réunis lors de la Marche pour l’Eau ce mois de février contre le projet CONGA. Vous avez certainement fait référence aux actionnaires et aux propriétaires de l’entreprise YANACOCHA et à tous ceux qui bénéficient de l’exploitation de l’or à Cajamarca ainsi que les politiciens et médias qui en profitent.

Imposer par la force au peuple ce qu’il ne veut pas c’est ne pas respecter la démocratie et vous, Monsieur Ollanta Humala, vous avez été élu démocratiquement avec la promesse de réviser les concessions minières. L’accomplissement de votre programme gouvernemental est ce qui octroie la légitimité à votre mandat.

Croyez-vous vraiment que dans l’exploitation minière il est possible d’avoir l’eau et l’or?


L’expérience démontre que le seul résultat de cette combinaison, c’est OR ET EAU POLLUÉE.

Prétendre financer votre programme d’inclusion sociale avec les revenus issus de l’exploitation minière est ignorer les conséquences irréversibles qu’elle provoque : un seul exemple suffit pour illustrer la pollution de l’eau, de l’air, des sols, des dommages causés à la biodiversité, des atteintes à l’environnement, et des maladies provoquées par l’utilisation de produits hautement toxiques comme le cyanure et le mercure, c’est le malheur arrivé à Choropampa en 2000. La population de Choropampa continue de mourir des conséquences de cette pollution.

Tout Cajamarca a manifesté son désaccord et le gouvernement régional a même émis une ordonnance 036 déclarant le projet non viable. Même votre nouveau EIA, ordonné juste pour faire diversion, qui ne respecte nullement l’application de l’article 169 de l’OIT souscrit par votre gouvernement, ne pourra faire fléchir la population de Cajamarca dans son désir du droit à l’eau.

Je vous demande :


– de respecter l’ordonnance régionale 036 qui exprime la volonté du peuple qui vous a élu ;

– de mettre fin à la répression et à la militarisation de la région de Cajamarca ;

– de mettre fin au projet CONGA.

Enfin, je vous demande de respecter la vie. Partout dans le monde, des personnes comme moi restons en alerte et élevons nos voix pour la défense de l’eau.

Source : Presse toi à gauche




La Chine propose une alliance
stratégique au Mercosur

Un dragon dans l’arrière cour



par Raúl Zibechi (*), le 4 juillet 2012

La crise politique au Paraguay et ses répercussions sur la région ont relégué la visite du Premier ministre chinois, Wen Jiabao et la démission du principal poste du Mercosur, à un plan second du calendrier des informations. La Chine a montré qu’elle est disposée à jouer vraiment y compris dans la principale zone d’influence des États-Unis.

Les polémiques à la suite du coup d’Etat au Paraguay, la suspension de ce pays au sein du Mercosur et l’entrée du Venezuela dans celui-ci, n’arrivent pas à dissimuler les difficultés du bloc, touché par les conséquences de la crise mondiale et par l’ascension de la Chine comme puissance globale. L’alliance est paralysée parce que ce qui convient aux uns nuit aux autres.

Expression des difficultés, la démission de l’ambassadeur Samuel Pinheiro Guimarães, Haut Représentant Général du Mercosur, lors du récent sommet de Mendoza. Dans sa lettre d’adieu il trace une analyse lucide de la réalité actuelle du bloc.

Il souligne que la crise économique en Europe et aux États-Unis et l’ascension de la Chine génèrent un énorme flux de capitaux vers le sud qui « érode les liens commerciaux intra-Mercosur, qui sont le principal ciment du processus d’intégration ». La désindustrialisation, souligne-t-il, est l’une des pires conséquences et doit être affrontée en utilisant les ressources de l’exportation de matières pemières.

Une expansion graduelle

Dans l’un des paragraphes les plus polémiques, Pinheiro assure que l’Unasur « ne peut pas être la pierre angulaire de la construction du bloc économique de l’Amérique du Sud » parce que le Chili, la Colombie et le Pérou ont signé des traités de libre-échange avec les États-Unis ce qui empêche la construction de politiques régionales de promotion du développement.

C’est pourquoi il croit que le bloc régional doit être formé « à partir de l’expansion graduelle du Mercosur », en incluant le Venezuela, l’Équateur, la Bolivie, le Suriname et la Guyana. Les derniers devront disposer de conditions spéciales d’admission à cause de leur faible niveau de développement et l’intérêt politique qu’ils ont pour la région.

Pour avancer, dit l’ambassadeur, le bloc doit augmenter d’une façon significative la coordination politique et la coopération économique. « La caractéristique centrale du Mercosur sont les asymétries » qui provoquent des tensions politiques. Il parie sur un fort développement des ressources du Fonds pour la Convergence Structurelle pour favoriser les plus petits, qui dispose aujourd’hui d’à peine 100 millions de dollars par an.

Sans doute le moment le plus lumineux de sa lettre est-il le paragraphe 34 : « Dans un monde multipolaire, en crise, avec de grands changements de pouvoir, il n’est de l’intérêt d’aucun bloc ou d’aucune grande puissance la constitution ou le renforcement d’un nouveau bloc d’ États, spécialement s’ils sont périphériques. Toute grande puissance considère plus convenable de négocier des accords avec les États isolés, spécialement si ce sont des pays sous-développés, plus faibles économiques et politiquement ».

Seuls les membres du Mercosur s’intéressent à ce bloc. Cependant, quand il fut créé en 1991 il n’a pas été conçu comme un organisme pour appuyer le développement mais comme une union douanière pour promouvoir le libre-échange. La proposition de Pinheiro est qu’il devienne capable d’encourager un développement régional harmonieux et équilibré, en éliminant les asymétries et en construisant une législation commune de manière graduelle.

Ce virage est nécessaire parce que les réponses des pays industrialisés à la crise sont « une vraie suspension, dans la pratique, des accords de l’OMC négociés à l’époque de l’hégémonie de la pensée néolibérale ». Si le Mercosur ne donne pas le pas, « il pourra survivre mais toujours d’une manière claudicante et il ne se transformera pas en bloc de pays capable de défendre et de promouvoir ses intérêts dans ce nouveau monde qui surgira des crises que nous vivons ». Le diagnostic fait par l’un des intellectuels les plus remarquables du Brésil pointe que le monde est entré dans une période de protectionnisme croissant, d’où la nécessité de former des blocs avec un fort commerce intérieur.

La Chine s’anime


Wen Jiabao, Premier ministre chinois, visitait la région quand s’est produit le coup d’Etat au Paraguay. Le moment fort de sa visite au Brésil, en Uruguay et en Argentine, fut la vidéoconférence qu’il a tenue depuis Buenos Aires lundi 25 juin avec Dilma Rousseff, Cristina Fernández et José Mujica.

Selon l’agence chinoise Xinhua le Premier ministre a fait trois propositions : renforcer la confiance mutuelle et la communication stratégique avec le Mercosur, doubler le commerce pour 2016 en le portant à 200 milliards de dollars, en plus des investissements et de la coopération financière et technologique, et de promouvoir les relations bilatérales dans le domaine de l’éducation et la culture (Xinghua, le 25 juin 2012).

La proposition de Wen Jiabao fut interprétée par ses interlocuteurs comme ce qu’elle est réellement : une vaste alliance stratégique qui inclut aussi un traité de libre-échange Chine-Mercosur. À souligner qu’on a profité que le Paraguay était suspendu du Mercosur, puisqu’il n’a pas de relations avec la Chine. Deux jours après il a fait une conférence importante devant la CEPAL, à Santiago du Chili.

Sa proposition dirigée vers l’Amérique Latine et les Caraïbes revient « à combattre le protectionnisme », « approfondir la coopération stratégique » et ouvrir de nouveaux marchés avec l’objectif que le commerce bilatéral « dépasse les 400 milliards de dollars dans les cinq années à venir » (Xinghua, le 26 juin 2012). Il a proposé la création d’un fond de coopération auquel la Chine fera un apport initial de 5 milliards de dollars et une ligne de crédit de 10 milliards de la banque de Développement de la Chine pour la construction d’infrastructures.

De plus, il a proposé une vaste coopération agricole et établir un mécanisme de réserve alimentaire d’urgence de 500 000 tonnes destinée à des contingences naturelles et à l’aide alimentaire, y compris l’installation de centres de recherche et de développement en sciences et technologies agricoles.

L’offre chinoise semble tentante dans un moment où le Mercosur traverse d’énormes difficultés. La CEPAL a élaboré un document intitulé « Dialogue et coopération face aux nouveaux défis globaux » où il analyse les possibilités qui sont ouvertes à la région devant l’ascension chinoise. Alicia Bárcenas, secrétaire exécutive de CEPAL, a souligné lors de l’introduction que la région est face à une occasion historique de faire un saut en infrastructure, innovation et les ressources humaines, c’est-à-dire de « traduire la rente des ressources naturelles dans des formes variées de capital humain, physique et institutionnel ».

Pour sauter ce pas il faut attirer l’investissement direct de la Chine qui lui permet de diversifier les exportations. Des 40 alinéas qu’inclut le document, l’un devrait être spécialement soigné par les pays d’Amérique du Sud : vers 2030 deux tiers de la population de classe moyenne vivra dans la région Asie-Pacifique face à 21 % seulement en Europe et en Amérique du Nord.

En conséquence, la classe moyenne asiatique se transformera en « un marché clef pour les aliments, les confections de plus grande qualité, le tourisme, les médicaments, les services médicaux, Commerce du détail et articles de luxe », ce qui permettra que l’Amérique Latine se diversifie dans ses exportations et apporte sa valeur ajoutée. Et d’ajouter que l’internationalisation du renminbi [Cette devise, aussi appelée « yuan renminbi » (« renminbi » signifiant « monnaie du peuple » en chinois), est abrégée en RMB. Le yuan est la devise nationale de la République populaire de Chine.] peut faire du bien à la région puisque la Chine est devenue son deuxième associé commercial.

Pour un agenda régional

Dans les conclusions on souligne que l’ascension de la Chine permet à la région sudaméricaine de prolonger le cycle favorable de termes d’échange qui existe depuis 2003. « Si on ne profite pas bien du moment, on pourrait accentuer le processus de ralentissement des exportations, en établissant les modalités renouvelées du lien centre – périphérie ».

La CEPAL pointe la nécessité d’établir un « agenda régional ordonné de priorités », qui dépasse les initiatives unilatérales. C’est-à-dire que ce qui est décisif, ce qu’elle dénomme comme le « défi interne ». Sur ce point décisif, l’analyse de Samuel Pinheiro et de la CEPAL coïncident pleinement. Cependant, la guerre commerciale entre les membres du Mercosur continue d’être un facteur de déstabilisation.

Les divisions connaissent une escalade de l’économie jusqu’à la politique. L’admission du Venezuela décidée au sommet de Mendoza provoque des réactions opposées. C’est le type de problèmes auquel fait allusion Pinheiro : un manque de confiance mutuelle, dépourvu de vision stratégique, une prédominance des questions locales au dessus des règles générales et du court terme sur la longueur, l’incapacité de comprendre les changements globaux. En d’autres mots, c’est la prédominance de la « petite politique ». Ce qui est en jeu est trop important et pas tous semblent le comprendre.

(*) Raúl Zibechi est un journaliste uruguayen, enseignant et chercheur dans le Multiversidad Franciscana d’Amérique Latine, et le conseiller de plusieurs organismes sociaux.

Source : Traduction  d'Estelle et Carlos Debiasi




Le MERCOSUR suspend le Paraguay
et fait un grand pas vers l’intégration du cône sud

 

par Lionel Mesnard, le 30 juin 2012

La décision n’a pas tardé et tombe comme une condamnation franche du coup d’état «institutionnel» qui s’est produit lors de la destitution de Fernando Lugo la semaine dernière (1). En contrepartie, et ce n’est pas le fait du hasard la mise au placard des institutionnels ou diplomates Paraguayens ouvre la porte au Venezuela, et l’on ne peut que s’en réjouir, et espérons-le calmer les plumes vipérines ou stériles, qui voudraient faire passer le régime bolivarien pour une dictature, sans en saisir sa complexité et ses contradictions.

L’entrée du Venezuela comme membre à part entière est un grand pas vers l’intégration sociale, économique et politique du cône sud. Mais ce qui reste à construire va nécessiter une forte dynamique et au profit d’une meilleure redistribution économique et sociale, mais aussi de construire la troisième puissance économique mondiale après les Etats-Unis et l’Europe. C’est un rêve à la « Simon Bolivar », mais qui n’a rien de très romantique.

Pour précisions, il existe plusieurs institutions ou d’accords interétatiques subcontinentaux. L’UNASUR (L'Union des nations sud-américaines), L’ALBA (L’alliance Bolivarienne des Amériques), Le CELAC depuis peu (la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes), plus le Mercosur (Le Marché commun du Sud) dont certains de ses aspects ont pas mal de liens avec ce que fut le Marché Commun Européen. Ces quatre institutions cadrent bien avec le devenir d’une intégration régionale qui peut s’avérer prometteuse. Mais on peut parler d’un trop plein institutionnel pouvant embrouiller un peu les cartes et nuire à l’unité et aux rapprochements des peuples en une marche commune. Et si barrières il y aura elles seront surtout étatiques et en raison de querelles anciennes.

L’on voit bien que se dessine en Amérique du Sud deux lignes économiques et politiques, l’une se tournant vers le marché pacifique, à l’exemple de l’accord économique récent entre le Pérou, le Mexique, la Colombie et le Chili (l’Alliance Pacifique). Mais ne changeant en rien la donne ou le capitalisme sauvage domine. Le néo-libéralisme continu son champ de dévastation écologique et social avec l’appui des multinationales et des oligarchies locales. Faire la liste des conflits sociaux miniers ou agricoles en Amérique du Sud et Centrale, ce sujet reviendrait à écrire un texte sans fin, pas un pays n’est épargné, en clair le pillage continu.

De l’autre versant se dessine une union économique et politique, le MERCOSUR ou la ou les gauches dominent, et, à tout loisir maintenant d’intégrer d’autres nations latino-américaines. Et surtout de ne pas oublier sa construction politique, à moins qu’à moyen terme, cela ne se heurte à des impasses comme nous le connaissons en Europe. Mais les membres du MERCOSUR ne sont pas exemptés de critiques. Les méthodes ne sont pas toujours reluisantes et elles ressemblent pour beaucoup à l'organisation mondiale économique dominante.


Grande ombre au tableau, qu’est devenue la CAN ?

La Communauté Andine des Nations est un organisme interrégional entre l’Europe et les pays de la Cordillère des Andes ? Le machin s’est réduit comme une peau de chagrin, le Chili puis le Venezuela ont quitté les instances de la CAN, et pour mise à mort l’Equateur et la Bolivie n’ont pas voulu de cet accord de libre échange commercial néo-libéral, et que s’apprête à signer l’UE avec la Colombie et le Pérou prochainement. Et dont certaines associations en France ont maintes fois dénoncé ces contrats tronqués et contraires à certains droits fondamentaux, et en plus en deçà des normes internationales. (2)

Il faut souligner concernant ces accords peu cités ou peu connu du grand public, ce que peut engendrer d’inquiétant une signature entre l’Union Européenne et la Colombie et le Pérou, d’une part, et d’autre part, un accord du même tonneau avec l’Amérique Centrale. Ces accords devraient aboutir dans les mois à venir et n’ils n’interpellent pas grand monde, pourtant i y a de sérieuses raisons d'avoir des doutes… (3)

Nous allons faire entrés un peu plus dans nos économies des circuits mafieux puissants, mais il semble que peu de gens sont conscients du problème. Faire entrée la Colombie de la sorte est un pari risqué, pour ne pas dire douteux, quand on sait la part importante des économies souterraines via ce pays. Il serait plus urgent en la matière de favoriser un accord de paix entre les camps armés en Colombie, plutôt que de joueur aux apprentis sorciers. Et aussi de prendre en compte l’échec des politiques menées contre les trafics de drogue. Vastes enjeux.

Vous l’aurez compris, il reste encore un long chemin à accomplir pour une intégration économique et politique du cône sud. Et ce qui a pu se passer au Paraguay est un révélateur. Deux coups d’état à trois ans d’intervalle, au Honduras puis au Paraguay, ils peuvent paraître anodins dans l’histoire d’un sous-continent qui a vécu tout ce que, le colonialisme, puis le fascisme d’inspiration européenne a pu faire naître comme souffrances et misères.


Retour et ratés de l’Histoire…


Seulement, il en va maintenant d’un nouveau cheminement historique et il faut le souhaiter des démocraties fortes et respectueuses des droits de tous et des plus faibles en particulier. Il faut dire non à des régimes ou des constitutions que l’on interprète comme une sentence, et pour seul but de faire chuter un homme ou un début de progrès.

La multinationale Monsanto de l’agro-buisness aurait un rôle dans la chute du président Lugo. Ce serait l’un des aspects souterrains ou sombres de cette destitution. Un petit rappel du genre ou la multinationale ITT a servi d’intermédiaire financier aux coups sanglants portés à la démocratie chilienne en 1973. Et l’on retrouve ce même genre de paradoxes dans le coup d’état militaire porté contre Manuel Zelaya en juin 2009.

A croire que la vie est une éternelle répétition. Sauf que l’économie qualifiée de durable et la préservation du patrimoine écologique, sont en l’état de belles paroles. Quand une transnationale fait atchoum, l’on voit les conséquences. Au lieu de regarder le monde à travers une simple lecture nationale des choses, il serait temps de regarder les réalités en face.

Penser le monde est à ce prix, et toute réponse dogmatique en ce domaine est une menace. Il n’y a pas à donner un lourd satisfecit à Chavez ou à Lula, ils se sont plutôt assigné un minimum d’exigence, mais rien de quoi faire bondir ou de croire en une révolution du possible. L’un et l’autre n’auront pas fait grand chose face à la tourmente écologique qui traversent leurs états.

L’Europe, elle n’ayant pas encore fait sa véritable intégration sociale et politique est encore un nain politique. Il ne faudrait croire que les entreprises françaises, espagnoles, allemandes, ou anglaises n’ont pas de responsabilités outre-atlantique, cette espèce prédatrice en contre lien avec l’émancipation des masses met en périls des régions entières de nord en sud du continent américain.


Quid des changements possibles ?

La vaste problématique du fameux socialisme du vingtième serait de transformer ou de réformer les outils économiques, mais cela mériterait de repenser l’économie, de l’adapter à nos besoins, non à une demande. Le qualitatif ne pèse pas lourd face au quantitatif, c’est en ce domaine des idées qu’une révolution reste à faire. Quand on en arrive à seulement 45 jours à l’échelle du monde de réserve alimentaire, tout induit à penser que des changements doivent se faire au plus vite. Le capitalisme néo-libéral est destructeur, c’est une machine à tuer.

Il est facile au nom de l’anti-impérialisme de dénoncer pour seul responsable les Etats-Unis, mais le Canada, l’Europe, « demain » la Chine, qu’on le veuille ou non, ils ne participent pas à un développement plus harmonieux, plus en lien avec les besoins locaux des sud américains et je ne mentionnerais pas les Africains... Mais nous pouvons prendre conscience que si tout devait se limiter à des ensembles économiques, demain nous paierions une dette que les futures générations devront payer à prix fort, que l’on soit au nord ou du sud de l’hémisphère.

Une critique du système économique, le capitalisme, ne se limite pas à une simple dénonciation de l’Empire ou de l’impérialisme. L’impérialisme est une continuité dans l’histoire de notre humanité. Cela n’a rien de nouveau, sauf à prendre en considération une nouvelle étape, avec de nouveaux acteurs comme l’Inde, ou surtout la montée en puissance des pays asiatiques, sans parler du Japon qui reste un acteur économique non négligeable. Il y a toutefois à douter sérieusement d’un monde multipolaire, dont les accents ressemblent à un désordre de plus, dont certaines facettes, notamment l’Iran et la Syrie font craindre de nouveaux conflits guerriers.

L’on explique que les Français sont les plus démoralisés au monde, ils peuvent avoir leurs raisons. Un excès de pessimisme est souvent plus lucide que de croire qu’un homme seul puisse tout régler. Mais quand la démocratie est assassinée comme au Honduras, l’on est amené à découvrir des chiffres alarmants. Depuis 2009 les atteintes aux droits de l’Homme ont littéralement explosé. Pour exemple, une des universités de la capitale a connu un nombre important d’assassinats d’étudiants pour des raisons politiques ou syndicales (un peu plus de 70 meurtres sur un seul campus en 2010). Beaucoup de journalistes ont eu mailles à partir avec les autorités et Reporters Sans Frontières a dénoncé le meurtre de plusieurs membres de la presse hondurienne depuis le coup de force (37 assassinats depuis 2009).

Les mesures qui ont été prises à l’encontre du Paraguay ne sont pas assorties d’un blocus économique comme l’a dit avec enthousiasme le Président Uruguayen José Mujico. Le but n’est pas de faire en plus payer la note aux Paraguayens et l’on ne peut qu’apprécier ce geste des membres du MERCOSUR. Hugo Chavez n’a pas caché sa joie, cela fait quelques années que son pays avait demandé son adhésion pleine et entière. C’est en route et l’on doit saluer ce pas important pour le cône sud.


Notes :

(1) Lire l’article  «Coup d’état institutionnel au Paraguay » à lire ci-après.

(2) Vidéos de Pantuana Tv, Accords commerciaux UE et Amérique Latine :
http://www.dailymotion.com/video/xjjt0d_accords-commerciaux-europe-amerique-latine_news

et entretien avec le Sénateur Robledo (Gauches alternatives - PDA – Colombie) :
http://www.dailymotion.com/video/x99cgs_entretien-avec-le-senateur-robledo_news

(3) Lire sur ce site, la page consacrée aux activités criminelles transnationales :
http://lionel.mesnard.free.fr/le%20site/Mafias-Monde.html

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Coup d’état institutionnel au Paraguay



Par Lionel Mesnard, le 24 juin 2012

Le président du Paraguay Lugo a été destitué de ses fonctions et il a été amené à partir au plus vite de son poste et de sa résidence. Une décision prise au terme de débats à minima devant les assemblées et en particulier le Sénat, dans sa majorité hostile au président déchu. Le président Fernando Lugo a été élu en 2008 avec 40 % des voix (1). Il mit fin à 61 ans de domination du Parti Colorado, son élection fut accueillie à l’époque comme un espoir. Le Paraguay fait rarement l’objet d’une information, pourtant ce pays connaît un contexte social et politique depuis longtemps difficile. Ce pays se classe dans les pays en Amérique Latine comme ayant une part importante de sa population dans la pauvreté. Des dizaines d’années sous le joug d’un pouvoir militarisé ont façonné un pays en prise à des inégalités lourdes, et comme partout ailleurs ou les trusts et les grands propriétaires terriens dominent, les luttes et les résistances sociales sont en proie à de nombreuses persécutions.

S’il n’est plus de bon ton de renverser un pouvoir politique démocratiquement élu en Amérique Latine, néanmoins il devient « constitutionnel » de renverser un président, légitimant ainsi le coup d’état institutionnel. Le dernier en date à avoir connu un coup d’état a été Hugo Chavez, le 11 avril 2002, comme un classique latino-américain du genre. Nous sommes entrés ou plus exactement nous faisons face à une apparente nouveauté. A première vue, il n’y a pas de lien direct, mais le sort de l’ancien président Hondurien Manuel Zelaya destitué le 28 juin 2009 (2) est dans un esprit similaire au Paraguay avec ce qui est arrivé au président Fernando Lugo en cette fin du mois de juin 2012. Sous l’apparente légitimité, l’on découvre souvent des raisons économiques et des choix politiques qui en disent long sur les intentions véritables. Le renversement du président Lugo pourrait passé inaperçu au fil des informations internationales, justement il y a matière à réflexion et à faire part de l’indigne.

Dans les deux cas, en juin 2009 ou juin 2012, c’est au nom des institutions que l’on autorise le renversement d’un élu encombrant. Certes en l’état, le départ précipité de Fernando Lugo s’est fait dans des formes plus civiles, mais au final, on balaie d’un trait de plume un président légitime et à rebrousse poil avec son ancienne majorité politique. Manuel Zelaya, élu du centre droit a payé son choix pour une intégration régionale hors des critères de Washington et de mieux répartir les richesses dans son pays, et l’élu de gauche, Fernando Lugo à son tour est l’objet d’une mesure, dont on peut douter de la légitimité et qui s’apparente bien à un coup d’état. Cinq heures de débat clef en main pour voter la destitution, cela fait un peu maigre comme débat démocratique. « Le départ de M. Lugo ne s'apparente pas à un processus mûrement réfléchi, a fait valoir Adam Isacson, expert du centre de recherches Washington Office, spécialisé dans les affaires de l'Amérique latine. Selon lui, cela démontre plutôt qu'on peut expulser un président pour la simple raison que sa personne ou ses décisions ne sont pas populaires. » (Radio Canada)

Le « nouveau  président » paraguayen, Frederico Franco est sous le coup de réactions très virulentes ou hostiles de ses voisins, et le Brésil en tête n’a pas hésité à rappeler son ambassadeur. Si le Panama émet des doutes, le Nicaragua, le Venezuela, la Bolivie, le Pérou, l’Uruguay, le Chili et l’Argentine, ces pays condamnent fermement, seul le Canada apporte son soutien du bout des lèvres et demande que tout cela se fasse calmement…  Ce qui pourrait pendre au nez du Paraguay semble être son exclusion du MERCOSUR comme l’a précisé la diplomatie Brésilienne, parce que n’étant pas en conformité avec les usuels de la démocratie et conforme aux principes légaux du MERCOSUR.

En l’état le Parti Libéral du Paraguay qui a précipité la fin du mandat de Fernando Lugo, risque de s’être tiré une balle dans le pied. Lugo devait normalement ne pas se représenter en 2013 au terme de son mandat. Pourquoi cette précipitation, qui va mettre en émoi la région ? Il n’y avait aucune urgence et ce qui a pu servir de raison ne tient pas la route. « Le procès en destitution de M. Lugo a été en partie motivé par une tentative de la police d'évincer environ 150 paysans sans terre d'une réserve forestière de 2000 hectares appartenant à un politicien du parti Colorado (opposition). La confrontation entre la police et les paysans a fait 17 morts la semaine dernière, soit six policiers et 11 paysans. Les opposants politiques de M. Lugo lui ont attribué la responsabilité de cette opération qui a mal tourné. Le président était aussi jugé sur quatre autres accusations. Il était accusé d'avoir autorisé des partis de gauche à organiser une réunion politique dans une base militaire en 2009, d'avoir permis à 3000 squatteurs d'envahir illégalement une ferme de soya appartenant à des Brésiliens, d'avoir échoué à arrêter les membres de l'Armée du peuple paraguayen, un groupe de guérilla, et d'avoir signé un protocole international sans l'avoir soumis au Congrès pour approbation. » (3)

« L'Union européenne s'est pour sa part contentée d'exprimer sa "préoccupation" et a appelé au respect de "la volonté démocratique". » (Agence France-Presse). Il reste à savoir ce que peut sous-entendre « la volonté démocratique » ? Et comment vont réagir les diplomaties européennes ? Même le Figaro fait état d’un coup d’état, le Brésil lui laisse la porte ouverte au dialogue. Le prochain sommet du MERCOSUR qui est prévu jeudi 28 et vendredi 29 juin à Mendoza (Argentine), « constituera un premier test diplomatique pour les nouvelles autorités paraguayennes. Le marché commun du cône sud-américain compte parmi ses membres le Paraguay, l'Uruguay, le Brésil et l'Argentine. » (4). Qui tous ont condamné la mascarade et la présidente Argentine la première. Difficile de prévoir, si la somme des indignations sera utile aux habitants du Paraguay ? Un élu ou représentant qui tenait compte de la colère populaire a été écarté du pouvoir, c’est étrange, vous ne trouvez-vous pas ? Une occasion aussi de parler de ce petit pays de l’autre rive ou manifestement il y a beaucoup à apprendre sur les moeurs locales…

A suivre !

Notes :


(1) Lugo, "l'évêque des pauvres", président du Paraguay :
http://www.france24.com/fr/20080421-lugo-leveque-pauvres-president-paraguay-paraguay

(2) La Commission interaméricaine des droits de l'homme a dénoncé le 21 août 2009 un «usage disproportionné» de la force par le gouvernement de facto, ainsi que des arrestations arbitraires (entre 3 500 et 4 000 personnes, dans un pays d'environ huit millions d'habitants), l'usage arbitraire du couvre-feu, des traitements inhumains et dégradants, de mauvaises conditions de détention ainsi que la mort de 4 personnes et les blessures infligées à d'autres. (wikipedia.org)

(3) Radio Canada International
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2012/06/23/004

(4) Agence France Presse - via Libération


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