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1 - Article, La directive
européenne de la honte, Evo Morales Ayma
2 - Article,Tensions régionales
en Amérique Latine, Sébastien Brulez
3 - Article, Contre la barbarie,
par un collectif de signataires
4 - Article, Les jésuites,
protecteurs des Indiens, Thibaut Kaeser
5 - Article, Sept années
de plan Colombie..., Kyle Johnson
6 - Article, Le prêtre
guérillero, Thibaut Kaeser
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Amérique
Latine
archives
des articles
2008
Sommaire
: 1ère partie
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Non à la
directive
européenne
de la honte
par
Evo Morales Ayma,
Président de la
République de Bolivie,
le 11 juin 2008
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Au nom du
peuple de Bolivie, de tous mes frères du monde, je fais
appel à la conscience des dirigeants et citoyens pour que ne
soit pas approuvé le texte de la "directive retour".
Jusqu’à
la
fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe était
un continent d’émigrants. Des dizaines de millions
d’habitants partirent aux Amériques pour
coloniser, échapper aux famines, aux crises
financières, aux guerres ou aux totalitarismes
européens et à la persécution des
minorités ethniques. Aujourd’hui, je suis avec
préoccupation le processus de la dite "directive retour".
Ce
texte, validé le 5 juin dernier par les ministres de
l’Intérieur des 27 pays de l’Union
européenne, doit être approuvé le 18
juin par le Parlement européen. Je perçois
qu’il durcit de manière drastique les conditions
de détention et d’expulsion des migrants sans
papier, quel qu’ait été leur temps de
séjour dans les pays européens, leur situation de
travail, leurs liens familiaux, leur volonté et le
succès de leur intégration.
Les
Européens sont arrivés dans les pays
d’Amérique latine et
d’Amérique du Nord, en masse, sans visa, ni
conditions imposées par les autorités. Ils furent
toujours bienvenus, et le demeurent, dans nos pays du continent
américain, qui absorbèrent alors la
misère économique européenne et ses
crises politiques. Ils vinrent sur notre continent en exploiter les
richesses et les transférer en Europe, avec un
coût très élevé pour les
peuples premiers de l’Amérique. Comme par exemple
dans le cas de notre Cerro Rico de Potosi et de ses fabuleuses mines
qui donnèrent sa masse monétaire au continent
européen entre le XVIe et le XIXe siècle.
Les
personnes, les biens, les droits des migrants européens
furent toujours respectés. Aujourd’hui,
l’Union européenne est la principale destination
des migrants du monde, conséquence de son image positive
d’espace de prospérité et de
libertés publiques.
L’immense majorité
des migrants viennent dans l’Union européenne pour
contribuer à cette prospérité, non
pour en profiter. Ils occupent les emplois de travaux publics, dans la
construction, les services aux personnes et dans les
hôpitaux, que ne peuvent ou ne veulent occuper les
Européens. Ils contribuent au dynamisme
démographique du continent européen, à
maintenir la relation entre actifs et inactifs qui rend possible ses
généreux systèmes de
solidarité sociale et dynamisent le marché
interne et la cohésion sociale. Les migrants offrent une
solution aux problèmes démographiques et
financiers de l’UE.
Pour nous, nos
émigrants représentent l’aide au
développement que les Européens ne nous donnent
pas - vu que peu de pays atteignent réellement
l’objectif minimum de 0,7 pc du PIB d’aide au
développement. L’Amérique latine a
reçu, en 2006, 68 milliards de dollars de transferts
financiers de ses émigrés, soit plus que le total
des investissements étrangers dans nos pays. Au niveau
mondial, ces transferts atteignent 300 milliards de dollars, qui
dépassent les 104 milliards de dollars octroyés
au nom de l’aide au développement. Mon propre
pays, la Bolivie, a reçu plus de 10 pc de son PIB en
transferts de fond des migrants (1,1 milliard de dollars), soit un
tiers de nos exportations annuelles de gaz naturel.
Il
apparaît que les flux de migration sont
bénéfiques pour les Européens et, de
manière marginale, aussi pour nous du Tiers-Monde, vu que
nous perdons des millions de personnes de main-d’oeuvre
qualifiée en laquelle, d’une manière ou
d’une autre, nos Etats, bien que pauvres, ont investi des
ressources humaines et financières. Il est regrettable que
le projet de "directive retour" complique terriblement cette
réalité. Si nous concevons que chaque Etat ou
groupe d’Etats puisse définir ses politiques
migratoires en toute souveraineté, nous ne pouvons accepter
que les droits fondamentaux des personnes soient
déniés à nos compatriotes et
à nos frères latino-américains.
La
directive retour prévoit la possibilité
d’un enfermement des migrants sans papier
jusqu’à 18 mois avant leur expulsion - ou
"éloignement" selon le terme de la directive. Dix-huit mois
! Sans procès, ni justice ! Tel qu’il est, le
projet de directive viole clairement les articles 2, 3, 5, 6, 7, 8 et 9
de la Déclaration universelle des droits de
l’Homme de 1948. Et en particulier l’article 13 qui
énonce : "1. Toute personne a le droit de circuler librement
et de choisir sa résidence à
l’intérieur d’un Etat. 2. Toute personne
a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans
son pays." Et, pire que tout, il existe la possibilité
d’emprisonner des mères de familles et des
mineurs, sans prendre en compte leur situation familiale ou scolaire,
dans ces centres de rétention où nous savons que
surviennent des dépressions, des grèves de la
faim, des suicides.
Comment pouvons-nous accepter
sans réagir que soient concentrés dans ces camps
nos compatriotes et frères latino-américains sans
papiers, dont l’immense majorité travaillent et
s’intègrent depuis des années ? De quel
côté est aujourd’hui le devoir
d’ingérence humanitaire ? Où est la
"liberté de circuler", la protection contre les
emprisonnements arbitraires ? Parallèlement,
l’Union européenne tente de convaincre la
Communauté andine des nations (Bolivie, Colombie, Equateur,
Pérou) de signer un "Accord d’association" qui
inclut en son troisième pilier un traité de
libre-échange, de même nature et contenu que ceux
qu’imposent les Etats-Unis. Nous subissons une intense
pression de la Commission européenne pour accepter des
conditions de profonde libéralisation pour le commerce, les
services financiers, la propriété intellectuelle
ou nos services publics. De plus, au nom de la "protection juridique",
on nous reproche notre processus de nationalisation de l’eau,
du gaz et des télécommunications
réalisés le Jour des travailleurs.
Je
demande, dans ce cas : où est la
"sécurité juridique" pour nos femmes,
adolescents, enfants et travailleurs qui recherchent un horizon
meilleur en Europe ? Promouvoir d’un
côté la liberté de circulation des
marchandises et des flux financiers, alors qu’en face nous
voyons des emprisonnements sans jugement pour nos frères qui
ont essayé de circuler librement... Ceci est nier les
fondements de la liberté et des droits
démocratiques. Dans ces conditions, si cette "directive
retour" devait être approuvée, nous serions dans
l’impossibilité éthique
d’approfondir les négociations avec
l’Union européenne et nous nous
réservons le droit d’imposer aux citoyens
européens les mêmes obligations de visas qui nous
ont été imposées le 1er avril 2007,
selon le principe diplomatique de réciprocité.
Nous ne l’avions pas exercé
jusqu’à maintenant, attendant justement des
signaux positifs de l’UE.
Le monde, ses
continents, ses océans, ses pôles, connaissent
d’importantes difficultés globales : le
réchauffement global, la pollution, la disparition lente
mais sûre des ressources énergétiques
et de la biodiversité alors qu’augmentent la faim
et la misère dans tous les pays, fragilisant nos
sociétés. Faire des migrants, qu’ils
soient sans papiers ou non, les boucs émissaires de ces
problèmes globaux, n’est en rien une solution.
Cela ne correspond à aucune réalité.
Les problèmes de cohésion sociale dont souffre
l’Europe ne sont pas la faute des migrants, mais le
résultat du modèle de développement
imposé par le Nord, qui détruit la
planète et démembre les
sociétés des hommes.
Au nom du
peuple de Bolivie, de tous mes frères du continent et des
régions du monde comme le Maghreb et les pays de
l’Afrique, je fais appel à la conscience des
dirigeants et députés européens, des
peuples, citoyens et militants d’Europe, pour que ne soit pas
approuvé le texte de la "directive retour". Telle que nous
la connaissons aujourd’hui, c’est une directive de
la honte.
J’appelle aussi l’Union
européenne à élaborer, dans les
prochains mois, une politique migratoire respectueuse des droits de
l’Homme, qui permette le maintien de cette dynamique
profitable pour les deux continents, qui répare une fois
pour toutes l’énorme dette historique,
économique et écologique que les pays
d’Europe ont envers une grande partie du Tiers-Monde, et qui
ferme définitivement les veines toujours ouvertes de
l’Amérique latine. Vous ne pouvez pas faillir
aujourd’hui dans vos "politiques
d’intégration" comme vous avez
échoué avec votre supposée "mission
civilisatrice" du temps des colonies.
Source
: http://www.cadtm.org
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Tensions régionales
en
Amérique Latine
Photo et article de
Sébastien Brulez,
le 5 mars 2008
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La Guardia Territorial Campesina
est un mouvement de base qui organise les paysans qui occupent des
terres dans différentes zones du Venezuela, dont la
frontière où ils sont parfois victimes de groupes
paramilitaires. Au dessus (la photo) en 2007 dans
l’état d’Apure.
Depuis
le dimanche 2 mars, le
continent latino-américain est sous tensions. La veille, la
Colombie avait bombardé un campement des FARC en territoire
équatorien. En réponse Quito a rompu les
relations diplomatiques avec Bogotá et renforcé
sa présence militaire à la frontière.
En solidarité avec l’Equateur et comme
avertissement à la Colombie, le Venezuela a fermé
son ambassade à Bogotá et expulsé la
représentation diplomatique colombienne en poste
à Caracas. Hugo Chávez a également
ordonné à son ministre de la Défense
de déplacer 10 bataillons pour renforcer la zone
frontalière entre les deux pays. Le mardi 4 mars, le Conseil
permanent de l’Organisation des Etats américains
(OEA) a tenu une réunion extraordinaire durant laquelle la
majorité des 34 pays membres ont condamné
l’agression colombienne. En quelques jours, on est
passé de l’euphorie d’une nouvelle
libération de quatre otages par les FARC à une
situation régionale tendue au maximum. Que
s’est-il passé ?
Récapitulons
: le mercredi 27 février, les Forces armées
révolutionnaires de Colombie (FARC) libèrent 4
otages détenus depuis plus de six ans dans la jungle. Ils
les remettent expressément au président
vénézuélien Hugo Chávez et
à la sénatrice colombienne d’opposition
Piedad Córdoba. Ce geste unilatéral, tout comme
la libération en janvier dernier de Clara Rojas et Consuelo
González, les FARC le qualifient de "remerciement"
à la gestion de paix effectuée par
Chávez et Córdoba.
Tous deux
avaient entamé leurs rôles de
négociateurs avec l’accord du président
colombien, Álvaro Uribe. En novembre dernier, celui-ci met
fin à la médiation en invoquant
d’obscures raisons d’ "ingérence" de
Chávez dans les affaires internes de son pays.
Deux
gestes unilatéraux donc de la part des FARC (le gouvernement
colombien n’a rien cédé en
échange de la libération de ces six otages au
total), en guise de "remerciement" de bons services
prêtés par Chávez et
Córdoba, qui avaient réussit à avancer
sur le chemin d’un possible échange humanitaire
(voir encadré ci-dessous) entre la guérilla et le
gouvernement colombien, et qui avaient reçu personnellement
un représentant des FARC à Caracas.
"Merci":
dites-le avec des bombes
La
réponse du gouvernement colombien à la
récente libération de quatre nouveaux otages par
la guérilla a été le bombardement, le
samedi premier mars, d’un campement des FARC en territoire
équatorien. Bilan de l’opération : 20
guérilleros abattus dont le numéro deux du
Secrétariat (instance dirigeante) du groupe
insurgé, Raul Reyes, ainsi que trois guérrilleras
blessées dont une de nationalité mexicaine.
L’aviation
colombienne a pénétré en Equateur,
bombardé le campement et débarqué des
troupes héliportées pour "finir le travail" et
récupérer le corps de Reyes, ainsi que de
Julián Conrado, un autre haut gradé des FARC
abattu durant l’opération.
Par
cette action, Álvaro Uribe jette à la poubelle le
peu d’espoir qui pouvait encore subsister pour arriver
à une libération des autres otages. Car, bien que
les FARC aient annoncé le jour même de
l’opération qu’il ne fallait pas baisser
les bras pour arriver à un échange humanitaire,
Raúl Reyes était quand même
considéré comme leur représentant
à l’étranger et le
négociateur de l’organisation politique
armée.
Le ministre français
des Affaires étrangères Bernard Kouchner a de
fait déploré sa mort en signalant sur France
Inter que "évidemment, ce n'est pas une bonne nouvelle que
le numéro deux, Raul Reyes, l'homme avec qui nous parlions,
l'homme avec qui nous avions des contacts, ait
été tué".
Un
communiqué plus récent des FARC, daté
du 2 mars, signale d’ailleurs que les circonstances de la
mort de Reyes "compromettent gravement l’échange
humanitaire et annulent la possibilité d’une
sortie politique du conflit".
Mais au
delà de du coup porté aux FARC et à
l’échange humanitaire, la Colombie s’en
prend directement à l’Equateur en accusant le
gouvernement du président Rafael Correa de sympathie et de
collaboration avec les FARC.
Quelques heures
après l’Equateur, c’est le gouvernement
vénézuélien et le président
Chávez qui sont également accusés de
soutenir politiquement et financièrement les FARC.
Les
autorités colombiennes affirment tirer leurs informations
d’un ordinateur récupéré sur
les lieux et qui appartenait à Raul Reyes (ordinateur de
fort bonne qualité puisqu’il à
résisté à un bombardement qui a fait
20 victimes dont son propriétaire).
Sortant
toujours un nouveau tour de son chapeau, Uribe affirme que cet
ordinateur révèle également
l’acquisition par les FARC de 50 kg d’uranium.
Pouvant de là, dans les prochains jours (pourquoi pas ?)
faire le lien avec le Venezuela qui entretient des relations
commerciales avec l’Iran. Il faut s’attendre
à tout.
Violation
constante du territoire équatorien
En
réaction, le président Rafael Correa a rompu les
relations diplomatiques avec Bogotá et a
déployé des troupes le long de la
frontière avec la Colombie voisine.
La
violation du territoire équatorien par
l’armée colombienne n’est pas neuve.
Avec l’aide des Etats-Unis par
l’intermédiaire du Plan Colombia (1), des avions
colombiens survolent fréquemment la zone
frontalière.
Parmi leurs
activités, ils répandent des pesticides sur les
cultures de coca, non seulement en Colombie mais aussi du
côté équatorien. Mis à part
la coca, les zones touchées par ces fumigations comptent
aussi des cultures d’aliments et des villages où
les paysans se retrouvent contaminés par ces produits
fournis, cela dit en passant, par la multinationale des OGM Monsanto.
Les
fumigations sont en suspend depuis janvier dernier, suite à
une plainte de Quito qui compte d'ailleurs porter cette affaire devant
le Tribunal pénal international de La Haye.
Haut
responsable militaire
étasunien en voyage à Bogotá
D’après
une dépêche de l’agence de presse Efe
datée du 3 mars, un haut responsable militaire
étasunien s’est rendu à
Bogotá deux jours avant le bombardement de samedi dernier.
La visite ne fut
mentionnée que discrètement par un site Internet
des Forces militaires de Colombie, sur lequel apparaît une
photo datée du 28 février.
Le
contre-amiral Joseph Nimmich, directeur de la Force
d’Intervention conjointe (Joint Interagency Task Force) des
Etats-Unis, a été reçu ce
jour-là au Commandement général des
Forces militaires colombiennes.
D’après
la dépêche citée, l’objectif
de ce voyage était de "partager une information vitale sur
la lutte contre le terrorisme".
On peut
s’attendre dans les prochaines heures à de
nouvelles "révélations" de la part du
gouvernement d’Álvaro Uribe, qui pourraient
occasionner de nouvelles réactions.
Echange
humanitaire
L’échange
ou accord humanitaire devait consister en la libération
d’une quarantaine d’otages des FARC contre la
remise en liberté de 500 combattants détenus dans
les prisons colombiennes. Parmi les personnes aux mains de la
guérilla figurent des députés, ainsi
que des soldats et policiers colombiens capturés au combat.
L’ex
candidate présidentielle franco-colombienne Ingrid
Betancourt fait également partie de ce groupe
d’otages, tout comme trois citoyens étasuniens,
dont l’avion avait été abattu par la
guérilla au-dessus de la jungle et qui prétendent
être des "contratistes" d’une firme
privée nord-américaine.
Les
FARC exigent cependant la démilitarisation de deux
départements du sud du pays, Florida et Pradera, pour
réaliser l’échange. Ils demandent aussi
d’inclure dans les 500 guérilleros à
libérer, Simón Trinidad,
arrêté à Quito en janvier 2004 au cours
d’une opération de la police
équatorienne, en lien avec les services de renseignement
colombien et américain, ainsi qu’une combattante
de la guérilla, alias Sonia. Tous deux ont
été extradiés aux Etats-Unis et y sont
emprisonnés. Bogotá se nie à accepter
ces conditions pour réaliser l’échange.
Note:
(1)
Pour l’année 2008, les Etats-Unis ont
approuvé un budget de 500 millions de dollars pour financer
le Plan Colombia.
Source
: http://voixdusud.blogspot.com/
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Colombie :
contre
la
barbarie ordinaire
Un collectif
de signataires (*)
30 janvier
2008
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Nous,
intellectuels et citoyens progressistes, voulons dire notre douleur et
notre honte devant le sort réservé aux
séquestrés et, à travers eux,
devant l'ampleur de la tragédie humanitaire colombienne, qui
asphyxie
la population civile et bafoue les principes
élémentaires de la dignité
humaine.
1. Nous
tenons d'abord à exprimer notre condamnation
sans appel de la pratique de la séquestration,
pratiquée par les Farc,
les autres guérillas, les paramilitaires, certains
éléments de la force
publique et la délinquance de droit commun. La
séquestration est par
elle-même un crime atroce, menant à
l'épuisement physique et à la mort
sociale des personnes concernées. En outre, en raison des
conditions
d'insalubrité ou de l'intensification du conflit, elle
expose
directement ces personnes à la mort. Rien, absolument rien
ne peut la
justifier.
2.
Nous condamnons avec une fermeté identique
l'attitude irresponsable et inacceptable du gouvernement colombien. Son
refus de reconnaître l'existence du conflit armé
et d'y appliquer les
principes du droit international humanitaire, la chape de plomb qu'il
fait peser sur les familles des otages en évoquant
régulièrement la
perspective d'opérations militaires, les insultes qu'il
adresse aux
membres de l'opposition démocratique, constitués
en cible potentielle
ou réelle des groupes paramilitaires, les accointances de
ceux-ci avec
les narcotrafiquants et les dirigeants politiques ; enfin
l'échec d'une
politique de « sécurité
démocratique », incapable de garantir la vie
aux plus déshérités alors qu'elle
cherche à légitimer ses actions en
s'abritant derrière le motif fallacieux d'une «
guerre contre le
terrorisme ». Tous ces éléments
pointent l'immense responsabilité du
pouvoir actuel et appellent une condamnation de même nature.
3.
Nous condamnons enfin les politiques de certains membres de la
Communauté internationale, en particulier celle du
gouvernement
étasunien qui, avec les Plans « Colombie
», « Patriote » et «
Consolidation », donne à ce régime les
moyens logistiques et financiers
d'une guerre atroce. De son côté, l'Union
européenne ne cesse de se
voiler la face devant une réalité humanitaire
désastreuse, au nom
d'intérêts économiques
indiscutés – visibles très
récemment dans les
négociations engagées avec la
Communauté Andine.
Or
cette
réalité-là est têtue, ainsi
que le montrent les rapports de la
Commission des droits de l'Homme de l'ONU sur la situation colombienne
depuis des années. Faut-il en effet rappeler que la Colombie
compte
plus de 3.000 séquestrés – dont un peu
moins d'un tiers détenu par les
Farc –, 30.000 victimes de disparition forcée
– essentiellement par
l'action des groupes paramilitaires – et 3,9 millions de
déplacés (1) ?
Faut-il
rappeler que ce pays est, avec le Soudan, celui qui connaît
le plus
grand nombre de déplacés au monde, que 60 % de la
population y vit en
dessous du seuil de pauvreté et qu'il est le
théâtre d'injustices
sociales et culturelles insupportables ?
Voilà
pourquoi nous
exigeons une mobilisation immédiate de toutes les voix
démocratiques
qui en Colombie comme en Amérique du Sud, dans l'Union
européenne comme
aux Etats-Unis, peuvent contribuer au sauvetage des otages et
à la mise
en place de l'accord humanitaire, étapes
nécessaires à la construction
d'une solution non violente et négociée au
conflit.
A
cette fin, nous demandons publiquement :
1.
Que les Farc libèrent immédiatement et sans
condition tous les otages
civils en leur possession, qu'il s'agisse des otages
économiques ou
politiques. Précisons que ces derniers ne sont
échangeables contre
aucune rançon, ne sont pas concernés par un
éventuel accord humanitaire
et dépendent entièrement de la bonne
volonté de leurs geôliers. Devant
l'extrême douleur des familles, les Farc doivent faire preuve
de
responsabilité politique et de cohérence
éthique. Ils doivent démontrer
leur capacité à créer les conditions
d'un dénouement, sans lesquelles
leur lutte n'a absolument aucun sens. Logiquement, cette exigence de
libération vaut pour tous les acteurs responsables de
séquestration.
2.
Que le gouvernement fasse preuve d'une responsabilité
analogue,
abandonne définitivement l'hypothèse d'un
sauvetage militaire et jette
les bases d'un accord humanitaire permettant l'échange de
prisonniers
(guérilleros incarcérés contre
policiers et militaires séquestrés).
Dans cet esprit, aucune des perspectives disponibles ne doit
être
négligée, à condition toutefois que
les négociations en vue de la
libération des otages ne soient pas indéfiniment
instrumentalisées au
service de stratégies guerrières.
3. Que
la Communauté
internationale fasse preuve d'un engagement sans relâche au
service de
la paix et des droits humains en Colombie. Trois demandes
spécifiques
sont ici à l'ordre du jour : le maintien non
révocable du bureau de
l'ONU sur place et l'accroissement de ses moyens d'action ; l'envoi
d'un délégué permanent de l'Union
européenne, permettant de renforcer
l'impact de la diplomatie européenne vis-à-vis de
l'accord humanitaire
; le développement de divers mécanismes
contraignant l'Etat colombien à
garantir aux associations ayant intenté des recours
auprès de la Cour
inter-américaine des droits de l'Homme de voir ces actions
menées à
terme.
Ces
éléments sont à considérer
comme les premières étapes
de la reconstruction d'un système judiciaire
entièrement indépendant,
capable de répondre à la demande des associations
de victimes de se
voir reconnaître un droit inaliénable à
la vérité, à la réparation
intégrale et à la
non-répétition des exactions.
Parmi
les preuves
de vie des otages parvenues récemment à la presse
et au monde, l'une a
particulièrement retenu l'attention : celle, bouleversante
par son
mélange d'intimité et d'universalité,
qu'Ingrid Betancourt adresse à sa
mère. Les mots qu'elle contient sont comme des traits
d'union entre
victimes anonymes et reste du monde. L'auteur y cite Albert Camus. Le
meilleur moyen de lui faire écho est sans doute de
poursuivre la
lecture de l'auteur de L'Etranger. Et de
s'arrêter sur ces mots : « La tyrannie
totalitaire ne s'édifie pas sur les vertus des totalitaires,
mais sur les fautes des libéraux » (A.
Camus, Actuelles I).
En
Colombie, le visage des séquestrés comme celui
des autres victimes de
crimes inacceptables sont le reflet de toutes nos entraves à
agir. Il
est plus qu'urgent d'inverser le cours des choses, si l'idée
d'humanité
peut encore avoir un sens pour nous.
(1) Las Voces
del Secuestro, Fidh, Codhes.
(*)
Nancy Fraser (philosophe, professeur à la New School of
Research),
Laura Restrepo (romancière, prix Alfaguara de Novella 2004),
Noam
Chomsky (linguiste, professeur au MIT), Michel Serres (philosophe,
professeur à Stanford), Pierre Hassner (politologue,
professeur à Sc.
Po Paris), Victor Juan Gelman (poète, prix Cervantes 2007),
Orlando
Fals Borda (sociologue, professeur à l'Université
nationale de
Colombie), François Houtart (anthropologue, professeur
à l'Université
catholique de Louvain), Juan Manuel Roca (poète, prix Lezama
Lima
2007), Boaventura de Sousa Santos (sociologue, professeur à
l'Université de Coimbra et du Wisconsin), Arturo Escobar
(anthropologue, professeur à l'Université de
Caroline du Nord), Manuel
Moncayo (ex-recteur de l'Université nationale de Colombie),
Michel
Molitor (ex-vice recteur de l'Université catholique de
Louvain),
Philippe Texier (magistrat à la Cour de cassation,
président du Comité
des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU).
Source : journal
Le Soir
URL :
http://www.lesoir.be
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Les jésuites,
protecteurs des Indiens
Thibaut Kaeser, historien,
le 20
Novembre 2007
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AMERIQUE
DU SUD (I) - Au début du XVIIe siècle au
Paraguay, la Compagnie de
Jésus évangélise pacifiquement les
autochtones, leur assurant bien-être
et protection contre les conquérants.
Milice
internationale au service de la papauté ou soldats du
Christ engagés dans les luttes terrestres? Apôtres
zélés de la
Contre-Réforme ou intellectuels âpres au combat
d'idées? Réactionnaires
maniant onctueusement la langue ou brillants esprits au service du
Verbe de l'Evangile? Nombreux et variés, les points de vue
sur la
Compagnie de Jésus cachent souvent des jugements
à l'emporte-pièce
derrière le rideau de fumée des a priori
idéologiques.
Mais entre la réprobation et l'hagiographie existe une voie
médiane
qui, grâce au recul du temps et à
l'objectivité qui lui sied, permet de
porter un regard lucide sur l'action de l'ordre fondé par
Ignace de
Loyola en 1540. Or force est de constater que les jésuites
se sont
distingués de façon éminemment
positive lors de la colonisation
espagnole des Amériques, marquée par des
vexations et des violences
indubitables. Leur expérience au Paraguay (1610-1768) en
témoigne avec
éclat.
«Les
Indiens
ont-ils une âme?»
Lorsque le continent américain s'ouvre aux
soldats, aventuriers,
marchands, colons et religieux en provenance de la péninsule
Ibérique à
l'aube du XVIe siècle, la Compagnie de Jésus
n'est pas encore fondée.
Elle surgit sur cette scène lorsque l'essentiel de la
Conquista
(1492-1560) se termine, même si des résistances
autochtones, parfois
notoires, demeurent. Or la croix chrétienne, fatalement
associée aux
épées des conquistadors, se heurte à
des réalités qui interpellent les
hommes de foi, notamment au sujet de la condition humaine et de
l'altérité.
En
effet, les Européens s'interrogent sur la
mentalité, la
civilisation, la culture, les moeurs et la nature de
«l'Indien» (au
demeurant souvent très différent selon les
régions), ce qui suscite des
questionnements où l'ethnocentrisme, le débat
philosophique et les
méthodes de conversion se mêlent
étroitement. Les Indiens sont-ils des
hommes comme les autres? Leur paganisme, dont certains aspects
choquaient réellement, en fait-il de simples
égarés ou des suppôts du
diable? Il faut en effet rattacher à un univers mental issu
du Moyen
Age chrétien et de la Renaissance humaniste un
être «complètement»
nouveau.
Ce
grand débat touche de plein fouet la catholicité
conquérante.
Elle se divise grosso modo en deux camps, dont la confrontation
structure une bonne part de la colonisation hispanique au
gré de ses
aléas et de ses nuances. D'un côté se
trouvent les tenants d'une guerre
dite juste destinée à asservir et à
convertir, au besoin par la force
(«a palos»: à coups de bâton),
les autochtones dont l'état de nature en
fait des esclaves et des serfs tout désignés. De
l'autre se rangent les
partisans de la manière douce et de la charité,
qui considèrent que les
Amérindiens ont une âme, des droits et
présentent une réelle
réceptivité au message du Christ. Le principe de
la colonisation est
très rarement mis en cause; c'est son visage qui
interpelle.
Après
la confirmation de l'âme humaine des Indiens par la bulle
papale de Paul III en 1537, cette dispute trouve son point culminant
lors de la Controverse de Valladolid (1550-51) au cours de laquelle
s'affrontent les dominicains Sepúlveda (1490-1573) et
Bartolomé de Las
Casas (1474-1566), évêque du Chiapas
célèbre pour ses diatribes
dénonçant l'avidité et les
cruautés espagnoles. Charles Quint, qui a
convoqué ce débat contradictoire, tranche en
faveur du fameux
«défenseur des Indiens». Mais les lois,
les principes et les
ordonnances royales auront toujours de la peine à trouver
une
application durable, concrète et réelle dans le
Nouveau Monde...
Lorsque
les premiers jésuites traversent l'Atlantique à
partir du
milieu du XVIe siècle, ils découvrent en effet
l'iniquité du système
colonial de l'encomienda, où l'indigène est de la
main-d'oeuvre
corvéable à merci, accablé de devoirs
et d'impôts, au service de nombre
de colons adossés aux clergés locaux.
Néanmoins, d'autres religieux,
notamment dominicains et franciscains, réagissent aux
exactions des
conquérants et à l'oppression
socio-économique instituée.
Des
expériences riches d'enseignement
Des clercs se préoccupent avec sympathie de leurs
nouveaux fidèles
et récoltent des riches informations pour la connaissance
des langues
et des civilisations pré-hispaniques, tels
Sahagún et Durán en
Nouvelle-Espagne (Mexique). Alliant
évangélisation et ethnologie avant
l'heure, des hommes d'Eglise tolèrent, voire respectent,
certaines
pratiques païennes incorporées au message et aux
rites chrétiens. Cette
souple démarche initie le métissage culturel et
biologique ainsi que le
syncrétisme religieux en devenir du continent. Bas
clergé (le plus
souvent) et certains responsables prennent la défense des
autochtones,
indisposant les autorités civiles, militaires ou
religieuses, tels Las
Casas pour le monde maya ou le remarquable orateur et prosateur
jésuite
Antonio Vieira (1608-1697) au Brésil.
Surtout,
certains cas concrets d'évangélisation retiennent
l'attention des jésuites. Durant l'expérience de
«la Vera Paz» au
Guatemala (1537-50), les disciples de Las Casas amènent
pacifiquement à
la foi catholique des indigènes
réputés hostiles; son retentissement
perdure malgré un échec final. L'action durable
de Vasco de Quiroga
(mort en 1565), surnommé affectueusement «Tata
Vasco» par les Indiens
en raison de son action bénéfique dans
l'évêché de Michoacán
(centre
ouest du Mexique), permet d'instituer des «pueblos
hospitales», des
missions où prévalent la communauté
des biens et leur distribution en
fonction des besoins (avec la journée de six heures).
Modèle
de vie sociale
Les jésuites sont d'ailleurs eux-mêmes
précurseurs, comme en
témoigne leur mission à Juli, sur les bords du
lac Titicaca
(1573-1607), très modeste préfiguration de ce qui
sera réalisé à partir
du début du XVIIe siècle entre les fleuves
Paraná, Uruguay et Paraguay.
Chacune de ces expériences voit la fondation de petites
cités,
villageoises et familiales, ou de missions autonomes où les
autochtones
sont rassemblés, et annonce un modèle de vie
sociale et évangélique
tranchant avec l'asservissement d'Indiens superficiellement convertis
pour les besoins des propriétaires terriens.
Les
jésuites ont en effet analysés la donne
latino-américaine du
XVIe siècle et arrivent à une simple conclusion:
afin de vivre en
conformité avec les préceptes
chrétiens, il faut impérativement
regrouper et encadrer les Indiens dans des missions qui les
éloignent
des centres de la colonisation espagnole afin de les soustraire des
méfaits du colonialisme. En restant à
l'écart des centres urbains, des
terres et des mines exploitées qui exigent le gros de la
main-d'oeuvre,
les Amérindiens peuvent devenir d'authentiques
chrétiens et connaître
ainsi la prospérité, la liberté et la
paix.
De fait, les
jésuites souhaitent créer des
«réductions» qui, au
contraire de réduire les autochtones au servage, veulent les
«reconduire» (en latin,
«reducti» signifie
«ramenés») ou les conduire à
la foi chrétienne. Cette sorte de
ségrégation à l'envers est la seule
voie salutaire afin de leur éviter les exactions dont ils
sont les
proies toutes désignées. Et c'est ainsi que les
jésuites fondèrent en
1610 les premières réductions du Paraguay au
contact des indigènes
Guaranis.
Source
: le
Courrier - URL: http://www.lecourrier.ch/
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Sept
ans de Plan Colombie …
et peu de
changements
dans le Putumayo
Kyle
Johnson, septembre 2006
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C’est en
décembre 2000
que des avions
de fumigation ont commencé à survoler le
département colombien du
Putumayo dans le cadre du Plan Colombie, un programme d’
« aide » [des
Etats-Unis] signé en 1999 qui comprenait une campagne
d’éradication
massive des plants de coca par voie aérienne. En fait, les
avions
pulvérisateurs sont arrivés pour la
première fois dans le département
en 1997, mais l’épandage ne se faisait alors
qu’à petite échelle. Leur
arrivée en 2000 entraîna l’augmentation
du nombre de maladies, des
déplacements de population et la destruction massive des
cultures
légales. Comme pour les fumigations, ce
n’était pas nouveau pour la
région. Aujourd’hui, sept ans plus tard, le
département connaît
toujours les fumigations et la guerre. Toutefois, des
éradications
manuelles sont venues s’ajouter à ce cocktail. Une
équipe de 125
hommes, protégés par la police anti-drogue, va de
ferme en ferme
arracher des plantations entières de coca en seulement
quelques minutes.
Les
éradications manuelles ont été fort
médiatisées ; et même si les
autorités colombiennes et les principaux
médias ont présenté cette
méthode comme une formidable tactique dans la
lutte anti-drogue, des alternatives efficaces font toujours
défaut pour
les paysans et les fumigations par voie aérienne restent la
stratégie
dominante. Le quotidien El Tiempo
a signalé que 85
000 hectares de campagne colombienne ont été
fumigés cette année en
date du 24 juillet. Tandis qu’entre le 1 janvier et le 27
août, plus de
31 000 hectares ont été
éradiqués manuellement,
d’après les
statistiques de la Police nationale. L’objectif de cette
année pour
l’éradication manuelle est de 70 000 hectares,
alors qu’il est de 160
000 hectares par voie aérienne. Fin juillet, aucune des deux
méthodes
n’avaient un rythme suffisant pour atteindre leur but.
Toutefois, les
avions étaient beaucoup plus près
d’atteindre leur objectif que les
« éradicateurs »
manuels.
Le Plan
Colombie
comprenait aussi des
programmes de développement alternatif dans le Putumayo. On
tente par
ces projets de persuader les paysans de passer des cultures de coca
à
des cultures légales. Dans le cadre de ce que l’on
appelle des « pactes
sociaux », les paysans ont une année pour
se débarrasser de leur coca
en échange d’aides financières. Ils
peuvent remplacer leur coca par des
cultures légales qui sont supposées
être achetées et transportées dans
des usines de traitement. Ils peuvent aussi participer à des
projets
locaux mis sur pied par plusieurs agences internationales. Toutefois,
le Plan Colombie a accordé beaucoup moins
d’importance aux programmes
de ce type qu’aux fumigations aériennes. Par
conséquent, presque la
totalité des projets alternatifs mis en oeuvre dans le
Putumayo ont
échoué, souvent avant même
qu’ils aient pu avoir un impact positif sur
les communautés locales.
Parce que la
fumigation aérienne est
encore la principale stratégie, ses effets secondaires sont
encore
manifestes. En août de cette année, un paysan du
village d’El Prado a
expliqué qu’il avait fait un emprunt pour
s’acheter une ferme et des
semences dans le but de cultiver le pasto,
un type
d’herbe particulière utilisée pour
l’élevage de bétail. Suite à
des
fumigations aériennes qui visaient de petits champs de coca
appartenant
à d’autres paysans du village, il a
constaté que ses cultures, 14 de
ses 18 hectares, avaient été fortement
endommagées, si ce n’est
totalement détruites. Et, alors que le pasto
est devenu jaune et est mort, la coca avoisinante n’a pas
semblé affectée. Elle a soit survécu,
soit
été replantée.
Un autre
paysan de
la campagne du
Putumayo était en train de travailler chez lui quand un
matin d’août il
entendit des avions pulvérisateurs. Il expliqua que quatre
d’entre eux
volaient juste au-dessus des arbres. Ils ont survolé la zone
deux fois,
une fois dans chaque sens. Petit à petit, le poison a
dérivé jusqu’à
atterrir sur ses plantations, y compris ses cultures de yucca, de
poivrons et de cacao. Heureusement, il a plu massivement ce
jour-là, ce
qui a permis à ses cultures les plus robustes de survivre,
mais les
plus fragiles ont été fortement
endommagées. « Il
n’y avait pas de coca », a-t-il
affirmé.
Le jour
même où l’auteur de ces lignes
visita la ferme fumigée, des éradicateurs manuels
travaillaient de
l’autre côté de la ligne
d’arbres qui marquait la frontière entre le
terrain du paysan et celui de son voisin. La présence des
éradicateurs
a soulevé trois questions : est-ce que les avions
pulvérisateurs
visaient les plantations de coca de l’autre
côté des arbres ? Et si
c’était le cas, pourquoi une
éradication manuelle puisque les champs
avait déjà été
vaporisés ? Et si les avions
pulvérisateurs ne visaient
pas la coca dans le champ du voisin, que faisaient ces avions en
arrosant la ferme de cet homme alors qu’il n’avait
pas de coca ?
Laissons le
bénéfice du doute à ceux
qui arrosaient les champs et
suggérons que les avions visaient les plants de coca de la
ferme
adjacente et qu’une erreur a été
commise.
Lors d’un
autre incident, une école
dans un petit village a reçu un matin la visite
d’avions
pulvérisateurs. Le professeur présent
à cet instant a décrit ce qu’il
s’est passé : « J’étais dans la
casa de formación (maison
de formation) pour les jeunes filles, où nous
étions en train de
travailler, quand un avion a survolé
l’école de très prés. Il est
passé
puis est revenu... il a aspergé ses produits au loin
[de la maison] mais
le vent les a fait dévier vers la maison. Nous avons
fermé toutes les vitres et les portes pour nous
protéger. »
D’après
les directeurs et professeurs
de l’école, ce n’est pas la
première fois qu’ils se font fumiger.
L’année dernière, à la
même époque, ils ont indiqué que des
avions ont
volé juste au-dessus des enfants alors qu’ils
réalisaient des activités
culturelles. Après cet incident, beaucoup
d’étudiants et quelques
professeurs se sont sentis malades, atteints de diarrhée et
de
vomissements. D’après les professeurs, les
fumigations survenues dans
l’année ont rendu un certain nombre
d’étudiants malades avec des
problèmes d’estomac et
d’éruption cutanée.
Cette
école est typique de la région,
non pas par le fait qu’elle a été
fumigée, mais parce qu’elle possède
beaucoup d’hectares pour enseigner les techniques agricoles
aux
enfants. D’après le directeur de
l’école, ils possèdent 48 hectares,
dont les deux tiers sont montagneux, le dernier tiers se compose de 8
hectares pour la culture du pasto,
3 pour les légumes et les 5 restants pour les
bâtiments et la cours de récréation.
A marcher
dans les
cultures de légumes
cinq jours après les fumigations, les dommages sautaient aux
yeux.
Quelques plantes devenaient jaunes et d’autres
étaient déjà mortes.
Beaucoup se battaient pour survivre alors que leurs feuillages
dépérissaient. Un professeur a
déclaré : « Ils ne font pas qu’asperger les
plantations de coca, ils aspergent aussi les gens. »
Un autre professeur a commenté quant à
lui : « Cette
guerre contre la drogue est un combat absurde. »
Les
témoignages sur ces fumigations
« indiscriminées » et
sur leurs effets sont nombreux et cohérents. En
conduisant le long d’une route dans le Putumayo,
j’ai observé la
manière dont les avions pulvérisateurs
survolaient la campagne et
fumigeaient une ferme. Ils volaient au-dessus des cimes des arbres, si
haut qu’il était pratiquement impossible de
repérer avec exactitude le
champ visé. Le produit pulvérisé
s’est suspendu dans l’air pour ensuite
se disperser avant de chuter et de devenir invisible. A une telle
hauteur, même si toutes les précautions possibles
sont prises, un seul
coup de vent peut déplacer le produit loin de la zone
visée. De plus,
l’aspersion, quand elle est réalisée
par des avions à gicleurs
multiples, a une forme distinguable dans les airs à
l’arrière de
l’avion à cause du vent qui passe au dessus de
l’aile, ceci pouvant
affecter le point de chute du produit. En discutant avec les paysans du
département, beaucoup ont déclaré
qu’on sent le produit durant 10 à 15
minutes, mais le temps mis pour que les produits chimiques
adhèrent aux
choses n’est pas certain, les paysans donnant chacun une
durée
différente.
Alors que ces
exemples et d’autres cas
documentés ont tendance à se focaliser sur la
destruction des
plantations légales, la question des effets de la fumigation
sur la
santé humaine se pose. Au début du mois
d’août, environ 50 indigènes
Kofán d’une réserve à cheval
sur les municipalités d’Orito et de La
Hormiga sont arrivés à
l’hôpital local de la ville de La Hormiga,
déclarant qu’ils étaient malades
à cause des fumigations. L’hôpital
leur a répondu d’aller à celui de la
ville d’Orito parce qu’ils
venaient de la partie de la réserve située sur
cette municipalité. Cet
après midi là, ils ont voyagé
jusqu’à l’hôpital
d’Orito où des
échantillons de sang et d’urine leur ont
été prélevés. Ils sont
ensuite
restés à la Maison des Indigènes au
centre de la ville.
« La situation sanitaire est mauvaise »,
a commenté le gouverneur indigène.
« Beaucoup de personnes
ont la même chose ».
Il a expliqué que les quatre symptômes les plus
communs sont la
diarrhée, les vomissements, le mal de tête et la
fièvre. Alors que nous
étions assis et discutions, une femme portant son enfant
commença à
tousser sévèrement. Une autre femme
s’approcha et passa un petit enfant
à son mari près d’elle,
déclarant à personne en particulier :
« la fièvre
est tombée ».
D’après les membres de la communauté,
les enfants
sont les premières victimes des fumigations.
Les
indigènes Kofán ont décidé
qu’ils
resteraient dans la Maison des Indigènes, ne pouvant pas
retourner sur
leurs terres, leurs cultures de denrées alimentaires ayant
été
détruites, tout comme leurs herbes médicinales.
Le gouverneur a déclaré
qu’ils avaient aussi environ cinq parcelles de plants de
coca, allant
d’un quart à un demi hectare et alors
qu’ils avaient déjà
été fumigés
quatre fois auparavant, la situation sanitaire était encore
pire cette
fois-ci. Les indigènes Kofán ont
demandé que quelqu’un vienne dans la
zone se porter garant de leur sécurité
alimentaire, parce que, comme
ils l’ont déclaré, le gouvernement ne
s’est pas occupé des personnes de
la région.
Le
gouvernement
colombien a déclaré que
l’éradication manuelle est mieux que la fumigation
aérienne, ce qui a
fait augmenter le nombre d’hectares devant chaque
année être éradiqués
manuellement. L’hebdomadaire Semana
a jeté un œil
sur les changements dans l’aide américaine
destinée à la Colombie et en
est venu à la conclusion que la première
motivation de ce changement
est l’argent. L’aide états-unienne pour
la Colombie a été réduite pour
2008, le financement des opérations de fumigations et de la
composante
militaire du Plan Colombie ont été les plus
affectés par cette
réduction. D’après Semana,
la fumigation aérienne
d’un hectare de coca coûte 700 dollars, alors
qu’une éradication
manuelle de ce même hectare coûte 325 dollars.
Ainsi, la Colombie a
décidé d’investir dans une
stratégie qui coûte moins, à la fois
financièrement et politiquement, mais elle maintiendra
toujours de
hauts niveaux d’éradication.
Pendant
qu’il était dans le Putumayo,
l’auteur de cet article a eu vent de plusieurs
témoignages, notamment
celui des leaders régionaux de l’ANUC, une
organisation paysanne
nationale, sur l’éradication manuelle dans une
ferme qui avait été
fumigée quelques jours ou semaines plus tard. Ces rapports
restent non
confirmés, une vérification auprès des
fermes citées n’étant pas
possible à cette époque. Les faits
rapportés représentent ce qu’un
leader a appelé un « double
investissement » se
montant à 1 025 dollars. Ce double investissement
n’incluait même pas
d’argent pour le développement alternatif ou
n’importe quel autre
programme pour aider les paysans à passer à des
plantations légales.
A la
misère et la pauvreté dans le
Putumayo s‘ajoute la guerre perpétuelle entre le
gouvernement, les
Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC)
et les nouveaux
groupes paramilitaires de la région.
D’après les statistiques de la
Police nationale, il y a eu 381 meurtres dans le département
en 2006,
un taux départemental de 98 tués pour 100 000
personnes. Ce taux
équivaut aux 378 meurtres de 1999, qui se sont produits
lorsque
l’offensive régionale lancée par les
paramilitaires appartenant aux
Autodéfenses Unies de Colombie (AUC) était
à son sommet. Les six
premiers mois de 2007, la police a enregistrée 204 meurtres,
une
augmentation de 8% par rapport à la même
période il y un an.
Le Putumayo
va
continuer à connaître
les fumigations et la guerre si la politique
étrangère états-unienne et
la politique intérieure colombienne ne changent pas. Alors
que les
Démocrates ont augmenté le pourcentage
d’aide allouée aux programmes
sociaux – la part militaire reste encore la plus
élevée – il faut
rappeler que le développement alternatif dans le Putumayo a
échoué
misérablement. Des paysans de la région demandent
que les fonds leurs
soient versés directement et non aux ONG qui arrivent dans
le
département avec peu de connaissance de la
région. Les gens ont besoin
de meilleures routes – ou simplement de routes
lorsqu’il n’en existe
pas – d’électricité,
d’aqueducs et une présence de
l’État qui les
soutienne au lieu de les persécuter. Ils ont besoin de
gagner leur vie
à partir des plantations légales qui,
d’après la majorité des paysans
de la région, pourraient générer de
meilleurs profits que la coca
moyennant des infrastructures convenables. Un paysan dont la ferme est
à 20 minutes de marche à travers la jungle, la
boue et des collines de
fourmis de la taille d’une voiture, résume le
problème tel qu’il le
voit : « Ici,
nous vivons abandonné…mais il y a de
l’argent pour la guerre ».
Ce que
réserve le futur pour le
Putumayo est flou. Alors que des fumigations aériennes
peuvent avoir
lieu à n’importe quel instant, les
éradications manuelles vont
probablement augmenter. Les projets de développement
alternatif vont
peut-être croître en nombre, mais les paysans
n’y participeront
probablement pas pour une multitude de raisons. Ou alors les projets
vont simplement échouer tout comme les années
précédentes. Un candidat
au conseil municipal local a donné une sombre analyse du
statut quo : « Ce
qu’ils font ici, c’est tuer les plantations de
denrées alimentaires par des fumigations [aériennes]
et éradiquer les plantations
illicites de manière manuelle. »
Plusieurs
responsables suggèrent que le
traité de libre-échange entre la Colombie et les
Etats-Unis donnera aux
paysans du Putumayo la possibilité d’exporter des
fruits tropicaux.
Toutefois, plusieurs organisations locales prédisent que cet
accord
sera dévastateur pour l’agriculture colombienne.
En zone rurale, où 85%
de la populations vit dans la pauvreté, où les
routes entretenues sont
rares et où l’État est quasi-absent,
l’économie est presque entièrement
agricole. Quand l’auteur de ces lignes discuta du
traité proposé, avec
un groupe de paysans de Libano, le chemin ardu qu’il reste
à parcourir
sauta immédiatement aux yeux. Après avoir
évoqué les supposés
bénéfices
qu’ils pourraient tiré de l’exportation
de leurs fruits tropicaux grâce
au traité, je leur ai demandé s’ils
cultiveraient de tels fruits. Un
des fermiers a immédiatement répondu :
« Non, Coca ».
Sources : RISAL et Colombia
Journal (http://www.colombiajournal.org/), septembre 2007.
Traduction :
Hélène Benghalem, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net/).
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Le
prêtre guérillero
par
Thibaut Kaeser,
historien, le 24 Août
2006
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COLOMBIE
- Ordonné
prêtre en 1954, Camilo Torres a toujours voulu
résoudre
l'équation «fils de Dieu et membre de la
société». Inflexible dans ses
combats sociaux en faveur des pauvres et des opprimés, il a
toujours
refusé le jeu d'un clergé cramponné
à ses privilèges et celui, douteux,
des partis politiques. Cette intransigeance l'a finalement conduit
à
prendre la maquis et à lutter avec les armes.
«Camilo
Torres
vit dans la théologie de la libération.
Liberación o muerte!» Tracée
sur le mur d'un immeuble de l'avenue des Tilleuls (quartier de
Saint-Jean, Genève), cette inscription rappelle au passant
des
souvenirs historiques ou, ce qui est plus probable, l'interpelle sur sa
signification. Ce graffiti écrit au cours de l'hiver 2006
n'est en tout
cas pas innocent, car voici quarante ans (15 février 1966),
Camilo
Torres Restrepo mourait à San Vincente de Chucuri, en
Colombie... Né à
Bogota le 3 février 1929 dans un milieu aisé,
Camilo est issu d'un
mariage recomposé. De 1931 à 1934, il habite
à Barcelone et à Bruxelles
– la Belgique fut essentielle dans sa formation
intellectuelle. Ses
parents séparés, il vit avec sa mère,
une femme de tempérament, et suit
le collège allemand de Bogota puis le lycée
Cervantès, deux
institutions de renom. Son adolescence est insouciante
malgré son
intérêt pour la religion au cours de retraites
organisées par les
Jésuites. Il fréquente les enfants de la haute
société et même la fille
d'un ancien président. Mais, peu à peu, le jeune
étudiant s'interroge
sur son environnement doré et sur le sens de sa vie.
En
1947,
il quitte l'université après un semestre de
droit. Il se lance dans le
journalisme mais finit par entrer au séminaire. Avril 1948:
l'assassinat du leader libéral Jorge Eliecer
Gaitán enflamme Bogota.
Les campagnes, exaspérées par la situation
politico-sociale, suivent le
Bogotazo. L'armée du gouvernement conservateur affronte les
bandoleros
libéraux. Dans un pays déjà
marqué par l'instabilité et la violence
(voir la guerre des Mille jours, 1899-1902), cette guerre civile
impitoyable (la Violencia) se termine au prix de 300 000 morts en 1953.
Alors que la Colombie signe un Pacte national
boiteux entre
libéraux et conservateurs, Torres est ordonné
prêtre en 1954. Puis, il
étudie à l'université catholique de
Louvain (Belgique), où des
générations d'étudiants protestataires
latino-américains se formeront.
Au sein d'une université fameuse pour abriter les divers
courants
libéraux catholiques romains, il connaît
l'émulsion. Pétri de
sociologie, sa matière
préférée, et frotté de
syndicalisme chrétien, il
fonde avec des étudiants colombiens un groupe de
réflexion et aiguise
son regard critique.
Sa mémoire de
licence en poche en 1959
(publié en 1987 sous le titre explicite de «La
prolétarisation de
Bogota»), Torres est nommé chapelain de
l'université nationale.
Créatif, il engage de nombreux projets de recherche,
notamment en
matière de sociologie urbaine, dont il est
précurseur en Colombie, et
fonde la faculté de sociologie avec Orlando Fals Borda en
1960. Au gré
d'investigations dans les quartiers miséreux de Bogota, il
sent
l'urgence du changement tandis que la révolution cubaine
bouleverse la
donne politique en Amérique latine et que le Concile Vatican
II lance
l'aggiornamento de l'Eglise catholique romaine.
En
effet, le
Concile Vatican II (1962-65), commencé sous les auspices du
bon pape
Jean XXIII et terminé avec l'intellectuel Paul VI, ouvre le
Vatican sur
le monde moderne en marquant une inflexion sur sa gauche. Les
encycliques sur la paix, l'injustice, la pauvreté et le
partage
s'enchaînent durant toute la décennie (notamment
«Pacem in terris»,
«Mater et Magistra» et «Populorum
progressio»). Cette ouverture
historique permet aux catholiques éclairés,
réformateurs ou
progressistes de se faire entendre.
Dans ce
contexte ecclésial
favorable, l'engagement de Camilo Torres trouve un élan
supplémentaire.
Mais le haut clergé colombien, très conservateur,
ne voit pas d'un bon
oeil ce prêtre trop écouté des
étudiants universitaires. Son sens
critique dérange. Sa dénonciation des
inégalités incommode. Après moult
polémiques, le cardinal Luis Concha Córdoba
obtient sa destitution de
son poste de chapelain. Muté dans la petite paroisse de
Veracruz,
Torres continue cependant son intense activité en milieu
paysan. En
1963, il préside le premier congrès de sociologie
de Colombie et parle
de «la violence et des changements socioculturels dans les
régions
rurales colombiennes». Il met le doigt là
où ça fait mal, veut résoudre
l'équation «fils de Dieu et membre de la
société», comme il disait, et
appelle à une révolution pacifique des structures
économico-sociales.
Celui qui se définit comme un «sociologue,
prêtre et colombien» est de
moins en moins en odeur de sainteté auprès de
l'oligarchie, des
politiques traditionnels et, surtout, de ses supérieurs.
En
1964, ce contestataire retourne cependant à
l'université comme
professeur associé à la faculté de
sociologie et à l'Ecole supérieure
d'administration publique. Occupant de nombreuses fonctions, ce
travailleur infatigable met sur pied une coopérative de
développement
rural et incorpore le très modeste Institut colombien pour
la réforme
agraire. Mais ses positions exaspèrent. Il doit quitter son
poste de
Veracruz. Jugé radical, il est constamment l'objet de
pressions d'une
cléricature engoncée dans ses
privilèges. L'Eglise n'est d'ailleurs pas
seule à le honnir: de retour d'un congrès au
Pérou, il est
provisoirement détenu par la police à
l'aéroport...
Le
27 juillet 1965, Camilo Torres célèbre sa
dernière messe. Sans quitter
la prêtrise, il retourne à l'état
laïc. N'écoutant même pas Rome, qui
réclame le dialogue, l'Eglise colombienne se
débarrasse avec
soulagement d'un gêneur – mais un
révolté émerge de son sein. Torres
prend langue avec la guérilla émergente de l'ELN
(Armée de libération
nationale, sympathisante castriste). Parallèlement, cet
activiste
désormais populaire donne des conférences
fiévreuses, dirige des
manifestations antigouvernementales d'ampleur nationale, et met sur
pied la plate-forme du Front uni (un mouvement de divers groupes
progressistes dont le but est de solutionner les problèmes
nationaux).
Mais l'agitation sociale est étouffée et des
paysans indociles
bombardés; de petites républiques
indépendantes récusent le pouvoir
établi (expérience de Marquatalia); la campagne
présidentielle de 1966
est électrique... La Colombie, fébrile.
Camilo
Torres signe alors éditoriaux et articles dans le journal du
Frente
Unido. Inscrit dans le sillage du renouveau du Vatican, il pousse
l'ouverture annoncée dans ses retranchements et choisit une
criante
option révolutionnaire dans la défense des
pauvres et des opprimés.
Refusant le jeu inefficient et douteux des deux grands partis
politiques libéral et conservateur, il prône
l'abstention électorale.
Mais ses positions le renvoient encore dans une impasse, aussi
rapidement que sa fulgurante trajectoire dans le ciel
troublé de la
Colombie des années soixante.
Durant
les six derniers mois de
1965, il écrit de longs messages qui sonnent comme des
épîtres
adressées aux secteurs les plus variés de la
société colombienne. A ses
coreligionnaires, il écrit: «La
révolution n'est pas seulement permise
mais obligatoire pour les chrétiens qui voient en elle
l'unique manière
efficace et large de réaliser l'amour pour tous.»
Aux communistes, ce
partisan du non-alignement tend la main. Il objurgue l'armée
de ne pas
être aux ordres de la bourgeoisie, mais de servir le peuple.
Il appelle
paysans, syndicalistes et étudiants à s'unir dans
un vaste projet
révolutionnaire et pluriel dans lequel il veut inclure les
femmes, dont
il parle avec tendresse.
Mais ses contacts sont
connus de
l'armée. Etiqueté subversif, il sait que les
tribunaux peuvent le
poursuivre – ou qu'il peut simplement être
abattu... Marginalisé par sa
hiérarchie, irritant les partis dominants, il estime que le
devoir d'un
chrétien passe désormais par les armes. Il
franchit le Rubicon fin 1965
et gagne le maquis de l'Armée de libération
nationale (ELN). Ses
dernières recommandations sont: «Pas un pas en
arrière! La Libération
ou la mort!». Camilo Torres meurt lors de son premier
accrochage avec
l'armée.
Important et populaire de son
vivant en Colombie, sa
renommée dépasse alors les frontières
de son pays, qui s'enfonce dans
la tourmente. Sa mère résuma bien sa fortune
héroïque: «Camilo est né
quand ils l'ont tué.» La légende du
prêtre rouge, guérillero
révolutionnaire et chrétien, à vrai
dire plus homme d'action que
théologien, se répand avec la nouvelle de son
martyr, même s'il sera
souvent éclipsé par Ernesto Guevara, son
contemporain, bientôt mort en
1967. La photo de Camilo a en effet souvent orné les murs de
chambres
d'étudiants latino-américains au
côté de celle du
«Che».
Source
: le Courrier http://www.lecourrier.ch
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