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Luttes et combats de Christophe Thivrier
(député, maire et conseiller d'arrondissement socialiste)
- Mémoire ouvrière du département de l’Allier et de la commune de Commentry.

- Le député en blouse (extraits), par, Ernest Montusès et Préface de Jean Jaurès, 1913

- Le Cinquantenaire de la première municipalité socialiste de France et du monde, Le Populaire, 1932
& annexe sur la Famille Thivrier.

- La blouse de Monsieur Thivrier, Le Courrier de Paris in l'Univers Illustré, 1889

- Intervention du député Christophe Thivrier, Ass. Nationale, le 10 mai 1890



Mémoire ouvrière du département de l’Allier (03)
et de la commune de Commentry :
"Le député en blouse"
ou Christophe Thivrier dit "Christou"

Dessin de José Belon - Le Petit Journal (1894)
Par Lionel Mesnard, le 8 juillet 2017
"Thivrier était l'apôtre qui la portait par le monde, la divulgant devant les masses, répandant la semence par les chemins" (Ernest Montusès)

Ernest Jean Semonsut ou son anagramme d’écrivain Ernest Montusès
(1880-1927) est l’auteur du Député en blouse, alias Christophe Thivrier, dit Christou (1), préfacé par Jean Jaurès. Sa deuxième édition fut publiée en 1913 et allait connaître plusieurs réimpressions, ainsi Montusés fut de même le rédacteur de plusieurs ouvrages et de journaux, dont une histoire locale de Montluçon. D’une famille ouvrière, il passa le concours de l’Ecole Normale, à l’époque recruté à l’échelle départementale, à Moulins, préfecture de l'Allier (ancienne capitale du Bourbonnais).

D’abord instituteur, pour des raisons de santé, il devint bibliothécaire et initiateur de deux revues militantes. Dans son œuvre, il est à noter des ouvrages de poésies et un intérêt prononcé pour la dramaturgie. Il fut conseiller général socialiste de ce même département, puis membre de la SFIO en 1905 (Section Française de l'Internationale Ouvrière), il rejoignit en 1921 le parti Communiste et la troisième Internationale (SFIC - Section française de l'Internationale Communiste). Il reste de nos jours une fondation à son nom et elle a pour but une «aide les jeunes étudiants à réaliser leur projet d'études». Le reste, d’un lègue que fit son fils, faute d’héritier. A ce titre, il existe un site apportant toutes les informations nécessaires, une association loi de 1901 a été créée en 1987 au titre de ses Amis et offre toutes les sources utiles à la compréhension de son travail plus que méritant d’écrivain et d’historien. (2)

Son livre sur Christophe Thivrier (1840-1895) de la génération précédente du mouvement socialiste ou ouvrier est une très belle illustration d’une vie militante et pas la moindre. De comment un enfant mis au travail à dix ans par son père est devenu une gloire pas seulement locale ou nationale, mais internationale. Cette surprise, illustre parfois les maladresses à se saisir d’un sujet que l’on attribue à un autre et à parler un peu vite négliger le contributeur, mais pas à tort sur un sujet ne se limitant pas au port d’une blouse dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, mais à un parcours selon certains principes ou au gré des origines du socialisme en France. L’on retrouve tous les ingrédients de la branche marxiste ou internationaliste française avec entre autres, Paul Lafargue, beau-fils et époux de Laura Marx.

Son auteur, Ernest Montusès (ci-contre) fait un portrait pouvant apparaître pour insolite et nous renvoyant notamment à la construction de la République, du moins la troisième du genre en toute fin du deuxième chapitre bonapartiste du siècle et à ses débuts. Une petite mine d’information, pour qui aime à faire des recherches sur des acteurs oubliés, il y a là de quoi se réjouir des erreurs des autres..., pour apporter des précisions sorties de leur contexte initial et demandant une élaboration au calme de l’actualité politique du moment. Néanmoins, les anecdotes sur les modes vestimentaires de l’Assemblée depuis 1789 sont nombreuses, souvent un moyen de se faire remarquer dans le déluge des nouvelles…

Je retiendrais Marat qui y allait en robe de chambre dans sa dernière année (ou fin 1792), et pas pour amuser la galerie ou retenir l’attention, quoi que, que de préjugés ou volontés d’imposer un code vestimentaire, ou ce qui n’est qu’un cérémonial. Et ce qui n’est en rien une loi de la république, mais une tradition. Cela peut faire sourire sur son décalage avec le Parlement de nos voisins Allemands. Nous vous renvoyons vers l’article de 1889 du Journal Illustré à ce sujet sur cette même page, dans un style journalistique quelque peu ironique sur les mœurs de l’Assemblée! Plus illustratif, pareillement est à lire la célébration du Cinquantenaire de la première commune socialiste en France et le monde, Commentry, au sein du journal le Populaire de Léon Blum en 1932.

A la lecture d’Ernest Montusès, on pourrait presque avoir l’impression de retourner sous l’ancien régime, dans un style impeccable et précis, nous découvrons Thivrier et ses actions ou sa place au sein de la commune de Commentry dans l’Allier et ses évolutions. «Il est l'un des créateurs du mouvement ouvrier dans son département. La «Marianne», société secrète instituée pour combattre les menées réactionnaires des conservateurs, se réunit souvent chez lui. En 1874, il est élu conseiller municipal de Commentry sur la liste républicaine et réélu en 1878. En 1879, il est acquis au collectivisme et le 21 janvier 1881 il est élu avec toute la liste ouvrière et socialiste». (1)

Il est souvent difficile de pouvoir avoir tant d’information sur un militant ouvrier du XIX° siècle, à qui nous devons d’avoir emporté la première mairie socialiste de l’histoire de l’humanité. Et que le combat mené dut user de subterfuges pour pouvoir se constituer sans prendre en représaille les pouvoirs impériaux, et les difficiles années 1870 pour celui qui gravit tous les échelons et se retrouva sur les mêmes banquettes que l’illustre Jean Jaurès en 1893. Celui-ci a été le rédacteur d’une courte préface dans l’ouvrage de Montusès (sur cette même page), à qui nous devons un récit digne de foi et sous la patte d’un historien et républicain socialiste, puis communiste. Renvoyant de plus à deux histoires ou identités au sein du prolétariat français et à la scission de 1920 à Tours.

L’Allier a connu longtemps la gauche sous ses différentes étiquettes partisanes du passé, après la seconde guerre mondiale Parti Communiste Français (Pcf), puis Ps à la tête du Conseil Général et resta longtemps un département marqué par l’industrialisation du temps des maîtres de Forges des siècles passés. D’où, les luttes des mineurs qui s’initièrent pour refuser le monopole alimentaire des patrons dans le canton de la cité Commentry. Mais aussi la question de l’imposition avec l’octroi toujours en vigueur, une taxe que Thivrier considérait «à la tête du client» et souhaitait une proportionnalité de l’impôt selon les revenus (adopté dans les années 1920), ou les questions religieuses et la place des ordres dans la vie quotidienne de cette masse considérée comme les «classes dangereuses», depuis au moins les années 1830. «La vile multitude» selon Adolphe Thiers, qui alimentait les peurs sur la question sociale et politique du prolétariat s'organisant.

De l’ouvrier dépeint à l’ocre rouge, sous ses aspects rugueux, Thivrier connu ce mépris si propre aux classes possédantes, le prenant pour un rustre, alors qu’il s’agissait d’un homme instruit. Il avait tout fait pour sortir de sa condition première avant de devenir négociant de vin et faire ce que l’on nommait de «l’agit-prop». L’histoire de la blouse n’est qu’une anecdote, sur le fond, il s’agissait de mettre un arrêt aux exactions militaires dans le ville de Commentry, suite à la grève de 300 mineurs dans ce bassin d’extraction de la houille. La blouse fut un prétexte pour retenir l’attention de la presse, toujours aux aguets des frasques plus que des raisons initiales et se répétant inlassablement. De même avant la vague électorale d’extrême droite allant déferler à la fin du XIX° siècle, Thivier se fit battre, avant que son siège ne retourne à un membre de sa famille, un mandat plus tard, celui-ci décédant dans le cours de l’année après avoir été éliminé par un «opportuniste» pour reprendre le terme de Montusès pour désigner de faux progressistes, ou ceux compromis avec les pouvoirs conservateurs ou réactionnaires.

Une vie riche, dans la marge des temps, dans le cadre des élections qui vont se succéder à Commentry, Thivrier, conseiller d’arrondissement et maire élu et réélu, puis député sur deux mandats, dit Christou fut un homme gai et très attentionné pour ses concitoyens, s’appuyant sur le troquet local pour diffuser ses idées révolutionnaires dans le patois local. Il ne cacha pas son souhait d’asseoir plus de démocratie au sein de la République et de s’allier si besoin avec les radicaux. Mais, il appartenait à la mouvance socialiste et révolutionnaire, qui donna lieu à la tendance Guesdiste au sein de la SFIO, comme ses frères et ses enfants, car, il s’agissait d’une famille impliquée dans toutes les métastases de cette époque difficile pour les masses laborieuses. Il siégea à l’extrême gauche aux côtés de Jaurès, mais aussi d’Edouard Vaillant (1840-1915) et des quelques premiers députés ou réchappés de la Commune de Paris ou de l’exil, dont le jeune Jules Guesde (1845-1922) à qui, il permit de s’enfuir ou de se protéger d’un attentat des forces bourgeoises depuis sa localité.

Le plus touchant est cette histoire des «Marianneux», de comment se sont organisés localement les ouvriers pour échapper à la censure et aux condamnations pour activités politiques et ouvriront la voie aux cercles républicains qui vont fleurir sous la troisième république. La "Marianne" était à l’origine une société secrète avec ses codes débonnaires et qui fut surveillée par les autorités du cru dans sa vieille tradition de répression des idées d’émancipation sociale et politique au service du capital. Vous pourrez aussi lire le chapitre consacré à cette confrérie ouvrière du temps de la "République des Ducs" (1871-1875) sur cette même page.

Nous terminerons par l’intervention du bon et de la belle âme de Christou qui lui donna le surnom de Député à la blouse, au sein de la chambre des députés en 1890. Pour ceux qui n’auraient pas suivi un vieux débat sur comment paraître et faire diversion, qui dans le "la" d’une actualité éruptive, où il devient parfois difficile de se retrouver, quelque esquisse du passé ouvrier sommeillant s’offre à nous!

« Les premières manifestations de l'Allier rouge conduisent à la constitution du mouvement guesdiste qui se distingua par son radicalisme. Au début du XXe siècle, le socialisme de l'Allier se consolida par le biais des réseaux de sociabilité et des sociétés coopératives. Le socialisme s'étendit dans quelques cantons du nord-ouest du département, avec l'apparition de nouveaux acteurs, le propagandiste politique et le militant syndical qui contribuèrent à favoriser son identification aux luttes ouvrières et paysannes. Comptait 12 % des effectifs de la SFIO au début du XXe siècle, l'Allier apparaissent comme une des zones de force du parti socialiste, avec la Haute-Vienne. Ainsi, le mythe de l'Allier « rouge » s'installait ». In « Jean Jaurès dans l'Allier Rouge » par Asku Lee (3)

Notes ou informations complémentaires :


(1) Christophe Tivrier dit Thivrier, député de l’Allier, «Christophe Thivrier a laissé sa trace dans l’histoire en devenant le premier maire socialiste au monde. Ses fils, Isidore et Alphonse, ont été maires de Commentry». Biographie politique in le Dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 de Jean Jolly. Sa biographie en ligne sur le site de l’Assemblée nationale :  A lire ici !

(2) Les amis d’Ernest Montusès et son œuvre : A consulter ici !

(3) CAIRN info : A lire ici !


Les Amis d'Ernest Montusès
Documents de l'exposition initiale (8 minutes)





Le député en blouse (extraits)
Par Ernest Montusès – Préface de Jean Jaurès

PRÉFACE


Le fils et le gendre de Thivrier, tous deux militants fidèles et socialistes probes comme lui, en me faisant l'honneur et l’amitié de me demander quelques lignes de souvenir, m'ont donné une joie qui n'est point sans mélancolie. C'est du fond d'un passé déjà lointain que j’évoque la figure malicieuse et franche, gouailleuse et loyale, de celui que mes mandants de Carmaux appelaient affectueusement, dans leur languedocien, d'un petit nom familier.

C'est à la Chambre de 1893 que j'ai, pour la première fois, rencontré Thivrier. Comme nous étions jeunes alors, tous, même les anciens! Il y avait dans le groupe socialiste, soudainement grandi, une allégresse, une force admirable d'espérance et de combat! L'unité du Parti a été depuis lors - après bien des vicissitudes et des brisures - plus totalement organisée, plus méthodiquement. Mais dans cette sorte d'aurore de 1893, elle avait, je ne sais quoi de juvénile et d'ardent qui est resté dans le souvenir de tous comme un enchantement.

En quelques semaines, en quelques jours, une sorte de grande amitié commune s’était formée. Pour ceux qui, comme moi, étaient arrivés au socialisme par des sentiers solitaires, sans être passés par l’école des groupements, sans avoir été mêlés aux luttes tragiques du passé et sans avoir subit les dures épreuves des premiers temps de propagande, il y a avait, dans cette soudaine et cordiale familiarité avec les militants des premiers jours, une émotion de combat ; il nous semblait que nous étions associés rétroactivement à toutes les luttes, à tous les efforts d'un grand parti.

Thivrier, qui avait été un des premiers organisateurs, un de ceux qui avaient des premiers affronté les colères de tous les anciens partis et les représailles du Capital, nous intéressait d'autant plus qu'il avait une belle allure de bonhomie caustique. Il représentait admirablement l'esprit avisé et fin du peuple de France. Je me souviens qu'un jour, dans une des premières séances de la Chambre de 1893, Thivrier ayant crié «Vive la Commune» fut menacé par le président de la censure. Appelé à s’expliquer, il dit d'un ton merveilleusement tranquille «Je ne sais pas comme l’Auvergnat qui avait son dit et son dédit. Ce que j’ai dit est dit».

C'est, sous une forme à la fois pittoresque et simple, la belle affirmation de la constance dans l’idée et dans l’action.
Jean Jaurès

La Jeunesse de Christophe Thrivier`


A mon cher petit Jacques-Christophe

Vers le milieu du siècle dernier, à la Bregère, commune de Durdat-Larequille (Allier), dans une petite maison, depuis démolie, placée au bord du mauvais chemin qui allait à Commentry, habitait avec sa famille Gilbert Thrivrier. Il était né vers 1806 dans le même village où devait demeurer jusqu'à sa mort (novembre 1904) et lorsque, presque centenaire, il rappelait son enfance, il ne manquait pas de dire qu'il avait vu passer les armées de l'Empire et l'Empereur à leur tête, sur la route nationale qui traverse Larequille.

D'abord cultivateur comme ses ancêtres, il avait ensuite trouvé du travail à la mine voisine ouverte depuis la concession de 1818. Tout en continuant de cultiver quelques champs médiocres, il était devenu entrepreneur de terrassements, chargé du percement et du remblai des galeries. Comme cette entreprise était conclue à forfait, il était, suivant l'appellation du pays, préfateux. Marié à Marie Moncier, il en avait déjà trois enfants Joseph, François et Louise, quand, le 16 mai 1841, naquit un troisième fils auquel il donna le nom de Christophe.

Le jeune Christophe Thivrier, orphelin de mère de très bonne heure, grandit au milieu d'une campagne un peu sauvage, aux lignes dures, mais séduisante tout de même avec ses vallonnements nombreux, ses creux pleins de fraîcheur l'été et ses chemins enfoncés sous la ramure des haies épaisses. Il courut les champs et, d'autres jours, il y « garda les bêtes », à l'ombre des chênes séculaires qui, dans ce coin de l'Allier, servent de bornes aux propriétés. C'est à peine s'il eut le temps d'apprendre à épeler quelques mots, sur les genoux d'une tante.

A dix ans, le père, avec la sévérité dont il fit toujours preuve, décida qu'il était temps d'aller au travail, et l'enfant accompagna chaque matin vers la mine les ouvriers qui descendaient de la Bregère. D'abord on l'employa, avec d'autres petits de son âge, au triage du charbon, puis au roulage de la brouette. Quand, à ce dur métier, son corps se fut développé, il descendit dans les puits où successivement il fut piqueur, mineur et boiseur à mesure que l'âge lui permettait ces fonctions, pénibles entre toutes.

La mine de Commentry était alors en pleine prospérité, mais au prix de l'effort inouï des ouvriers. En 1840, au moment où l'exploitation paraissait facilement assurée, un embrasement général s'était produit. Le poussier de charbon, sous l'influence d'un air humide et chaud, s'était enflammé et un véritable volcan s'était éveillé dans la couche de houille. Cela avait été un combat de titans contre le feu. Par trois fois, en quatre ans, on avait rempli la mine d'eau; pour obéir aux conseils d'une vieille tradition locale. Mais l'eau épuisée et les galeries consolidées, l'incendie apparaissait encore. Alors il fallait recourir à d'autres moyens, combien plus dangereux établir des barrages, des corrois, moitié en maçonnerie, moitié en terre glaise.

Depuis 1840, l'embrasement continuait et souvent, à la première menace du feu, les ouvriers étaient forcés de descendre, nus en face du brasier qui les rôtissait, élever hâtivement un fragile rempart qui ne résistait d'ailleurs que pendant quelques mois. Les gaz de la combustion d'une part, les exhalaisons d'acide carbonique de l'autre, les menaçaient perpétuellement d'asphyxie, soit qu'ils fussent près de la voûte des galeries, soit qu'ils fussent couchés sur le sol. C'est à mi-hauteur seulement que les malheureux pouvaient respirer, très peu longtemps. Une syncope les prenait. Une autre équipe les emportait à l'air et les remplaçait dans la lutte contre le terrible fléau.

C'est cette existence décile que vécut Christophe Thivrier, dans le frôlement continuel du danger. Il avait quatorze ans et était déjà « au fond » quand, en sortant, un soir, il apprit que son frère aîné, Joseph, venait de mourir en Crimée. Toute la maisonnée de la Bregère fut plongée dans le chagrin. Bientôt, Christophe trouva dans l'étude un dérivatif à sa peine. Son père, illettré, bien que récemment nommé adjoint au maire de Larequille, fonction qu'il devait remplir pendant près de quinze années, il éprouvait sans doute quelques difficultés à conduire son entreprise. Le fils sentit la nécessité de s'instruire. Il alla trouver un instituteur laïque, M. Déchet, qui avait ouvert une petite institution à Commentry et qui consentit à lui enseigner ce qu'il savait, le soir, après la sortie de la mine. Sur son salaire personnel, le jeune Christophe trouva le moyen, pour payer les leçons qu'il prenait, de prélever 15 francs par mois! Ce n'était du reste pas cher, car le petit mineur fit des progrès rapides et acquit une assez solide instruction.

Le dimanche, il lisait, assis devant la très petite fenêtre du logis paternel. Mais souvent les camarades de travail venaient le tirer de ses lectures. Au nombre d'une quinzaine, les jeunes hommes du village «se suivaient» en effet, et les séductions du bal de la Bregère ou de Larequille valaient tout de même celles d'un livre ! D'autres fois, les dimanches de paie, la petite bande allait dépenser à Commentry les bénéfices des « associations ». Les piqueurs étaient toujours associés par deux ou par quatre et les sommes rondes seules étaient partagées, le reste étant abandonné aux débits de la ville.

Car Commentry commençait à prendre la physionomie d'une ville. De 1.400 habitants en 1840, l'agglomération nouvelle avait atteint le chiffre de 5.500 dix ans après et, vers 1860, elle comptait 9 ou 10.000 âmes. D'abord, des maisons s'étaient bâties à la Bouige, puis dans le «vaste communal à herbe courte et rare, à flaques d'eau, à trous de terre à briques» sur lequel se trouve aujourd'hui la grande place et le quartier environnant. Vers 1850, l'église et la halle aux grains formèrent un «noyau» pour la cité nouvelle et, si les rues étaient «sans pavage et sans éclairage», du moins une certaine animation y régnait.

Mais Christophe Thivrier - il écrivit toujours ainsi son nom - préférait encore les champs à la ville; s'il est vrai que les mineurs de nos régions se souviennent de leur origine paysanne et qu'ils aiment ardemment la terre, il était bien de leur race. Il fut toujours passionnément épris de la culture et plus tard même, quand les fatigues de la vie politique rendaient indispensable un peu de repos, il ne le trouvait qu'aux poignées de la charrue.

*
Ayant tiré un «bon numéro», Christophe Thivrier n'accomplit qu'une période militaire de trois mois à Montluçon, d'octobre à décembre 1862. Puis, quelques mois après, en février et mars 1864, il fit encore deux mois. C’était un solide gaillard, bien musclé, de taille moyenne (1 m. 65 selon son livret militaire), aux yeux bruns, aux cheveux châtain clair, au teint mat, fréquent chez ceux qui travaillent à l'abri du grand air et du soleil.

Au retour du régiment, avec ses économies d'ouvrier mineur, sa famille lui laissait sa paye ou à peu près, il conçut l'idée de faire bâtir une petite maison, de moitié avec sa sœur. En 1865, l'idée était réalisée; la modeste maison était élevée au village des Remorêts, sur les confins de la commune de Commentry. Ce devait être le foyer d'une nouvelle génération. Trois ans après, en effet, Christophe Thivrier y amenait sa jeune épouse, Marie Martin, qu'il avait connue à Larequille où elle habitait chez un oncle, et qu'il venait d'épouser, le 15 novembre 1868. Elle était instruite, forte et courageuse. C'était la compagne rêvée pour la réalisation des projets que formait le jeune homme.

Arrivé en effet à une certaine maturité d'esprit, il ne tolérait plus que malaisément la servitude de la mine. Il avait refusé un poste de chef-mineur, «ne voulant pas, avait-il dit, commander à ses camarades». Il ne voulait surtout pas commander au nom de la Compagnie dont il voyait les abus avec, déjà, un esprit de révolte. Un rapport de cette époque, fait à l'Académie par M. Louis Reybaud, note qu'en vingt ans la production moyenne de chaque salarié, mineur, employé, trieur, ingénieur, s'était élevée de trois hectolitres un quart par jour à quatorze hectolitres. Un ouvrier intelligent était amené à s'indigner qu'on ne lui payât que quatre ou cinq francs par jour pour un travail qui rapportait vingt-cinq ou trente francs aux actionnaires. Encore était-ce là une moyenne. Dans un banc large, un piqueur pouvait abattre deux cents ou trois cents francs de charbon par jour!

Comment ne pas admettre que, déjà, la constatation de la grande injustice sociale ait frappé la conscience de Christophe Thivrier? Mais, pour l'instant, il n'apercevait les possibilités de libération ouvrière que sous l'angle politique. On était à la fin de l'Empire. Napoléon III était venu à Montluçon en 1864. Les mineurs avaient été convoqués pour faire la haie sur le passage du monarque et les paysans/mineurs de Durdat ou de Commentry, natures fortement trempées, n'avaient guère l’âme de courtisans! L'idée républicaine, latente dans l'Allier, avait de rudes partisans sous les toits de chaume de la région. Et, parmi tous, Christophe Thivrier se dépensait déjà en propagande. Depuis 1865, il avait pris un certain rôle, combattant les idées et les candidats de l'Empire, évoquant le danger de la guerre que tout le pays redoutait.

Pour cette propagande, il fallait être libre, rompre les attaches avec la mine, qui faisait une pression politique énorme et envoyait son directeur, Stéphane Mony, à la mairie, au Conseil général, au Corps législatif, tandis que siégeaient à l'assemblée municipale des impérialistes comme les actionnaires Rambourg ou Martenot. Aussitôt marié, Christophe Thivrier ne retourna plus au puits. Il s'embaucha au chemin de fer, où il travailla trois mois, au début de 1869, comme poseur sur la ligne de Gannat, alors en pleine construction. Pendant ce temps, les soirs, il apprenait à faire le pain chez un parent et, en août 1869, il ouvrait une boulangerie derrière sa maison, aux Remorêts. Ce fut du reste un étrange boulanger. Bien plus préoccupé par la propagande républicaine que par sa profession, il négligeait complètement sa clientèle. Ses amis le venaient trouver alors qu'il était au travail. Il s'arrêtait pour causer. Pendant ce temps, le four se refroidissait. Le pain ne cuisait pas. Une autre fois, il oubliait de le retirer à temps et toute la fournée était abominablement desséchée. Cela lui attirait mille désagréments.

Qu'importaient ces misères quand l'élan républicain du 4 septembre 1870 venait récompenser le militant de son effort! Il devint vraiment le protagoniste local de la jeune République. Un besoin d'union poussait les travailleurs à s'entretenir de leurs espoirs politiques. Ils venaient au débit de Christophe Thivrier, qu'ils commencèrent d'appeler d'un diminutif familier: Christou. Christou continuait de les visiter, d'entretenir leur ardeur, en faisant son commerce de boulanger auquel, vers 1871, il adjoignit la vente en gros des vins d'Auvergne. Mais toute cette propagande se faisait avec assez de mystère, à cause de la surveillance de l'administration, restée nettement bonapartiste.     



La Marianne (et les Marianneux...)

C'est vers 1872 que se constitua la «Marianne»  société secrète républicaine.


La République, en effet, plus menacée que défendue par les Thiers et les Mac-Mahon, n'avait apporté aucune liberté de réunion. Localement, les autorités étaient impérialistes. Le député à l'Assemblée constituante de Bordeaux, Charles Martenot, avait voté non au moment de la constitution de la République. La municipalité reflétait ces sentiments. Impossible, contre ces divers pouvoirs, de tenter une action républicaine au grand jour. Quelques démocrates formèrent bien, en 1872, une société de secours mutuels, dont fit partie Thivrier, mais les discussions politiques y étaient interdites. Alors on se réunit tout de même, en se cachant.

Au-dessus du four de la boulangerie était une petite pièce, autant grenier que chambre. On prit l'habitude, des Remorêts, de Pourcheroux, de la Bregère, d'y venir le soir et, serrés là, une vingtaine de «conspirateurs» jurèrent de défendre la «Marianne», la belle République idéale au bonnet phrygien. Comme il faisait très chaud, on appela le dessus du four l’Afrique. Et ce fut le moyen de se convoquer sans attirer l'attention: «Nous allons en Afrique ce soir, tu sais?»

Mais bientôt la pièce exiguë ne suffit plus aux Marianneux, devenus nombreux. Ils allèrent se réunir dans les champs par les nuits de beau temps, changeant chaque ibis de place, postant des sentinelles autour du groupe, se tenant couchés dans l'herbe pour éviter d'être remarqués de loin.

Comme jadis pour les Carbonari que les Marianneux ne faisaient qu'imiter, une série de signes permirent de se reconnaître entre amies et d'éviter ainsi les intrus ou les espions. En entrant dans un café, un Marianneux avait une façon de dire: il fait beau temps, qui le signalait à l'attention de ses camarades. Les initiés trinquaient en choquant le verre une fois par le fond, une fois par le haut. Celui qui tendait la main frappait deux fois avec le pouce, on lui répondait par une triple pression. Quant aux convocations, elles étaient remises dans un mouchoir marqué de trois initiales, et écrites dans la forme d'une lettre d'une jeune fille donnant rendez-vous à son amoureux. Ces précautions, on le verra plus loin n'étaient pas inutiles et le charme même de ces rites était bien fait pour plaire à l’âme sensible des mineurs.

En tout cas, la propagande de la Marianne n'était pas vaine. Le 22 novembre 1874, le Conseil municipal élu fut formé entièrement de républicains, Marianneux pour la plupart. En tête venaient, avec 1.400 voix, Aujame et le docteur Pereton que leur situation sociale avait mis en vedette. Cnristophe Thivrier était élu avec 1.275 voix. La réaction bonapartiste était écrasée.Le maire Charles Martenot, fonctionnaire désigné par le pouvoir exécutif eut ainsi à présider une assemblée d'adversaires. Le succès républicain était bien fait pour l'indisposer. Une police habile le renseigna sans doute sur les réunions secrètes des Marianneux. La sous-préfecture et le parquet s’émurent. On décida une intervention de la force armée.

Depuis janvier 1874, du reste, l'attention avait été mise en éveil. En novembre de la même année, la police réussit à filer et à connaître le nom de quelques amies. Mais ils se réunissaient alors au Pré-Gigot et au bois qu'il était impossible de cerner. Il fallut agir par ruse et par trahison. Les Marianneux avaient la plus entière confiance en leurs camarades. Ils ne pouvaient soupçonner que, parmi eux, quelqu'un pût les vendre. C'est pourquoi ils n'attachèrent aucune créance à l'avertissement que leur donna la femme de Christophe Thivrier. Elle avait entendu à l'auberge un nommé B. dire à un de ses parents « C’est l'autre semaine qu'on va les prendre. Puis on ira aux Raynauds et ce sera le plus gros lot».  Les Marianneux haussèrent les épaules «Ah ! si on voulait écouter les femmes».

La trahison n'était malheureusement que trop exacte. Le 10 février 1875, comme Thivrier revenait chez lui d'une livraison lointaine, il rencontra des amis qui lui racontèrent qu'on venait d'opérer de nombreuses arrestations. Voici ce qui s'était passé.

Vers neuf heures et demie du soir, de nombreux gendarmes, sous la direction du sous-préfet, du procureur, du juge d'instruction et du capitaine, avaient cerné le Grand-Pré et s'étaient avancés à un signal. Ce signal, c'était B. l'un des Marianneux, qui l'avait donné, n avait, comme par inadvertance et malgré la défense formelle qui était faite par l'association, flambé une allumette. Aussitôt, les brigades de gendarmes et le commissaire, cachés dans les wagons d'un train de la mine arrêté à proximité, firent irruption en tirant des coups de feu. Juste les Marianneux étaient en train d'initier un camarade, Penny. Et celui-ci, qui avait les yeux bandés, fut arrêté ainsi que douze de ses compagnons. Dans le brouillard intense qui régnait sur le pré, les autres purent s'échapper.

Dans la nuit, le Préfet, prévenu, arriva de Moulins. On interrogea les citoyens arrêtés et, sous une escorte nombreuse, on les conduisit à Montluçon. Puis on fit des perquisitions en règle. Le procureur général s'en mêla, d'autres arrestations furent opérées. Ce fut un très gros événement dans la région.

Finalement, devant le tribunal correctionnel, dix-huit prévenus furent conduits, jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans, dont le crime avait été de vouloir défendre la République! Et pourtant le procureur de la République requit une peine sévère contre eux. Dans la salle, on avait pris des mesures d'ordre exceptionnelles. Des soldats, baïonnette au canon du fusil, étaient placés au milieu de la foule. Le président essaya vainement d'obtenir des renseignements. Chaque prévenu se prétendit affilié depuis peu de temps et indiqua comme parrains le nom de gens qui étaient décédés. L'un d'eux, se moquant agréablement du tribunal, dit que le but de l'association secrète était de ramener le prince impérial en France! Mais nul ne s'y trompa et ce fut bien comme républicains que, par application de l'article 13 de la loi royaliste de 1843 sur les clubs et les sociétés secrètes, les prévenus furent condamnés. Deux d'entre eux, qui parurent des «meneurs» Myoux et Joseph Moreau, dit Général, obtinrent treize mois de prison; seize autres prévenus. Penny, Duboisset, Guillaumin, Lainard, Michard, Lafanechère, Saillard, Brunat, Mialle, Ricroc, Joseph-Martin, Champommier, Thomas, Mercier et Lafon, furent condamnés à six mois de prison.

La Marianne cependant n'était pas morte, et une grosse partie de ses adeptes continuèrent (avec simplement plus de prudence encore) une propagande que la crise traversée par la République rendait indispensable.

Quelques années plus tard, en effet, en 1876, les maires furent choisis par le pouvoir exécutif parmi les républicains de chaque commune et Commentry put se réjouir de voir arriver au pouvoir communal des affiliés de la Marianne. Mais ce succès fut de courte durée. Le Coup d'État se préparait. Le 27 juillet 1877, le maréchal de Mac-Mahon et le ministre de Fourtou révoquaient la municipalité de Commentry et dissolvaient le Conseil municipal où siégeait Christophe Thivrier. Quelques jours après reparaissaient, dans une commission municipale, des impérialistes Charles Martenot, Pitiot, Barbran, Carion, etc.

Le 20 août, un arrêté préfectoral ordonna la fermeture du débit de Thivrier où la propagande républicaine se faisait activement. Pendant quatre mois, la maison fut ainsi interdite aux mineurs, surveillée par des mouchards,et ce n'est que le 20 décembre 1877 que le préfet d'Ormesson rapporta son arrêté.

L'orage était passé. En octobre 1877, avait eu lieu la réélection des 363 et Commentry avait donné une majorité énorme au républicain Chantemille 1.917 voix contre 962 au bonapartiste Stéphane Mony, directeur de la mine et ancien député, pourtant candidat local.
Le 24 décembre, le Préfet ordonna à Charles Martenot et ses collègues de se démettre de leurs fonctions. Ils eurent l'audace de résister. II fallut les suspendre et nommer une nouvelle commission municipale composée des membres de l'ancien Conseil. Christophe Thivrier revenait aux affaires communales.

Il s'y maintint par les élections municipales du 6 janvier 1878, où il arrivait presque en tête de la liste républicaine avec 1.793 voix, alors que les chiffres extrêmes de suffrages étaient 1.869 et 1.441. La municipalité fut de nouveau républicaine, composée d'Aujame, du docteur Pereton et Desgranges, mais républicaine modérée opportuniste, suivant la formule de Gambetta. Thivrier et les travailIeurs Commentryens commençaient à ne plus se contenter de cette formule. Ils cherchaient leur voie. Le socialisme allait la leur indiquer.


Le Socialisme triomphe à Commentry

Pour comprendre avec quel enthousiasme l'idée socialiste fut accueillie à Commentry, il faut connaître le caractère des habitants et la situation, particulièrement pénible, où se, trouva tout à coup la classe ouvrière pendant les premières années de la République.

Le rapport de M. Reybaud, auquel il était fait allusion plus haut, parait avoir noté avec assez de justesse l'état d'âme de la population laborieuse.

Nés pour la plupart dans la région et comptant y mourir, les mineurs s'étaient Jetés au travail avec un courage sans exemple. Ils avaient fait accroître sans cesse la production aux dépens de leur santé et de leurs forces. Ils avaient montré, par des actes de dévouement inouïs, qu'ils étaient presque conscients du danger et, en tout cas, que nulle forfanterie ne les poussait à risquer leur vie. «Ce sont, disait M. Reybaud, des âmes simples, crédules, portées au merveilleux, mais, en ce qui touche à leur devoir d'état, d'une trempe incomparable». Et il concluait « Il y a là des natures fortement accusées, quoiqu'elles restent communes, une ambition sournoise et une apreté au gain qui cherchent des issues et ne se contentent qu'à demi…». C'était, à la fois, un très vif éloge et un reproche injuste. Les travailleurs Commentryens n'avaient aucune âpreté au gain. Pourtant, l'envie eût pu naître chez des malheureux qui touchaient un salaire très maigre en produisant un revenu considérable, tandis que le directeur Stéphane Mony, érigeait son château somptueux de Blomard. Non, à la vérité, ils n'étaient pas envieux.

Mais ils avaient fait preuve de trop de servilisme et ils devaient commencer à s'en montrer las. Les maîtres de la mine étaient devenus parfois, grâce aux suffrages ouvriers complaisants, les maîtres de la mairie. C'est le directeur, on l'a vu, qui s'était fait élire Conseiller général et membre du Corps Législatif sous l'Empire. Aucun organe social ne fonctionnait sans la Compagnie. Elle avait installé une école de Frères et elle y recrutait ses contremaîtres, exclusivement, pour montrer de quel ostracisme elle comptait frapper l'école laïque naissante. Avec les actionnaires de la Forge (appartenant à la Compagnie Châtillon-Commentry), elle régentait la commune, allant jusqu'à menacer le Conseil de briser tout rapport, au moment de l'établissement de la prise d'eau, si on n'acceptait pas d'entrer dans ses vues. Le capitalisme avait fondé l'église, l'hôpital, les ouvroirs. Malades, vieillards, jeunes filles, enfants, tout le monde était tributaire, en apparence, des puissances financières du lieu.

Le 28 septembre 1873, on fit une fête du Travail, dont les détails furent publiés en un livre peu rare, même aujourd'hui. Et l'étonnement saisit à chaque page. On avait pu obliger la population Commentryenne entière à venir, en un cortège énorme, conduire le directeur de la mine de son château à l'église «plus de 2.000 ouvriers, en habit de fête et cravatés de blanc, suivant par file de quatre, divisés en groupe, dans un ordre rigoureux, précédés de leurs bannières et sous la conduite de leurs chefs portant un brassard tricolore.

Au roulement des tambours s’avançant également, sous la conduite des religieuses et des Frères, les petites filles couronnées de blanc et les garçonnets. Devant la bannière principale marchait le directeur, suivi de soixante-cinq des vétérans de la mine «portant un brassard bleu, sur l'écusson duquel était écrit, en chiffres, le nombre de leurs années de travail continu à la mine». Ainsi, on forçait les vieux travailleurs à prendre les insignes de leur servitude. Devant l'église, au signal donné par M. Mony, «toutes les têtes s'étaient découvertes et tous les genoux avaient fléchi». Un mariste, le père Mangeret, avait prononcé une ardente allocution, se félicitant «qu'un si beau spectacle fût offert aux regards des hommes et des anges».

Sur le perron du château directorial, avec une mise en scène bien faite pour frapper les âmes simples et soumises, M. Mony avait donné l'accolade aux vieux ouvriers et avait prononcé un discours où, avec une habileté remarquable, il avait à la fois manié l'éloge et la menace. Ayant fait mille compliments de ceux qui, sans lassitude, tiraient des fortunes du sous-sol, il avait abordé la question politique, célébré en une image la dangereuse idée bonapartiste, la nécessité de l'union de l'Autorité à la Liberté et il avait dit un mot des «doctrines insensées et coupables de l'Internationale », rappelant qu'il avait congédié des ouvriers qui professaient ces théories et que, «s'il en connaissait d'autres, il leur donnerait à l'instant leur quinzaine».

Ainsi M. Mony avait appris à beaucoup de travailleurs que quelques-uns de leurs camarades avaient formé un grand rêve d'égalité sociale. Le socialisme a eu cette chance d'être vulgarisé en France plus encore par la critique qu'on en faites ceux qu'il menaçait dans leurs privilèges de fortune, que par l’action de ses propres militants. Vers 1879, un mécontentement général grandissait parmi la classe ouvrière. La Compagnie, comme pour jeter un dernier défi à la liberté, venait d'établir une coopérative patronale où les salariés étaient contraints de s'alimenter, voyant ainsi augmenter leur sujétion et s'accroître les bénénces capitalistes.

Cette fois, c'en était trop. Justement il y avait un chômage intense de cinq ou six jours par mois. Cinquante-six ouvriers étaient complètement sur le pavé. Le Conseil s'occupa d'eux et ne put que faire une collecte entre ses membres. Mais nul parti ne pouvait apporter aux mineurs ou aux forgerons l'espoir d'une libération. Le parti républicain, auquel ils s'étaient, livrés d'un si magnifique élan, les traitait en parents pauvres. Pour Gambetta, comme pour Stéphane Mony, il n'y avait pas de question sociale, il n'y avait que des questions sociales. Aujame, Péreton et les autres opportunistes Commentryens prétendaient rester avec Gambetta. Christophe Thivrier et ses camarades se séparèrent d'eux.

*

Un jour, passa un militant socialiste Chabert. Il fit deux réunions au café de la Houillère depuis café de la Mine et, bientôt après, Jules Guesde, alors dans toute la fougue de sa jeunesse vint à Commentry après être passé à Montluçon. Ce fut comme une révélation. L'image des misères que subissaient les mineurs leur remontait à l'esprit.Ils refaisaient des calculs qui leur permettaient de mesurer la fortune de la Compagnie, spoliatrice d'une richesse locale appartenant autrefois à tous. Ils voyaient tout à coup le fossé creusé entre les deux classes sociales dans la production moderne capitalisme et salariat. L'initiation de Chabert, complétée par l'appel âpre de Guesde, eut tant de succès que la police s'émut. Une femme apprit que des agents devaient enlever Jules Guesde. Christophe Thivrier le mena en voiture une nuit, par des chemins détournés, jusqu'au-delà de Montluçon. Et Guesde fut sauf pour le coup.

L'idée semée germa vite. Il suffisait que, pour la faire propager davantage et la faire aimer, se levât dans le pays un homme de cœur ayant, par sa situation de travail, une indépendance complète vis-à-vis des Compagnies. Christophe Thivrier fut cet homme. Il avait saisi, avec sa culture politique déjà grande, toute la beauté du socialisme. Le Comité républicain s'étant dissocié par la séparation des socialistes et des opportunistes, il fonda, en décembre 1880, avec nombre d'anciens Marianneux et notamment François Renaud, forgeron, le Cercle républicain, montrant par le choix du titre que sa préoccupation essentielle était d'affermir le régime républicain en l'orientant dans le sens démocratique. D'autres militants s'étaient affirmés dans les communes avoisinantes à Montluçon, à Néris. surtout dans le bassin houiller, à Montvicq et Bézenet. De nombreux rapports s'établirent entre les socialistes et les radicaux qui, comme Boissier, avaient sinon un idéal commun, du moins des revendications immédiates communes.

L'ardente propagande de Christophe Thivrier porta vite ses fruits à Commentry. Aux élections municipales du 9 janvier 1881, il était élu le premier avec 1.299 voix, puis venaient quelques opportunistes. Enfin, au ballottage, plusieurs socialistes entraient également au Conseil, obtenant de 1.117 à 1.163 voix.

*

A partir de cette élection, Christophe Thivrier joua un rôle très important au Conseil municipal La municipalité prétendit lui laisser la charge de l'administration de la commune. Il répondit fort justement au docteur Péreton, adjoint, que le Préfet n'avait qu'à nommer un maire responsable. Le commissaire voulut faire porter à sa guise les convocations des conseillers. Le «premier conseiller» lui enjoignit hautement d'avoir à observer la loi.

Le 20 mars 1881, Thivrier faisait son début à la présidence du Conseil municipal comme premier conseiller élu. Il s'en tira fort bien et les assistants durent convenir qu'un ancien mineur faisait montre d'autant de bon sens et de tenue qu'un gros actionnaire. Pourtant, il n'eut pas encore directement le pouvoir communal. Le Gouvernement nomma à la mairie des opportunistes: Desgranges, maire, et Confesson, adjoint. Ce fut le premier élu qui les installa. Néanmoins, aux yeux de tous, «Christou» était, à partir de ce moment, le guide sûr et toujours accueillant à qui on s'adressait pour les affaires municipales. Il était surtout le porte-parole des travailleurs et, au Conseil, il éclairait toute discussion de la pensée socialiste.

Les mineurs de Commentry eurent à subir des tracasseries sans nombre, à cause même de l'attitude politique qu'ils venaient de prendre aux élections municipales. La direction chassa 152 des «meneurs». Les autres se mirent en grève. Ce fut la misère. Thivrier demanda au Conseil de voter 25.000 francs de secours et de recourir pour cela à un emprunt. Mais les considérants étaient une déclaration révolutionnaire :

…Considérant qu'il est du devoir de la société d'assurer la vie de ceux de ses membres qui, par leur travail, permettent l'existence de tous. Considérant que, tant que l'État se soustraira à son devoir, il appartient aux communes de le remplir…

Le Conseil, enthousiaste (sauf le maire Desgranges), vota la proposition à l'unanimité. A cette même séance (12 juin 1881), une autre résolution fut votée qui marquait mieux encore l'orientation de l’assemblée municipale, nettement séparée de son maire opportuniste :

Considérant qu'en aliénant une propriété aussi nationale que les mines de Commentry, l'État a permis l’exploitation des travailleurs occupés dans ces mines; Qu'il est, par suite, de son devoir d'empêcher cette exploitation d'être poussée à un degré tel qu'elle menace l'existence des travailleurs; Considérant, d'autre part, qu'en mettant dans la présente grève un certain nombre de brigades de gendarmerie et de compagnies de ligne à la disposition de la Société anonyme Commentry-Fourchambault, l'État est sorti de la neutralité et est intervenu réellement en faveur de cette dernière.

Un tel langage devait étonner et scandaliser l'administration. Le Préfet annula les délibérations et, le 14 juin (on était expéditif alors !), le Sous~Préfet en personne faisait transcrire l'arrêté d'annulation au registre, à la Mairie. Cela n'émut pas outre mesure Thivrier qui continua de demander au Conseil de pratiquer une administration vraiment républicaine. Il fit adopter, souvent contre la volonté du maire, une foule de propositions, la construction d'écoles notamment, avec une déclaration nette en faveur de l'instruction laïque. Un jour, le Conseil protesta contre le conseil de révision qui n'avait pas tenu compte de l'ordre des propositions de dispenses. Ce n'était plus, certes, une assemblée d'esclaves ou de muets qui était à la tête de Commentry!

Pourtant, la grève ayant avorté, de larges coupes sombres furent faites dans les rangs des militants. Un certain nombre de conseillers furent forcés de quitter le pays. Il y eut, en avril 1882 et en mai, des élections complémentaires. Enfin, le 4 juin, par application de la nouvelle loi organique municipale, le Conseil, complété tant bien que mal (des opportunistes s'y étaient glissés), fut appelé à élire lui-même son maire pour la première fois.

Et le premier maire élu de Commentry fut Christophe Thivrier. Parmi 22 conseillers présents sur 27 en exercice, il obtint 17 voix. On lui adjoignit deux de ses amis, Bonneau et Beylot, comme adjoints.

*
Déjà conseiller d'arrondissement, le maire socialiste de Commentry premier maire socialiste de France eut vite une grande popularité. Il atteignait alors quarante ans. Il portait la barbe et les cheveux longs, comme il était d'usage chez les républicains de ce temps, et les photographies du moment le montrent, au milieu du Conseil, avec ce visage éclairé par l'intelligence vive des yeux et cet air de franchise, de dignité et de bonne humeur qui, de suite, lui conquérait les sympathies.

Il travaillait durement, pour rattraper le temps consacré aux affaires publiques. Depuis 1879, il avait laissé la boulangerie et, comme il avait une aptitude égale à toutes choses, il s'était improvisé briquetier et petit. entrepreneur de constructions. Plus tard, il prit même quelques lots de terrassements dans l'établissement du chemin de fer économique. C'est qu'il fallait bien nourrir la famille nombreuse qui était venue trois fils et, plus récemment, une aile. D'autant plus que la clientèle avait été disséminée après la grève de 1881 et que, la haine bourgeoise s'exerçant, les affaires commerciales. périclitaient.

Tant d'occupations causaient à Thivrier un surmenage continuel. Il habitait toujours sa petite maison des Remorêts, à trois kilomètres de la ville. Parfois, un mariage venait à la mairie. On courait chercher le maire. Et le maire arrivait, en, sabots, ayant quitté la tuilerie pour procéder à la cérémonie, Il s'excusait et personne ne lui gardait rancune de ce léger retard. Car il avait une gaieté et une cordialité auxquelles nul, ami ou adversaire, ne résistait. Il parlait, avec ses concitoyens, le langage coloré et amusant qui, à Commentry, tient lieu de patois et qui n'est qu'un français écorché, mais si joliment! Et c'était une joie pour les gens de la région de trouver un maire causant leur langage, au lieu des fonctionnaires compassés et solennel de jadis. Le vendredi, jour de marché, les cultivateurs, qui descendaient de tout le canton de Marcillat, s'arrêtaient aux Remorêts. Et c'étaient des plaisanteries, des histoires narrées avec sel, qui ravissaient chacun: « ço sacré Christou o lé enragea».

*
C'était un instant de gaieté, dans une lutte par ailleurs âpre et décevante.  La situation municipale était difficile. Les Compagnies multipliaient les obstacles aux élus socialistes. La Forge menaçait de fermer ses écoles pour mettre dans l'embarras la commune. L'administration elle-même se faisait tracassière, prétendant imposer sa volonté dans le choix dès soutiens de famille. En septembre 1882, le Sous-Préfet faisait convoquer en cachette le Conseil d’arrondissement pour que Christophe Thivrier n'y pût venir, et celui-ci protestait contre ce scandale dans une lettre pleine d'humour qui fut insérée par le journal parisien le Mot d’Ordre, de Valentin Simond.

Thivrier faisait front à tous ses adversaires, bravement. Il continuait, au Conseil, de manifester la pensée ouvrière, faisant voter (14 juillet 1882) un vœu pour la suppression de la Coopérative de la Forge qui ruinait le petit commerce; un vœu demandant la suppression du budet des cultes et l'emploi du budget à la construction de maisons d'école et à l'alimentation de caisses scolaires; un vœu en faveur de la suppression de l'octroi, qui est, disait-il, un impôt par tête et qu'il conviendrait de remplacer par une taxe « proportionnelle à la fortune ».

Un peu plus tard (13 mai 1883), il demandait que la «Constitution fut revisitée dans le sens le plus démocratique, afin de faire cesser les craintes des républicains sincères et de mettre fin aux ambitions, aux espérances et aux tentatives réactionnaires des partis monarchiques».

A la même époque, le nom de place du Quatorze-Juillet était donné à la place du Marché. Tous ces actes, on le voit, étaient dictés par le plus pur républicanisme. Mais les difficultés naissaient dans le milieu ouvrier même. Après la grève, le groupe socialiste avait été dispersé. Dans le Conseil, quelques membres opportunistes, adroitement stylés par les adversaires, faisaient une opposition sourde. Un jour, l'achat d'un terrain, pour une construction communale, ne fut pas ratifiée par la majorité du Conseil. Les bons lieutenants étaient partis. Beylot, adjoint, était contraint d'aller chercher du travail à Paris. D'autres furent intimidés et, en 1884, à la veille des élections municipales, n'acceptèrent plus de figurer sur la liste socialiste. Les adversaires triomphaient grâce à leurs manœuvres d'enveloppement. Christophe Thivrier, un instant découragé, ne présenta pas de liste. Et les opportunistes, ne sentant plus de résistance, revinrent à la mairie avec Aujame à leur tête.

*
Le Parti Socialiste ne subit qu'une courte éclipse. L'excès même des mesures de rigueur prises par les opportunistes à la mairie fut mal jugé par la population. On ne comprit pas les révocations d'employés, le reins de constituer un tribunal des prud'hommes, et on s'étonna du verbiage des nouveaux élus dans les séances du Conseil. Ces séances étaient d'ailleurs d'un comique achevé. Les travailleurs y venaient assister avec Christophe Thivrier lui-même et la conversation s'engageait, coupée de lazzis, que l'autorité du maire Aujame - devenu député au scrutin de liste de 1885 - ne parvenait pas à réprimer.

Les opportunistes, qui étaient tout puissants en France, essayèrent de se venger, et de cette époque datent les premières tracasseries que la police et la régie firent subir à Thivrier. Il n'était pas de jour où le commissaire, les gendarmes, les «rats de caves» ne montent aux Remorêts. On procédait toutes les semaines au recensement de ses vins. On cherchait à exaspérer Christou, à provoquer un mouvement de colère. Il avait bien parfois un mot vif, mais il redevenait calme, haussait ses robustes épaules et partait, laissant les employés de la Régie en face des fûts, bondonnés à coups de maillet, dans la cave à moitié inondée. Et il riait de sa malicieuse vengeance.

Cependant, les amis sincères que comptait Christophe Thivrier s'indignaient contre tant de mesquines embûches dont le but purement politique n'échappait à personne. Les 4 années de la municipalité opportuniste ne traduisirent que l'impuissance et l'esprit de réaction sociale des adversaires du socialisme.
Le député en Blouse (à lire en ligne)

Sommaire du Député en Blouse d'Ernest Montusès :

Préface de Jean Jaurès. Page 3 - La jeunesse de Christophe Thivrier. Page 5 - La Marianne. Page 12 - Le Socialisme triomphe à Commentry. Page 17 - Christophe Thivrier traqué. Page 29 - La Campagne législative de 1889. Page 32 - Le Député en blouse. Page 39 - La blouse paraît à la tribune. Page 45 - L'Apostolat socialiste. Page 49 - La Réélection (1893). Page 57 - "Vive la Commune!". Page 59 - Vers la tombe. Page 63 - L'Hommage de la Presse européenne. Page 65


Source : Gallica-BNF - Editeur les Cahiers du Centre (5° série – mai-juin 1918)
à télécharger ou Lire ici !, & à consulter dans son édition de 1913 : Lire ici !


Le Cinquantenaire
de la première municipalité socialiste
de France et du monde


Le Populaire (Quotidien) - Le 04-10-1932

LE SOUVENIR DES ANCIENS, par Paul Faure (*)
J'ai appris, par la lettre d'Adler, dont Isidore Thivrier nous donna lecture dimanche, que la municipalité de Commentry fut la première conquise par les socialistes, non seulement en France, mais dans le monde. Il y a cinquante ans ! Depuis, nous avons fait quelques progrès en la matière. Nul ne s'étonne de voir des socialistes à la tête de l'administration des grandes Villes ou des communes rurales. Mais alors?

On a quelque peine à se figurer aujourd'hui le dépit et la colère que durent éprouver ces gros patrons industriels et ces hobereaux de campagne à mentalité féodale, installés en maîtres dans les mairies, quand de simples ouvriers et des culs-terreux s'avisèrent de leur opposer des listes de travailleurs et de vouloir les déloger de ce qui était considéré par eux comme une annexe de l'Usine ou du Château.

Un cordonnier, un mineur, un tisseur, un paysan, des illettrés, des ignorants, émettant la prétention de venir s'asseoir dans des fauteuils de maire! Chose incroyable dont on riait en même temps qu'on s'en indignait.

Christophe Thivrier fut donc le premier de cette lignée de prolétaires qui devaient trouver dans les luttes et les conquêtes municipales de nouveaux moyens de servir leur classe et le socialisme. Il ne s'en tira pas trop mal, si j'en juge par le respect, la reconnaissance et l'admiration voués à sa mémoire par toute la population de Commentry, qui reporte sur ses deux fils : Alphonse et Isidore - le premier maire, le second député - la confiance qu’elle avait dans le père.

Partout où le mouvement socialiste se manifesta, vers la même époque, on retrouve le souvenir d'admirables militants, hommes de rude trempe, dont les actes de chaque jour étaient marqués par le courage et le sacrifice. Partout... Mais l'Allier a été favorisé. Christophe Thivrier à Commentry, Jean Dormoy et Paul Constans à Montluçon, pour ne parler que des morts, étaient des entraîneurs et des animateurs de premier ordre.

Certes, les temps sont changés, les conditions de la lutte ne sont plus les mêmes, mais nos jeunes socialistes – et aussi ceux qui ne sont plus jeunes - peuvent puiser dans la vie tourmentée de ces hommes, de fécondes leçons et d'utiles exemples.

    (*) Paul Faure, né à Perrigueux en Dordogne et décédé à Paris (1878-1960) a été membre du Parti Ouvrier Français en 1901 avant de rejoindre la SFIO en 1905, il est devenu après le Congrès de Tours (décembre 1920), le Secrétaire Général de la SFIO (Internationale Ouvrière Socialiste), et  publiait chaque jour dans le Populaire un éditorial. Proche des idées de Jules Guesdes, après 1918, il se range dans le camp pacifiste. Il a signé des éditoriaux au moment de Munich et souhaitait que la question des Sudètes fut réglée «par les moyens pacifiques, c'est-à-dire dans un esprit de compréhension, de conciliation et de concession». Au sein de la SFIO, le dernier congrès avant la seconde guerre mondiale, Paul Faure et Léon Blum s'opposent sur deux motions, et les Fauristes perdent le congrès à 600 mandats près. Paul Faure ne pris aucune part aux députés partis pour Bordeaux qui avaient refusé les pleins pouvoir à Pétain et resta en région francilienne.

    Parmi ses partisans ou ce ceux que l'on nomma les Fauristes : "Une petite minorité joua certes un rôle actif dans la Résistance et rejoignit le Parti Socialiste clandestin. Mais un groupe plus important et plus voyant privilégia son engagement anticommuniste aux dépens de ses principes socialistes et dériva vers la Collaboration. Certains rejoignirent le régime de Vichy et P. Faure lui-même participa aux travaux du Conseil National (le Gouvernement de Vichy). (...). D'autres participèrent à la presse collaborationniste de gauche. F. Desphilippon et G. Albertini devinrent des dirigeants du R.N.P. Les maires de Puteaux et du Kremlin-Bicêtre, G. Barthélémy et G. Gérard, furent même assassinés à la Libération par les F.T.P".

Source : Persée - Castagnez-Ruggiu Noëlline, historienne. Le Pays Socialiste, par la Liberté, par la Paix : des socialistes pacifiques autour de Paul Faure. In Matériaux pour l'histoire de notre temps, n°30, 1993. S'engager pour la paix dans la France de l'entre-deux-guerres. pages 48 à 52.


Rajouté ou modifié, le 13 octobre 2017


LA BELLE MANIFESTATION DE COMMENTRY


Commentry, 3 octobre (Populaire).
- L'Allier et la France socialistes ont célébré dimanche Christophe Thivrier et le cinquantenaire de la première municipalité socialiste du monde. C'est par une splendide journée ensoleillée que se sont déroulées dimanche à Commentry les grandes fêtes du cinquantenaire de la conquête par la socialisme de la première municipalité.

A 9 heures, un premier hommage était rendu à Christophe Thivrier ; une délégation du Conseil municipal et de la Section commentryenne du Parti socialiste, à au cimetière déposer une gerbe sur le caveau où repose Christophe Thivrier et son fils Léon. Dès 10 heures, la place du 14-Juillet est noire de monde et, quand une demi-heure plus tard s'ébranle le cortège précédé des musiques jouant l'Internationale, puis des nombreux drapeaux et bannières rouges des groupements socialistes, c'est un long cortège de plusieurs milliers de personnes qui s'avance vers le monument dédié à, Christophe Thivrier que l'on va inaugurer.

A ce flot débordant qui s'écoule entre une haie compacte de population vient s'ajouter un peu plus tard le groupe imposant des Montluçonnais, précédé du drapeau rouge de la Section avec, à leur tête, Marx Dormoy, ses adjoints Villatte, Carrias, Geneste et tous les militants de la grande cité. Ils sont là près de 200. On peut évaluer à près de 10.000 personnes la foule qui se presse depuis l'hôtel de Ville jusqu'au monument, et si l'on n'avait pris la précaution d'installer des haut-parleurs il est certain que les discours n'auraient pu être entendus que d'une partie seulement de la foule immense.

Tout Commentry est là, mineurs, métallurgistes, commerçants, cultivateurs des environs, et aussi une bonne partie de la population des communes les plus proches; enfin, de nombreuses délégations, des centaines et des centaines de militants sont venus de tous les coins de l'Allier, du Puy-de-Dôme, de la Nièvre, de la Creuse et du Cher. On peut dire que l'hommage rendu à Christophe Thivrier ne fut pas celui de Commentry seul, mais bien de toute la région socialiste du Centre.

Un buste, fort ressemblant du vieux Christou, dû au ciseau du maître sculpteur Desruelles, s'élève sur une stèle d'un art sobre, appuyée d'un banc de pierre au milieu d'un petit square bordé d'un entourage de pierre et de bronze du plus artistique effet, où fleurissent les bouquets verts et rouges de la sauge. Quand le voile rouge qui le voilait est tombé Christou apparaît, la belle tête digne et fière bleu campée sur la blouse historique.

L'inauguration du monument


Les discours commencent par celui de Poggioli, maire du Bourget, qui parle au nom de la Fédération des municipalités socialistes de France et fait remise à la population ouvrière de Commentry du monument élevé grâce à une souscription à laquelle les municipalités socialistes de toute la France ont tenu à participer.

Puis c’est notre ami Beaumont adjoint au maire de Commentry qui, à la place d'Alphonse Thivrier, légèrement souffrant, remercie. « Si nous sommes restés fidèles depuis un demi-siècle au socialisme dit-il, c'est à Christophe Thivrier que nous le devons».

Buste de Thivrier à Commentry, Allier



Le groupe socialiste du parlement avait délégué pour parler en son nom le citoyen Rivière député de la Creuse. Après un mot à la mémoire de Mme Thivrier la fidèle compagne de Christou qui vient de s'éteindre tout récemment à 90 ans, Rivière retrace la vie de dévouement et de propagande de Christophe Thivrier. Les «Marianneux» et les persécutions administratives et policières et la conquête de l'Hôtel de ville et la carrière du député à la blouse sont évoqués tour à tour devant la foule émue et attentive où se trouvaient tous les vieux, ceux qui ont vécu aux côtés de Christou ces époques de lutte dont nos jeunes ont  peine à s'imaginer l'héroïsme.

C'est enfin Léon Jouhaux qui dit : - «Il nous faudra beaucoup d'énergie, de l'énergie réfléchie! Il faut que l'union ne se réalise pas seulement dans la dépendance de nos personnalités mais que demain les discours à. la tribune de la Chambre soient des réalités bienfaisantes, expression des désirs des syndicats, capables d'entraîner derrière eux les cohortes Vivantes des sympathisants. C'est peut-être dans le cadre de la commune qu'il est le plus facile de la réaliser car par tradition les corporations ne jouent-elles pas un grand rôle dans les communes. La commune est la cellule indispensable de la vie nationale et internationale. Ainsi nous réaliserons vraiment l'union indispensable pour vaincre les dures difficultés de l'heure ».

Puis l'Internationale éclate et les cortèges s'ébranlent vers l'Hôtel de ville.


Le banquet

Les adhésions au banquet avaient afflué à un tel point qu'il avait vite fallu renoncer à dresser les tables sous le marché couvert. Un immense hall en bois avait été dressé devant l'Hôtel de ville où un millier de couverts étaient alignés, il y avait en effet mille cartes de retenues mais ce chiffre s'est trouvé dépassé, car de nombreux militants sont venus s'ajouter au dernier moment. De ce fait le service s'est trouvé débordé, il a fallu dresser des tables supplémentaires.

Des haut-parleurs ont été installés dans toute la ville et tout Commentry a pu entendre admirablement les discours prononcés. A 5 heures à tous les coins de rues, devant les cafés, le long des trottoirs là foule est demeurée pour écouter. La présidence d'honneur du banquet a été dévolue aux deux fils de l'homme que toute une population honore aujourd'hui, Alphonse Thivrier maire de Commentry et Isidore Thivrier, député de la circonscription.

Autour d'eux on remarque notamment les citoyens Boudet Rives, S. Dormoy, Camille Planche, députés de l'Allier, Alexandre Varenne, Paulin et Andraud, députés du Puy-de-Dôme, Laudier, sénateur/maire de Bourges, Cochet et Castagne, .députés du Cher, Rivière, député : de la Creuse, Renaudel, député du Var, Fieu, député-maire de Carmaux, Déat, député de Paris, Jardillier, député de Dijon, Poggioli, maire du Bourget, secrétaire de la Fédération des municipalités socialistes de France, Théo Bretin, ancien député de Saône-et-Loire, Bontemps, vice-président du Conseil général de l'Allier, Jouhaux, secrétaire général de la C. G.T., Bard, secrétaire adjoint de la Fédération du sous-sol, Guillon, Chaulier, Burlot, Roux-Berger, docteur Trapenard, de Vandegre, Charlet, Bacquier, Diot, Flouzat, conseillers généraux, Graziani, député de Paris, Paul Faure, secrétaire général du Parti socialiste, Laville, député de Saône-et-Loire, Van Roosbroeck, délégué belge. Liebermanu, délégué polonais de l'Internationale, Dumazet, ancien maire et conseiller d'arrondissement de Commentry, Chaussy, député de Seine-et-Marne, Cotte, de la Fédération des Jeunesses Socialistes, de nombreux maires des communes environnantes, nos amis Marius Viple, chef de cabinet de M. Butler, directeur du bureau International du Travail et Louis Perceau.

Les militants ouvriers sont aussi très nombreux: Lamoine, des mineurs de Noyant, délégué au Conseil national de la fédération du sous-sol, les délégués des Bourses du Travail de Commentry et de Montluçon, les délégués des syndicats de toutes les corporations de Montluçon, Vichy, Saint-Germain-des-Fossés, Moulins, etc.

Isidore Thivrier donne ensuite lecture des innombrables télégrammes de félicitations et de sympathie qui sont parvenus du monde entier. Ces messages émanent notamment de Friedrich Adler, secrétaire général de l'I.O.S. (Internationale Ouvrière Socialiste) du Conseil général du Parti ouvrier belge, du président du Parti socialiste polonais, du président du groupe des conseillers de la ville d'Helsinki (Finlande), du comité social-démocrate de Lettonie, du Parti socialiste bulgare, de Crispien au nom de la sociale démocratie allemande, etc., etc...

Des discours célébrant la mémoire de Christou ont ensuite été prononcés par Isidore Thivrier, Marx Dormoy, Cotte, au nom des Jeunesses Socialistes de l'Allier; Fieu, député-maire de Carmaux; Poggioli, au nom des municipalités socialistes; René Bard, secrétaire adjoint de !a Fédération du sous-sol; Marcel Déat (Note : collaborateur pendant la seconde guerre mondiale), Alexandre Varenne. Renaudel, Paul Faure, Liebermann, délégué de l'Internationale.

Cette manifestation du souvenir laissera une profonde impression chez tous ceux qui y ont participé.

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Note : Antonin Poggioli, maire du Bourget de 1925 jusqu'en 1944, secrétaire de la Fédération nationale des municipalités socialistes (collabora sous Pétain) et Marx Dormoy (1888-1941), député de l'Allier et maire de Montluçon (fils de Jean Dormoy). Il sera assassiné pour sa fidélité à ses engagements. Il a aussi été ministre de l'intérieur de 1936 à 1938 et la ville de Montluçon a dressé une statue à sa mémoire en 1945.


La Vie Socialiste 
32, rue Rodier, Paris (9ème)

SOMMAIRE du N° 299 du 1er octobre 1932.

Pour le cinquantenaire de la première municipalité socialiste: "En l'honneur de l'action municipale du socialisme, par Pierre Renaudel; L'action municipale, la Classe ouvrière et l'économie collective, par Edgard Milhaud; Christophe Thivrier, premier maire socialiste de France, par Robert Bobin. Essai de la synthèse doctrinale et pratique de l'action municipale du socialisme. I. Un discours d'Edouard Vaillant; II. Une page de Jean Jaurès; III. L'exploitation des services publics en régie directe lndustrialisée, par Maurice Bertre; IV. Comment une municipalité socialiste peut résoudre les problèmes de l'enfance, par Charles Auray; V.Souvenirs et documents sur l'action du Parti socialiste à l'égard des municipalités.

Nous appelons l'attention des camarades qui s'intéressent aux questions municipales sur ce numéro qu'ils pourront se procurer en nous adressant 1 franc en timbres-poste

Annexe : Documents sur la famile du député Thivrier


In le Grand Dictionnaire Socialiste - Compère Morel -  1924
Thivrier (Alphonse) fils de Christou a été maire de Commentry de 1919 à 1936, le théâtre de la ville porte son nom dans la rue Léon (Martial) Thivrier (1871-1920), qui fut médecin et militant socialiste, un des trois frères.

Son frère Isidore, Joseph de 1936 à 1943 fut maire de Commentry, ce dernier a été aussi député SFIO de l'Allier de 1924 à 1940 dans la circonscription de Montluçon. "De 1933 à 1936, Isidore Thivrier avait été président du Conseil général. Après la mort de son frère aîné, Alphonse, en décembre 1936, il devint conseiller municipal et maire de Commentry. Secrétaire de la fédération socialiste de l'Allier de 1937 à 1939, il accueillit chez lui Léon Blum aux jours tragiques de 1940 et vota, le 10 juillet, contre la délégation des pouvoirs au maréchal Pétain". Suite à une dénonciation il fut arrêté par la gestapo en 1943 et déporté en Alsace au camp de concentration de Natzweiler-Struthof, où il décéda de la tuberculose en mai 1944.



Photo de la famille Thivrier

Source : Gallica-Bnf - Lire ou télécharger ici !
Journal et revue hebdomadaire de propagande
socialiste et internationaliste
- Parti socialiste SFIO.
 Léon Blum, directeur politique.

La blouse de Monsieur Thivrier



Christophe Thivrier en blouse sur son costume...


In - Le courrier de Paris (supplément du dimanche) du 02-11-1889
Nous avions la veste bretonne de M. le sénateur Soubigou. Nous aurons comme pendant la blouse de M. le député Thivrier. Ce vêtement mérite une étude philosophique. Dans la Constituante, il y avait aussi des députés ouvriers en blouse. C'est, même là le résultat le plus clair de la révolution de 1848. Ils étaient décoratifs et inoffensifs.

Il y avait même un ouvrier dans le gouvernement provisoire (sic). Il se nommait Albert, et il vit encore quelque part; il n'était pas en blouse, mais il représentait tout de même un ouvrier mécanicien. Il s'était endimanché pour succéder à Louis XIV. On s'endimancherait à moins.

Cet Albert savait vivre. Je voyais l'autre jour, chez un marchand de gravures du quai Malaquais, dans l'ombre de l'Institut, une grande lithographie de 1848 représentant les membres du gouvernement provisoire. Tous ont l'air inspiré et regardent le ciel, même le bon Marie, qui pourtant semble plus terrestre que ses collègues.

M. de Lamartine ne s'y distingue que par un lyrisme particulier. Albert, en moustaches, cravate flottante, représente le mécanicien sentimental. Voilà qui est bien, mais il reste à savoir ce que les ouvriers ont gagné à ce qu'il y ait des ouvriers dans le Parlement et même dans le gouvernement.

Mais revenons à la blouse de M. Thivrier.


M. Thivrier, que Montluçon a envoyé à la Chambre, y viendra en blouse. Il l'a annoncé lui-même. Il donne pour raison que ses électeurs ne veulent pas qu'il se déguise. «Ils m'ont donné mandat, dit-il, d'assister à la séance d'ouverture endimanché » comme à l'ordinaire, c'est-à-dire la blouse par-dessus le paletot
»

Ce qui est en somme assez cossu. Et, pour peu que la blouse, d'un beau bleu et brodée de blanc à l'encolure, s'entre ouvre pour laisser voir du beau linge, le gars pourra même paraître assez faraud (*). Avec un parapluie rouge et un bolivard à long poil en plus, on est invisible.

M. Thivrier aura, j'en suis sûr, très bonne mine en paletot et en blouse. Mais il nous prévient qu'il renoncera aux sabots.

« Pour la circonstance dit-il formellement, je quitterai mes sabots de paysan et je tâcherai d'endurer des bottines, mais je, ne promets pas qu'elles seront à bouts pointus».

Eh! eh! pour un paysan, M. Thivrier, tout blousard qu'il est, tout blousard qu'il veut rester, s'entend aux élégances et même aux caprices de la mode, et parlé de bouts pointus comme s'il se fournissait chez le meilleur bottier de Paris.

Il renonce aux sabots et il fait sagement, car le sol du Palais-Bourbon n'a pas la fécondité grasse du sillon ou germe le blé, et les routes qui conduisent aux antichambres des ministres ne sont pas défoncées par des charrois de fourrage. Ce sont d'assez vilains chemins, mais où l'on se crotte moins les pieds que le coeur.

M. Thivrier sait vivre. Non seulement il se dessabotte au besoin, mais encore il se déblouse à l'occasion. Il l'affirme :


«Je quitterai certainement, de temps à autre, ma blouse. Mais quant à porter un habit «à queue de morue, il n'y faut pas songer». N'y songeons donc plus, mon cher monsieur Thivrier, n'y songeons plus! On se résignerait difficilement à ne plus voir Mme N... et la comtesse V... en toilette de soirée. Nous en avons pris la douce habitude, et le dîner nous semblerait moins bon si nous ne voyions plus ces belles épaules, lunes éclatantes des nuits parisiennes, qui sortent du corsage comme d'une nuée obscure. Mais c'est avec une résignation facile que nous renonçons à voir M. Thivrier en habit noir ou rouge, une fleur de gardénia à la boutonnière, dans les coulisses de l'Opéra, en compagnie de M. Clemenceau, vers onze heures du soir. N'y songeons plus, n'y songeons plus!

Au fond, si M. Thivrier garde sa blouse, c'est pour ne rien changer à sa personne, qui est sympathique. Il est Thivrier et veut rester Thivrier des pieds à la tête. Il veut qu'on le reconnaisse et que, si quelque Montluçonnais vient d'aventure au Palais-Bourbon, il s'écrie du plus loin qu'il verra Thivrier: «Eh! bonté du ciel! voilà Thivrier!» L'élu de Montluçon ne se cache pas.

Écoutez ses propres paroles :

« Pendant la période électorale, c'est dans mon costume habituel que je prenais la parole dans les réunions. Il m'est arrivé quelquefois de retirer ma blouse et de la laisser dans la carriole, Lés électeurs, qui n'étaient pas habitués à me voir en paletot, réclamèrent et me dirent : «- Ce n'est plus, notre Christon. Qu'il remette sa blouse!»

Et il faut rester leur Christon, la popularité est à ce prix. Rester Christon, c'est le rêve! Mais qu'il est difficile d'en faire une réalité! Il n'est blouse qui tienne. On a des envieux; on fait des mécontents; on s'use, on déplaît, et l'on n'est plus Christon. L'Assemblée nationale de 1789 avait son Thivrier. Il se nommait Gérard et était député du tiers de la sénéchaussée de Rennes.

Le père Gérard, comme on le nommait à l'Assemblée, était un riche cultivateur, estimé dans son canton. II conserva toujours son habit de paysan. Vous avez vu, dans le pavillon des Beaux-Arts, son portrait peint par David. C'est un chef-d'oeuvre accompli. Le père Gérard y figure en manches de chemise, comme on dit, la poitrine nue sous la chemise ouverte. Il est entouré de sa famille. Ses fils et ses filles sont des messieurs et des demoiselles qui chantent et jouent du clavecin. Le bonhomme a l'air assez finaud. Il dut sa célébrité à son habit. Au reste, il n'était pas une bête.

A l'assemblée, un de ses collègues lui ayant demandé : «Eh bien, père Gérard, que pensez-vous de tout ceci? - Je pense, répondit le cultivateur, qu'il y a beaucoup de coquins parmi nous». Quand le père Gérard disait une sottise, ce qui lui arrivait comme à tout autre député,son habit le sauvait. Quand il raisonnait bien, on lui en savait plus de gré, le voyant en laboureur.

Et comme Thivrier veut rester Thivrier, le père Gérard resta le père Gérard. Rentré dans son bourg de Montgermon, il y rapporta sa veste de laboureur, sans taches, comme il disait. Il méprisait cordialement les gens de loi, ses collègues à l'Assemblée. Et il eût été peu flatté de se vêtir en noir comme un procureur.

« Ces petits avocats et ces petits praticiens qui croient tout savoir, disait-il, ne possèdent pas un pouce de terrain sous le soleil
». Ainsi sa pensée était qu'un laboureur est seul capable de faire des lois. Il y avait de l'orgueil dans la veste de bure du bonhomme. Quand on y songe, garder, dans la vie publique, comme autrefois le père Gérard, comme de nos jours M. le sénateur Soubigou, comme M. Thivrier, le costume rustique et professionnel, c'est s'efforcer, par un signe extérieur, de maintenir la distinction des classes. M. Soubigou ne s'y trompe pas. C'est par le sentiment raisonné d'un retour à l'ancien régime que M. Soubigou garde dans le Sénat républicain son chapeau rond et sa veste de chouan. Il est royaliste et porte le costume de ses pères; il est attaché aux vieilles moeurs et porte le costume du paysan, pour protester contre la fusion des classes et la suprématie du bourgeois. C'est un Breton de la vieille roche.

M. Thivrier a-t-il d'autres bonnes raisons de porter sa blouse au milieu des redingotes inélégantes des parlementaires? L'égalité moderne, l'égalité dans la médiocrité, a pour symbole, non la blouse, mais la jaquette achetée au décrochez-moi-ça par le politicien pauvre. Tout le reste est distinction, singularité, sorte de dandysme.

Notes :


Le député Thivrier surnommé Christon dans ce texte l'était normalement sous l'appelation de "Christou"... erreur ou pas ou effet de style... il s'agit d'un article sorti avant son intervention en blouse devant l'Assemblée, il fut aussi expulsé pour avoir crié "Vive la Commune!". Il fit ses premiers pas à la chambre des députés en octobre 1889, son second mandat s'acheva en 1895.

(*) Personne (en particulier homme) qui affiche des prétentions à l'élégance.

Source : Gallica-BNF (Cliquez ici !)
L'Univers Illustré (journal hebdomadaire)
N° 1806 - Page 691- du 02-11-1889

Intervention du député Christophe Thivrier, de l'Allier


Illustration des députés

Assemblée Nationale, le 10 mai 1890

Extraits du Journal officiel de la République française

(...) QUESTION ADRESSÉS à M. LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR

M. le président. J'ai attendu que M. le ministre de l'intérieur fût présent pour lui faire connaître que M. Thivrier demandait à lui adresser une question sur la grève de Commentry.

M. le ministre de l'intérieur accepte-t-il cette question?

M. Constans, ministre de l'intérieur. Oui, monsieur le président, je suis prêt à y répondre.

M. le président. En conséquence, je donne la parole à M. Thivrier. (Mouvements divers.)

M. Thivrier. Messieurs.

Un membre à gauche. Dites : citoyens ! M. Noël Parfait. Allez! allez! et ne vous blousez pas! (On rit)

M. Thivrier. Messieurs et citoyens, - puisque l'un de nos honorables collègues l'exige (Sourires), - j'ai demandé à poser une question à M. le ministre de l'intérieur relativement à l'intervention de l'armée dans la grève des métallurgistes de Commentry. Les ouvriers en grève ont pour eux toute la population et surtout les commerçants. (Mouvements divers.) Je ferai remarquer d'autre part que c'est contre la volonté du conseil municipal et du maire, qui a cependant la responsabilité de l'ordre dans la commune, que la gendarmerie et un escadron du 10ème chasseurs sont intervenus, sur la demande expresse de la compagnie, c'est-à-dire sur la demande d'actionnaires étrangers à la commune. (Exclamations et rires) J'ai à protester, au nom des commerçants, des ouvriers, des représentants légaux de la commune, contre les provocations de la force armée. (Vives réclamations à droite et au centre. - Applaudissements sur quelques bancs à l’extrême gauche.) C'est la vérité, messieurs! (Nouvelles réclamations à droite et au centre)

M. le président. Veuillez écouter, messieurs (1) M. le ministre de l'intérieur répondra dans un instant.

M. Thivrier. Oui, j'ai à protester au nom des commerçants, des ouvriers et des représentants légaux de la commune, contre les provocations des soldats logés à la forge, nourris par la compagnie, et devenus ainsi les soldats de cette compagnie. (Applaudissements sur quelques bancs à l’extrême gauche.)

Un membre à gauche. Respectez l'armée, au moins !

M. Thivrier. Je respecte tout le monde.

M. le président. Veuillez, messieurs, respecter l'orateur.

M. Thivrier. Respectez ma blouse, si vous ne voulez pas respecter ma personne. (Bruit.)

M. Leygues. Personne ne se moque ni de M. Thivrier ni de sa blouse : OR respecte l'un comme l'autre. Voix à gauche. Vous feriez bien de la quitter, votre blouse!

M. Armand Després. Vous savez bien, monsieur Thivrier, que les ouvriers ne portent plus la blouse.

M. Thivrier. On a chargé une foule inoffensive, les chevaux sont montés sur les trottoirs. (Bruyantes exclamations et rires à droite) blessant des femmes et des enfants (Mouvements divers) et détériorant les propriétés. C'est ainsi que les seuls dégâts commis jusqu'à présent l'ont été par la troupe, qui a cassé pour 51 francs de carreaux. (Vive hilarité) Il n'y a pas de centimes ! (Nouveaux rires) J'ai entre les mains la protestation des commerçants lésés et la note qu'ils ont adressée à la municipalité et que je retourne, moi, à M. le ministre de l'intérieur, seul responsable des dégâts commis par la troupe que nous n'avons pas demandée (Sourires), et que nous sommes obligés de subir.

Voici la lettre que les victimes adressent au maire de Commentry :

« Commentry, le 5 mai 1890.


« Monsieur le maire de la ville de Commentry, Les soussignés,  commerçants de la place Martenot, ont l'honneur de porter à votre connaissance les faits suivants : « A la suite d'une charge de cavalerie exécutée par les chasseurs, il a été commis quelques dégâts à notre préjudice, dont la note détaillée est jointe à la présente. Cette charge que nous n'avons pas qualité pour apprécier a été poussée jusque sur nos trottoirs dont nous sommes les propriétaires. »

M. Chaulin-Servinière. Ils ne sont pas propriétaires des trottoirs!

M. Thivrier. … « et qui étaient occupés au moment où elle fut poussée par une foule sympathique et calme qui n'a jamais songé à provoquer le désordre et qui a cassé nos vitres que poussée violemment par la troupe. C'est pourquoi, monsieur le maire nous vous adressons, avec notre petite  ci-jointe ». (Rires)  Chez nous, messieurs, il n'y a pas de millionnaire, et nous demandons aussi les 51 francs que vous pouvez demander, vous; 200 millions. (Bruit.) « C'est pourquoi, monsieur le maire vous adressons, avec notre petite note sont jointe, nos vifs regrets des faits qui se sont passés et dont nous sommes les victimes et non les auteurs, et vous prions en temps d'être notre interprète pour faire rendre justice».

Un membre à droite. Et l'argent. (On rit)

M. Thivrier. Suivent les signatures légalisées. J'ai également l'honneur de porter à votre connaissance une pétition des commerçants de Commentry pour le retrait du 3ème escadron et des gendarmes étrangers à la localité.

Pétition des commerçants de Commentry pour le retrait du 3e escadron de chasseurs et des brigades de gendarmerie étrangères à la localité : «Les soussignés, commerçants de Commentry, Considérant que l'ordre n'a été troublé que depuis l'arrivée des troupes, et par elles seules. Et confiants dans la municipalité pour maintenir la tranquillité publique, Demandent le retrait du 3° escadron des chasseurs et des brigades de gendarmerie étrangères à la localité». Suivent les signatures.

Un membre à gauche. Combien y en a-t-il ?

M. Thivrier. Quatre-vingts et quelques.

Le Provost de Launay. Il contait sur le maire de Commentry comme on a compté jadis sur celui de Decazeville!

M. Thivrier.
Vous dites, mon cher collègue?

Le Provost de Launay. Je dis qu’à Decazeville on avait compté sur le maire et cela n'a pas réussi aux ingénieurs. (Bruit à gauche)

M. Thivrier. Voici d'autre part une protestation du maire de Commentry, dont  je vais vous donner également lecture :
«Commentry, 7 mai 1890

«Monsieur le député, J'ai l'honneur de vous confirmer ma dépêche de ce jour, relative aux incidents provoqués par les officiers qui favorisent l'administration des forges par les provocations et cherchent par les provocations les plus insensées… » (Vives réclamations à droite et au centre) Messieurs, nous avons des pièces à l’appui : « A provoquer le public, qui regarde avec calme et ne vient sur la place Martinot que pour voir manoeuvrer les soldats…». (Nouvelles réclamations.)

M. le président. M. le ministre répondra, messieurs, vous pouvez être tranquilles.

M. Thivrier. « malgré mes recommandations et mes défenses les gendarmes et les chasseurs brutalisent les femmes et font monter les chevaux sur les trottoirs (On rit) La population si calme de Commentry est indignée de ces provocations  et il est certain que cette manière de la brutaliser ne pourra qu’occasionner des désordres. Vous vous avez été à même de constater…». (Non! non! au centre) «C’est à moi que le maire parle». (Rires) « … que lundi le capitaine de chasseurs cheveux et barbe rouges » (Nouveaux rires) ainsi que le maréchal des logis du même corps, étaient dans un état d’ivresse qui fut remarqué par le public (Vives protestations) Ce sont ces deux messieurs qui chargèrent la foule et occasionnèrent les dégâts dont je vous adresse les détails. La note des dégâts s’élève à 51 francs. (Rires) En outre, les commerçants du quartier ont adressé une pétition que je vous envoie. (suivi de la liste des commerçants de la place). La gendarmerie empêche le public de séjourner sur les trottoirs et les brutalise les femmes, car s’est poussée par la curiosité qu’elles viennent aux abords de la place.

Un membre du centre. Elles n’ont qu’à rester chez elles!

M. Thivrier. « Cependant les ouvriers et employés de la forge, au nombre de plus de cent séjournent devant le portail et encombrent la rue de l’industrie qui est ainsi obstruée. J’en fis la remarque au capitaine commandant de la gendarmerie et lui demandait pourquoi il tolérait cet encombrement. Il refusa de les inviter à rentrer, malgré la population. (Bruit) On tient, paraît-il, à cette exhibition, et, malgré, mes avis, les officiers ne voulurent pas les faire circuler ou rentrer dans la forge. Cette situation devient intolérable et je partage l’indignation des commerçants et des travailleurs. Notre pays paraît véritablement en état de siège. On ne cesse de violer des lois et je ne suis pas le maître de la place publique, quoi que, maître et responsable. Les lois du 10-04-1831 et du 5-04-1884 restent lettre morte pour la gendarmerie et les chasseurs. Je vous prie d’en référer à M. le ministre pour qu’il fasse cesser cet état des choses. Veuillez agréer M. le député, l’assurance de ma considération, Le Maire, Faure ».  (…)

(...) M. Constans, ministre de l'intérieur. J'ai à peine besoin de dire à la Chambre que l'incident qui a fait l'objet de la question de l'honorable M. Thivrier n'a pas de gravité. M. Thivrier a apporté un certain nombre de protestations à la tribune, mais vous avez tous pu remarquer qu'il l'a fait avec une gaieté qui exclut toute idée tragique. (Vifs applaudissements et rires sur un grand nombre de bancs). Je répondrai donc en très peu de mots. Comme il s'agit d'événements qui ne se sont pas déroulés devant nos yeux, mais que l'honorable M. Thivrier avait bien voulu me signaler avant-hier, vers cinq heures, j'ai télégraphié à M. le préfet de l'Allier, qui est un fonctionnaire fort vigilant, d'un caractère bienveillant, bien connu ici des députés des Bouches-du-Rhône, qui l'ont eu, il y a quelques années, comme sous-préfet à Arles, où il a laissé les meilleurs souvenirs. Voici le télégramme que M. Vincent, préfet de l'Allier, m'expédie de Montluçon, et, chose singulière, c'est après avoir eu une longue conversation avec M. le maire de Commentry, dont on lisait tout à l'heure les protestations à cette tribune, que M. le préfet de l'Allier m'adresse cette dépêche. Je vais la lire, en vous priant, messieurs, d'en excuser la forme télégraphique; c'est la meilleure, la seule réponse que je puisse faire à M. Thivrier :

Préfet de l'Allier à ministre de l'intérieur, à Paris.

« J'arrive de Commentry, où le maire m'a entretenu des incidents qui font l'objet de la protestation dont vous me communiquez le texte. Avant-hier, à six heures du soir, au moment de la sortie des ateliers, une foule compacte avait envahi la principale rue aboutissant à la forge. Commandant gendarmerie donna l'ordre faire circuler. Foule s'étant massée sur trottoirs, des cavaliers, au pas, les ont dégagés. Un cheval cassa deux vitres d'une devanture. Depuis, pour éviter nécessité recourir mêmes moyens dans les rues aboutissant à la forge, la circulation est constamment maintenue libre sur longueur de 100 à 150 mètres, et il n'y a pas eu ni attroupement, ni incident. Quant à l'attitude des officiers de gendarmerie, elle n'a, à aucun moment, été provocante. Le capitaine Morionnet et le capitaine Eymon, qui sont en permanence à Commentry, sont deux officiers excellents, très fermes, mais très prudents. Capitaine, commandant l'escadron de chasseurs est également un homme d'expérience et sur la prudence de qui on peut compter. La protestation qui vous a été adressée est donc absolument exagérée et erronée. Les meneurs de la grève voudraient obtenir le départ de gendarmerie et chasseurs; mais je ne suis pas disposé à l'ordonner, car, sans leur présence, nous aurions déjà eu des incidents graves à déplorer». (Très bien! très bien!) Je suis heureux, messieurs, que vous approuviez le langage de M. le préfet de l'Allier. Je lui donne, quant à moi, toute mon approbation, et ce soir, en lui transmettant et l'opinion de la Chambre et la mienne.

M. Camille Pelletan. Pas de toute la Chambre !

M. le ministre de l'intérieur. Je parle de la majorité.

M. Camille Pelletan. Comment! vous comptez sur des manifestations orales?

M. le ministre. Je comptais sur les manifestations orales qui se sont produites, monsieur Pelletan; mais je ne comptais pas, je l'avoue, sur la vôtre. (Rires et applaudissements).

M. Camille Pelletan. Monsieur le ministre, je vous remercie, mais vous altérez quelque peu le sens de l'observation que je vous ai faite. Je demandais si vous aviez un compteur particulier pour juger les manifestations orales.

M. Le Provost de Launay. Il suffit d'un peu de coup d'œil!

M. le ministre. Je termine, messieurs, en quelques mots. J'estime que M. le préfet de l'Allier a bien agi, et je lui en exprimerai toute ma satisfaction en y joignant celle de la Chambre, si elle veut bien la manifester à nouveau par son vote. (Nouveaux applaudissements.)

M. Antide Boyer. Je demande à transformer la question en interpellation.

M. le président. La parole est d'abord à l'auteur de la question.

M. Thivrier. Je regrette sensiblement d'être obligé de dire à M. le ministre que l'eau de la fontaine dans laquelle il a puisé ses renseignements doit être légèrement trouble, car enfin personne n'a daigné prévenir le maire que la troupe et la gendarmerie allaient venir à Commentry. Qui est-ce qui a fait venir à Commentry l'armée et les brigades de gendarmerie étrangères à la localité?

M. Baudin. La compagnie, comme toujours !

M. Thivrier. si ce n'est les administrateurs de la compagnie industrielle qui sont allés à la préfecture les demander eux-mêmes au préfet! Le préfet a accédé à la demande de cette administration; et actuellement, ce qui justifie bien mes dires, les gendarmes et les chasseurs sont logés dans l'intérieur de l'usine, les officiers vivent à la table des directeurs, et ce sont les directeurs qui commandent l'armée sur la place de Cornmentry. Voilà la vérité!

M. le vicomte de Montfort. C'est l'application de la loi sur les réquisitions.

M. Thivrier. Je tiens à vous fixer vousmêmes. J'ai entre les mains un journal gouvernemental, la Démocratie du Centre, une feuille que vous connaissez (Non ! non 1) qui jouit même de la réputation d'émarger aux fonds secrets. (Oh! oh!) Voici ce que dit ce journal : « On ne s'entretient, en ville, que de l'attitude agressive, dit-on, de la troupe et de la gendarmerie vis-à-vis de la foule. Dans chaque café, dans chaque maison, on cite un excès de zèle de la part ou d'un gendarme ou d'un chasseur, ou d'un officier de ces différentes armes. Malheureusement, je n'ai pu être le témoin des diverses scènes qui se sont produites et je ne puis que rapporter les faits qui me sont signalés de tous les côtés. » (Exclamations et rires.) Vous trouvez que ce n'est pas suffisant?

Sur divers bancs. Non ! non !

M. Thivrier. Je continue. « On sait qu'à l'heure de l'entrée et de la sortie des ouvriers qui ont repris leur travail, la troupe et la gendarmerie font circuler la foule autour des portes de la forge, dans un rayon de 150 mètres. Or, il paraît que la circulation ne s'effectue pas également pour tout le monde et que, tandis que, les grévistes et les commerçants sont invités à ne pas encombrer la place Martenot et les rues avoisinantes, tous les employés de la forge, les contremaîtres, le directeur et l'agent général de la compagnie peuvent librement stationner dans les endroits précités, le temps qu'il leur plaît, sans être le moins du monde inquiétés, et avec un air de défi, de provocation lui ne laisse pas que de causer une certaine agitation parmi la foule». (Rires et bruit) Messieurs, je n'ai jamais déchiré mes fonds de culotte sur les bancs des lycées. (Rumeurs.) A l'âge de douze ans, j'étais dans l'intérieur des puits de mines, et, en conséquence, je crois avoir droit à votre indulgence. Si vous avez été à l'école, vous n'avez pas le droit de vous moquer de moi parce que je ne suis pas bachelier. Vous n'avez pas à vous plaindre que je ne vous envoie pas des fleurs de rhétorique.

M. le président. Mon cher collègue, vous abusez un peu des lectures. (On rit.)

M. Thivrier. Pardon ! monsieur le président.

M. le président. Au lieu de répondre sommairement à M. le ministre, vous discutez au moyen d'articles de journaux.

M. Thivrier. « On conçoit aisément que, si la circulation doit exister pour les un s aux abords de la forge, il ne doit pas y avoir d'exception pour les autres. Une mesure en faveur de la compagnie ou de ses employés ne peut être qu'une provocation à l'adresse des grévistes. On en est arrivé à considérer ici M. Dumas - c'est le directeur de l'usine - comme le lieutenant-colonel chargé de commander la garnison de Commentry, ce qui lui serait d'autant plus facile que la plupart des officiers de chasseurs ou de gendarmerie prendraient leurs repas à sa table et que, par suite, les ordres ne seraient pas difficiles à transmettre. Je répète que je tiens les faits de nombre de personnes qui m'ont instamment prié de les signaler, ce que je m'empresse de faire sans parti pris ni pour les uns ni pour les autres. On rapporte également l'injonction faite à un cafetier de la place Martenot d'avoir à tenir son établissement fermé pour qu'il ne soit pas possible aux consommateurs de se rendre compte des faits qui pourraient se produire à l'entrée de la loge. »

Voix nombreuses. Assez! assez! (Bruit)

M. Thivrier. J'ai fini, messieurs, ne vous impatientez pas!


M. le président. C'est le règlement qui s'impatiente. Le règlement vous prescrit de vous expliquer sommairement. (On rit.)

M. Michou. On ne doit pas lire de journaux à la tribune.

M. Thivrier.
« Le cafetier aurait répondu qu'il payait patente et qu'on ne pouvait, sans lui causer de graves préjudices, l'obliger à fermer ses portes. Il y a, dans tout cela, des abus qu'il conviendrait nécessairement de réprimer, attendu qu'au point où en est arrivée la grève, il pourrait en résulter des troubles importants auxquels il sera trop tard de songer lorsqu'ils se seront manifestés. »

Sur plusieurs bancs. Assez! assez!

M. Thivrier. J'ai fini.


M. le président. Un peu de silence, messieurs, l'orateur va terminer.

M. Thivrier.
« Il est une chose que je regrette d'avoir à constater, mais que je dois néanmoins faire connaître, attendu que j'ai pu m'en rendre compte moi-même, c'est que les troubles n'ont jamais tant menacé d'éclater que depuis l'arrivée de la troupe et des gendarmes. » C'est donc la gendarmerie et l'armée qui provoquent. Quand nous n'en avions pas, nous étions en paix, et actuellement ces messieurs de l'industrie trouvent moyen d'exaspérer la population. Ce qu'il leur faut, ce sont des victimes. Les chevaux, chargeant jusque sur 18 trottoirs, écrasent la foule. On espère ainsi faire nombre de captures pour les expédier aussitôt au poste de Montluçon, terroriser ainsi les travailleurs et les obliger à reprendre leur travail. On a fait servir l'armée pour défendre les chefs de l'industrie de Commentry et non pour protéger les grévistes et la population ouvrière. (Bruit)

M. Armand Després. Et maintenant, monsieur Thivrier, vous pouvez ôter votre blouse !

M. le président. L'incident est clos. (...)

Source :  Compte rendu in-extenso J.O de la République,
Débats parlementaires, pages 754 à 756. In Gallica-BNF


Source :  Le Petit Journal supplément du dimanche
12 février 1894 - Gravure de José Belon -  Gallica-Bnf

(...) Enfin le Nacional, de Madrid (1895), sous le titre "Engels-Thivrier", établit un long rapprochement entre les deux grands socialistes, morts la même semaine:

A une distance très brève d'heures, en un même jour, sont morts deux socialistes dont le nom s'était parfumé plus d'une fois à l'odeur virile de l'encre d'imprimerie. Le rouleau égalitaire de la presse les avait unis, dans les gazettes quotidiennes, par la renommée qui couvrait de louanges retentissantes les blanches bobines de papier sans fin et maintenant la mort les unit dans la même vague qui les emporte, dans la même rafale glacée qui éteint leur vie. Il est clair que je ne compare pas Thivrier à Engels, je ne les crois pas comparables. Le patriarche allemand qui, de Londres, suivait les progrès du socialisme dans sa patrie, et l'ouvrier français au rude langage, qui promenait sur les bancs de la Chambre la fameuse blouse n'ont d'autre parenté que d'avoir été tous les deux des socialistes convaincus et militants. Chacun l'était à sa façon et dans sa sphère mais les deux professaient avec foi et intrépidité "l'idée évidente".

Engels était l'évangêliste austère qui, dans le repos de sa maison, concevait et formulait la doctrine. Thivrier était l'apôtre qui la portait par le monde, la divulgant devant les masses, répandant la semence par les chemins.

In Le député en blouse par Ernest Montusès


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