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Infos, Amérique Latine 2010                

Sommaire de la page 7,
 

1 -  Procès de la dictature chilienne à Paris, du 8 au 17 décembre 2010

2 - La mémoire des survivants et la révolte des ombres, Antonia Garcia Castro
3 - Chili : "Coup d'état 1973", Gabriel Garcia Marquez
4 -
Escadrons de la mort, l'école française, entretien avec Marie Monique Robin

5 - Le LKP de la Guadeloupe, un mouvement social instructif ? Paméla Obertan
6 - L’Amérique latine : la construction d’une région, José Del Pozo
7 - Amérique Latine et Colombie en particulier : Rapport sur la torture en 2010, ACAT





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Procès de la dictature chilienne à Paris



Lionel Mesnard, le 27 décembre 2010

Il s’est ouvert à Paris le 8 décembre 2010 le procès de 14 inculpés chiliens, des militaires principalement (1), en raison de la disparition de quatre franco-chiliens par après le 11 septembre 1973: Alphonse Chanfreau, Georges Klein, Etienne Pesle et Jean-Yves Claudet. Leurs 4 noms sont inconnus, et pour cause, ils ont été victimes d’un putsch militaire qui a été mis sous une certaine chape de silence. Tant il a impliqué pour le Chili une folie meurtrière et la négation des opinions. 

Vendredi 17 décembre 2010 s’est achevé à Paris le procès d’une infime partie des exactions de la junte militaire chilienne qui officia de 1973 à 1989. Ce procès aura eu pour mérite de voir la justice française condamnée avec fermeté le régime militaire et ses méthodes extrêmes. 13 des 14 inculpés chiliens ont été condamnés à de la prison ferme allant de 15 ans à 30 ans, sur les 14 inculpés un seul a été acquitté.

Pendant deux semaines s’est tenu en France le procès post mortem de la dictature au Chili sous la gouverne d’Augusto Pinochet et de certains de ses sbires. Il est rare de découvrir une juridiction pénale comme les Assises allées plus loin que les demandes du procureur, dont les condamnations n’excédaient pas 20 ans d’emprisonnement à l’encontre de prévenus absents, mais eux bien vivants.

Revenir près de 40 ans en arrière n’est pas anodin. Il est encore difficile d’expliquer les conséquences, non seulement humaines, mais l’impact sur toute une société d’une histoire criminelle particulière. Elle conserve encore de nos jours une actualité forte et demande d’aller au-delà des seuls cas jugés. Il importe de prendre en compte les mécanismes sociaux et économiques, le dessous des cartes de l’Histoire, c’est-à-dire donner à une époque donnée un contexte propre et des enjeux spécifiques.

On ne pouvait présumer qu’une juridiction française franchirait ce cap et favoriserait la tenue d’un tel procès. Il n’est pas celui d’une nation entière, mais ce qui est advenu à 4 personnes de nationalité française. C’est à ce titre qu’a été reçue la plainte contre 19 chiliens compromis dans des actes de barbarie, dont 13 ont été reconnus coupables (et 5 accusés ayant décédés depuis). Plus de dix ans de labeur peut-on présumé pour que se tienne le jugement des artisans et orchestrateurs de ces 4 crimes.

C’est au sein de la plus haute juridiction criminelle française, les Assises que se sont retrouvés en cause plus d’une dizaine d’accusés. Les acteurs des 4 crimes poursuivis n’ont pas cherché à se manifester, ni même à se faire représenter. Ces tortionnaires et ordonnateurs se sont protègés derrière une loi chilienne empêchant toute procédure d’expulsion d’un national. Certains sont morts comme Augusto Pinochet en décembre 2006 et Paul Shaefer ou Shäfer en 2009 (un ancien caporal de l’armée nazie, qui a pris souche ans les années 1960 au sein de la colonie Dignitad, qui fut un centre de rétention et de torture de la junte). Ils ne pourront répondre de leurs crimes et nous éclairer sur les circonstances les ayant conduit à donner des ordres ou bien à les exécuter.

Alphonse Chanfreau, Georges Klein, Etienne Pesle et Jean-Yves Claudet permettent de découvrir ce qui a pu se produire, même s’ils ne représentent pas à eux seuls l’étendue des actes de torture et les séquestrations. Nos quatre hommes de 23 à 49  ans sont représentatifs de cette génération sacrifiée, et ils ont été l’objet en France de procédures juridiques ouvertes en 1998. Ce fut suite aux  demandes du juge espagnol Balthazar Garzon contre l’ancien dictateur Augusto Pinochet. Il en avait résulté l’arrestation en Grande-Bretagne de l’ancien chef de la junte pendant quelques semaines. Un épisode qui permit par la suite en France le dépôt d’une plainte. Et qui plus est la mise à jour d’un motif commun : les quatre franco-chiliens ont disparu sans que l’on retrouve leurs dépouilles et demeurent encore aujourd’hui sans sépultures.

Ces actions en justice auront pour répercussion l’ouverture d’une enquête trouvant 12 ans après un prétoire français pour entendre les familles concernées. Si certaines procédures ont pu aboutir au Chili contre des tortionnaires, bon nombre de responsables sont encore en liberté, et à ce rythme, une majorité d’entre eux décéderont à domicile sans avoir à répondre de leurs participations criminelles. Néanmoins, un des initiateurs principaux et ancien bras droit de Pinochet, Juan Manuel Conteras - 81 ans -  est depuis 2005 sous les barreaux au Chili, et se voit condamné aussi dans la disparition de A. Chanfreau, G. Klein, E. Pesle et J.Y. Claudet, en France.

Si les responsabilités sont établies en ce qui concerne certains hauts gradés de l’époque, le Chili en a-t-il fini avec tous les tortionnaires ayant agit en leurs noms ? Il semble que la réponse soit négative, de toute évidence le travail de mémoire reste à faire et aux générations nouvelles de se pencher sur une histoire sanglante qui reste à écrire. Au moins ce procès permettra t-il un jour d’ouvrir de nouvelles suites au Chili, c’est au mieux ce que l’on peut attendre d’un pays libéré de ses démons.

Un basculement est intervenu le 11 septembre 1973

Une société entière dans ses fondements démocratiques s’écroule. Il y a pour réalité Salvador Allende se suicidant au sein du Palais Présidentiel de la Moneda, et un pays entier sombrant dans le fascisme du jour au lendemain.

Sous les ordres d’Augusto Pinochet et suite au coup d’état du 11 septembre 1973, ce sont 3.000 chiliens qui vont connaître la mort, 30.000 autres vont subir la torture, et plusieurs dizaines de milliers un exil forcé. Il n’était pas suffisant de renverser un président démocratiquement élu, Salvador Allende, il fallut décapiter toute l’opposition de gauche.

Que s’est-il produit, qu’est-ce qui a pu pousser à tel vent répressif ? pourquoi élimine-t-on une opposition? comment s’impose ou s’organise un pouvoir dictatorial? pourquoi une nation semblant stable peut-elle basculée dans l’horreur? et cerise sur le gâteau, comment  une idéologie d’inspiration purement fasciste va prendre la direction du pays?

En ces temps pas si lointain, la lecture géopolitique était scindée en deux empires faisant du Chili une chasse gardée des Etats-Unis. La haute bourgeoisie  chilienne, c’est-à-dire les oligarchies locales vont imposer dans les faits une dictature.

L’acharnement de l’opposition dite de centre-droit et les tentatives de déstabilisation  du gouvernement de l’Unité Populaire n’auront qu’un seul but, et aura pour finalité de renverser le pouvoir légal en place. En 1973, pour les chiliens, il en fut autrement et les condamnations n’eurent que peu d’échos, néanmoins elles ont possiblement éviter un bain de sang plus grand.

Les réformes du gouvernement progressiste de l’U.P touchèrent directement les richesses minières du pays et en contrepoint la menace de tarir la manne des profits sonnants et trébuchants. L’on touchait là, à des intérêts colossaux, à l’exemple du cuivre, et de l’importance de contrôler une ressource cruciale et économiquement très rentable. Car non seulement la ressource est mise en valeur, mais elle engraine surtout des recettes, des taxes à chaque étape de production.

De l’extraction à son conditionnement, cela suppose que le pays exportateur abandonne une part de cette richesse au profit d’une industrie tierce et d’une économie transnationale ou étrangère. La richesse n’est pas dans la ressource extraite, mais dans la vente de produits, dont on contrôle au passage les normes et les flux financiers. Un faible coût de la matière permet ainsi que s’engrange le maximum de la plus value au sein du pays qui va conditionner et vendre le produit fini.

L’objectif visé de la dictature a été d’annihiler les forces populaires qui avaient pris le pouvoir en 1970 au Chili. Ce plan démoniaque visant à renverser des institutions démocratiques a fonctionné et a perduré pendant de longues années. Depuis 1990 ce pays cherche un nouveau souffle, l’on parle même de transition pour décrire l’après Pinochet, mais ce qui peut étonner, c’est pourquoi tant de crimes sont restés impunis ?

Pourquoi en vient-on à décapiter une génération militante, Qu’est-ce qui a poussé une partie des Chiliens à choisir le totalitarisme et les injonctions de l’Empire ? L’implication de Washington a été importante, elle n’est pas en soit une surprise. Services secrets, diplomaties, transnationales étasuniennes ne seront pas étrangères à la préparation du coup d’état. Des appuis financiers ciblés serviront à choisir le chaos et condamner au silence les forces vives du pays.

Même si 37 années se sont écoulées depuis le coup d’état, il reste non seulement à comprendre, transmettre et mettre en lumière un cataclysme. Ce qui s’est passé à non seulement valeur et sens aux yeux des « survivants » ou rescapés de la mémoire, notamment les familles de victimes et ceux ayant subit dans leur chaire les exactions du régime militaire, mais aussi tous ceux qui souhaitent comprendre ce qui s’est mis en route. Nous amenant de plus à nous interroger sur ce qui fait lien entre la France et le Chili ? et pourquoi une réalité au demeurant si lointaine devient l’objet d’une attention toute particulière ?

Au delà du jugement sorti à Paris ou au Chili, il en va du droit international à juger des bourreaux, à faire respecter une justice sans frontières, et ne pas laisser des coupables tromper l’ennui. Cette mise en lumière d’un fascisme questionne. Il n’est pas sans lien à ce qui s’est déroulé en Europe dans les années 1930, c’est à cette même époque que se constitue au Chili un parti national-socialiste. Cette persistance idéologique a aujourd’hui pour résultat qu’une partie de la société chilienne ne souhaite pas aborder le sujet. Que l’on puisse apparenter le Chili des années 1970 et 1980 à un état fasciste n’est pas acceptable, au pire c’est un tournant économique qui aura permis de faire du Chili un pays moderne...

Quand la vision totalitaire l’emporte

Les sociétés latino-américaines ont toujours vécu sur un ordre raciste et discriminatoire, qui plus est elles ont toujours cumulé de très grandes inégalités sociales, plus une liberté d’expression réduite et un terreau favorable au culte sans mesure du chef et des apparats militaires. Cet ordre de pensée s’est inspiré dans la droite ligne des théories racistes et fascistes européennes, il verra la mise en œuvre des systèmes totalitaires usant de procédés d’inspiration purement guerrière et contre ses populations civiles, non seulement au Chili, mais partout dans la région. Cette lecture des événements par des ressorts idéologiques n’est pas le fait du hasard, mais d’une correspondance certaine à un ordre des choses.

Peut-on interpréter le suicide de Salvador Allende ? Qu’est-ce qu’il a poussé au-delà de son ardeur et de ses combats à mettre fin à ses jours ? S’est-il douté du chaos qui allait se produire ? Plus que d’autres, il a pu à ce sujet se douter et même avoir à sa connaissance un projet de coup d’état. Dès sa prise de pouvoir en 1970, les difficultés seront fortes, et plus il avancera vers certains types de réforme, plus il connaîtra une opposition déterminée à l’éliminer lui et ses partisans. Qu’a-t-il voulu signifier en se sacrifiant ? Nous n’aurons jamais la réponse de sa part, et il serait vain d’y répondre. Un seuil a été dépassé et à ce stade toute résistance s’avère vaine, seule la détention inique et cynique du pouvoir et de la force l’emporte.

Le 11 septembre 1973, un néo-fascisme a vu jour avec l’aval de la super puissance et l’appui des bourgeoisies continentales. Ce que la citoyenneté pouvait représenter d’embryonnaire en Amérique Latine voit avec la disparition de la démocratie chilienne un arrêt net de tout processus d’émancipation et de progrès social à l’échelle continentale. Au nom de la lutte contre le «communisme» tout ce qui ressemble de loin ou de près à un « rouge  est meilleur mort que vivant », pour reprendre un type de phraséologie en vogue à cette époque.

En 1973, deux modèles s’affrontaient à l’échelle mondiale et toutes contradictions aux deux systèmes se voyaient réduites au silence. La question n’est pas de savoir si un modèle totalitaire l’emporte sur l’autre, mais ce qui a conduit une nation de l’hémisphère sud à en accepter les mécanismes et les dérives. En quoi l’exercice démocratique est difficile, et qu’à tout prendre la vision absolutiste finie par dominer les esprits et balayer sur son passage les fondements de la raison humaine. On ne brise pas le silence parce que l’on sait, on prend en examen les sources et l’on essaie de ne pas trop s’y soustraire.

Seuls les faits ont une importance, et le procès qui s’est déroulé en France peut avoir des accents symboliques en l’absence des concernés, mais il a un caractère important et pointe la responsabilité de l’état chilien dans le peu d’empressement à faire connaître la vérité, et permettre aux familles des victimes d’enterrer leurs morts, ou simplement faire le deuil d’un être disparu.

Ce que soulève la question des disparitions, c’est que le plus souvent le corps ne puisse être retrouvé, au passage c’est une constante que l’on connaît bien en Amérique Latine. Une pratique toujours très active en Colombie, qui consiste à faire disparaître les preuves d’un acte criminel. Pas de corps, pas de sépulture et l’impossibilité de mettre en évidence les échelles de responsabilité et les auteurs. Il n’y a rien d’étrange à constater, que les mêmes modes opératoires sont toujours en cours et au service des mêmes idées.

Ce qui nous sépare de faits intervenus, il y a plus de 30 ans, nous pose indubitablement la question de pourquoi donner à l’histoire une cohérence, et vouloir rouvrir certaines plaies propres à la société chilienne ? Cette perméabilité au terrorisme d’état, à l’usage de la force, à la répression des oppositions, nous ouvre sur le grand livre blanc des souffrances de ce continent énigmatique et pourtant nôtre, si l’on se réfère à l’objet monde.

Ce qui s’est passé au Chili en septembre 1973 illustre un pan ce que l’on appelle la « guerre froide », ou comment à l’époque l’Amérique du Sud s’est retrouvée en première ligne de l’affrontement entre les deux superpuissances du moment. Il faudrait remonter à l’Ecole des Amériques créée en 1946 pour comprendre comment les Etats-Unis vont agir et faire de l’Amérique Latine une continuité territoriale militaire et économique.

Prendre en compte la formation des élites militaires c’est tracer et imprimer une stratégie et par ailleurs dicter une ligne de conduite stratégique et politique.  Dans le même sillage, l’industrie nord américaine a besoin des ressources notamment pour servir ses desseins d’expansion. Les bourgeoisies locales dans leurs grandes majorités vont s’y soumettre, tout en favorisant des régimes dictatoriaux et aider aux investissements étasuniens.

La lutte contre l’Union Soviétique est non seulement systématique, mais tout ce qui est associé est combattu sans merci. L’ordre bi mondial ou bipolaire domine les esprits, peu de place à la critique, nous vivions un ordre des choses scindé en deux camps et en dehors d’un ou l’autre «modèle», les alternatives politiques furent plutôt rares d’un côté comme de l’autre. Et quand Salvador Allende accède en 1970 à la magistrature suprême, il est d’entrée perçu à Washington comme un homme à abattre. Il faudra lui imposer à chaque étape électorale ou de réforme une tactique visant à empêcher le processus de transformation citoyen et économique.

Richard Nixon en 1973 est entrain de perdre la guerre au Vietnam, la même année il est impliqué dans le scandale du Watergate, on ne pouvait laisser un mouvement qui est plus est progressiste l’emporter sur le continent, sauf à faire de Santiago du Chili un contre-exemple. Dans un monde aussi tranché, les politiques du gouvernement de gauche n’ont pas servit le dessein expansionniste.

«Une des plus puissantes d’entre elles, l’ITT Corporation (International Telephone and Telegraph) possède en 1970, 70% de la Chitelco, la compagnie de téléphone chilienne, qui se traduit par la récolte de 153 millions de dollars à l’époque. L’ITT déverse des fonds dans les caisses noires du parti républicain ; impossible pour Nixon de les ignorer. Un membre du conseil d’administration de l’ITT et ex-directeur de la CIA, promet un million de dollars supplémentaire à Nixon en échange d’une « mise hors d’état de nuire » du nouveau président socialiste. D’autres multinationales, tel que Anaconda Copper (cuivre) en firent de même.» (2).

Si le programme de l’Unité Populaire n’est plus ni moins un projet « souverainiste », du moins la charge de défendre ses intérêts et mieux les répartir. En s’extrayant du marché et en allant à contre-courant de ce qu’imposait la machine expansionniste, il ne resta pour les oligarchies et le département d’état sous la gouverne d’Henry Kissinger qu’une solution. Mettre fin à cette volonté de redistribuer une part des richesses et des produits à la population chilienne n’était pas acceptable. Cette politique ne contribuait en rien aux intérêts de la puissance dominante.

L’objectif premier de toutes les ambassades étasuniennes était (et reste) d’assurer la plus grande plus-value possible et soutenir des investissements en renforçant la dépendance ou la soumission. Quitte à en oublier certains principes de liberté et de démocratie. L’histoire des latinos américains de nord en sud est intimement liée à ce qu’ont imposé les pouvoirs dictatoriaux locaux sous l’ordonnance le plus souvent des militaires du cru et avec l’aval de la Maison-Blanche et des milieux industriels.

Une continuité qui a opéré dans les Caraïbes, en Amérique Centrale et du Sud, et pas un pays n’a vécu de 1947 à l’effondrement  du mur de Berlin une démocratie pérenne. Chaque nation a connu sa période totalitaire plus ou moins longue. Toutes les dictatures ont laissé une trace, des mémoires ouvertes et l’espérance d’une réparation à sa juste mesure.

Notes :

(1) liste des inculpés :

- Juan Manuel CONTRERAS SEPÚLVEDA, ancien Chef de la DINA et ancien Général de l’Armée de Terre chilienne
- Hermán Julio BRADY ROCHE ancien Commandant en Chef de la garnison de Santiago
- Pedro Octavio ESPINOZA BRAVO ancien Colonel de l’Armée de Terre, Directeur des opérations et Chef de la Brigade d’Intervention Métropolitaine (BIM) de la DINA
- José Osvaldo RIVEIRO ancien Lieutenant-Colonel de l’Armée de Terre
- Marcelo Luís MOREN BRITO ancien Commandant de l’Armée de Terre
affecté à la DINA
- Miguel KRASNOFF MARTCHENKO ancien Capitaine de l’Armée de Terre affecté à la DINA
- Rafael Francisco AHUMADA VALDERRAMA ancien Officier au Régiment de TACNA
- Gerardo Ernesto GODOY GARCÍA ancien Sous-Lieutenant de l’Armée de Terre, affecté à la DINA
- Basclay Humberto ZAPATA REYES ancien Sous-Officier de l’Armée de Terre affecté à la DINA
- Enrique Lautaro ARRANCIABIA CLAVEL ancien Représentant de la DINA en Argentine
- Raúl Eduardo ITURRIAGA NEUMANN ancien Responsable du Département extérieur de la DINA
- Luís Joachim RAMÍREZ PINEDA ancien Commandant du camp de TACNA,
- José Octavio ZARA HOLGER ancien Officier de l’Armée de Terre en poste à la DINA
- Emilio SANDOVAL POO ancien militaire de réserve de la Force aérienne, actuellement chef d’entreprise à Temuco

(2) Yazmin Fernandez-Acuna veuve d’Humberto Menanteau (Jeune chilien d’origine française, torturé à mort par les tortionnaires de la DINA, à la Villa Grimaldi, Santiago du Chili, le 20 novembre 1975. Humberto Menanteau avait 24 ans).

"Desaparecidos - Disparus"
un document  réalisé par Nicolas Joxe

En 2008, la FIDH organise une mission au Chili dans le but d’informer les associations de familles de disparus et la société chilienne de la tenue en France du procès des responsables présumés de la disparition de quatre franco-chiliens : Georges Klein, Etienne Pesle, Alphonse Chanfreau et Jean-Yves Claudet. En se rendant au Chili aux côtés des membres de la FIDH, le réalisateur décide de faire un film pour comprendre comment et pourquoi ces quatre hommes ont disparu.
Lire ou télécharger le dossier de Presse : Dossier FIDH (en PDF)




La mémoire des survivants
et la révolte des ombres :
 les disparus dans la société chilienne (1973-1995)



Antonia GARCIA CASTRO, décembre 2010

1 - S'il fallait fixer une date marquant le début du processus de démocratisation au Chili, peut- être faudrait-il opter pour ce 5 octobre 1988, où le peuple chilien a été invité à se prononcer sur l'avenir du régime militaire. Ce choix serait moins motivé par l'issue de ce référendum que par sa mise en œuvre. En effet, pour la première fois depuis le coup d'Etat de 1973, deux conceptions, non pas seulement de l'avenir, mais aussi du passé du Chili, se sont opposées ouvertement. Poser la question de la capacité des militaires à gouverner le pays ne pouvait que solliciter une réflexion plus ample sur la manière dont le pays avait été, effectivement, gouverné par les militaires.

Cette présence du passé devint, durant les années quatre-vingt-dix, un thème majeur du débat politique, soutenu par l'interrogation suivante : " Que faut-il connaître des pratiques répressives du régime militaire afin de consolider la transition démocratique? ". Le fait que la transition ait été une initiative du régime militaire lui-même place le nouveau gouvernement dans une situation complexe : limité dans son action par des entraves institutionnelles qui protègent les intérêts des forces armées, il ne peut cependant ignorer les revendications des secteurs politiques dont il est issu. Or, la thématique des violations des droits de l'homme, perpétrées sous le régime militaire, a été le ferment de la coalition qui remporta les élections du 14 décembre 1989.

2 - Le crime de la disparition-forcée est au cœur de ce débat qui cherche à établir ce qu'il faut retenir des événements de 1973. Il en est ainsi, parce que son existence donna lieu à une organisation qui, dès 1975, s'opposa publiquement au régime : l'Association des Familles des Détenus-Disparus (A.F.D.D.). Ce sont les mères des disparus qui, les premières, sont descendues dans les rues de Santiago pour demander aux autorités compétentes où se trouvaient leurs enfants.

Leur prise de parole fraya un chemin de liberté qui fut progressivement emprunté par d'autres. La lutte des familles des disparus devint ainsi un des symboles de la résistance au régime militaire. Mais surtout, la manière dont ces femmes entrèrent dans la vie politique chilienne, modifia sensiblement la nature du conflit qui opposait les partisans de l'ancien gouvernement socialiste aux Forces Armées : c'est au grand jour et sans armes qu'elles dressèrent, à la vue de tous, les images de la disparition-forcée déjouant ainsi la stratégie d'invisibilisation du pouvoir5.

3 - Or, si le crime de la disparition-forcée pose actuellement un problème au gouvernement démocratique, c'est moins parce qu'il est un objet du débat que parce qu'il interroge la société chilienne sur la légitimité même de ceux qui prennent la parole : comment juger aujourd'hui le crime de la disparition-forcée sans porter un jugement sur la nature du pouvoir alors en place ? Comment prononcer un jugement si l'on ne dispose pas, par ailleurs, du pouvoir de le faire ? La manière dont le débat est posé importe peut-être plus que l'issue du débat lui-même car les mots prononcés seront, quoi qu'il advienne, légués aux prochaines générations. Et cette certitude détermine aussi la manière dont se joue le rapport de force opposant ceux qui gouvernent et ceux qui ont gouverné.

Ainsi, la question initiale importe peu si elle n'est pas accompagnée de cette autre question : " Comment ces prochaines générations, se souviendront-elles des événements de 1973? Comment se souviendront-elles de ces hommes et de ces femmes qui en furent les acteurs? ". C'est là, peut-être, une des principales victoires des familles des détenus- disparus : avoir fait de la disparition-forcée un miroir où chacun peut se regarder tel qu'il sera aux yeux des générations à venir.

Les paradoxes de la disparition

4 - S'il n'est pas aisé de concevoir le crime de la disparition-forcée, c'est peut-être parce que sa principale caractéristique est une absence. Dire d'une personne qu'elle " a disparu " ne nous renseigne nullement sur son sort : elle peut être morte, elle peut être vivante, elle est considérée comme " disparue " parce qu'un jour elle n'a plus été " vue " par son entourage. La disparition- forcée suppose toujours l'occultation du corps de la victime. Et tant que le corps n'est pas visible, tant qu'il demeure introuvable, quiconque pratique la disparition n'a pas à répondre de ses actes.

Ainsi, c'est l'existence d'un entourage qui donne un sens à l'utilisation de cette pratique. C'est parce que quelqu'un va constater la disparition d'un individu, sans pouvoir pourtant la prouver, que la disparition-forcée peut devenir un instrument du pouvoir. Entre 1973 et 1990, elle permit au régime militaire chilien d'exercer un pouvoir coercitif, sur certains secteurs de la population, tout en se défendant publiquement de porter atteinte aux droits de l'homme.

5 - Qui sont les disparus ? Pour la plupart, il s'agit d'hommes et de femmes appartenant à des organisations politiques (partis, syndicats, associations) ayant soutenu le gouvernement socialiste. En tant que tels, ils ont été désignés comme étant le nouvel ennemi : " La doctrine marxiste développe une conception de l'homme et de la société qui blesse la dignité humaine et porte atteinte aux valeurs chrétiennes de la tradition nationale ".

La pratique de la disparition- forcée s'inscrit dans la logique d'un discours qui cherche à déterminer quelles doivent être les valeurs de la communauté nationale, qui en fait partie et qui doit en être définitivement exclu8. Les partisans du gouvernement socialiste sont, en raison de leur appartenance politique, perçus par les nouveaux gouvernants comme étant membres d'une communauté dissidente et ils doivent, de ce fait, être à jamais bannis de la communauté nationale. La pratique de la disparition-forcée s'intègre donc dans ce dispositif plus large par lequel le pouvoir militaire cherche à légitimer son action et à jeter le discrédit sur ceux qu'il réprime : les militants de gauche sont de " mauvais " éléments ne pouvant que nuire, par leur simple existence, à l'ensemble du " corps " national.

Les procédés de la disparition-forcée sont particulièrement " adaptés " à cette " éradication du mal ". En effet, le disparu est souvent un prisonnier qui n'a pas été reconnu par les autorités militaires. Conduit dans un centre secret de détention, son corps est dérobé aux regards du monde extérieur et privé de tous ses droits. L'appropriation radicale du corps du prisonnier permet au pouvoir militaire de se prétendre absolu, en dévoilant, en même temps, l'inutilité de tout acte de résistance. Cette dimension est essentielle car l'individu qui disparaît est, aussi et surtout, un intermédiaire permettant de dissuader une collectivité donnée de s'ériger en opposition au pouvoir établi.

En effet, c'est l'entourage de la victime qui subit, à proprement parler, les effets de la disparition-forcée. Il y a tout lieu de croire que la disparition cherchait à atteindre, en priorité, l'entourage politique du disparu : n'importe quel moyen pouvait être utilisé pour soutirer des informations à ce prisonnier que personne n'était en mesure de défendre10 ; il devenait ainsi un pion permettant la capture d'autres individus qui, à leur tour, pouvaient être contraints de participer, plus ou moins directement, à des arrestations. Mais, cet entourage, organisé politiquement, n'était pas le seul visé.

La disparition-forcée s'adressait également à des inconnus : quiconque était confronté à la disparition d'un proche (un parent, un ami, un collègue de travail, ou encore l'ami d'un ami...) était engagé à garder le silence car toute prise de parole pouvait conduire au " même " sort. Et c'est là, que la disparition-forcée apparaît comme une pratique coercitive tout à fait particulière, puisque personne ne savait, réellement, en quoi consistait ce sort.

L'ombre qui semble ensevelir le corps du disparu affecte son entourage autrement que la certitude d'un mauvais traitement, ou même, d'une mort : c'est le doute, provoqué par la disparition d'un proche, qui constitue la blessure pour ceux qui demeurent. Mais, si n'importe quelle connaissance de la victime pouvait être intimidée par sa disparition, seul son entourage affectif pouvait éprouver cette blessure. C'est parce qu'ils avaient appris à vivre avec l'être cher, que les mères, les compagnes, les enfants des disparus vécurent désormais le moindre détail de la vie quotidienne (un anniversaire qui ne fut pas souhaité, une parole qui ne fut plus entendue) comme une anomalie insupportable. (...)

Lire la suite ou télécharger :
La mémoire des survivants (en PDF)

Source : Cultures & Conflits 
http://conflits.revues.org




Chili : "COUP D'ETAT 1973"



Gabriel García Márquez, année 2002


Nous sommes à la fin 1969. Trois généraux du Pentagone reçoivent à dîner quatre militaires chiliens dans une villa de la banlieue de Washington. Leur hôte, alors colonel de l'Armée de l'air chilienne, est Gerardo Lúpez Angulo, qui est aussi attaché à la mission militaire du Chili aux États-Unis. Ses invités chiliens sont des camarades des autres armes. Ce dîner est organisé en l'honneur du directeur de l'École d'Aviation du Chili, le général Carlos Toro Mazote, arrivé la veille en visite d'études. Au menu : une salade de fruits et un rôti de veau aux petits poix, le tout arrosé d'un vin de la lointaine patrie que les sept militaires dégustent, nostalgiques, en pensant aux oiseaux lumineux des plages du Sud, alors que Washington naufrage dans la neige. Leur conversation, en anglais, porte sur le seul sujet qui semble intéresser tous les Chiliens à l'époque : les élections présidentielles du mois de septembre prochain. Au dessert, un des généraux du Pentagone demande ce que ferait l'Armée chilienne si le candidat de la gauche, Salvador Allende, gagnait les élections. Le général Toro Mazote répond alors : " Nous prendrons le Palais de la Moneda en une demi-heure, même s'il nous faut l'incendier ! "

LE 11 SEPTEMBRE 1973 : CHRONIQUE D'UNE TRAGÉDIE ORGANISÉE


Un des convives était le général Ernesto Baeza, directeur de la Sécurité nationale du Chili. Lors du coup d'État, c'est lui qui coordonna l'assaut du palais présidentiel et donna l'ordre d'y bouter le feu. Pendant ces jours agités, deux de ses subalternes deviendront célèbres dans la même journée : le général Augusto Pinochet, président de la Junte militaire, et le général Javier Palacios, qui participa à l'attaque finale contre Salvador Allende.

Autour de la table se trouvait aussi le général de brigade aérienne Sergio Figueroa Gutiérrez, actuel ministre des Travaux publics et ami intime d'un autre membre de la Junte militaire, le général d'aviation Gustavo Leigh, qui ordonna de bombarder le palais présidentiel avec des missiles. Le dernier invité était Arturo Troncoso, aujourd'hui amiral et gouverneur naval de Valparaíso. Il dirigea la sanglante purge des officiers progressistes de la marine de guerre, après avoir entamé le soulèvement militaire à l'aube du 11 septembre 1973.

Ce dîner historique fut en fait le premier contact du Pentagone avec des officiers des quatre armes des forces armées chiliennes. Lors des réunions qui suivirent, tant à Washington qu'à Santiago, l'accord final fut scellé : les militaires chiliens plus proches de l'âme et des intérêts des États-Unis prendraient le pouvoir si l'Unité populaire venait à gagner les élections. Cette opération fut planifiée de sang froid, telle une simple manœuvre de guerre, sans tenir compte des conditions réelles du Chili.

Le plan avait été élaboré d'avance, pas uniquement sous la pression de l'International Telegraph & Telephone (ITT), mais aussi pour des raisons bien plus profondes de géopolitique. Il avait été baptisé Contingency Plan. L'organisme chargé de le mettre en marche était la Defense Intelligence Agency du Pentagone, mais l'instance exécutrice fut la Naval Intelligence Agency, qui centralisa et analysa les données des autres agences, y compris la CIA, sous la direction politique du Conseil national de sécurité. Il était normal que le projet soit confié à la Marine et non à l'Armée, car le coup d'État au Chili devait coïncider avec l'opération Unitas, ensemble de manœuvres des unités américaines et chiliennes dans le Pacifique. Ces manœuvres avaient traditionnellement lieu en septembre, le même mois que les élections. Il était donc naturel que le sol et l'espace aérien du Chili soient remplis de matériel de guerre en tous genres et de soldats entraînés aux arts et aux sciences de la mort.

À l'époque, Henry Kissinger avait déclaré à un groupe de Chiliens : " Le Sud du monde ne m'intéresse pas et je ne veux rien connaître de ce qui se trouve plus bas que les Pyrénées ". Le Contingency Plan était alors prêt jusque dans les moindres détails et il est impensable que Kissinger n'était pas au courant et que le président Nixon lui-même n'en sache rien.
Aucun Chilien ne croit que demain c'est mardi.

Le Chili est un pays étroit : 4 270 km de long sur 190 km de large. Il compte 10 millions d'habitants effusifs, dont deux millions vivent à Santiago, la capitale. La grandeur du Chili ne tient pas tant du nombre de ses vertus que de l'ampleur de ses exceptions. Ainsi, à l'époque, le cuivre est la seule chose que le pays produit avec un sérieux absolu, mais c'est aussi le meilleur cuivre du monde, et le volume produit est à peine inférieur à celui combiné des États-Unis et de l'Union soviétique.

Le Chili produit aussi des vins aussi bons que les vins européens, mais les exporte peu, car les Chiliens en boivent presque la totalité. De 600 dollars, son revenu par habitant était alors un des plus élevés d'Amérique latine ; or, presque la moitié du produit national brut est partagée entre 300 000 personnes à peine. En 1932, le Chili fut la première république socialiste du continent. Le gouvernement tenta alors de nationaliser le cuivre et le charbon, avec le soutien enthousiaste des travailleurs. Mais l'expérience ne dura pas plus de 13 jours.

Pays sismique, le Chili connaît aussi en moyenne un tremblement de terre tous les deux jours, et un séisme dévastateur tous les trois ans. Les géologues les moins apocalyptiques estiment que le Chili n'est pas un pays de terre ferme, mais plutôt une corniche des Andes, perdue dans un océan de brumes, et que tout le territoire, avec ses salpêtrières et ses femmes douces, est condamné à disparaître dans un cataclysme.

D'une certaine manière, les Chiliens ressemblent beaucoup à leur pays. Ce sont les gens les plus sympathiques du continent ; ils aiment se sentir bien en vie et savent l'être autant que possible, voire plus. Mais ils ont une dangereuse tendance au scepticisme et à la spéculation intellectuelle. " Aucun Chilien ne croit que demain c'est mardi ", m'a dit un jour un Chilien, qui n'en croyait rien non plus.

Cependant, même avec cette incrédulité de fond, ou peut-être grâce à elle, les Chiliens ont atteint un certain degré de civilisation naturelle, de maturité politique et de culture qui sont leurs meilleures exceptions. Des trois Prix Nobel de littérature d'Amérique latine, deux étaient Chiliens, et l'un d'eux, Pablo Neruda, était le plus grand poète de ce siècle. Tout cela, Kissinger le savait bien lorsqu'il répondit qu'il ne connaissait rien au Sud de la planète. C'est que le gouvernement des États-Unis connaissait alors jusqu'aux plus profondes pensées des Chiliens. Il les connaissait depuis 1965 lorsque, sans la permission du gouvernement chilien, il avait lancé une incroyable opération d'espionnage social et politique : le Plan Camelot. Il s'agissait d'une enquête furtive, se servant de questionnaires très précis, présentés à toutes les couches sociales, à toutes les professions, à tous les métiers, jusqu'aux moindres recoins du pays. L'idée était de définir, de manière scientifique, le degré de développement politique et les tendances sociales des Chiliens. Dans le questionnaire destinés aux militaires figurait la question reposée cinq ans plus tard aux officiers du dîner de Washington : quelle serait leur attitude si le communisme arrivait au pouvoir dans le pays ? La question était malicieuse. Après l'opération Camelot, Washington savait très bien que Salvador Allende serait élu président de la République.

Ce n'est pas un hasard si le Chili fut choisi pour un tel scrutin. L'ancienneté et la force de son mouvement populaire, la ténacité et l'intelligence de ses dirigeants et les conditions économiques et sociales du pays, tout cela permit de prévoir la tournure des événements. L'analyse de l'opération Camelot l'avait confirmé : le Chili allait devenir la deuxième république socialiste du continent, après Cuba. Autrement dit, le but des États-Unis n'était pas simplement d'empêcher le gouvernement de Salvador Allende pour protéger les investissements américains. L'idée, à plus grande échelle, était de réitérer l'expérience la plus atroce, mais aussi la plus productive, que l'impérialisme ait jamais menée en Amérique latine : celle du Brésil. Doña Casserole se jette à la rue...

Le 4 septembre 1970, comme prévu, Salvador Allende, médecin socialiste et franc-maçon, était élu président de la République. Mais le Contingency Plan ne fut pas mis en œuvre. L'explication la plus courante est aussi la plus amusante : un fonctionnaire du Pentagone commit une erreur et demanda 200 visas pour une soi-disant fanfare navale qui était en fait composée d'experts ès coups d'État, dont plusieurs amiraux qui ne savaient même pas chanter. Le gouvernement chilien découvrit la manœuvre et refusa d'accorder les visas. Cet incident, dit-on, aurait entraîné le report de l'opération. La vérité est que le projet avait été évalué à fond : d'autres agences américaines, la CIA surtout, ainsi que l'ambassadeur américain à Santiago, Edward Korry, estimèrent que le Contingency Plan était une opération militaire qui ne tenait pas compte de la situation du Chili à l'époque.

En effet, le triomphe électoral de l'Unité populaire n'engendra nullement la panique sociale qu'attendait le Pentagone. Au contraire, l'indépendance affichée du gouvernement en matière de politique internationale et sa résolution sur le terrain de l'économie avaient aussitôt créé une ambiance de fête sociale. Dans la première année, 47 entreprises industrielles furent nationalisées, ainsi que plus de la moitié du système de crédits. La réforme agraire expropria 2,4 millions d'hectares de terres agricoles pour les intégrer à la propriété sociale. L'inflation fut freinée, le plein emploi fut atteint et les salaires connurent une hausse effective de quelque 40%.

Le gouvernement précédent, présidé par le démocrate-chrétien Eduardo Frei, avait entamé la nationalisation du cuivre. Mais cette opération n'avait consisté qu'à racheter 51% des parts des mines. Or, pour la seule installation minière de El Teniente, le montant versé était supérieur à la valeur totale de la mine. Le gouvernement de l'Unité populaire, quant à lui, récupéra, par un seul acte juridique, tous les gisements de cuivre exploités par les filiales des sociétés américaines Anaconda et Kennecott. Et ce, sans verser aucune indemnité, car le gouvernement calcula que les deux sociétés avaient, en 15 ans, engrangé un bénéfice excessif de 80 milliards de dollars.

La petite bourgeoisie et les couches sociales intermédiaires, deux grandes forces qui auraient pu alors appuyer un putsch militaire, commençaient à jouir de bénéfices imprévus, et non plus au détriment du prolétariat, comme cela fut toujours le cas, mais plutôt sur le dos de l'oligarchie financière et du capital étranger. Les forces armées, en tant que groupe social, ont le même âge, la même origine et les mêmes ambitions que la classe moyenne. Si bien qu'elles n'avaient aucune raison, ni même un alibi, de soutenir un groupe restreint d'officiers putschistes. Consciente de cette réalité, la Démocratie chrétienne non seulement ne parraina pas la conspiration militaire, mais elle s'y opposa résolument, sachant qu'un putsch serait impopulaire même dans ses rangs.

Son objectif était autre : tout faire pour ruiner la bonne santé du gouvernement et ainsi gagner les deux tiers du Congrès aux élections de mars 1973. Cette proportion de sièges lui permettrait alors de destituer constitutionnellement le président de la République. La Démocratie chrétienne était alors une vaste formation politique ancrée dans toutes les classes, avec une véritable base populaire au sein du prolétariat, parmi les petits et moyens propriétaires paysans et dans la bourgeoisie et la classe moyenne des villes. L'Unité populaire, quant à elle, représentait le prolétariat ouvrier défavorisé, le prolétariat agricole, la basse classe moyenne des villes et les marginaux de tout le pays.

Alliée au Parti national, d'extrême droite, la Démocratie chrétienne contrôlait le Congrès, tandis que l'Unité populaire contrôlait l'exécutif. Et la polarisation de ces deux forces allait, de fait, devenir la polarisation du pays. Curieusement, le catholique Eduardo Frei, qui ne croit pas au communisme, est celui qui a le plus bénéficié de la lutte des classes, qui l'a encouragée et l'a exacerbée, dans le but de fâcher le gouvernement et de précipiter le pays sur la pente de l'accablement et du désastre économique.

Le blocus économique des États-Unis, en réponse aux expropriations sans indemnisations, et le sabotage interne de la bourgeoisie firent le reste. Le Chili produisait de tout, des automobiles au dentifrice. Mais l'industrie avait une fausse identité : 60% du capital des 160 sociétés les plus importantes était étranger, et 80% des éléments fondamentaux étaient importés. De plus, le pays avait besoin de 300 millions de dollars par an pour importer des produits de consommation, et 450 millions pour financer le service de sa dette extérieure. Or, les crédits accordés par les pays socialistes ne suffisaient pas à remédier à la carence en pièces détachées, car toute l'industrie, l'agriculture et le transport fonctionnaient avec du matériel américain. L'Union Soviétique dut acheter du blé à l'Australie pour l'envoyer au Chili car elle-même en manquait. Via les banques d'Europe occidentale et Paris, l'URSS octroya aussi des prêts importants en dollars. Quant à Cuba, par un geste plus exemplaire que décisif, elle offrit un cargo rempli de sucre. Mais les urgences, au Chili, étaient incommensurables. Les joyeuses dames de la bourgeoisie, sous prétexte du rationnement et des excessives prétentions des pauvres, sortirent dans la rue faire résonner leurs casseroles vides. Ce ne fut pas un hasard, mais, bien au contraire, un fait significatif, que ce spectacle public de fourrures argentées et de chapeaux fleuris ait eu lieu dans l'après-midi où Fidel Castro terminait une visite de trente jours qui avait causé un véritable séisme d'agitation sociale.

La dernière cueca de Salvador Allende

C'est alors que le président Salvador Allende comprit. Il affirma que le peuple détenait le gouvernement, mais pas le pouvoir. Le phrase était plus amère qu'elle ne semblait, mais aussi plus alarmante. Car Allende possédait la fibre légaliste qui fut aussi le germe de sa propre destruction : cet homme qui se battit jusqu'à la mort pour défendre la légalité aurait été capable de sortir de la Monnaie par la grande porte, le front haut, si le Congrès l'avait destitué par la voie constitutionnelle.

Rossanna Rossanda, journaliste et femme politique italienne qui visita Allende à l'époque, trouva un homme vieilli, tendu, plein de prémonitions lugubres, assis sur le même sofa de cretonne jaune où on retrouvera son cadavre criblé de balles, le visage détruit d'un coup de crosse. Même les secteurs les plus compréhensifs de la Démocratie chrétienne étaient alors contre lui. " Même Tomic ? ", lui demanda Rossana -" Tous ! ", répondit-il.

À la veille des élections de mars 1973 où se jouait son destin, on donnait 36% des votes à l'Unité populaire. Toutefois, malgré l'inflation déchaînée, malgré le rationnement féroce, malgré les concerts de Doñas Casseroles, le parti gouvernemental l'emporta avec 44%. Une victoire si spectaculaire et si décisive que, dans son bureau, sans autre témoin que son ami et confident, le journaliste Augusto Olivares, Allende se mit à danser une cueca en solo. Pour la Démocratie chrétienne, c'était la preuve que le processus démocratique encouragé par l'Unité populaire ne pouvait être interrompu par la voie légale. Elle manque toutefois de vision et fut incapable de mesurer les conséquences de son aventure : un cas impardonnable d'irresponsabilité historique. Pour les Etats-Unis, l'avertissement était bien plus sérieux que les intérêts des sociétés expropriées. Il s'agissait là d'un précédent inadmissible de progrès pacifique des peuples du monde, et notamment les peuples de France ou d'Italie, dont les actuelles conditions permettent de tenter des expériences similaires à celles du Chili. Toutes les forces de la réaction intérieure et extérieure se concentrèrent alors en un seul bloc compact.

Par contre, les partis de l'Unité populaire, dont les fissures internes étaient bien plus profondes que ce que l'on admet généralement, ne purent se mettre d'accord sur une analyse commune du vote de mars. Le gouvernement se retrouva sans ressources, tiraillé entre ceux qui voulaient mettre à profit l'évidente radicalisation des masses pour faire un saut décisif dans le changement social, et les plus modérés qui, craignant le spectre de la guerre civile, espéraient arriver à un accord régressif avec la Démocratie chrétienne. Avec le recul, on voit aujourd'hui combien ces contacts, dans le chef de l'opposition, n'étaient que distractions destinées à gagner du temps.

La grève des camionneurs fut le détonateur final. De par sa géographie accidentée, l'économie chilienne est à la merci du transport routier. Le paralyser, c'est paralyser le pays. Or, pour l'opposition, paralyser le pays était assez facile, puisque les camionneurs étaient les plus touchés par la pénurie de pièces détachées et se voyaient en outre menacés par l'intention du gouvernement de nationaliser le transport avec du matériel soviétique. La grève fut maintenue jusqu'au bout, sans répit, car elle était financée cash depuis l'extérieur. La CIA inonda en effet le pays de dollars, afin de soutenir la grève patronale. D'ailleurs, la devise américaine chuta sur le marché noir, écrivit Pablo Neruda à un ami européen. Une semaine avant le coup d'État, il n'y avait plus d'huile ni de lait ni de pain.

Dans les derniers jours de l'Unité populaire, avec une économie effondrée et le pays au bord de la guerre civile, le gouvernement et l'opposition tentèrent, chacun de son côté, de modifier le rapport de forces au sein des forces armées. La manœuvre finale fut parfaite : quarante-huit heures avant le putsch, l'opposition réussit à discréditer les officiers supérieurs qui soutenaient Salvador Allende. Après une série de coups de maître, un à un furent promus tous les officiers du dîner de Washington.

Mais ce jeu d'échec politique échappait désormais à l'emprise de ses joueurs. Entraînés par une dialectique irréversible, ils devinrent eux-mêmes des pions sur un échiquier plus vaste, beaucoup plus complexe et politiquement bien plus important qu'une simple confabulation consciente de l'impérialisme et la réaction contre le gouvernement du peuple. C'était une terrible confrontation de classes qui échappait aux mains de ceux-là mêmes qui l'avaient provoquée ; une bataille acharnée entre intérêts opposés, dont l'issue finale ne pouvait être autre qu'un cataclysme social sans précédent dans l'histoire de l'Amérique.
L'armée la plus sanguinaire au monde

Dans de telles conditions, le putsch militaire ne pouvait être que cruel. Allende le savait. " On ne joue pas avec le feu ", avait-il dit à Rossana Rossanda. " Celui qui pense qu'au Chili, un coup d'État militaire se fait comme dans d'autres pays d'Amérique, avec un simple changement de garde à la Monnaie, se trompe drôlement. Ici, si l'armée sort de la légalité, il y aura un bain de sang. " Une telle incertitude était en fait justifiée historiquement.

Au Chili, contrairement à ce que l'on a voulu nous faire croire, les forces armées sont intervenues dans la politique chaque fois que leurs intérêts de classe se voyaient menacés. Et ces interventions ont été accompagnées d'une énorme férocité répressive. Les deux constitutions que le pays a eues en un siècle ont été imposées par les armes, et le récent putsch militaire était le sixième de ces cinquante dernières années.

Cette soif sanguinaire de l'armée chilienne est en fait de naissance. Elle vient de la terrible école de la guerre au corps à corps contre les Araucans, qui dura 300 ans. Un de ses précurseurs se vantait, en 1620, d'avoir tué de sa main plus de deux mille personnes en une seule action. Dans ses chroniques, Joaquín Edwards Bello rapporte qu'au cours d'une épidémie de typhus exanthématique, l'armée sortait les malades de chez eux et les tuait d'un bain de poison afin d'enrayer l'épidémie. Et pendant la guerre civile de sept mois, en 1891, il y eut plus de 10 000 morts en une seule bataille. Les Péruviens assurent que sous l'occupation de Lima, pendant la guerre du Pacifique, les militaires chiliens saccagèrent la bibliothèque de Ricardo Palma. Mais ils ne lisaient pas les pages ; ils s'en servaient comme papier toilette.

C'est avec encore plus de brutalité que les mouvements populaires ont été réprimés. Après le séisme de Valparaiso, en 1906, les forces navales liquidèrent l'organisation des dockers en massacrant 8 000 ouvriers. À Iquique, au début du siècle, une manifestation de grévistes, fuyant les soldats, se réfugia au théâtre municipal. Ils furent mitraillés. 2 000 morts. Le 2 avril 1957, l'armée réprima une révolte civile dans un centre commercial de Santiago et causa un nombre de victimes qui n'a jamais pu être calculé, car le gouvernement enterra les corps dans des charniers clandestins. Au cours d'une grève à la mine de El Salvador, sous la présidence de Eduardo Frei, une patrouille militaire ouvrit le feu pour disperser une manifestation, faisant six morts, dont plusieurs enfants et une femme enceinte. Le commandant local était un obscur général de 52 ans, père de cinq enfants, professeurs de géographie et auteur de plusieurs ouvrages sur des questions militaires. Il s'appelait Augusto Pinochet. Ce mythe de légalisme et bienveillance de cette armée de bouchers a été inventé dans l'intérêt de la bourgeoisie chilienne. L'Unité populaire l'a maintenu dans l'espoir de faire basculer en sa faveur la composition de la classe des cadres supérieurs. Salvador Allende se sentait toutefois plus en sécurité parmi les Carabiniers, un corps armé d'origine populaire et paysanne placé sous le commandement direct du président de la République. De fait, seuls les officiers les plus anciens des Carabiniers soutinrent le coup d'État. Les jeunes officiers, eux, se retranchèrent à l'École de sous-officiers de Santiago et résistèrent pendant quatre jours, jusqu'à ce qu'ils furent écrasés sous les bombes lancées des avions.

Il ne restera au Chili aucune trace des conditions politiques et sociales qui ont rendu possible l'Unité populaire. Quatre mois après le putsch, le bilan était atroce : près de 20 mille personnes assassinées, 30 mille prisonniers politiques soumis à de sauvages tortures, 25 mille étudiants expulsés et plus de 200 mille ouvriers licenciés. Mais le plus dur n'était pas encore fini.

La véritable mort d'un président


L'heure de la bataille finale avait sonné. Le pays était à la merci des forces déchaînées par la subversion. Salvador Allende s'accrochait à la légalité. La contradiction la plus dramatique de sa vie fut d'être un farouche ennemi de la violence, tout en étant un révolutionnaire passionné. Il pensait d'ailleurs avoir résolu le dilemme par l'hypothèse selon laquelle les conditions du Chili permettaient une évolution pacifique vers le socialisme, dans le cadre de la légalité bourgeoise. L'expérience lui apprit, trop tard, qu'on ne change pas un système avec un gouvernement, mais avec le pouvoir.

Cette leçon tardive a dû être la force qui l'a poussé à résister jusqu'à la mort dans les décombres en feu d'une maison qui n'était même pas la sienne, un palais sombre, construit par un architecte italien pour être une fabrique d'argent et qui a fini en refuge d'un président sans pouvoir. Salvador Allende résista six heures durant, une mitraillette à la main, cadeau de Fidel Castro et qui fut la seule et unique arme à feu qu'il utilisa jamais. Le journaliste Augusto Olivares, qui résista avec le président jusqu'à la fin, fut touché à plusieurs reprises et mourut exsangue à l'Assistance publique.

Vers quatre heures de l'après-midi, le général de division Javier Palacios parvint au deuxième étage, accompagné de son aide de camp, le capitaine Gallardo, et d'un groupe d'officiers. C'est là, au milieu des faux sièges Louis XV, des vases chinois peints de dragons et des tableaux de Rugendas du Salon Rouge, que Salvador Allende les attendait. Il portait un casque de mineur et était en manches de chemise, sans cravate. Ses vêtements étaient tachés de sang. Il tenait sa mitraillette à la main.

Allende connaissait bien le général Palacios. Quelques jours plus tôt, il avait dit à Augusto Olivares qu'il s'agissait d'un homme dangereux ayant des contacts étroits avec l'ambassade des États-Unis. Dès qu'il l'aperçut au détour de l'escalier, Allende l'invectiva : " Traître ! ", et le blessa à la main. Allende mourut dans un échange de coups de feu avec cette patrouille. Ensuite, tel un rite de caste, tous les officiers ouvrirent le feu sur le cadavre. Finalement, un sous-officier lui détruisit le visage d'un coup de crosse. Le cliché existe : il a été pris par le photographe Juan Enrique Lira, du journal El Mercurio, le seul qui fut autorisé à photographier le cadavre. Il était tellement défiguré qu'on montra le corps dans le cercueil à Hortensia Allende, son épouse, mais sans lui permettre d'en découvrir le visage. En juillet, il avait eu 64 ans. C'était un Lion parfait : tenace, décidé et imprévisible. Ce que pense Allende, seul Allende le sait, m'avait dit un de ses ministres. Il aimait la vie. Il aimait les fleurs et les chiens. Il était d'une galanterie un peu à l'ancienne, faite de billets doux parfumés et de rencontres furtives. Sa plus grande vertu fut d'être conséquent, mais le destin lui réserva la grandeur rare et tragique de mourir en défendant par les balles le machin anachronique du droit bourgeois ; en défendant une Cour suprême de justice qui l'avait répudié mais devait légitimer ses assassins ; en défendant un Congrès misérable qui l'avait déclaré illégitime mais devait se plier, reconnaissant, à la volonté des usurpateurs ; en défendant la liberté des partis de l'opposition qui avaient vendu leur âme au fascisme ; en défendant tout l'appareil miteux d'un système de merde qu'il s'était lui-même proposé d'annihiler sans tirer un coup de feu. Ce drame a eu lieu au Chili, pour le plus grand mal des Chiliens, mais il passera à l'Histoire comme un événement qui nous est arrivé, sans coup férir, à tous les hommes de cette époque, pour rester gravé dans nos vie à jamais.

Source : Traduction de l'espagnol : Gil B. Lahout, pour RISAL.




Escadrons de la mort, l'école française


Entretien avec Marie-Monique Robin (*), décembre 2010

Le titre de votre ouvrage, dont vous avez également tiré un film, éclaire peu le sujet que vous traitez. Les militaires français, avec l'accord du gouvernement, ont développé, d'abord en Indochine, des techniques de guerres « antisubversives », techniques qu'ils ont ensuite exportées en Amérique latine, et même en Amérique du Nord. Vous avez raison, le terme fait plutôt penser à l'Amérique latine, mais ce qu'on ne sait pas, c'est que le modèle des escadrons de la mort vient de l'expérience des français en Indochine, et surtout, en Algérie.

Aujourd'hui, un certain nombre de travaux intéressants sur l'histoire coloniale de la France sont publiés. Cependant, vous reliez différents contextes, relativement éloignés, tels que l'Algérie, l'Amérique latine, l'Amérique du Nord. Comment avez-vous commencé votre enquête ? Comment avez-vous tiré le fil ? Au début, je travaillais sur l'opération Condor. Quand j'ai commencé à me documenter, à prendre des contacts avec les chercheurs qui travaillaient sur le même sujet, on m'a dit tout de suite : « Oui, c'est très bien, mais savez-vous que la genèse de l'opération Condor vient de France ». J'ai donc commencé à essayer de comprendre pourquoi et j'ai complètement changé de sujet en remontant jusqu'à l'histoire des guerres coloniales de la France, jusqu'à la guerre d'Indochine, parce que c'est là que tout a commencé.


Votre livre est composé de deux grandes parties. Une partie sur les guerres coloniales et une autre sur l'Amérique latine. Qu'est-ce qui se joue pour la France dans cette guerre d'Indochine à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, avec tout le mythe de la France résistante…?

Justement, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France vote la création des Nations unies, elle reconnaît le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes… mais quand la guerre d'Indochine s commence, elle refuse de trouver une solution politique pour résoudre ce conflit. Par contre, elle envoie un corps expéditionnaire, des militaires professionnels. Là, ils se rendent vite compte qu'ils sont plus nombreux que le Vietminh, qu'ils sont mieux équipés, mais qu'ils n'arriveront pas à bout de cette guérilla. Ils s'interrogent donc, et vont élaborer le concept de «guerre moderne», qu'ils appelleront aussi «guerre révolutionnaire» ou «guerre antisubversive».

Celui-ci est théorisé par le colonel Lacheroy qui deviendra, par la suite, chef de l'OAS et putschiste à Alger.Pourquoi cette guerre est-elle moderne, selon eux ? Avant, il y avait un front, il fallait soit avancer, soit repousser le front. Il y avait un ennemi en uniforme facile à identifier. Là, il n'y a rien de tout cela. L'ennemi est disséminé sur tout le territoire et il n'y a pas de front. Ils utilisent le terme de « guerre de surface ». Ils ajoutent à leurs observations une réflexion politique dans ce contexte de début de « guerre froide ».

L'ennemi, le Vietminh, lui, s'appuie sur un appareil idéologique de contrôle des populations. C'est ainsi que naît le concept de « guerre révolutionnaire ». Les militaires français vont par la suite dire à leur état-major que ce n'est pas la peine d'envoyer des chars, des avions, etc., qu'il faut quadriller le territoire contre ce nouvel ennemi au cœur de la population : l'ennemi interne. Ce peut être un paysan qui va couper les poteaux électriques la nuit ou une femme qui va transmettre un message… Ils essayent de convaincre leurs supérieurs. Le colonel Lacheroy demande à être renvoyé sur Paris pour signifier l'erreur. Et ces militaires, « humiliés », selon eux, en Indochine, qui passent par la défaite de Dien Bien Phu, par les camps de rééducation pour certains d'entre eux, se retrouvent tous en Algérie dès septembre 1954.

Pendant cette période, dans ce contexte de « guerre froide », le PCF possède une forte influence, au sortir de la guerre 39-45, ce qui va exacerber une paranoïa inhérente aux militaires.Quand on étudie les archives militaires de l'École de guerre de Paris ou les revues et documents disponibles au service historique de l'armée de terre, la paranoïa est très apparente.Il faut considérer que, dans un premier temps, les maquisards communistes ont été intégrés dans l'armée par de Gaulle. Mais, petit à petit, les militaires se persuadent que le PCF, ce qu'ils appellent « la cinquième colonne », préparent un coup d'État. Plus encore, tout ce qui se passe dans le monde est un travail construit et cohérent pour imposer une hégémonie communiste. Cela joue beaucoup.

On voit donc des militaires français tels que Lacheroy et Trinquier qui élaborent une doctrine, qui écrivent des livres.Lacheroy écrit beaucoup d'articles. Il théorise sur la guerre révolutionnaire et son antidote, la guerre contre-révolutionnaire. Trinquier, lui, écrira plus tard. Mais ce n'est qu'en Algérie que l'on va trouver des textes sur les techniques militaires d'élimination du terrorisme ou de la subversion. Le rôle des militaires est d'arriver à démanteler un réseau terroriste. C'est, en fait, la mise à jour d'une véritable matrice d'un pouvoir dictatorial dont l'une des tentatives est le putsch d'Alger, qui sera par la suite exporté en Argentine.

Quel est l'état d'esprit de ces militaires qui arrivent en Algérie ?C'est un département français, et il n'est pas question de se faire avoir comme en Indochine. Ils arrivent avec la rage et appliquent tout de suite la grille de lecture de l'Indochine. Il s'agit, selon eux, d'un avatar de la guerre froide : le FLN travaillerait pour Moscou (ce qui est, historiquement, complètement à côté de la plaque). C'est une guerre révolutionnaire et il faut développer de nouvelles techniques.

Est-ce le moment où apparaît la notion d'action psychologique ?

Non, elle est apparue en Indochine. Les militaires se sont aperçus que le Vietminh devait son pouvoir au contrôle et aux manipulations qu'il exerçait sur les populations. Ils ont vite compris l'enjeu de cette nouvelle forme de guerre. Ils ont développé des campagnes d'action psychologique, avec des tracts, mais surtout des services de santé, d'alphabétisation. L'idée était de conquérir l'âme des populations. Mais il est vrai qu'en Algérie, le service d'action psychologique aux mains de Lacheroy, nommé par le ministre des Armées, prendra d'emblée une ampleur considérable.

Ils continuent, au début de cette guerre, à dire que les méthodes ne sont plus adaptées... Et ils obtiennent gain de cause. Le 7 janvier 1957, le gouvernement, qui a déjà voté les pouvoirs spéciaux, les confie aux militaires, notamment à Massu, chef des parachutistes. C'est important, car cela permet aux militaires d'être investis de tous les pouvoirs, y compris des pouvoirs de police. Ils ont carte blanche. C'est donc cette bataille d'Alger, de janvier 1957 à septembre 1957, qui va constituer le modèle de la guerre antisubversive.

Lors de la bataille d'Alger, Les militaires vont pouvoir appliquer les mains libres ce qu'ils avaient auparavant théorisé.Oui, ils n'ont plus d'entraves. Bigeard dira : « Le FLN posait des bombes, on ne pouvait pas entrer dans la casbah la nuit parce qu'il nous fallait un mandat du juge, comment voulez-vous qu'on travaille dans ces conditions ? ». Avec les pouvoirs spéciaux qu'ils obtiennent, ils n'ont absolument plus besoin de passer par la justice. Ils sont seuls maîtres à bord. Rappelons que la population est suspecte et que l'ennemi est interne.

Tout le monde est suspect, donc le renseignement devient l'arme fondamentale de cette guerre.Qui dit renseignement dit torture et, quand les torturés sont morts ou agonisants, il faut les faire disparaître. C'est le rôle d'Aussaresses qui dit : « J'ai créé les premiers escadrons de la mort ». C'est la première fois, dans cette bataille d'Alger, qu'une armée va développer un modèle de répression urbaine… en sept mois. Pour en revenir aux méthodes, il y a le renseignement, la torture, mais il y en a d'autres, le quadrillage des quartiers, de chaque maison, le contrôle de la population, etc.Si la population est suspecte, il faut la contrôler.

C'est le colonel Trinquier qui s'en occupe. Il va devenir le grand théoricien, en écrivant La Guerre moderne, qui va être traduit dans toutes les langues et, en quelques sortes, devenir la bible, le manuel de la guerre antisubversive. Trinquier, lui, a une idée : il quadrille l'ensemble du territoire avec des unités qui agissent partout, sur plan. D'ailleurs, l'historien Pierre Vidal-Naquet dira que c'est « une guerre des capitaines ».

Effectivement, ils commencent tous à « interroger », à faire disparaître des gens, à abattre les prétendus fuyards, etc. Dès le début, se met en place toute une série de pratiques totalement contraires aux lois de la guerre. Ajoutons qu'ils abattent les prisonniers, qu'ils déplacent les populations. À Alger, ils vont quadriller la casbah tout entière, cela représente plus de 80 000 personnes. Chaque maison est numérotée ; à l'intérieur de chacune, la population est recensée avec des fiches qui seront distribuées dans les différentes unités de contrôle des quartiers. Tout cela se passe la nuit car alors les gens sont censés être chez eux.

C'est en fait toute une réflexion depuis « l'Indochine » qui prétend que ce type de guerre se passe la nuit.Tout à fait, en Indochine, Lacheroy, n'a cessé de dire que les militaires ne sont pas des fonctionnaires de l'armée qui se couche à dix-neuf heures, mais qu'ils devraient commencer à travailler à cette heure-là. En Algérie, ils ont compris. Bigeard, Aussaresses, etc., disent tous qu'ils travaillaient la nuit. Ils faisaient des rafles et la gégène fonctionnait à plein la nuit. Mais, pour en revenir au quadrillage, ils débarquent la nuit, ils regardent la fiche.

Ils vérifient que les personnes présentes sont bien recensées. Toute personne qui n'est pas de la maison est embarquée. Quand une personne manque, toute la maisonnée est embarquée, torturée, pour savoir où elle se trouve. Tout cela va être exporté par la suite, en Irlande, par exemple. C'est d'ailleurs Trinquier qui sert de référence dans toute la guerre qui va être menée contre l'IRA. Cela sera également exporté en Argentine, à Buenos Aires.


Il y avait également la pratique du retournement de prisonnier…

Oui, des militaires comme le capitaine Léger faisait la tournée des centres de torture en essayant de récupérer ceux qu'il pensait pouvoir retourner. Il devait par la suite diffuser de fausses informations, faire savoir qu'ils avaient changé de camp et, finalement, faire en sorte que les Algériens se massacrent entre eux. Léger dira dans un des ses livres que « ce n'est certes pas très moral, mais [que] si l'ennemi a cette capacité de s'automassacrer, pourquoi s'en priver ». Cette technique du retournement de prisonnier sera exportée en Argentine et au Chili. On me dit souvent : « Il ne faut pas exagérer, ce ne sont pas les français qui ont inventé la torture ».

Certes… La grande différence, c'est que la torture, l'interrogatoire, dans les documents officiels, sont érigés comme une arme principale et systématique. Trinquier est le seul à avoir théorisé cela, à tel point qu'aujourd'hui encore, pour la guerre en Irak, ils ont ressorti Trinquier. Que dit-il? C'est très simple… « Le terroriste dans la guerre moderne, par son mode opératoire, parce qu'il ne porte pas d'uniforme, parce qu'il pose des bombes dans les lieux publics, ne respecte pas les lois de la guerre. Il n'y a donc aucune raison de les appliquer. De plus, si j'ai entre les mains une personne qui peut avoir une information sur un attentat qui va avoir lieu, j'ai le droit de le torturer et d'éviter ainsi la mort d'innocents. » Voilà. C'est encore une bible pour les militaires en Irak, à Guantanamo…


Une autre dimension du conflit est aussi dans la politisation, et l'idéologisation. Des militaires français vont se rapprocher du lobby national catholique.

Oui, tous ces arguments techniques s'accompagnent d'un retour aux sources de la civilisation chrétienne. J'ai en effet découvert le rôle très important que va jouer le lobby national catholique auprès de l'armée, notamment un organisme qui s'appelle la Cité catholique, créé par un certain Jean Ousset, secrétaire éphémère de Charles Maurras.

La Cité catholique repose sur des cellules censées occuper l'ensemble du terrain social à partir de grands groupes professionnels : enseignants, agriculteurs, militaires, etc., à la Mussolini. Ils se réunissent secrètement et travaillent à la revue Verbe, dans le but de préparer des arguments, pour convaincre. Dans l'armée, il y aura à un moment plus de deux cents cellules. C'est l'endroit où il y en aura le plus, notamment en Algérie.

Il est intéressant de noter que tout ceux qui font circuler la revue sont aussi ceux qui sont proches de l'« action psychologique » et de cette réflexion sur la « guerre contre-révolutionnaire ». On retrouvera encore les mêmes au moment du putsch et dans l'Organisation armée secrète (OAS). Au moment où Témoignage chrétien, France observateur et L'express commencent, en France, à dénoncer la torture en temps réel, Verbe fait une campagne de justification théologique de l'utilisation de la torture.

Quand vous la lisez, vous avez l'impression d'avoir à faire à un argumentaire de l'Inquisition. La Cité catholique sera dénoncée, cela fera scandale, ce qui n'empêchera pas Jean Ousset de créer une filiale en Argentine, la Ciudad Católica, et une revue, El Verbo, autrement dit, exactement la même chose. Il y envoie pour ce faire un curé nommé Georges Grasset, un des chefs spirituels de l'OAS, un de ceux qui vont organiser la fuite des gens de l'OAS en Argentine.

Après le putsch et la création de l'OAS, beaucoup de militaires vont être condamnés à mort…Il y aura à peu près quatre cents militaires destitués de l'armée, ce qui est minime par rapport à tous ceux qui ont participé au putsch. Quant aux condamnés, très peu seront exécutés.


Où vont passer tous ces gens ?

Lacheroy, par exemple, raconte comment il passe en Espagne franquiste. Il est d'abord aidé par la police et des marins pour passer dans le Sud de la France. Puis c'est une femme des services secrets français, le Sdece, qui va lui faire passer la frontière espagnole en voiture. Prenons un autre condamné à mort nommé Gardes, il prend un voilier et gagne l'Argentine. Ils sont bien condamnés à mort, mais personne ne leur court après.Les chefs de l'OAS vont donc jouer un rôle de conseillers auprès de la dictature argentine, mais il y aura aussi des assesseurs militaires français…Pour bien comprendre, disons que l'École française en Amérique du Sud commence à l'École de guerre de paris. C'est entre 1954 et 1962, quand la théorie de la guerre antisubversive est à son apogée, que le nombre d'officiers étrangers est le plus important.

C'est ainsi que le général Rosas, un Argentin, va y passer deux ans, à partir de 1955, et convaincre l'école de prendre davantage d'Argentins en formation, et même de créer une mission militaire française permanente en Argentine. Son unique but sera d'enseigner les techniques de la guerre antisubversive. Cette mission s'installe en 1959 à Buenos Aires, au siège de l'état-major. Elle y restera jusqu'en 1981. Voilà donc le premier pays où la France va exporter ses nouvelles techniques.

Au même moment, Kennedy, avant d'être élu, fait un voyage d'étude en Algérie, en pleine guerre. Il a entendu parler de la théorie et, obsédé par le communisme, s'y intéresse. Après son élection, il demande à son secrétaire d'État, McNamara, de contacter Pierre Messmer, ministre des Armées, pour accueillir aux États-Unis des experts de la guerre antisubversive. C'est ainsi que le général Aussaresses part à Fort Bragg, le siège des forces spéciales américaines. À l'époque, les Américains étaient dans une conception classique de la guerre, ils se préparaient à un affrontement avec les Soviétiques. Ce sont les Français qui introduisent ces nouvelles manières.


On parle de l'Argentine, mais d'autres pays ont-ils été formés à l'École française dans les années soixante ?

Oui, Aussaresses, après son passage aux États-Unis et à l'Otan, est envoyé comme attaché militaire au Brésil de 1973 à 1975, pays qui est, depuis 1964, une dictature militaire. Et il forme à plein temps des militaires chiliens qui viennent au Brésil. Depuis l'Argentine également, l'École française « rayonne ». Elle va former des Uruguayens à Montevideo, des Péruviens chez eux. Les Français étaient installés à Buenos Aires et allaient où on les appelait pour distribuer la « bonne parole » antisubversive sur tout le continent.


Est-ce que l'École française est influente au Chili, pendant la dictature de Pinochet ? On pense plutôt aux États-Unis, à la CIA qui joue un grand rôle.

En ce qui concerne le général Contreras, chef de la Dina, la police politique de Pinochet, une chose m'a frappée : son admiration pour l'OAS. Revenons quelques instants sur l'OAS... Un certain nombre de chefs s'installent à Lisbonne, au Portugal, à l'époque de la dictature de Salazar, et créent une espèce d'agence de presse bidon qui sert de couverture. Cette agence loue ses services, envoie des mercenaires, etc. Au Chili, par exemple, ils encadrent la création d'un groupe fasciste appelé Patria y Libertad qui va participer à l'assassinat du général, loyaliste et démocrate, juste avant le coup d'État de Pinochet. Ils vont aussi en Argentine, au Nicaragua, au Salvador.


Pouvez-vous préciser implications de l'influence française en Argentine ?

Les Français sont en Argentine en 1957, alors qu'il n'y a aucune guérilla, ni parti communiste. Quand la dictature s'installe, en 1976, tout est en place depuis longtemps. Le quadrillage du territoire a été fait dès la fin des années cinquante. Les militaires vont se comporter comme une armée d'occupation dans leur propre pays. Ils vont tout appliquer au pied de la lettre. Y compris la méthode des « crevettes Bigeard », qui consistent à se débarrasser des prisonniers en les jetant d'un hélicoptère. Tout est repris, mais de manière industrielle. « Les vols de la mort » auront lieu en Argentine tous les mercredis avec vingt, vingt-cinq bonshommes jetés à la mer. Il faut rappeler l'influence de l'École française dans d'autres pays comme l'Irlande, le Rwanda, la Tchétchénie et l'Irak.

Note :


(*) Marie-Monique Robin, auteure d'un livre et d'un film documentaire intitulés « escadrons de la mort, l'école française ». fruit d'une enquête de deux ans, menée en amérique latine et en europe, son travail révèle les dessous des guerres d'algérie et d'indochine et l'exportation des méthodes des militaires dans les dictatures d'amérique latine jusqu'en afrique.

Source : Extrait de Offensive n°7 Parution: 2005-10-01




Le LKP de la Guadeloupe, un mouvement social instructif ?



Paméla Obertan, 12 décembre 2010 (*)

Quand on pense à la Guadeloupe, île qui se situe dans la Caraïbe, la première image qui nous vient en tête est le sable chaud, les cocotiers et la mer. Cependant, cette île, qui est aussi une région et un département français, a été le théâtre l’année dernière d’un mouvement social sans précédent dans son histoire.

En effet, en janvier 2009, l’île a été paralysée pendant 44 jours de grève générale. C'est-à-dire que les magasins, les banques, les administrations, bref toutes les activités ont été interrompues. De même, la circulation était inopérante en raison de la grève des stations d’essence. Cependant, malgré toutes ces restrictions, la population a manifesté son soutien au collectif le Lyannaj Kont Pwofitasyon (LKP : «collectif contre l’exploitation outrancière».), à l’origine du phénomène. Un an après, il nous est apparu intéressant de revenir sur les enseignements positifs que l’on peut tirer de ce mouvement.

Ceci nous semble particulièrement pertinent dans un contexte de crise qui exacerbe les conflits sociaux. Dans un tel cas, il est courant d’assister à une recrudescence des mouvements sociaux. Toutefois, ces derniers ne parviennent pas toujours à établir des rapports de force efficace avec le pouvoir étatique ou économique.

Voilà pourquoi il est intéressant de comprendre pourquoi certains mouvements échouent et d’autrespas. En ce sens, le mouvement social guadeloupéen, par sa durée et son fort soutien, peut s’avérer instructif pour les luttes sociales. Il importe donc de revenir brièvement sur le conflit pour bien comprendre ce qui s’est passé, ce que nous étudierons en premier point.

Puis, nous verrons que si ce mouvement a eu tant de succès, c’est parce qu’il a su tout d’abord comprendre et tirer parti d’une situation particulière (partie 2). Il a ensuite été capable d’adopter une stratégie originale pour obtenir satisfaction (partie 3).

La genèse du mouvement LKP


En janvier 2009, l’île a été paralysée pendant 44 jours de grève générale.

Le    mouvement    LKP    a commencé en Guadeloupe avec l’augmentation du prix du pétrole à l’automne 2008. Cette augmentation est très symbolique pour une île comme la Guadeloupe, fortement dépendante de cette source d’énergie et dont le principal moyen de transport reste la voiture. Ainsi le 5 décembre 2008, l’UGTG (L’Union générale des travailleurs de la Guadeloupe), qui constitue l’un des syndicats les plus populaires de l’île, appela de nombreuses organisations syndicales à manifester contre l’augmentation du prix de l’essence.

Elles répondirent toutes présentes et c’est ainsi que le 16 décembre 2009, 7000 personnes défilent dans les rues de Pointe à Pitre (« capitale » économique de l’île). Le lendemain, c’est 4000 personnes qui défilent dans les rues de Basse-Terre (capitale administrative). Les dirigeants du collectif demandèrent à la suite une rencontre avec le Préfet, représentant de l’État. Celui-ci refusa en raison d’autres obligations prévues ce jour là (inauguration de l’arbre de Noel des employés).

En dépit, de cette fin de non-recevoir, les organisations syndicales, bientôt suivies de nombreuses associations, décidèrent de se rencontrer et d’élaborer un plan d’action. Ainsi, du 17 décembre 2008 au 20 janvier 2009, tous les syndicats et de nombreuses associations culturelles, environnementales, ainsi que des partis politiques se réunirent pour élaborer une plateforme de revendications communes. L’ensemble de ces organisations se mirent d’accord pour lancer une grève générale le 20 janvier 2009.

Entre temps, la situation sur l’essence continua de dégénérer. En effet, les gérants de station de service furent très mécontents à l’annonce de l’implantation de 13 stations-service automatiques qui fonctionneraient sans pompistes. Selon les gérants, la présence de ces stations-service exacerbera la concurrence et entraînera la suppression de nombreux emplois. Ainsi, les gérants de nombreuses stations de service décidèrent de se mettre en grève, coupant ainsi l’approvisionnement de toute l’île. On se retrouve alors avec deux grèves générales qui, pendant un temps, vont se renforcer mutuellement.

Cependant, très vite le collectif LKP manifesta sa volonté d’aller au delà de la simple question de l’essence et se mit à dénoncer une série de problèmes qui gangrènent l’île : le chômage, la cherté de la vie, la faiblesse des salaires, la progression de la pauvreté, le trop faible nombre de logements sociaux, la perte des terres agricoles... Sa lutte sort donc du cadre restreint de la hausse de l’essence et il prétend lutter contre toutes les «pwofitasyons» (injustices) dont sont victimes les Guadeloupéens.

Le mouvement établit ainsi une large plateforme de revendications composée de 149 points, dont le plus populaire concerne l’augmentation de 200 euros pour les bas salaires. Dès le 21 janvier 2009, au lendemain de la grève générale, il organisa un « déboulé » important (une marche, une manifestation en français) importante dans d’un grand centre commercial et dans l’aéroport Pôle Caraïbes. Le LKP réclame aussi l’ouverture des négociations globales entre l’État, les collectivités locales, le patronat afin de débattre de la plateforme de revendications, qu’ils ont élaboré. Malgré, le refus des différentes instances, le LKP insiste et finit par obtenir gain de cause.

C’est    ainsi qu’après    un    grand    « déboulé »    qui    a réunit 25.000 personnes, le collectif arrive au World Trade Center (zone industrielle) pour rencontrer toutes les parties. Les négociations commencent, elles sont même retransmises à la télévision. La population suit alors attentivement les débats et penche nettement en faveur du LKP. Cependant, ces rencontres se terminent le 28 janvier 2009 alors que le Préfet décide, à la demande d’Yves Jego, le secrétaire d’État à l’outre-mer, de rompre les négociations.

Cet évènement n’empêche pas le LKP de continuer la grève générale. De nombreux «déboulés» sont organisés, certains parviennent même à atteindre le nombre de 65.000 personnes dans les rues : sur une population    de 458.000 habitants (1). L’arrivée d’Yves Jego, le secrétaire d’État à l’outre-mer, le 1er février 2009, préfigure un retour aux négociations, qui reprendront le 5 février 2009. Celles-ci vont bon train et un dénouement paraît s’approcher lors de la nuit du dimanche 8 février 2009. En effet, la partie patronale refusait de signer un accord prévoyant l’augmentation de 200 euros sur les bas salaires si l’État ne s’engageait pas lui-même à contribuer lui- même à ces hausses. Jego semble affirmer que oui, mais il est rappelé le lendemain en France. Le Premier Ministre français invalide tout engagement de l’État dans les augmentations de salaires.

Dès lors, les négociations auront du mal à aboutir et la situation donne l’impression d’être sans issues. Néanmoins, le LKP, fort du soutien massif de la population, décide de continuer le mouvement et va multiplier les manifestations. Du 16 au 21 février 2009, le mouvement va se durcir et le collectif incite les Guadeloupéens à réaliser des barrages dans toute l’île afin de provoquer la paralysie complète.

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Notes :


(1) Conseil Régional de la Guadeloupe, « La Guadeloupe en chiffre » : http://www.cr- guadeloupe.fr/

 (*) Paméla Obertan, titulaire d'un Master de droit européen à l'Université Paris XII, et d'une maîtrise en droit international à l'Université du Québec à Montréal, réalise actuellement une cotutelle de thèse internationale entre le Québec et la Guadeloupe. Sa thèse porte sur les mouvements de contestation à la globalisation du brevet sur le vivant. Auteur de l’ouvrage : Le brevet sur le vivant: une menace pour les peuples autochtones?

Source : Observatoire des Amériques
http://www.ameriques.uqam.ca/spip.php?rubrique1



L’Amérique latine dans son bicentenaire :
la construction d’une région



par José Del Pozo, mise en ligne décembre 2010  (*)

L’année 1810 constitue un anniversaire important dans l’histoire latino-américaine : pour un grand nombre des pays de la région, il marque en effet le bicentenaire de la naissance des États nationaux, suivant le cycle commencé dans le nord par les États-Unis et plus tard par Haïti. Il est vrai que l’indépendance proprement dite n’a pas été déclarée cette année-là, et que 1810 a été plutôt le commencement d’un processus qui devait mener, quelques années plus tard, à la condition de pays souverains, détachés des métropoles européennes.

Rappelons brièvement les faits fondamentaux :    en    1808, suite à l’occupation de l’Espagne par Napoléon, les colonies dans le Nouveau monde se retrouvent devant un vide du pouvoir, puisque les autorités avaient été nommées par un roi désormais absent. À partir d’avril 1810, d’abord à Caracas et plus tard à Buenos-Aires, Bogotá et Santiago du Chili s’en suivit la constitution de Juntes, formées par les notables des diverses capitales coloniales, censées gouverner les territoires durant l’absence du souverain, à qui tous avaient juré fidélité. Mais la conjoncture sera mise au profit par les nombreux criollos (les descendants des Espagnols, nés dans le Nouveau monde) qui depuis un certain temps songeaient à se libérer de la métropole.

Très vite, les combats vont éclater entre royalistes et patriotes. Après une guerre parfois dévastatrice, ce sont ces derniers qui l’emportent. Entre 1816 et 1822, une série de nouveaux États nationaux voient le jour. En 1823, les États-Unis les reconnaissent et en 1825 la Grande-Bretagne fait de même. La mort dans l’âme, l’Espagne doit se résigner, mais elle prendra plusieurs années, voire des décennies à accepter la nouvelle situation. Faute de moyens et sous la pression anglaise, le Portugal accepte plus facilement la perte du Brésil.

Ce processus, ici rapidement esquissé, comporte des exceptions. Ainsi, Cuba Porto Rico demeurent dans le giron colonial et font très peu de tentatives afin de suivre l’exemple des autres domaines espagnols. La faiblesse du mouvement patriote au Pérou fit en sorte que ce pays fut libéré essentiellement par les efforts militaires des troupes venues du Venezuela, de la Colombie, de l’Équateur, du Chili et de l’Argentine. Le Mexique suivit un parcours particulier, puisque les patriotes n’avaient pas gagné la guerre contre les royalistes.

Ces derniers avaient néanmoins opté pour l’indépendance d’un commun accord avec les criollos lorsqu’ils apprirent, en 1821, qu’une révolution libérale avait éclaté en Espagne, ce qui menaçait de bouleverser l’ordre social conservateur. L’Amérique centrale, contrairement aux autres, devient indépendante sans guerre, suivant l’influence du Mexique. Quant au Brésil, il se sépare du Portugal presque sans lutte, suivant une chronologie quelque peu différente de celle des colonies espagnoles, mais dans la même période. Il sera d’ailleurs la seule ancienne colonie dans le Nouveau monde à se doter d’un gouvernement monarchique.

Ainsi, une série de nouveaux États nationaux font leur entrée sur la scène mondiale. Ils constituent ce que l’on connaît aujourd’hui comme l’Amérique latine. Mais ce qu’il importe de souligner, c’est que cet ensemble de pays n’a pas constitué, loin de là, un bloc uni et solidaire devant le monde. Cette unité ne s’est forgée que péniblement à travers le temps. Pourtant, tout avait bien commencé. Les luttes pour l’indépendance avaient été menées de concert entre les chefs patriotes. Vénézueliens et Colombiens s’étaient battus ensemble pour leur indépendance et, plus tard, avaient joué un rôle décisif dans la libération du Pérou, dernier bastion royaliste en Amérique du Sud.

Les troupes argentines étaient venues à la rescousse du mouvement patriote chilien, et ces deux pays avaient aussi envoyé    des    troupes    pour contribuer à la libération du Pérou. À l’époque, une seule nationalité semblait exister: celle des    Americanos, les habitants du Nouveau monde. La communauté de langue et de religion, le culte aux héros qui ne connaissaient pas de frontières – l’Argentin José de San Martín au Chili, le Vénézuelien Simón Bolívar dans plusieurs pays, notamment en Bolivie, ainsi nommée en son honneur, semblaient autant de fondements pour une solide unité.

Cette unité est néanmoins vite disparue au profit des rivalités régionales. Les expériences unitaires tentées durant les premières années d'indépendance ont échoué : la Grande-Colombie, qui regroupait la Colombie, le Venezuela et l’Équateur, disparaît en 1830, et la Confédération de l’Amérique centrale s’effondre en 1838, laissant la place à cinq petits pays : le Guatemala, le Nicaragua, le Honduras, le Costa Rica et le Salvador. De plus, le Guatemala subit les pressions du Mexique, qui s’attribua le Chiapas et réclama d’autres territoires.

L’Argentine eut beaucoup de mal à se doter d’une structure unitaire : pendant trois décennies, chaque province disposait de sa propre armée, ce qui laissait Buenos-Aires seule à diriger la politique extérieure d’une Confédération assez relâchée. De plus, bientôt éclatèrent des guerres entre pays voisins. Déjà en 1829, le Pérou affrontait la Colombie. Plus tard, entre 1837 et 1839, le Chili faisait la guerre au Pérou et à la Bolivie, répétant l’expérience quarante ans plus tard, en 1879. Entre 1865 et 1870, le Paraguay était décimé suite à la guerre contre ses trois voisins, le Brésil, l'Uruguay et l’Argentine. Les pays de l’Amérique centrale se sont affrontés à plusieurs reprises tout au long du XIX° siècle (1), et Haïti occupait militairement durant de longues années la région qui deviendrait la République dominicaine.

Ces circonstances expliquent l’échec des tentatives en vue de formuler une politique commune pour l’ensemble des nouveaux pays, d’abord le congrès de Panama, tenu en 1826 à l’initiative de Bolívar, plus tard les deux congrès de Lima, en 1847 et en 1865. Non seulement ces réunions ne produisirent pas de résultats concrets, mais il n’y eut jamais la participation simultanée de tous les pays invités. D’ailleurs, les pays de langue espagnole se méfiaient du Brésil, l’ennemi ancestral, car il était vu comme la prolongation du Portugal.

Ceci explique la guerre entre Buenos Aires et le Brésil entre 1825 et 1828 pour la possession des territoires à l’est du fleuve Paraná, ce qui donnera naissance à l’Uruguay comme solution de compromis. Haïti faisait problème à cause du fait qu’il    s’agissait    d’un    pays gouverné par des Noirs, à une époque où l’esclavage n’avait pas été aboli partout. Ainsi, sur le plan international, il y avait trois Amériques : l’espagnole, le Brésil et Haïti. L’expression « Amérique latine », lancée par les Français pour justifier l’intervention de Napoléon III au Mexique, en 1862, ne fit pas long feu.

Au niveau économique, il n’y avait pas des raisons de chercher l’unité. Il existait certes un commerce entre les nouveaux pays, suivant l’héritage colonial. Mais c’était le commerce avec l’Angleterre, qui dominait l’économie mondiale et qui ne s’intéressait pas à faire des conquêtes territoriales en Amérique latine, qui constituait l’élément le plus important dans la nouvelle étape. Chaque pays espérait aussi recevoir des investissements étrangers pour stimuler sa croissance. 


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Notes :
Texte révisé d’une conférence donnée à l’ambassade du Chili à Alger, le 30 juin 2010

(*) José Del Pozo est professeur d’histoire à l’Université du Québec à Montréal

(1) Sur cette région et les facteurs de sa désunion, voir l’article de Pierre Vayssière, « L’Amérique centrale au XIXe siècle : l’union impossible », Cahiers des Amériques latines no. 11, 1991, pp. 29-44.

Source : Observatoire des Amériques
http://www.ameriques.uqam.ca/spip.php?rubrique1




Amérique Latine
et la Colombie en particulier...
Rapport sut la torture en 2010



par l’ACAT France, mis en ligne en décembre 2010

(...) L’existence de la torture en Amérique latine est liée à l’histoire de ce continentI. À l’exception du Costa Rica, tous les pays latino-américains ont connu ou connaissent la pratique de la torture.

Utilisée par les dictatures de type « caudillo » (1) pour réprimer l’opposition durant la première moitié du XX° siècle et au-delà (Vicente Gómez au Venezuela, Somoza au Nicaragua, Trujillo en République dominicaine, Duvalier en Haïti...), la torture fut érigée en véritable politique d’État durant la Guerre froide sous les régimes militaires des années soixante à quatre-vingt-dix fondés sur la doctrine de la « sécurité nationale » (2) (Chili, Argentine, Uruguay, Guatemala, Brésil, Salvador...), ainsi que sous certains gouvernements démocratiques, comme la Colombie. C’est dans ce contexte que plusieurs centaines de milliers de personnes ont été assassinées, torturées, victimes de détentions arbitraires, de disparitions forcées* ou ont été contraintes à l’exil.

À l’exception de Cuba (3), les États d’Amérique latine connaissent aujourd’hui des régimes démocratiques, qualifiés par certains observateurs de « démocratures » (4). Plus de la moitié d’entre eux a ratifié la Convention contre la torture* des Nations unies et la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture. La majorité ont adopté des législations prohibant cette pratique dans leur droit interne.

Le recours à des méthodes violentes, et notamment à la torture, demeure pourtant très répandu au sein des forces de l’ordre. Héritage de décennies de dictatures militaires, il est courant que des personnes, généralement issues de couches défavorisées ou marginalisées, soient maltraitées ou torturées par la police ou les forces de sécurité lorsqu’elles sont arrêtées.

Si la lutte contre le communisme a laissé place à la guerre contre le terrorisme, les moyens utilisés continuent de porter atteinte aux droits de l’homme. La plupart des États latino-américains se sont dotés de législations antiterroristes contraires aux garanties constitutionnelles en matière de droits et de libertés. C’est notamment le cas de l’Argentine, de la Colombie, du Salvador, du Pérou, du Paraguay.

Des infractions aux contours flous ouvrent la voie à des interprétations qui criminalisent la protestation sociale : des syndicalistes, des paysans, des étudiants ou des leaders sociaux sont fréquemment arrêtés sous couvert de lutte antiterroriste et se retrouvent exposés à des risques de tortures, de mauvais traitements ou de disparitions forcées*.

En Argentine, les dispositions de la loi antiterroriste permettent de réprimer des citoyens ou des organisations critiquant les autorités ou prétendant exercer une pression sur le gouvernement (5).

Au Chili, une centaine d’Indiens Mapuches militant contre l’exploitation du bois sur leur territoire demeurent emprisonnés sur le fondement d’une loi antiterroriste votée sous le régime de Pinochet. Au Brésil, au Guatemala, en Colombie, au Pérou, en Argentine, en Bolivie ou en Équateur, les mouvements de paysans ou d’Indiens protestant contre une mauvaise répartition de la terre et des ressources sont violemment réprimés par les forces de l’ordre.

Au Mexique, au Guatemala, en Colombie ou au Pérou, le trafic de drogue est devenu une source majeure de la violence dont la population est la première à subir les conséquences. L’influence des groupes armés liés au crime organisé est telle que ceux-ci font parfois obstacle au contrôle de l’État sur des pans entiers du territoire (Colombie) ou s’imposent comme autorité de fait dans des zones marginalisées (favelas au Brésil).

Dans le cadre des offensives menées contre les narcotrafiquants, la police et l’armée ont pour usage de recourir à la torture pour obtenir des aveux et se rendent responsables de graves exactions contre la population. Chaque année, au Brésil, de nombreux jeunes issus des favelas sont torturés ou trou- vent la mort au cours d’opérations policières contre le trafic de drogue. Le crime organisé pénètre les plus hautes instances de l’État, entretenant une impunité chronique pour les auteurs d’exactions.

Le recours à la torture demeure très fréquent dans les lieux de détention. En 2007, Florentin Meléndez, président de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), a indiqué que dans les lieux privatifs de liberté, les droits fondamentaux des détenus continuaient d’être violés et a relevé la persistance de la torture, des mauvais traitements et de la surpopulation carcérale. Dans la majorité des pays d’Amérique latine, les systèmes judiciaires privilégient la répression et le recours à l’incarcération au détriment de politiques de prévention, de peines alternatives et de la résolution des problèmes sociaux.

L’impunité dont bénéficient les auteurs des violations des droits de l’homme contribue à la persistance du phénomène tortionnaire en Amérique latine. Elle résulte aujourd’hui non seulement de la corruption endémique qui ronge le pouvoir judiciaire dans de nombreux États, mais également des défaillances des systèmes judiciaires. Le renvoi de nombreuses plaintes devant des juridictions militaires excluant les crimes de torture, comme c’est notamment le cas en Colombie ou au Mexique, constitue un obstacle de taille au jugement d’agents de l’État responsables de violations des droits de l’homme. (...).

La Colombie en particulier...

LE CONTEXTE

(...) Depuis la fin de la Violencia (1948-1960) (13), la Colombie est le théâtre d’un conflit armé interne opposant les deux principales guérillas d’extrême gauche (les Forces armées révolutionnaires de Colombie – FARC-EP, et l’Armée de Libération nationale – ELN) aux forces gouvernementales et aux paramilitaires (les Autodéfenses unies de Colombie – AUC) (14). Ces derniers, soutenus par les élites économiques, une partie de l’armée colombienne et de la classe politique (15) ont pour objectifs de chasser les guérillas de leurs zones d’influence et d’éliminer tout soutien avéré ou perçu comme tel aux activités insurrectionnelles. À ce conflit, se superpose dans les années quatre-vingt-dix la lutte pour la maîtrise du trafic de drogue, lucrative source de financement des activités des groupes armés.

Dans les zones de conflit, la population est prise entre deux feux : les personnes accusées de collaborer avec l’un ou l’autre camp sont fréquemment menacées, enlevées ou tuées. Les campagnes de terreur menées par les paramilitaires dans les zones sous influence de la guérilla s’accompagnent de la spoliation de mil- lions d’hectares de terres dont les communautés indiennes et les afro-colombiens sont les premières victimes (16). Bien qu’ayant subi de sérieux revers en 2008, les guérillas continuent de se livrer à des exactions : assassinats – parfois précédés de tortures – de civils considérés comme des collaborateurs de l’armée ou des paramilitaires (17) ; enlèvement de personnalités politiques leur servant de monnaie d’échange avec leurs membres emprisonnés, ou de simples citoyens dans le but d’obtenir des rançons (18) ; recrutement d’enfants soldats ; usage de mines antipersonnel. Le viol est utilisé à grande échelle par chacune des parties au conflit comme arme de terreur à l’encontre des populations civiles.

Depuis 2002, plus de 15 000 personnes ont péri ou disparu en raison de leurs activités politiques ou sociales : assassinats d’opposants politiques, de défenseurs des droits de l’homme, de syndicalistes. La Colombie détient le record mondial de syndicalistes assassinés (4 000 en vingt ans).

La politique de « sécurité démocratique », lancée par le président Uribe au lendemain de son élection en 2002(19) pour regagner le contrôle du territoire, ne fait qu’affecter davantage la population civile, notamment en l’impliquant directement dans le conflit avec la création d’un réseau d’informateurs civils rémunérés et d’une armée de « soldats-paysans ».

L’échec du processus de démobilisation des groupes paramilitaires (20) a entraîné l’émergence de nouveaux groupes paramilitaires, alors que d’autres ont simplement poursuivi leurs activités. Les dépositions de paramilitaires démobilisés, recueillies dans le cadre de la loi Justice et paix de 2005 (21), ont permis de localiser 2 679 tombes anonymes et fosses communes dans les- quelles ont été retrouvés 3 131 corps de personnes disparues, dont plusieurs portent des marques évidentes de torture.

Le Comité contre la torture qualifie la pratique de la torture par des agents de l’État et les groupes armés de « généralisée ». Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture ne s’est rendu qu’une seule fois en Colombie, en 1994. Le gouvernement colombien refuse de ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture* en faisant valoir que les mécanismes existants offrent des garanties suffisantes de protection des droits des détenus.


PRATIQUES DE LA TORTURE


Victimes


En 2009, le Centre pour la recherche et l’éducation populaires en Colombie (CINEP) a recensé 63 affaires (concernant un total de 181 victimes) dans les- quelles des faits de tortures avaient été rapportés (22). Les premières victimes sont les opposants et les prisonniers politiques (23), les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes, les leaders communautaires, les victimes d’exactions commises par les paramilitaires revendiquant leur droit à la réparation, ainsi que leurs avocats. Sont également ciblés les paysans et les membres des communautés indigènes accusés de fournir des informations à l’un ou l’autre des deux camps.

Le 19 février 2009, sept membres de la famille García Taicús, Indiens de l’eth-nie Awa, ont été enlevés, puis torturés à l’arme blanche (oreilles coupées, entailles sur plusieurs parties du corps) par un groupe de paramilitaires les accusant d’être des sympathisants de la guérilla. Ils ont été libérés, à l’exception d’un jeune homme âgé de vingt ans dont on reste sans nouvelles.

Le 23 février 2009, dans le hameau El Castillo (département du Meta), plu- sieurs paramilitaires agissant sous couvert de l’armée ont torturé une paysanne qu’ils suspectaient de liens avec la guérilla et ont tenté de la violer en présence de ses trois enfants. Le 1er mars 2009, à Chaparral (Tolima), des membres des FARC ont torturé, puis assassiné un homme qu’ils accusaient d’être un informateur de l’armée.

Le 14 mars 2009, des militaires de la brigade mobile n° 17 se sont attaqués à la communauté de paix de San José d’Apartadó (24). Depuis sa création en 1997, près de 200 de ses membres ont été assassinés par des militaires, des para- militaires et par les FARC. Lors de cette dernière attaque, des militaires ont tenté de violer Luz Tatiana Puerta dans le village de Mulatos à Antioquia. Ils l’accusaient d’entretenir des liens avec des membres de la guérilla. L’homme qui l’accompagnait, Isaac Torres, a été pris à part. Les soldats lui ont mis une machette sur la gorge et ont menacé de lui crever les yeux. Ces deux personnes ont été relâchées après une demi-heure et ont déposé plainte, en dépit des craintes de représailles.

Le 10 septembre 2009, des paramilitaires ont torturé, puis assassiné Oscar Eduardo Suárez Suescún, professeur à l’université de Pamplona, alors qu’il enquêtait sur la prostitution clandestine dans la ville de Cúcuta. Son corps a été retrouvé dans la rue à moitié dénudé et la tête recouverte d’un sac en plastique attaché avec un ruban.

Le 26 août 2009, des membres de l’unité ESMAD (police antiémeute) ont arrêté, puis torturé un étudiant de vingt-quatre ans dans la ville de Bucaramanga au cours d’une journée de protestation d’étudiants et de professeurs. Ces derniers demandaient la démission du recteur de l’université qui s’était engagé, lors d’une conversation téléphonique avec un chef paramilitaire, à lui fournir une liste de noms d’étudiants, professeurs et travailleurs pour leur appliquer le « plan pistolet »XV.
Tortionnaires et objectifs

Près de la moitié des actes de torture recensés en Colombie sont imputables aux divers groupes paramilitaires – anciens membres de l’AUC poursuivant leurs activités auxquels s’ajoutent de nouveaux groupes illégaux (Aigles noirs, Los rastrojos...) – agissant très souvent de concert avec la police nationale ou l’armée. Une partie importante des actes de torture est directement imputable aux forces de sécurité : l’armée (particulièrement les brigades n° 8, 15, 17, 30, le bataillon d’infanterie de la marine fluviale n° 10), la police et les services de renseignement. Les guérillas, en particulier les FARC-EP, sont également directement responsables de tortures (25).

Les tortures perpétrées par l’un ou l’autre des deux camps répondent aux mêmes objectifs : l’obtention de renseignements ou d’aveux sur les activités ou la transmission d’informations au camp adverse. La torture peut être infligée à la victime en guise de punition et vise à terroriser les autres membres de sa communauté afin de la fragiliser et de rompre les liens sociaux en faisant régner la loi du silence.

Méthodes et lieux


Les cas recensés font état de tabassages extrêmement violents. Le viol et les brûlures sont également fréquents. Près de la moitié des victimes sont assassinées après avoir subi des sévices, ce qui tend à occulter l’importance du fait tortionnaire et à favoriser l’impunité quasi totale dont bénéficient les auteurs de tortures.

Plusieurs cas avérés de tortures perpétrées par des paramilitaires se sont produits dans des postes de police et des commissariats. La torture est également présente dans les prisons colombiennes, notamment celles de Val- ledupar (Cesar), de La Modelo de Bucaramanga, de La Picaleña (à Ibagué – Tolima) et de Doña Juana (à La Dorada – Caldas). En sus de ces lieux que l’on peut qualifier d’« habituels », des maisons (notamment de paramilitaires), des clairières, ou même la jungle, peuvent servir temporairement de cadre à la torture.


PRATIQUES DE LA DÉTENTION


Légalité des détentions

Dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de « sécurité démocratique », les détentions massives et arbitraires se sont multipliées. Des centaines de personnes ont été arrêtées en même temps, puis placées en détention. En 2008, les Nations unies se sont déclarées préoccupées par la persistance des arrestations massives et par le recours excessif à la détention provisoire dans certaines régions de la Colombie, comme le départe- ment d’Arauca. Le rapporteur spécial* des Nations unies sur la détention arbitraire, M. El Hadji Malick Sow, a visité en 2008 des prisons, des casernes militaires et des commissariats de police du département d’Arauca, ainsi que la ville de Cali, où les ONG locales ont signalé le plus grand nombre de détentions arbitraires et massives.

Conditions de détention

Les 139 prisons nationales sont gérées par le Conseil de l’Institut national pénitentiaire et carcéral (INPEC) dirigé par un général de l’armée. Le nombre de détenus en 2010 est estimé à 79 730 pour une capacité théorique de 55 000.
Les bâtiments des prisons colombiennes sont généralement en mauvais état et les conditions de vie y sont difficiles. Le budget alloué aux besoins des prisonniers est insuffisant et il est fréquent que les familles des détenus se chargent de fournir leurs proches en nourriture, vêtements et produits d’hygiène.

L’insuffisance, voire le défaut de formation des gardiens de prison, favorise la violence, l’insécurité et la corruption au sein même des prisons. Plusieurs chefs de cartels de drogue et des paramilitaires, emprisonnés en vertu de la loi de 2005, continuent à gérer leurs affaires depuis les centres de détention. Les émeutes sont fréquentes et entraînent plusieurs dizaines de morts chaque année. En 2009, 27 détenus ont trouvé la mort à la suite d’affrontements et d’émeutes.

En novembre 2009, lors de l’examen du quatrième rapport soumis par la Colombie, le Comité contre la torture* s’est déclaré préoccupé par le recours à l’isolement* pendant des périodes prolongées à titre de punition. Le Comité a par ailleurs relevé que les plaintes pour tortures et mauvais traitements en détention étaient généralement instruites par l’autorité disciplinaire et que rares étaient celles donnant lieu à l’ouverture d’enquêtes.

Les conditions de détention des civils ou des militaires enlevés par les groupes de guérilla (FARC et ELN), notamment le fait d’être enchaîné en permanence, sont également dramatiques, mais beaucoup moins documentées et donc plus difficiles à décrire.

LÉGISLATION ET PRATIQUES JUDICIAIRES


Condamnation de la torture en droit interne


La torture est prohibée par la Constitution de 1991 et incriminée par le code pénal. En vertu de l’article 178 du code pénal modifié par la loi n° 890 de 2004, l’infraction de torture est punissable d’une peine d’emprisonnement comprise entre 128 et 270 mois (soit vingt-trois ans) et d’une amende de 800 à 2 000 fois égale au salaire minimum en vigueur en Colombie.

Cependant, lorsqu’elle n’est pas qualifiée d’infraction pénale de moindre gra- vité, telle que les dommages corporels, la torture est souvent qualifiée de cir- constance aggravante d’autres crimes considérés comme plus graves, tels que l’homicide.

La loi 734/2002 instituant le code disciplinaire unique complète la liste des actes constitutifs d’infractions à la discipline des fonctionnaires d’État en y ajoutant, entre autres, la torture, considérée comme une infraction très grave passible de révocation et d’une incapacité d’exercer une fonction publique d’une durée comprise entre dix et vingt ans.

Répression des auteurs de torture


Lors de l’examen du dernier rapport présenté par la Colombie, le Comité contre la torture* s’est déclaré très préoccupé par l’insuffisance des enquêtes pénales conduites sur des faits de tortures et par le fait que nombre d’entre elles ne débouchaient sur aucune poursuite. En novembre 2009, le procureur général de la Nation a mentionné 6 956 enquêtes concernant des faits de torture, mais seules 28 de ces affaires (0,4 %) étaient en cours de jugement.

Les crimes de torture, de génocide et de disparition forcée* sont totalement exclus de la juridiction pénale militaire. En vertu du code de procédure pénale, les militaires responsables de violations des droits de l’homme doivent être jugés par des tribunaux civils. Pourtant, dans de telles affaires, les militaires demeurent souvent jugés par leurs pairs et ne sont que rarement condamnés. En 2008, le ministère de la Défense a démis de leurs fonctions 80 officiers et 213 soldats pour inefficacité, conduite non éthique, corruption et implication suspectée dans des violations des droits de l’homme (26). Ils n’ont cependant pas été jugés.

L’impunité reste donc de mise : alors que toutes les parties prenantes au conflit ont utilisé la torture, les commanditaires de ces actes ne sont que rarement traduits en justice. Les véritables responsables des violences civiles et politiques échappent à la justice et seuls les exécutants sont punis, encore que de façon non systématique et très aléatoire.(...).

Notes du texte :

1 Le «caudillisme» désigne une pratique du pouvoir politique fondée sur la dictature personnelle d’un chef militaire (le caudillo).

2 Ciment des dictatures militaires latino-américaines des années soixante-dix à quatre-vingt/quatre-vingt-dix, cette doctrine reposait sur le concept de « lutte contre l’ennemi interne » dont certains des éléments clés étaient la répression et la torture. Dans leur lutte contre le communisme, ces régimes ont bénéficié du soutien appuyé des États Unis dont un des volets consista en l’enseignement de méthodes d’interrogatoire, y compris de méthodes de torture, à l’« École des Amériques ». Sur la doctrine de la sécurité nationale voir Comblin J., Le pouvoir militaire en Amérique latine. L’idéologie de la sécurité nationale, Jean-Pierre Delarge Éditeur, 1977.

3 En dépit de l’annonce de la libération de 52 prisonniers d’opinion en juillet 2010, dont seulement cinq ont été remis en liberté, la législation cubaine continue à ériger l’opposition politique en infraction.

4 L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano a créé le terme « démocrature » pour désigner les faibles démocraties nées au terme des dictatures latino-américaines des années soixante-dix et quatre-vingt.

5 En 2007, plusieurs personnalités, dont le prix Nobel de la paix Adolfo Perez Esquivel, ont été placées sous surveillance en application de la loi antiterroriste.
nombreux pays et crée un terreau fertile au développement de la criminalité : émergence des maras en Amérique centrale, tueurs à gages en Colombie (sicarios), gangs de jeunes trafiquants des favelas au Brésil.

13 Cette période de conflits sanglants opposant les deux partis politiques traditionnels (conservateur et libéral) dura jusqu’en 1960 et fit plus de 200 000 morts.

14 La création légale (décret 3398/1965, devenu en 1968 la loi 48, déclarée anticonstitutionnelle en 1989) de groupes armés de civils intervenant sous l’égide de l’armée lors d’opérations anti-insurrectionnelles est à l’origine de l’émergence de groupes paramilitaires apparus au cours des années soixante-dix comme structures organisées et mafieuses, agissant avec la complicité d’élites régionales, d’une partie de l’armée et de trafiquants de drogue. Les groupes paramilitaires se fédèrent en 1997 sous la bannière des Autodéfenses unies de Colombie (AUC).

15 En novembre 2009, 268 parlementaires, 12 gouverneurs, 166 maires et des dizaines d’autres élus locaux étaient l’objet de poursuites judiciaires du fait de liens avec les paramilitaires. Conseil des droits de l’homme, Rapport du Haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en Colombie, A/HRC/13/72, 4 mars 2010.

16 Cette spoliation bénéficie à l’implantation de projets économiques de compagnies colombiennes et de multi- nationales. Voir Human Rights Everywhere (HREV) et Coordination belge pour la Colombie, Le flux de l’huile de palme Colombie-Belgique-Europe, approche sous l’angle des droits humains, novembre 2006.

17 Au début du mois de février 2009, 17 Indiens membres de l’ethnie Awa ont été assassinés par les FARC. Les FARC ont reconnu la responsabilité de huit assassinats. Asociacion de cabildos Indigenas Norte del Cauca, 2 octobre 2009.

18 Cette pratique est toutefois sur le déclin : d’après Amnesty International, le nombre d’enlèvements est passé d’un pic de 3 570 en 2000 à un peu plus de 520 en 2007. Selon une étude réalisée en 2010 par une unité spéciale du ministère de la Défense, les FARC ont enlevé 679 personnes entre 1996 et 2009, dont 44 restent encore entre leurs mains ; 44 sont décédées et 14 ont été enrôlées de force. Fundación para la defensa de la libertad personal (Fondelibertad) Realidad de las víctimas del secuestro en Colombia, marzo de 2010. Bogotá abril 2010,

19 Élu le 20 juin 2010, Juan Manuel Santos, ancien ministre de la Défense du président sortant, a pris ses fonc- tions de président de la République le 7 août.

20 À l’issue de ce processus, le gouvernement recensait 31 671 « combattants » paramilitaires ayant déposé les armes. La majorité a été amnistiée. Human Rights Watch, Paramilitaries Heirs, the New Face of Violence in Colombia, février 2010.

21 La loi n°975/2005 prévoyait une peine de cinq à huit ans d’emprisonnement pour les combattants confessant volontairement leurs crimes, y compris pour les auteurs de crimes contre l’humanité et de disparitions forcées. Les dépositions d’environ 1 800 personnes ont été recueillies à partir de 2005. Rapport du Haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en Colombie op.cit. Le 29 juin 2010, une première condamnation a été prononcée à l’encontre de deux chefs paramilitaires : condamnés respective- ment à trente-huit et trente-neuf ans d’emprisonnement pour le massacre de 11 paysans commis en mars 2000 et le déplacement forcé de 300 familles ; ils bénéficient cependant de peines alternatives de huit ans en vertu de la loi « Justice et Paix ». « Especial : Primera condena de justicia y Paz », La Semana, 15 juin 2010.

22 CINEP, Banque de données sur toutes les formes de violences politiques en Colombie.

23 Près de 4 000 membres du parti politique Union patriotique, né des accords de paix avec les guérillas en 1984, ont été assassinés par l’armée et les paramilitaires. Ces dernières années, des militants du parti d’opposition PDA ont été assassinés.

24 Cette communauté de paix, pour laquelle l’ACAT-France s’est mobilisée ces dix dernières années, regroupe environ 1 500 paysans pacifiques. Ses membres refusent de prendre parti dans le conflit et interdisent le port d’armes au sein de leur communauté, ce qui donne lieu à des tensions avec l’armée et le gouvernement.

25 Près de 50 % sont imputables aux groupes paramilitaires, 20 % à l’armée, 16 % à la police, 6,5 % aux services de renseignement, 6,5 % aux guérillas. Estimation faite sur la base des recensements 2009 du CINEP : CINEP, Noche y Niebla n°38, 2008 et n°39, 2009.

26 La plupart de ces militaires étaient impliqués dans l’assassinat de jeunes issus des bidonvilles de Bogotá et présentés comme « guérilleros morts au combat ». Ce scandale est connu en Colombie sous le nom de « faux positifs ». Voir Sottas E., « Colombie : “Les faux positifs”, une barbarie travestie », Liberation.fr, 30 juin 2009.


Source : ACAT -  Action des Chrétiens pour l'abolition de la torture

http://www.acatfrance.fr/



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