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Sommaire  :

Une famille républicaine et fouriériste : Les Milliet ? (suite et fin)
4 - Alix Payen (née Milliet), ambulancière
5 - Victimes et bourreaux
6 - Epilogue du 16 mai 1877
7 - Perspective d'un phalanstère ou palais sociétaire dédié à l'humanité et plan de Charles Fourier, par Victor Considerant



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ALIX PAYEN AMBULANCIÈRE


Photo de M. Leibet - Les ruines du Fort d'Issy vues de l'ouest - 1871

Chapitre III : Le cimetière d’Issy. — Vanves. — Le Couvent des Oiseaux  — Abandon du fort d’Issy. — La porte Bineau. —  Levallois-Perret. Neuilly. — La fin du drame. — Lettres.

Bien qu’ils ne fussent pas au courant des intrigues, des jalousies, des dissentiments qui paralysaient l’action du haut commandement, les soldats de la Commune manquèrent toujours de discipline et ne connurent guère l’obéissance passive. Il fallait leur  expliquer les raisons de chaque ordre et le but que l’on se proposait. Mais ce défaut était en partie racheté par l’intelligence et l’initiative souvent heureuse de ces hommes dévoués à leur cause et animés d’une foi robuste dans le succès de leurs efforts.  

Aussi bien pendant le second siège que pendant le premier, j’ai assisté souvent à ce spectacle émouvant, le départ pour le combat de nos soldats citoyens, et je puis certifier la parfaite exactitude de la belle description donnée par Victor Hugo :

« L’aube froide blêmit, vaguement apparue.  
Une troupe défile en ordre dans la rue ;
Je la suis, entraîné par ce grand bruit vivant 
Que font les pas humains quand ils vont en avant.  
Ce sont des citoyens partant pour la bataille.  
Purs soldats ! Dans les rangs, plus petit par la taille, 
Mais égal par le cœur, l’enfant avec fierté 
Tient par la main son père, et la femme à côté 
Marche avec le fusil du mari sur l’épaule.
C'est la tradition des femmes de la Gaule 
D'aider l'homme à porter l'armure, et d'être là,  
Soit qu'on nargue César, soit qu'on brave Attila...  
Ils arrivent aux murs...  
Tout à coup le vent chasse un flocon de fumée ;  
Halte! c'est le premier coup de canon. Allons!  
Un long frémissement court dans les bataillons.  
Le moment est venu, les portes sont ouvertes.  
Sonnez clairons! voici là-bas les plaines vertes,  
Les bois oh rampe au loin l'invisible ennemi,  
Et le traître horizon, immobile, endormi.  
Tranquille, et plein pourtant de foudres et de flammes. 
On entend des voix dire : Adieu! — Nos fusils, femmes! 
Et les femmes, le front serein, le cœur brisé,  
Leur rendent leur fusil après l'avoir baisé. »

Henri Payen, sergent de la garde nationale, avait défendu Paris contre les Allemands ; il continua son service pendant le second siège contre les adversaires de la République. Sa jeune femme qui l’aimait trop pour se résigner à vivre séparée de lui, s’engagea comme ambulancière, afin de pouvoir l’accompagner jusque sous le feu de l’ennemi.  

Comment une frêle jeune femme habituée au confort et aux soins attentifs de sa famille, se trouva-t-elle animée d’une énergie imprévue, pour affronter de  pareils dangers ? — C’est que la défense d’une juste cause donne l’enthousiasme qui élève les cœurs ; c’est aussi et surtout qu’un amour réciproque transfigure les êtres ; des plus timides il peut faire des héros, (1)  

Alix Payen à Madame Milliet - Issy, avril 1871.
Chère mère, 

Tu t’étonnes, n’est-ce pas, de recevoir une lettre de moi datée d’Issy! C’est toute une histoire et je suis stupéfaite d’avoir eu toute seule tant de décision. Tu vas peut-être me gronder, tant pis, c’est fait. Depuis quelques jours le bataillon de mon mari avait quitté la caserne du Prince  Eugène et occupait les baraquements du Champ de Mars. Hier dimanche je pars de bonne heure pour faire visite à mon gros. Déception! ils étaient partis dans la nuit. — C’est le moment, pensai-je, de mettre mon plan à exécution. Je rêvais d’être ambulancière dans le bataillon d’Henri et de le suivre partout. Je cours à la mairie, je m’adresse à M. S. qui, après mille objections, finit par m’accorder ma demande. Il a été d’une obligeance extrême. Pendant que je préparais ma petite pharmacie, il allait à l’Hôtel de Ville faire signer mon brevet, puis nous partons en voiture découverte pour Issy.  

Ce petit voyage m’a paru charmant. Il faisait une belle journée d’avril, entremêlée de pluie et de soleil. Songe que depuis le siège je n’avais pas franchi les fortifications ;  aussi la verdure naissante, les champs, les arbres, la Seine coulant dans la campagne, tout cela me paraissait nouveau  et ravissant. Même les petites ondées, qui tombaient sans le deuxième siège de Paris cacher le soleil, étaient gaies et faisaient du bien. Qu’il y avait longtemps, bon Dieu, que je n’avais respiré de l’air vrai! Comment avons-nous pu vivre si longtemps dans cette grande prison!

A Issy on nous apprend que mon bataillon campe dans  le cimetière. Nous y allons. M. S. m’amenait là bien à contrecœur et me répétait qu’il était encore temps de me raviser.   Quelques balles passent près de nous sans nous atteindre, et nous voilà dans le cimetière, où je retrouve Henri.  

J’aurais voulu, chère mère, que tu voies sa figure. Il était rayonnant, attendri. Il a essayé pourtant de gronder un peu, disant que je n’étais pas raisonnable, mais comme sa figure démentait ses paroles! Je lui ai exhibé fièrement mon brevet, et alors il m’a embrassée de tout son cœur, de manière même à m’écraser un peu, et ma foi le père S. est reparti tout seul. — Henri alors m’a présentée à une foule de braves gens ; ils aiment tant leur sergent qu’ils  ont tout de suite été très gentils pour moi. J’ai fait aussi connaissance avec la cantinière, jeune négresse très originale et très spirituelle. La femme du capitaine m’a semblé, au contraire, d’une bêtise surprenante.  
Rentré à Paris, le bataillon ne tarda pas à retourner une seconde fois à Issy.  

Alix Payen à madame Milliet 

Chère mère,

Je suis arrivée à bon port et j’ai avec la cantinière et une autre dame une chambre dans Issy. Le bataillon est dans le cimetière dont les murs sont crénelés et dont l’état est épouvantable. Déjà du temps des Prussiens, les bombes ont ouvert des caveaux. C’est là que les gardes se mettent à  l’abri.  

Deux de nos hommes ont eu à mon sujet une lutte de générosité très drôle. Comme la pluie ne cesse guère, chacun m’offrait un abri dans le tombeau qu’il s’était choisi pour logement, et c’était à qui ferait le mieux valoir son immeuble. — « Le mien, disait Chanoine, (2) a des verres de couleurs! — Le mien, ripostait l’autre, a une marche où l’on peut s’asseoir. — Va donc! reprenait dédaigneusement Chanoine, avec ton misérable caveau pour cinq ans ; moi, c’est une concession à perpétuité! » Cette raison décisive a clos le débat, mais je suis restée dehors, roulée dans ma couverture. C’est impayable de voir ces caveaux à plusieurs étages remplis de soldats qui ronflent, chacun sur son étagère.  

Cette nuit, la fusillade a été continuelle; je n’ai pu fermer l’œil ; avec cela il pleuvait à verse. Un homme de la compagnie d’Henri a été blessé à la jambe ; on l’a amputé  ce matin. Le chirurgien ne veut pas venir dans les tranchées, et c’est pourtant là qu’il serait utile, puisque les attaques reprennent toutes les nuits.  

J’ai apporté mon petit embryon de pharmacie et je reste cette nuit dans la tranchée. J’espère n’avoir pas de blessés à soigner.  

Mon coup d’essai comme infirmière a été pour mon pauvre gros. Toute la journée les fédérés ont tiraillé, et la tabatière du fusil d’Henri lui a craché à la figure. Il a l’oeil droit tout meurtri, plein de grains de poudre, mais l’œil est intact.

Je t’assure que jamais je n’avais entendu si bien les obus, les balles, les boulets ; les balles de rempart surtout font grand peur. — Notre campement est très pittoresque, mais les hommes sont bien fatigués. On ne les relèvera que demain matin.  

Je suis en ce moment dans les ruines de la loge de concierge du cimetière, cl il y a un gros canon sur la route, tout à coté, qui m’assourdit toutes les dix minutes. Je n’aperçois que les toits du fort d’Issy qui sont dans un état de délabrement affreux. On ne donne pas la permission d’entrer au fort, et pourtant je saurais bien contente de savoir si Paul y est. — A travers les créneaux nous voyons distinctement d’où partent les coups de feu des Versaillais.   

Ils ont tiraillé toute la journée, mais personne chez nous n’a été atteinte aujourd’hui.  

Tâche de me donner des nouvelles de vous tous et surtout de Paul. Adresse ta lettre au sergent Payen, 153ème bataillon, 3ème compagnie, à Issy. — Dans quelques jours, j’irai te voir, car on va et vient assez facilement.  

Je t’embrasse bien fort. Ta fille affectionnée.  
Issy, mardi (11 avril ?)  

Je suis si harassée que je ne sais trop comment je vais t’écrire. J’ai passé toute la nuit auprès du mur crénelé, dans le cimetière, à côté d’Henry. Et tout d’abord, son œil va mieux. Il a la paupière et le tour de l’œil noirs et saignants, la poudre y a fait de petits trous, mais il n’en souffre plus ; c’est seulement gênant, car il n’y voit guère à cause de l’enflure de la paupière.  

J’ai vécu tout à fait comme les soldats, car la cantinière ne semble pas se douter de son métier, et reste toujours dans le village. Les hommes sont très convenables et même très aimables pour moi. Je mange avec eux, j’épluche les légumes avec eux ; je m’amuse beaucoup pendant les repas à les entendre causer. Il y a tant d’esprit naturel, des reparties si drôles, chez ces vrais enfants de Paris! Notre campement dans le cimetière y prête beaucoup. Quand je dis campement, je me trompe, car il n’y a pas de tentes et tous n’ont pas de couvertures. La pluie ne cesse guère de  tomber, aussi trouve-t-on des soldats dans tous les mausolées. On écrase le café sur le marbre des tombeaux ; le lard est entreposé sur le tombeau de la famille Juillet. Toutes les tombes sont plus ou moins endommagées, et ces débris servent à renforcer la barricade, sur la route. On cueille du pissenlit, et l’on s’en régale sans se soucier de l’engrais qui l’a produit. Cela est amusant pour quelques jours, pourtant si je n’avais pas d’occupation, je me lasserais vite de cette société pittoresque, mais bien commune.

Je n’ai pas encore pu voir le chirurgien, il n’est pas même à Issy. Son infirmier a fait monter au cimetière un brancard, pour que nous puissions, à nous deux, donner les premiers soins, s’il en est besoin. Tous les services sont aussi mal organisés. Les hommes qu’on envoie aux tranchées n’ont ni équipement, ni campement. Aussi entends-je tous les jours bénir Henri, qui a « chapardé » au Champ de  Mars ce qu’ils ont de bidons et de gamelles. Les vivres arrivent en retard de deux jours, et on a soin de les distribuer tard, juste à l’heure où il est défendu d’avoir du feu.  

Il y a des canons derrière le cimetière et les obus nous passent sur la tête comme de gros globes de feu. On en reste assourdi pendant quelques minutes, surtout lorsque c’est une grosse pièce qu’on appelle le « Père Duchesne ». On m’a montré aussi un vieux canonnier, nommé Joly, qui est un pointeur remarquable. Sa pièce est devant la porte du cimetière, et il empêche les Versaillais d’établir une batterie. Ils n’ont pas du tout d’artillerie dans ces parages, et ils reçoivent nos obus des forts et du cimetière.   

12 avril (?) (3)  
Je sais maintenant ce que c’est qu’un combat : Cette nuit on a d’abord laissé les Versaillais s’approcher jusqu’à 300 mètres du mur : les gardes nationaux avaient ordre de ne pas parler, et c’est lorsqu’ils ont été tout près, que la fusillade a éclaté à travers les créneaux. Jamais, comme tu le penses, je n’avais entendu pétarade pareille. J’étais blottie contre le mur, sous le créneau d’Henri. Les Versaillais se servent beaucoup de fusils de rempart, et l'on entendait cela siffler ferme. Dès que le feu a eu montré la place qu’ils occupaient, nos artilleurs se sont mis de la partie. Quel vacarme, quel chaos! Pourtant cela n’empêchait pas d’entendre les officiers crier en courant : Nourrissez le feu! Obliquez à gauche! Cessez le feu! — Il ne pleuvait pas.  Le temps était clair et les feux illuminaient par instants ces croix, ces pyramides de marbre blanc et les sombres cyprès. Quelle scène étrange 1 Je ne savais réellement pas si je rêvais ou non.  

Cet infernal tapage a cessé tout d’un coup, et le silence parut plus profond, plus solennel. Soudain, au milieu de ce calme, un rossignol s’est mis à chanter. Le contraste était si grand entre ce joli chant si pur, si doux, et ce que nous venions d’entendre, que j’en suis restée toute surprise. Pendant que les balles sifflaient, le petit oiseau était resté caché dans son cyprès ; sans doute il y avait déjà son nid. Les larmes me montaient aux yeux ; il me semblait comprendre  le rossignol : il chantait l’amour, la famille, la paix. Ce moment de repos n’a pas été long, et le vacarme a recommencé jusqu’au jour. Personne de chez nous n’a été blessé. Je serais étonnée que les Versaillais puissent en dire autant, car on les voyait distinctement courir à droite et à gauche, sans rien pour les protéger, et notre artillerie ne les  manquait guère.  
On doit relever le bataillon ce soir ; il sera caserné dans le village d’Issy ; ce n’est pas trop tôt ; tous sont rompus de fatigue. Je pense aller te voir un de ces jours. Je voudrais bien savoir comment va ton rhumatisme et ce que devient Paul. Chère mère, comment fais-tu pour aimer encore des enfants qui te donnent tant de tourments?  

A bientôt, ta fille qui t'aime.  
Après un court séjour à Paris, Alix Payen se rendit au Couvent des Oiseaux.   

2  

Vendredi matin.  
Tu l’imagines sans doute qu’en te quittant je suis paisiblement rentrée aux Oiseaux. Eh bien, pas du tout. Le 74ème bataillon était parti de la veille et avait passé la nuit aux  tranchées du fort de Vanves. Un petit détachement avait été envoyé pour chercher des vivres, Henri en faisait partie, et j’ai rejoint dans le fourgon des vivres. Ce petit voyage n’a pas été sans émotions, car personne ne savait conduire et nous ignorions le chemin. Mais en fin de compte nous sommes arrivés au fort de Vanves sans accidents.  

Henri aurait voulu que j’y aie un logement, mais le commandant du fort a été aimable comme un bouledogue.  En revanche, en arrivant à Issy, Henri m’a présentée à son  commandant, qui m’a reçue le plus gracieusement du monde.  Il m’a offert une tasse de café, il m a fait donner une couverture et une vareuse en blouse. Cet accueil m’a fait d’autant  plus de plaisir que ce commandant venait de renvoyer, après une admonestation très sèche, la femme du capitaine ; elle empêchait son mari de faire son service. Ce sont en effet de jeunes mariés et notre capitaine quittait souvent les tranchées pour aller auprès de sa femme. Je t’assure qu’on n’aura pas à nous faire ce reproche. Henri et moi nous en sommes convenus. Il n’a jamais l’air de s’occuper de moi, ni moi de lui ; cela vaut mieux. Le commandant Lalande m’a beaucoup plu ; il a une figure encore jeune,  des yeux très vifs et très noirs, et des cheveux entièrement blancs. Ce doit être un méridional. Toujours malade, il n’a pas quitte le lit depuis son arrivée à Issy. On le dit très énergique et très brave ; sa physionomie l’indique bien. Puis nous avons gagné les tranchées. Je ne sais pas si Paul les connaît ; c’est en pleine terre glaise. Tu vois d’ici ce que la pluie en avait fait. Pour être abrité, il fallait suivre une petite rigole pleine d’eau ; aussi suis-je déjà sale et crottée comme une horreur.  

Quelques hommes de notre bataillon sont sortis des tranchées... ils tiraillent avec les Versaillais... Ils ont l’air de jouer à cache-cache. Ils tirent un coup de feu, puis quittent l’arbre qui les avait cachés, pour se mettre à l’abri d’une pierre ou d’un monticule. Les voilà qui rentrent au complet... Nous le croyions du moins, mais on aperçoit dans la plaine un homme qui fait des signaux... .  

J’aurais voulu aller lui porter secours, mais j’arrive trop tard ; on l’a vu du fort, de ; brancardiers avec un drapeau  â croix rouge le rapportent. Il a la rotule traversée d’une balle et je crois son cas très grave, à cause de la grande quantité de sang qu’il a perdu.  

Quelques heures plus tard, comme nous étions à dîner, on signale encore un blessé. Assis dans un champ de luzerne, il faisait de grands signes avec les bras. Pas de brancard, pas de drapeau d’ambulance! Ma foi tant pis! 

Nous voilà partis hors des tranchées, quatre hommes sans armes et moi, sans autre sauvegarde que mon brassard. Comme nous n’étions plus très éloignés de l’homme, le voilà qui se lève tout d’un coup et se sauve comme un lièvre.  

Tu conçois notre stupéfaction. Le capitaine nous crie de revenir en courant, et de nous déployer en tirailleurs. 

Personne n’a tiré sur nous. — Depuis, le même individu a recommencé son manège. Il a un uniforme de garde national. C’était probablement une ruse pour attirer nos hommes à découvert. Représente-toi la fille courant en zigzag, sautant pour ne pas accrocher sa robe dans les arbustes, et arrivant enfin au talus, où se tenait, très inquiet, mon pauvre gros, qui me tend la main et m’aide à le franchir.  

Les hommes s’abritent dans de petits trous, de petites baraques, qu’ils construisent avec des échalas de vignes. Une couverture forme le toit. J’ai couché dans un de ces abris avec la cantinière. Quelques officiers ont fait comme nous. La nuit s’est passée sans coup de fusil, mais nous avons eu une affreuse tempête de vent et de pluie. Nous pataugeons dans un vrai marécage. Je ne sais pas si l’on va nous laisser encore cette nuit dehors. Il est question de nous faire alterner : une nuit au fort, une nuit aux tranchées. 

Nous mangeons tout plein de bonnes choses, que les hommes trouvent dans les champs environnants, de l’oseille, des asperges, des radis... Seulement ce n’est pas très substantiel, et les vivres continuent à arriver très peu.  

Je suis toujours étonnée des attentions que l’on a pour moi. Ainsi, l’eau pour la cuisine est assez loin, et on n’en apporte que juste ce qu’il faut, mais je trouve toujours le  matin une gamelle d’eau pour ma toilette. Aujourd’hui, comme il faisait froid, Chanoine avait même fait tiédir mon eau! Ce Chanoine est un vrai Parisien du faubourg, gai, moqueur, un peu voyou et bavard comme une pie. Il est très amusant à entendre. Un autre type original, c'est Paul Parelon, professeur au collège de Vanves, très instruit et poète. Il improvise des vers que lui inspire notre situation. Un violent chagrin d’amour l’a rendu bizarre, nos soldats disent un peu toque. Pour chasser ses idées noires, il a pris la lâcheuse habitude de boire outre mesure. Henri seul a sur lui une grande influence, et le pauvre garçon, tout heureux de trouver quelqu’un qui s’intéresse à lui, confie sa paie à mon mari, le priant de ne lui donner que juste ce dont il a besoin. Cela ne l’empêche pas de se griser parfois, et c’est Henri que l’on en rend responsable.  

Ce matin on a tiraillé un peu. Figure-toi que trois gendarmes à cheval sont venus effrontément se loger ce matin dans une petite maison, en face de nous. Je ne comprends pas que le fort n’y envoies pas quelques obus. Nous avons vis-à-vis de nous le plateau de Châtillon...  

Je reprends ma lettre après déjeuner, ton pâté a été le bienvenu, car les vivres ne sont pas encore arrivés. Henri me fait arranger un gourbi auprès de lui. Je crois que la cantinière en a assez de sa première nuit aux tranchées, et qu’elle va coucher au village. Le chirurgien-major va nommer tantôt un brancardier et un porte-sac dans la compagnie. Nous allons enfin être un peu organisés.  

Dépose tes lettres cours des Petites-Ecuries, n°16, où se trouve une boîte spéciale pour le 153°.

A bientôt, je pense, je t’embrasse bien. Ta fille qui t’aime.  
Alix Payen  

Mes bottes vont à merveille. Comprends que je ne les ai pas encore quittées. On ne nous relèvera pas encore aujourd’hui. Il y a du mécontentement chez les hommes, à cause de la mauvaise administration, de l’excès de fatigue, et surtout parce que les tranchées sont très mal défendues ; il  y a le quart des hommes qu’il faudrait.  

Je viens de jeter un coup d’œil à mon gourbi. Il est superbe, plus beau que celui des officiers. Ce sont quatre de mes amis qui me construisent cela.  

Notre dernier blessé, le caporal Moulin, est à l’ambulance du Luxembourg. Tu pourras aller le voir.  
Couvent des Oiseaux, 24 avril 71.  
Chère mère.  

Je n’ai reçu aucune lettre de toi. Je comptais aller le voir demain, mais ce n’est pas possible. Je crois pourtant que l’on ne tardera pas à faire rentrer le bataillon dans Paris. Nous avons été bien malheureux dans ces horreurs de tranchées ; la pluie ne nous a pas quittés. Tu ne peux t’imaginer dans quel étal de saleté, de crotte, nous étions tous. J'ai passé la seconde nuit dans mon joli gourbi ; malheureusement, comme il était couvert avec des branchages éparpillés, l’eau coulait fort bien au travers. Henri a pourtant trouvé moyen de me couvrir de tuiles nos couvertures et de rester, lui, expose à la pluie...  

Nous sommes restés trois jours dans ce cloaque, et nous y serions peut-être encore, sans les démarches du capitaine.  Le mécontentement était à son comble. Sauf deux, tous les  officiers avaient disparu. Pas d’escarmouche pour distraire un peu. Un gamin de 18 ans, qui avait un peu trop bu, part comme un trait hors des tranchées pour tirailler. Les coups de feu ne se font pas attendre. Deux des nôtres vont soutenir ce mauvais gamin, et les voilà tous trois courant, se couchant dans la boue, et attirant sur eux une grêle de balles. Nous étions fort inquiets. Ils sont pourtant rentrés sains et saufs ; mais, comme le soir arrivait et qu’on ne nous relevait pas, le bataillon se mutina et déclara qu’il ne resterait pas cette nuit aux tranchées. Songe qu'avec notre séjour au cimetière d'Issy, cela faisait la neuvième nuit dehors, toujours sans campement. Le capitaine va lui-même au fort et cette fois on lui dit formellement qu’un bataillon va nous remplacer. Mais rien. Enfin, à dix heures, le capitaine déclare aux hommes furieux que nous partons quand même. Ils avaient trouvé en arrivant la tranchée vide, ils la rendaient de même. Songe que depuis quatre heures les  sacs étaient faits et que nous n’avions même plus l’abri insuffisant des gourbis, il avait fallu les dépouiller des  courroies et des couvertures qui s’y trouvaient.  

Nous voilà donc partis à la nuit noire, par une pluie battante, dans la boue jusqu’au genou, et dans le plus profond silence. A peine quelques balles ont-elles sifflé sur nous. Après une heure et demie de marche, nous étions au fort de Vanves. On ne nous attendait pas ; il n’y avait pas de place. Quelle ruine que ce malheureux fort! Il n'y a pas dans la caserne deux chambres où l’eau ne tombe pas. Pas de bougies, pas de paille. Les couvertures étaient trop trempées pour qu’on pût s’en servir, de sorte que notre nuit n’a guère été meilleure qu’à la tranchée.  

Le matin, des clairons d’un autre bataillon nous ont offert l’hospitalité dans une chambre à cheminée, où un bon feu nous a tout ravigotés. Puis nous reparlons pour Issy. Là, Lisbonne à cheval prend la tête du bataillon, pour le conduire aux tranchées de Montrouge. Mais cette  fois tout le monde proteste, et nous voilà aux Oiseaux.  

Depuis le temps que cette maison sert de caserne, on aurait pu, il me semble, organiser les chambrées ; mais non ; Il faut toujours coucher sur le parquet. Henri a trouvé, pour la cantinière et pour moi, une petite chambre qu’il est parvenu à meubler, sauf les matelas. Impossible de s’en procurer ; de sorte que j’ai dormi sur un lit de fer, directement sur les lames de fer disposées en carreaux ; le matin il me semblait avoir tous ces carreaux imprimés dans le dos ; mais je dormirais, je crois, sur des épines. Aujourd’hui j’ai de la paille à gogo ; Lisbonne m’en a donné, à regret, deux bottes, prises sur la nourriture de son cheval.  

Cette maison et ce jardin font mon admiration. On ne peut rêver quelque chose de mieux pour y fonder une Colonie. J’ai trouvé dans une cour des monceaux de livres de piété déchirés, brûlés. Peut-être y avait-il là des livres de valeur, mais il y a des imbéciles qui ne s’amusent qu’à détruire. Je dois dire pourtant que tous les volumes que j’ai regardés étaient des récits de miracles idiots ou des exemples de piété pour séminaristes. Je suis bien aise de constater que les hommes de chez nous n’ont commis aucune déprédation ; ils n’ont ni cassé ni brûlé comme avaient fait  leurs prédécesseurs.  

Jusqu’ici je n’ai pas eu de blessures graves à soigner mais seulement des bobos. On s’adresse à moi pour avoir une épingle, une aiguillée de fil... Je me suis aussi proposée comme écrivain public.  

En arrivant ici, Henri a imaginé, pour calmer le mécontentement général, d’organiser un concert au profit des blessés. Le commandant a donné son autorisation ; tout l’État-Major y assistera. Ce ne sont pas les pianos qui manquent. Le poète toqué déclamera quelque chose ; il y a quelques bons chanteurs ; beaucoup savent des chansonnettes ; peut-être notre négresse chantera-t-elle aussi ; puis les pianistes ne manquent pas.  

Je vais aller chercher des fleurs pour orner la salle, et ce soir, je ferai la guée. En ce moment la rage des hommes est oubliée, on ne pense plus qu’au concert. Cependant les officiers sont prévenus qu’on nous appellera cette nuit, à trois heures probablement, pour aller à Clamart. J’ai grand peur que bon nombre s’y refuse et qu'il n’y ait quelque  révolte. Ce ne sont pourtant pas des poltrons, mais la fatigue est extrême. De plus, presque tous, retenus d’abord à la  caserne du Prince Eugène depuis 23 jours, n’ont pas pu avoir de permission pour aller chercher du linge. Tu peux t’imaginer leur saleté !  

Ce qu’il y a de triste, c’est que, si l’on ramène ces hommes à Paris, ils ne voudront plus repartir ; tandis que, si l’on  avait eu soin de ne pas les éreinter tout d’un coup, ils ne  demanderaient pas mieux que de continuer le service.  

L’ambulance n’a pas de blessés ; on les expédie vite à Paris ; il y a seulement quelques hommes fatigués. Du reste ce n’est pas une heureuse idée de mettre une ambulance dans une caserne. C’est un bruit continuel. Les lits sont horribles et il n’y a pas de médicaments. Un homme de chez nous a les fièvres ; depuis quatre jours le chirurgien promet de faire venir de la quinine, et tous les jours il  l'oublie.

Ma compagne, la mulâtresse, est une véritable enfant gâtée, un vrai bébé, qui pleure quand elle est lasse, et qui pourtant ne veut pas quitter son mari. Elle m’a pris le titre de cantinière que pour le suivre, mais maintenant elle renonce entièrement à sa cantine. Elle couche toujours dans une auberge et y mange aussi. Ses manières d’enfant amusent son mari, mais déplaisent à tout le monde. Pour moi, elle ne me déplaît pas. Elle est originale et pas bête, bien qu’un peu poseuse. La femme du capitaine nous a quittées depuis longtemps, par ordre du commandant.  

Je suis toujours l’objet des attentions d’une partie du bataillon. Je n’ai rien fait pour cela, mais Henri est si bon garçon, si aime ; c’est à lui que ces soins s’adressent. On ne maraude pas quelque chose de bon, qu’on ne m’invite à y goûter, et je suis sûre que beaucoup se gêneraient pour me  rendre service.  

Comme j’étais en train d’orner la salle du concert, voilà  qu’on me crie : un blessé! J’y cours, c’est un malheur, amené par le bon vieux pointeur du « Père Duchesne ». Une balle lui a traversé le mollet, je crains que l’os soit atteint. Naturellement il n’y a point de médecin. Avec l’infirmier nous faisons un premier pansement. Le pauvre blessé a la fièvre ; il parle sans cesse, de ses quatre enfants et de sa crainte qu’on lui coupe la patte. Son vieux compagnon lui remonte le moral de son mieux : « Quatre enfants, dit-il, la  belle affaire! Nous autres, nous sommes neuf garçons sous  les drapeaux, et moi qui fais dix. »  

Je te quitte, chère mère, sans espérer avoir de lettre de  toi, mais je ne tarderai pas te voir. Je vous embrasse tous bien tendrement.

…Notre concert a été très varié; quelques choses fort jolies, d’autres d’un ridicule achevé. Le succès a été pour notre poète qui, bien qu’un peu lancé, a récité de très beaux vers de lui. Notre petite mulâtresse a dit très gentiment une charmante chansonnette, enfin, ce qui m’a fait grand plaisir, un matelot a chanté une des chansons de papa. Henri se donnait un mal! ordonnant tout, veillant à tout. J’ai quêté dans son képi et la recette a été superbe, près de 80 francs. Il était minuit quand tout le monde s’est couché. 

— A deux heures du matin on sonne pour le départ. La moitié de notre bataillon va occuper les tranchées de Clamart, sous la conduite du capitaine de la compagnie, un jeune Polonais insouciant et paresseux. Henri, me voyant très lasse, m’a fait recoucher, me disant de ne le rejoindre qu’un peu plus tard. Mais dès cinq heures du matin les batteries de Châtillon faisaient pleuvoir sur le fort d’Issy une véritable grêle de projectiles. J’étais à pied, accompagnant un convoi de munitions ; il fallait courir et s’abriter de son mieux. J’atteignis ainsi la gare de Clamart, et j’ai vu là un affreux combat d’artillerie. Les trois batteries de Châtillon étaient infatigables et accablaient principalement le fort d’Issy. Celui-ci ripostait, ainsi que Vanves et une canonnière ; mais peu à peu notre feu se ralentissait ; celui d’Issy fut bientôt éteint, sauf une seule pièce. Les Versaillais ont d’excellents pointeurs. Les obus tombent juste; à peine s’écartent-ils de quelques mètres. Une à une ils démontaient les pièces du fort d’Issy. On voit sauter en l’air les paniers garnis de terre, puis quelques pans de murs s’effondrent avec bruit. Des éclats d’obus sont projetés sur la gare où je suis ; ces éclats arrivent en tournoyant avec un bruit  qui ressemble à un miaulement.  

Un fourgon et plusieurs hommes du 108° arrivent en courant et zigzaguant. Ils viennent du fort où ils sont allés chercher des vivres. Ils disent que la position n’est plus tenable. Dans le fort 26 hommes viennent d’être tués ou blessés. Je vois un cheval dont le museau a été emporté par un éclat. La malheureuse bêle s’élance, fait quelques pas au galop, puis tombe. Le découragement s’est mis dans la garnison du fort et l’on a dû fermer les portes pour empêcher les défections.  

Lasse d’attendre à cette gare, je m’engage dans les tranchées ; le commencement est occupé par le 108° nous sommes tout au bout. Dans beaucoup d’endroits, les talus n’étant pas assez hauts pour abriter un homme debout,  on a disposé quelques pierres pour former des créneaux au sommet. Une bulle versaillaise s’accroche à l’angle d’une de ces pierres et arrive déchiquetée à mes pieds. Une autre frappe au bout du nez un homme qui saigne comme un bœuf, elle effleure la joue d’un autre et tombe, amortie, sur ma tête. — Le commandant vient nous faire une visite ; il a appris que les portes du fort d’Issy sont fermées, de sorte  que nous nous passerons de dîner. Heureusement quelques vieux soldats prévoyants ont une petite réserve, et je suis invitée par eux ; puis le bataillon voisin nous offre quelques  pains.  

La nuit arrive, la canonnade se ralentit, mais la fusillade commence avec rage ; on dirait un essaim de gros bourdons qui passent sans cesse sur nos tôles. Nous tirons sans relâche, mais les cartouches apportées ne sont pas toutes de bon calibre ; puis les fusils ont été trop longtemps exposés à la pluie. En un rien de temps voilà une douzaine d’hommes aveuglés par ces mauvaises tabatières, et leurs fusils hors de service. Inutile de dire qu’il n’y a là ni armurier ni armes de rechange. Je bassine à l’eau fraîche tous ces pauvres yeux maltraités.  

Le combat est acharné et notre position devient fort critique ; nous allons manquer de cartouches. Le capitaine fait cesser le feu. C’est maintenant vers le cimetière que se dirige l’attaque des Versaillais. Croyant la tranchée abandonnée, ils s’approchent. Nos hommes mettent silencieusement la baïonnette au bout du fusil. Les Versaillais ne sont plus qu’à 80 mètres. Le capitaine revient à pas-de-loup ; il  a récolté quelques paquets de cartouches, notre dernière ressource. Il commande de faire successivement deux feux de peloton. Cela réussit à merveille. Les Versaillais surpris se retirent à la hâte. Il faut dire que le jour commençait à poindre, ce fut pour nous un puissant auxiliaire.  

J’avais une grande angoisse : l’idée d’assister à un combat à l’arme blanche me faisait frissonner. Si l’ennemi avait soupçonné notre dénuement, nous aurions été facilement faits prisonniers.  

On vient nous relever. Il faut en s’en allant enjamber le cadavre de l’homme tué cette nuit. On me dit pour me consoler que c’était un garçon sans famille et un assez vilain drôle. Cependant le capitaine est sombre. Cet homme avait refusé d’aller aux tranchées, se disant fatigué, mal chaussé, et le capitaine avait fait appeler deux hommes pour le faire marcher de force.  

En rentrant aux Oiseaux j’ai pu dormir quelques heures.  Il y a eu cette nuit plusieurs blessés. M. Mallet, le mari de la jeune mulâtresse, qui venait d’être nommé sous-lieutenant, a été tué par accident. J’ai la triste mission de ramener sa femme à Paris.  

Elle loge en garni chez une horrible femme qui la renvoie brutalement, parce qu’elle lui doit de l’argent. J’ai installé chez moi la pauvre négresse, en lui promettant de revenir le lendemain.  

Presque toute la compagnie a obtenu la permission de venir à l’enterrement. La pauvre femme a beaucoup pleuré, sangloté, mais elle est si enfant, si légère, que sa douleur durera peu. Notre poète toqué a vraiment bon cœur, il a promis de payer peu à peu la dette, afin qu’on ne tourmente pas cette petite femme. Henri a fait une quête qui a été très productive. La voilà donc pour le moment à l’abri du besoin. Avant l’enterrement elle a fait déclouer le cercueil pour embrasser encore une fois son mari ; il était bien changé déjà.  
Le cortège était de huit corbillards.   

3

Les chances d’apaisement diminuaient de plus en plus. La situation de Neuilly et des communes suburbaines, Asnières, Clamart, Bellevue, Châtillon, était terrible. Placés entre deux feux, les habitants ne savaient comment se dérober aux projectiles. « Ils ne pouvaient pas même porter tranquillement leurs morts au cimetière. A Bellevue, la belle-mère de Charles Edmond était traînée jusqu’à sa dernière demeure, la  nuit, par sa fille et une domestique, obligées d’improviser une bière avec la première caisse venue, de creuser elles-mêmes un trou et d’y enfouir le cadavre à fleur de terre. » (4)  

Lorsqu’un armistice fut enfin signé le 25 avril, le feu cessa à neuf heures un quart seulement : « Aussitôt  furent organisés les secours aux habitants de Neuilly. Ces infortunés vivaient depuis vingt jours dans leurs caves ; leur dénuement était extrême. Jamais spectacle ne fut plus navrant que celui de cette population, victime inoffensive de la guerre civile. » (5)  

Le 30 avril, le fort d’Issy, qui depuis le début du second siège, servait de cible aux Versaillais, n’était  plus qu’un amas de décombres. « Les 300 hommes de sa garnison, lâchés par leur commandant, quittèrent dans la matinée en enclouant les canons. » (6) Pendant plusieurs jours, les Versaillais n’osèrent pas entrer dans le fort. Repris par les Fédérés, il ne fut abandonné qu’après une défense héroïque, le 9 mai.  

Le Comité avait nommé Edouard Moreau, commissaire civil auprès de Rossel. Ces deux hommes avaient des vues entièrement opposées, et malgré leur remarquable intelligence, ne parvinrent jamais à s’entendre.   

4

Jeudi 11 mai 1871
Chère mère,

Nous sommes repartis vers deux heures de la caserne, musique en tête, moi en voiture. On avait rattrapé pas

mal de réfractaires et leur mauvaise humeur était visible.  A Courcelles, on fit une halte, et les hommes commencèrent à se disputer; mais la musique ayant joué un  quadrille, les voilà tous à danser comme des fous. Cependant, lorsqu’il s’est agi de passer les fortifications, presque toute la 4° compagnie s’est mutinée et a refusé d’avancer, sous prétexte que le bataillon était transformé en corps franc. Je ne sais pas ce qu’il y a de vrai là-dedans. Enfin cela a fait une scène des plus tristes. Le pauvre commandant était dans une colère atroce; il pleurait de rage, les traitant de lâches. Moi aussi cela m’indigne ; la voiture s’était arrêtée, j’en saute à bas et traverse le pont-levis. J’entends sur mon passage : « Bravo, voilà une crâne petite  femme! » Et tout le monde franchit les fortifications.  

Nous nous sommes arrêtés à une très petite distance, à la porte Bineau. C’est le commencement de Levallois-Perret. Les marchands de vin s’empressaient, se multipliaient,  pour servir tout le monde ; mais sitôt que le commandant eût crié que nous passerions la nuit là, changement à vue des plus comiques : les marchands de vin ferment boutique et posent les volets. Heureusement, il y a de belles maisons neuves, avec de nombreux écriteaux d’appartements à louer ; aussi sommes-nous parfaitement logés, quoique dans  des chambres sans meubles. La concierge a été d’une complaisance charmante ; elle a mis dans ma chambre une  paillasse et un lit de plume. J’ai partagé ce singulier lit avec une nouvelle cantinière. Son mari n’est pas à Paris, et elle fait ce métier par goût, car on la dit riche.  

Dans la journée, mon gros voyou de Chanoine, qui s’intitule maintenant mon brosseur, m’a emmenée chez sa mère, dans le village de Clichy, assez loin. Il y a un petit passage entre les deux villages, où les obus tombent bien.  Nous avons déjà eu beaucoup de victimes à Clichy. La vieille bonne femme a reçu son fils en bougonnant, mais en l’embrassant. Seulement le brave garçon a une famille si nombreuse, tant de cousins avec lesquels il fallait aller boire un verre, que j’ai fini par m’impatienter, et je me suis décidée à m’en aller seule.  

Juge de mon inquiétude : la nuit était venue, et je ne  savais dans quelle direction aller. Il y a des avenues énormes et complètement désertes. Enfin, de gardes nationaux en gardes nationaux, j’ai fini par retrouver mon bataillon ; mais tu comprendras que c’était difficile, puisque je ne savais quelle adresse donner. Le bataillon, arrivé du matin, ne pouvait pas encore être connu.  

Ce matin nous sommes partis par un soleil superbe. Nous sommes dans un fouillis de villas, dont la plupart semblent en dentelle, tant c’est troué. Je ne crois pas que Saint-Cloud soit pis. Nous sommes en plein soleil, près  d’une belle barricade garnie de quatre canons. Notre drapeau vient d’être déchiqueté par une décharge de mitraille. Tu juges de la joie de tous : c’est un trophée qu’un pareil drapeau! On pense déjà au jour où l’on ira à la Commune le porter, pour en demander un autre.  

Plus que jamais je suis l’objet des soins et des attentions de tous. On m’a dressé une grande tente et l’on m’a apporté, des maisons abandonnées, un matelas, des tapis, des chaises, des tables, de la vaisselle, et des fleurs en fagots.  

Le bataillon est divisé en deux ; il n’y a pas de cantinière avec nous, aussi ai-je aidé à faire la cuisine. Le père Chrétien a rapporté, je ne sais d’où, des choux, de la salade, des petites pommes de terre nouvelles, etc... On vient de m’apporter une année du « Magasin Pittoresque », mais je n’ai guère envie de lire. D’autres ont des gravures de mode, des feuilletons coupés dans les journaux.  

Le docteur est retourné à la porte Bineau, laissant son sac. Je pense qu’il reviendra pour la nuit. On dit que demain le service des lettres va se faire plus régulièrement.  

Bonsoir, chère mère ; je vous embrasse tous trois. Si tu étais malade, ou Paul avec sa porte Maillot, écris-moi, en mettant ta lettre au n°16, cour des Petites-Écuries. Le courrier d’ordre va les prendre tous les jours.  

A demain un autre petit mot.

Je t’embrasse. Alix   
Lettre d’Alix épouse Payen - Sans date (extrait du tome 2)
Quand nous sommes casernes, les journées me semblent plus longues qu'aux tranchées. Défense aux hommes de sortir, surtout par groupes, car aussitôt les bombes arrivent. L'écurie où nous couchons est également notre salle à manger. Le père Chrétien est toujours notre cuisinier ; chacun lui apporte des vivres, et il nous fricotte tout cela. Je t'assure que la devise de la République est mise en pratique parmi nous. Liberté, cela va sans dire; quant à la Fraternité et à l'Egalité, elles ne sont pas oubliées dans notre mess. Voici les convives: deux palefreniers (nous sommes chez eux), le major, le Polonais, capitaine de la 2e; Parelon, le poète, Henri et moi, plus le père Chrétien qui mange sur le pouce tout en nous servant. De temps en temps il y a un invité ; hier c'était un Suédois, très bon tireur. A la fin du dîner, on est venu à parler de langues étrangères et c'est curieux combien d'idiomes différents étaient connus de notre petit groupe: le capitaine Antoine parlait russe et polonais; Swensen, suédois et allemand; le major, italien; Henri, espagnol et anglais; Chrétien, arabe. Tous bavardaient à la fois, chacun dans une langue différente; c'était un vrai charivari.

Mon gros voyou de Chanoine qui s'intitule mon brosseur, vient d'obtenir la permission d'aller voir ses parents. Ce mauvais garnement, si brusque et si grossier, n'est plus le même lorsqu'il parle de sa mère; on voit qu'il a pour elle une véritable adoration. Comme il m'a prise en amitié, il veut me la faire connaître et m'emmène à Clichy. En route il me raconte qu'il a dépensé un peu trop d'argent à sa mère et qu'il va être grondé, mais la bonne femme sera bien contente de le voir.

Quelques projectiles tombent sur la route devant nous, puis, une fois dans le village, Chanoine rencontre à chaque pas des amis. Il faut nécessairement boire un verre de vin, et me voilà entrant au cabaret et trinquant. A la fin je me fâche, pour qu'il se décide à reprendre son chemin. Je ne veux pas rentrer tard, Henri serait trop inquiet. Nous voilà enfin chez la mère Chanoine. C'est une grande bonne femme en marmotte, à la figure sévère. Elle accueille son fils en lui disant vous et refuse de l'embrasser ; et lui, ce garçon querelleur et insouciant, se met à pleurer comme un enfant. Enfin tout s'arrange et ils finissent par s'embrasser. Tous deux en mouraient d'envie.

Tu aurais ri, si tu avais entendu Chanoine faire de moi un éloge pompeux: « En voilà une crâne petite citoyenne, et qui n'a pas peur. Elle vous manie un mort comme moi ce verre de vin ».

Au retour, comme il avait l'air disposé à faire autant de haltes qu'en allant, je lui dis que je reconnaîtrais bien mon chemin pour revenir seule. La nuit qui tombait rapidement fut bientôt très noire. Quelques bombes passent sur ma tête, c'est sinistre au milieu de cette obscurité, dans une plaine nue, aride, sans un pan de mur, sans un arbre pour s'abriter. Je ne reconnais plus mon chemin; je suis seule, complètement seule dans cette plaine noire; je n'entends aucun bruit que celui du canon qui tonne par intervalles. Je puis bien te l'avouer, chère mère, eh bien, la crâne petite citoyenne sentait une émotion qui pourrait avoir quelque parenté avec la peur. Je me mis à courir à perdre haleine... Enfin voici des maisons, voici des gardes nationaux ! — Mais je n'étais pas au bout de mes peines. Pour toute indication je ne pouvais donner que le numéro de notre bataillon. Où était-il caserné? Je n'en savais rien. Un brave garde a pitié de mon embarras, il a l'obligeance de me faire visiter je ne sais combien de casernements, sans succès. Enfin j'aperçois le parc d'artillerie qui se trouve à quelques pas de notre poste. Me voilà sauvée! J'embrasserais de bon coeur mon guide. Je cours à la chambre, où je trouve mon pauvre gros bien inquiet ; puis je redescends dormir avec la cantinière.
Levallois-Perret, vendredi 12 mai.   
Chère mère,

Les jolies villas dont nous occupions les jardins sont le village de Neuilly et, en avant de nous, notre bataillon occupait cette rue Perronet que Paul a eu tant de mal à créneler. Les hommes que nous remplaçons à ce poste nous racontent qu’ils ont écrit une lettre, et l’ont lancée avec une pierre aux lignards, pour les engager à fraterniser. Ceux-ci répondirent par la même voie que cela leur était impossible, mais que les Fédérés feraient bien de ne pas tirer,  parce qu’on pourrait facilement les écharper.  

La nuit a été assez calme. Chez nous, toute la journée, les hommes s’amusent à visiter les villas et rapportent qui un matelas, qui un tapis ou de la vaisselle. Le capitaine se lâche quand apparaissent des objets incongrus, tels que seringue, parapluie, crinoline, etc. Cela n’empêche pas notre bêta de Chanoine de s’habiller en femme, et d’être d’une laideur atroce. Les coiffures sont pittoresques. Le soleil est si ardent que l’on voit force chapeaux de paille de femme, un des artilleurs qui servent les pièces de la barricade, s’est coiffé d’un tricorne de sergent de ville, qu’il met sens devant dimanche. Le vieux père Chrétien a  adopté la carcasse de soie bleue d’un grand bonnet normand, c’est une vraie mitre ; de plus, il se sert, en guise de  gamelle, d’un pot de chambre en porcelaine.  

J’ai visité quelques-unes de ces maisons. C’est déplorable : des ruines, et toujours des ruines. Au milieu de tout cela, les jardins fleurissent et poussent à l’aventure.  J’ai un bouquet gros comme un fagot. Les fraises rougissent déjà, et les groseilles vertes trouvent des amateurs.   Pendant la nuit, on s’est fusillé comme d’habitude, mais avec moins de violence. Le temps était glacial, nous étions tous gelés. Nous n’avons eu qu’un blessé, atteint légèrement aux deux jambes par un éclat d’obus. A quelques mètres de nous, il y a un homme tué depuis quatre jours. Nous voudrions aller le relever, mais les balles pleuvent sur nous chaque fois qu’on essaie. Comme il est inutile de se faire tuer pour un mort, on l’a laissé là. Ce qui rendait notre position désagréable, c’est que nous avions le feu ennemi à la fois en face et sur le côté gauche. A quatre heures du matin, le 108° est venu nous relever et nous sommes rentrés à notre casernement de Levallois. Mais nous avons eu beau suivre les jardins, raser les murs, du Mont Valérien, les Versaillais ont vu notre logis, et les obus ont commencé à bombarder le pauvre village. Aussitôt les boutiques se ferment, les habitants descendent dans les caves. Ils visent joliment bien. Nous en étions quittes jusqu’ici pour des vitres cassées, lorsqu’une jeune fille a été tuée dans sa chambre à côté de nous. Le commandant a bien manqué d’être tué par un obus qui a éclaté sous notre porte cochère, sans faire d’autre mal qu’une forte contusion à la cuisse d’un homme.  

Ce matin j’ai écrit pour un soldat une lettre à sa bonne  amie! lorsque j’ai eu fini, un autre s’approche et me dit d’un air de pitié : « Comment peut-on ne pas savoir écrire? Moi,  j’ai une écriture qui devrait me valoir le grade de major ;  voyez plutôt. » Et il me montra une lettre qu’il se disposait à remettre au vaguemestre ; je lis en écriture moulée :  « A mademoiselle Clarisse, dame du monde. »   
5

Tout espoir était perdu pour la Commune. Thiers tenait la victoire ; « il exultait. En vain le pressait-on d’épargner les horreurs du bombardement aux populations de Montrouge, d’Issy et de Vanves, les batteries  de l’armée tiraient toujours.  

« Ce fut seulement le 9 mai que les Versaillais osèrent occuper le fort d’Issy, ce qui leur permit d’attaquer le fort de Vanves. Ils commencèrent à écraser la Muette et Auteuil sous les obus des formidables batteries de Montretout, qui comptaient 70 pièces de marine ». (7)  

Les membres de la Commune s’accusaient mutuellement. Rossel donna sa démission et Delescluze le remplaça comme délégué à la guerre. Dans la nuit du 13 au 14, le fort de Vanves se rendit.  

A mesure que la situation de Paris devenait plus  désespérée, l’exaspération grandissait, et des mesures  violentes étaient décrétées.  

Le 11 mai, on décida de raser la maison de Thiers « le parricide », malgré l’opposition de Beslay qui donna sa démission.  

Le 12 avril 1871, la Commune de Paris, 
« Considerant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et défaussé gloire, une affirmation de militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République, décrète : Article unique : La colonne de la place Vendôme sera  démolie. »

Les artistes et les historiens n’approuvèrent pas cette décision. Victor Considerant, se faisant leur interprète, écrivit aux membres de la Commune la lettre suivante :  

« Citoyens, les Considerants de votre décret sont admirables. La conclusion, la démolition est, à mon sens, radicalement mauvaise. Un grand peuple éclairé n’efface pas plus son histoire qu’il n’en détruit les monuments : il laisse ces procédés aux barbares. Il juge son histoire et il juge ses monuments.  « En fait, la colonne est un monument national. La Commune n’a pas, seule et sans l’assentiment de la France, le droit de le détruire. Mais Paris a le droit d’écrire son jugement sur un monument dont il trouve que la signification le déshonore. — Laissez donc la colonne en place ; laissez-lui même cette statue, où l’art napoléonien avait voulu fondre, par accoutrement. César, Charlemagne et Louis XIV, dans la figure du chef de cette race néfaste. Seulement, de la tête couronnée, à face de vivant, faites la tête de la Mort porte-diadèmes, et que la main, squelétaire, tienne soit le sceptre, soit la faux, même emblème. Ce sera macabre, impérial, hideux et superbe, (8)  

« La logique de démolition nécessiterait celle de vingt autres monuments, notamment de l’arc de triomphe de l’Étoile. Faites mieux. Ce monument n’est pas fini. On prêtait à M. Thiers l’idée de lui donner, pour couronnement, une aigle colossale aux ailes étendues.  C’était dans l’esthétique de cet adorateur des gloires de proie. — Proposez que le monument reçoive pour couronnement un monceau de cadavres, français, anglais, allemands, russes, égyptiens... — représentation synthétique et d’un réalisme terrible, de toutes les tueries que le grand homme de guerre a commandées en chef ;  et que la statue « à la redingote » que M. Thiers avait placée sur la colonne, repêchée dans la Seine — où elle a été jetée, je crois, — soit dressée, enfoncée jusqu’aux genoux, au sommet du tumulus de ses égorgés.   

« L’arc de triomphe sera conservé, couronné — et  jugé. »

La colonne Vendôme fut jetée bas le 16 mai. (9)   

6   

Alix Payen à Madame Milliet - Neuilly, dimanche 14 mai
Chère mère,   

Nous nous sommes reposés deux jours et ce n’est que ce matin à 3 heures que nous sommes arrivés ici. J’ai fait plus ample connaissance avec le docteur ; nous nous entendons très bien. C’est un homme très comme il faut, et cela change agréablement du reste de la compagnie. Le commandant a pris sous son bonnet d’accepter quatre ambulancières, au grand déplaisir du major et de moi. Le docteur a mal revu ces femmes, mais il faut bien en prendre son parti. Ce qu’il y a de plus ennuyeux, c’est que, sur les quatre, trois sont de véritables buses, et l'autre une femme envieuse, aigrie, assommante enfin. Le docteur a déclaré qu’en son absence j’aurais seule la disposition du sac et la direction de l’ambulance. Je veux tâcher que cela marche bien, mais il y aura sûrement de l’ennui, à cause de la femme acariâtre et de son mari qui l’est encore plus.  

Nous sommes installés dans les écuries d’un splendide hôtel. Les jardins sont magnifiques. La maison est presque toute effondrée. Les écuries sont dans le sous-sol où l’on entre par une pente du côté du jardin, ce sont de belles boxes, des abreuvoirs de marbre, et c’est meublé d’une manière somptueuse, avec les fauteuils de toutes les chambres ; c’est d’un luxe inouï. On dit que cette propriété appartient au duc de Mouchy. Nous avons des matelas, mais c’est froid.  

Bien que nous soyons en seconde ligne, nous distinguons très bien les ruraux. Ceux de la première tranchée ont été interpellés par les Versaillais. Un d’eux a crié : « Payez-vous la goutte? » Et les gardes nationaux de répondre : « Viens la chercher, cochon! »  

Le soir, avant notre départ de Levallois, nous étions couchées, mais quelques hommes causaient encore sur le pas de la porte, lorsqu’une balle traverse la jambe de l’un d’eux. Le docteur étant absent, c’est moi qui l’ai pansé.  Cette halle a dû partir d’une maison voisine. On a fait des perquisitions qui sont restées sans résultat.   
Lundi 15 matin.   
Chère mère,  

La nuit a été orageuse, mais, Dieu merci, sans grand dommage. Un seul tué et quatre blessés légèrement. Notre maison s’est effondrée sous les bombes, mais notre écurie étant au sous-sol, n’a rien eu. Il y avait défense expresse de tirer ; nous avions la garde des munitions, et les obus pleuvaient bien assez. La fusillade n’avait plus le même son. C’étaient exclusivement des balles explosibles. (10)

Henri était chef de poste et nous n’étions que douze, là où il aurait fallu être trente. Heureusement nos blessés ont pu être apportés pendant qu’il faisait encore jour, car il était  défendu d’avoir de la lumière.  

Deux des nouvelles ambulancières vont être, je crois, renvoyées ; elles ont eu une peur atroce ; mais la grincheuse  et une autre ont beaucoup gagné dans mon estime. Nos hommes ont été vraiment héroïques, et cependant les Versaillais les excitaient par mille insultes et bravades.  Nous montions sans bruit deux pièces de canon, lorsque ces gredins envoient une bombe à pétrole dans la maison que nous occupions. Il fallut déguerpir, et la lueur de l’incendie empêcha nos artilleurs de terminer leur ouvrage. C’était superbe!

Nous avons été relevés ce matin ; nous voici an repos  pour 48 heures ; ainsi sois tranquille. Du reste notre major est très prudent, trop prudent à mon avis. Ta lettre m’est arrivée hier, tu penses si j’ai été contente. Ce matin on continue d’entendre la fusillade. Ne compte pas me voir encore ; on accorde difficilement des permissions, et je  préfère n’en pas demander. Si tu m’écris encore par la même voie, je te prie de monter à la maison, et de prendre dans mon armoire une chemise, un pantalon, neuf surtout, et une paire de bas. Si j’ai une occasion, je ferai prendre tout cela chez toi.  

Je crois que cette nuit sera encore très chaude. J’espère que notre bataillon sera porté à l’ordre du jour.  

Adieu mère. Je vous aime et vous embrasse tous bien tendrement.   
7
Chère mère,  

Je viens de ramener mon pauvre Henri sérieusement blessé. Un éclat d’obus lui a enlevé un doigt et bien abîmé un autre ; puis il est entré dans le côté et a traversé la cuisse de part en part. On voulait l’envoyer à Beaujon, mais il a préféré rentrer chez lui, où il sera soigné par le major de notre bataillon, lequel revient aussi ce matin. Je t’écris dans la voiture d’ambulance, je ne sais si tu pourras me lire.

Je t’embrasse et compte sur ta visite.  
Alix   
Chère mère,

Je suis bien en peine de Paul et de vous ; écris-moi pour me dire où il est et ce qu’il fait. N’est-ce pas désolant de ne pas pouvoir être ensemble dans un pareil moment! Hier matin j’ai été à la mairie, où M. Salomon m’a donné une lettre pour un chirurgien. Celui-ci est venu immédiatement. C’est un homme âgé. Il a fait un pansement qui m’a paru très bien fait : en tout cas, il y a mis beaucoup de soin et d’attention. Le doigt ne pourra pas être conservé. Aujourd’hui il vit mettre quelque chose dessus pour faire sortir les esquilles. Les deux autres plaies l’ont effrayé. Il a enfoncé dans l’une une sonde qui a disparu jusqu’à 18 centimètres. Il croit que c’est le même éclat qui a traversé. Enfin je vois que ces blessures, que je considérais comme beaucoup moins graves que celles de la main, ne sont pas sans danger. Ce médecin recommande une propreté extrême. Il faut le changer souvent de linge et tu sais que ce n’est pas facile, mais j’y veillerai avec soin, car l’odeur est déjà horrible.  

Hier ce pansement l’avait beaucoup fatigué, et la fièvre était assez violente. Le docteur désire qu’il mange le moins possible, et le pauvre gros se sent besoin ; rien qu’une petite soupe redouble sa lièvre.  

Je sais à peine ce qui se passe, puisque je ne sors pas. Notre bataillon est revenu hier matin, quelques hommes sont venus voir Henri. Quant à M. Peraldi, il n’a pas paru ; aussi je lui en veux. Je ne le regrette pas comme chirurgien. Je crois que ce vieux monsieur le vaut bien.  

Écris-moi, chère mère, je suis inquiète de Paul. J’ai du noir, je t’assure, et je suis dans une inquiétude mortelle.  Je vous embrasse tous bien tendrement.  

Ta fille qui t’aime. Alix   
8

Le 21 mai la porte du bastion 64 près de la porte de Saint-Cloud ayant été ouverte par trahison, les troupes des généraux Douay, de Cissey, Ladmirault et Vinoy  entraient dans Paris.  

Les partisans du Gouvernement de Versailles, pour ne pas être confondus avec ses ennemis, se hâtèrent de  prendre comme insigne un brassard tricolore. Ma mère qui tremblait à l’idée de me voir fusiller, me dit timidement : « Laisse-moi coudre ce brassard à ta  manche. » Je pris le ruban et je le déchirai. Aussitôt je vis la figure de ma mère s’illuminer de joie. D’un côté elle aurait voulu me sauver du danger, de l’autre elle m’eût un peu méprisé, si j’avais commis cette lâcheté  de renier mes convictions dans un pareil moment.

Madame Milliet à M. Félix Milliet - Paris, 25 mai  
Nous sommes vivants. — Non, mon cher ami, il n’est pas possible, de te dépeindre l’horreur de la journée d’hier, Paris en flammes. De tous côtés on se battait sur le boulevard  Montparnasse et à l’Observatoire, quand tout à coup le feu prend aux baraques du Luxembourg et, un instant après, la poudrière saute. Notre maison vacille comme par un tremblement de terre ; portes et fenêtres volent en éclats. Avec Paul et Louise nous nous précipitons dans le jardin ;  les éclats d’obus et les balles y pleuvaient. Nous étions là à peu près quarante personnes ; impossible de fuir, on se battait sur le boulevard. L’attaque et la défense étaient furieuses au Panthéon qu’on avait ordonné de faire sauter. Il y avait là une immense quantité de poudre. Nous attendions notre sort, résignés.  

Pendant ce temps l’Hôtel de Ville brûlait, puis les Tuileries, le Ministère des Finances, le Palais de Justice,  que sais-je? Je ne puis m’empêcher de croire que ceux qui brûlent tous nos monuments sont des gens vendus, payés pour commettre ces crimes. — Puis, à côté de ces fous, que d’âmes héroïques!  

On se bat aujourd’hui avec une violence inouïe ; de part  et d’autre point de quartier. On entasse les morts par charretées; tout cela est horrible, horrible.  

Henri est blessé grièvement. Je suis sans nouvelles de lui.   
Alix à Madame Milliet
Chère mère,

Je ne sais si tu es à Paris ou auprès de mon père. Reviens vite, Henri se meurt. Je doute que tu le revoies. C’est horrible! Je t’en prie, viens. Hier les médecins m’avaient prévenue.  
Dans une lettre, écrite peu de temps après ces événements, je racontais à J. Nicole la suite qu’ils eurent pour notre famille :  
Cher ami,  

Il faut que je te dise comment j’ai échappé. Epuisé de fatigue, je rentrais chez moi de grand matin, peu d’instants avant l’explosion de la poudrière du Luxembourg. Tu sais que nous demeurons tout auprès ; nous crûmes que la maison s’écroulait. Ma mère et ma jeune sœur se jettent dans mes bras. Louise était légèrement blessée au visage par des éclats de verre. Nous attendions l’explosion probable du Panthéon ; tout le quartier se serait peut-être effondré dans les catacombes.  

Nous descendîmes dans le jardin comme toutes les personnes de la maison. Quelques balles égarées sifflaient encore au-dessus de nos têtes, et nous attendions la mort avec ce calme hébété que donnent les émotions qui dépassent la mesure. — Impossible de sortir ; les Versaillais occupaient déjà le boulevard Saint-Michel ; quelques dames leur serraient les mains et se jetaient à leur cou, en les  appelant « nos sauveurs ». On ne fouilla pas notre maison. Un mot prononcé alors et j’étais fusillé comme un chien. Ma sœur aînée, traversant la ville au milieu des obus et des balles, accourt vers nous, pour savoir si nous vivons et nous dire que l’état de son mari devenait plus grave. J’ai passé quelques nuits à son chevet avec ma sœur. Elle aidait le médecin à panser une plaie profonde et hideuse. 

Henri est mort dans d’affreuses souffrances, les dents serrées, ne pouvant plus boire ni manger. C’était le tétanos.  

Un de ses parents, officier dans l’armée, frappe à la porte ;  il entre presque joyeux ne sachant rien, heureux de revoir son cousin, et le trouve mort.  

Ils furent rares ceux des amis d’Henri Payen qui osèrent le suivre au cimetière.  

Le jour même de l’enterrement, le parent d’Henri apportait à ma mère un laissez-passer et le lendemain elle nous emmenait, mes deux sœurs et moi, presque de force ; nous ne voulions pas quitter notre cher Paris, si héroïque et si malheureux ; nous aurions voulu mourir avec lui.  
Madame Milliet à M, Félix Milliet - Paris, 30 mai  
Mon cher ami,

j’ai une bien triste nouvelle à t’apprendre, ce pauvre Henri n’est plus. II est mort hier à 5 heures après dix jours de maladie. Alix est au désespoir. Je voudrais l’emmener aussitôt qu’il sera possible, mais je ne veux laisser personne derrière, moi, je veux les emmener tous, et il se passera sans doute encore quelques jours avant qu’il soit possible d’obtenir un laissez-passer. Je suis brisée de fatigue et d’émotion. Peu s’en est fallu que nous périssions tous, quand la poudrière du Luxembourg a sauté.
Paris, le 31 mai 1871. Le Général commandant la Place, H. DE Geslin
« Le chef de poste à la porte de Saint-Cloud laissera sortir librement Madame Milliet, née de Tucé ; M. Paul Milliet, son fils, élève de l'Ecole des Beaux-Arts ; Mademoiselle Louise Milliet, sa fille ; Madame Veuve Payen,  née Milliet, sa fille, pour se rendre à Rambouillet, par  Versailles. Le présent laissez-passer n'est valable que pour la journée du 1er juin 1871.
Notes du chapitre III

(1) Les lettres qui suivent, écrites au crayon et rarement datées, ne portent pas de timbres qui permettent de les classer dans un ordre certain.    
(2) Ouvrier bijoutier de la fabrique d’Henri Payen.   
(3) « Dans la journée d’hier, raconte le Rappel du 12 avril, le feu s’était de part et d'autre notablement ralenti... Tout à coup, à neuf heures, des détonations ont retenti à coups violents et pressés, c’était le maréchal Mac-Mahon qui tentait de forcer l'aria par une surprise nochirno.   « L'horrible combat a duré une heure et demie avec une effroyable intensité, puis les coups se sont ralentis Ils ont bientôt tout à fait cessé. Mac-Mahon et les bataillons de Versailles étaient repoussés... On ne savait lequel on devait le plus accuser et détester, du politique ou du militaire, — de M. Thiers qui tend aux Parisiens le piége des négociations, ou de Mac-Mahon qui ose essayer de prendre sur Paris sa revanche de Sedan. » — (Paul  Meurice)  
(4 et 5) Henri Martin.
(6) « Dans la nuit du 29 au 30 une tranchée située sur la droite  du fort d’Issy avait été surprise par l’ennemi avec la batterie qu’elle couvrait. Megy, l’incapable commandant du fort, voyant au matin l’ennemi s'étendre sur sa droite, avait pris peur et évacué le fort avec sa garnison. Cluseret, à celle nouvelle, était parti pour Issy, et, réunissant quelques troupes, les avait ramenées au fort, où il était rentré le premier. C’est à son retour de cette  expédition que la Commission l’avait fait arrêter. » — Rossel consigna Mégy et envoya au fort d’Issy le général Eudes
(7) Georges Bourgin.
(8) Ce n’eût été là que du vandalisme atténué.
(9) Voir Maxime Vuillaume, Mes cahiers rouges, V, page 172.  
(10) Madame Payen en avait conservé quelques éclats qui avaient traversé le capuchon de son waterproof. Je crois que cette nuit ce sera encore très chaud.
Livre X : 1871 - LA COMMUNE - Cahier de la Quinzaine : 7ème cahier de la 13ème série

VICTIMES ET BOURREAUX
Chapitre IV : Nos morts. — La guerre des rues. — L'ordre règne. — Le  docteur Faneau. — Deuil et ruine. — Delbrouck. — Les  enfants. — L’avenir.
« Leur sang fait une mare affreuse sur la terre... (….) morts pour mon pays, je suis votre envieux. »   Victor Hugo  
En 1840, Thiers, présentant son projet de fortifications, repoussait avec indignation l’idée que ses canons pussent être jamais tournés contre les Parisiens : « C’est calomnier un gouvernement quel qu’il soit, disait-il, de supposer qu’il puisse un jour chercher à se  maintenir en bombardant la capitale. »  

Le 5 août 1871, le même M. Thiers déclarait à l’Assemblée Nationale : « Nous avons écrasé tout un  quartier de Paris », et le 24 mai ; « J’ai versé des  torrents de sang ». (1)  

En effet, dès le 8 mai, le quai de Javel, le quartier de Grenelle et la moitié de Passy étaient couverts d’obus par les Versaillais.  

Lissagaray rapproche de ces violences odieuses, l’éloquente protestation signée quelques mois auparavant par tous les membres du Gouvernement de la Défense Nationale :  « La plus grande infamie dont l’histoire moderne ait gardé le souvenir s’accomplit à cette heure, Paris est bombardé. » (2)  

Les partisans de l’ordre, devenus subitement très nombreux, « font cheminer les Versaillais sans danger par les maisons complices. La nuit s’éclaire de formidables incendies. » (3) Ainsi brûlent les Tuileries, la Légion d’honneur, le Conseil d’État, la Cour des Comptes, le Ministère des Finances, la Bibliothèque du Louvre, puis le 24 l’Hôtel de Ville (4) où avait été  déposé le corps de l’héroïque Dombrowski, tué auprès de Vermorel.  

Ce sont principalement des membres de l’Internationale qui s’opposèrent courageusement aux violences des exaltés ; « Theisz a empêché qu’on brûlât la Poste (du Louvre) ; Camelinat, la Monnaie (l’hôtel). Beslay a protégé la Banque ; Varlin a essayé de sauver les otages voués à la mort par les Blanquistes. La bourgeoisie ne s’est plus ensuite souvenue que de sa peur. » (5)  

La guerre des rues dura huit jours. « La tuerie commença dès les premiers moments. Rien ne l’expliquait alors, ni l’horreur des incendies, que personne ne prévoyait, ni l’exécution des otages, encore éloignée, rien, dis-je, sauf des ordres précis. » (6)  

« Un marquis de Galliffet, arrêtant une colonne de prisonniers, arrachait des rangs, sur la simple inspection des physionomies, quatre-vingts malheureux dont les têtes ne lui revenaient pas, les alignait suivant la crête extérieure d’un rempart, de manière que leurs cadavres, en pirouettant, tombassent de haut dans le fossé au bas du mur, et les faisait fusiller à brûle-vêtement par ses chasseurs. L’ancien officier de l’Empire se croyait encore au Mexique sous les ordres de Bazaine le félon. » (7)  

2  

L’infamie des Prussiens fut grandement dépassée par celle des Versaillais. Peu de temps avant l’explosion probable de la poudrière du Luxembourg, on avait transporté au séminaire de Saint-Sulpice les deux cents malades et blessés qui se trouvaient dans les baraquements de la Pépinière. La direction de l’ambulance avait été confiée à l’un de nos amis, comme nous disciple de Fourier, au jeune et distingué docteur Faneau. Aussitôt que les Versaillais furent entrés dans Paris, il fit faire une perquisition sévère dans l’ambulance et les quelques armes qui y restaient encore furent déposées à la mairie. Le mercredi matin, après les terribles combats de la rue de Vaugirard et du Vieux-Colombier, un sergent de la ligne, aidé par les ambulanciers, abattit le drapeau rouge qui flottait sur la porte du séminaire et le remplaça par un drapeau tricolore.

Quelques heures plus tard, une brute féroce, le capitaine L..., entra dans l’ambulance à la tête de ses troupes : « Y a-t-il ici des Communards? — Je n’ai que des blessés, répond le docteur. — Mais ce sont des insurgés et vous êtes Tarai de ces coquins. Où est le chef, ici? — C’est moi. » Le capitaine ajustait Faneau de son revolver. « Ne le tuez pas, criait un aide-major.  — Rentrez, où je commence par vous. » Un coup de  revolver atteignit à peine la victime. Un soldat l’acheva d’un coup de fusil à bout portant. Un filet de sang jaillit de la plaie. La mort fut instantanée, (8)  

« Ainsi périt, tout jeune encore, au milieu de ses malades, un médecin de grand mérite et grand avenir. Chirurgien des ambulances de la Presse pendant le siège, estimé, aimé de tous, le docteur Faneau paya de sa vie le crime d’être resté fidèle à un ministère qu’entourent de respect tous les peuples civilisés. »  

Dans la chapelle, deux ambulanciers apportaient les morts de la veille ; tous deux sont massacrés. Par une échelle qui menait dans les combles et au clocher, ceux qui peuvent se sauver montent à la hâte, puis tirent l’échelle et referment la trappe. Dans l’ambulance, raconte l’aide-major, les malades avaient été répartis deux par deux dans chacune des petites chambres des  séminaristes, le long d’un couloir. Le capitaine avec ses hommes allait de lit en lit, interrogeant brusquement chaque malade, puis il se tournait vers les soldats : « Une balle dans la tête. » Quelques-uns furent fusillés d’autres percés de baïonnettes, d’autres tués à coups de revolver. Il y avait des mares de sang sur les matelas.  

Un docteur, échappé au massacre, alla chercher à la mairie des brassards tricolores. On porta dans la chapelle soixante-quinze cadavres de fusillés. Le corps du docteur Faneau resta trois jours dans la cour. —  « Le lendemain, sa malheureuse mère arrivait, folle de  douleur. Tantôt elle se jetait sur le corps, tantôt elle se précipitait sur l’officier qui se trouvait là et lui criait :  Assassin! assassin! On m’a dit que le cadavre avait été si maltraité que, comme elle saisissait les mains pour les embrasser, les mains se détachèrent des bras. »  

On avait fait espérer une médiation de la Prusse; mais les Fédérés refusèrent le passage aux délégués. Vermorel et Delescluze décidèrent alors de mourir. « Derrière la barricade du Château-d’Eau, Vermorel tomba grièvement blessé ; c’est là que Delescluze vint chercher stoïquement la mort. » (9) Millière fut exécuté sur les marches du Panthéon, par ordre du capitaine Garcin.  

« Delescluze, s’il n’avait pas été affaibli par l’âge et par la maladie, aurait peut-être été l’homme de la révolution. Il a marqué son arrivée au ministère de la guerre par plusieurs mesures heureuses... Une longue déportation avait ruiné sa santé ; il ne parlait plus, il  respirait à peine ; c’était un cadavre ambulant. L’acceptation du pouvoir était le sacrifice des misérables restes de sa vie, et cependant il accepta. Il accepta de la majorité de la Commune, dont il ne faisait pas partie, mais qu’il dominait de la grandeur de son passé, un rôle impossible, condamné d’avance, et dans lequel il ne fut pas soutenu. Il est tombé derrière une barricade, mais déjà il avait succombé à la tâche... Delescluze « s'est fait tuer », après l’abandon de la barricade où il se trouvait. Il a été frappé d’une balle au cœur. On a trouvé son corps défiguré par une affreuse brûlure que lui avait faite au cou une poutre tombée d’une maison voisine. Les vainqueurs trouvent des paroles pour insulter sa mort. » (10)  

C’est en représailles de ces exécutions sommaires que les otages ont été fusillés par les Fédérés rue de la Roquette, (11)  

Les Versaillais, exaspérés par la résistance qu’ils rencontraient, massacraient aveuglément tous ceux qui  tombaient entre leurs mains. « Les prisonniers étaient bien plus nombreux que les véritables combattants, et on les fusilla comme s’ils eussent été derrière les  barricades. »   La lutte s’acheva le dimanche 31 mai dans le cimetière du Père-Lachaise :  

... Rien d'humain ne surnage...  
Des bandits ont tué soixante-quatre otages.  
On réplique en tuant six mille prisonniers. (12)  

(Victor Hugo)  


3

Si j’avais eu alors des ennemis personnels, il ne leur eût pas été difficile de découvrir ma retraite. C’est de la Colonie que j’écrivis à mon ami Nicole la lettre suivante, qui résume les principaux faits dont je venais d’être témoin, (13)  
... Je suis bien triste, cher ami, mon beau-frère est mort, sa femme, qui ne l’aidait pas quitté pendant la lutte, a supporté des fatigues et des dangers inouïs. Elle lui tenait le bras aux avant postes de Levallois-Perret, quand il a été frappé par un éclat d’obus. Ma sœur a montré un dévouement admirable. Elle était ambulancière ; bien souvent son  drapeau en main, elle allait chercher les blessés au-delà des  tranchées. Les Versai liais la laissaient approcher, puis la recevaient par une grêle de balles. Il y avait des balles explosibles. On nie tout cela maintenant... De mes camarades, les uns sont morts, les autres sont en fuite ou sur les  pontons; ils attendent cette justice qu’on nomme les Conseils  de Guerre. On a beaucoup calomnié la Commune, et puis elle a eu des amis qui lui ont fait grand tort. Je voudrais seulement te donner une idée de la situation.  

... Que diriez-vous à Genève si, par impossible, un Conseil fédéral, nommé dans un moment de panique, insultait les représentants de votre ville, désarmait votre milice, prétendait régler vos affaires municipales, fixer le prix de vos loyers et la date de vos échéances, et enfin s’il cherchait à vous imposer un roi. Heureux Suisses, vous n’avez pas de prétendants. Et quand vous parleriez de vos droits, que diriez-vous si l’on bombardait vos monuments et vos maisons, si l’on tuait des femmes et des enfants, si l’on tirait sur vos ambulances, si l’on fusillait vos soldats prisonniers, si des traîtres, bons à décorer, ouvraient vos portes, et si dans la ville commençait alors une boucherie infâme et sans nom. J’ai vu les cadavres entassés sur d’immenses chariots, serrés comme des gerbes par de grandes chaînes, et laissant couler derrière eux des ruisseaux de sang. Tant  que la nuit durait, j’ai entendu les feux de peloton qui fusillaient des braves, condamnés sans jugement, et le lendemain, sur les trottoirs, s’étalaient en longues files des cadavres hideusement mutilés. Les soldats massacraient les blessés dans les ambulances. Tous ces crimes ont été prémédités et accomplis de sang-froid par des hommes qui prétendaient agir au nom de la loi et rétablir l’ordre. J’ose dire que la Commune, si elle n’a pas été à la hauteur de sa tâche, n’a jamais rien fait qui approche de cela.  

Parlera-t-on de quelques arrestations arbitraires? Du  moins, elle n’a pas eu le triste courage d’envoyer trente mille hommes sur les pontons. La Commune n’existait plus, ses membres étaient déjà tués, prisonniers ou dispersés, lorsque deux grands crimes ont été commis : le massacre  des otages et les incendies. Un bien petit nombre d’hommes surexcités par les déclamations d’agents provocateurs, soudoyés peut-être par les Prussiens, furent saisis d’une sorte de folie furieuse. D’autres, sachant qu’ils allaient mourir, ont cru que Paris voulait mourir avec eux. Ils ont agi comme le capitaine de vaisseau, qui, sans consulter l’équipage, fait sauter navire et matelots plutôt que de se rendre.  Ces fanatiques ne savaient pas que les monuments, les musées, les bibliothèques, trésors accumulés pieusement par le passé, sont la propriété de l’avenir ; nul n’a le droit  de les anéantir. Moi qui considère les chefs-d’œuvre de l’art comme des êtres vivants et qui donnerais volontiers ma vie  pour sauver la Joconde ou la Vénus de Milo, je reconnais que ces hommes sont coupables ; ce que j’affirme pourtant,  c’est que leur crime, si grand qu’il soit, est politique, (14)   

4

Peu de temps après notre départ de Paris, le général de Tucé écrivait de Clermont-Ferrand à madame Milliet ;  

J'ai reçu avec grand plaisir la lettre qui m’annonce que vous êtes enfin à la campagne. Il manque, il est vrai, ce pauvre Henri. Je comprends tout le chagrin que doit éprouver sa petite femme, car il l'aimait beaucoup. Si dans la conduite de ses affaires, il a risqué des opérations hasardeuses, c'était pour acquérir plus vite un bien-être auquel il pensait plus pour elle que pour lui. Heureusement vous êtes autour d'elle et pouvez lui apporter bien des consolations.  

Henri Payen s’était en effet lancé, avant la guerre, dans des entreprises commerciales qui n’avaient pas réussi. M. de Tucé et mes parents lui avaient prêté d’assez grosses sommes. Une mort prématurée l’empêcha de relever sa maison, dont la faillite allait être déclarée.  

Fernand à sa mère - Bône, 20 août 1871.  

Quel coup de foudre! chère mère! Que tu dois avoir de tourments! J’étais au bureau lorsque j’ai revu ta lettre. J’ai été obligé de rentrer précipitamment chez moi : j’avais le cœur si gros que je sentais les larmes me monter aux yeux. Pauvre Alix! Elle a du courage, je le sais ; mais il lui en  faudra pour supporter ce nouveau malheur. Certes la perte d’argent est cruelle, mais j’entends bourdonner à mes oreilles ce terrible mot de faillite. La perte de l’honneur serait trop cruelle, enfin, j’en perds la tète! — As-tu pu croire un seul instant, chère mère, qu’il me vienne jamais à la pensée de blâmer une de tes actions? Tu as toujours été guidée par ton bon cœur, tu as bien fait. — Ce qui me navre et me serre le cœur, c'est de penser que vous allez être obligés de vous gêner, de vous priver peut-être. Surtout que ce ne soit pas pour chère mère, bien d’autres sous-lieutenants ; vivent avec leurs appointements, je puis bien faire comme eux et me sangler un peu. — Je n’ai qu’à jeter un regard en arrière dans ma vie, pour me trouver relativement heureux. Le beau malheur, quand j’irais quelques fois de moins au café, ou que je porterais un peu plus longtemps la même tunique! Que dit mon oncle de tout cela?...  

Madame Alix Payen n’étant pas mariée sous le  régime de la communauté de biens, aurait pu sauver sa dot ; elle l’abandonna entièrement aux créanciers de son mari. Complètement ruinée, elle accepta courageusement sa nouvelle position et, de retour chez ses parents, elle voulut gagner sa vie par son travail. Elle entra d’abord chez Nadar, puis chez Goupil, pour retoucher des photographies. Plus tard, elle parvint à vendre quelques copies de tableaux qu’elle peignait à l’aquarelle dans les musées.  

5  

Bien peu, je crois, parmi nos camarades de la Légion du Génie ont survécu aux massacres. Ceux qui restaient se trouvèrent dispersés au loin ; je n’en ai revu aucun. L’un d’eux, cependant, échappé miraculeusement à la mort, a raconté à mes amis de Vesly et Léon C... son émouvante histoire, (15)  

Dollé était un jeune serrurier, maigre petit blondin à l’œil éveillé, très crâne dans le danger comme beaucoup de nos loustics parisiens. On assurait qu’il avait été fusillé ; des témoins l’avaient vu tomber. Grand fut donc l’étonnement du lieutenant de Vesly lorsqu’il vit le prétendu mort entrer chez lui, un des premiers jours de juin 1871.  

« Dès que les troupes de Versailles eurent pénétré dans Paris, raconta Dollé, il nous fallut abandonner la caserne Lowendal et battre en retraite. Nous nous retirions de barricade en barricade, accablés par le nombre. Rue Gay-Lussac, des fuyards nous avertirent que nous allions être cernés. Toute résistance était impossible ; je jetai mon fusil dans le soupirail d’une  cave et tâchai de trouver un refuge chez des amis, mais toutes les portes restèrent impitoyablement closes. —  Je rôdais du côté de mon logis, dans une ruelle de la Montagne Sainte-Geneviève, à la nuit tombante, quand  je fus appréhendé par une patrouille et conduit à  l’École Polytechnique. Là, sans autre forme de procès,  on nous aligna contre un mur, et l’on tira dans le tas.  L’émotion me fit tomber en syncope et je m’affaissai, juste au moment où le chef de peloton commandait :  Feu! — Je ne sais combien de temps s’était écoulé lorsque je repris connaissance. Il était nuit close, j’étais à moitié enseveli sous des cadavres et tout couvert d’un sang encore chaud. Je me palpai. Pas une égratignure! Je n’osais donner signe de vie. Un lieutenant, désireux de nettoyer promptement la cour, ordonna de charger sur un fourgon « cette vermine démocratique et internationale » ; je vis alors un sergent s’avancer, un falot à la main, un revolver de l’autre,  prêt à donner le coup de grâce â ceux qui respiraient  encore. Quand il s’approcha de moi, je me redressai subitement d’un bond. Étonné, le sergent resta un instant perplexe, puis il se décida à me conduire devant l’officier supérieur. — J'expliquai que je n’avais fait qu’obéir a mes chefs, que j’avais une femme et un enfant... Le colonel, pris de pitié, me fît donner une cotte d’ouvrier en échange de mon uniforme. — « Tu as eu ton compte, dit-il, va, et ne recommence plus. »  Les actes de clémence furent si rares à cette époque que j’ai cru devoir en signaler un.  

Les femmes s’étaient montrées admirables de courage et de dévouement, (16) Madame André Léo prise « d’une sainte fièvre » employait son grand talent d’écrivain à expliquer le noble but de la Commune. Louise Michel, institutrice adorée des petits enfants, pour sa bonté, avait organisé un corps d’ambulancières qui allaient chercher les blessés sous la fusillade de l’ennemi. Les enfants faisaient « des folies de bravoure ».  

Je rappellerai seulement quelques vers de V. Hugo, qui immortalisent un de leurs plus beaux traits  d’héroïsme :  
Sur une barricade, au milieu des pavés  
Souillés d'un sang coupable et d'un sang pas lavés.  
Un enfant de douze ans est pris avec des hommes.  
— Es-tu de ceux là, toi?
— L'enfant dit : Nous en sommes.  
— C'est bon, dit l’officier, on va te fusiller.  
Attends ton tour. — L'enfant voit les éclairs briller,  
Et tous ses compagnons tomber sous la muraille.  
Il dit à l’officier : Permettez-vous que j'aille
Rapporter cette montre à ma mère chez nous?  
— Tu veux t’enfuir? — Je vais revenir. — Ces voyous 
Ont peur! Où loges-tu? — Là, près de la fontaine.  
Et je vais revenir, monsieur le capitaine. 
— Va-t’en. drôle! — L'enfant s'en va. — Piège grossier! 
Et les soldats riaient avec leur officier.  
Et les mourants mêlaient à ce rire leur râle ;  
Mais le rire cessa, car soudain l'enfant pâle.
Brusquement reparu, fer comme Viala,  
Vint s'adosser au mur et leur dit : Me voilà, (17)  

6  

Dans la nuit du 21 mai, le capitaine Delhrouck, toujours sans armes, dirigeait les travaux de sa compagnie sur les remparts de Passy, lorsqu’il se trouva entouré à l’improviste par les troupes versaillaises entrées dans Paris par trahison. Fait prisonnier, il fut emmené à Versailles, Il dédiait sous les insultes de la foule avec ses compagnons de captivité, quand une belle dame le montrant du doigt s’écria : « Voyez donc cette tête d’assassin! » — Il avait une tête de Christ. —  Et la féroce mégère le frappa d’un coup d’ombrelle. (18)  Sa santé ruinée par les fatigues ne devait pas se rétablir dans la prison. (19) L’instruction de son procès dura plus d’un mois. On ne parvint à découvrir que les innombrables traces de son dévouement, « ses efforts libérateurs, le plus souvent heureux, mêlés aux noms de M. Bonjean, de M. Claude, des Sœurs de Boutibué, de Picpus, de Sainte-Marie, du Père Caubert, du concierge de M. Thiers, etc... Un arrêt de non-lieu le rendit libre », (20) mais seulement lorsqu’on fut bien sûr qu’il n’avait plus que quelques jours à vivre.  

Dans la dernière lettre qu’il écrivit de sa prison, je trouve ces touchantes paroles :    

« Eh bien ! ma pauvre Bet-Bette (sa fille âgée de 2 ans) est  donc partie! Ah mon ami, ce départ m’est bien pénible, car il est le signal des séparations. Pauvre Bet-Bette, pauvre Marie ! II faut que j’aie la conscience d’avoir fait mon devoir, ou tous mes efforts pour l’accomplir, pour ne pas être terrassé par les malheurs que j’entrevois... Mais, ai-je le droit de me plaindre, en songeant au sort de notre pays, à tant de braves et nobles victimes que je plains toutes? — Je me dis pour me consoler que j’ai fait tout ce que je pouvais pour empêcher cet épouvantable résultat. Aussi mes pauvres filles, mes amis et moi, nous en serons punis. C’est la justice de ce monde. Je m’y attendais. A la grâce de Dieu ! » 
Paul M. à Jules Nicole  
Notre vénéré capitaine, M. Delbrouck, vient de mourir. C’était un homme doux comme un enfant, d’un courage simple et héroïque; nous l’adorions. Il avait autrefois sauvé la vie à Armand Barbès. C’est lui qui a refusé la croix offerte par Trochu ; je t’ai dit ce qu’il a fait le 31 Octobre ;  sa vie n’est qu’un long acte de dévouement. Deux fois, il est allé à Versailles, au péril de sa vie, pour tenter une conciliation. C’était un saint, c’est un martyr. Il est mort des traitements qu’il a subis dans sa prison. Il laisse deux enfants orphelins. Je suis bien triste, cher ami.
Sur la tombe de Delbrouck, M. Trélat prononça ces courageuses paroles dont l’éloquence est faite de sincère émotion :
.. « Voilà donc la fin de cette incomparable abnégation qui fut toute votre vie, mon ami! Que diront les hommes? Beaucoup, le plus grand nombre, vous confondront avec les vulgaires perturbateurs. D’autres seront indifférents ou dédaigneux. L’empire des âmes supérieures reste un foyer caché que n’aperçoivent pas les foules. Autour s’agenouillent ensemble de rares croyants. Ceux-ci laisseront dire de vous, Delbrouck, que vous ne fûtes pas habile, et que vous avez mal mené votre barque. Mais ce premier devoir de l’homme, qui est de dépenser son cœur, qui l’a mieux rempli que vous? En cela vous fûtes le modèle sans tache, et pour notre temps écrasé de si grands maux, et si mal pourvu de dévouements, vos amis ne cesseront pas de le répéter, votre exemple fut le plus saint et le plus noble  qui se puisse citer, car vous vous êtes donné tout entier  et jusqu’à la mort. »  
La guerre civile fut suivie de longs procès. Les tribunaux militaires se montrèrent impitoyables. Sur les trente-huit mille citoyens arrêtés, sept mille cinq cents furent déportés à la Nouvelle-Calédonie.  

Paris, vaincu, se vil lâchement abandonné par ses bourgeois, par ses députés, par le pays tout entier qui assista impassible aux massacres. Celte indifférence manifeste une inconscience et un égoïsme monstrueux. Comment la France ne s’est-elle pas jetée entre les combattants? Et après le triomphe de Thiers et des  Versaillais, comment n’essaya-t-elle pas d’arrêter la  main des bourreaux?

Peut-être à l’étranger quelques rares ouvriers éprouvèrent-ils pour leurs frères parisiens un vague sentiment de sympathie, mais ils ne connurent les événements que par les récits officiels, habilement tissés de mensonges et de calomnies. La sainte idée de solidarité commence  d'ailleurs à peine à germer dans les âmes.

« Il ne s'agit pas ici de se jeter des crimes et des cadavres à la tête. Devant la guerre civile, nous ne ressentons cl nous ne voulons propager qu’une haine, celle de la guerre civile. » (21) La Commune n’en a pas moins sauvé la République et son programme sera réalisé.

… Paris, ce que ta gloire attire,  
La dette qu’on te vient payer, c’est le martyre.  
Accepte, Va, c’est grand. Sois le peuple héros.  
Laisse après les tyrans arriver les bourreaux.  
Après le mal subis le pire, et reste calme.  
Ton épée en ta main devient lentement palme...  
... Mais, Paris, rien de toi n’est mort, ville sacrée,  
Ton agonie enfante et ta défaite crée.  
Bien ne t'est refusé ; ce que lu veux sera (22).  

Les poètes ont reçu le don de prophétiser l’avenir. Hugo en fait surgir la claire vision. Qu’on la souhaite ou qu’on la redoute, la révolution sociale est devant nous.  Les temps sont proches où sa grande vague submergera nos institutions caduques :  

LE VIEUX MONDE :  

Ô flot, c'est bien. Descends maintenant. Il le faut...  
Ta vague monte avec la rumeur d’un prodige!
C’est ici ta limite. Arrête-toi, te dis-je.  
Les vieilles lois, les vieux obstacles, les vieux freins. 
Ignorance, misère et néant, souterrains 
Où meurt le fol espoir, bagnes profonds de l’âme,
L'ancienne autorité de l'homme sur la femme.  
Le grand banquet, muré pour les déshérités,  
Les superstitions et les fatalités,  
N’y touche pas, va-t-en, ce sont les choses saintes. 
Redescends, et tais-toi! J’ai construit ces enceintes 
Autour du genre humain et fait bâti ces tours...  
Mais tu rugis toujours! mais tu montes toujours : 
Tout s'en va pêle-mêle à ton choc frénétique :  
Voici le vieux missel, voici le code antique,  
L'échafaud dans un pli de ta vague a passé.  
Ne touche pas au roi! ciel! il est renversé.  
Et ces hommes sacrés! Je les vois disparaître.  
Arrête! c'est le Juge. Arrête! c'est le prêtre.  
Dieu t'a dit : Ne va pas plus loin, ô flot amer!  
Mais quoi! tu m'engloutis! an secours. Dieu! la mer 
Désobéit! la mer envahit mon refuge!

LE FLOT :    Tu me crois la marée et Je suis le déluge.
Notes du chapitre IV

(1) Il avait remis son droit de grâce à une Commission qu’il nommait : « Mon peloton d’exécution ».
(2) Signé ; Trochu, Jules Favre, Ernest Picard, Jules Simon,  Jules Ferry, Emmanuel Arago, Garnier-Pagès, Pelletan.  
(3 et 5) Georges Bourgin, pages 135 et 172.
(4) Incendié par Pindy, gouverneur du monument.  
(6) Camille Pelletan.  
(7) Henri Martin.
(8) Ce crime a raconté en détail par Camille Pelletan, d’après les récits concordants de six témoins oculaires, médecins, infirmiers et malades. (La Semaine de mai, pages 78 et suivantes)   
(9) Georges Bourgin, page 177. — Vuillaume, IV, pages 35 et 41 ;  VII, page 97.    
(10) Rossel, Papiers posthumes, page 203.  
(11) Voir Vuillaume, II. La Vérité sur la mort des otages.  
(12) Georges Bourgin évalue à plus de 20.000 le nombre des victimes. « On fit 38.568 arrestations dont 1.058 femmes et 651 enfants.  Les dénonciations s’accumulèrent au nombre de 399.823, dont un vingtième signées, sur le registre de la police. » Ce registre est un des plus honteux monuments de la lâcheté humaine.
(13) Cette lettre a été égarée, ou volée, il ne m’en reste qu’un brouillon incomplet. Le lecteur excusera quelques redites.
(14) Je croyais que la peine de mort avait été abolie en matière politique.
(15) Voir pour plus de détails l’intéressant article publié par M. de Vesly dans la Normandie, 1899, page 262.
(16) Pour se rendre compte de la haine aveugle et féroce des réactionnaires, il faut lire ce qu’Alexandre Dumas fils écrivait à propos des Communeux ; « Nous ne dirons rien de leurs femelles,  par respect pour les femmes à qui elles ressemblent quand elles sont mortes. » Maxime Ducamp lui-même a pourtant fait justice de l'absurde légende des « pétroleuses ».
(17) Il fait lire les commentaires admirables dont Hugo accompagne ce récit.  
(18) Ce récit m’a été fait par Madame Mazard, mère adoptive des enfants de M. Delbrouck.  
(19) « Les mauvais traitements tueront 1.179 prisonniers. »  Georges Bourgin, page 185.
(20) Emile Trélat.
(21) Camille Pelletan.
(22) Victor Hugo.

Livre X : 1871 - LA COMMUNE - Cahier de la Quinzaine : 7ème cahier de la 13ème série

Epilogue du 16 mai 1877

Dernière cartouche - d'après de Neuville, par Pépin (Le cabinet du 16 mai - Le Grelot 1877)

Chapitre XXIII : M. Wallon ; proclamation de la République. - Une pénible démarche. - Une affaire d'honneur. Le 16 mai 1877. - Mort de Thiers.

Madame Milliet à son fils - 3 février 75.

Tu auras appris par les journaux que M. Wallon, notre Wallon (il demeurait dans la même maison que nous) avait proposé un amendement pour faire reconnaître la République par l'Assemblée. Cet amendement a passé à une voix de majorité. On ne parle que de cela; les journaux en sont pleins. L'Univers appelle M. Wallon Tartuffe ! M. de Broglie le traite de démagogue ; il l'a poursuivi jusqu'en wagon, pour lui faire retirer son amendement. Tous les journaux bonapartistes et légitimistes sont déchaînés contre lui. Un homme à mine si inoffensive! Qui l'aurait cru? Il est question de lui comme ministre de l'Instruction publique!... Enfin, il vaudra toujours bien Cumont.

Ledru-Rollin vient de mourir, bien oublié. — A propos d'hommes politiques, et Garibaldi? Tu n'en dis rien. Les journaux s'en occupent beaucoup. S'il réussit à assainir la campagne romaine (en creusant un second lit au Tibre), il aura bien mérité de l'Italie. L'as-tu vu?
Paul à sa mère - 7 février 75.
Tu me demandes si j'ai vu Garibaldi. Le jour de son arrivée à Rome je suis allé à la gare avec quelques camarades et nous l'avons très bien vu. Il a une tête superbe, mais il a bien vieilli. La foule était dans un état d'enthousiasme indescriptible. C'était très émouvant. Quant à ses beaux projets pour l'assainissement de la campagne romaine, il est peu probable qu'ils aboutissent; l'argent manque. Il y a ici une grande misère; tous les objets de consommation sont hors de prix. Au moment des élections, le peuple était persuadé que, si Garibaldi était élu, tout allait aussitôt redevenir à bon marché. Le pauvre homme, malgré son désintéressement et sa bonne volonté, n'y peut rien. Cette foi mystique qu'on a en lui est touchante, bien qu'elle ne soit guère raisonnable.
Paul à sa soeur Louise - 7 mars 75.
Vos journaux sont bien intéressants. Les preuves données par le préfet de police d'une entente entre les bonapartistes et les socialistes exagérés montrent bien chez tous ces gens-là un manque absolu de convictions et d'honnêteté.
Paul à sa mère - 31 octobre 75.
Le discours que Gambetta vient de prononcer est peu encourageant. Il dit que les assemblées futures auront beaucoup à faire ; il faudra, par exemple, réconcilier les nouvelles couches sociales avec l'ancienne société. — Cela demandera sans doute quelques siècles. — Après quoi, on pourra, peut-être, songer à accorder une amnistie aux condamnés de la Commune. Tu vois que certains républicains ne sont pas très pressés de nous voir revenir.
Paul à sa mère - 13 février 76.
Je te remercie des journaux que tu m'as envoyés. Le discours de Gambetta m'a paru bien long et son opportunisme ne me plaît guère. Tu sais que la défiance est une vertu républicaine.
Madame Milliet à Paul - 28 avril 76.
C'est pour toi que je suis allée à Versailles demander à M. Rameau, vice-président de la Chambre, ce qu'il y avait à faire. Il m'a répondu que la Chambre ne voterait certainement pas l'amnistie, mais que l'on était fort embarrassé des contumaces. Peut-être passeront-ils devant le jury. Enfin il faut attendre la rentrée; toujours attendre!

Ton oncle est fort occupé en ce moment: il fait passer les examens aux jeunes gens qui se proposent comme officiers dans l'armée territoriale. Il est fort content de ces candidats ; il trouve des clercs de notaire qui en savent autant que bien des officiers sortant de Saint-Cyr. Beaucoup, qui ont des exemptions de service, demandent malgré cela à être officiers, disant que, si nous avions la guerre, ils ne voudraient pas rester à ne rien faire. Il semble que le patriotisme se réveille enfin en France. C'est à la République que nous devons cela.
Madame Milliet à son fils - 14 mai 76.
La Chambre va commencer après-demain à s'occuper de l'amnistie. Je suis allée trouver M. Durier, avocat célèbre, ami de M. Juif, et qui a été longtemps secrétaire de M. Dufaure ; c'est te dire qu'il n'est pas communeux, mais il vaut mieux avoir affaire à des gens comme lui qu'à ceux qui ont des opinions avancées et qui vous font faire des démarches imprudentes. M. Durier a toute sa vie été républicain, « comme on l'est à Genève » me disait-il. Si la Chambre décidait que les contumaces seront jugés par le jury, il faudra venir te présenter, il croit à un acquittement à peu près certain. S'il n'y a pas moyen de rentrer, j'espère que tu pourras obtenir à Genève quelques travaux ; nous irions tous passer l'hiver avec toi. L'hiver, dans ce rude climat, n'a rien de bien séduisant, mais nous serions ensemble.
2

Paul ayant été repris par la fièvre, Mme Milliet lui écrivit :
C'est affreux, mon cher enfant, de te savoir toujours malade, surtout quand le remède est là, quand on est certain que ton retour parmi nous mettrait fin à tes douleurs et aux nôtres. Pour moi je suis décidée à tout. Il s'agit de ton bonheur, de ton avenir, de ta santé et peut-être de ta vie. Dans trois jours il y aura quatre ans que tu es loin de nous, que tu souffres, que nous souffrons de ton exil, c'est assez !

J'espère n'avoir point à te prier de faire une demande en règle, et que la simple déclaration dont je t'envoie le modèle suffira. Ton oncle la gardera et ne la montrera que si c'est indispensable. Renvoie la moi immédiatement, écrite de ta main et signée. Ton père et moi nous nous sommes arrêtés à cette formule comme étant la plus simple. Signe-la toujours, puis, si tu en trouves une autre qui te convienne mieux, envoie-la également; ton oncle choisira.
Voici le texte de cette note :
« Je déclare avoir cru la République menacée ; et c'est dans le but de la défendre que j'ai accepté de la Commune un emploi d'ordre et de conservation (officier de casernement). Aujourd'hui que la République est établie, je demande à rentrer en France pour la servir en citoyen dévoué et soumis aux lois. »
Malgré l'habileté de la rédaction, cette note était pénible à signer. Mon premier mouvement fut de refuser. Ma mère m'écrivit aussitôt :

30 mai 76.

Je viens de recevoir ta lettre, et j'ai été très contrariée de ne pas y trouver la déclaration que je t'avais demandée. Est-ce que, à la distance où nous sommes, tu peux être juge du moment opportun pour agir? Il n'y a rien dans ces quelques lignes, qui puisse porter atteinte à ton honneur ou à ta dignité. Ton oncle a besoin d'un mot de toi qu'il puisse montrer. Il va venir aujourd'hui et je serai forcée de lui dire : Eh bien, Paul n'a pas assez de confiance en toi pour signer ce que nous lui avons demandé. » C'est mal envers lui, envers nous; j'ai la fièvre depuis trois jours dans l'attente de cette lettre. Si nous l'avions eue, il y a quinze jours, tout serait peut-être terminé. Tu ne sais donc pas combien nous t'aimons, dans quelle angoisse perpétuelle je suis au sujet de ta santé, combien cette séparation nous est douloureuse à tous !

Ton oncle ne s'est pas marié, il n'a pas eu le souci d'élever des enfants, eh bien, il s'est identifié avec nous, vous êtes tous ses enfants, il partage mon désir de te voir revenir, mes inquiétudes sur ta santé. Lui qui déteste faire des démarches, il en fera pour toi. Comment peux-tu croire qu'il voudrait prendre pour toi des engagements qui ne soient pas conciliables avec ta dignité, avec les sentiments d'honneur les plus délicats?

Donc, mon cher enfant, je te supplie de m'envoyer de suite ce que je t'ai demandé. Il est possible qu'on ne s'en serve pas. On ne s'en servira que si cela est nécessaire Donne à ton oncle cette marque de confiance en raison de l'affection qu'il te porte.

Ton oncle n'est pas dans la position du premier venu ; il a rendu et il rend encore les plus grands services pour l'organisation de l'armée territoriale; il n'a jamais rien demandé pour lui ; il est bien naturel que, s'il demande quelque ' chose pour son neveu, on le lui accorde.

Je t'embrasse tout de même, mon pauvre chéri, quoique tu sois bien désagréable.
Je t'enverrai demain les deux cents francs que je t'ai annoncés.
Lundi.
Cher enfant. Tu m'écris : « La déclaration que tu m'envoies n'a rien que je ne puisse signer, mais elle me semble tout à fait inutile. » Voilà une petite phrase incidente que je trouve au milieu de ta lettre. On dirait que c'est une chose si peu intéressante qu'elle ne vaut pas la peine de s'y arrêter !

Ah, que tu m'as fait faire de mauvais sang depuis hier matin ! J'ai exhalé un peu de ma colère dans la lettre que je t'ai envoyée immédiatement. Le soir Adrien est venu dîner. Quand je lui ai dit que j'avais une lettre de toi, que tu ne voyais aucun inconvénient à signer la déclaration, mais que tu ne l'envoyais pas, il est devenu de la couleur d'un citron, puis, un instant après, rouge cramoisi; il avait une colère rentrée qui lui faisait mal : « Quelle raison donne-t-il, cet animal? Il pense que c'est inutile? Qu'en sait-il? Si on le lui demande, c'est que c'est nécessaire. Qu'il l'envoie tout de suite, tu entends. » — Et voilà pourquoi ce matin je t'ai envoyé une dépêche qui va toujours avancer de trois jours le départ de la déclaration. Hâte toi, je suis encore dans l'inquiétude. Je pense que je la recevrai jeudi.
Comme toujours j'eus la faiblesse de céder, et j'en ai quelque honte. L'état de dépression profonde où la maladie m'avait laissé est peut-être une circonstance atténuante. J'étais persuadé que j'allais mourir. Les hommes politiques me jugeront sévèrement, et ils auront raison ; les artistes et les femmes m'excuseront et me plaindront peut-être. Cette pénible démarche ne servit d'ailleurs à rien.

Madame Milliet à Paul - 2 juin 76.
J'ai reçu ta déclaration, mon cher enfant, et je t'en remercie, car je sais que c'est pour nous, pour moi, que tu l'as faite. Ta répugnance à signer vient en partie de ce que tu ne te rends pas un compte exact de la situation. La Chambre est en majorité républicaine et pourtant il n'y a eu que 52 voix pour l'amnistie. Dufaure fera tout ce qu'il pourra pour éluder ses promesses; il ne faut donc point se faire d'illusions.

Aussitôt ta lettre reçue, je l'ai portée à ton oncle : - « Ah, enfin! m'a-t-il dit, il s'est décidé, c'est heureux! » — Je lui ai lu ton petit mot pour lui faire voir que ce n'était pas sans quelque peine. Je crois que cela ne lui a pas déplu; on ne peut pas en vouloir à une conscience d'être trop timorée.
Madame Milliet à Paul - 15 juin 76.
Ma lettre a été interrompue par la visite de M. Juif qui arrive d'Amérique, où il est resté trois ans. Je lui parlais de toi naturellement et il m'a fait ce beau raisonnement : « Je ne sais pas si votre fils ne ferait pas mieux de rester à l'étranger. Dans cinq ou six ans, peut-être plus, il y aura une révolution; alors il reviendrait avec une auréole. » — Je t'avoue que je ne saurais adopter l'idée de ne te voir revenir que dans cinq ou six ans, même avec une auréole. Je n'ai pas grand espoir pour le moment, mais ne nous laissons pas abattre. Si tu ne peux pas venir, nous irons te retrouver à Genève.
Paul à sa mère - 18 juin 76.
Tu me demandes si je serais disposé à venir purger ma contumace. — Devant les Conseils de guerre ?

Certainement non. Devant le jury? Il faudra voir. Je serais certainement acquitté, mais si je cours le risque d'avoir deux ou trois ans de prison, merci bien! J'aime encore mieux Rome. D'un sénat qui nomme Buffet il n'y a rien à espérer. Si je passais en jugement, sans vouloir poser pour le citoyen, comme dit mon oncle, je voudrais pourtant explique ma conduite et mes raisons. Il n'y faut pas songer. Ce que jai de mieux à faire, c'est de me résigner et d'avaler de la quinine.
3

A cette époque m'arriva une petite aventure que je me gardai bien de raconter à mes parents.

Notre restaurant de l'Hippopotame était fréquenté par des artistes de tous pays. Les Belges et les Suisses prenaient leurs repas à la, même table que les Français. Un jour un jeune peintre venant de Genève me remit une lettre de mon ami Darier dont il était l'élève. Je le fis asseoir à côté de moi et lui donnai les renseignements dont il avait besoin, sans m'inquieter de savoir s'il était Suisse, Autrichien ou Bavarois. Le soir, dans une petite fête, Wugk, pensionnaire de la ville de Lille, pérorait avec animation et exposait des théories dont le chauvinisme me parut excessif. La discussion était restée d'abord amicale, lorsque Wugk, exaspéré de voir qu'on ne lui donnait pas raison, termina son discours par ces mots : « Ceux qui donnent la main à des Allemands sont des lâches! » (1)

Un éclat de rire général accueillit cette sortie, et j'essayai de rire aussi, voyant bien que mon ami était un peu excité, et persuadé que le lendemain il retirerait de lui-même son injure.

Le lendemain, par malice sans doute, Wugk ne vint pas à notre restaurant. Bien que le duel m'ait toujours paru une coutume, absurde, j'envoyai deux de nos camarades, Rousset et Meier, pour demander à mon insulteur de retirer le mot blessant qu'il avait prononcé. Il refusa.

Je. ne suis pas une « bête féroce », et je n'avais nulle envie de « boire le sang » de mon adversaire, mais je ne pouvais ; cependant pas accepter d'être traité de la sorte. Un duel fut décidé, je choisis l'épée. — Cependant nos témoins agissaient auprès de Wugk. Ils le raisonnèrent si bien qu'il se décida à m'envoyer la lettre suivante :

Rome, le 1er juillet 1876.
Mon cher Milliet,
Je vous tiens pour un garçon de coeur et justement parce que je vous tiens pour tel, je suis étonné que nous ne nous soyons pas compris. Je vous délègue l'ami Rousset qui, ayant assisté aux deux discussions, me parait apte à tout concilier. Dans ce que j'ai dit il peut y avoir les apparences d'une insulte, mais comme je n'ai jamais en l'intention de vous blesser, je retire te qui peut vous déplaire.

J'espère que nos bons rappels ne seront pas interrompus par ce petit événement et que vous m'autorises,, pour recimenter notre amitié, à aller vous voir aujourd'hui vers 6 heures.

Votre fort dévoué, WUGK.
La réconciliation fut très cordiale de part et d'autre. (2)

4

Le 16 mai 1877 fut une sorte de coup d'Etat. Les élections législatives de janvier 1876 avaient donné la majorité aux députés de la gauche. La Chambre repoussa par un vote les pétitions des catholiques qui demandaient le rétablissement du pouvoir temporel de la papauté. Le maréchal de Mac-Mahon fut le docile instrument de Buffet et du duc de Broglie qui lui dictèrent une démarche inconstitutionnelle. Dans une lettre publiée par l'Officiel, il reprochait à Jules Simon de n'avoir pas empêché ce vote. Le ministère tout entier donna aussitôt sa démission.

Nommé Président du Conseil, le duc de Broglie ajourna la Chambre, qui fut ensuite dissoute, et le Sénat approuva cette dissolution. Pendant cinq mois le parti clérical essaya par mille intrigues de faire 
« marcher la France ». Mais, grâce à la discipline du parti républicain, sur les 363 députés de gauche, 330 furent réélus. Le maréchal dut se soumettre à la volonté nationale. La République était sauvée et définitivement fondée.

Paul M... à sa mère - 10 mai 77.

Je viens de lire dans la Revue des Deux Mondes un article de Maxime Du Camp sur la Commune. Ces gens-là n'ont rien appris ; ce sont les mêmes haines et les mêmes mensonges qu'aux premiers jours. Suppose un Allemand prenant pour thèse que tous les Français sont des voleurs et des assassins. Il consulterait la Gazette des Tribunaux et raconterait en détail tous les crimes commis depuis vingt ans. Voilà comment on écrit l'histoire. Les chiffres sont là pourtant. D'après les documents officiels il y aurait eu dans l'armée de la Commune vingt-cinq mille repris de justice. C'est beaucoup. Admettons : vingt-cinq mille canailles. Mais l'armée de la Commune comptait deux cent mille hommes. Reste cent soixante-quinze mille... imbéciles probablement !
Paul à sa mère - 16 mai 77.
C'est aujourd'hui que la Chambre se réunit. Que va-t-il se passer? Nous aurons ce soir un télégramme, mais c'est bien insuffisant. Comme Paris doit être agité! Les députés accepteront-ils le nouveau ministère? La dissolution semble certaine. Mac-Mahon osera-t-il faire un coup d'état? Si les élections ont lieu, quel résultat donneront-elles? Et si elles sont bonnes, Mac-Mahon se résignera-t-il à quitter la place? (2).
Madame Milliet à Paul - Mai 77.
... Le parti clérical n'a jamais déployé pareille activité. Tu sais que les curés avaient fait signer à leurs ouailles des pétitions demandant le rétablissement du pouvoir temporel du pape, autant dire la guerre avec l'Italie. Les républicains de toutes nuances forment heureusement la majorité de la Chambre ; tous ont voté un blâme à ces dangereuses et antipatriotiques manifestations.

Le lendemain l'Officiel publiait une lettre de Mac-Mahon reprochant à Jules Simon de n'avoir pas empêché ce vote. Comme si un ministre pouvait s'opposer à la volonté de la Chambre. Tout le ministère a aussitôt donné sa démission, et la Chambre, dans un ordre du jour, a revendiqué ses droits. Mac-Mahon passe outre, et contre toute légalité il forme un ministère de droite avec le duc de Broglie comme Président. C'est un véritable défi. Sentant bien qu'il ne peut plus gouverner avec la Chambre, il ajourne sa réunion au 16 juin.

Gambetta a prononcé l'autre jour une de ces paroles profondes qui résument toute une situation politique et qui restent comme le programme définitif de notre parti : « Le cléricalisme, voilà l'ennemi. »
Madame Milliet à Paul - 7 septembre 77.
... On vient de faire à M. Thiers de splendides funérailles (3).
Paul à sa mère - Même date.
Le peuple parisien est généreux et il a raison. Il oublie le sang versé et les cruautés odieuses qui ont souillé le vainqueur de la Commune, pour ne se souvenir que des services rendus et du patriotisme de l'habile homme d'Etat.

Orléaniste, Thiers s'est résigné bien tardivement à se dire républicain, lorsqu'il ne pouvait plus faire autrement, mais il avait du moins une certaine intelligence des affaires et la pratique des hommes, qualités qui manquent totalement au soliveau qui l'a remplacé.
Madame Milliet à Paul - 16 octobre 77.
Les 363 députés républicains qui avaient voté le fameux ordre du jour sont heureusement restés unis. Ils viennent d'être réélus presque tous. Voilà le ministère de Broglie forcé de donner sa démission, et, comme le budget n'est pas encore voté, il faudra bien que, bon gré, mal gré, Mac-Mahon se décide à appeler au pouvoir quelques vrais républicains (4).

Notes de l'épilogue du 16 mai 1877  :

(1) S'il avait dit : des dupes, il aurait en raison. Il n'y avoir pas alors les motifs de haine qui existent aujourd'hui
(2) Dans son discours de Lille, Gambetta disait éloquemment : « Quand la France aura parlé, le Gouvernement devra se soumettre démettre. »
(3) Il était mort le 3 septembre 1877.
(4) Il les choisit dans le "centre gauche" : Dufaure, de Marcère, Bardoux, Léon Say, etc.

Perspective d'un phalanstère
ou palais sociétaire dédié à l'humanité


d'après le plan de Ch. Fourier.
Accompagné d'une description signée : Victor Considerant
Description

La forme générale que l’on voit ici est exactement celle qui dérive du plan de Fourier. Cette forme remplit parfaitement toutes les convenances sociétaires, tous les avantages de commodité, salubrité et sûreté. Il est inutile de dire que cette forme n’a rien d’absolu, que les configurations du terrain et mille exigences particulières pourront la modifier ; que les façades, le style et les détails offriront dans tous les Phalanstères des variétés infinies ; en un mot, il ne faut voir ici qu’une forme assurant le service général, et remplissant les grandes convenances ; un type de Phalanstère, comme la croix est un type de cathédrale, comme le front bastionné est un type de fortification ; type flexible et souple aux accidents du terrain, aux convenances des lieux et des climats, et qui n’arrêtera pas lourdement le vol des artistes de l’avenir!

Nous avons devant nous, en regardant le Phalanstère, le corps central au milieu duquel s’élève la tour d’ordre; les deux ailes qui tombent perpendiculairement sur le centre, et forment la grande cour d’honneur où s’exécutent les parades et manœuvres industrielles ; puis les deux ailerons reviennent en bord de fer à cheval, et dessinent la grande route qui borde la cour d’honneur, et s’étend le long du front de bandière du Phalanstère, entre cet édifice et les bâtiments ruraux postés en avant.

Les corps de bâtiments sont redoublés ; le Phalanstère se replie sur lui-même, pour éviter une trop grande étendue du front, un éloignement trop considérable des ailes et du centre, pour favoriser enfin l’activité des relations en les concentrant. Les ateliers bruyants, les écoles criardes sont rejetées dans une cour d’extrémité, an bout d’un des ailerons ; le bruit s’absorbe dans cette cour de tapage, et l’on évite ainsi ces insupportables fracas de toute nature répandus au hasard dans tous les quartiers des villes civilisées, où l’enclume du forgeron et le marteau du ferblantier conspirent contre les oreilles publiques, avec le flageolet, la clarinette, le cor des enfants et des écoliers.

A l’aileron de l’outre extrémité se trouve la caravansérail ou hôtellerie affectée aux étrangers. Cette disposition a pour but d’éviter les encombrements dans le centre d’activité.

Les grandes salles de relations générales pour la régence, la bourse, les réceptions, les banquets, les bals, les concerts, etc., sont situées au centre du Palais, aux environs de la tour d’ordre ; puis les ateliers, les appartements de dimensions et de prix variés, sont répartis dans le développement des bâtiments. Les ateliers sont généralement au rez-de-chaussée : plusieurs pourtant, comme seraient ceux de broderie, de mode, et d’autres du même genre, sont susceptibles d’être montés au premier étage.

Les espaces entre les bâtiments sont des cours plantées d’arbres, rafraîchies par des bassins, et affectées à différents services, elles peuvent être ornées de plates-bandes et de parterres intérieurs.

Dans le grand carré central se trouve le jardin d’hiver, planté en partie d’arbres verts et résineux, afin qu’en toute saison il puisse récréer les yeux. Tout à l’entour sont disposées les serres les plus précieuses, dont on peut combiner l’arrangement avec celui des galeries et des salles de bains. C’est le jardin le plus riche et le plus luxueux de tous les jardins de la Phalange ; il forme une promenade élégante, abritée et chaude, ou les vieillards elles convalescents se plaisent à respirer l’air et le soleil.

Je n’aurais pas pu figurer dans la perspective les arbres des cours et des jardins, sans nuire à l’intelligence de la disposition architecturale du Phalanstère.

Toutes les pièces de la construction harmonienne, appartements et ateliers, et tous les corps de bâtiments, sont reliés entre eux par une rue-galerie qui les embrasse, circule autour de l’édifice, et l’enveloppe tout entier. Cette circumgalerie est double. Au rez-de-chaussée, elle est formée par des arcades qui s’étendent parallèlement au bâtiment, comme au Palais-royal ; la galerie du rez-de-chaussée est coupée par des passages couverts, agrément dont les rois mêmes sont dépourvus aujourd’hui. En entrant dans leurs palais, on est exposé à la pluie, au froid; en entrant dans le Phalanstère, la moindre voiture passe des porches couverts aux porches fermés et chauffés, ainsi que les vestibules et les escaliers.

Au-dessus du plafond de la galerie inférieure s’élèverait celle du premier étage : elle pourrait monter jusqu’au sommet de l’édifice, et prendre jour par de hautes et longues fenêtres, auquel cas, les appartements des étages supérieurs s’ouvriraient sur elle ; ou bien elle pourrait s’arrêter et former terrasse pour le second ou troisième étage. Il est inutile de dire que ces galeries sont bien vitrées, ventilées, et rafraîchies en été, chauffées en hiver, toujours bien pourvues d’air et agréablement tempérées.

Cette pièce est certainement la plus importante et la plus caractéristique de l’architecture sociétaire ; elle est aussi large et aussi somptueuse que la galerie du Louvre ; elle sert pour les grands repas et les réunions extraordinaires ; elle est parée de fleurs comme une serre, et décorée par un riche étalage de certains produits d’industrie, et des produits artistiques de la Phalange et des Phalanges voisines. Les galeries et les salons des Phalanstères sont pour les artistes d’harmonie des expositions permanentes.

Il faut se figurer cette élégante galerie courant tout autour des corps de bâtiments, des jardins intérieurs et des cours du Phalanstère, tantôt en dehors, tantôt en dedans du Palais ; tantôt s’élargissant pour former une large rotonde, un atrium inondé de jour ; projetant dans les cours ses couloirs sur colonnes ou de légers ponts suspendus, pour réunir deux faces parallèles de l’édifice, s’embranchant aux grands escaliers blancs, et ouvrant partout des communications faciles, larges et somptueuses.

Cette galerie qui se ploie aux flancs de l’édifice sociétaire et lui fait comme une longue ceinture qui relie toutes les parties à un tout, qui établit le contact du centre cl des extrémités, c’est le canal par où circule la vie dans le grand corps Phalanstérien ; c’est l’artère qui, du cœur, porte le sang dans toutes les veines ; c’est ainsi le symbole et l’expression architecturale du haut ralliement social et de l’harmonie passionnelle de la Phalange, dans cette grande construction unitaire dont chaque pièce a un sens spécial, dont chaque détail exprime une pensée particulière, répond à une convenance, et se coordonne à l’ensemble, et dont l’ensemble reproduit, complète, visible et corporise la loi suprême de l’association, la pensée intégrale d’harmonie.

Quand on aurait habité un Phalanstère, où une population de deux mille personnes peut se livrer à toutes ses relations civiles ou industrielles, aller à ses fonctions, voir son monde ; circuler des ateliers aux appartements, des appartements aux salles de bal et de spectacle; vaquer à ses affaires et ses plaisirs, à l’abri de toute intempérie, de toute injure de l’air, de toute variation atmosphérique ; quand on aurait vécu deux jours dans un pareil milieu, qui pourrait supporter les villes et les villages civilisés, avec leurs boues, leurs immondices? qui pourrait se résoudre à se rembarquer encore dans leurs rues sales, ardentes et méphitiques en été, ouvertes en hiver à la neige, au froid, à tous les vents? qui pourrait se résigner à reprendre le manteau, les socques, le parapluie, les doubles souliers, attirail bizarre dont l’individu est obligé de s’embarrasser, de se charger, de se couvrir, parce que la population n’a pas su créer le logement qui la garantirait si bien en masse? Quelle économie de dépenses, d’ennuis et d’incommodités, de rhumes, de maladies de toute espèce, obtenue par une simple disposition d’architecture sociétaire! que de jeunes filles qui sont mortes trois jours après le bal où elles s’étaient montrées éclatantes de vie et de jeunesse, et qui répondraient encore aux baisers de leurs mères, si celte garantie de santé existait dans nos villes!

Au point central du Palais s’élève et domine la tour-d’ordre : c’est là que sont placés l’observatoire, le carillon, le télégraphe, l’horloge, bs pigeons de correspondance, la vigie de nuit; c’est là que flotte au vent le drapeau de la Phalange. La tour-d’ordre est le centre de direction et de mouvement des opérations industrielles du canton ; elle commande les manœuvres avec ses pavillons, ses signaux, ses lunettes et ses porte-voix, comme un général d’armée placé sur un haut mamelon.

Il est facile de voir que la distribution Phalantérienne que nous avons sous les yeux se prête à toutes les convenances, se plie à toutes les exigences des relations sociétaires, et réalise merveilleusement les plus belles économies.

Chacun trouve à se loger suivant sa fortune et ses goûts dans les différents quartiers du Phalanstère ; on s’abonne avec la Phalange pour logement comme pour nourriture, soit que l’on prenne un appartement garni, soit que l’on se mette dans ses meubles. Plus de ces embarras, de ces nombreux ennuis de ménage, attachés à l’insipide système domestique de la famille. On peut, à la rigueur, n’avoir en propriété que ses habits et ses chaussures, et se fournir de linge et de tout le reste par abonnement. Il est certain même que cette coutume, singulièrement économique et commode, se généralisera beaucoup, quand on verra la propreté raffinée des lingeries sociétaires.

L’harmonie n’a pas à songer à tous ces minutieux arrangements de chaque jour, qui harcèlent le civilisé, et lui font une vie si matérielle, si prosaïque, si fastidieuse, et si bourgeoise. Et c’est ainsi que Fourier, précisément parce qu’il a spéculé sur les dispositions matérielles et domestiques, a trouvé moyen d’affranchir l’homme du joug de plomb que les dispositions abrutissantes de la civilisation lui imposent à chaque heure de son existence ; c’est ainsi qu’il a trouvé le moyen de poétiser la vie.

Le séristère des cuisines, muni de ses grands fours, de ses ustensiles, de ses mécaniques abrégeant l’ouvrage, de ses fontaines à ramifications hydrophores, et armé de ses batteries, se développe à la fois sur des cours intérieures de service et du côté de la campagne ; ses magasins d’arrivages, de dépôt et de conserve, et les salles de l’office sont a proximité.

Les tables et les buffets sont chargés dans ces salles basses ; et de là, pris et élevés, aux heures de repas, par des machines qui les apportent tout servis dans les salles de banquets, régnant à l’étage supérieur, et dont les planchers sont pourvus d’un équipage de trappes destiné à donner aux grandes opérations du service unitaire la rapidité prestigieuse des changements à vue d’un opéra féerique. L’harmonie trouve son intérêt à prodiguer tous ces prestiges, afin de procurer des jouissances sans nombre à tout son peuple.

La chaleur perdue du séristère des cuisines est employée à chauffer les serres, les bains, etc. Un seul calorifère central suffit ensuite pour distribuer la chaleur dans toutes les parties de l’édifice, galerie, ateliers, salles et appartements. Celte chaleur, unitairement ménagée, est conduite dans ces différentes pièces par un système de tuyaux de communication, armés de robinets, au moyen desquels on varie et gradue à volonté la température en tout lieu du Palais sociétaire. Un système de tuyaux intérieurs et concentriques à ceux du calorifère portent en même temps de l’eau chaude dans les séristères où elle est nécessaire, et dans les appartements. Il existe un service analogue pour la distribution de l’eau froide. (… partie effacée… ou non lisible)

L’éclairage général, intérieur et extérieur, est aussi réglé dans la Phalange sur la même idée unitaire. Personne n’ignore que la plupart des établissements publics, ainsi que des quartiers entiers, sont déjà, dans les grandes villes, éclairés par ce procédé. Les réfracteurs lenticulaires et les réflecteurs paraboliques seront d’un heureux emploi dans cet aménagement unitaire de la lumière, qui multipliera sa puissance en combinant convenablement les ressources de la catoptrique et de la dioptrique. Disons enfin que notre architecture harmonienne universalise le confort et le bien-être qui loge l’homme, et non pas seulement quelques hommes comme l’architecture civilisée ; et résumons la description précédente en disant que, dans la construction sociétaire, tout est prévu et pourvu, organisé et combiné, et que l’homme y gouverne en maître l’eau, l’air, la chaleur et la lumière.

Les Palais des Phalanges, artistes! les kiosques, les belvédères et les castels dont elles parsèment leurs riches campagnes ; les villes monumentales et la capitale du globe, voilà, artistes, de quoi occuper votre imagination. Il faudra des voûtes hardies jetées sur des murs de pierre, des coupoles, des tours et des flèches élancées ; votre génie sera à l’aise dans ces grandes lignes dont vous aurez à combiner les mouvements et les allures! Il faudra aux palais des Phalanges des portes ou sept chevaux de front puissent sortir à l’aise ; il faudra des fenêtres, grandes ouvertes par où entrera le soleil dans la maison de l’homme, pour y porter largement la vie et la couleur ; il faudra des galeries, des balcons et des terrasses, où la population du Phalanstère puisse s’épandre, et lui faire d’éclatantes guirlandes avec ses mille têtes de femmes et de joyeux enfants. Il faudra des tableaux à ses galeries et à ses salles, des couleurs à ses grands ateliers, des fresques aux parois de ses théâtres, à ses voûtes des fresques et des sculptures ; des statues dans ses atriums et ses grands escaliers, des statues sur ses entablements et parmi les arbres de ses jardins ombreux ; des gargouilles ouvrées aux angles des corniches ; à ses machines à vapeur, des têtes de bronze et des gueules de fer ; des marbres à ses bassins, des autels à ses temples, et mille chefs-d’œuvre d’art pour les revêtir et les dignement parer.

Là, voyez-vous, il faudra harmoniser l’eau, le feu, la lumière, le granit et les métaux ; l’art aura dans ses larges mains tous les éléments à manier ensemble; ce sera une création.

Puis, des orchestres à mille parties, des chœurs à mille voix ; des hymnes et des poèmes chantés par des masses, des manœuvres chorégraphiques dansées par des populations. Car, dans les Phalanstères, l’éducation élève chaque homme à la dignité d’artiste ; et si chaque homme n’est pas poète et compositeur, chaque homme du moins sait exécuter et faire sa partie dans l’ensemble ; chaque homme est une note dans le grand concert.

Oui, oui, c’est la destinée de l’humanité d’être heureuse et riche, et de parer sa planète, et de lui faire une robe resplendissante, qui ne la rende pas honteuse au bal céleste où elle occupe, dans la ronde lumineuse, une place d’honneur à côté du soleil! Oui, quand l’humanité marchera dans sa force et dans sa loi, on verra éclore bien d’autres merveilles sous l’influence de la puissance humaine, combinée à la puissance vivifiante du globe.

( Destinée sociale. Victor Considerant ).

Nota. Ce monument doit être situé au centre d’une lieue carrée de terrain ; son développement de l’extrémité d’une aile à l’autre est de trois cent soixante toises; l’espace entre les deux ailes est de deux cents toises, et la façade de chaque aile de quatre-vingts toises.

Bordeaux. Imprimerie et Lithographie de Hekry Faye , rue du Cahernan, 44.
Source : Gallica-Bnf - Identifiant :  ark:/12148/bpt6k850954v

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