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Sommaire de la page,

1 - La chute annoncée des Girondins et condamnation à mort de Louis XVI
  
2 - Portrait de l'Ami du peuple par lui-même, et note d'Auguste Vermorel
   
3 - Chronique journalière du mois de janvier 1793
   
4 - Annexes : I - Le traité Rayneval-Eden et note sur l'île de Tobago ; II - Lettre de démission de Jean-Marie Roland ; III - Les événements de Rome ;  IV - Débats et décret sur les corsaires



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La chute annoncée des Girondins
et la condamnation à mort de Louis XVI



La Convention nationale, son emplacement se situait dans le quartier du Palais-Royal
La scène illustre le procès de Louis Capet (à droite) en décembre 1792


« L’année 1793 ! Cent ans sont passés depuis ce temps auquel les ennemis du peuple travailleur, les tsars, les rois, la noblesse, les princes, les patrons d’usine et tous les autres riches ne peuvent songer encore aujourd’hui sans éprouver de la terreur. Leurs âmes tremblent dès que l’on prononce ce mot : l’année 1793 ! Pourquoi cela? Parce que, dans ces années-là, le peuple travailleur en France, et particulièrement dans sa capitale, Paris, s’est débarrassé pour la première fois du joug multiséculaire et a entrepris de tenter d’en finir avec l’exploitation et de commencer une vie nouvelle et libre ». 
Signée K ou Rosa Luxembourg en 1893 dans la Cause ouvrière,
éditée à Paris et diffusée clandestinement en Pologne.
Que dire comme entrée en matière sur le premier mois de l’année 1793? Le mois de janvier à la date du 21 janvier, jour l’exécution du roi déchu, donna lieu à diverses passes d’armes entre la droite et la gauche de l’Assemblée. L’appel au peuple qui consistait à saisir les assemblées primaires se vit rejeter. Et posait une contradiction de taille sur l'expression démocratique en son sein.

L'historien Albert Mathiez a beaucoup contribué à faire connaître les tentatives
de négocier de Danton la vie de Louis XVI, contre argent trébuchant auprès de l’Espagne et de la Grande-Bretagne. Faut-il rajouter que le gouvernement Britannique n'avait aucun intérêt à participer à cette transaction et négociait déjà avec les autres puissances européennes une offensive concertée, et se préparait à entrer en guerre depuis la fin du mois de novembre. Il fallait en favoriser le terrain et pousser à la faute, organiser une stratégie d'encerclement, notamment maritime. Sur le procès de l'ancien monarque, voici un apperçu de la situation interne et externe à la fin de l'année 1792 :
« On avait trouvé aux Tuileries, dans les papiers du trésorier de la liste civile, la preuve que Louis XVI avait continué à payer ses gardes du corps licenciés et passés à Coblentz, la preuve qu’il avait institué à Paris une agence de corruption et d’espionnage et qu’il subventionnait les journaux aristocrates. Le tribunal criminel extraordinaire du 17 août frappa quelques agents subalternes, Laporte, Collenot d’Angremont, Cazotte, De Rozoy. Mais la Gironde, maîtresse de l’Assemblée après le 10 août, ne fit rien pour préparer l’instruction du procès du monarque suspendu. Elle ne chargea aucun enquêteur de rassembler des pièces nouvelles, de procéder à des perquisitions, à des recherches chez les complices de ceux qui avaient déjà été condamnés. Elle laissa passer le moment favorable pour réunir un important faisceau de preuves. (…)

Mais la Gironde ne comptait pas seulement sur des discours et des votes pour sauver Louis XVI. Le ministre des Affaires étrangères Lebrun, son homme, avait assuré aux puissances neutres que la Convention se montrerait clémente et magnanime. Le 28 décembre, il annonça à l’Assemblée qu’il avait réussi à mener à bonne fin les négociations entamées avec l’Espagne pour obtenir à la fois la neutralité de celle-ci et un désarmement réciproque de part et d’autre de la frontière. Il ajouta que s’il avait obtenu ce résultat, c’est que le roi d’Espagne prenait un intérêt très vif au sort de son cousin, l’ex-roi de France. Il communiquait enfin une lettre du chargé d’affaires d’Espagne, Ocariz, qui invitait la Convention à faire acte de générosité pour maintenir la paix. Lettre maladroite qui faisait la leçon à une Assemblée ombrageuse et fière. Elle fut renvoyée sans débat au Comité diplomatique.

Les libéraux anglais, avec lesquels les Girondins étaient en correspondance, Lansdowne, Fox, Sheridan, demandèrent à Pitt aux Communes, le 21 décembre, d’intervenir en faveur du roi de France. Et, deux jours plus tard, aux Jacobins, un ami de Danton, François Robert, suggéra qu’il serait d’une bonne politique de surseoir à la condamnation de Louis Capet. Nous savons aujourd’hui par les mémoires de Théodore Lameth, par les lettres d’un agent de Pitt, Miles, par le témoignage de Talon, par les mémoires de Godoy (chef du gouvernement espagnol), que des efforts énergiques furent faits pour obtenir le concours des gouvernements européens d’une part et pour acheter des voix en faveur de Louis XVI d’autre part. Talon déposera, en 1803, devant la justice du Consulat, que « Danton avait accepté de faire sauver par un décret de déportation la totalité de la famille royale ». « Mais, dit-il, les puissances étrangères, à l’exception de l’Espagne, se refusèrent aux sacrifices pécuniaires demandés par Danton. »

Revolution Française, Albert Mathiez, chapitre sur le Procès du roi
Comme il est précisé, dans un chapitre antérieur d'Albert Mathiez, la trêve entre les différents camps en présence n'avait duré que trois jours, au moment de la création de la République. La prise de pouvoir des commissions et les attributions de l’Assemblée, plus le Conseil exécutif provisoire ont été investis par les Girondins. Les louvoiements de Danton furent utiles un temps à l’établissement du nouveau régime par ses appels à l’unité. Son enrichissement allait participer au sein de la Convention à son discrédit par la suite, être une intrigue parmi d’autres des nouveaux locataires du pouvoir pour limiter son expansion. Fabre d'Eglantine à la tête de l’approvisionnement des troupes participa de cette désinvolture et d’intérêts allant avoir un rôle dans le changement de position d’un homme clef, et finalement peu connu le ministre de la guerre, Jean-Nicolas Pache.

Dans les échanges entre Dumouriez et le ministre de la guerre, une bonne part de la correspondance toucha à cette question essentielle, de pouvoir nourrir hommes et animaux à minima. Déjà sous l’ancien régime, ce type de mission engageait de fortes commissions et des systèmes corrupteurs. Lesquels allaient se maintenir, si ce n'est se renforcer. A l’origine, Pache fut hautement recommandé par Jean-Marie Roland. Son ancien commis allait détenir les cordons de la Mairie de Paris en février, devenir un des hommes forts de la capitale, et prendre ainsi ses distances avec ses amis d’hier. Il ne fut pas le seul, mais difficile d’estimer le nombre de basculements, comme son court prédécesseur Nicolas de Chambon, médecin, qui ne laissa pas grande trace de son passage comme Maire de Paris, sauf à être un ancien feuillant devenu républicain pour les circonstances. Avouera-t-il en 1814.

Préfiguration de la déroute des camps Girondins?


Comme nous avons pu l'expliquer dans les pages précédentes, le "parti" girondin éclaté en 4 ou 5 factions n'a jamais eu de véritable cohérence ; en plus, Dumouriez jouait sa partition en sauveur de la patrie, il y avait là un terrain plus que mouvant et propice à la cacophonie. Il faut comprendre le repli que souligne le professeur Mathiez avec la population, en particulier les décisions prises en petit comité, comme le contenu des ordres du jour de la Convention. Les tensions avec l'opposition montagnarde alimentaient une propagande contre Robespierre, ou principalement visaient à éliminer Marat. Ce climat n’aura pas aider à les grandir face à ce qui pouvait les faire ressembler à une bande d’intrigants. Leurs petits comités politiques n’avaient pas donné lieu à la création d’un club, à vrai dire à une véritable extension populaire, se bornant aux exécutifs nationnaux et locaux. Ce secret d’alcôve face à un club des Jacobins et des sections parisiennes qui délibéraient à la connaissance de tous, fut une erreur colossale dans un monde où tout devenait suspect. Qui plus est le pays était en guerre et ce n'était qu'un début.

Cet ensemble participa de la marginalisation d’un camp éclaté, sans dessein, ou véritable vision de l’avenir. A part, la défense de la propriété, de combler le trou des dépenses, les déficits ne pouvaient que s’accentuer avec la guerre, bientôt totale. Rien n’allait venir alléger la vie chère et les sacrifices auraient pu être évaluées et provisionnés. Rien, pas de politique économique à la hauteur, ni sociale et de très longs débats sur un procès cachèrent les besoins essentiels du pays. Qui à part courir après les biens du clergé et enflammer les esprits contre les religieux, pour en tirer les sommes dues, rien ne venait mettre un frein à l’agiotage, pire à la circulation de la fausse monnaie, qui inondait la capitale.

Ce qu’il faut souligner, c’est que les Girondins toutes chapelles établies étaient couper des réalités communes et peu soucieux de donner un caractère social à la révolution, hormis quelques ajustements structurels. Depuis la fin de l’année 1792, l’animosité entre Montagnards et Girondins ne faisait que progresser, la nouvelle année enclencha de vifs désaccords, pas toujours fondés mais volontaires, et sans politique sociale spécifique. Les urgences étaient d’une autre nature et dans les prémices d’une guerre presque totale, selon l'échelle, et sur tous les fronts internes ou externes.

Les conflits avec la Prusse et l’Autriche étaient toujours en activité, mais la somme des problèmes que rencontraient les armées françaises hors du territoire firent jour avec l’hiver. Les désertions ou ce qui s’apparentait à un retour aux foyers pour bon nombre mettait en relief une absence de compréhension des situations en cours, notamment depuis le ministère de la guerre. Le député Sieyès eut la charge d’impulser une nouvelle loi d’organisation du ministère. Selon les Révolutions de Paris, c'était un retour en arrière sur le plan légal, ce que l’on a pu considérer comme un retour aux bonnes vieilles recettes et pratiques d’ancien régime. Cette année sera propice à des politiques et lois d’exception.

Un homme, un militaire, une sorte de nouveau Lafayette allait croire son heure venue. Le général Dumouriez, ancien ministre l'an passé, puis en juillet général de l'Armée du Nord avec ses victoires à l’appui depuis Valmy vint dans la capitale faire le tour des centres nerveux. Il avait échafaudé un plan en quatre points, dont l’idée d’une Belgique administrée par les Belges eux-mêmes, c’est-à-dire souveraine. En contrepoint du décret du 15 décembre, qui cherchait à incorporer à la nouvelle République les villes belges ralliées.
Il fit comprendre lors de son séjour à l'égard du procès du l'ancien roi que c'était une perte de temps. Il était surtout à la tête d’une armée, qui aurait pu se retourner contre le nouveau régime, son seul moteur était l’ambition. Ce fut Marat, une fois de plus, qui devina vite les intentions malveillantes de ce Brutus en herbage, ou du moins en congé à Paris. Dumouriez de son côté allait savoir jouer sur plusieurs tableaux, aussi bien auprès de ses entrées chez ses amis girondins, qu'au Conseil exécutif, qu’au club des Jacobins, que devant la Convention, et se donner au chantage de la démission. Cela se passa sous les airs d’une tournée à l'image d’une célébrité, qui sera très éphémère et allait impliquer indirectement d’autres officiers supérieurs comme Miranda, Custine, en échec devant Francfort.

Maximilien Robespierre, plutôt discret depuis son intervention du 28 décembre devant le corps législatif, était un des rares à pouvoir intervenir sans être coupé, quand Marat était le plus souvent prié de se taire, pour ne pas dire censuré par le bureau de l’Assemblée, ou à la demande des députés, sinon renvoyé aux massacres de septembre. Le sujet des crimes opérés dans les prisons de la capitale restait bien présent en ce mois de janvier, sous-jacent à des échanges rudes entre les différents camps en présence. Le moyen d’agiter un peu de souffre et de creuser les divisions ; voire à demander la condamnation des meurtriers ou « septembriseurs » toujours libres et connus des Parisiens, et sur tous les bancs de la Convention.

La censure allait être au rendez-vous, avec l'arrêt d’une pièce de théâtre, l’arrestation ou la saisie d’auteurs et journalistes contre-révolutionnaires, ou pas, toutes critiques devenaient des batailles entre les différents échelons de pouvoir et le fossé s'accentuer avec les sections parisiennes. La commission des Douze, en charge de la surveillance se trouva aussi dans l’orbite des protestations, et la création d’un nouveau comité de Défense générale souleva un débat sur le rôle du ministre défaillant à la guerre, Jean-Nicolas Pache. L'événement qui allait prendre une tournure singulière,
fut l'assassinat de Michel de Saint-Fargeau, qui calma momentanément les différents "partis" et esprits en présence. L'annonce de sa mort provoqua une condamnation générale contre l'acte meurtrier d'un certain Pâris, son enterrement offrit l'occasion d'une grande cérémonie dans la capitale, dans une unanimité passagère.

Ce fut aussi le mois de la démission du ministre de l'Intérieur, dans cette Assemblée tumultueuse, qui s'écoulait au rythme des rapports, des lecture des courriers, des offrandes, des dons, à écouter les pétitionnaires, à faire décrets et lois ; son fonctionnement n’avait guère varié dans ses fonctions. Pourtant ce fut durant les 20 premiers jours que la domination girondine prenait fin ou s’effilochait fortement, que les votes du Marais se mirent à pencher du côté Montagnard autour du refus de tout sursis pour Louis XVI. Qui, par ailleurs aurait pu servir de monnaie d’échange, mais devant la menace de troubles, l'idée qu'il représentait une contrepartie ne ne fit pas recette, sa personne vivante représentait avant tout une menace. Sachant que le procès du roi allait servir les camps de la Montagne, même s'il est difficile de parler d’unité organique, sauf pour administrer à leurs adversaires, des accusations de toutes sortes et inversement. Des grands moments de confusion, d'accusations
et de discorde de chaque part allaient amplifier les divisions et mettre un arrêt à la faction rolandiste (le maillon faible).

Si vous vous limitez à examiner les minutes du procès de Louis XVI, vous risquez de passer à côté des tensions politiques, ce qui participa de l’élimination progressive des camps girondins. Le sort de l’ancien monarque était en parti soldé depuis décembre, et les appels dilatoires se retourner contre leurs auteurs. Toute une série de faits, en rien mineurs participèrent d’un début d’année particulièrement riche en rebondissement, en éclats de voix, en situations périlleuses, les désaccords allaient s’accumuler entre les groupes de la Montagne et les soutiens du Conseil exécutif, c’est-à-dire le gouvernement avec ses ministres. Le Conseil exécutif avait été créé le 10 août à titre provisoire et devint effectif en septembre 1792. Il disparaîtra en avril 1794.

Sa composition au 1er janvier 1793 :
- Roland à l’Intérieur et aux cultes
- Lebrun-Tondu aux Affaires étrangères
- D.J. Garat à la Justice, remplaçant de Danton
- Pache à la Guerre
- Monge, à la Marine et aux colonies
- Clavière aux Finances
- Grouvelle comme secrétaire du Conseil
Le procès et la condamnation du roi déchu

Les débats du procès du Louis Capet avait débuté en décembre 1792 et s’achevèrent donc le 21 janvier de l’année suivante, jusqu’aux dernières paroles prononcées place de la Révolution :
« Je meurs innocent, je vous pardonne. », pendant que son confesseur prononçait pour dernier sacrement : « Fils de Saint-Louis monte au Ciel ». Cette période débouche sur une littérature abondante, le point d’orgue de la culpabilité nationale. Fallait-il couper la tête du roi? A cette question, pas encore vraiment close, ou un deuil sans fin? mais irrévocable, on ne peut que constater un torrent d’écrits. La responsabilité du roi déchu avait été un fait largement établi et une majorité de députés votèrent la mort sans sursis. C’est-à-dire 387 élus sur 749, dont une vingtaine d’absents n’ayant pu se prononcer pour divers motifs.

Il faut pouvoir établir la légitimité des membres de l’Assemblée nationale pour condamner le dit Louis Capet. Il n'était plus question à proprement dit de la Haute-Cour de justice, sise à Orléans, elle avait été dissoute après le massacre de Versailles du 9 septembre. La forme n’était pourtant pas si lointaine d'une justice propre aux représentants de la nation. S’il advenait une compromission avec une puissance étrangère et une atteinte à la sûreté de l’Etat, il eut été probable que la personne du roi déchu, si elle avait été à la tête de l’état et présumée coupable, aurait été confié à cette justice institutionnelle, toujours en activité. Les députés étaient-ils légitimes pour autant de prendre une telle décision? Oui sans aucun doute au regard de notre droit actuel, plus élaboré et respectueux des droits de la défense, mais pas si lointain.

Ensuite, ce qui fera toujours polémique, le peu de temps pour la défense et l’instruction du procès ont-il permis à Louis Antoine une justice équitable? A situation exceptionnelle, réponse de même, à comparaison d’autres condamnations lors du processus, nombreux connurent moins de temps pour leur défense. Ce qui n’est pas en soit une explication et c'est encore moins une justification. Cet acte de justice a surtout eu un caractère de procès politique. Et puis aurait pu être, comme il avait été échafaudé par Brissot, Danton et d’autres, d’en faire un otage ou une monnaie d’échange? Surtout il est question de la peine capitale pour cette autre interrogation. Pourquoi ce revirement chez Robespierre, il s’était prononcé contre en 1791, un changement de pied? N’a-t-il pas coller aux attentes et aux vindictes populaires d’éliminer le traître? A-t-il suivi de nouveau ce qu’a pu penser Marat sur le sujet? Ce qui est probable, ou l'induisait à suivre l'orientation des sections parisiennes et des sans-culottes.

La peine de mort ne devrait pas souffrir d’ambiguïté, c’est un débat sans nuance possible, soit on est pour ou contre. Savoir que l’incorruptible a été favorable à son abolition, puis a voté oui, cette contradiction de taille apparaît comme occultée. Pour nos générations, nous avons tous (ou presque) en tête les interventions de Robert Badinter et ses plaidoiries dans diverses affaires criminelles. La mort d’un être et peu importe la nature de ses crimes ne peut rien résoudre et encore moins faire justice, sinon de répondre à des pulsions, faire de cette autorité impartiale la responsable d’un acte sanguinaire. Mais cette réponse, si elle est valable de nos jours, ce changement de cap n'a pu se prévaloir d’une conviction ferme chez Robespierre, et il n’a pas été le seul en ce domaine. Lors des premières exécutions publiques intervenues place du Carrousel en août 1792 ne donna place dans aucun camp républicain à la moindre contestation (hors feuillants et royalistes en fuite, se cachant, ou en état d’arrestation, cela va de soi...), l’heure était à la vengeance, sous le coup de sauver la patrie, coûte que coûte.

Si les députés étaient légitimes quel que fut leurs choix ou orientations, la nature des procédures de vote posèrent problème. Il en allait de la conviction de chacun à se prononcer sur cet aspect légal, et sans un vote à bulletin secret, le système à voix haute était la pire des solutions, car soumise aux pressions de toute part. C’était en bout de course un basculement de majorité politique qui se dessina dans les votes, la fin annoncée ou à venir des factions girondines? En plus condamné à mort l’ancien monarque, c’était l’assurance de se mettre à dos l’ensemble des têtes couronnées d’Europe. Un outil de dénigrement à l'encontre de la toute jeune république, un bégaiement de l’Histoire depuis Cromwell ressenti comme une menace potentielle. La République perdait ainsi une monnaie d’échange, il y avait aussi le choix de l’exil, la proposition la plus "originale" fut d’envoyer Louis Capet aux galères.

Vers de nouvelles guerres et élargissement de la coalition européenne

A l'approche de nouveaux conflits conséquents, le dernier point que je n'ai pas assez détaillé dans cette présentation est la situation internationale, mais vous pourrez lire dans la chronique journalière sur cette même page, qu'elle est très présente et même essentielle pour saisir toute la complexité d'une histoire, qui ne peut se cantonner à ses seules réalités nationales.

Il faut noter que pour les colonies, le ministère de la Marine de M. Monge fit peu d'obstruction aux groupes de pression de la marine marchande, et le temps que pouvait mettre à parvenir, les nouvelles des différents points de l'Empire, d'autres conflits en perspective s'esquissaient.

Le ministre des Affaires étrangère, M. Lebrun était en relation avec le gouvernement de William Pitt dit le jeune, par son ministre à Londres, M. Chauvelin, lui même en relation avec lord Grenville, l'homologue de Lebrun. Pour bien comprendre la situation en Europe, l'historien Henri Martin apporte un éclairage complémentaire sur les relations entre le France et l'Angletterre, les évolutions diplomatiques intervenues les deux derniers mois de 1792, avec ses suites jusqu'à la rupture complète des échanges et ce qui avait été les négociations autour du retrait en Belgique des troupes françaises.
« La Hollande n'était en ce moment qu'une dépendance de l'Angleterre, sous le gouvernement d'un prince de la maison d'Orange, restauré, en 1787, par les baïonnettes de la Prusse et par la diplomatie anglaise. Les patriotes hollandais appelaient ardemment les Français, et Dumouriez, après son entrée à Bruxelles, avait opposé aux ordres que le ministère lui envoyait de marcher sur le Rhin allemand un projet de délivrer la Hollande. C'était séduisant, mais bien plus hasardeux, au point de vue militaire, que la marche sur Cologne et sur le Rhin, et c'était la guerre avec les Anglais.

Les chances d'éviter cette guerre diminuaient chaque jour ; Pitt, il est vrai, jusqu'au milieu de novembre, avait souhaité le maintien de la neutralité, et même songé à s'entremettre pour la paix générale ; mais, à la nouvelle de l'ouverture de l'Escaut, puis du décret du 19 novembre, par lequel la Convention offrait le secours de la France aux peuples qui voudraient recouvrer leur liberté, il avait brusquement changé de vues. Il avait envoyé à la cour de Vienne un mémoire sur la réorganisation et l'agrandissement de la coalition contre la France (25 novembre). Son but immédiat était d'assurer à la Hollande, c'est-à-dire au gouvernement du stathouder, la protection de troupes autrichiennes et prussiennes.

La réaction grandissait, parmi les classes supérieures et moyennes d'Angleterre, contre la Révolution française et contre le parti démocratique anglais. L'esprit conservateur anglais ne s'effrayait pas seulement des événements tragiques qui se passaient en France, mais aussi des tendances de la République française à propager partout les maximes d'égalité et l'abolition des institutions héréditaires et traditionnelles issues du Moyen Âge.

Le gouvernement anglais commença des préparatifs militaires, avec l'approbation du Parlement. Les chefs des libéraux, Fox et ses amis, tentèrent de s'interposer, de faire d'une part,  reconnaître la République française par l'Angleterre, et, de l'autre, de faire intervenir le gouvernement anglais pour tâcher d'obtenir la vie de Louis XVI. La Chambre des communes n'accepta, des propositions de Fox, que celle qui regardait Louis XVI ; mais Pitt n'en tint compte et ne tenta aucune démarche en faveur du prisonnier du Temple. On peut douter qu'il s'intéressât au salut du roi qui avait fait la guerre d'Amérique.

Pitt, afin de surexciter l'opinion conservatrice, fit grand bruit et des émeutes qui éclataient sur divers points de l'Angleterre, de l'Ecosse et de l'Irlande, et des complots que les Jacobins tramaient dans Londres même, et, aussi, des provocations dont retentissait la tribune française.


L'exaltation générale des esprits suscitait, en effet, dans notre Assemblée nationale, des manifestations de nature à épouvanter toutes les vieilles sociétés monarchiques ou aristocratiques. Au moment où fut proclamée la réunion de la Savoie à la France, l'évêque Grégoire avait prononcé, comme président de la Convention, des paroles menaçantes : «  tous les gouvernements sont nos ennemis, tous les peuples sont nos frères ; ou nous succomberons, ou la liberté sera rendue à toutes les nations. »

Il est juste de remarquer que, de leur côté, les ministres anglais s'exprimaient souvent de la façon la plus offensante pour le gouvernement de la République française. Le ministère français, cependant, au commencement de décembre, interdit provisoirement à Dumouriez d'attaquer la Hollande. Notre ambassadeur Chauvelin, qui, depuis le 10 Août, était resté à Londres sans caractère officiel, prévint Pitt de cette résolution (27 décembre).

Un bill (une loi) du Parlement (26 décembre), très-vexatoire contre les étrangers, et d'autres mesures, telles que la défense d'exporter des blés anglais en France, qui transgressaient également les traités de commerce existant entre la France et l'Angleterre, modifièrent beaucoup chez nous ces dispositions pacifiques. Le ministre de la marine, le savant Monge, publia une violente circulaire qui préparait à la guerre maritime, et qui faisait appel aux démocrates anglais. Le ministre des affaires étrangères, Lebrun, communiqua à la Convention une note qui déclarait au cabinet anglais que l'application aux Français du bill contre les étrangers serait considérée comme la rupture du traité de commerce (30-31 décembre).

Le ministère français entreprit des négociations pour tâcher d'obtenir l'alliance des États-Unis d'Amérique (note : Les E.U. restèrent neutre et furent plutôt équivoques, à l'image de leur ministre ou ambassadeur en France, M. Gouverneur Morris).

Pitt hésitait encore. Il n'avait pu décider à un traité d'alliance l'Espagne qui, en décembre, espérait encore obtenir la vie de Louis XVI. II voyait la Russie et la Prusse préparer le second partage de la Pologne, et il était contraire à cet accroissement de ces deux puissances, non comme injuste, ce dont il se souciait peu, mais comme préjudiciable aux intérêts de l'Angleterre. Il revint à l'idée de maintenir la paix avec la France, pourvu qu'elle renonçât à ses conquêtes, surtout à la Belgique.

C'est le sens d'une note d'ailleurs assez hautaine, par laquelle le cabinet anglais répondit à la communication de Chauvelin du 27 décembre. Le ministère français répliqua en termes modérés que l'occupation de la Belgique cesserait avec la guerre, dès que les Belges auraient assuré et consolidé leur liberté (7 janvier), mais que, si ces explications n'étaient pas admises comme suffisantes et si les préparatifs hostiles continuaient dans les ports anglais, la France, avec regret, se disposerait à la guerre.

Le ministère anglais insista sur l'évacuation de la Belgique et n'accorda aucune satisfaction sur les transgressions du traité de commerce. Le 12 janvier, Brissot présenta, au nom du comité diplomatique, à la Convention, un rapport sur la conduite du gouvernement anglais envers la France. Il concluait à ce que le conseil exécutif (le ministère), dans le cas où l'Angleterre ne satisferait pas à nos griefs, prît immédiatement les mesures qu'exigeait la sûreté de la République. La Convention ordonna d'armer trente vaisseaux de ligne et d'en construire vingt-cinq.

Le ministère anglais refusa de suspendre ses armements et fit bloquer les bouches de l'Escaut par une escadre que renforcèrent des vaisseaux hollandais. Le ministère français, toutefois, sachant que notre marine n'était pas prête à la guerre, chercha encore à éviter ou à ajourner les hostilités. Le ministre des affaires étrangères, Lebrun, à l'instigation de Talleyrand, qui était alors en Angleterre, conçut le projet de rappeler de Londres Chauvelin et d'envoyer à sa place Dumouriez, aussi prêt à négocier la paix qu'à faire la conquête de la Hollande, pourvu qu'il eût le premier rôle.

Sur ces entrefaites, la nouvelle de l'exécution de Louis XVI produisit à Londres un effet terrible. Le cabinet anglais signifia à Chauvelin de quitter l'Angleterre et demanda au Parlement de nouvelles forces militaires et maritimes. »

Histoire de France depuis 1789 jusqu'à nos jours, Henri Martin,
Seconde édition, tome 1, chapitre XIV, pages 426 à 429 - Paris, 1878
Vous pouvez trouver la correspondance de M. Chauvelin sur les échanges et les différends avec la Grande-Bretagne, par l'intermédiaire de lord Grenville chargé du secrétariat d'état aux Affaires étrangères, avant et tout au long du mois de janvier, jusqu'à son expulsion (1). Pareillement vous trouverez dans les annnexes d'autres apports sur le sujet des affaires extérieures, tout particulièrement la nature des échanges commerciaux avec l'Angleterre depuis 1786 (traité Rayneval-Eden), les événements anti-républicains de Rome et le décret sur la réactivation des entreprises corsaires avec ses lettres de marque.

Sources et contenus

L'année 1793 est particulièrement riche en contenu très divers, les sources principales de ce mois de janvier ont été tirées des Archives Parlementaires qui permettent de suivre les débats, l'organisation des lois et décrets. En ce domaine, il existe plusieurs références possibles à commencer par MM. Buchez et Roux, qui durant les années 1830 firent éditer une Histoire parlementaire de la Révolution française, parfois trop synthétique, plutôt orientée, ou en faveur du camp jacobiniste, jusqu'à aller recueillir auprès de personnalités comme Philippe Buonarroti, des témoignages ou apports de ce qu'il en fut. Tous les tomes sont disponibles sur le site Gallica de la BNF.

Sinon, il existe en moins partisan, surtout dans des versions plus complètes, deux apports ; primo avec la collection Baudouin (Université de Paris Sorbonne) pour la période de 1789 à 1795, sur tout ce qui concerne les lois et les décrets, mais sans les discours et les débats des élus de la Convention nationale. Nous concernant, il a été retenu, depuis le début de cette étude critique, les Archives Parlementaires de MM. Madival et Laurent. Attention les volumes sont aussi nombreux et d'environ 750 pages, rien que pour janvier, il s'agit des tomes 56 à 58 (en chiffres romains) ; et en fin de chaque volume, vous disposez du sommaire de chaque journée. Et d'un accès pas toujours évident sur le site de la bibliothèque de l'université de Stanford (E.U.), ce qui est
en l'état jusqu'en 1794 la source numérisée la plus complète et accessible en ligne.

Les lois ont leur importance, le contenu des échanges permettent de saisir les oppositions, mais aussi tout ce qui remonte via les comités, le conseil exécutif et le bureau de l'Assemblée, une information utile et précieuse, en lien avec la situation internationale versus Français, et tout ce qui pouvait remonter des directoires (exécutifs) locaux et départementaux, plus les pétitions des sections révolutionaires ou des citoyens, ainsi que les différentes situations dans les colonies.
Aussi, pour connaître des éléments biographiques sur les députés cités de la Convention (21/09/1792 au 26/10/1795), il est conseillé de consulter le site de l'Assemblée nationale (par ordre alphabétique des députés) une fois le choix du patronyme fait, cliquez à la rubrique  "Biographies", sous le ou les mandats (à la droite de l'écran).

Toutefois, la chronique des journées de janvier a été agrémentée des réflexions ou des échos contradicteurs, pour ne pas dire polémistes de deux périodiques, un quotidien et l'autre un hebdomadaire. Nous revenons ainsi sur la personne de Marat avec son nouveau quotidien depuis le dernier trimestre de 1792 et son élection comme député, le Journal de la République française. La forme reste la même et le fond conserve son ton dénonciateur et ironique.  Il lui restait 7 mois à vivre, être l'objet d'accusations régulières. Marat était à ce stade le point de friction et la cible numéro une des attaques, difficile de le contourner, ne serait-ce comme l'écho des plus pauvres (les indigents).

De même, il a été choisi les Révolutions de Paris,
dont un des rédacteurs fut Louis-Marie Prudhomme. Cet hebdomadaire est à ce titre un des périodiques les plus intéressants, il n'avait pas encore basculer dans la mystification
des faits de son mentor, et apportait un point de vue jusqu'alors girondin, voire modérantiste. Sinon pour précision et question non résolue, il existait plusieurs auteurs, sans une étude plus précise du style des rédacteurs, rien n'assure que Prudhomme puisse être l'auteur des écrits mentionnés sur cette page.

Cette première page sur l'année 1793 a nécessité un investissement important pour en dégager ses ressorts et son importance dans la suite des événements de la Révolution devenue républicaine. Ce qui n'était pas une évidence, mais la somme des contextes implique d'en démontrer la substance. Une nouvelle étape se dessine, en attendant d'autres suites sur la première République, je vous souhaite une bonne lecture !

Note :


(1) Guillaume N. Lallement, Choix de rapports, opinions, et discours prononcés à l'Asemblée nationale, etc., tome XI - année 1793 (second volume de la Convention)
- Paris, 1820. La correspondance diplomatique de M. Chauvelin, encore citoyen, débute le 12 mai 1792, à partir de la page 116, et se termine à la page184 . (disponible sur google Livres)

Texte de Lionel Mesnard, du 2 octobre 2020


PORTRAIT DE L'AMI DU PEUPLE
TRACÉ PAR LUI-MÊME



et note d'Auguste Vermorel

« Que la bonne fortune s’éloigne des orgueilleux et revienne aux malheureux »,

Horace, Epîtres, De l’art poétique
(Ut redeat miseris abeat fortuna superbus)

Je demande pardon à mes lecteurs si je les entretiens aujourd'hui de moi, ce n'est ni amour-propre, ni fatuité,  mais simple désir de mieux servir la chose publique. Comment me faire un crime de me montrer tel que je suis, lorsque les ennemis de la liberté ne cessent de me dénigrer, en me représentant comme un cerveau brûlé, un rêveur, un fou, ou comme un anthropophage, un tigre altéré de sang, un monstre qui ne respire que le carnage, et cela pour inspirer l'effroi à l'ouïe de mon nom, d’empêcher le bien que je voudrais, que je pourrais faire.

Né avec une âme sensible, une imagination de feu, un caractère bouillant, franc, tenace ; un esprit droit, un cœur ouvert à toutes les passions exaltées, et surtout à l'amour de la gloire, je n'ai jamais rien fait pour altérer ou détruire ces dons de la nature, et j'ai tout fait pour les cultiver. Par un bonheur peu commun, j'ai eu l'avantage de recevoir une éducation très-soignée dans la maison paternelle, d'échapper à toutes les habitudes vicieuses de l'enfance, qui énervent et dégradent l'homme, d'éviter tous les écarts de la jeunesse, et d'arriver à la virilité sans m'être jamais abandonné à la fougue des passions ; j'étais vierge à vingt et un ans, et déjà depuis longtemps livré à la méditation du cabinet.  

La seule passion qui dévorait mon âme était l'amour de la gloire ; mais ce n'était encore qu'un feu qui couvait sous la  cendre. C'est de la nature que je tiens la trempe de mon âme, mais c'est à ma mère que je dois le développement de mon caractère ; car mon père n'aspira jamais à faire autre chose de moi qu'un savant.  

Cette femme respectable, dont je déplore encore la perte, cultiva mes premiers ans ; elle seule fit éclore dans mon cœur la philanthropie, l'amour de la justice et de la gloire ; sentiments précieux! bientôt ils sont devenus les seules passions qui dès lors ont fixé les destinées de ma vie. C'est par mes mains qu'elle faisait passer les secours qu'elle donnait aux indigents, et le ton d'intérêt qu'elle mettait en  leur parlant, m'inspira celui dont elle était animée.  

L'amour des hommes est la base de l'amour de la justice ; car l'idée du juste ne se développe pas moins par le sentiment que par la raison. J'avais déjà le sens moral développé à huit ans : à cet âge je ne pouvais soutenir la vue des mauvais traitements exercés contre autrui ; l'aspect d'une cruauté me soulevait d'indignation, et toujours le spectacle d'une injustice fit bondir mon cœur comme le sentiment d'un outrage personnel.  

Pendant mes premières années, mon physique était très-débile (menu), aussi n'ai-je connu ni la pétulance, ni l’étourderie, ni les jeux de l'enfance. Docile et appliqué, mes maîtres  obtenaient tout de moi par la douceur. Je n'ai jamais été châtié qu'une fois, et le ressentiment d'une humiliation injuste fit en moi une si forte impression qu'il fut impossible de me ramener sous la férule de mon instituteur ; je restai deux jours entiers sans vouloir prendre aucune nourriture. J'avais alors onze ans ; on jugera de la fermeté de mon caractère, à cet âge, par ce seul trait. Mes parents n'ayant pu me faire fléchir, et l'autorité paternelle se croyant compromise, je fus renfermé dans une chambre ; ne pouvant résister à l'indignation qui me suffoquait, j'ouvris la  croisée, et je me précipitai dans la rue. Heureusement la croisée n'était pas élevée ; mais je ne laissai pas de me blesser violemment dans la chute ; j'en porte encore la cicatrice au front.  

Les hommes légers qui me reprochent d'être une tête, verront ici que je l'ai été de bonne heure ; mais ce qu'ils  refuseront peut-être de croire, c'est que dès mon bas âge j'ai été dévoré de l'amour de la gloire, passion qui changea souvent d'objet dans les diverses périodes de ma vie, mais qui ne m'a jamais quitté un instant. À cinq ans, j'aurais voulu être maître d'école, à quinze ans professeur, auteur à dix-huit, génie créateur à vingt, comme j'ambitionne aujourd'hui la gloire de m'immoler pour la patrie.  

Voilà ce que m'a fait la nature, et les leçons de mon enfance ; les circonstances et mes réflexions ont fait le reste.  

J'étais réfléchi à quinze ans, observateur à dix-huit, penseur à vingt et un. Dès l'âge de dix ans j'ai contracté l'habitude de la vie studieuse, le travail de l'esprit est devenu pour moi un véritable besoin, même dans mes maladies; et, mes plus doux plaisirs, je les ai trouvés dans la méditation,  dans ces moments paisibles où l'âme contemple avec admiration la magnificence du spectacle de la nature, ou lorsque, repliée sur elle-même, elle semble s'écouter en silence, peser à la balance du bonheur la vanité des grandeurs humaines, percer le sombre avenir, chercher l'homme au de-là du tombeau, et porter une inquiète curiosité sur ses destinées éternelles.  

A part le petit nombre d'années que j'ai consacrées à l'exercice de la médecine, j'en ai passé vingt-cinq dans la retraite, à la lecture des meilleurs ouvrages de science et de littérature, à l'étude de la nature, à des recherches profondes et dans la méditation. Je crois avoir épuisé à peu près toutes les combinaisons de l'esprit humain sur la morale, la philosophie et la politique, pour en recueillir les meilleurs résultats.

J'ai huit volumes de recherches métaphysiques, anatomiques et physiologiques sur l'homme. J'en ai vingt de découvertes sur les différentes branches de la physique ; plusieurs sont publiés depuis longtemps, les autres sont dans mes cartons. J'ai porté dans mon cabinet le désir sincère d'être utile à l'humanité, un saint respect pour la vérité, le sentiment des bornes de l'humaine sagesse, et ma passion dominante, l'amour de la gloire ; c'est elle seule qui a décidé du choix des matières que j'ai traitées, et qui m'a fait constamment rejeter tout sujet sur lequel je ne pouvais pas me promettre d'arriver au vrai, à de grands résultats et d'être original. Car je ne puis me résoudre à remanier un sujet déjà traité, ni à ressasser les ouvrages des autres.  

J'oserais me flatter de n'avoir pas manqué mon but, à en juger par l'indigne persécution que n'a cessé de me faire pendant dix années, l'Académie royale des sciences, lorsqu'elle se fut assurée que mes découvertes sur la lumière renversaient ses travaux depuis un siècle et que je me souciais fort peu d'entrer dans son sein. Comme les Dalembert, les Caritat, les Leroi, les Meunier, les Lalande, les Laplace, les Monge, les Cousin, les Lavoisier, et les charlatans de ce corps scientifique voulaient être seuls sur le chandelier, et qu'ils tenaient dans leurs mains les trompettes de la renommée, croira-t-on qu'ils étaient parvenus à déprécier mes découvertes dans l'Europe entière, à soulever contre moi toutes les sociétés savantes, et à me fermer tous les journaux, au point de n'y pouvoir même faire annoncer le titre de mes ouvrages, d'être forcé d'avoir un prête-nom  pour faire approuver quelques-unes de mes productions (1).

Je gémissais depuis cinq ans sous cette lâche oppression, lorsque la révolution s'annonça par la convocation des états généraux. J'entrevis bientôt où les choses en viendraient, et je commençai à respirer dans l'espoir de voir enfin l'humanité vengée, de concourir à rompre ses fers et de me mettre à ma place.    

Ce n'était encore là qu'un beau rêve, il fut à la veille de s'évanouir ; une maladie cruelle me menaçait d'aller l’achever dans la tombe. Ne voulant pas quitter la vie sans avoir fait quelque chose pour la liberté, je composai l’Offrande à la Patrie, sur un lit de douleur. Cet opuscule eut beaucoup de succès ; il fut couronné par la société patriotique du Caveau, et le plaisir que j'en ressentis fut la principale cause de mon rétablissement.  

Rendu à la vie, je ne m'occupai plus que des moyens de servir la cause de la liberté. Je ne tardai pas à m'indigner de la mauvaise foi de Necker, et de ses efforts criminels pour rendre illusoire la double représentation et arrêter la réforme du gouvernement, qu'il avait provoquée.  

Je ne tardai pas non plus à m'indigner du manque de zèle des députés du peuple, et de la tiédeur de leurs efforts contre les ordres privilégiés qui voulaient dissoudre les états généraux. Craignant qu'ils ne manquassent de vues ou de moyens, je publiai mon Plan de constitution,  après avoir été pendant six semaines en relation avec ceux  qui passaient alors pour les plus chauds patriotes, Chapelier, Sieyès, Rabaud, Barnave, Duport, etc., mais j'eus bientôt  lieu de reconnaître que leur nullité apparente tenait à d'autres  causes qu'à un défaut de lumières, et je sentis qu'il fallait  bien plus travailler à combattre les vices que les erreurs. Cela ne pouvait se faire qu'au moyen d'une feuille journalière où l'on ferait entendre le langage de l'austère vérité, où l'on rappellerait aux principes le législateur, où l'on démasquerait les fripons, les prévaricateurs, les traîtres, où l'on dévoilerait tous les complots, où l'on éventerait  tous les pièges, où l'on sonnerait le tocsin à l'approche du  danger.

J'entrepris donc l’Ami du Peuple ; on connaît les succès de cette feuille, les coups terribles qu'elle a portés aux ennemis de la révolution, et les persécutions cruelles qu'elle a attirées à son auteur.  

En portant mes regards sur l'assemblée nationale, j'avais bien compris que, composée comme elle l'était, en majeure partie, d'ennemis de la liberté, il était impossible qu'elle travaillât sincèrement à la faire triompher ; aussi démontrai-je la nécessité d'exclure les nobles, les prélats,  les bénéficiers, les robins, les financiers, les créatures de  cour, et les suppôts de la chicane. —  Les voyant sans cesse machiner en secret pour arrêter la constitution, attendre  les événements pour la renverser, et feindre d'y travailler loyalement dans les seuls temps de crise ; je ne cessai de  revenir sur la nécessité indispensable de purger le Sénat  national par la proscription de ces ennemis publics de tous  les emplois de confiance. Et si, poussé au désespoir à la vue de leurs attentats, de leurs complots sans cesse renaissants et à l'ouïe des meurtres et des massacres de tant de patriotes qu'ils ont fait égorger, l'indignation m'a enfin arraché cette triste vérité qu'il n'y a point de liberté, de sûreté et de paix à espérer pour nous, que ces lâches machinateurs ne fussent retranchés du nombre des vivants, — c'est lorsque 'jai été bien convaincu que leur mort était le seul moyen d'assurer le salut public. Vérité si bien sentie par tous les peuples qui ont rompu leurs fers, que c'est par le sacrifice des ennemis de la liberté qu'ils ont commencé leurs révolutions.  

Depuis que j'ai pris la plume pour la défense de la patrie on n'a jamais pris la peine de réfuter mes opinions ;  mais chaque jour on a publié contre moi une multitude de libelles atroces. Ceux que le gouvernement a fait imprimer pour contrebalancer l'influence de ma feuille, et me diffamer, ne tiendraient pas dans l'église Notre-Dame. Qu'ont-ils produit? rien, que d'enrichir les libellistes et les imprimeurs. Quant à moi, ils ne m'ont pas fait perdre une ombre de popularité pour ceux qui peuvent m'entendre et qui savent lire.  

Je sais bien que mes écrits ne sont pas faits pour rassurer les ennemis de la patrie : les fripons et les traîtres ne craignent rien tant que d'être démasqués. Aussi le nombre des scélérats qui ont juré ma perte est prodigieux. Forcés à découvrir leurs ressentiments, leurs basses vengeances, leur soif de mon sang, du manteau de l'amour de l'humanité, du respect pour les lois, ils vomissent du matin au  soir, contre moi, mille impostures atroces et ridicules. Les seules qui ont trouvé des dupes, et qu'ils ne se lassent point de répéter, c'est que je suis un cerveau brûlé, un fou atrabilaire, ou bien un monstre sanguinaire, ou bien un scélérat soudoyé. Je ne daignerais pas repousser ces absurdes calomnies, si un grand nombre de mes collègues égarés sur mon compte par des scélérats intéressés, n'attendaient de  moi une réponse victorieuse. Je puis la leur donner.  

Qu'ils lisent les écrits que j'ai publiés au commencement de la révolution, Offrande à la patrie, mon Plan de  constitution, mon Code de législation criminelle, et les cent premiers numéros de l’Ami du Peuple ; et qu'ils me disent dans quel ouvrage renommé par la sagesse et la philanthropie, ils trouvent plus de ménagement, de prudence, de modération, d'amour des hommes, de la liberté et de la justice.  

Ils me font un crime d'avoir demandé la tête des traîtres et des conspirateurs. Mais les ai-je jamais voués ces scélérats aux vengeances du peuple que lorsqu'ils bravaient impunément le glaive de la justice, et que les ministres des lois n'étaient occupés qu'à leur assurer l'impunité? Et puis où est donc le si grand crime que d'avoir demandé cinq cents têtes criminelles pour en épargner cinq cent mille innocentes! Ce calcul même n'est-il pas un trait de sagesse et d'humanité?  

Ils m'accusent d'être un scélérat vendu. Mais je pouvais  amasser des millions en vendant simplement mon silence,  et je suis dans la misère ; j'ai perdu par la révolution mon état, les restes de ma fortune, et il me reste pour patrimoine 2.000 écus de dettes que m'ont laissés les fripons à  qui j'avais donné ma confiance, qui ont abusé de mon nom et qui m'ont dépouillé. J'ai développé mon âme tout entière à ceux de mes honnêtes collègues qui semblent ne demander qu’à me connaître à fond, pour se rapprocher de moi, et travailler enfin au bien du peuple trop longtemps oublié, par les cruelles dissensions qui règnent dans l'assemblée. 

Je suis prêt à toutes les condescendances qui ne compromettent point le salut public, les droits et les intérêts de la nation, je n'exige de leur part que de la bonne foi ; qu'ils  disent un mot, et je suis prêt à me concerter avec eux sur les moyens d'assurer la liberté, la paix et le bonheur de la  nation. Je ne demande pas mieux que de poser le fouet de la censure pour la règle du législateur ; mais si abusant de ma confiance, ils ne voulaient qu'enchaîner ma plume, qu'ils sachent qu'elle ne le serait qu'un instant, je m'empresserais de les marquer du sceau de l'opprobre, et ils seraient  mes premières victimes, car je ne consentirai jamais à tromper le peuple.

 Journal de la République Française. 
N° 98, du 14 janvier 1793

Par Marat, l'Ami du Peuple, député à la Convention nationale

Note de l'auteur :

(1) C'est ce que j'ai fait en 1785 à l'égard d'une traduction de l'optique de Newton, dont Beauzée fut l'éditeur, et qui fut jugée digne de l'approbation de l'Académie. (Note de Marat)

    Note d’Auguste Vermorel (1841-1871)
Cette autobiographie de Marat, outre l'intérêt qu'elle offre, est d'autant plus précieuse que l'on manque absolument de documents sur sa jeunesse. Tout ce que l'on sait, c'est que Jean-Paul Marat, Suisse d'origine, naquit à Boudry, dans l'ex-principauté, aujourd'hui république de Neufchâtel, le 24 mai 1743. Il était fils de Jean-Paul Marat, de Gagliari, en Sardaigne et de Louise Cabrol de Genève.

M. Bougeard, un de ses derniers biographes, cite son acte de naissance dans lequel le nom s'orthographie Mara, — L'ouvrage très-remarquable consacré à Marat par M. Alfred Bougeard (Marat, l’ami du peuple, 2 voI. in-8, Librairie internationale, 1860) a été l'objet de regrettables rigueurs judiciaires. Il a été saisi et supprimé par jugement et l'auteur a été condamné à quatre mois de prison.  

Fabre d'Églantine a publié un Portrait de Marat dont nous extrayons les traits principaux :   « Marat était de la plus petite stature ; à peine avait-il cinq pieds de haut. Il était néanmoins taillé en force, sans être ni gros ni gras ; il avait les épaules et l'estomac larges, le ventre mince, les cuisses courtes et écartées, les jambes cambrées, les bras forts, et il les agitait avec vigueur et grâce. Sur un cou assez fort, il portait une tête d'un caractère très-prononcé ; il avait le visage large et osseux, le nez aquilin, épaté et même écrasé ; le dessous du nez proéminent et avancé ; la bouche moyenne et souvent crispée dans l'un des coins, par une contraction fréquente; les lèvres minces, le front grand, les yeux de couleur gris jaune, spirituels, vifs, perçants, sereins, naturellement doux,  même gracieux, et d'un regard assuré ; le sourcil rare, le teint plombé et flétri ; la barbe noire, les cheveux bruns et négligés ; il marchait la tête haute, droite et en arrière, avec une rapidité cadencée, qui s'ondulait sous un balancement de hanches; son maintien le plus ordinaire était de croiser fortement ses deux bras sur sa poitrine. En parlant en société, il s'agitait avec véhémence, et terminait presque toujours son  expression par un mouvement de pied qu'il tournait en avant, et dont il frappait la terre, en se relevant subitement sur la pointe, comme pour élever sa petite taille à la hauteur de son opinion. Le son de sa voix était mâle, sonore, un peu gras et d'un timbre éclatant ; un défaut de langue lui rendait difficile à prononcer nettement le c et le s, dont il mêlait la prononciation à la consonance du g, sans autre désagrément sensible que d'avoir le débit un peu lourd ; mais le sentiment de sa pensée, la plénitude de sa phrase, la simplicité de son élocution et la brièveté de son discours effaçaient absolument cette pesanteur maxillaire. il se vêtait d'une manière négligée ; son insouciance sur ce point annonçait une ignorance complète des convenances de la mode et du goût, et l'on peut dire même l'air de la malpropreté. »   
Source : Œuvres de J.P. Marat (l'ami du peuple), pages 19 à 27,
Recueilliés et annotées par A. Vermorel, Paris 1869



  Chronique journalière du mois de janvier 1793

(chronologie détaillée)



Sur l'estrade, Le bourreau Sanson et ses 2 assistants, Louis XVI et l'abbé de Firmont

Mardi 1er. A la Convention, « la séance ouvre à 10 heures trois quart » du matin, des questions relatives au ministère de la guerre sont abordées ou adressées à M. Pache. M. Louvet, secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance du 31 décembre. Le député de Seine-et-Oise, Guy-Armand de Kersaint, nommé ce jour même vice-amiral, prévient qu’il n’est plus possible de rester indifférent devant ce qui se passe en Angleterre. Il fait mention dans son intervention des relations avec l’Ecosse et l’Irlande : « Je ne m'arrêterai point ici sur les circonstances qui différencient l'Irlande de l'Angleterre chacun connaît son parlement, son vice-roi, et la sorte de liberté politique qu'elle s'est procurée à force ouverte pendant la guerre d'Amérique, mais ce qu'on sait moins ce sont les entraves que le parlement d'Angleterre continue de mettre au développement de l'industrie et du commerce d'Irlande, et sa constante opposition à l'affranchissement de ce commerce. La secte catholique se trouve encore soumise aux lois gothiques et barbares des siècles intolérants qui les ont vues naître, et, dans cette demi-indépendance, l'Irlandais semble tourner ses regards vers nous, et nous dire, venez, montrez-vous, et nous sommes libres! »

Ainsi, de Kersaint dénonce devant l’Assemblée, le blocage de 2 navires irlandais chargés de grain, interceptés par le gouvernement britannique. Ce qui fait suite à une lettre du ministre de l’intérieur, M. Roland, qui avait annoncé la veille la mise sous embargo d’un navire français chargé de blé. Le député de la Marne et montagnard, Jacques Alexis Thuriot objecte à Kersaint, que durant la dernière séance, il avait été stipulé que tout se déroulerait au sein des comités. Le rapporteur de Kersaint continue néanmoins une longue intervention, où il préconise de préparer « la guerre des mers », et soumet un décret de neuf articles. A la demande d’un député, la décision est renvoyée au Conseil exécutif (ministres) devant faire un rapport sur l’état actuel  de la République. C’est aussi à la demande de Kersaint qu’est créé le « Comité de Défense général », composé d’une vingtaine de membres issus de divers comités (21 puis 24), et qui favorise une certaine homogénéité politique. Ce nouveau comité a pour but de faire face à la désorganisation de l’armée, aux critiques et injonctions anglaises de plus en plus pressantes depuis deux mois.

Les débats reviennent ensuite à l’ordre du jour, sur le jugement de Louis XVI. Trois grandes interventions s’y déroulent, dont celle du montagnard, André Jean-Bon-Saint-André, pasteur protestant et député du Lot, qui conclue ainsi : « S'il était des ambitieux parmi nous, ils apprendraient à connaître quelle est la juste sévérité des républiques ; en faisant succéder à cet acte rigoureux, mais indispensable, les travaux qui doivent faire éclore une Constitution libre et des lois sages, vous mériterez vraiment l'approbation de ce peuple souverain qui est votre juge aussi. 
Je demande la question préalable sur la proposition d'appel au peuple, et que l'on aille aux voix sur le jugement de Louis Capet ». Brissot dans le prolongement des débats sur le procès déclare que le monarque mérite la mort, mais propose pour sa mise en exécution l’avis des assemblées primaire : avec « l’appel au Peuple ». Marat dans son récent Journal de la République Française (n°90) du 1er janvier, fait un article sur « la vie et les mœurs de la femme Rolland » et prévient qu’il s’est procuré une copie d’une lettre adressée par son époux M. Roland au ministre Pache « pour lui tendre un piège, car il machine jour et nuit de le culbuter » ; et annonce « que bientôt Dumouriez va faire une sortie qui a été arrêtée par Buzot, dans le boudoir de la femme Rolland » (pages 6-7). Ce même jour, le général Dumouriez arrive dans la capitale et a quatre rapports à soumettre.

2.01. Dans la capitale, il est joué l’Ami des Lois de Jean-Louis Laya au théâtre de la Nation (actuelle Comédie française), la pièce reçoit un accueil controversé. A la Convention, il est fait lecture d’une lettre du général Custine de décembre, il fait état du bon moral de ses troupes devant les Prussiens à Francfort. Il est décrété l’an II de la République à partir du 1er janvier.

Le député de la Gironde, Gensonné intervient sur trois points : « Je réduis l'examen de la question qui nous occupe à ces trois propositions : Louis a-t-il trahi la nation? Quelle peine a-t-il encourue? Le peuple doit-il sanctionner votre jugement? (…) Non, la Convention ne sera point arrachée de Paris ; et cette inculpation est encore l'une des manœuvres les plus familières de votre faction (montagnards). Elle a le double objet de vous attacher le peuple de Paris, de l'irriter contre la Convention, et de répandre dans les esprits des alarmes qui peuvent favoriser vos projets d'insurrection. Vous savez bien que ce système de fédéralisme que vous attribuez aux députés des départements est une atroce calomnie ; vous savez bien que le peuple des départements veut une République unique, mais qu'il veut que la volonté générale y fasse la loi, et que votre faction ne s'en rende pas l'unique interprète. Vous savez bien que les Parisiens sont chéris dans tous les départements ; que partout on s'honore de leur courage et on vante leurs services ; qu'on y veut que la Convention nationale reste à Paris, et qu'on y désire seulement qu'elle y soit respectée ; et c'est contre le cri de votre conscience, pour augmenter votre popularité et rendre le peuple de Paris l'instrument de vos vues ambitieuses, que vous osez ainsi l'exposer à cette rivalité qui lui serait si funeste, mais dont nous nous efforcerons, nous, de tarir la source. Non, la Convention ne transigera point avec les rois ; et c'est encore là une de vos impostures favorites : cette fois du moins, vous vous - contentez de prédire ; vous annoncez qu'on transigera, mais vous n'avez pas l'impudence d'affirmer qu'on l'a fait ». M. Gensonné propose que le jugement du roi soit renvoyé devant les assemblées primaires et fait « appel au Peuple ».

3.01. En Belgique à Gand sous l’arbre de la liberté, il est lu le décret de la Convention sur l’abolition, de la noblesse, des dîmes et des cloîtres. A l’Assemblée, M. Osselin, secrétaire, donne lecture de trois lettres afférant au général Miranda. « Suit la teneur de ces trois pièces » : Une « Lettre adressée au général Miranda par la direction des duchés de Clèves, de Gueldre et de la principauté de Meurs. Une « copie de la lettre de la réquisition du général Miranda aux représentants de la ville d'Anvers, en date du 31 décembre dernier ; cette réquisition est celle d'un emprunt de 300.000 livres tournois en numéraire, pour subvenir aux dépenses de la garnison et des fortifications de cette place. » Et « la lettre (est) datée du quartier général d'Anvers ; du 30 décembre dernier, par laquelle le général Miranda informe le ministre des succès de l'entreprise de l'armée française (…), conformément aux ordres que le général donnés au général Lamorlière, commandant son avant-garde. » (…) Le général Miranda : « J'ai la satisfaction de vous informer, citoyen ministre, que l'entreprise sur la Gueldre prussienne, duché de Clèves et principauté de Meurs, que j'ai confiée au général Lamorlière, commandant de mon avant-garde, vient d'être exécutée avec tout le succès possible, et presque dans toute l'étendue du plan que je lui ai donné. Le rapport ci-joint, que je viens de recevoir du général Lamorlière, prouve combien les dispositions du peuple sont en notre faveur, et combien la conduite et activité des troupes françaises ajoutent à notre gloire. La contribution qu'il a exigée, de deux millions à peu près, de livres tournois fera connaître au peuple combien nous sommes loin d'imiter l'exemple que les généraux prussiens nous ont donné en France, en maltraitant le peuple des provinces où ils ont pu pénétrer et insultant la nation par des manifestes pétulants et absurdes. Miranda » (Pour copie conforme, le ministre de la guerre, signé : Pache).

Toujours à la Convention, les discussions s’enveniment, le député Gasparin s’en prend à MM. Guadet, Gensonné et Vergniaud sur des tractations opérées avec la famille royale en juillet 1792. Le ministre de l’intérieur est appelé à la barre pour se justifier d’une saisie par le frère de Robespierre, dit le jeune, Marat participe de cette agitation et s’adresse en direction des montagnards : « Eh bien, doutez-vous encore que j'aie eu raison de les dénoncer comme de vils intrigants, comme des conspirateurs? »

4.01. En Guadeloupe, à Basse-Terre l’on déploie le drapeau tricolore. A la Convention, à la séance du matin, Louis-Michel Lepeletier de St.-Fargeau (ci-contre) reprend le décret sur l’abolition du droit d’aînesse et y apporte des modifications sous la forme d’un nouveau décret. Le ministre de la marine, M. Monge propose d’allouer aux Français des Indes orientales une somme supplémentaire. Lors de la séance de l’après-midi, la motion du girondin Jean-Baptiste Salles reprend l’idée d’un « appel au Peuple » pour se prononcer sur la condamnation de Louis XVI.
 
Bertrand Barère intervient pour s'y opposer, le projet est rejeté. Des pétitionnaires demandent le jugement de Marie-Antoinette.
Et il a été aussi lu dans la matinée, la troisième Adresse de l'assemblée représentative des représentants coloniaux Français établis aux Indes (orientales), tout en reconnaissant leur attachement à la mère-patrie, et à l'Assemblée nationale pour la liberté donnée ; suit la teneur de leurs demandes :

Adresse des représentants coloniaux Français
établis aux Indes


« Citoyens représentants,


L'assemblée coloniale représentative des établissements français dans l'Inde profite de la première occasion que lui présente, depuis la réception des décrets des 3 septembre 1791 et 14 janvier dernier, le départ d'un vaisseau particulier, pour offrir à l'Assemblée, nationale l'hommage de son respect, de sa reconnaissance et de sa soumission. Victimes d'un système aussi cruel qu'impolitique, les Français de l'Inde n'en sont pas moins attachés à leur patrie, et se regardent toujours comme faisant partie de l'Empire français ; ils n'ont cessé, dès l'instant qu'ils ont appris que la nation avait conquis la liberté, de la solliciter de mettre un terme à leurs maux, et en vous rendant à leurs vœux, vous avez satisfait à la justice et à la loyauté française.

Votre bienfaisant décret sur le rétablissement de Pondichéry, en le retirant de l'état d'abandon et d'ignominie dans lequel l'avait réduit l'ancien régime, est sans contredit pour les établissements de l'Inde le présage le plus certain du retour de leur grandeur passée ; mais pour ramener ces beaux jours, pour achever votre ouvrage, pères de la patrie, il faut que des lois particulières tendent à favoriser le commerce de ces établissements avec la métropole ; il faut qu'ils puissent statuer eux-mêmes définitivement sur celles qui conviendraient le plus à leur commerce en Asie; il faut que leur gouvernement soit distinct et indépendant de celui des îles de France et de Bourbon. (Maurice et la Réunion)

Il faut que leur gouverneur, dans les rapports politiques, tant entre les établissements qu'avec les puissances qui les environnent, soit assujetti à consulter leurs représentants ; il faut enfin qu'il y ait un terme où leur vœu soit l'interprétation la plus juste de la volonté de la nation ;. c'est alors que les établissements français de l'Inde deviendraient des entrepôts considérables qui verseront dans la métropole les richesses de 1’Asie, et élèveront ses manufactures au plus haut point de prospérité ; c'est alors qu'ils justifieront de quel prix ils doivent être pour la nation française.

Tels sont les vœux que nous sommes chargés de vous présenter au nom des Français de l'Inde, ils vous demandent, ils attendent de vous une protection qu'ils méritent par les malheurs qu'ils n'ont cessé d'éprouver depuis 1760, et qu'ils mériteront toujours par leur fidélité et par leur obéissance. »

La Convention renvoie cette adresse au comité colonial.
5.01. En Guadeloupe, la République est proclamée par le citoyen Lacrosse envoyé par la Convention. A l’Assemblée est lue la lettre du ministre de la guerre, M. Pache : « J'ai l'honneur d'adresser à la Convention nationale copie d'une pétition qui m'a été envoyée de la part de nos frères d'armes qui étaient prisonniers de guerre à Luxembourg, et qui viennent d'être échangés. » Osselin, secrétaire de séance fait lecture de la lettre des défenseurs de Louis Capet : « Citoyen Président,  Louis, après avoir réclamé, dans sa défense, l'inviolabilité qu'il tenait de la Constitution, a cru devoir, comme il l'a dit, s'imposer la tâché surabondante de répondre à tous les faits qui lui étaient imputés dans l'acte d'accusation du 11 décembre. Jusqu'ici, on n'a encore opposé, dans la Convention, à cette défense, quoique rédigée avec bien de la précipitation, qu'une seule imputation particulière, qu'il nous était impossible de prévoir, puisque l'acte d'accusation ne l'énonce même pas. Cependant, nous n'avons pas cru devoir laisser cette imputation sans réponse ; et nous avons, en conséquence, l'honneur de vous faire passer des observations qui l'éclaircissent et qui la réfutent. » (Les Conseillers de Louis : Lamoignon, Malesherbes, Tronchet et Deseze)  Cette lettre est suivie des observations des défenseurs.  La municipalité de Paris se présente à la Convention : « Une des causes, et la plus active, de la fermentation des esprits est le procès de Louis Capet. Beaucoup de personnes en attendent impatiemment la fin. On dit hautement que Louis Capet doit périr ; cependant, un grand nombre de citoyen assurent qu'ils se soumettront à la loi qui sera prononcée contre ses crimes ». Le directoire du département de la Haute-Loire déclare à son tour que : « les citoyens qui l'habitent sont prêts à marcher sur Paris pour imposer silence aux factieux qui veulent opprimer la représentation nationale ».

6.01. A la Convention, le département du Finistère dénonce « les factieux qui dominent la ville de Paris. (…) Nous vous exprimons, représentants, l'opinion d'un grand département ; elle est sans doute subordonnée a la volonté des autres sections de la République ; mais nous sommes assurés, et soyez-le vous-mêmes, que toutes ont un vœu conforme, et qu'en même temps que nous servons la cause de tous, nous prévenons même les espérances de la majeure partie de ces Parisiens, dont le couteau d'une poignée de tyrans subalternes étouffent en ce moment la voix. (Les Administrateurs composant le conseil général du département du Finistère) ». Marat s’exclame : « Je demande que cette adresse soit renvoyée à sa source, au boudoir de la femme Roland. (Murmures) ».

Lundi 7.01. En Belgique, il est fait une proclamation « au nom du peuple souverain de Namur », qui met fin (provisoirement) à l’inégalité devant les impôts. A l’Assemblée, le secrétaire lit un courrier du général Dumouriez, présent pour ses congés dans la capitale, il se plaint du manque de tout, de la désorganisation des bureaux du ministère de la guerre. Le général offre sa démission, s’il n’a pas en retour une entière confiance (Arch. Parl. Buchez et Roux, tome 23). Les débats du procès de Louis XVI sont clôturés, après de nombreuses interventions le matin ; et les opinions non exprimées auront droits à impression. A la séance du soir se présente à la barre, le maire de Givet dans les Ardennes : « Il se plaint des désordres qui règnent dans l'Administration de la guerre ; il fait le tableau des sacrifices auxquels le voisinage du théâtre du conflit a forcé sa commune, et demande un soulagement dans ses impôts arriérés. Le Président répond au pétitionnaire et lui accorde les honneurs de la séance. (La Convention renvoie sa demande au comité de la guerre, réuni à la commission des Douze).
»

8.01. A la Convention, M. Jacques-Antoine Creuzé-Latouche, (auteur d’un livre sur « les subsistances » imprimé en 93 au cercle social), le député de la Vienne et secrétaire de séance, donne lecture d'une lettre de M. Roland, au sujet de la pétition d'une société de Quakers. Elle se propose d'acheter les domaines de Chambord : « Plusieurs membres de la Société des Amis offrent à la nation française 1.200.000 livres pour le parc et les bâtiments de Chambord, aux conditions suivantes : «  De payer la somme de 300.000 livres en prenant possession des objets, 100.000 livres un an après, 100.000 livres deux ans après la prise de possession, et 100,000 la troisième année ; (et un second paiement de 600.00 livres). (…) D'habiller, loger, nourrir et soigner 150 enfants, en les y recevant depuis l'âge de 8 ans jusqu'à 10, les instruire dans là morale, la lecture, l'écriture, le calcul et les travaux relatifs à l'agriculture, aux arts ou au commerce, jusqu'à 15 ans révolus ; à cette époque les enfants seront libres de retourner chez leurs parents ou de commencer un apprentissage dans nos maisons. (…) Sur les 150 enfants, 120 seront choisis dans le département de Loir-et-Cher sur la présentation du conseil du département, et 30 à la volonté des Amis, parmi des enfants nés en France, tous sans payer aucune pension particulière. (…) Les enfants qui entreront en, apprentissage, soit dans un art, soit dans le commerce, apprendront leur état jusqu'à l'âge de 21 ans ; à cette époque, ils seront libres, ainsi que nous, de se retirer où ils voudront, ou de s'établir parmi nous. (…) Plusieurs membres demandent l'impression et la distribution de la pétition des Quakers, et le renvoi aux comités des domaines, d'agriculture et d'instruction publique réunis, pour en faire leur rapport dans la huitaine. (La Convention décrète cette proposition.) »

9.01. A Cuba, est fondée la Société patriotique de la Havane. Aux Etats-Unis, le Français Jean-Pierre Blanchard (aérostier) fait la première démonstration de son ballon dirigeable devant G. Washington, en reliant Philadelphie à Deptford vers 10 heures du matin en 46 minutes, la distance étant approximativement d’une vingtaine de kilomètres entre les deux villes du New Jersey. A l’Assemblée, M. Osselin donne lecture des courriers, notamment celui des membres du conseil exécutif provisoire qui « aussitôt qu'il a eu communication officielle du décret du 15 décembre sur les mesures destinées à achever la Révolution dans les pays ou la République française a porté et portera ses armes, s'est occupé de l'exécution de ce décret qui doit avoir de si grandes influences sur les destinées de la France et sur celles de l'Europe. Plusieurs séances du conseil exécutif ont été principalement consacrées à cet objet. Il a dû prendre deux mesures, nommer des commissaires et rédiger pour eux des instructions. (…) Voilà, citoyens représentants, les mesures que le conseil exécutif a prises pour l'exécution du décret du 15 décembre. Elles étaient indiquées par les articles et par la nature du décret. Plusieurs des commissaires sont déjà partis, tous le seront sous peu de jours. Les membres composant le conseil exécutif provisoire. (Clavière, Roland, Pache, Le Brun, Monge, Garat, Grouville, secrétaire). » Liste des pays occupés par les armées de la République, en vertu du décret du 15 décembre 1792 : Ostende, Courtrai, Gand, Tournai, Mons, Namur et Bruxelles.

Il est fait lecture d’autres missives dont la lettre du ministre de l’Intérieur : « Je corromps l'esprit public! Consultez les départements, faites fouiller ma correspondance, et voyez si je répands d'autres principes que ceux de l'ordre et du bonheur social. J'ambitionne le pouvoir suprême ! moi, qui ne cesse de me mettre en garde contre les dangers de l'abandonner à un trop petit nombre d'individus. On parle d'intrigues! eh! qu'ils viennent ces lâches accusateurs, qu'ils suivent l'emploi de mes journées ; qu'ils voient dans cette continuité d'affaires qui les remplissent, dans cette activité qui me les fait doubler, s'il est un moment pour l'intrigue. Hélas! souvent je n'en trouve point même pour ma famille. Qu'ils lisent seulement, et qu'ils apprennent quel a dû être le travail de celui qui peut offrir le résultat que je donne. (…) Mais quel que puisse être le sort qui m'attend, je dois l'encourir, et je le brave sans hésiter. Donner ma démission pour des dégoûts, ou quelques injustices serait une faiblesse ; mon dévouement est un retour nécessaire de la confiance qui m'a fait nommer; je resterai jusqu'à ce qu'on me la retire ; si je la perds, je n'aurai pas cessé de travailler à la mériter, et je me livrerai au repos sans remords. Je laisse à l'impartialité de juger si une vie aussi laborieuse et aussi agitée peut-être soutenue par un autre sentiment que celui du plus pur civisme. L'égoïste se met à l'abri, mais le citoyen ne se compte plus lui-même, et il poursuit sa destination à travers les orages. La mienne est tracée dans mes devoirs ; je demeure jusqu'à ce qu'on me renvoie ou qu'on m'immole, et pour demander, qu'on me juge. (Signé : Roland, lettre du 6 janvier) ». Une lettre des citoyens Grégoire, Jagot, Philibert, Simond et Hérault de Séchelles, commissaires de la Convention nationale au département du Mont-Blanc, « demandent des fusils et des piques ». Les débats se sont concentrés par la suite sur la situation de Verdun avec la prise d’un décret par le comité de Défense générale.

10.01.
A la Convention, suite à M. Treilhard, l’élu de l’Eure, François Buzot désigné prend la présidence des débats. M. Villers, député de la Loire inférieure, au sein de la « Plaine » (centre de l’hémicycle) fait référence aux difficultés de Beaumarchais en Grande-Bretagne qui, « est actuellement détenu à la tour de Londres pour une dette de 10.000 livres sterling, provenant du marché qu'il a passé pour un achat de 60.000 fusils en Hollande. Cette arrestation n'eut pas eu lieu, si Beaumarchais, jugé comme il pouvait l'être, eut été déchargé de ce marché (La Convention décrète que le comité fera un rapport sur la citoyenne Duhem, ainsi que sur le citoyen Beaumarchais, séance tenante)
».

Le ministre de l’Intérieur Roland adresse une lettre à la Convention où il précise ses dépenses pour le mois de décembre 92, le ministre de la guerre de même. Une autre lettre de M. Roland revient sur l’affaire sur l’importation du blé : « J'ai fait passer à la Convention nationale, le 6 de ce mois, l'extrait d'une lettre par laquelle les sieurs Bourdieu-Chollet et Bourdieu, négociants en Angleterre, m'annonçaient que le conseil britannique avait arrêté qu'aucune cargaison de blé étranger ne serait chargée dans les ports d'Angleterre qu'en donnant caution que cette denrée ne serait point portée en France, et que la cargaison du navire la Thamisis, qui était destinée pour Bayonne, allait être déchargée. Je m'empresse de mettre sous les yeux de la Convention l'extrait d'une autre lettre, en date du 4 de ce mois, par laquelle les mêmes négociants me préviennent qu'ils seront indemnisés des pertes résultant de l'arrestation du navire la Thamisis ; mais ils m'observent en même temps - qu'il a été mis dans les ports de l'Irlande même embargo, sur plusieurs navires chargés de blé pour nos forts, et qu'un cutter (bateau) anglais s'est emparé en mer d'une pareille cargaison de blé, qu'il a conduite à Portsmouth par ordre du gouvernement. Je viens également de faire connaître ces dispositions hostiles au ministre des affaires étrangères, en lui envoyant la dépêche des négociants Bourdieu-Chollet. (Paris, le 9 janvier 1792) ».

M. Manuel, secrétaire, lit la demande du citoyen Laya : « Citoyens, législateurs, ce n'est point un hommage que je, vous présente, c'est une dette que j'acquitte, l’Ami des lois, qui vient d'être représenté au Théâtre de la nation, ne peut paraître que sous les auspices de ses modèles. » M. Manuel : « Je demande que l’Ami des lois soit envoyé au comité d'instruction publique, qui peut-être ne croira pas déplacé d'examiner cet ouvrage très moral, et de consacrer ses représentations par la présence de deux commissaires. (Murmures à l’extrême gauche - Plusieurs membres (au centre) demandent la mention honorable). » M. Prieur de la Marne vient conclure les débats de la journée, après de échanges sur la pièce de théâtre de M. Laya : « Je répète que la Convention ne peut faire mention honorable d'un ouvrage qu'elle ne connaît pas. Je demande qu'à l'avenir, on ne décrète la mention honorable d'aucun ouvrage, sans que l'Assemblée en ait eu connaissance. Il serait d'ailleurs parfaitement ridicule que la Convention nationale, sous prétexte de remercier un auteur, fasse mention honorable de toutes les brochures qui lui sont offertes. Plusieurs élus s’exclament : « J'adhère volontiers à la proposition ainsi généralisée. » (La Convention renvoie toutes ces propositions au Comité d'instruction publique) ».

11.01
A Rouen, une manifestation est organisée en faveur de Louis XVI, il est procédé à 23 arrestations. A Paris, la Commune interdit la représentation de la pièce L'Ami des lois de Laya, deux des rôles avaient des airs de Robespierre et de Marat. A l’Assemblée, M. Salle, secrétaire, donne lecture d'une lettre des citoyens Haussmann, Rewbell et Merlin (de Thionville), commissaires de la Convention nationale à l'armée du général Custine (défait à Francfort) : « Cependant nos frères d'armes ne sont pas vêtus. Il vient à la vérité de nous arriver des redingotes, mais il n'y en a pas pour tout le monde, et plusieurs manquent d'habits sous ces redingotes. Nous avons exprimé toute l'étendue de nos besoins dans nos lettres aux comités et aux ministres. Secondez notre zèle, citoyens représentants ; que le conseil exécutif fasse son devoir ; il n'y a rien de grand et de glorieux que nous ne puissions nous promettre, et nous rirons des efforts impuissants des nouveaux ennemis que la perfidie des cabinets nous suscite. Nous sommes entourés de morts et de blessés. C'est au nom de Louis Capet que les tyrans égorgent nos frères, et nous apprenons que Louis Capet vit encore! (Les commissaires de la Convention nationale) ».

M. Manuel, élu de Paris parvient à la barre avec une brochure et il déclare : « Citoyens, il serait bien extraordinaire que la Convention fit imprimer à ses frais des opinions sur Louis Capet, dans lesquelles on se permet de calomnier ouvertement l'Assemblée des représentants de la nation. Je dois à ce sujet vous dénoncer l'opinion de Poultier, un de vos collègues ; voici le passage qu'on trouve dans un post-scriptum de cette brochure. J'étais inscrit le vingt-cinquième pour prononcer cette opinion à la tribune. Le bureau prévaricateur a subversé (remplacé) la liste des orateurs ; il a mis les royalistes en avant ; la carrière leur étant ouverte exclusivement, ils ont demandé la clôture de la discussion, quand ils ont vu leur liste épuisée et celle des patriotes ouverte. On nous éconduit ainsi sans cesse de la tribune. Il faut, pour parler, avoir prêté foi et hommage à M. Roland, et après avoir baisé la main de madame son épouse… » (Violents murmures à droite et au centre) « Je demande que l'impression de l'opinion de Poultier soit aux frais de ce citoyen et que les passages que je viens de citer soient censurés. » Plusieurs élus à la droite de l’hémicycle crient « Oui, oui ! ».

Le ministre de la Marine, M. Monge prend la parole : « Notre commerce les paie fort cher ; l'Angleterre paie aussi ses matelots au poids de l'or ; la République n'a pas besoin, sans doute, de les exciter par cet appât. La dernière guerre a prouvé de quoi nos marins étaient capables ; mais l'Assemblée remarquera que toutes les denrées nécessaires à la vie ayant doublé de prix, la solde des matelots ne suffit plus pour entretenir leurs familles. Je supplie donc la Convention nationale d'augmenter la paie des maîtres, officiers mariniers et matelots, de 9 livres par mois. Ce surcroît de dépense, si juste, pourra s'élever, par an, à 9 millions de livres. Il convient aussi de soulager le département de la guerre du service des garnisons qu'il a toujours été dans l'usage de fournir à bord des vaisseaux ; nos régiments et nos bataillons seront tous nécessaires aux frontières. Pour le service des garnisons, des vaisseaux, des frégates de la République, armés en guerre, il faut une force de 15 mille hommes. »



Gaspard Monge, en portrait


Le député Couthon se lance dans une série d’attaque sur le manque d’organisation de l’armée et de ses bataillons : « Si vous ne décrétez pas le renvoi que je propose, c'est du sein même de la Convention que se répandront les principes véritablement désorganisateurs et anarchistes ; car pour qu'il n'y ait point d'anarchie, il faut que les autorités…
» Un député : « soient respectées. - ...oui, soient respectées ; et je suis peut-être plus pénétré de ce sentiment que le membre qui m'interrompt ; mais je suis persuadé surtout de la nécessité qu'elles se renferment dans les limites de leur pouvoir, et surtout qu'elles n'empiètent pas le pouvoir législatif. » Réponse de M. Jean-Pascal Rouyer, élu de l’Hérault et membre du comité de la marine : « Les Feuillants tenaient dans l'Assemblée législative le même langage ; et faisaient les mêmes arguments. » (Archives Parlementaires, fin du tome 56 ou LVI, du 28/12/923 au 11/01/93, de MM. Madival et Laurent)

12.01.
A Paris, la pièce l'Ami des lois présentée au théâtre de la Nation (Comédie-Française) provoque des manifestations pour et contre la monarchie. Un courrier du maire M. Nicolas Chambon annonce qu’il est retenu par le peuple au théâtre, la courte missive est adressée à l’Assemblée et demande son avis. M. Laya l’auteur, lui souhaite être reçu à la barre et joint un courrier (en annexe du jour) : « La Convention nationale (re) passe à l'ordre du jour, motivé sur ce qu'il n'y a point de loi qui autorise les corps municipaux à censurer les pièces de théâtre. »

A l’Assemblée le député modéré de la Meuse, M. Sébastien Humbert déclare au sujet de la Belgique : « Législateurs de la France! l'Europe a les yeux fixés sur vous ; voici une alternative à laquelle vous ne pouvez vous refuser : ou ne forcez pas la nation belgique d'obéir à des lois dictées dans la France et, par les Français sans son intervention ; ne prétendez pas avoir le droit de poser par vous-mêmes, ou par vos généraux, les fondements de son administration civile et politiques, de fixer ses usages, de corriger ses abus ; ou faites voir aux Belges, prouvez à L'Europe entière, attentive à vos démarches, que vous pouvez le faire, sans blesser en rien cette liberté, cette souveraineté, que vous avez si ouvertement et si généreusement reconnues. » Bien que coupé dans son intervention, par l’affaire de censure de M. Laya, le député Brissot fait une longue déclaration sur les relations dégradées de la République française avec l’Angleterre et termine sur un projet de décret en quatre points, le premier article : « Que le conseil exécutif est chargé de déclarer au gouvernement d'Angleterre, que l'intention de la République française est d'entretenir l'harmonie et la fraternité avec la nation anglaise ; de respecter son indépendance et celle de ses alliés, tant que l'Angleterre ou ses alliés ne l'attaqueront pas ; (…) que les Français puissent librement, comme les autres étrangers, exporter de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, les grains et autres denrées et provisions, et qu'ils ne puissent être assujettis à aucune autre prohibition que les étrangers, conformément au traité de 1786 (Traité Rayneval-Eden, lire l'Annexe I). En dernier point, il est demandé « au gouvernement anglais quel est l'objet des armements ordonnés récemment par lui, et s'ils sont dirigés contre la France, se réservant, dans le cas d'un refus de satisfaction sur tous ces points, de prendre immédiatement les mesures que l'intérêt et la sûreté de la République exigent pour repousser toute agression. (La Convention ordonne l'impression du rapport et de ce projet de décret. Elle ordonne en outre l'impression des deux notes officielles et leur envoi aux 84 départements) ». (Arch. Parl, tome 57 ou LVII, du 12/01/93 au 28/01/93,  de MM. Madival et Laurent)

Dimanche 13.01. A Rome l'ambassadeur, M. Nicoles de Bassville « vers quatre heures de l’après-midi, le major La Flotte, Amaury Duval, madame Bassville et son fils, se promènent en calèche sur le Corso et la piazza Colonna. L’enfant tient un mouchoir tricolore, les adultes arborent une cocarde, La Flotte est en uniforme : la population s’amasse rapidement et jette des pierres, l’affaire tourne à l’émeute. Les relations françaises de l’événement parleront de prêtres agitateurs conseillant à la foule de tuer. La voiture rentre rapidement chez (le banquier) Moutte, la foule défonce les portes, Bassville et La Flotte sont pris à partie, Bassville reçoit dans l’échange un coup d’arme blanche qui entraînera sa mort le 14, vers sept heures du soir. » (Gérard Pelletier, Rome et la Révol. Fr., chapitre XVIII, 2004)

A la Convention, il est décidé de maintenir les pensions des ecclésiastes assermentés. Puis, M. Goupilleau, secrétaire, après une demande de renvoi, lit deux missives : « des représentants du peuple, Danton, Gossuin, Delacroix et Camus, commissaires de la Convention nationale à l'armée de Belgique, qui rendent compte des mesures qu'ils ont ordonnées pour le maintien de l'ordre et de la tranquillité publique et qui envoient un exemplaire imprimé de la proclamation et des instructions rédigées par le général Dampierre, pour l'assemblée des sections d'Aix-la-Chapelle ». Et il est précisé que « Nous vous prions de donner quelque attention à la proposition que nous vous faisons de nommer, sur-le-champ, les deux nouveaux commissaires, afin que Camus puisse se rendre promptement à Paris. » M. Prieur de la Marne propose une motion à la place de la demande des représentants en Belgique : « La Convention nationale décrète que Camus, l'un de ses commissaires dans la Belgique, reviendra dans le sein de l'Assemblée, aussitôt que le présent décret lui sera parvenu. Nomme, pour commissaires adjoints dans la Belgique, les citoyens Merlin (de Douai) et Johannot, qu'elle charge de partir aussitôt le jugement de Louis XVI, et d'aller se réunir au citoyen Gossuin, resté seul des commissaires de la Belgique, pour continuer avec lui les fonctions dont la commission a été chargée. »

Après que soit voté un acte d’accusation contre le directeur de la Chronique de Rouen, M. Mariette prend la parole : « Je demande que le décret soit porté par un courrier extraordinaire. (Applaudissements) » Ces différentes propositions sont adoptées, avec le texte définitif du décret rendu : « La Convention nationale, sur la pétition du citoyen député de la ville de Rouen, qui vient dénoncer le n°100 de la Chronique nationale imprimée en cette ville, et, sur la proposition d'un de ses membres, décrète qu'il y a lieu à accusation contre Leclerc, directeur d'un écrit périodique, intitulé : la Chronique nationale et étrangère, et en particulier des cinq départements substitués à la ci-devant province de Normandie. Décrète, en outre, que les scellés seront apposés sur ses papiers, et qu'à cet effet un courrier extraordinaire sera expédié à Rouen. Et charge le ministre de la justice de faire poursuivre les rebelles dans la ville de Rouen, qui ont insulté la cocarde nationale, et commis des attentats contre la nation et la liberté, et de rendre compte des poursuites tous les huit jours ».

14.01.
A l’Assemblée, le député de Paris, Pierre-Louis Manuel, secrétaire, fait la lecture d’une nouvelle lettre des commissaires en Belgique : ils y font part de l’application du décret du 15/02/92 à Aix-la-Chapelle ; et ils pointent les problèmes, quant à l’approvisionnement des troupes : fourrages pour les chevaux, vivres et appointements des soldats. « Nous joignons à cette lecture, citoyens nos collègues, la proclamation que nous avons faite dans le pays de Liège pour l'exécution du décret du 15 décembre ; celle que nous avons adressée au peuple d'Aix et de son territoire, relativement à l'indemnité de 60.000 livres que vous avez décrétée ; celle que nous avons adressée aux soldats, sur leurs besoins et sur la nécessité de la discipline ; nous y joignons aussi la première feuille d'un journal qui s'imprime à Liège sous le titre de Bulletin de la convention nationale liégeoise ; il est tout à la française, et les délibérations qui se trouvent recueillies dans cette feuille vous feront connaître le bon esprit qui anime plusieurs des communes de ce pays. » signé par MM. : Delacroix, Camus, Gossuin et Danton depuis Liège, le 8.01.1793. La Convention renvoie le tout au comité de la guerre.

M. Manuel continue la lecture des courriers, c’est au tour de M. Monge, ministre de la marine, qui a adressé la lettre suivante de M. d'Ailliaud, commissaire civil à Saint-Domingue : « Je m'empresse de vous annoncer, dit-il, que je suis parti du Port-au-Prince le 20 novembre dernier sur la frégate la Sémillante. Vous êtes informé, par la dépêche du 28 octobre, des troubles qui s'y sont passés le 19 même mois et jours suivants : mais la tranquillité n'a pu être rétablie, malgré l'avantage remporté au poste d'Ononaminthe sur les noirs révoltés. Quelques factieux continuent de souffler le feu de la discorde. Le citoyen Sonthonax (Sautenax dans le texte…), qui était resté au Cap, avait son autorité méprisée au point que non seulement il a désespéré de se faire obéir, mais qu'il a su qu'il avait été question de le faire embarquer. Nous avons à notre tour le chagrin, Polverel (Polverol) et moi, de voir que le même esprit d'insurrection se faisait sentir dans la province de l'Ouest et qu'on a voulu nous retenir de force à Saint-Marc. Le nombre et la hardiesse des malveillants augmentent et les moyens de répression diminuent, ce qui rend l'état de Saint-Domingue très alarmant. » Les échanges sur la censure de la pièce de M. Laya sont à nouveau abordées, la question de la police parisienne est posée par M. Hardy, et Thuriot tente de justifier « J'observe, en outre, à la Convention que, dans ce moment, tout le poids de la responsabilité repose sur l'administration de la commune sur ce point, et que certainement ce serait tenter cette responsabilité-là que de vouloir effacer la mesure qu'elle a prise. Je demande que l'on passe à l'ordre du jour pour l'intérêt de la République, et pour la sûreté de Paris. (Murmures prolongés à droite et au centre.) » Contrairement à Buzot qui pose l’acte de censure et les risques de troubles pouvant survenir de cette mesure. L'examen du procès de Louis XVI reprend.

Mardi 15.01.
A l’Assemblée, Vergniaud, président, la séance ouvre à dix heures cinquante-trois minutes du matin. M. Bancal donne lecture des lettres. M. Rouyer « demande que la lecture des lettres soit interrompue » et que l'appel nominal commence selon les dispositions prises la veille et à commencer sur « l’appel au Peuple » aux urnes pour se prononcer. Les députés sont appelés par département et Couthon déclare pour le Puy de Dôme : « Je crois, en mon âme et conscience, que l'appel au peuple est un attentat à la souveraineté ; car, certes, il n'appartient pas aux mandataires de transformer le pouvoir constituant en simple autorité constituée ; c'est une mesure de fédéralisme, une mesure lâche, une mesure désastreuse qui conduirait infailliblement la République dans un abîme de maux. Je dis non. » Il est approuvé que le jugement à rendre ne pourra être soumis à la sanction du peuple, par 424 voix contre 287 et 10 abstentions sur 717 membres présents dont 28 absents, 20 en mission, 8 portés malades selon le président (dans les annexes, l’on retrouve les 72 discours publiés). Le député Couthon « demande qu'on mette successivement aux voix les deux questions suivantes : 1° Louis Capet est-il coupable de haute trahison envers la patrie? 2° Si Louis est coupable, quelle peine a-t-il méritée?
» Suite aux débats posés par cette question préalable, il est déclaré, par 693 voix sur 743 députés (50 absents pour divers motifs), par appel nominal, Louis Capet est-il coupable de « Conspiration contre la liberté publique? »

Camille Desmoulins après une charge sévère sur les mois écoulés au sein de l’hémicycle propose : « Quant à la sanction du jugement, je n'en suis point d'avis ; je me résume. Eclairons la République, l'Europe et la postérité sur le procès qui nous occupe, et prononçons, sans appel, sur le sort de Louis. Voici le décret que je propose : - La Convention nationale décrète que les comités de législation, de sûreté générale et la commission des Douze se réuniront pour nommer six ou quatre commissaires parmi eux, lesquels seront chargés de dresser incessamment la réponse à la défense de Louis. Cette réponse sera soumise à la Convention nationale et imprimée, et le jugement de Louis sera prononcé sans appel. » Sur l’appel au Peuple, Fabre d’Eglantine, élu de Paris nie aux assemblées primaires de pouvoir défendre l’intérêt général : « Le peuple français réuni partiellement en six mille assemblées primaires n'a donc pas de volonté générale? Non : le peuple français ainsi assemblé exprime six mille volontés partielles indépendantes les unes des autres. »

16.01. A la Convention, M. Bancal fait lecture des lettres destinées aux élus présents, M. Pache en charge de la guerre, demande face au problème des charretiers qui abandonnent leurs services et les convois « une loi prompte contre la désertion. » Plus tard, il est lu la lettre des commissaires en Belgique, MM. Delacroix, Gossuin, Camus, et Danton, au sujet des subsistances de l'armée : « Citoyens représentants, Le général Miranda, qui commande en l'absence de Dumouriez et de Valence, est venu hier nous annoncer qu'il désirait vérifier l'état des subsistances de l’armée et la conduite du directoire des achats ; il nous a invités à y être présents. Quoique nous fussions certains d'avoir pris à cet égard tous les renseignements possibles, nous n'avons pas cru devoir nous refuser au vœu du général, qui ne tendait qu'à approfondir la vérité de plus en plus. Il a rassemblé toutes les personnes qui tiennent à l'administration des vivres ; il les a entendues contradictoirement en présence de tous les officiers généraux réunis, et il a fait dresser procès-verbal de leurs réponses. Nous lui en avons demandé une expédition, que nous joignons. L'intérêt que la Convention doit prendre à la conservation de l'armée fixera sans doute son attention sur le résultat des réponses données par l'agent unique du directoire des achats ; elles constatent que le directoire n'a ici ni magasins, ni argent, ni les agents nécessaires pour le service. » (Liège, le 13/01/1793) La Convention renvoie la lettre à la commission des Douze, pour en faire un rapport vendredi 18 du présent mois.

M. Bancal sur la fermeture des salles de spectacle dans la capitale communique l’arrêté suivant : « portant que les spectacles seront fermés ; considérant que cette mesure n'est pas nécessaire dans les circonstances actuelles, casse l'arrêté du conseil général de la commune de Paris ; ordonne que les spectacles seront inscrits comme à l'ordinaire ; enjoint néanmoins, au nom de la paix publique, aux directeurs des différents théâtres d'éviter la représentation des pièces qui, jusqu'à ce jour, ont occasionné des troubles, et qui pourraient les renouveler dans le moment présent ; charge le maire et la municipalité de Paris de prendre les mesures nécessaires pour l'exécution du présent arrêté. »  Le député Thuriot s’y oppose et Danton revenu de Belgique dans une ambiance délétère propose que la Convention casse l’arrêt du Conseil exécutif. Enfin, et malgré deux rappels à l’ordre de Marat, s’engage le troisième appel nominal des députés sur la question : « Quelle peine infligera-t-on à Louis Capet? » Le premier à se prononcer est le député Jean-Baptiste Mailhe de la Haute-Garonne se prononce pour la mort avec sursis.

17.01.
A l’Assemblée, il est encore procédé à l’appel nominal et par département, nous passons directement au tour du département de Paris, à ses 24 députés de donner leur jugement. La plupart des élus ont fait des très courtes interventions, quand l’expression n’est pas lapidaire et s’exprime pour la mort.

- Maximilien Robespierre est le premier à prendre la parole comme député de Paris  : « Je n'aime point les longs discours dans les questions évidentes ; (…) je me garderai bien surtout d'insulter un peuple généreux, en répétant sans cesse que je ne délibère point ici avec liberté, en m'écriant que nous sommes environnés d'ennemis, car je ne veux point protester d'avance contre la condamnation de Louis Capet, ni en appeler aux cours étrangères. J'aurais trop de regrets, si mes opinions ressemblaient à des manifestes de Pitt ou de Guillaume ; enfin, je ne sais point opposer des mots vides de sens et des distinctions inintelligibles à des principes certains et à des obligations impérieuses. Je vote pour la mort. »  Puis c’est au tour de Georges Danton : « Je ne suis point de cette foule d'hommes d'Etat qui ignorent qu'on ne compose point avec les tyrans, qui ignorent qu'on ne frappe les rois qu'à la tête, qui ignorent qu'on ne doit rien attendre de ceux de l'Europe que par la force de nos armes. Je vote pour la mort du tyran. »
- Collot-d'Herbois :
« Eloigné de la Convention nationale, j'ai déjà émis le vœu dont j'étais fortement convaincu ; ce vœu, c'est la mort. (…) Je vote pour la mort.
»
- Manuel :
« La peine de mort était à supprimer le jour même où une autre puissance que la loi l'a fait subir dans les prisons. Le droit de mort n'appartient qu'à la nature. (…) je demande, comme mesure de sûreté générale dans les circonstances où se trouve ma patrie, que le dernier des rois soit conduit avec sa famille prisonnière, d'ici à vingt-quatre heures, dans un de ces forts, ailleurs qu'à Paris, où les despotes gardaient eux-mêmes leurs victimes, jusqu'à ce qu'il ne manque plus au bonheur public que la déportation d'un tyran, qui alors pourra chercher une terre où les hommes n'aient pas de remords. Billaud-Varenne : « La mort dans les vingt-quatre heures. » 
- Camille Desmoulins :
« Manuel dans son opinion du mois de novembre a dit : Un roi mort, ce n'est pas un homme de moins. Je vote pour la mort, trop tard peut-être pour l'honneur de la Convention
(Murmures). »
- Marat :
« Dans l'intime conviction où je suis que Louis est le principal auteur des forfaits qui ont fait couler tant de sang le 10 août, et de tous les massacres qui ont souillé la France depuis la Révolution, je vote pour la mort du tyran dans les vingt-quatre heures. »
- Et dernier élu parisien à intervenir est Philippe-Egalité : « Uniquement occupé de mon devoir, convaincu que tous ceux qui ont attenté ou attenteront par la suite à la souveraineté du peuple méritent la mort, je vote pour la mort. » (Quelques rumeurs s'élèvent dans la partie droite de la salle.) Un grand absent l’abbé Grégoire parti en mission, il n’était pas favorable à la peine capitale.

Les tout derniers à présenter leurs choix, Xavier Izarn de Valady : « Pour la détention comme otage, sauf les mesures ultérieures à prendre en cas d'invasion du territoire français. » Le député du Morbihan, Claude Corbel est l’avant-dernier à se prononcer : « Pour la déportation pendant la guerre ; le bannissement à la paix et se termine avec Nicolas Enlart pour le Pas-de-Calais favorable à la mort.
» Vers sept heures en soirée, l'appel nominal est terminé. Deux heures après, le président des séances Vergniaud déclare que « la peine que la Convention nationale prononce contre Louis Capet est celle de la mort ». Le soir, le Testament de Louis XVI (Gallica-Bnf, 10 pages) est rédigé et adressé aux journaux et s'achève par : « Je pardonne encore très-volontiers à ceux qui me gardaient, les mauvais traitemens et les gênes dont ils ont cru devoir user envers moi. J'ai trouvé quelques âmes sensibles et compatissantes : que celles-là jouissent, dans le cœur, de la tranquillité que doit leur donner leur façon de penser. Je prie MM. Malesherbes, Tronchet et Desèze, de recevoir ici tous mes remerciemens et l'expression de ma sensibilité pour tous les soins et les peines qu'ils se sont donnés pour moi. Je finis en déclarant devant Dieu, et prêt à paraître devant lui, que je ne me reproche de génération en génération, à toute la postérité. Fait à Paris, ce jeudi soir, 17 janvier 1793. »

18.01. La Convention procède à un scrutin de contrôle à la demande de plusieurs de ses membres. Le résultat des votes donne 387 voix pour la mort sans condition, 334 voix en faveur de la détention ou d’une mort avec sursis, dont 28 députés sont notés absents pour 749 députés. En Belgique, le général Dumouriez pousse les patriotes Belges à constituer leur Convention nationale (un de ses desseins). Marat dans le Journal de la République se prononce sur l’appel au Peuple : « Soumettre à la ratification du peuple un jugement rendu  sur des raisons d'État, toujours hors de sa portée, est non-seulement un trait d'imbécillité, mais de démence. Il n'a pu être imaginé que par les complices du tyran, réduits pour couvrir leurs crimes et l'arracher au supplice, à livrer l'État aux horreurs de la guerre civile. Mon devoir est de m'opposer de toutes mes forces à l'exécution de ce projet désastreux : en conséquence je dis : Non. »


Arrêt de mort que présente
Olympe de Gouges

contre Louis Capet





Buste d'Olympe de Gouges à l'Assemblée nationale
réalisé par Jeanne Spehar et Fabrice Gloux


Et moi aussi, législateurs, je vote la mort du tyran. Je vote d'un manières différente à celle que vous avez prononcé et que crois infaillible. Je ne mettrai pas mon esprit la torture pour vous faire des phrases pour vous surprendre par des mots ; ce sont des faits qu'il faut dans cette circonstance périlleuse ; les voici :

Louis Capet, comme conspirateur, comme instrument du sang des victimes, qui a coulé pour la défense de la patrie, et qui a rougi la terre étrangère, a mérité sans doute mille morts. Je me suis dépouillée du titre de défenseur officieux (déclaration d'Olympe de Gouges du 16/12/1792), pour prendre celui de bonne citoyenne, qui m'est le plus naturel.

Quand je me suis proposé pour défendre Louis, il était sans appui, sans défenseur ; je m'étais imposé cette noble tâche et en descendant dans mon âme je ne voyais que la paix de mon pays en rendant le plus digne hommage à l'humanité, je le fis pour apprendre aux factieux que je ne composais pas l'aspect d'une belle action et des poignards. La gloire fit tout alors ; mon devoir fera aujourd'hui le reste.

Législateurs vous vous êtes déjà habitué a mes opinions, et j'ose dire qu'elle ne vous ont jamais été suspecte.

Sénat Français, je ne t'ai point quitté depuis que la majorité a prononcé la peine de mort de Capet. J'ai voulu entendre Brissot et Pétion, j'ai été étonnée. Est-ce à leurs âmes sans reproches (car je me plais à croire que ces deux législateurs sont sans tache, ainsi que la majorité des représentants du peuple) à redouter que la mort ou l'exil du tyran, préparent des malheurs inévitables et peut-être inconnus au monde. Républicains, mettez-vous au-dessus de la crainte et du soupçon, et vous sauverez la chose publique. Quoi ! le salut de la patrie dépendrait de Paris ! Quoi les satellites des puissances étrangères coalisées avec nos ennemis communs attendront-ils le supplice de Louis pour se montrer. Peuvent-ils nous jeter dans une aussi cruelle alternative? Quoi ce bonheur si attendu, ce gouvernement républicain qui nous a coûté tant d'or, tant de sang ; ce gouvernement, dis-je, tant désiré s'évanouirait dans un moment et n'offrirait plus que des lambeaux sanglants qui ne laisseraient la philosophie d'autres observations à faire, que les Français étaient nés pour les fers. Quoi le salut de la patrie dépendrait du despotisme de Paris, oh ! législateurs ! que Paris s'observe lui-même, et il porte sur sa tête une terrible responsabilité : la moindre démarche de sa part attentatoire à vos délibérations, aux propriétés et aux personnes, Paris aura vécu.

Législateurs ne rougissez pas d'imiter une femme qui n'a jamais connu d'autre crainte que celle des dangers de la patrie, je me lève contre la tyrannie, puissiez vous vous lever de même, apprendre à la postérité que les départements, les armées républicaines, tous les peuples de l'univers sont là pour juger Paris comme vous avez jugé le tyran.

Voici actuellement la peine de mort que j'ai à vous proposer pour Louis Capet et toute sa famille. J'ai senti qu'aux grands maux il fallait appliquer les grands remèdes. En remontant mon opinion de défenseur officieux, je crois que depuis que Louis a encouru la peine de mort comme roi, le glaive de la loi ne peut plus l'atteindre comme homme ; mais vous l'avez jugé, je respecte le décret de ma nation, tous allez discuter actuellement sur un sursis â l'exécution de son arrêt : Eh ! discutés plutôt sur un traité avec les puissance ennemies, achetez avec la tête de ce coupable une paix qui peut nous être favorable, qui peut épargner le sang de tous les peuples. Pourriez-vous balancer et choisir une juste vengeance, non sénateurs français, aucun de vous ne la préserverait à ce prix. Cette tête coupable une fois tombée elle ne nous est plus d'aucune utilité ; cette tête nous a coûté trop cher pour ne pas en tirer un réel avantage. Les tyrans de l'Europe donnent pour prétexte à leurs peuples, que nous nous égorgeons, que nous leurs déclarons la guerre pour leur envahir leurs états, leurs fortunes et que nous traînons au supplice un roi vertueux. Tant qu'il vit, ils ménagent leurs démarches ; une fois mort plus de frein à leur ambition et à leur vengeance ; offrez la grâce de ce criminel, à la condition qu'ils reconnaîtront par une démarche solennelle à la république française indépendante.

Par cette action d'éclat vous désarmez les peuples et vous confondez le tyrans, car législateurs en vain vous chercheriez à vous le dissimuler, la misère de nos troupes, nos finances épuisées, les ennemis en force, et tout ce qui peut nous faire apercevoir un avenir effrayant, nous forcent à conclure à cette paix non pas honteuse pour nous, mais pour les tyrans qui seront trop heureux d'acheter la grâce d'un de leur pareil, au prix d'une révolution qui leur coûterait cher. Oui, législateurs, je suis dans l'entière conviction que ce manifeste traduit dans toutes les langues du peuple Français à tous ceux de l'Europe déclare la guerre seulement aux rois et produit une insurrection universelle. Louis mort tiendra encore l'Univers dans l'esclavage. Louis, vivant rompt les chaînes de l'Univers en brisant les sceptres de ses pareils ; s'ils résistent, eh bien qu'un noble désespoir nous immortalise. On dit, avec raison, que notre situation ne ressemble ni à celle des Anglais, ni aux Romains. J'ai un exempte bien grand à offrir à la postérité ; le voici :

Le fils de Louis est innocent mais il peut prétendre à la couronne et je veux lui ôter toute prétention. Je voudrais donc que Louis, que sa femme, ses enfants et toute sa famille fussent enchaînés dans une voiture, et conduits au milieu de nos armées, entre le feu de l'ennemi et notre artillerie. Si, les brigands couronnés persistent dans leur crime, et refusent de reconnaitre l'indépendance de la république française, je briguerai l'honneur d'allumer, la première, la mèche du canon qui nous délivrera de cette famille homicide et tyrannique. La mort de Louis sera trop glorieuse, elle sera digne d'un peuple libre ; alors on ne dira plus en parlant des Français ils furent de honteux assassins, mais des hommes généreux.

Source : Gallica-Bnf,  Les archives de la Révolution, 4 pages

19.01.
L’île Bourbon dans l’Océan Indien prend le nom d’île de la Réunion. A la Convention, il est exécuté à la demande du président à un quatrième appel nominal, le secrétaire est M. Osselin, les députés présents répondent par un oui ou un non : « Sera-t-il sursis à exécution du jugement de Louis Capet ?  Par 380 voix contre 310, il est décidé qu’il n’y aura point de sursis à exécution, et ceci suivi de la lecture du texte final du décret : « Il sera envoyé à l'instant au conseil exécutif une expédition du décret qui prononce contre Louis Capet la peine de mort. Le conseil exécutif sera chargé de notifier dans le jour le décret à Louis, de le faire exécuter dans les 24 heures de la notification, de prendre pour cette exécution des mesures de sûreté et de police qui lui paraîtront nécessaires, et de veiller a ce que les restes de Louis n'éprouvent aucune atteinte. Il rendra compte de ses diligences à la Convention. Il sera enjoint aux maires et officiers municipaux de Paris de laisser à Louis la liberté de communiquer avec sa famille et d'appeler auprès de sa personne les ministres du culte qu’il indiquera pour l'assister dans ses derniers moments. » Cambacérès donne lecture des décrets rendus contre Louis Capet, les 15 et 17 janvier : « Il sera envoyé à l'instant au conseil exécutif une expédition du décret qui prononce contre Louis Capet la peine de mort. Le conseil exécutif sera chargé de notifier dans le jour le décret à Louis, de le faire exécuter dans les 24 heures de la notification, de prendre pour cette exécution des mesures de sûreté et de police qui lui paraîtront nécessaires, et de veiller a ce que les restes de Louis n'éprouvent aucune atteinte. Il rendra compte de ses diligences à la Convention. Il sera enjoint aux maires et officiers municipaux de Paris de laisser à Louis la liberté de communiquer avec sa famille et d'appeler auprès de sa personne les ministres du culte qu il indiquera pour l'assister dans ses derniers moments. »


Décret contre Louis Capet


Art. 1er.
« La Convention nationale déclare Louis Capet, dernier roi des Français, coupable de conspiration contre la liberté de la nation, et d'attentat contre la sûreté générale de l'Etat.

Art. 2. « La Convention nationale déclare que Louis Capet subira la peine de mort.

Art. 3. « La Convention nationale déclare nul l'acte de Louis Capet, apporté à la barre par ses conseils, qualifié d'appel à la nation du jugement contre lui rendu par la Convention ; défend à qui que ce soit d'y donner aucune suite, sous peine d'être poursuivi et puni comme coupable d'attentat contre la sûreté générale de la République.

Art. 4. « Le conseil exécutif provisoire notifiera, dans le jour, le présent décret à Louis Capet, et prendra les mesures de police et de sûreté nécessaires pour en assurer l’exécution dans les vingt-quatre heures, à compter de la notification, et rendra compte du tout à la Convention nationale immédiatement après qu'il aura été exécuté. »

20.01. A deux heures de l'après-midi, le ministre de la Justice, Dominique-Joseph Garat, fait notifier à Louis XVI, c’est-à-dire au citoyen Louis Capet le décret de la Convention. Louis Antoine l’a déjà reçu par ses défenseurs.



illustration des Révolutions de Paris de l'assassinat de Peletier de Saint--Fargeau

Vers cinq heures du soir, le conventionnel Lepeletier de Saint-Fargeau est assassiné à coup de sabre par un dénommé Pâris, alors qu’il se restaurait, voici le contenu du procès-verbal : « le dimanche vingt janvier, environ six heures du soir, sur l'avis donné au commissaire de police de la section de la Butte-des-Moulins (ex. Palais-Royal), par le citoyen Février, restaurateur, (…) à quoi obtempérant, sommes transportés à l'instant à la maison Égalité, chez ledit citoyen Février, numéro cent seize, dans une chambre à l'entresol, ayant vue sur le jardin de la Révolution, en présence des citoyens Duclos et Odiot, commissaires de ladite section ; dans laquelle nous avons trouvé couché sur un matelas à terre, le citoyen Louis-Michel Lepeletier, député à la Convention nationale, lequel nous a déclaré qu'étant dans une salle du citoyen Février, restaurateur, un particulier, à lui inconnu, lui a demandé s'il avait voté pour la mort du roi? Que lui ayant répondu qu'oui, et qu'en cela il avait fait son devoir, à l'instant il a tiré son sabre et lui a dit, en lui en portant un coup scélérat, voilà ta récompense. »

A sept heures, le seul voeux exaucé à l’ancien roi par la Convention est la venue d’un confesseur, à sept heures du soir l’abbé réfractaire de Firmont arrive à la prison du Temple. Ce dernier restera jusqu’à l’exécution du lendemain en compagnie de Louis XVI. Une heure après, l’ancien monarque fait ses adieux à sa femme, Marie-Antoinette, à sa soeur, Mme Élisabeth, et à ses deux enfants. A trois heures du matin à l’Assemblée, après avoir décrété dans la journée, le jugement notifié à Louis Capet par une délégation du Conseil exécutif, il est précisé que l'exécution sera assurée dans les vingt-quatre heures. La Convention lève la séance. Le député Guy-Armand de Kersaint qui s’était prononcé pour l’emprisonnement du roi donne sa démission en faisant référence aux 2 et 3 septembre 1792. Ce qu’il confirmera deux jours après en se prévalant de son immunité parlementaire et confirmant son refus de continuer à siéger  au sein de l’Assemblée.

21.01. A huit heures moins le quart du matin,
une délégation de la commune d’une dizaine de soldats de la garde nationale, sous les ordres du commandant Santerre, arrivent à la prison du Temple ; Louis Antoine se recueille quelques instants avant de partir. Dans un grand calme, Louis monte dans le carrosse du maire de la capitale et récite tout au long du parcours une prière à voix basse, il est accompagné de l’abbé Firmont et de deux gendarmes. S’engage la route, dans un grand silence, tout au long des militaires, derrière une foule mutique, la voiture arrive à 10 heures et reste sans mouvement place de la Révolution durant cinq minutes, où sont présents 80.000 hommes en armes. A dix heures et vingt deux minutes du matin, Louis XVI est guillotiné. Des « hourra » et autres appels, ou cris libérateurs sont lancés, rapidement la vie parisienne reprend son cours.



Place de la révolution, la tête de Louis XVI est exhibée à la vue des présents

A l’Assemblée, la séance du matin a débuté à 10 heures et l’on y a fait la lecture de la lettre du commandant Santerre, arrêté par le Conseil exécutif, sur les préparatifs de l’exécution et le bon ordre des choses. Il est interdit aux militaires de partir avant 12 heures de la place et il est prohibé toute manifestation bruyante du public, aucun tir ou feu d’arme ne devant éclater, le tout sous une bonne garde et la présence des sections. Il est ensuite abordé la question de l’assassinat de Lepeletier de St-Fargeau, un débat houleux entre montagnards et girondins débouche sur la mise en accusation du meurtrier Pâris. Le conventionnel Jean-Bon-St-André dénonce le placard de Xavier de Valady député de l’Aveyron, ancien aide de camp de Lafayette, devenu girondin et l’on demande la mise en accusation de Kersaint. A la séance du soir il est débattu de la composition des membres du comité de surveillance, le député Birotteau demande à se conformer au décret rendu « et ajournons à demain, comme cela a été décrété, le renouvellement du comité de surveillance. » Vergniaud à la présidence met : « la question aux voix ». La Convention décide le renouvellement du comité de surveillance séance tenante. Plusieurs membres sur la droite de l’hémicycle remarquent que « l'Assemblée n'est pas en nombre, comment voulez-vous voter? » Au long « de l'appel, qui a commencé par le département de la Gironde, chaque membre lit à haute voix les noms des 12 membres pour qui il vote, et dépose ensuite la liste, signée de lui, sur le bureau. » L'appel terminé le président annonce le résultat ; qui « donne 299 listes, nombre égal à celui des suffrages exprimés (sur 749). (…) Voici la liste des membres que le sort a désignés. Ce sont les citoyens : Albitte, Brival, E. de la Vallée, Couppé, Guyomard, Lindet, Maribon-Montaut, Hérard, Rabaut-Pomier, Gay, Vernon, Geoffroy le jeune et Barbeau du Barran ».

Dans son Journal de la République ou l'édition du jour, Jean-Paul Marat diffuse sa position donnée à l’Assemblée sur le sursis à exécution : «  Examinez ces audacieux, vous y verrez à leur tête de ces intrigants qui se sont attachés au char du ministre tout puissant, après avoir capitulé avec le monarque un peu avant le 10 août. Vous y verrez des ex-nobles, des ex-financiers, des maltôtiers, des agioteurs, des suppôts de la chicane qui, depuis quatre mois, calomniaient le patriotisme en se couvrant de son masque, qui se targuaient d'être républicains en servant le royalisme, des complices du tyran qui tremblent d'être reconnus pour des traîtres. Le sursis qu'ils demandent n'est donc qu'une simple détention en attendant les événements désastreux qu'ils préparent. Cette mesure a été rejetée, il est insensé de la reproduire. Messieurs, vous avez décrété la République, mais la République n'est qu’un château de cartes, jusqu'à ce que la tête du tyran tombe sous le glaive de la loi. » (C'est fait !)

22.01. A La Convention nationale, après avoir entendu, Marie-Joseph Chénier, pour le comité d'instruction publique, il est décrété en son premier article que le jeudi, 24 janvier, « à huit heures du matin, seront célébrées, aux frais de la nation, les funérailles de Michel Lepeletier, député par le département de l'Yonne ». Assisteront, les membres du conseil exécutif et l’ensemble des députés, plus « les corps administratifs et judiciaires (art. 2) ». Et « le conseil exécutif et le département de Paris se concerteront avec le comité d'instruction publique, relativement aux détails de la cérémonie funèbre (art. 3) ». Il est rajouté après une intervention du député Delacroix, un article 4 précisant que, « Les dernières paroles prononcées par Michel Lepeletier, seront gravées sur sa tombe, ainsi qu’il suit : « Je suis satisfait de verser mon sang pour la patrie ; j'espère qu'il servira à consolider la liberté et l'égalité, et à faire reconnaître ses ennemis. »

23.01.
A la Convention, à la séance du matin, à la lecture des lettres, le ministre de l’Intérieur, M. Roland donne sa démission. Au passage il dénonce quelques malversations financières dans l’approvisionnement des troupes. Le courrier lu devant l’assistance provoque quelques remous et contestations de MM. Thuriot et de Robespierre dit le jeune (son frère). Finalement la démission est acceptée, Jean-Bon-St-André exprime avec persuasion, qu’il n’est pas possible de « tenir enchaîné un homme qui veut être libre. » (Lire la lettre de démission, Annexe II) Les commissaires de Belgique présentent leur rapport sur les mois écoulés , à noter que le général Miranda a connu trois commissaires adjoints aux comptes, dont un renvoyé.
(Arch. Parl., en 4 parties dans les annexes, pages 610 à 631)

Marat se fait écho du supplice de Louis XVI dans son édition du jour : « La tête du tyran vient de tomber sous le glaive de la loi ; le même coup a renversé les fondements de la monarchie  parmi nous; je crois enfin à la République. Qu'elles étaient vaines les craintes que les suppôts du despote détrôné cherchaient à nous inspirer sur les suites de sa mort, dans la vue de l'arracher au supplice. Les précautions prises pour maintenir la tranquillité étaient imposantes, sans doute ; la prudence les avait dictées ; mais elles se sont trouvées tout au moins superflues : on pouvait s'en fier à l'indignation publique ; depuis le Temple jusqu'à  l'échafaud, pas une voix qui ait crié grâce ; pendant le supplice, pas une qui se soit levée en faveur de l'homme qui naguère faisait les destinées de la France ; un profond silence régnait tout autour de lui, et lorsque sa tête a été montrée au peuple, de toutes part se sont élevés des cris de Vive la nation! vive la République! Le reste de la journée a été parfaitement calme; pour la première fors depuis la fédération (1790), le peuple paraissait animé d'une joie sereine ; on eût dit qu'il venait d'assister à une fête religieuse ; délivrés du poids de l'oppression qui a si longtemps pesé sur eux, et pénétrés du sentiment de la fraternité, tous les cœurs se livraient à l'espoir d'un avenir plus heureux. »

Jeudi 24.01. A Rome, les Juifs romains sont pris à partie par la foule, dénoncés comme complices de la Révolution française, « le Peuple dirigea sa haine contre les Juifs, (…) et la présence des troupes seules empêcha que tout le quartier ne fut brûlé », selon les Révolutions de Paris (n°187, page 291).  Lire l’Annexe III « Toujours des prêtres » des Révolutions de Paris sur les événements de Rome en janvier 1793. A Londres, il est ordonné au ministre (ambassadeur) de la République française de quitter le royaume britannique. A Paris sont organisées des funérailles grandioses pour Lepeletier de Saint-Fargeau, assassiné le 20 janvier pour avoir voté la mort du roi. Aux Etats-Unis, à Boston, la population célèbre la victoire de la bataille de Valmy de septembre 1792. (La Révolution française vue de loin, de Simon P. Newman, 1991, CAIRN info)
Des troupes prussiennes entrent en Pologne. A la séance du matin à la chambre législative, M. Bancal fait lecture du procès-verbal et fait part des courriers parvenus ; le soir les tensions demeurent à l’extrème gauche de l’hémicycle et il est procédé à l’élection du nouveau président et de ses 3 secrétaires, sur 355 votants, la majorité absolue est de 178, c’est M. Rabaut-Saint-Etienne avec 179 suffrages qui est élu, puis en fin de séance sont désignés MM. Bréard, Cambacérès et Thuriot (161, 151, et 131 votes).

25.01.
Devant l’Assemblée, le commissaire et député de la Haute-Loire, Armand Camus, déclare suite à son séjour en Belgique que la : « mission dans la Belgique avait trois objets : 1° prendre Connaissance de l'état de l'armée, examiner les dépenses, chercher la cause de dénuement où elle se trouvait ; veiller à l'exécution au décret du 15 décembre ; les mesures à prendre pour ne point laisser dilapider les biens que tous avez déclaré nationaux. Delacroix vous a lu le mémoire que j'avais été chargé dé rédiger. Vous avez lu qu'il y avait eu, par négligence ou ineptie, Une fausse dépense de 150 millions. Ce rapport, qui tous a été présenté, n'est qu'une instruction générale ; nous vous proposerons ensuite les décrets particuliers pour remédier au mal que nous avons découvert. Mais dès Aujourd'hui vous pouvez nous rendre compte que le défaut des subsistances vient du comité des achats. Le ministre Pache vous a dit, dans une lettre, qu'il avait demandé à Miranda quelle était la cause du dénuement ; Miranda a dû le montrer. Il est venu nous trouver, il nous a proposé d'assister en corps aux vérifications qu'il voulait faire. Miranda a assemblé en notre présence tout ce qui concernait l’administration du ministre ; » puis apporte pour preuve à l’appui les coûts du fourrage venus de Valenciennes plus onéreux. Il est décrété la mise en arrestation de MM. « Bidermann, Cerfberr et Cousin », qui pourront néanmoins continuer leur négoce, mais sous surveillance. Plus tard, M. Camus reprend la parole et aborde la question de l’exécution du décret du 15 décembre 92, qu’il trouve peu appliqué et « demande que le comité diplomatique présente des instructions relatives à la tenue des assemblées, pour être envoyées au peuple de la Belgique. Après avoir donné ces instructions, nous déclarerons aux Belges, que si, dans quinze jours, ils n'exécutent point votre décret, nous les considérerons comme refusant de traiter avec nous. » Il est ensuite suivi par le député Sieyès, qui propose pour le comité de défense générale un rapport sur la réorganisation du ministère de l’Armée. A nouveau, l’assassinat de Louis-Michel Lepeletier est évoqué, avant que ne soit abordé un rapport  de M. Dubois-Crancé sur l’augmentation des salaires des marins dans la perspective de la guerre. Les mesures prises en urgence ne donneront plus lieu à un débat, et
toutes les décisions antérieures sont abrogées.

26.01.
Le général Dumouriez quitte Paris et se dirige vers Dunkerque pour rejoindre la Belgique. A la Convention, M. Guillermin, au nom du comité colonial, fait un rapport et présente un projet de décret sur les pétitions des citoyens et militaires déportés de l’île de la Guadeloupe. Il est décidé que « Le ministre de la marine donnera des ordres pour que les citoyens déportés de la Guadeloupe à Nantes, sur le navire la Demoiselle (43 personnes) et sur le navire la Suzette (47 déportés, dont un Libre de couleur), desquels la liste nominative, est jointe au présent décret, y soient sans délai reportés ; » et à leurs frais. Ensuite sont débattues les questions qui afférent aux services de santé de la marine.

27.01. Dans la capitale, il est planté, un chêne fédératif ou un arbre de la Fraternité sur la place du Carrousel. A la Convention, le maire de Strasbourg M. Dietrich demande à changer de la juridiction de Besançon pour son jugement. Il est décidé qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Marat dans son périodique se consacre à des réflexions sur la Révolution, notamment sur sa fragilité, et parle de miracle, si
la république a pu échapper aux différentes intrigues ou complots contre-révolutionnaires, il affirme ne pas vouloir la guerre au-delà des frontières. Il interpelle sur le chemin parcouru depuis 1789. Comme d’autres, il se voit depuis quelque temps accuser de royalisme ou d'être un aristocrate. En préambule de ses réflexions, après une petite pique à destination de Philippe Egalité, Marat lui propose de calmer « les têtes chaudes sur la souveraineté », lui offre la prise en charge de la présidence du club des Indigents « que j’ai postulée et qu’on lui accordera à ma recommandation. (…) Et comme la soif des grandeurs humaines n'est pas éteinte dans mon âme, je demande à mon peuple la faveur insigne de m'élever à sa dignité de modérateur des têtes chaudes de sa montagne, et d’instigateur des têtes glacées du marais. Je me sens assez de courage pour remplir avec gloire ce double emploi ; mais il faut que ces têtes se prêtent un peu à leur reforme ; s'il en est de récalcitrantes, je solliciterai contre elles un arrêt d’anathème que je ferai mettre en vers et en musique, sur l'air : « Changez-moi cette tête » ; ce qui produira un effet merveilleux ». (Journal de la Rép. Fr., n°108, page 2)

28.01. Depuis la ville allemande d’Hamm, le comte de Provence se proclame régent de France. A la Convention, beaucoup de lettres sont présentées à l’assistance, parvenues aussi bien de l’ancien et des toujours ministres, Roland, Garat, Monge, Pache, etc. M. Salicetti fait un exposé sur l’état de la Corse, il fait appel à des mesures appropriées pour répondre à sa défense : « Citoyens, si je viens réclamer un instant votre attention, c'est pour un objet important. Je vais vous exposer en très peu de mots l'état où se trouve le département le plus lointain de la République. La défense de l’île de Corse, dont la position intéressante domine l'Italie, et protège les côtes méridionales de France, mérite, à la veille d'une guerre maritime, toute la sollicitude des représentants du peuple. (…) Les habitants de cette île, accoutumés à combattre depuis des siècles, pour la liberté, Français par intérêt autant que par inclination, sauront, n'en doutez pas, repousser les ennemis qui s'approcheraient de leur territoire ; il n'est question que de les diriger, de les éclairer sur des pièges que des prêtres fanatiques et des intrigants pourraient leur tendre ; de les aider par des moyens qu'ils n'ont pas en leur pouvoir, et vous pouvez compter que les Corses, fidèles aux principes et à l'unité de la République que vous avez consacrés, défendront cette île avec tout le courage d'un peuple qui sent ses forces, et connaît la cause sacrée pour laquelle il combat. » Et, il annonce au final qu’il fera un rapport sous huit jours. M. Réal au nom du comité des finances fait adopter le paiement au concierge de la prison de l’Abbaye la somme de 19.000 livres pour la période de juillet au 5 septembre 1792 (qu’avait refusé de payer en partie M. Roland). Après quelques altercations et le refus de
François Buzot.,celui-ci dénonce par la même occasion l’arrestation du journaliste Nicole, détenu à la prison de l’Abbaye. A son tour, le député Sieyès continue son exposé sur l’organisation du ministère de la guerre, suivi des discours sur le sujet de Saint-Just, de Fabre d’Eglantine et de Buzot. (Arch. Parl., fin du tome LVII)

29.01.
A la Convention, la défense de la frontière avec le royaume espagnol est abordée par un député de Haute-Garonne sur le manque de moyens de l’armée de Pyrénées, il est lu par la suite un rapport des commissaires Carnot, Garrau et Lamarque sur le sujet. Dans sa publication, Marat écrit sur le « coquinisme » de Dumouriez, il publie une lettre de soldats parisiens, qui se plaignent de son comportement avec les volontaires, de leurs très mauvaises conditions par rapport à l’armée d’active (ce que confirme la lettre de Roland). Ensuite, dans le même esprit, il s’en prend au Général Santerre, il invite à ce que l’on lui communique des informations sur les chefs nommés par le commandant de la garde parisienne. (Journal de la RF, n°110)

30.01.
En Bretagne, en Côtes-du-Nord (aujourd’hui d’Armor) après 3 jours d’agonie, à 4 heures et demi du matin, Armand Tuffin de La Rouërie, proche du comte d’Artois et conspirateur royaliste, ancien de la guerre d’indépendance des Etats-Unis, meurt à l’âge de 41 ans.  Membre et dirigeant de « l’Association Bretonne », il devait diriger une insurrection en mars, qui n’aura pas lieu suite à l’arrestation de ses partisans. A l’Assemblée, il est proposé d’adjoindre 3 membres au Comité de Défense générale : « Le président (…) a observé qu’il paraissait convenable de proposer à la Convention nationale de décréter que trois membres, pris dans le Comité de correspondance fussent autorisés à assister au Comité de défense générale pour s’y pénétrer des objets, dont il était du devoir du Comité de correspondance d’instruire les commissaires de la Convention nationale ». Les membres du comité ont chargé le citoyen Roux (Louis-Félix, montagnard), « d’en faire demain la proposition à la Convention nationale au nom du dit comité. » La mesure sera approuvée le lendemain. Ce même comité de Défense se transformera en comité de Salut Public dans peu de semaines. Marat, dénonce le marquis de Sillery et député de la Somme, selon lui, il voudrait « placer le général Valence au ministère de la guerre ». Il est demandé que « la discussion soit fermée ». M. Lebrun, le ministre des affaires étrangères annonce que M. Chauvelin, ministre plénipotentiaire auprès du gouvernement britannique a reçu l’ordre de quitter l’Angleterre. (Arch. Parl., tome LVIII)

31.01. En Bretagne, c’est le décès de M. de La Rouërie, le conspirateur royaliste
est enterré secrètement. A Paris, la Convention, suite au rapport de M. Blad, du comité de la marine, l'on décide d'autoriser les armateurs et capitaines à armer des navires corsaires. Lire l'Annexe IV, adoption du décret sur l’armement de course et lettres de marque et suspension de la loi du 13 mai 1791. Le ministre de la guerre, M. Pache, envoie copie d’une lettre du 28/01 du général Miranda et la missive du maire de Liège lui adresse les vœux « presque unanime des Liégeois » d’être rattachés à la République française. Le comté de Nice après un vote de sa population devient le quatre-vingt-cinquième département avec pour nom les Alpes-Maritimes, et le pays de Liège formera le département de l'Ourthe.

à suivre...


Annexe I - Traité Rayneval-Eden (1786)

Conclu, à Paris, le 26 septembre 1786, par M. Gérard de Rayneval (1778-1836, diplomate, Pair de France sous Louis-Philippe) et William Eden (1744-1844, baron, proche de William Pitt, diplomate de 1788 à 1793). Indépendamment du nouveau tarif, d'après lequel les droits à payer pour les marchandises réciproquement introduites furent fixés, ce traité renferme diverses stipulations d'un intérêt général, parce qu'elles entrent dans le droit des gens. L'art. 22 ne comprend, sous le nom de contrebande de guerre, que les armes de toute espèce et tous les instruments de guerre servant à l'usage des troupes ; et l'article suivant donne le dénombrement des objets qui ne pourront pas être envisagés comme contrebande de guerre. Indépendamment de ceux qui ont toujours été regardés comme libres, il nomme encore tous les genres de coton, les cordages câbles, voiles, toile propre à faire des voiles, chanvre, suif, goudron, brai et résines, ancres et parties d'ancres, mâts de navire, planches, madriers, poutres et toutes sortes d'arbres et de toutes les autres choses nécessaires pour construire et pour radouber des vaisseaux.

Les articles 24 à 28 règlent la manière dont se fera, en temps de guerre, la visite des bâtiments et la saisie des marchandises de contrebande seulement, et sans que la saisie puisse s'étendre sur les autres marchandises, ni sur le vaisseau même. L'article 29 établit le principe, que le pavillon ne couvre pas la marchandise. Tout, y est-il dit, ce qui se trouvera chargé par les sujets et habitants de part et d'autre, en un navire appartenant aux ennemis de l'autre, bien que cela ne fût pas des marchandises de contrebande, sera confisqué comme s'il appartenait à l'ennemi même, excepté les marchandises et effets qui auront été chargés dans ce vaisseau avant la déclaration de la guerre, ou l'ordre général de représailles, ou même depuis la déclaration, pourvu que s'ait été dans les termes qui suivent, etc. Il est réglé, par l'art. 34, que les bâtiments de l'une des deux nations, repris par des armateurs de l'autre, seront rendus au premier propriétaire, s'ils n'ont pas été en la puissance de l'ennemi durant l'espace de vingt-quatre heures, à charge par ledit propriétaire de payer le tiers de la valeur du bâtiment repris, ainsi que de sa cargaison, de ses canons et apparaux.

Les vaisseaux de guerre des deux souverains et ceux qui auront été armés en guerre par leurs sujets, pourront, d'après l'art. 40, conduire leurs prises dans les ports de l'autre puissance, sans payer aucun droit ni être visités ; au contraire, il ne sera pas donné asile à ceux qui auraient fait des prises sur les sujets de l'autre puissance ; et si des armateurs d'une puissance ennemie de l'une des parties contractantes ont été forcés par les périls de la mer à entrer dans un port de l'autre, on les en sera sortir le plus tôt possible.

Par l'article 46, la durée du traité fut limitée à douze années.

Ce traité de commerce fut très-avantageux à l'agriculture française, et nommément à la fabrication des vins, eaux-de-vie et huiles. Il fut encore favorable aux manufactures de glaces, à l'orfèvrerie, aux modes et aux batistes français. Il força, par la concurrence, les fabricants de tissus de coton, de faïence, de sellerie et de quincaillerie, à perfectionner leur fabrication ; mais, jusqu'à l'époque où ils parvinrent à la perfection anglaise, il leur causa des pertes momentanées. Les fabricants d'étoffes de soie et d'ouvrages de coton et laine mêlés de soie, ne gagnèrent ni ne perdirent ; leurs marchandises restèrent prohibées en Angleterre comme elles l'étaient auparavant. M. Eden fut accusé d'ignorance dans le Parlement anglais pour avoir consenti à ce traité ; on argumentait contre lui de ce que la France ayant la certitude du débit des produits naturels, et pouvant arriver à l'égalité des produits industriels, le traité était en sa faveur.

Par le traité entre l'Espagne et la Grande-Bretagne (Traité de paix définitif entre les deux parties) :
Art. 1er. On arrête le rétablissement de la paix, la cessation de toutes hostilités, un oubli et une amnistie générale de part et d'autre.
Art. 2. Tous les traités entre l'Espagne et la Grande-Bretagne, depuis ceux de Westphalie jusqu'à la paix de Paris de 1763 inclusivement, sont renouvelés dans tous leurs points, hormis ceux auxquels il est dérogé par le présent traité.
Art. 3. Les prisonniers et les otages sont rendus.
Art. 4. L'île de Minorque restera au roi d'Espagne.
Art. 5. L’Angleterre cède à l'Espagne les deux Florides, savoir, l'orientale et l'occidentale.
Art. 6. Il sera permis aux Anglais de couper du bois de teinture ou de campêche dans les districts situés entre les rivières de Wallis ou Bellize et de Rio-Hondo, sans que ces concessions puissent nuire aux droits de souveraineté du roi d'Espagne, et sans qu'il soit libre aux Anglais d'y construire des forts.
Art. 7. L'Espagne restitue à l'Angleterre les îles de Providence et de Bahamas, qui sont du nombre des îles Lucayes.
Art. 8.Toutes les autres conquêtes qui pourraient avoir été faites de part et d'autre, seront rendues sans compensation.
Rétablissement  des liens d’amitié entre Royaume-Uni et les Pays-Bas :
L'art. 1er de la paix entre la Grande-Bretagne et les États-généraux (Traité de paix entre l'Angleterre et la Hollande Paris le 20 mai 1734) rétablit l'ancienne amitié et bonne intelligence, l'oubli du passé, etc.
Art. 2. Les Hollandais continueront à l'accorder, comme par le passé, l'honneur du pavillon et le salut en mer aux vaisseaux britanniques.
Art. 3. Les prisonniers et otages seront élargis. Les vaisseaux qui auraient été enlevés après l'expiration du terme fixé la par suspension d'armes, seront rendus.
Art. 4. Cession de Négapatnam en faveur de l’Angleterre. Le roi de la Grande-Bretagne fait espérer seulement aux États-généraux de traiter avec eux dans la suite sur la restitution de cette place, moyennant un équivalent.
On jeta cette amorce à la république, pour l'inviter à renouveler tôt ou tard ses liaisons avec l'Angleterre. Trinquemalay avait été reconquise par M. de Suffren ; mais le bruit courait que cette place était retombée au pouvoir des Anglais, et c'est ce qui engagea les ministres hollandais à en stipuler expressément la restitution.
Article 5. Restitution de Trinquemalay (Ceylan) et autres villes, forts et établissements hollandais, dont les Anglais s'étaient emparés pendant la guerre.
Art. 6. Engagement des États-généraux à ne point troubler la navigation des sujets britanniques dans les mers de l'Inde ; c'est-à-dire, dans les mers où les Hollandais avaient maintenu jusqu'alors la navigation et le commerce exclusif. Cet article est le plus fort de tout le traité, et il coûta infiniment aux Hollandais de l'accorder.
Art. 7. On convient de nommer des commissaires pour régler les différends entre la compagnie anglaise de l’Afrique et la compagnie hollandaise des Indes occidentales, touchant leur navigation réciproque sur les côtes de l'Afrique.
Art. 8. Toutes les autres conquêtes qui pourraient avoir été faites, non comprises dans les présents articles , seront rendues sans compensation.
Établissons la balance entre les pertes et les avantages que ces traités stipulèrent relativement aux différentes parties contractantes.

La Grande-Bretagne perdit la souveraineté sur une grande partie de ses colonies situées dans l'Amérique septentrionale. Cette perte paraissait plus réelle qu'elle ne l'était. En effet, les colonies ne rapportaient rien au gouvernement anglais ; tout l'avantage que la métropole en tirait consistait dans le bénéfice que les négociants trouvaient en faisant un commerce exclusif avec les Américains. Ils perdirent ce monopole ; mais leur commerce avec ces peuples ne fut jamais plus étendu que depuis la paix de Versailles. L'augmentation prodigieuse qu'éprouva la population des treize nouvelles républiques, et le défaut de manufactures dans un pays entièrement voué à l'agriculture, eurent une heureuse influence sur l'industrie des Anglais, à laquelle furent aussi ouverts de nombreux débouchés, par la faculté qu'ils obtinrent de naviguer dans les mers d'où les Hollandais les avaient jusqu'alors exclus. Cet avantage compensa largement le léger préjudice que causait aux Anglais la participation des Américains à la pêche sur les côtes de Terre-Neuve.

La Grande-Bretagne céda à la France l'île de Tabago, qu'elle avait acquise par la paix de 1763. Elle céda à l'Espagne l'île de Minorque et les deux Florides ; mais elle conserva l'importante possession de Négapatnam, à laquelle les Etats-généraux furent obligés de renoncer.

La France fut débarrassée de la présence des commissaires anglais, qui, depuis la paix d'Utrecht, résidaient à Dunkerque pour veiller à ce que les fortifications de ce port, objet de la plus vive jalousie de la Grande-Bretagne, ne fussent rétablies. Elle regagna, en territoire, que les établissements du Sénégal et l'île de Tabago mais elle rétablit sa considération politique, à laquelle la guerre de 1757 et le traité de 1763 avaient porté atteinte, et elle ouvrit à ses sujets le commerce d'une partie du continent américain, d'où ils avoient été exclus jusqu'alors. Parmi les avantages qu'elle obtint, nous ne comptons pas l'acquisition d'un allié qui lui devait son indépendance ; ce serait un calcul erroné en politique, que celui qui se fonderait sur la reconnaissance.

NOTE SUR L'ILE DE TABAGO

Ce que nous avons dit, page 8 et 9 de ce volume, des établissements formés par les Courlandais dans l'île de Tabago, paraît avoir été inconnu à RAYNAL, qui n'en parle pas dans son Histoire des établissements des Européens dans les deux Indes. (…) L'auteur de cet ouvrage s'appelait PRÆTORIUS, et était un des conseillers du duc Frédéric-Guillaume. (…)

Le duc de Courlande profita de la situation avantageuse de son pays et de l'ordre qui régnoit dans ses finances, pour établir un commerce lucratif qu'il faisait pour son compte, en achetant les grains de la Pologne et les revendant à l'étranger à un prix pour lequel les négociants de Riga, ville alors suédoise, ne pouvaient pas concourir avec lui. Il bâtit un grand nombre de vaisseaux, et fit faire des voyages de découverte. Il fit établir divers comptoirs sur la côte des Dents, en Gainée, et construire le fort Saint-André, à l'embouchure du fleuve de ce nom, possession d'autant plus importante que les habitants des pays de Drewin et d'Adow ne souffrent guère d'établissements européens. Les Courlandais faisaient, de ces comptoirs, la traite des noirs avec les Antilles. Ce commerce fit naître au duc le désir d'avoir lui-même une possession dans cet archipel. L'ile de Tabago était alors déserte ; mais l'Angleterre y formait des prétentions, parce qu'en 1626, un certain Thomas Warner en avait pris possession. Le roi Jacques Ier y renonça en faveur du duc de Courlande, son filleul. Celui-ci la fit peupler en 1642, et y bâtit Jacobstadt. Olivier Cromwell, avec lequel il conclut, en 1652, un traité, confirma cette possession. Quelques années après, les frères Lambsten s'en emparèrent, pendant que le duc Jacques était prisonnier à Riga.

Après sa délivrance, il passa, avec Charles II, l'acte dont nous avons parlé, et fit des démarches infructueuses pour engager les Hollandais à lui restituer sa propriété ; mais en 1680, le roi d'Angleterre l'en fit mettre en possession par le gouverneur de la Barbade. Plusieurs Allemands et Courlandais s'y fixèrent alors, et le duc conclut, avec un Anglais, nommé John Poyntz, un traité par lequel celui-ci s'engagea à y établir 1.200 colons ; mais le gouvernement anglais, qui craignait que Tabago ne fit du tort aux plantations de sucre de la Barbade, contraria l'exécution de ce marché, de manière que les colons courlandais abandonnés sans secours, se rembarquèrent en 1683, et que l'île resta déserte.

Sous le règne de Frédéric-Casimir, fils du duc Jacques, le baron de Blomberg, envoyé de Courlande à Londres, conclut, avec Poyntz, un nouveau traité pour peupler l'île, et Poyntz fut nommé, en 1695, gouverneur de Tabago ; mais diverses circonstances empêchèrent l'exécution du marché, et on assure que les puissances maritimes et la France convinrent, à Ryswick, que l'île resterait déserte. Un nouveau traité fut projeté, en 1698, avec une autre compagnie; mais Frédéric-Casimir venait de mourir : son fils , Frédéric-Guillaume, enfant de six ans, était élevé en France, par sa mère, fille du grand-électeur, et la Courlande se trouvait sous une administration composée de l'oncle et des ministres du jeune prince. Ceux-ci envoyèrent à Londres le même Prælorius, qui nous a conservé tous ces détails ; mais, étrangers au commerce, et n'ayant aucune idée du pays où ils voulaient former des colonies, ils firent des prétentions exagérées. Cependant Prætorius termina, le 30 octobre 1699, avec une société, qui s'engagea à défricher 50.000 acres. Mais Guillaume III, à la sanction duquel ce traité fut soumis, déclara la concession de 1664 nulle, éteinte, et au surplus préjudiciable aux intérêts de la Grande-Bretagne. Depuis cette époque, il ne fut plus question de repeupler Tabago pour compte des ducs de Courlande, et leur pavillon, anciennement si considéré, cessa de paraître dans les mers.

Source : Histoire abregée des traites de paix, pages 411 à 420
MM. de Koch et F. Schoell - Paris 1817


Annexe II -
Lettre  Roland, démission du ministre de l’Intérieur



M. Roland en portrait (XIXe siècle)

Convention nationale - Cinquième lettre de Roland, ministre de l’intérieur, expositive de sa conduite et par laquelle il déclare donner sa démission.

Je viens offrir à la Convention mes comptes, ma personne, et lui donner ma démission. Je crois avoir rempli mes devoirs en qualité de membre du conseil, de même qu'en celle d'ordonnateur d'un département. J'ai discuté les questions et traité les grands intérêts dont nous avions à nous occuper avec la plus scrupuleuse attention, et je n'entends pas échapper à la responsabilité des délibérations auxquelles j'ai participé effectivement; mais je déclare que je ne signerai point le compte général que doit rendre le conseil au 1er février. J'en ai donné précédemment les raisons : il doit renfermer des parties sur lesquelles je n'ai jamais pu être éclairé ni satisfait. Je ne parle pas seulement de ce qui concerne les fournitures et les vivres de nos armées, mais du nombre des hommes qui les composent. A compter d'après nos dépenses, nous avons sur pied cinq cent mille hommes bien fournis et bien équipés : à croire le rapport et les plaintes unanimes de tous les généraux, nous n'avons que trois cent mille hommes, manquant de tout et ne se soutenant, au milieu des plus rudes épreuves, que par l'héroïsme de la liberté.

Assurément, une nation qui sût la conquérir, et qui peut la défendre avec ce courage, saura bien la conserver. Ce même dénuement, dont la connaissance paraîtrait devoir sourire à nos ennemis, fait ressortir une force morale capable de les effrayer ; et si nous pouvons les repousser ou les contenir malgré les rigueurs de la saison, malgré les inconvénients d'une administration vicieuse, comment ne les vaincrions-nous pas, lorsqu'une grande régénération assurera dans nos armées l'ordre et l'abondance? Mais, en attendant cette régénération nécessaire, les hommes souffrent, leur nombre diminue, les maux s'aggravent, et les déterminations du conseil sont entraver à au moment le plus solennel, dans les circonstances graves où la conduite du gouvernement va décider du sort de la France. Par exemple, qu'un général, tel que Custine ou autre, demande un renfort, comment le lui procurer, et où peut-on le faire prendre, lorsqu'on ne sait jamais bien le nombre effectif de l'état des troupes. Ce ne peut être cependant que d'après une connaissance certaine à cet égard, qu'on délibère une sage opération ; car il faut en combiner les effets, et sur le besoin du général qui réclame, et sur celui des frontières, et sur nos différents rapports avec l'ennemi dans tous les points de défense. L'un des commissaires à la trésorerie prouvait l'autre jour, au conseil, qu'un seul commissaire des guerres avait fait écouler près de six millions, en supportant tel nombre d'hommes qui n'existaient pas.

Je pourrais citer d'autres faits ; mais ces aperçus suffisent pour fonder mes raisons de ne point accorder de confiance au rapport générai dont l'état de nos armées doit faire partie et justifier ma résolution de ne rien signer qui y soit relatif.

Cette résolution contraire à un décret rendu pourrait être traduite comme une sorte de révolte ; mais je n'ai pas fini d'exprimer tout ce que je veux dire, et je prie l'Assemblée de m'accorder encore un instant.

Déjà depuis assez longtemps je suis offert au public comme un objet d'inquiétude et de crainte.

L'étendue de mon département, l'immensité du travail qui y est attaché, ont été considérées comme une espèce de monstruosité. On a commencé par me supposer beaucoup de pouvoir parce que j'avais beaucoup à faire, et un grand crédit parce que je jouissais de quelque estime. Obligé de correspondre avec tous les départements pour la partie administrative, chargé d'instruire et d'éclairer sur les événements, j'ai déployé une grande activité, un zèle ardent, parce que l'un et l'autre tiennent à mon caractère et à mes principes. Dévoué à la liberté dont je professais la doctrine sous le despotisme lui-même ; trop simple dans mes mœurs pour avoir besoin d'argent, trop vieux pour désirer autre chose que la gloire ; passionné pour le bien public dont j'ai fait mon idole, j’ai travaillé à l'opérer avec cette énergie, cette fermeté qui ne connaissent point d'acceptions et ne s'effraient d'aucun obstacle

J'ai eu à lutter contre les désordres qui suivent toujours une grande révolution ; j'ai dû me faire des ennemis de tous les hommes vicieux, qui avaient intérêt de les prolonger, et des exagérés qui les prenaient pour des effets salutaires.

Mon courage à m'opposer aux désordres, à signaler leurs fauteurs, a été pris pour de la passion : il fallait bien attaquer la cause de mes actions, quand on ne pouvait rien reprendre dans celles-ci, et que cependant mon existence devenait incommode pour nombre de gens. C'est alors que la calomnie s'est déchaînée : son absurdité ne peut se comparer qu'à son audace ; mais l'excès de l'une et de l'autre parvient enfin à abuser une portion du public ; et dé là Ira défiances prolongées qui s'étendent insensiblement, qui sapent l'estime par degrés, qui altèrent l'influence nécessaire à un fonctionnaire public et rendent incertaines ses opérations.

J'ai tout bravé, j'ai dû le faire ; il n'est pas de dégoûts, de persécutions et même de dangers que ne doive supporter celui qui se consacre à faire le bien. Son dévouement ne peut avoir de bornes que l'inutilité dont il devient quand lui-même n'inspire plus de confiance ; c'est cet instant qu'il doit juger, parce que dès lors il devient nuisible. Ce moment arrive pour moi, puisqu'on est venu à bout de me représenter comme un chef de parti, puisque des hommes de bien, trompés, ont partagé cette opinion au sein même de la Convention, dans laquelle je semble être un sujet de division.

Ceux qui, me rendant justice, parce qu'ils me connaissent, mettent quelque énergie à me défendre contre les imputations révoltantes, passent pour m'être attachés par des vues ambitieuses ; on suppose que je vise à un pouvoir qu'ils se flattent de partager après avoir aidé à me le faire acquérir. J'ai méprisé ces folies tant qu'elles m'ont paru sans effet sur la chose publique, et j'ai promis de rester jusqu'à ce que la Convention prononçât mon renvoi.

Mais notre situation politique est telle aujourd'hui que tout ce qui peut entretenir la défiance et la division dans le Corps législatif est capable d'entraîner les plus grands malheurs. Il est de peu de conséquence peut-être qu'on soit injuste à mon égard, et ma perte ou celle de ma gloire ne ferait pas celle de l'Etat ; tandis que cette perte est assurée, si la Convention ne prend pas la marche uniforme et grande, le caractère élevé qu'elle ne peut avoir que par la plus intime union entre les membres de la majorité. Ainsi tout obstacle à cette union doit être détruit sans aucun retard. Ainsi, puisque ma conduite particulière, mon administration publique, mes comptes exacts, mon courage, loin de détruire ces préventions, semblent les accroître encore ; puisque l'on a été jusqu'à dire que la vertu même devenait dangereuse quand elle pouvait servir de point de ralliement autour d'un individu, il est temps de me soustraire aux regards du public et à l'inquiétude d'une partie de la Convention. Le Ciel m'est témoin, la postérité le jugera, mon siècle même ne peut tarder de le reconnaître, que le dévouement le plus parfait et le plus noble sentiment m'ont fait deux fois accepter le ministère, comme ils me le font quitter aujourd'hui, sans mélange d'aucune affection particulière, indigne d'un vrai républicain, sans intérêt, sans ambition que celle de l'espèce de gloire qu'attache l'homme de bien à remplir des devoirs pénibles, à se consacrer à sa patrie.

Une considération nouvelles présente encore à l'appui de ma détermination ; le département de l'intérieur paraît devoir subir des changements : il ont été annoncés comme nécessaires. On pourrait les croire plus difficiles à faire ou moins librement faits, si je restais en place durant qu'on les opère : l'opinion des hommes qui m'estiment serait soupçonnée ; l'on supposerait mon influence dans ce qui serait proposé, et l'idée d'intérêt ou de partialité viendront flétrir les vues les plus saines. Je suis donc encore un obstacle à la prochaine amélioration de cette partie. Nous n'avons pas un instant à perdre pour rétablissement de la plus grande confiance : la guerre, la marine, les finances sollicitent la plus grande activité, la surveillance la plus sévère, le travail le plus suivi ; elles doivent entrer dans toutes les combinaisons politiques de l'Assemblée, Il ne s'agit plus seulement de discuter de grands principes, d'offrir de terribles exemples, mais de faire de grands efforts, de donner beaucoup d'action au gouvernement, et de former de bonnes institutions.

Tout ce qui peut exciter des inquiétudes, soulever les passions, doit être rigoureusement proscrit ; ce n'est plus assez qu'un homme en place soit pur, il ne faut pas qu'il soit suspecté. Quiconque fait ombrage aujourd'hui devient bientôt un sujet ou un prétexte de parti. Nous sommes à l'époque où la seule apparence de faction devient un sujet de trouble et un moyen de tyrannie ; car elle peut renaître d'une force supposée pour établir une résistance qui se change en pouvoir oppressif.

D'après ces considérations, je ne pense pas sacrifier à mon repos, mais je crois remplir un devoir en donnant ma démission. Si l'Assemblée veut déposer aussitôt le portefeuille en d'autres mains, je recevrai avec plaisir ce prompt affranchissement : si elle veut que j'attende qu'elle m'ait nommé un successeur, je continuerai de suivre la correspondance administrative, qui ne peut supporter aucun retard sans tenir en souffrance plusieurs parties ; mais de ce moment je cesse d'aller au conseil, et ne prendrai plus aucune part à ses délibérations. Demain je ferai distribuer dans l'Assemblée le rapport de mon département, dont elle a ordonné l'impression. Avant trois jours, je lui remettrai un tableau général de mon compte de finance depuis le 10 août : c'est le rapprochement des comptes que je lui ait fournis chaque mois ; j'y joins les détails de l'emploi particulier de quelques objets. Le public verra que toutes les sommes mises à ma disposition restent au Trésor national d'où elles ne sortent, sur mon mandat, que pour passer dans les mains de ceux qui doivent les toucher sans jamais souiller les miennes : il jugera l'indécence et l'atrocité des bruits qu'on a tenté de répandre dans les sections de Paris, à votre tribune même, en m'y représentant comme le dispensateur des deniers de la nation. La Convention appréciera également la valeur des propos tant répétés sur l'abus supposé que je pouvais faire, des moyens qu'elle m'avait donnés pour répandre des écrits utiles : elle verra que sur 100.000 livres mises à ma disposition pour cet objet, j'ai dépensé depuis six mois environ, 30.000 livres ; elle se rappellera de l'approbation qui a été donnée de toutes parts à ses opérations ; à l'établissement de la République, de la manifestation générale qui a été faite du désir d'une Constitution libre, du dévouement à soutenir et défendre les lois et les propriétés ; et elle jugera, par ses effets, de la nature des principes que j'ai travaillé à répandre, à faire connaître et aimer. Au reste, loin de chercher à prévenir son jugement sur aucune partie de mon administration, j'en provoque toute la sévérité, je n'en crains point les effets ; je demeure, pour les attendre et les subir, dans les murs de Paris, dont je promets de ne pas m'écarter tant qu'elle le jugera convenable, prêt à répondre à tout et à fournir les renseignements qu'il lui plaira de demander. J'apporte ma tête pour garant de ce que j'avance ; mais je demande que celles de mes dénonciateurs tombent, s'ils ne prouvent leurs imputations. J'ai longtemps méprisé les calomnies, mais enfin l'indignation s'est jointe au mépris ; il faut que le public sache une bonne fois qui veut son bien et qui fait son malheur.

Je donne beau jeu sur moi, en me dépouillant du caractère de fonctionnaire public : je me présente à mes contemporains comme à la postérité, avec mes œuvres; elles parlent pour moi.

Signé, Roland - Paris, le 22 janvier 1793, l'an II de la République
P. S. Je dois ajouter ici quelques réflexions pour faire apprécier l'esprit d'intrigue et de persécution qui, faute de moyen de m'inculper, s'attache à la découverte des papiers, et l'apport que j'en lis à la Convention :

1° Je n'ai été instruit de la cachette qu'au moment où je m'y suis transporté ; je n'ai eu que le temps de la faire ouvrir devant moi, d'y prendre les papiers, de les mettre dans deux serviettes et de les porter sur-le-champ à la Convention. Deux témoins ont attesté ces faits par procès-verbal : l'inspecteur générai des bâtiments nationaux Heulier, et le serrurier Gamain qui avait fait la cachette, qui seul la connaissait et l'avait révélée;

2° Le château des Tuileries et le mobilier étaient mis, par décret, sous ma seule surveillance et responsabilité; il est faux de dire qu'il y eût une commission de la Convention pour visiter les papiers; aucun membre de cette Assemblée n'avait été commis à cet effet. Je puis et dois dire que la responsabilité pesant tout entière sur moi seul, il ne peut y avoir eu qu'une extrême confiance de ma part dans la personne de ceux des membres de la Convention qui, ne partageant point cette responsabilité, se sont prévalus d'une commission formée sous l'Assemblée législative, pour s'introduire dans le château et y visiter des papiers ; il n'y a, dis-je, que mon extrême confiance qui ne m'ait pas porté à empêcher leurs recherches. Comment donc aurais-je été obligé de leur rien communiquer? Et quelle induction peut-on tirer de cette conduite, lorsque ma célérité prouve que je n'ai voulu ni pu rien soustraire? Au reste, je ne m'appesantirais pas sur cette accusation, qui ne m'aurait paru que ridicule, si l'on ne s'en était fait un moyen de séduire ceux qui ne réfléchissent point ou connaissent mal les faits.
Source : Bibliothèque de l'université de Stanford, Archives Parlementaires
MM. Madival et Laurent, tome LVII, du 12/01/93 au 28/01/93


Annexe III - Les événements de Rome en janvier 1793

« Toujours des prêtres »



Rome, le 13 janvier le citoyen Bassville a été frappé d'un coup de rasoir dans le bas-ventre

Voici un supplément aux crimes des papes. Nous, nous attendions bien que Pie VI ne se contenterait pas de lancer contre nous ses bulles légères, de nous excommunier « in petto » (dans le cœur, l’esprit), et de nous damner pour nous mieux convertir. Nous savions qu'en sa qualité de prêtre, et plus que prêtre, il ne serait pas fâché de faire jouer les poignards à la première occasion et cela n’a pas manqué. Depuis le commencement de notre révolution, il a eu bien soin d'empoisonner le peuple de toutes ses idées liberticides, de l'entourer de plus en plus des réseaux de la superstition et de nous peindre aux yeux des Romains comme une horde de Cannibales livrés à Satan. Ces idées ont fermenté dans tes têtes italiennes ; et sa sainteté n'ayant pas négligé d'attiser le feu, il en est résulté une explosion violente. Voici le précis de la lettre écrite au ministre de la marine par le citoyen Digne, consul de la république française à Rome, en date du 16 janvier.

Le citoyen Makau, ministre de la république à Naples, instruit, par son secrétaire de légation, le citoyen Bassville, de l’opposition de la cour de Rome, à ce que l’écusson de la république fût substitué aux armes de la France sur la porte de notre consul à Rome, expédia, le 10 janvier, deux lettres, dont l’une pour le secrétaire d'état de la cour de Rome, et la seconde pour le consul Digne.

Arrivé le 12 à Rome, le citoyen de Flottes remit au cardinal Zélada la première. Il promit une réponse sous deux ou trois jours. La lettre adressée au consul portait l'ordre exprès de placer, dans les vingt-quatre heures, l'écusson de la république sur la porte de la maison consulaire. Quelque prenante que fût cette lettre, le consul ne crut pas devoir y obéir. Dans les conférences particulières que le consul Digne eut avec le citoyen de Flottes , il exposa à ce dernier le danger de braver l'opinion publique, dans une ville où le peuple était attaché à son culte, à ses opinions religieuses et à ses préjugés, et portait une haine déclarée aux Français. L’événement n'a que trop justifié cette prédiction.

Le 13, à trois heures, le peuple commença à s'attrouper, armé de pierres et de bâtons ; le gouvernement plaça des piquets de soldats dns les différents quartiers de Rome, où il les jugea nécessaires au maintien de la tranquillité publique. Il paraît que le citoyen Bassville, instruit que le peuple murmurait hautement contre le projet du major de Flottes, de placer de force l'écusson de la république sur la porte du consul, désapprouvait cette mesure ; mais l’obstination du major de Flottes ne céda pas à ces observations.

Le 13, l’après-midi, le citoyen Bassville était allé à la promenade dans une voiture avec son épouse, son enfant et le major de Flottes. Son cocher et son domestique, ayant à leurs chapeaux la cocarde nationale, le peuple cria : « À bas les cocardes » et dans l’instant un déluge de pierres tomba sur la voiture. Le citoyen Bassville se réfugia, avec sa suite, dans la maison du banquier Moutte. Quelques troupes avancèrent au même instant pour sauver les malheureuses victimes ; mais le peuple ayant forcé la maison, le citoyen Bassville a été frappé d'un coup de rasoir dans le bas-ventre. Il est mort trente-quatre heures après de la suite de sa blessure. (en relation avec la gravure)

Le major de Flottes s'est sauvé par une fenêtre, et le peuple respecta les jours de la citoyenne Bassville et de son enfant. La maison du banquier Moutte a été pillée et brûlée. Le palais de l'académie de France l’a été également. Les élèves ne se sont soustraits à la fureur du peuple, que par une fuite précipitée.

Le gouvernement, instruit de cette insurrection, dût sortir toutes les troupes des casernes ; mais leur présence n'empêcha pas que le feu ne soit mis au rez-de-chaussée de la maison du consul de la république, et que toutes les vitres ne furent brisées. Plusieurs autres maisons furent également insultées ; et c'est aux cris « de vive le pape, vive la religion », que tous ces excès ont été commis.

Le 24, le peuple dirigea sa haine contre les Juifs, qu'ils accusent d'aimer la révolution française ; et la présence des troupes empêcha feule que leur quartier ne fût brûlé. Enfin, le 15 l’insurrection a été calmée, et des patrouilles nombreuses parcourent tous les quartiers de Rome pour empêcher de nouveaux excès ; mais les Français sont toujours en butte à la haine du peuple, et ils ont été tous obligés de fuir et de se cacher pour se garantir de sa fureur.

Ce triste événement nous fournit d'abord deux réflexions bien naturelles ; c'est qu'indépendamment des instigations, des suggestions secrètes qui ont rendu odieux aux Italiens le nom français, le pape a concouru directement à ce pieux massacre et à cette horrible exécution. Le peuple fermentait, et il na pris aucune précaution, même en apparence ; il n'a fait sortir les troupes que lorsque tout a été fait ; il les a laissées dans l’inaction, puisque la maison du consul de la république a été incendiée, les vitres brisées, les Juifs et les Français honnis pendant plusieurs jours en leur présence. Le pape et les cardinaux sont donc complices?

La seconde réflexion est qu'aujourd'hui il n'y a pas de milieu ; il faut être ou aristocrate émigré, ou patriote ardent. Le modérantisme ne peut servir à rien aux yeux des puissances étrangères, qui ne peuvent plus, dans leur rage, distinguer ces nuances. Bassville n'était certainement pas un patriote. Nommé par le ministère constitutionnel, c'était un de ces hommes qui aiment à nager entre deux eaux ; il se plaisait à déclamer contre le peuple français ; il nous trouvait féroces ; il a appris à ses propres dépens que les nations régies par un despote le sont encore davantage. C’est donc en faveur de la cause, plutôt qu'en faveur de l'homme même, que l'assemblée a prononcé le décret suivant :
Art. Ier. « Il est enjoint au conseil exécutif de prendre les mesures les plus promptes pour tirer une vengeance éclatante de ces attentats.

II. - La convention adopte, au nom du peuple français, l’enfant de Bassville, et décrète qu'il sera élevé aux dépens de la république.

III. - Il est accordé à fa veuve une pension viagère de 1500 livres, dont les deux tiers feront réversibles a fon enfant, et un secours provisoire de 2000 livres.

IV. - La convention nationale charge son président d'écrire à la citoyenne Bassville , pour lui donner connaissance du prêtent décret.

V. - Le conseil exécutif provisoire est chargé de prendre les mesures convenables pour affurer le retour clans leur patrie, des Français qui peuvent se trouver dans les états du pape, et de leur fournir , à charge de rendre compte, les secours nécessaires pour cet effet et les déportés sont exceptés.
Source : Gallica-Bnf, Les Révolution de Paris,
du 2 au 9 février 1793, n°187, pages 290-293



Annexe IV - Décret sur les corsaires du 31 janvier 1793

Débats sur « l’armement en course et les lettres de marque »




Le port de Saint-Malo au XVIIIe siècle

M. Blad, au nom du comité de marine, fait un rapport et présente un projet de décret sur l’armement en course et les lettres de marque ; il s'exprime ainsi :

« Citoyens, subjugué par l'ambition ministérielle, le gouvernement anglais s'est fait illusion sur nos sentiments de paix ; la République française présentée à ses yeux sous des couleurs note noircies par la calomnie, doit s'attendre aux procédés hostiles qu'elle eût voulu éviter. Il ne faut plus se le dissimuler, la guerre maritime est certaine. Chauvelin, notre ambassadeur à Londres, après avoir été longtemps méconnu, vient d'être enfin insolemment renvoyé. Tout annonce que la Cour de Saint-James, redoutant l'influence de nos principes, est résolue à attaquer notre liberté. Il est donc nécessaire de prévenir, par une attitude imposante et digne d'une République telle que la nôtre, les atteintes que pourrait porter à notre commerce l'armement des corsaires anglais. Les négociants armateurs de toutes les villes maritimes de France, demandent avec instance qu'il leur soit permis d'armer en course et que la Convention nationale prévienne, par une loi qui autorise ces armements, les hostilités que pourraient commettre contre eux les corsaires anglais ou bâtiments de guerre. Ils demandent en même temps qu'il leur suffise de prendre les lettres de permission du directoire du district, sur le certificat des municipalités où les bâtiments en course seront armés, sans attendre l'autorisation du ministre, dont l'expédition, retardée nécessairement par les distances, peut faire manquer une expédition.

La Convention nationale reconnaîtra sans doute la justice de la première demande. Quant à la seconde, son comité de marine va lui offrir un moyen fort simple de satisfaire au vœu des armateurs et de laisser néanmoins au ministre de la marine le droit de délivrer les permis, droit qu'il importe à l'intérêt général de lui laisser, pour qu'il ait une connaissance parfaite du nombre des bâtiments armés en course. Il est d'autant plus instant de faire cette loi, que la rupture entre l'Angleterre et nous est décidée. Votre comité vous propose le projet de décret suivant : (...)
« Art. 1er. Les citoyens français pourront armer en course.

« Art. 2. Le ministre de la marine pour accélérer les armements en course, s'ils ont lieu, délivrera des lettres de marque ou permission en blanc d'armer en guerre et courir sur les ennemis de la République.

« Art. 3. Ces lettres ou permissions en blanc, signées du ministre, seront envoyées par lui aux directoires des districts maritimes, pour être délivrées par eux et à la charge de prévenir le ministre de leur livraison.

« Art. 4. Il ne pourrait être employé sur les bâtiments en course, qu'un sixième des matelots classés en état de servir la République. Pour cet effet, les préposés aux classes ne pourront recevoir d'enrôlement, ni délivrer de permis d'embarquer pour la course, qu'autant que le nombre des matelots employés à ce service n'excédera pas le sixième des gens classés de leur arrondissement. Ils seront, ainsi que les armateurs, responsables de toute contravention à cette loi.

« Art. 5. Les chefs, sous-chefs, préposés aux classes ou capitaines des bâtiments de la République, ne pourront, dans aucun cas, forcer' es capitaines des bâtiments en course à en débarquer aucun matelot, qu'autant que le nom-ire de ceux classés excéderait la proportion déterminée dans l'article ci-dessus.

« Art. 6. Les corsaires seront tenus d'expédier pour les ports de la République, les prises qu'ils pourront faire sur l'ennemi. Dans aucun cas, ils ne pourront les rançonner. Si les circonstances ne leur permettaient pas de les envoyer dans nos ports, ils retireraient des prises, les vivres et autres objets précieux, les hommes de l’équipage et ils feraient ensuite brûler les navires. »
Blad, rapporteur, soumet à la discussion les différents articles.

La Convention adopte l'article 1er.

Un membre, au sujet de l'article 2, demande par amendement que les lettres de marque soient conformes à une formule identique, qu'il propose d'insérer à la suite du décret et qui sera la même pour tous.

La Convention adopte l'article 2 ainsi motivé.

Un autre membre sur l'article 3, demande que les administrateurs de district ne puissent délirer des lettres de marque que sous leur responsabilité et qu'ils en rendent compte tous les huit jours au ministre.

La Convention adopte la première partie de l’amendement, puis l'article 3, ainsi modifié.

Blad, rapporteur, soumet à la discussion les articles 4 et 5, qui sont adoptés sans modifications, puis donne lecture du sixième et dernier article du projet.

Faure.
Je demande la question préalable sur l’article 6, comme pouvant ralentir le zèle des armateurs. Vous ne trouverez aucun corsaire pour croiser dans le Nord sans cette faculté de rançonner, sans laquelle d'ailleurs les petits corsaires seraient surchargés de prisonniers.

Après une assez longue discussion, la Convention adopte la question préalable sur l'article 6.

Blad, rapporteur, donne lecture d'un modèle lettres de marque,
commençant ainsi : Liberté, égalité, unité. Au nom de la République française, à tous ceux que ces présentes verront : Les insultes faites au pavillon français par le gouvernement britannique, etc.

La Convention renvoie au comité de marine la suite de la rédaction de ce document.

Boyer-Fonfrède.
L'Assemblée constituante, pour favoriser la construction en France, défendit, par la loi du 13 mai 1791, l'importation et la vente, en France, de tous les navires et autres bâtiments de construction étrangère ; cette prohibition, en nous privant d'une rivalité, a peut-être plutôt ralenti que ranimé l'industrie nationale. Quoi qu'il en soit, les circonstances doivent encouragera suspendre cette loi ; les commerçants de 1a Nouvelle-Angleterre, auxquels nous devons être réunis et par nos besoins réciproques et par notre amour commun pour liberté ; ces commerçants, dis-je, si riches en blés et en munitions navales, sont éloignés de nos ports par cette loi ; car il convient à leurs intérêts de vendre leurs bâtiments ainsi que leurs cargaisons; si donc vous voulez recevoir des approvisionnements, si vous voulez mettre vos marins à même d'acquérir des navires d'une construction fixe, et propres, plus que les nôtres encore, à la course, vous adopterez l'article additionnel que j'ai l'honneur de vous présenter.

La Convention nationale suspend la loi du 13 mai 1791, qui prohibait l'importation et la vente en France, des navires et autres bâtiments de construction étrangère.

La Convention adopte l'article additionnel de Boyer-Fondrède. Suit le texte définitif du décret rendu :

« La Convention nationale, considérant que le gouvernement anglais, par ses dispositions hostiles et le renvoi de notre ambassadeur, donne lieu de faire craindre à la République française l'invasion prochaine des bâtiments employés pour son commerce; et voulant se mettre en mesure à cet égard, en conciliant néanmoins les intérêts particuliers avec l'intérêt général, décrète ce qui suit :
Art. 1er. « Les citoyens français pourront armer en course.

Art. 2. « Le ministre de la marine, pour accélérer les armements en course, s'ils ont lieu, délivrera des lettres de marque ou permissions en blanc d'armer en guerre, et courir sur les ennemis de la République. Ces lettres ou permissions seront conformes au modèle annexé au présent décret.

Art. 3. « Ces lettres ou permissions en blanc, signées du ministre, seront envoyées par lui aux directoires des districts maritimes, qui ne pourront les délivrer que sous leur responsabilité, et à la charge de prévenir exactement le ministre de leur livraison.

Art. 4. « Il ne pourra être employé sur les bâtiments en course, qu'un sixième des matelots classés en état de servir la République. Pour cet effet, les préposés aux classes ne pourront recevoir d'enrôlement, ni délivrer de permis d'embarquer pour la course, qu'autant que le nombre des matelots employés à ce service n'excédera pas le sixième des gens classés de leur arrondissement. Ils seront, ainsi que les armateurs, responsables de toute contravention à cette loi.

Art. 5. « Les chefs, sous-chefs, préposés aux classes, et les capitaines des bâtiments de la République, ne pourront, dans aucun cas, forcer les capitaines des bâtiments en course à en débarquer aucun matelot, qu'autant que le nombre de ceux classés excéderait la proportion déterminée dans l'article ci-dessus.

Art. 6. « La Convention nationale suspend l'exécution de la loi du 13 mai 1791, qui prohibe l'importation et la vente en France, des navires et autres bâtiments de construction étrangère
Source : Bibliothèque de l'université de Stanford, Archives Parlementaires
MM. Madival et Laurent
, tome LVIII, du 29/01/93 au 18/02/93

Suite de la Révolution française :

Manon Roland ou Marie-Jeanne Phlipon

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